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L’onde de choc de l’intervention militaire à Prague touche durement les communistes français qui cherchaient à trouver une voie médiane à l’échelle mondiale et qui voient interrogée leur perspective stratégique.
Pour le PCF dont l’histoire a été imbriquée avec celle du mouvement communiste international la crise tchécoslovaque en 1968 a été une épreuve majeure qui a marqué durablement son histoire. Le récent ouvrage de Roger Martelli, minutieux et très documenté aborde cette question et permet de revisiter l’année 1968 comme l’épisode révélateur de la situation du PCF aussi bien en France que sur la scène internationale (1). En fait les événements de l’année 1968 qui ont secoué toutes les forces politiques françaises ont particulièrement marqué le PCF, doublement interpellé par la situation politique nationale et la crise internationale du mouvement communiste. Sous la conduite prudente de son secrétaire général, Waldeck Rochet, le PCF ambitionne alors de tenir une place médiane dans le mouvement communiste international. Il est un des promoteurs d’une prochaine conférence internationale des partis communistes dans un contexte marqué par l’exacerbation du conflit entre le Parti communiste chinois et le Parti communiste soviétique aux côtés duquel il n’a cessé de se placer. En Europe, marquée par la division en deux camps, plusieurs partis communistes au pouvoir ont pris leurs distances avec l’Union soviétique qui est à la tête de l’organisation militaire du pacte de Varsovie face à l’Otan sous direction américaine. Outre la Yougoslavie qui, de longue date a affirmé sa neutralité, la Roumanie et l’Albanie ont adoptés des positions différentes de celles de l’URSS dans le domaine diplomatique. Les 5 autres, Pologne, RDA, Bulgarie, Hongrie et Tchécoslovaquie restent soumis à une influence étroite de l’URSS même si celle-ci proclame le respect de leur indépendance. Dès la fin de 1967, en Tchécoslovaquie comme en Pologne, parmi la jeunesse étudiante mais aussi au sein du parti communiste s’affirment des critiques contre la persistance des formes staliniennes et pour la démocratisation du fonctionnement de l’Etat et du parti. Le PCF, tout en renouvelant son accord avec l’universalité du marxisme-léninisme, affirme son attachement au principe de l’indépendance de chaque parti communiste responsable de sa politique nationale.
Quand, en janvier 1968, le comité central du Parti communiste Tchécoslovaque destitue Novotny de son poste de secrétaire général du PCT remplacé par Dubcek, le PCF se garde d’une prise de position. Les mois suivants il reste dans l’expectative et refuse de porter une appréciation positive sur les changements engagés critiquant d’ailleurs de certaines initiatives dans la presse communiste, comme Paul Noirot qui a interviewé Dubcek dans « Démocratie Nouvelle » ou des articles Pierre Daix dans les Lettres Françaises. Mais la position de la direction du PCF évolue. Le 19 avril, Waldeck Rochet apporte un soutien prudent aux réformes engagées par le PCT. Il se félicite que dans son programme d’action celui-ci affirme son engagement pour la démocratie socialiste afin de redresser les erreurs du passé et qu’il ne remette pas en cause les engagements internationaux du pays. En somme, alors que l’URSS et les autres pays du Pacte de Varsovie marquent leur désapprobation en vers les réformes annoncées par le PCT, le PCF s’estime rassuré par le parti et le gouvernement tchécoslovaques sans approuver pour autant le contenu des différentes réformes. Du fait de la situation politique en France, il doit surseoir à ses projets de relancer une démarche médiatrice au sein du mouvement communiste international. En juillet, Waldeck-Rochet, tente d’ultimes démarches pour empêcher l’irréparable : il se rend à Moscou le 15 puis à Prague le 19 en préconisant une solution politique. Devant Brejnev il convient de certaines dérives en Tchécoslovaquie mais le dirigeant russe ne veut rien entendre quand il lui déclare qu’une intervention militaire serait une catastrophe pour tout le mouvement communiste. A Dubcek, qui lui reproche d’être influencé par les soviétiques, il prône la prudence. Les dirigeants du PCF veulent voir dans les ultimes rencontres entre la direction soviétique et tchécoslovaques à Cierna le 1er aout puis à Bratislava le 3 avec les autres partis communistes, le résultat positif de leur démarche. Le BP du PCF, le 5 août, salue la déclaration commune des six partis qui « ont souligné que les succès du socialisme et du communisme exigent l’application des lois générales du marxisme-léninisme en tenant compte des conditions et particularités nationales ».
Le Bureau Politique du PCF, réuni en toute hâte le 21 aout, « exprime sa surprise et sa réprobation à la suite de l’intervention militaire en Tchécoslovaquie ». Devant le Comité central réuni le lendemain, en session extraordinaire, Waldeck Rochet reconnaît d’emblée que l’affirmation du désaccord avec le PCUS a suscité des déchirements au sein du PCF. « C’est presque le contraire qui serait anormal car il est vrai que notre Parti, depuis 50 ans, a toujours été aux côtés de l’Union soviétique ». Pour autant la condamnation de l’intervention militaire est réaffirmée ce qui d’ailleurs ne suscite pas au sein du CC d’opposition explicite. La direction du parti, les jours suivants, suscite la réunion des comités fédéraux et appelle leurs membres à se prononcer sur la décision de la direction du parti. Pour obtenir un très large soutien l’équipe dirigeant équilibre le propos, en atténuant les termes de la condamnation, réaffirmée désormais comme une désapprobation. De plus le PCF appelle les dirigeants tchécoslovaques, arrêtés et emmenés en URSS, à la discussion avec les dirigeants soviétiques pour déboucher sur une solution politique positive dont le Bureau Politique le 25 août réclame qu’elle s’appuie sur une normalisation de la situation impliquant « le retrait des forces d’intervention ». Les jours suivants, le 27 août puis le 2 septembre, il se félicite que les pourparlers aient débouché sur un accord. De fait, cet accord engage le processus de normalisation qui entraînera l’année suivante l’éviction de Dubcek et la remise en cause de toutes les réformes démocratiques engagées.
Pour l’heure, le PCF doit affronter au sein du Bureau Politique les critiques portées par Jeannette Vermeersch qui dénonce l’antisoviétisme et par Roger Garaudy qui met en cause le système soviétique en tant que tel. Si le BP repousse les critiques de la veuve de Maurice Thorez il dénonce avec vigueur les thèses défendues par Garaudy accusé de développer une ligne stratégique étrangère à celle du parti. Pour autant le PCF doit faire face également aux attaques de certains partis frères, en particulier le SED (parti communiste de RDA) et le PCUS qui par différents canaux, articles de presse et brochures, dénoncent la prise de position du PCF contre l’intervention militaire et la justifient auprès des cadres du parti. Des explications orageuses ont lieu avec les dirigeants soviétiques et ceux de RDA au terme desquelles, Waldeck Rochet et Georges Marchais qui les ont menés en concluent qu’il est urgent de reporter la Conférence Internationale à la tenue de laquelle ils s’employaient depuis des mois. Lorsque le 5 décembre le Comité central se réunit à Champigny l’unité du parti bien qu’ébranlée a été maintenue et l’organisation n’a pas subi la même hémorragie qu’en 1956 même si le PCF s’est trouvé en difficulté aussi bien en France qu’au plan international sur sa perspective stratégique et sa vision du socialisme. La résolution finale, préparée par Waldeck Rochet, épaulé par Jean Kanapa, bientôt intitulée le Manifeste de Champigny, esquisse face au « socialisme existant » ce que pourrait être « la voie française au socialisme ». Les événements de Tchécoslovaquie ajoutés à ceux de mai-juin en France venaient de montrer l’urgence d’une avancée…
(1) Communistes en 1968. Le grand malentendu. Editions sociales, 2018.
