Gilles Richard:
Histoire des droites en France de 1815 à nos jours
(Paris, 2017, Perrin, 592 pages).
par Nicolas Ferreira
La parution le 1er mars 2017 de l'Histoire des droites en France de 1815 à nos jours, dont l'écriture a débuté en 2012, est le fruit de trente années de recherches de l'historien spécialiste des droites françaises, Gilles Richard, également auteur d'une thèse sur le CNIP . Cette nouvelle histoire des droites s'inscrit dans notre actualité politique et justifie, s'il en était encore nécessaire, le bien-fondé du champ historiographique qu'est l'« histoire du temps présent ». En effet, si l'auteur remonte bien le fil de la constitution des différentes familles politiques des droites françaises, dont l'analyse de la diversité fut d'abord l'œuvre des travaux de l'historien René Rémond et dont la typologie fut constamment, et encore aujourd'hui, reprise par nombre d'analystes, de journalistes et par le personnel politique lui-même, Gilles Richard offre aux lecteurs une analyse autrement plus fine des différentes sensibilités de ces familles politiques qui composent les droites. Cette histoire nous éclaire donc sur le paysage politique d'aujourd'hui, celui de droites devenues hégémoniques politiquement et idéologiquement mais qui, malgré une volonté très ancienne partagée par bon nombre de ses acteurs, ne réussirent jamais à s'unifier dans un seul et grand parti.
I. Une histoire politique des droites françaises renouvelée
Cette nouvelle histoire des droites s'inscrit dans une historiographie dont le pionnier en la matière et le plus invité par les médias pour décrypter les résultats électoraux, fut René Rémond. Ce dernier en a posé les premières pierres en 1954 avec la parution de La Droite en France de 1815 à nos jours , puis après deux nouvelles éditions , fit paraître en 1982 une quatrième édition dans laquelle la multiplicité des familles politiques apparaissait dès le titre avec Les Droites en France . De nombreux retirages attestèrent du succès de l'ouvrage jusqu'à une cinquième édition, plutôt conçue par l'historien comme une réponse aux diverses questions que l'évolution des familles politiques lui posait, démontrant ainsi selon lui, l'actualité de sa classification en trois familles distinctes, tout en faisant évoluer leur dénomination . « À ce monument historiographique », selon les mots de Richard, s'ajoute un ouvrage collectif paru en 1992 intitulé Histoire des droites en France, trois volumes réunissant de très nombreux contributeurs dirigés par Jean-François Sirinelli. L'historiographie des droites françaises ne s'arrête pas à ces deux ouvrages et les vingt pages de bibliographie que l'on retrouve à la fin de l'ouvrage de Richard attestent bien de la richesse de la recherche dans ce domaine des sciences sociales, une richesse cependant bien moindre que celle concernant les gauches.
Convoquant Marc Bloch, Gilles Richard rappelle que « les êtres humains sont bien davantage les enfants de leur temps que de leurs parents » (p.20), s'inscrivant ainsi dans une histoire où les faits – et par conséquent les forces politiques qui les incarnent, les analysent et les exploitent – s'expliquent avant tout par leur contexte. Des forces politiques d'abord et avant tout nées de leur temps bien plus qu'issues d'un héritage, un héritage qui n'est pas à nier mais à ne pas surestimer non plus. Gilles Richard se distingue ainsi de René Rémond qui conserva jusqu'en 2005 sa généalogie des traditions politiques nées au XIXè siècle et qui, malgré les changements de régimes et les événements qui bouleversèrent ces deux siècles, aurait perduré jusqu'à l'aube du XXè . Cette distinction va au-delà de la simple querelle historiographique et se retrouve de manière plus fondamentale car l'auteur qui comptabilise alors quatorze familles politiques nées depuis la Révolution française, réparties en deux blocs dans un clivage droite/gauche évoluant autour de « trois questions centrales successives », en retient huit pour former ce que l'on appelle les droites françaises. Richard se distingue donc de son prédécesseur à partir du premier conflit mondial, adoptant « la tripartition rémondienne » jusqu'à cette « matrice du XXè siècle ». Ce nouveau siècle voit successivement apparaître d'autres familles politiques pour que l'auteur nous fasse finalement état de huit grands courants de pensée, huit sensibilités politiques qui deviendront des forces politiques plus ou moins importantes, à savoir les familles « légitimiste », « orléaniste », « bonapartiste », « libérale », « nationaliste », « démocrate-chrétienne », « agrarienne » et « gaulliste ». Ces courants politiques furent, pour certains d'entre eux, sous-estimés ou négligés par René Rémond, celui-ci les fondant dans sa généalogie existante à l'instar de la démocratie chrétienne, de l'agrarisme ou encore du nationalisme. Ainsi, pour Richard, définir les droites « oblige à privilégier les changements sur les continuités » (p.135).
Enfin, rappelons que cette nouvelle Histoire des droites vient aussi après une histoire politique renouvelée et enrichie depuis les années 1980 à la suite de René Rémond et de Serge Berstein, cette dernière se situant dans le sillage de l'histoire culturelle . Enrichi donc de ce renouvellement historiographique, l'ouvrage de Gilles Richard n'en oublie pas moins le rôle fondamental des partis politiques qui occupent une place centrale « mais non exclusive » dans cette étude. Cette histoire partisane nous rappelle enfin la grande porosité entre des cultures politiques parfois proches ou semblant parfois plus éloignées.
II. De familles politiques diverses à l'impossibilité d'un grand parti conservateur
L'auteur choisit un découpage chronologique en quatre parties, redonnant ainsi toute leur place aux événements. Dans la première, intitulée Les droites face à la République. S'adapter ou disparaître, 1815-1914, il commence donc par reprendre le schéma rémondien, c'est à dire l'apparition successive du camp légitimiste contre-révolutionnaire, du camp orléaniste favorable à la famille d'Orléans et enfin celui des bonapartistes, lorsque le parti de l'ordre, derrière le stratège Adolphe Thiers, décida de soutenir Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de 1848. Cette période du pouvoir bonapartiste se termina dans la guerre contre les Prussiens et sonna la défaite des droites face aux républicains. Ce camp républicain ancra la République en 1884 à l'occasion de la réforme constitutionnelle, en interdisant que « la forme républicaine du gouvernement » pût faire l'objet d'une révision (p.70) ; un principe qui sera d'ailleurs réaffirmé dans les Constitutions de 1946 et 1958. Mais face aux républicains désormais solidement installés au pouvoir, la crise boulangiste débuta en 1887. La divergence d'analyse apparaît alors entre Rémond et Richard quant à la compréhension du boulangisme ; pour le premier, ce mouvement politique fut la première réincarnation du bonapartisme en République alors que, pour le second, c'est un mouvement principalement hétéroclite qui regroupe des adversaires de la République mais aussi des républicains adversaires de Jules Ferry. Rappelons que le général Boulanger se situa d'abord à gauche contre Jules Ferry et les opportunistes puis rapidement rassembla des monarchistes, des bonapartistes mais aussi des blanquistes qui souhaitaient toujours abattre le mur du pouvoir ainsi que la Ligue des patriotes, fondée en 1882. La crise boulangiste intervint durant la république des opportunistes, au pouvoir depuis 1870 en s'appuyant sur les radicaux et qui, ayant réduit leurs adversaires à droite, avaient comme dernière grande figure politique, Jules Ferry. Ce mouvement hétéroclite rassemblé derrière un homme charismatique se délita rapidement durant l'année 1889, quatre ans avant la mort de Jules Ferry. Mais les héritiers de ce dernier firent le choix, à sa mort, de changer d'alliances politiques pour gouverner.