Entré très jeune au Parti communiste, antifaciste opposé à la dictature slovaque de Jozef Tiso, le premier secrétaire du PCT sera la figure centrale du printemps de Prague, et plus tard le spectateur de la partition du pays.
«Je pense à tout ce que nous aurions pu accomplir pendant ces années et aux avantages qu’en auraient tirés notre pays et le socialisme. » Ainsi répondait Alexander Dubcek au journal communiste italien l’Unita. C’était en 1988, et les autorités tchécoslovaques avaient desserré l’étau sur l’ancien dirigeant du printemps de Prague.
La vie de l’ancien dirigeant communiste se confond avec l’histoire du mouvement ouvrier dans cette partie de l’Europe centrale longtemps dominée par l’Empire austro-hongrois et divisée entre les pays tchèque, directement attaché à Vienne, et slovaque, placé sous la férule de Budapest. Dubcek est Slovaque, mais peu s’en est fallu qu’il ne naquît à Chicago, où vivaient ses parents jusqu’à leur retour au pays, en 1921, quelques mois avant la naissance du jeune Alexander. Un retour provisoire avant un nouveau départ en Kirghizie, puis à Gorki. Jusqu’en 1938, Alexander Dubcek passe une adolescence soviétique.
IL SERA EXCLU DU PARTI
Revenu en Tchécoslovaquie en 1938, le jeune homme va vivre l’invasion nazie et les crimes de l’État clérico-fasciste de Jozef Tiso en Slovaquie. Il adhère au Parti communiste clandestin, combat dans la Résistance, est blessé lors de l’insurrection en 1944 (son frère Julius est tué). Après la libération, Dubcek gravit les échelons du pouvoir, siège au Parlement et, devenu numéro un du parti en Slovaquie en 1963, ne tarde pas à s’opposer aux éléments conservateurs, proches du secrétaire général, Antonin Novotny. Ironie de l’histoire, Dubcek emporta la partie après avoir invité le secrétaire général du PCUS, Leonid Brejnev, lequel lâcha Novotny, en janvier 1968…
Au lendemain du 21 août 1968, les Soviétiques hésitèrent à destituer immédiatement Alexander Dubcek. Ce n’est qu’en avril 1969 que celui-ci cède son poste à Gustav Husak. L’ex-secrétaire général est appelé à présider l’Assemblée fédérale. Alors que la contestation pacifique se poursuit – l’étudiant Jan Palach s’immole sur la place Venceslas –, Dubcek sera démis de ses fonctions parlementaires et exclu du Parti communiste. Envoyé en Turquie comme ambassadeur, il sera bientôt rappelé. Il occupera jusqu’en 1989 un emploi dans l’administration forestière, à Bratislava.
Lors de la « révolution de velours », en novembre 1989, il apparaîtra aux côtés de Vaclav Havel. Acclamé au cri de « Dubcek na Hrad ! » (Dubcek au Château !), il devra se contenter de la présidence de l’Assemblée. Président du Parti social-démocrate slovaque, il assistera impuissant au processus qui conduira à la partition du pays, qu’il réprouve. Sa mort, le 7 novembre 1992, des suites d’un accident de circulation, alimentera des soupçons chez ses partisans. L’enquête confirmera la thèse accidentelle. Mais sa disparition a privé le pays des Tchèques et des Slovaques d’une grande voix en faveur de l’unité. J.-P. P.
Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les chars russes et les troupes du pacte de Varsovie investissent la Tchécoslovaquie. Au petit matin, la capitale, Prague, est quadrillée par les militaires devant des habitants médusés.
«Ce fut à cinq heures dans Prague que le printemps s’obscurcit. » La chanson de Jean Ferrat Camarade exprime la colère et la tristesse des militants de gauche, des communistes en premier chef, à l’annonce de l’entrée des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Elle fait écho aux images de ce matin du 21 août 1968 : ces chars qui manœuvrent sur la place Venceslas face à des jeunes gens médusés qui tentent de dialoguer avec des tankistes aussi jeunes qu’eux.
Un choc à la dimension de l’espoir qu’avait éveillé le printemps de Prague, ce nouveau cours emprunté depuis le début de l’année par le Parti communiste tchécoslovaque (PCT) pour insuffler la démocratie dans la vie politique et sociale, après des années d’arbitraire. Ce projet de « socialisme à visage humain », en rupture avec l’héritage stalinien, était largement soutenu par la population. Il ne modifiait pas la position stratégique du pays, qui demeurait membre du pacte de Varsovie, alliance militaire des États socialistes, et du Comecon, organe d’intégration économique de l’URSS et de ses alliés.
Toutefois, ces garanties ne suffisaient pas à calmer les inquiétudes du Kremlin, qui redoutait que le vent des réformes ne soufflât dans les autres capitales d’Europe centrale et orientale. Les dirigeants soviétiques ignoraient qu’en intervenant militairement à Prague, ils ruinaient la dernière chance de donner au modèle issu de la révolution d’octobre 1917 le second souffle qui aurait pu peut-être éviter la fin calamiteuse de l’Union soviétique deux décennies plus tard. Certes, l’histoire n’a pu trancher sur ce qui n’est qu’une hypothèse et restera une question en débat.
MÉCONTENTEMENT SOCIAL ET POLITIQUE
Au cours des années 1960, en Tchécoslovaquie, un pays aux fortes traditions communistes et où le PCT a joué un rôle majeur dans la résistance, un mécontentement social et politique sourd contre un pouvoir autoritaire et encore marqué du passé stalinien. Les terribles procès de Prague contre des dirigeants communistes comme Rudolf Slansky et Artur London, décrits dans le film de Costa-Gavras l’Aveu, ont laissé des traces profondes. L’économie hypercentralisée donne des signes d’essoufflement. Particulièrement visé par les critiques, le secrétaire général du parti, Antonin Novotny, est remplacé en janvier 1967 par le dirigeant slovaque Alexander Dubcek. Celui-ci annonce un programme visant à « réformer ce qui a été déformé ». Au centre du projet, l’affirmation des droits fondamentaux (presse, réunion, expression, circulation), l’abrogation de la censure, la démocratisation de la vie politique et le pluripartisme. Au plan économique, la réforme vise à augmenter l’autonomie des unités de production et les droits des travailleurs par les conseils d’entreprise. L’orientation socialiste est réaffirmée.
Les pressions soviétiques ne tardent pas pour tenter de réduire la portée des changements. L’hostilité de Leonid Brejnev est partagée par d’autres dirigeants comme Walter Ulbricht, le président de la RDA, ou Todor Jivkov, de Bulgarie. Le Hongrois Janos Kadar, dans un premier temps plutôt favorable aux réformes de Prague et qui tente une voie médiane dans son pays une décennie après l’insurrection de Budapest, se ralliera finalement aux vues de ses homologues. Plusieurs réunions se succèdent, à Dresde, à Cierna nad Tisou, à Bratislava, où les dirigeants de Prague sont sommés de s’expliquer et font figure d’accusés. Toutefois, la rencontre de Bratislava le 3 août semble présager d’une relative détente. Dubcek en ressort avec l’assurance que le 14e congrès du PCT pourra se réunir comme prévu en septembre. Les troupes soviétiques, qui viennent de participer à des manœuvres en Slovaquie, repassent la frontière. Les positions de Moscou ont aussi des relais au sein du PCT, où le camp des conservateurs, dirigé par Vasil Bilak, ne reste pas inactif, souhaitant ouvertement une « aide fraternelle » de l’URSS avant que les communistes ne plébiscitent le programme de Dubcek lors du congrès. L’agence Tass expliquera plus tard que le pacte de Varsovie a répondu à une demande « d’hommes politiques tchécoslovaques ».