À cette période, l'influence de la social-démocratie allemande, portée en France par Jules Guesdes et Paul Lafargue, un des gendres de Karl Marx, était importante ; celle-ci se conjuguait à un mouvement ouvrier qui menaçait ouvertement la « paix sociale » alors que les catholiques amorçaient leur ralliement au régime. L'abandon du front religieux, « principal lieu de combat entre droites et gauches depuis plus de vingt ans » (p.85) permit à ces ralliés de mieux tenir le nouveau front social qui s'élargissait rapidement. Le mot « progressiste » se substitua alors à celui d'opportuniste pour qualifier le camp des républicains modérés, selon le jeune député Paul Deschanel, pour qui il fallait avoir « un véritable esprit de tolérance » vis à vis des ralliés, au prix de nombreux accommodements à la législation laïque. Mais les événements eurent encore une fois raison de la volonté de créer un grand parti de droite unifié pour s'opposer aux revendications ouvrières car même si la république méliniste était une continuité du ferrysme – ces traits précisant « ceux esquissés par le ferrysme quinze ans plus tôt » – l'affaire Dreyfus fit voler en éclats le souhait d'union des droites de Jules Méline et provoqua la formation d'un tout nouveau groupe parlementaire aux législatives de 1898 dénommé « antisémite » et présidé par Édouard Drumont. Le mélinisme, somme de conservatisme social et d'affairisme, de protectionnisme douanier contrebalancé par un puissant mouvement d'exportation de capitaux et d'un colonialisme actif, définissait alors le programme d'une droite libérale modérée, formée des anciens partisans d'Adolphe Thiers, de Jules Ferry et de Léon Gambetta, récemment rejoints par les catholiques ralliés. L'ancien monde, « le temps des légitimistes, des orléanistes et des bonapartistes menaçant la République était décidément révolu » selon l'auteur.
Une évolution du régime intervint toutefois sous la présidence du Conseil de Pierre Waldeck-Rousseau et de son « gouvernement de défense républicaine » dans lequel on vit « la politique de Jules Ferry reprise mais débarrassée de ses dérives mélinistes » grâce à l'incarnation de ces républicains modérés opposés à la dérive autoritaire et cléricale du régime par un basculement d'une partie des progressistes qui bouleversa subitement l'équilibre entre droites et gauches. Le « Bloc des gauches » s'imposa alors face à l'Alliance républicaine démocratique (ARD), fruit du projet de « grand parti républicain démocratique » de Waldeck-Rousseau, lors des élections législatives de 1902 ; un bloc dominé par plus de 230 députés « radicaux », ce qui permit à Émile Combes de prendre la présidence du Conseil. Pendant ce temps, les partisans du Ralliement relancèrent leur projet partisan et, en juillet 1901, fondèrent, derrière Jacques Piou, l'Action libérale populaire (ALP) afin de rassembler tous les catholiques ralliés qui suivaient le pape dans la défense du Concordat. En quelques années, l'ALP devint vite le premier parti de masse en France avec 250 000 adhérents répartis en plus de 2 000 comités. Ce fut la naissance de la démocratie-chrétienne.
Durant ce long XIXè siècle politique, né des conséquences tumultueuses de la Révolution française, Gilles Richard nous rappelle, selon la tripartition rémondienne, qu'ensemble ou successivement, légitimistes, orléanistes et bonapartistes ont exercé le pouvoir jusqu'aux années 1870. Mais au seuil du XXè siècle, trois grands partis républicains modérés ont été créés : l'ARD, l'ALP et la FR (fédération républicaine) rassemblant la grande majorité des électeurs de droite. Ce début de siècle est aussi le moment durant lequel le mouvement ouvrier a tellement progressé qu'il peut enfin « imposer la question sociale comme une nouvelle priorité du débat politique national » (p.124). Face aux grèves des années 1906-1910, les nationalistes, apparus avec la crise boulangiste, oubliant le « socialisme nationaliste » de Barrès et Maurras, ont alors choisi l'alliance avec les républicains modérés. Pourtant, deux ligues ont continué à avoir une existence autonome du courant nationaliste fondu dans ces trois partis : la Ligue des patriotes, restée attachée à la République et présidée par Barrès depuis la mort de Déroulède en 1914 et la Ligue d'action française sous l'influence de Maurras qui, naturellement, continuait à rejeter « la Gueuse ».
La seconde partie du livre, intitulée Les droites de l'Union sacrée à la révolution nationale : les impasses du nationalisme 1914-1944, met en avant deux événements comme symboles d'affrontement entre droites et gauches : la manifestation des ligues nationalistes du 6 février 1934 et la victoire du Front populaire au printemps 1936.