Néanmoins, pour l’heure dans les rues de Prague, en ces chaudes journées d’août, le soir dans les tavernes à bière, la jeunesse se reprenait à croire en l’avènement d’un socialisme démocratique en Europe de l’Est. Aussi la surprise est-elle glaçante quand peu avant cinq heures du matin, le 21 août, Radio Prague annonce que toute la République tchécoslovaque est occupée. 200 000 soldats confluent dans le pays. D’importantes unités se concentrent devant le siège du comité central du PCT, au Château, la résidence du chef de l’État, et l’immeuble de la radio-télévision. Le gouvernement invite la population à ne pas s’y opposer par les armes. Les principaux dirigeants, Alexander Dubcek et le président Ludvik Svoboda, sont embarqués dans un avion pour Moscou. Ils en repartiront le 26 août après avoir signé le « protocole de Moscou », qui enterre le printemps de Prague avec tout son cortège d’espérances.
Jean-Paul Piérot
Le général communiste Enrique Líster a joué un rôle de premier plan dans l’organisation et la direction des « maquis » espagnols.
L’opération « Reconquista de España» supposait également qu’un hôpital de l’arrière, en France et pas loin de la frontière, serve de « retaguardia » médicale (arrière-garde) aux guérilleros blessés. Le PCE et « l’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols » aménagent à Toulouse, quartier Saint-Cyprien, un vieux bâtiment qui devient « l’Hôpital Varsovie », au 15 de la rue du même nom, un hôpital de qualité, solidaire, militant, qui peu à peu opère et soigne bien au-delà des guérilleros. La plupart des médecins sont militants du PCE ou proches de lui.
L’hôpital sera lui aussi, impitoyablement, victime du déploiement policier du gouvernement de « centre-droit et gauche », de l’ Opération de « Guerre froide » « Boléro-Paprika » ; « el hospital de los guerrilleros », véritablement décapité, et ses médecins espagnols arrêtés, déportés eux aussi, ou assignés à résidence, etc. Dans la journée même, des médecins communistes français prennent le relais, et l’hôpital prendra le nom de « Joseph Ducuing » en hommage à celui qui reprit la direction et le flambeau. La grande rafle suscite peu de réactions en France de l’époque. Plus il est gros et répété, mieux le mensonge passe... « L’Humanité », la CGT, le PCF, la Ligue des Droits de l’Homme... mènent une campagne de dénonciation et de solidarité. Le chef d’accusation finalement unique appliqué à tous les détenus, au-delà du grotesque : « intelligence avec une puissance étrangère », c’est l’accusation « d’appartenance communiste », et de surcroît étrangère.
LÉON BLUM VOLE AU SECOURS DES « BOLÉRISTES » ET LANCE : « LE COMMUNISME INTERNATIONAL A DÉCLARÉ LA GUERRE À LA DÉMOCRATIE »[1].
Les militants espagnols, intégrés aux syndicats français, luttent avec leurs camarades. Les autorités françaises, de droite, gaullistes, socialistes, radicales, de « troisième force », haïssent ces « rouges espagnols » révolutionnaires, « bouffeurs de curés », et de patrons. Une belle « union sacrée » ! Le 29 octobre 1948, le président du gouvernement, en pleine grève minière, accuse « la foule criminelle des communistes espagnols » d’avoir « attaqué les forces de l’ordre... ». Il fait porter aux Espagnols la responsabilité des affrontements sanglants, fruits de sa terrible répression contre les puits d’Alès, de Saint-Etienne, du Nord... et les mineurs grévistes. A partir de 1947, la France tourne le dos totalement aux Républicains espagnols et se place ouvertement sous la tutelle des Etats-Unis.
La presse française, « Le Figaro » en tête, accusent, eux-aussi, « la cinquième colonne » qui préparerait une « invasion soviétique » du sud de la France. Un danger mortel, totalement fantasmé, mais matraqué jusqu’à plus soif. Une telle parano , il faut le faire ! Ces propos sont repris par le très référentiel « Le Monde », et même « Le Populaire », journal du PS, « France Soir »... « L’Humanité » s’insurge contre l’arrestation de 300 antifranquistes, et le gouvernement qui cède aux pressions de Madrid[2], maltraite des héros de la Résistance, veut « nettoyer » de leur présence le grand sud de la France.
Peu à peu, la lutte des classes reprend ouvertement son cours normal. « Mieux vaut Franco que le ‘frente crapular’ ! ». Les socialistes jouent l’attentisme ; en septembre 1945, le plenum du PSOE condamnait l’organisation « de révoltes et d’incidents » qui pourrait légitimer, au plan international, l’existence d’un gouvernement de fait en Espagne »[3]. Le premier août 1950, le sénat nord-américain avait autorisé l’octroi d’un prêt de 62,5 millions de dollars à l’Espagne franquiste. Le 4 novembre 1950, l’ONU revient sur sa résolution du 12 décembre 1946 et autorise désormais ses membres à rétablir les relations diplomatiques avec l’Espagne. Décembre 1951, en ce qui concerne la France... Quelques semaines après « Boléro-Paprika ». Tout est là. Le 8 mai 1948, et le 14 juin 1949, la France et l’Espagne avaient déjà signé des accords commerciaux et financiers.
LE 23 SEPTEMBRE 1953, LE PRÉSIDENT EISENHOWER PARAPHE À MADRID AVEC FRANCO, EN GRANDE POMPE, LES « ACCORDS DE MADRID », EN TOUTE « COHÉRENCE » : RECONNAISSANCE DIPLOMATIQUE DU FASCISME ESPAGNOL CONTRE SOUTIEN ÉCONOMIQUE ET MILITAIRE DE WASHINGTON, ET QUATRE BASES MILITAIRES.
Comme Somoza, Franco était un « fils de pute », mais c’était « notre fils de pute », comme le déclara, un jour d’inhabituelle lucidité, le président nord-américain.
[1] DENOYER Aurélie, « Résonances françaises de la guerre d’Espagne », HAL, Archives ouvertes, ed. D’Albray, 2011, p. 295-312.
21 août 1941 : à Barbès-Rochechouart, Fabien tire
L’acte du militant communiste et résistant, qui, à vingt et un ans, a déjà combattu le fascisme en Espagne, donne le signal de la lutte armée contre l’occupant.
Il est encore tôt, ce matin du 21 août 1941 à Paris. Au métro Barbès-Rochechouart, un officier de la Kriegsmarine s’apprête à monter dans la rame. Deux coups de feu claquent, il s’écroule. C’est dans la France occupée le premier acte de la résistance armée.
Son auteur, Pierre Félix Georges, entrera dans l’histoire sous le nom de colonel Fabien. Né dans le 19e arrondissement, il n’a que vingt et un ans, mais il a déjà combattu le fascisme, en Espagne.
À la fin de l’année 1936, il s’est engagé dans les brigades internationales en mentant sur son âge. Il est communiste. Les deux coups de feu de Fabien vont avoir un sens clair. Pour les nazis, cela veut dire qu’en dépit de la collaboration active du gouvernement de Pétain, de l’appui de la police française dirigée par Bousquet, ils ne seront plus en sécurité. Pour une part de l’opinion française, encore fidèle à Pétain, c’est le signe que la guerre continue. Certes, depuis Londres, le général de Gaulle l’a dit dès le 18 juin 1940. Mais il s’agit de rassembler les forces de l’empire colonial et de reconstituer à partir de Londres une force combattante, s’appuyant en France sur des réseaux de résistance tournés vers le renseignement ou constituant des forces d’appoint dans l’attente du grand jour. L’action de Fabien signifie que le combat au cœur même de la capitale et des villes passe par la lutte armée. C’est aussi un acte politique majeur. La résistance française, pour le PCF, sera populaire, sur la terre de France. La portée de cette décision est considérable. Sans elle, à tout bien considérer, la libération de Paris « par lui-même », selon la formule du général, n’aurait peut-être pas eu lieu.