Les droites, unies dans de nombreux départements sur les listes du « Bloc républicain national » sur une base programmatique nationaliste, se retrouvent majoritaires au sortir de la guerre lors des élections législatives de 1919. Avec 140 élus, l'Alliance républicaine démocratique d'Adolphe Carnot, à laquelle appartenait le président de la République, est donc le grand vainqueur du scrutin. Une majorité vite perdue aux élections de mai 1924 face au « Cartel des gauches », coalition électorale sans accord de gouvernement entre radicaux, républicains socialistes et SFIO. Malgré leur prise de pouvoir, les droites ne surent pas s'entendre pour établir une stratégie unique et cohérente. D'un côté, les fondateurs à la Chambre de l'Entente républicaine démocratique (ERD) souhaitaient une fusion des droites dans une grande force hégémonique où l'on retrouverait d'anciens mélinistes aux côtés de ralliés mais aussi Barrès et quelques proches ainsi que quelques alliancistes. Ceux-là souhaitaient écarter les radicaux du pouvoir mais ne surent pas transformer le groupe composite de l'Entente en un parti homogène. Face à eux, l'ARD était partisane d'une alliance étroite avec les radicaux, toujours majoritaires au Sénat, sur la base du combat laïque commun en souhaitant à terme les intégrer dans un grand parti « central » modéré pour mieux écarter les « collectivistes » à gauche et les « réactionnaires » à droite. Des radicaux qui, même ébranlés pendant la Grande guerre et durant la forte période d'industrialisation des années 1920, demeurèrent une force politique incontournable jusqu'en 1940 et qui, par leur importance, représentaient un vrai dilemme pour les droites là où ces deux stratégies s'opposaient, celle de l'alliance préconisée par l'ARD ou bien celle du gouvernement sans ces derniers préconisée par la Fédération républicaine (FR).
À cette impossibilité de créer un grand parti de droite s'ajoute l'émergence de forces nouvelles qui ébranlèrent le système partisan établi à l'image des démocrates-chrétiens organisés dans le Parti démocrate populaire (PDP) créé en 1924 ou bien par l'apparition du parti agraire et paysan français (PAPF) créé en 1928. Les catholiques s'organisèrent d'abord en réaction à la volonté d'Édouard Herriot d'abolir le Concordat en Alsace-Moselle , même si « le temps semblait venu de parachever le Ralliement dans le contexte nouveau créé par les solidarités nouées dans les tranchées, l'expansion du monde des villes et la déroute du Cartel » (p.169). Le PDP qui s'installa alors dans le champ des sensibilités politiques ne devint jamais une grande force partisane, avec seulement une vingtaine de parlementaires, mais fût plutôt une force d'appoint dans les gouvernements de coalition menés par les droites ; d'appoint seulement car il n'a jamais réussi à démontrer à ses partenaires que sa vision de la question sociale était la plus appropriée. De son côté, concentré au milieu rural et en écho au renouvellement de l'action catholique, le parti agraire s'organisa pour défendre « la classe paysanne » en voulant répondre au malaise qui régnait au sein de cette population, celle-ci étant sous-représentée au Parlement, y compris au sein du parti radical.
Des nouvelles forces apparurent donc au sortir de la Grande guerre, moment de politisation élargie et renouvelée des classes moyennes avec le mouvement des anciens combattants, mouvement d'une incroyable ampleur regroupant au total plus de 3 millions d'adhérents dans les diverses associations alors que, comme le rappelle Richard, la British Legion, en situation de quasi monopole au Royaume-Uni, ne dépassa jamais les 400 000 membres. Mais ces associations n'échappaient pas aux clivages politiques, à l'image des deux plus grandes organisations qui regroupaient chacune 900 000 membres. Même si les 6,5 millions de citoyens sortis vivants des tranchées sur les 8 millions de mobilisés représentaient près des deux tiers du corps électoral, une grosse moitié n'adhéra à aucune organisation mais une fraction croissante se montra « de plus en plus réceptive à l'antiparlementarisme, aux dénonciations répétées de l'instabilité gouvernementale et des scandales, aux propositions de « réforme de l'État » » (p.182), remettant toujours en cause la République parlementaire.
À l'occasion des élections de 1932, les droites n'acceptèrent pas leur défaite car pour la troisième fois depuis 1924, Édouard Herriot forma de nouveau un gouvernement cartelliste. Ce sentiment de combat contre le second Cartel se propagea d'autant plus facilement que le phénomène ligueur était important dans une partie de la population ; phénomène qui concerna d'ailleurs peu les gauches, malgré quelques unes comme la Ligue de l'enseignement, car elles avaient privilégié d'autres modes d'organisation, de la franc-maçonnerie au syndicalisme. Cependant, pour les droites, et plus particulièrement pour les nationalistes, les ligues leur permettaient, dans une volonté d'encadrement des masses, de conserver une plus grande autonomie vis à vis des trois grands partis : l'ARD, l'ALP, la FR. Ces ligues qui ne sont pas nées entre les deux guerres mais au temps du boulangisme et de l'affaire Dreyfus et dont les deux principales furent les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, président de la Ligue des patriotes (LP) et député en 1919 et celles des Croix-deFeu du colonel de La Rocque. S'exprimant pour crier leur haine du Cartel, elles démontrèrent aussi leur capacité à occuper la rue, tout particulièrement lors de la manifestation du 6 février 1934. Cet événement permit le retour de l'ARD et de la FR au pouvoir dans le gouvernement Doumergue après vingt mois d'opposition et eut l'effet d'un électrochoc à gauche. Leur union réalisée leur apporta la victoire en 1936. Ce fut le triomphe du Front populaire avec deux tiers des sièges acquis et, pour la première fois dans l'histoire parlementaire, les socialistes formèrent le groupe le plus nombreux avec 149 députés, offrant à Léon Blum le poste de Président du Conseil. L'histoire politique partisane étant toujours faite de causes et d'effets, la réponse fut rapide à droite et deux mois plus tard – en conséquence aussi de l'interdiction des ligues – le colonel de la Rocque créa le Parti social français (PSF) dont la réussite fulgurante amorça une profonde recomposition des droites avec un programme qui se voulait être « une alternative cohérente au Front populaire qui revendiquait la lutte des classes, acceptait la grève générale et prônait l'intervention de l'État contre le pouvoir patronal » (p.220).
L'entre-deux-guerres fut aussi un moment où les droites durent renouveler leur organisation dans une société désormais majoritairement urbaine et fortement politisée car comme le rappelle l'auteur, en 1938 le total des citoyens qui adhéraient à un parti représentait plus de 20% du corps électoral. Que ce soit alors par l'action du journaliste et homme politique Henri de Kerillis, qui fonda le Centre de propagande des républicains nationaux (CPRN) en 1926, ou par celle de François de La Rocque, qui transforma en 1936 son mouvement des Croix-de-Feu en un parti politique inscrit dans le cadre constitutionnel avec le PSF, les droites furent donc contraintes de repenser leur existence. Au seuil de la Seconde guerre mondiale, la division était toujours bien réelle, à tel point que la Fédération républicaine et l'Alliance démocratique étaient en difficulté, leurs 225 élus à la Chambre s'éparpillant en dix groupes différents ; le grand parti devant unifier toutes les tendances n'existant toujours pas. Face à cet éparpillement parlementaire, le PSF, fort de ses 1,2 million de membres en 1939 mais faible de sa non-existence parlementaire, fut tout de même le plus grand parti politique qui n'ait jamais existé en France. Le déclenchement de la guerre empêcha le colonel de la Rocque de bien mesurer les forces de son parti mais l'unité derrière un seul et grand parti n'était pourtant pas acquise. Cependant, lors de la Débâcle de 1940, « les droites, encore hantées depuis 1936 par le spectre de « la Sociale », se rassemblèrent presque unanimement derrière Philippe Pétain » (p. 141).