« Paris a froid, Paris a faim, Paris ne mange plus de marrons dans la rue, Paris a mis de vieux vêtements de vieille », écrivait Paul éluard. Pas pour tout le monde. La collaboration est devenue pleinement active, ce qui ne va pas sans interrogations dans l’opinion. Le 12, Pétain déclare à la radio qu’il sent souffler un vent mauvais : « L’inquiétude gagne les esprits, le doute s’empare des âmes, l’autorité de mon gouvernement est discutée. » Le 14, Vichy décrète que les magistrats, les hauts fonctionnaires et les militaires doivent prêter serment au maréchal. Le 20, la police française, à la demande des Allemands, arrête 3 447 juifs, internés à Drancy.
Au matin du 21 août, un communiqué officiel annonce : « Pour activité en faveur de l’ennemi, le juif Samuel Tyszelman et le nommé Henri Gautherot, tous deux domiciliés à Paris, ont été condamnés à mort. Ils avaient participé à une manifestation communiste dirigée contre les troupes d’occupation allemandes. En exécution de l’arrêt, ils ont été fusillés. » Tous deux étaient des amis de Fabien.
Pour les communistes français, le trouble du pacte germano-soviétique de 1939 est déjà loin. Pas seulement parce que l’Allemagne est lancée depuis juin contre l’Union soviétique, mais parce que la répression contre les communistes, dès juillet 1940, ne laisse guère de place aux ambiguïtés. Pour Vichy comme pour les nazis, les communistes sont l’ennemi principal. Dès octobre 1940, les communistes ont créé les OS, organisations spéciales, dont le but est d’agir contre l’occupant. Le 15 mai, le PCF lance un appel à la constitution d’un front national de lutte pour la libération de la France, et des attentats et sabotages, en particulier contre les installations ferroviaires, commencent à se multiplier. Mais il faut faire plus. Les nazis, dès septembre 1940, ont déjà désigné des otages qui seraient exécutés en cas de troubles. Ils ont exécuté des patriotes. Jacques Bonsergent qui a « bousculé des soldats allemands » en décembre 1940, André Masseron qui a chanté la Marseillaise, le 19 juillet 1941, Roger Roig le 24 qui a tenu des propos injurieux. Le premier, sans doute, fut à Rouen, Étienne Dechavanne, dès juillet 1940.
Il faut un choc. Ce n’est pas si simple. Est-ce la bonne stratégie ? Fabien va donner l’exemple. Ce jeune homme est déjà un combattant aguerri, devenu sous-officier en Espagne, grièvement blessé en 1938. Revenu à Paris il est « ajusteur d’avion » et épouse Andrée Coudrier qui sera déportée à Ravensbrück. Élu au Conseil national de la jeunesse communiste, puis arrêté dans son usine où les ouvriers se solidarisent en se mettant en grève, il s’évade, commence à organiser l’activité clandestine du PCF dans différentes régions. Il revient à Paris début 1941, à la demande de la direction du PCF. Le 21 août, il tire.
Fabien installe ensuite le premier maquis de France dans le Doubs, attaqué en octobre par la gendarmerie. Il est de nouveau blessé, à la tête. Il traverse le Doubs à la nage, regagne Paris. Arrêté par la police française, il est torturé et remis à la Gestapo. Il s’évade du fort de Romainville et reprend les combats dans divers maquis. En 1944, il est l’un acteurs importants de l’insurrection parisienne. Le groupe qu’il commande devient le 151e régiment d’infanterie sous les ordres du général Delattre de Tassigny. Ce dernier le voyait déjà général. Le 27 septembre 1944, Pierre Georges, le colonel Fabien, saute sur une mine dans des conditions restées imprécises. Il avait vingt-cinq ans.
Maurice Ulrich
7 septembre 1950 , nom de code : « Opération Bolero-Paprika ». Une rafle du gouvernement Pleven, socialistes et « radicaux » entre autres, contre les « communistes étrangers » réfugiés en France... essentiellement espagnols.
Les guérilleros... A la Libération, nombre d’entre eux furent décorés pour leur contribution à la victoire sur le nazisme. Mais pour eux, guérilleros antifascistes espagnols, pas d’euphorie ; la guerre n’était pas terminée. La lutte frontale pour chasser Franco, ils la poursuivaient... Et seuls. Quasiment seuls. Le parti communiste d’Espagne, le front « Union Nationale » (UNE) et la « Agrupación de guerrilleros españoles (AGE-UNE-FFI) », préparaient l’opération armée « Reconquista » (« Reconquête ») de l’Espagne. Bouter Franco à la mer ! Le contexte, celui de la victoire sur le fascisme, selon le PCE , s’y prêtait. L’initiative n’était donc pas insensée. Son échec a servi cependant à régler de nombreux comptes, internes et externes au PCE. « Il n’existe à ce jour, aucun document, aucun témoignage de l’époque, attestant du désaccord de quelque dirigeant communiste (espagnol) que ce soit avec l’opération»[1].
OPERATION « RECONQUISTA »
Du 19 au 29 octobre 1944, 3000 guérilleros espagnols pénètrent en Espagne, au Val d’Aran, qu’ils occupent. A « l’attentisme », à la « stratégie diplomatique » , les guérilleros opposent « le volontarisme ».
Les gouvernements français, anglais et américain, considèrent, eux, que « l’Espagne ne les concerne pas », et ils se drapent dans une sorte de nouvelle « non-intervention », en réalité tout à fait interventionniste. Les combattants antifascistes espagnols se retrouvent une nouvelle fois lâchés par les « démocraties occidentales » et même persécutés, des deux côtés de la frontière. Non seulement ils entrent au Val d’Aran dans de mauvaises conditions, mais on les abandonne, et on poursuivra même ultérieurement des militants qui ont pris pourtant leur part de sang à la Libération du pays qui les expulse. L’échec des « invasions » militaires provoque dans le PCE (et hors PCE) d’interminables controverses et manipulations.
Santiago Carrillo « en profite » pour écarter de la direction l’homme de la reconstruction autonome du PCE, dès le début de 1939, et artisan de l’Union Nationale Espagnole, Jesús Monzón. Deux ouvrages analysent cette période et notamment le rôle de Monzon...[2] La CIA jette de l’huile sur le feu. A posteriori, le 2 décembre 1948, elle le confirme en publiant un rapport dans lequel elle affirme que la direction du PCE aurait délibérément envoyé au casse-pipe les meilleurs des guérilleros »[3]. Des historiens avaient déjà plus ou moins suggéré cette hypothèse, non établie, propagandistique, et relevant plutôt d’une « littérature du ressentiment »[4].
La situation internationale a pesé dans l’échec... Dès mai 1944, un message de Churchill indiquait : l’ESPAGNE, affaire des Espagnols. Au moment où les guérilleros pénètrent, une note des RG indique que « Franco a le soutien de la presse occidentale et des Anglo-Américains »[5].
COMPRENDRE LE CONTEXTE
La résistance postérieure à 1945 était en Espagne majoritairement communiste ; (quelques groupes libertaires s’organisèrent en maquis surtout urbains), mais le PCE était le seul parti espagnol à porter cette ligne de lutte armée insurrectionnelle antifranquiste ; et il l’abandonnera en 1948. Sur « ordre » de Staline, a-t-on trop souvent écrit. Rien à ce jour ne permet de le fonder vraiment. Le PCE a « infiltré » des centaines de militants armés en Espagne, dans le cadre de sa stratégie de « Reconquista », d’insurrection nationale...
Dès l’automne 1944, les autorités françaises déclarent la frontière « zone interdite ». Le 27 juillet 1945, elles en éloignent les guérilléros, afin qu’ils ne puissent plus la franchir. Le capitalisme espagnol soutient plus que jamais son camp, qu’il a grassement financé : la dictature . Et Franco, « sentinelle de l’occident », multiplie les gages envers la France (et vice-versa), pour un rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
Les brigades de guérilleros, dissoutes le 31 mars 1945 par le gouvernement provisoire de libération, pour s’en débarrasser, deviennent des « bataillons de sécurité ». Par la suite, De Gaulle invitera les guérilleros espagnols à partir combattre en Indochine, dans une sale guerre coloniale.
Au pied des Pyrénées, pour beaucoup d’ antifascistes espagnols d’alors, la « Guerre froide » commence dès l’automne 1944. Objectif principal des « Alliés »: isoler le PCE, consolider plus ou moins discrètement Franco. Le PCE a construit en France un appareil clandestin, (surveillé de près par la DST) pour soutenir ses « maquis » de l’intérieur : guérilleros, passeurs, agents de liaison, dépôts d’armes... Franco souhaite normaliser rapidement les relations avec Paris, à condition que la France « nettoie » le grand sud-ouest, en élimine les « rouges », présentés en Espagne comme exagérément influents en France. Depuis 1948, les rapports se dégèlent lentement entre la dictature franquiste et le gouvernement français. La « Guerre froide » va faire du communisme le mal absolu. « L’opération Boléro-Paprika va porter un coup sérieux au PCE mais au-delà, aux autres organisations antifascistes, à la France progressiste et à la cause républicaine, qui n’avait pas besoin de cela...
Le gouvernement français (22 ministres) socialistes et radicaux, (on dirait aujourd’hui de « centre-gauche »), en place depuis juillet 1950 et présidé par René Pleven, réprime sans ménagement les grandes grèves ouvrières... Le gouvernement comporte 9 ministres MRP, 8 Radicaux dont Edgar Faure, 4 PRL (Antoine Pinay) trois UDSR Union Démocratique, socialiste, de la Résistance. (Pleven, Mitterrand (secrétaire d’Etat), Claudius Petit ), etc.
Le 7 septembre 1950, à 5h du matin, commence brutalement « l’Opération Boléro-Paprika » ; des portes volent en éclats. A l’aide de gros moyens, la rafle apparaît comme l’une des plus importantes de la « Guerre froide »[6] L’Opération Boléro-Paprika vise des dizaines de militants exilés en France, communistes espagnols (« boléro ») 13 Italiens, et quelques autres militants d’Europe de l’est : 59 Polonais, 4 Roumains, 14 Soviétiques (« Paprika »)... Au total la rafle, cette page noire, cette honteuse persécution de « héros », sépare des familles, accentue la dureté des conditions de vie de l’exil et des « doublement déportés » (une soixantaine en Corse)... Capturés, 288 militants (selon les archives policières) dont 177 communistes espagnols, sont déportés, placés en résidence surveillée, en Corse (61), en Algérie, et même en « Allemagne de l’Est », en Tchécoslovaquie, assignés à résidence, ou en France métropolitaine, par décret (toujours pas abrogé), loin de chez eux. Ces anciens guérilleros font valoir leurs états de service... Rien ne dissuade Paris. Les intérêts de classe priment sur tout le reste. La « Guerre froide » percute de plein fouet un exil très investi contre Franco...
La presse espagnole, « Arriba », « La Vanguardia »... exulte. Peu avant l’opération, le PCE et le PSUC (communistes catalans) et leurs organisations féminines, de jeunesse, syndicales... proches, leurs journaux et publications : « Mundo Obrero », « Lluita » (organe du PSUC), « Nuestra Bandera » (revue théorique), « El Obrero español », « Solidaridad española » avaient été interdits le 26 août et le premier septembre les organisations communisantes illégalisées.
La plupart des hauts dirigeants du PCE (Líster, Carrillo, Claudín, Mije, Uribe, Antón, Luis Fernández...)° échappent à l’arrestation. La direction communiste du puissant PCF parvint à les informer afin qu’ils puissent se cacher...
(fin de la première partie)
[1] « Rouges. Maquis de France et d’Espagne. Les guérilleros », coord Jean Ortiz, Biarritz, ed. Atlantica, 2006, p. 260
[2] AZCARATE, Manuel (ancien dirigeant communiste) « Derrotas y esperanzas... », Tusquets ed., Barcelona, 1994) et MARTORELL, Manuel, (journaliste et historien) Jesús Monzón, el líder comunista olvivado por la historia » (Pamiela ed., Pamplona, 2000)
[3] Rapport CIA, 2/12/ 1948, Barcelona, La Vanguardia, 17/11/2005
[4] ARASA, Daniel, “Años 40: los maquis y el PCE”, Barcelona, ed. Argos Vergara, 1984, MORÁN, Gregorio, “Miseria y grandeza del PCE, 1939-1985”, Barcelona, ed. Planeta, 1986
[5] Note des RG, Préfecture des Basses Pyrénées, 2 oct. 1944, n 5249, Pau, ADPA, 1031W237
Ce 19 août 1944 , la Préfecture de police est prise par les policiers résistants et Rol-Tanguy , chef régional des FFI de la région "P1"
Le 18 août 1944, dans l'après-midi, est placardé à Paris et en banlieue l'appel à la mobilisation générale signé par le colonel commandant de la Région, Rol Tanguy.
"Tous les Français et Françaises valides doivent se considérer comme mobilisés. Ils doivent rejoindre immédiatement les formations FFI de leur quartier ou de leur usine. (...) s'armer par tous les moyens (...), attaquer l'ennemi partout (...), protéger les services publics"
Contre l'occupant nazi, les premières barricades fleurissent notamment à Vitry après la grève des cheminots le 10 août rejoints par les postiers, policiers...
Débute ainsi la Libération de Paris et de sa région.
Le 19 août 1944 , la Préfecture de police est prise par les policiers résistants et Rol-Tanguy , chef régional des FFI de la région "P1" (Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Oise . Son GQG parisien vient d'etre installé en sous-sol Place Denfert-Rochereau ), qu'il baptise « Île-de-France », les harangue au milieu de la cour d'honneur . Le 21 août, il fait afficher l'ordre de dresser les barricades. 600 barricades sont rapidement érigées dans la capitale. Il réalise, avec 100 000 hommes placés sous ses ordres, dans les journées du 20 au 24 août une manœuvre générale libérant les 9/10e de la capitale
A lire de Roger Martelli:
Ismaël Dupont, élu PCF-Front de Gauche, a été à l'initiative d'un vœu signé par toute l'opposition de gauche morlaisienne pour inaugurer une oeuvre d'art sur la place Rol-Tanguy face à la gare à la mémoire de l'ancien combattant de la résistance et des Brigades Internationales en profitant de l'actualité de la mise en place du Pôle d'échange multimodal à la Gare, mais la majorité de droite de Morlaix n'a pas souhaité donné suite et appuyer cette demande, pas plus qu'à Morlaix-Communauté d'ailleurs:
Vœu de la minorité municipale pour le Conseil Municipal du jeudi 13 novembre 2014
Le 12 juin 1908, Henri Tanguy naissait en gare de Morlaix à l'issue d'un accouchement précipité.
107 ans plus tard, la ville de Morlaix et la Communauté d'Agglomération, pilotent avec leurs partenaires et l'aide de l'Etat et de plusieurs collectivités la rénovation de la Gare de Morlaix et de ses environs immédiats pour requalifier le quartier, accueillir les nouveaux voyageurs prévus dans le cadre de la LGV et de l'augmentation du trafic TER.
La place Rol-Tanguy, anciennement place de la gare rebaptisée sous le dernier mandat Le Goff, va devenir une esplanade piétonne très passante et active. Un lieu de vie sociale, sans doute plus encore qu'aujourd'hui où elle sert surtout de passage pour les voitures arrivant en gare.
N'est-ce pas le bon moment, en ces années de commémoration de la Libération et du rétablissement de la République, d'honorer particulièrement ce grand résistant breton, en lui dédiant une statue ou un portrait-fresque sur support rigide ou mural, commandé à un artiste sur le parvis qui porte son nom? Ne pourrait-on pas penser par exemple à un artiste comme le brestois Paul Bloas?