La troisième partie du livre, Face au « danger communiste ». L'insurmontable rivalité entre gaullistes et libéraux, se concentre sur un autre moment de l'histoire des droites, de l'après-guerre à l'élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d'Estaing. Ce moment est marqué par la hantise des droites de voir le parti communiste prendre la tête d'un nouveau front populaire, ce dernier étant au sommet de son influence avec 800 000 membres en 1946. Durant ces trois décennies, le principal combat des droites fut alors de lutter contre celle-ci. L'importance des gaullistes et des libéraux durant cette période eut pour corollaire l'effacement des autres formations nées avant-guerre comme la Fédération républicaine – entrée au Conseil national de la résistance mais qui s'étiola rapidement – ou bien l'Alliance démocratique, dont son président Pierre-Etienne Flandin resta détenu jusqu'en 1946 pour avoir participé au gouvernement de Vichy de décembre 1940 à février 1941 et qui se maintint tant bien que mal pendant que beaucoup rallièrent le Parti républicain de la liberté (PRL), un parti fondé par d'anciens partisans du colonel de La Rocque, stagnant à une trentaine de députés et qui ne put absorber totalement les anciennes formations de droite (Fédération républicaine, Alliance démocratique, parti agraire, Parti radical indépendant).
Après un bref apogée des démocrates-chrétiens dans l'immédiat après-guerre avec le Mouvement républicain populaire (MRP), créé en novembre 1944 autour de Georges Bidault, qui obtint 165 députés lors des élections législatives de 1946, le mouvement de la démocratie chrétienne ne prit jamais en France la dimension et l'importance qu'il eut en Italie (DC) ou en Allemagne (CDU), ces derniers assumant d'être des partis confessionnels à la différence du MRP qui, malgré un certain nombre de protestants, de juifs et d'agnostiques, s'enracina prioritairement dans l'électorat catholique, appuyé par les évêques et les congrégations. L'affrontement entre les deux principales familles politiques, gaullistes et libéraux, s'installa donc très vite ; la première née dans la Résistance puis devenue rapidement un parti politique dès 1947 avec la création du Rassemblement du peuple français (RPF) par le général de Gaulle face à « la famille libérale dont l'organisation partisane, après plusieurs années de tâtonnements et de déchirements, fut relancée à l'automne 1948 avec la création, si discrète qu'elle passa sur le moment presque inaperçue, du Centre national des indépendants et paysans (CNIP) » (p.258). Tandis que le gaullisme partisan connut un succès rapide grâce à son créateur dès les élections municipales d'octobre 1947 avec 40% des suffrages exprimés dans les villes de plus de 9 000 habitants contre 30% pour les listes communistes, la fondation du CNIP en février 1951, « une des forces politiques majeures de la IVè République », ne s'ancra réellement que sept ans plus tard grâce au grand succès des élections cantonales de 1958 en dépassant le PCF en nombre de suffrages, pourtant « premier parti de France » depuis la Libération. Le CNIP devint incontournable pour constituer une majorité à l'Assemblée, progressant constamment au détriment des gaullistes et devint ainsi la première force au Parlement dès 1954. Pour l'auteur, le moment du CNIP fut « le moment où les droites s'approchèrent jusqu'à un point encore jamais atteint, de ce qu'avaient ardemment souhaité Pierre Waldeck-Rousseau et Henri de Kerillis : leur rassemblement dans une grande formation unifiée capable d'exercer le pouvoir dans la durée » (p. 283). Le porte-drapeau de ces indépendants fut Antoine Pinay, le plus populaire président du Conseil de la IVè République. Atlantiste, européiste signant le traité de communauté européenne de défense (CED), prônant l'amnistie générale régulièrement réclamée par les indépendants et paysans avec le dépôt d'un projet de loi permettant la levée de la plupart des condamnations prononcées depuis la Libération, son anticommunisme se traduisit par une politique de consommation de masse afin de transcender la lutte des classes, une réponse directe à un PCF qui défendait alors la thèse de la « paupérisation absolue » de la classe ouvrière.