Henri Rol-Tanguy fut en effet un des dirigeants de la Résistance qui a organisé la Libération de Paris... Paris libéré par l'insurrection de son peuple. Après 4 ans sous le joug allemand. L'action armée des résistants unis au sein du F.F.I. conjuguée avec le soulèvement de la population parachevée par les blindés de Leclerc chasse l'occupant et peut-être signifie la signature de l'acte de la capitulation auquel participe Rol-Tanguy.
"Nous avons donné le coup de grâce à l'ennemi, mais Paris était déjà aux mains des Parisiens" (Eisenhower, commandant en chef des forces alliées en Europe)?
Son courage, son combat pour un monde de Liberté, d'Egalité, de Fraternité sont des exemples pour notre époque et il importe que les générations présentes, jusque-là épargnées par les tempêtes de l'histoire, n'oublient pas ce que le rétablissement de la démocratie et la lutte contre le fascisme doivent au dévouement de ces hommes pétris d'idéal et d'altruisme qui ont su dire non à la fatalité de la régression et de la barbarie. Henri Rol Tanguy a su aussi s'engager dans les batailles de l'après-guerre: la reconstruction et l'application du programme de transformation sociale et économique bâti par le CNR.
Henry Rol-Tanguy fut longtemps président de l'Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance et il eut l'occasion de revenir de nombreuses fois à Morlaix à ce titre.
Avec l'intervention de Pierre Le Rose, ancien résistant, dirigeant des Jeunesses communistes, des FTP et du Conseil Départemental de Libération, à l'occasion de la venue de Rol-Tanguy à Concarneau pour une exposition sur la résistance et une conférence débat:
Intervention de Pierre Le Rose à une conférence-débat avec Rol-Tanguy, le mardi 6 Novembre 1979 à Concarneau
" Vous qui restez, soyez dignes de nous, les 27, qui allons mourir".
Ces mots, écrits par Guy Môquet, ce jeune communiste de 17 ans, dans sa dernière lettre, quelques instants avant d'être fusillé dans la carrière de Châteaubriant, ont profondément marqué, dès qu'ils furent connus, les communistes concarnois.
Etre dignes d'eux, c'était poursuivre alors, dans les conditions de la guerre, contre l'occupant hitlérien et ses valets de Vichy, la lutte que ces 27 communistes fusillés le 22 octobre 1941 avaient entrepris, bien avant la guerre pour que les hommes et les femmes de ce pays vivent mieux, pour la liberté contre le fascisme et pour la Paix. "Plutôt Hitler que le Front Populaire" proclamaient à notre classe ouvrière et à notre peuple, ni l'union anti-fasciste, ni la victoire électorale, ni les conquêtes sociales de 1936. "Plutôt Hitler..." aboutissait à désigner pour le peloton d'exécution par un ministre français les 27 otages, fusillés parce que communistes suivant l'avis d'exécution paru à l'époque dans "l'Ouest-Eclair"et "la Dépêche de Brest", porte-paroles des allemands et du gouvernement Pétain Laval. La bourgeoisie collaborationniste se vengeait en frappant ces ouvriers et ces intellectuels communistes, de la grande peur ressentie les années précédentes face à l'union réalisée entre les forces de démocratie et les possibilités qu'avait cette union de grandir encore davantage. Aussi livrait-elle aux Allemands ces communistes pour lesquels elle avait construit ses camps d'internement. Elle frappait Charles Michel, le député, Pierre Semant et Jean-Pierre Thimbault, les militants syndicalistes, Guy Moquêt, fils de député communiste, Grandel, le maire de Gennevilliers, Pierre Guéguin, le Conseiller Général et Maire Communiste de Concarneau, Marc Bourhis, militant syndicaliste et antifasciste, dont le père était un adjoint au maire de la Municipalité de Front Populaire de Concarneau.
Oui, durant toute la guerre contre l'occupant, les communistes de Concarneau ont été dignes de la juste cause pour laquelle combattaient ceux de Châteaubriant. Ils ont, avec patience, multiplié les efforts d'information de la population, remontant son moral, montrant les possibilités de la Victoire, donnant confiance. Ils sont passés aux actions de sabotage contre les installations de l'occupant, à la lutte armée avec la formation de l'Organisation Spéciale (l'O.S) dont Alain Le Lay fut l'un des actifs organisateurs. Ils ont entrepris au printemps de 1942 les liaisons avec les sous-marins et puis la livraison, par mer, des premiers envois d'armes par les anglais. Aussi la répression les a t-elle durement frappés et comme Alain Le Lay, sont morts en déportation (après la rafle des policiers de Vichy conduits par le Commissaire des Renseignements Généraux, en septembre 1942) Théophile Louam, Esprit Jourdain, Carduner de Lauriec, Yves Le Gall, Auguste Soulfès. Joseph Berthou et Eugène Le Bris étaient fusillés.
Mais la lutte continuera. Trente-cinq résistants de l'organisation communiste sont mis hors de combat, mais l'organisation se reconstituera. Les jeunes viendront nombreux dans les détachements de F.T.P dont les premiers détachements concarnois prendront les noms de Pierre Guéguin et Marc Bourhis, marquant leur fidélité aux idéaux qui animaient les fusillés de Châteaubriant. L'organisation du Front National prendra de l'extension, multipliant ses efforts d'union de tous les patriotes pour une France Libre et Indépendante, tandis que l'organisation du Parti Communiste et celle des Jeunesses Communistes recruteront à Concarneau et dans les alentours plus d'une centaine d'adhérents, distribuant des tracts clandestins, collant des affichettes, publiant à deux reprises un journal polycopié "L'Etincelle". Bientôt naîtra une compagnie entière de la Milice Patriotique qui allait devenir la 7e Compagnie des F.T.P. L'autre compagnie, la 5e, portant le nom de Leclerc (ses membres voulant montrer l'unité de combat entre les Forces de la France Libre et celles "sans uniforme") perdait son chef, un jeune fouesnantais de 20 ans, notre camarade Etienne Millau dans le combat de Kernabut le 14 juillet 1944, tombé en même temps que Massé et Hervé, deux forestois.
Etre dignes du combat des 27 de Châteaubriant, c'était également après le débarquement entreprendre l'unification de toutes les forces de la Résistance, unir dans une même organisation ceux qui par des chemins différents, sous des formes diverses, avaient menés de longs mois, de longues années, le même combat, avec le même mérite, les mêmes sacrifices pour les mêmes buts: chasser l'envahisseur, rendre aux français leur liberté et à la France son indépendance. Aussi dans les combats libérateurs les FFI formaient une seule force, sous un commandement unique et les comités de libération rassemblaient toutes les opinions de notre population pour rétablir la démocratie, à l'image du Conseil National de la Résistance, pour soutenir le Gouvernement provisoire de la République au sein duquel toutes les tendances étaient représentés...
Etre dignes d'eux, c'était depuis, - et c'est encore aujourd'hui - poursuivre le combat et l'effort de rassemblement pour le bonheur des hommes, la liberté, l'Indépendance de notre pays, pour sauvegarder la Paix. Nous pensons, nous communistes, depuis trente ans, avoir mené ce combat sans défaillance aussi bien contre la guerre d'Indochine, contre la guerre d'Algérie que contre l'oppression partout où elle se manifeste dans le monde. Nous avons conscience de le faire aujourd'hui quand nous voulons rassembler, unir notre peuple afin qu'il gagne lui-même une vie meilleure, qu'il contribue au désarmement et à l'entente entre les peuples, qu'il avance vers toujours plus de démocratie, de liberté, de droits pour l'homme.
La grande leçon de la résistance, c'est l'invincibilité de notre peuple quand il est uni. A cette union les communistes ont conscience d'avoir contribué. Nous persévérerons dans cette voie pour unir toutes les forces vives de ce pays, pour comme il y a trente-cinq ans, nous trouver ensemble, "celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas"...
Rol-Tanguy (l'homme situé le plus à gauche) à la fête de la Bretagne au début des années 50 - Photos Archives Pierre le Rose
Lu sur l'excellente page Facebook Histoire Populaire et sur le site:
http://histoirecoloniale.net/Les-juifs-algeriens-dans-la-lutte-anticoloniale-1954-1965.html
Les travaux pionniers de Pierre-Jean Le Foll-Luciani
samedi 18 août 2018
« De l’entre-deux-guerres à l’indépendance de l’Algérie, une petite minorité de Juifs issus de familles autochtones ont suivi des trajectoires (…) vers le projet politique inouï de s’affirmer Algériens. (…) Ces hommes et ces femmes ont engagé leur vie pour une Algérie décolonisée et socialiste dont ils seraient citoyens, participant pleinement — mais non sans difficultés dans leur confrontation avec le nationalisme algérien dominant — au mouvement national. » Ainsi Pierre-Jean Le Foll-Luciani introduit-il son livre sur les juifs algériens dans la lutte anticoloniale et jusqu’en 1965. Nous publions l’article que lui a consacré l’historienne Malika Rahal. De nombreux compléments à cet ouvrage figurent dans le blog de Pierre-Jean Le Foll-Luciani.
Source [1]
par Malika Rahal
L’ouvrage de Pierre-Jean Le Foll-Luciani, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2013, retrace les parcours de juifs algériens engagés dans la lutte anticoloniale. Le parcours de l’un d’entre eux, William Sportisse, avait déjà fait l’objet d’un ouvrage écrit à quatre mains et avec beaucoup de rigueur par l’historien et le témoin [2]. On suit donc ici des juifs engagés aux côtés du Front de Libération Nationale (FLN) durant la guerre d’indépendance, d’autres qui ont milité au Parti Communiste Algérien (PCA) mais d’autres encore, qui ont « mis en pratique leurs idées anticolonialistes », et pas seulement par ces engagements plus radicaux. Certains d’entre eux seulement évoluent vers ce que l’auteur qualifie de « projet politique inouï de s’affirmer Algérien » (p. 205).
Outre le travail d’archives, la recherche repose sur une quarantaine de parcours individuels, l’auteur ayant mené des entretiens avec tous ceux qu’il a pu identifier. Autrement dit, ces plus de cinq cents pages sont consacrées à un groupe numériquement très restreint. De plus, certains témoins ont exprimé lors des entretiens un malaise avec l’identification faite d’eux et qui semblait relier le fait d’être juif à l’anticolonialisme. La difficulté de cet ouvrage, c’est précisément de travailler un groupe qui ne se revendique pas comme tel. Toute sa finesse consiste à ne pas chercher à toute force à le constituer par sa recherche. La réflexion posée en introduction notamment sur l’usage des catégories, et sur les catégories utilisées par l’auteur (juifs algériens et anticolonialistes) est particulièrement fine et stimulante : alors même qu’on parle volontiers de « juifs marocains » ou « juifs tunisiens », on comprend comment l’expression plus courante de « juifs d’Algérie » se construit en écho à « Français d’Algérie ».
C’est un tour de force que de respecter à chaque étape la façon dont les acteurs se définissent eux-mêmes, leurs adhésions (ou pas) à ces catégories. Leurs récits se démarquent de la téléologie de l’émancipation et de la francisation selon lesquels les juifs d’Algérie auraient évolué de la condition sombre et arriérée de la domination musulmane aux lumières de la société française. En fait, nous dit Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « le point le plus aveugle de l’historiographie concerne les attitudes des juifs d’Algérie face à ces divers processus coloniaux, comme face à la conquête française elle-même » (p. 13). Le décret Crémieux de 1870, qui faisait des juifs algériens des citoyens français et les séparait ainsi des autres « indigènes », constitue selon Benjamin Stora, le premier de leurs exils [3]. On retrouve dans les anecdotes personnelles l’idée que la transformation collective vécue (ou subie) par les juifs algériens est parfois de l’ordre de la perte, notamment la perte de la langue arabe.
Le livre se découpe en trois parties : dans la première, il est question de la façon dont les juifs sont vus, à la fois par les autorités, puis par les partis politiques (et en particulier par le PCA) et enfin durant la guerre, par le FLN. La seconde se focalise sur les biographies individuelles. Dans la dernière partie, c’est la question de l’invention des algérianités dans le temps de la guerre et les premières années de l’indépendance qui est abordée.
Le livre s’ouvre avec les émeutes antijuives de Constantine, en août 1934. Il s’agit de déconstruire le discours des sources dans le contexte particulier du Constantinois. A Constantine, l’atmosphère est marquée par un fort antisémitisme « européen » incarné par le maire, Emile Morinaud (1865-1952). Avec une analyse fine des sources policières, et l’analyse du « repérage racial » auquel elles procèdent, l’ouvrage va dans le même sens que les travaux de Joshua Cole [4], et contribue au renouvellement historiographique sur ces émeutes. Chez les deux auteurs, ces dernières sont perçues dans leur dimension profondément coloniale, c’est-à-dire française.
L’étude biographique est à la fois riche et touchante car on y entre dans l’intimité des familles, dans le vécu des identités changeantes, fluides, contradictoires d’une personne à l’autre. C’est là qu’on mesure le mieux l’impossible généralisation permettant d’expliciter l’ensemble des rares parcours anticolonialistes et de les distinguer de ceux qui n’ont pas fait le choix de ces engagements. Car ce qu’on repère avant tout, ce sont des phénomènes de génération : la plupart des personnes interviewées sont nées dans l’entre-deux-guerres, et au-delà des évocations des passés familiaux plus lointains, on retrouve sans surprise l’événement fondateur de la Seconde Guerre mondiale, des lois antijuives de Vichy, de l’exclusion de l’école française, et de la création d’écoles juives privées. Plus surprenant, le soulagement évoqué par certains témoins d’avoir été ainsi soustraits aux manifestations de racisme ordinaire de la part des Français d’Algérie.
La Seconde Guerre mondiale pose de nouvelles questions, notamment au PCA créé dans les années 1930, qui recrute à la fois dans la population coloniale et dans la population colonisée, et où militent des juifs. Après avoir évolué vers une position plus indépendantiste, le parti repasse durant le conflit plus fermement sous la coupe du PCF, sacrifiant la lutte contre le colonialisme à la lutte antifasciste. L’auteur pose alors des questions difficiles : les résistants juifs en Algérie étaient-ils des patriotes français ? Étaient-ils des anticolonialistes ? Et comment évoquer leurs engagements sans les assigner à des catégories qui ne conviendraient pas ? Dans l’après-guerre, on voit le PCA évoluer de nouveau vers l’indépendantisme, alors que l’expression « patrie algérienne » se répand dans ses rangs, surtout chez les plus jeunes.
Les mobilisations antifascistes qui se prolongent après-guerre ouvrent une période de bouillonnement, durant laquelle la rupture avec la France est envisageable à travers deux engagements. C’est d’une part le sionisme, avec un « moment sioniste » qui concerne même certains devenus par la suite d’ardents antisionistes. L’auteur évoque l’impact sur la jeunesse de la Nouvelle Organisation sioniste d’Algérie (NOSA), du Betar et de Dror, présents en Algérie, contribuant au champ d’étude des dynamiques qui animent les juifs d’Algérie [5]. La question de la Palestine vient troubler les mobilisations juives, communistes et anticolonialistes, en particulier de 1947 à 1949, lorsque l’Union soviétique est favorable à la création d’Israël et que le PCA hésite avant d’analyser la situation en termes coloniaux, laissant parfois ses militants démunis face à des militants ou des électeurs nationalistes pour lesquels la question de Palestine est à la fois claire et centrale. D’autre part, c’est le communisme qui peut offrir une voie de sortie, avec un PCA qui se repositionne après-guerre sur la ligne d’un anticolonialisme algérien dans lequel certains juifs se retrouvent. Les engagements au sein du PCA, ou au sein de l’UJDA — l’Union de la Jeunesse démocratique algérienne, une organisation liée au PCA —, les études, l’exil vers la France permettent parfois des amitiés ou amours entre Juifs et musulmans, et ouvrent à certains des chemins d’expérience concrète pour devenir algériens.
A mesure que l’on avance vers la dernière partie, le groupe auquel s’attache Pierre-Jean Le Foll-Luciani devient plus cohérent et certainement plus restreint encore. L’on suit en effet ceux qui entrent en guerre effectivement, subissent la répression, et font le choix à l’indépendance de devenir pleinement des Algériens. Cette guerre ouvre la possibilité de se grimer, de se travestir, d’endosser une autre identité dans la clandestinité, de même qu’elle perturbe des rôles de genre, avec les figures jugées « contre-nature » de femmes « européennes » poseuses de bombes. Ce « corps en transformation » de la guerre, c’est pour les juifs un corps qui devient algérien. On suit également à travers les parcours individuels la création des maquis du PCA et leur intégration, parfois difficile, au FLN. Ce sont eux, ceux qui sont allés jusqu’au bout de cet engagement qui sont au cœur de l’ouvrage, et leurs parcours dessinent une trajectoire qui semble les mener d’évidence à l’Algérie indépendante. Une des forces de ce travail est de se prolonger au-delà de l’indépendance, brisant la malédiction de la « fin de l’histoire » en 1962. Se pose alors la question pour ces juifs devenus Algériens de continuer à se sentir tels dans les années qui suivent, notamment après le coup d’Etat du colonel Boumedienne en 1965 : la répression contre ceux qui s’opposent au coup d’Etat dans l’Organisation de la Résistance populaire (ORP), dont de nombreux communistes, pousse certains, comme Henri Alleg, à partir. D’autres sans doute, sans y être acculés par la répression, choisissent eux aussi de quitter l’Algérie à cette période.
Le sujet est important mais il crée toutefois un malaise : car au fond, parce que le groupe des juifs engagés sous diverses formes dans la lutte anticoloniale n’est pas constitué en une appartenance formelle, la question de la défection ou du retrait n’a jamais été posée auparavant. Tous les juifs anticolonialistes des années 1940 le sont-ils restés ? Ont-ils tous fait le choix de devenir Algériens ? Il est possible aux lecteurs et lectrices de se référer aux courtes et très utiles biographies placées à la fin de l’ouvrage pour en avoir une idée, mais la question méritait d’être posée : quand, pourquoi et selon quelles modalités les juifs ont-ils bifurqué d’un chemin qui les aurait conduits à devenir et demeurer Algériens ? Faute de quoi, il y a un risque que l’ouvrage soit utilisé comme un autre récit téléologique où l’engagement anticolonialiste mènerait automatiquement à une algérianité empêchée uniquement in extremis par les errements du régime algérien.
Malgré cette réserve, la lecture de l’ouvrage est d’une grande richesse et l’approche biographique extrêmement féconde. Les résumés biographiques, le cahier de photographies et l’index approfondissent les usages que l’on pourra en faire. C’est d’ores et déjà un ouvrage de référence.
Malika Rahal
CNRS, Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP),
Né à Ténès, le 24 juillet 1939, Pierre Ghenassia, dès l’âge de 15 ans, interne au lycée Bugeaud d’Alger, est profondément anticolonialiste et proche de membres du Parti communiste algérien (PCA) — dont il n’a jamais été membre — et du FLN. Dès 1954, il est favorable à l’insurrection algérienne, et, en novembre 1956, il rejoint un maquis de la wilaya IV de l’Armée de libération nationale (ALN). Il y mourra trois mois plus tard dans une attaque de l’armée française, le 22 février 1957, à l’âge de 17 ans.
Son chef, le commandant de l’ALN Si Azzedine, écrira en 1976 [6] :
Parmi les infirmiers et médecins, l’une des figures les plus attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi, mais son vrai nom était Ganacia (sic). Il était israélite, parlait très bien l’arabe. Pour tous ceux qui tiennent comme un fait établi le prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on le sache : Hadj est mort, refusant d’abandonner ses blessés. C’était un frère et nous l’avons pleuré. À Boukren, il sauva Boualem Oussedik de la gangrène. […] Hadj est mort à Tiberguent, en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité ».
La dernière lettre qu’il a pu adresser à ses parents depuis le maquis, le 3 février 1957, est celle d’un jeune homme qui se considère de toute évidence comme un Algérien :
Le 3 février 1957
Chers Parents
J’emprunte cette fois ci l’organisation du maquis pour vous faire parvenir de mes nouvelles qui sont excellentes. En ce moment je me remets très vite dans une infirmerie d’une petite affection intestinale. Je vais déjà très bien. Cela fait déjà trois mois que je vous ai quittés et je n’ai pas vu le temps passer. Bien des aventures me sont arrivées mais celles-ci je me réserve de vous les conter après l’indépendance In challah.
Je milite depuis au milieu de millier de jeunes qui comme moi ont rejoint le maquis et dans un magnifique élan d’enthousiasme tendent tout leur être vers la réalisation de leur idéal. Un véritable esprit Révolutionnaire existe et nous marchons infailliblement vers la liberté. Je suis pour le moment assez loin de vous mais je pense peut être revenir dans nos parages. Et vous comment allez-vous ? Anne-Marie travaille-t-elle toujours aussi bien en classe. Et la 203 se porte-elle toujours aussi bien.
Nous avons ici un excellent moral car nous sommes sûrs en considérant tous les symptômes politiques que l’issue est proche. J’ai été affecté au service de presse de la wilaya et j’ai dernièrement fait, armé d’un appareil de photos, une enquête sur les atrocités des Nazis Français dans un douar particulièrement éprouvé. J’en été écœuré.
« Ici vois-tu l’on sue et l’on crève » comme dit la chanson. On ne se lave pas souvent non plus et on a des poux : mais cela fait rien on a tout accepté. J’ai appris par les journaux que l’organisation de Tenes avait été décapitée. J’ai fui à temps.
Bon je crois que je vous ai assez rassuré comme cela. Je vous quitte en vous embrassant affectueusement.
A bientôt dans une Algérie libre et indépendante.
Pierre – dit "El Hadj" » [7].
D’après le livre de Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), p. 369-371.
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Voir en ligne : http://www.trajectoires-dissidentes.com/
[1] Malika Rahal, « Le Foll-Luciani Pierre-Jean, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), PUR, 2015 », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], Lectures inédites, mis en ligne le 23 juin 2018, consulté le 18 août 2018. URL : http://journals.openedition.org/remmm/10292
[2] William Sportisse et Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Le camp des oliviers . Parcours d’un communiste algérien, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
[3] Benjamin Stora, Les trois exils . Juifs d’Algérie, Paris, Stock, 2006.
[4] Joshua Cole, « Antisémitisme et situation coloniale pendant l’entre-deux-guerres en Algérie », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 108, no 4 (2010) : 3,https://doi.org/10.3917/ving.108.00033
[5] Voir parmi d’autres références Sarah Abrevaya Stein, Saharan Jews and the Fate of French Algeria, Chicago , London, The University of Chicago Press, 2014 ; Brahim Oumansour, « Le rôle de l’American Jewish Committee pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 », Revue française d’études américaines, no 151 (2017) : 227‑45, https://doi.org/10.3917/rfea.151.0227.4
[6] Si Azzedine, On nous appelait fellaghas, Paris, Stock, 1976, p. 134.
[7] Lettre manuscrite de Pierre Ghenassia à ses parents, 3 février 1957 (archives personnelles de Jean-Pierre Saïd). L’orthographe est d’origine.