Mais la guerre d'Algérie et la crise de 1958 provoquèrent le retour du général de Gaulle, soutenu par le CNIP alors à l'apogée de son influence et en passe de devenir la réplique du parti conservateur anglais, mais pourtant adversaire de ce dernier depuis 1948. Ce soutien lui sera finalement néfaste car l'Union pour la nouvelle république (UNR), née le 1er octobre 1958 le détrônera lors des élections législatives du mois de novembre de la même année avec 3,5 millions de suffrages pour 176 élus devant les 120 élus du CNIP. Pourtant, l'UNR portait en elle le pêché originel du conflit algérien car les sept mouvements différents qui la constituaient étaient tous attachés à l'Algérie française. Du côté des nationalistes, ces derniers étaient réduits à un maigre état électoral après l'installation du gaullisme au pouvoir, un gaullisme qui ne laissa jamais hors de ses propos et de son action une forte dimension nationale ; Jean-Louis Tixier-Vignancourt réalisa 5% des suffrages exprimés lors de la présidentielle de 1965 et la fondation d'un nouveau parti en janvier 1966, l'Alliance républicaine pour la liberté et le progrès (ARLP), obtint un score dérisoire aux législatives de 1967, à peine supérieur à ceux d'organisations nationalistes concurrentes comme le Rassemblement européen pour la liberté (REL) dont le fondateur, Dominique Venner, associé à des militants d'Occident et de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) avait lancé en 1965 la revue Europe Action d'où sortit trois ans plus tard, le Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE).
Après leur disparition face aux gaullistes, les libéraux font leur retour par la voix du jeune Valéry Giscard d'Estaing, ce dernier œuvrant d'abord à la constitution du groupe parlementaire des Républicains indépendants (RI), offrant pourtant alors dans un premier temps une majorité stable aux gaullistes. Ce retour s'accrut progressivement à l'occasion du deuxième gouvernement Pompidou dans lequel trois anciens du CNIP obtinrent un ministère dont Giscard lui-même aux Finances. Mais l'alliance entre les Républicains indépendants et les gaullistes s'étiola à partir de la présidentielle de 1965, ce qui eut pour conséquence le départ, voulu par le président de Gaulle, du ministre des Finances. Ce dernier eut alors toute liberté pour critiquer et commenter l'action et les choix politiques du général et il prit la tête de la Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI), structure partisane du groupe parlementaire RI. Le point de bascule commença à apparaître dès les élections législatives suivantes où l'UNR perdit des sièges, passant de 233 à 200 députés quand le groupe des RI augmenta lui, de 35 à 42 élus. Devenu plus que jamais indispensable, leur leader obtint la présidence de la commission des Finances. Pour l'historien des droites et plus spécifiquement spécialiste des indépendants, « dans l'intense concurrence que se livraient gaullistes et libéraux depuis la Libération […] les « giscardiens » venaient de reconquérir une petite partie du terrain abandonné par le CNIP entre 1958 et 1962 » (p. 258). Une reconquête du pouvoir qui ne cessa jamais car sous la présidence du gaulliste Georges Pompidou, on retrouva sept ministres et secrétaires d'État sur trente neuf, une présence jamais atteinte depuis 1958.
La « République gaullo-libérale », ainsi dénommée par Gilles Richard pour comprendre cette période allant de 1958 à 1974 pendant laquelle gaullistes et libéraux furent alliés dans un rapport de force qui évolua des premiers aux seconds avec comme point de bascule la crise de mai 68, fut finalement pleinement incarnée par Georges Pompidou. Malgré de profondes divergences sur de nombreux sujets entre ces deux familles politiques, Richard parle bien d'alliance car finalement, « il y eut à droite continuité dans l'affrontement entre deux stratégies politiques qui visaient, par des chemins divergents, à arrêter la construction de la République sociale telle que le Front populaire l'avait amorcée et telle que le programme du CNR, adopté en mars 1944, réclamait de la poursuivre » (p. 258). L'élection présidentielle de 1974 vit la fin de cette « République gaullolibérale » et l'arrivée à l'Élysée de Valéry Giscard d'Estaing installa jusqu'à nos jours l'hégémonie des libéraux sur la vie politique française.
III. L'élection du « Kennedy français » ou la victoire des libéraux
Les droites s'imposent résolument dans l'ensemble du paysage politique à partir des années 1970-1980 en se recomposant autour de deux blocs. Le premier s'est constitué autour d'une droite libérale face à la droite gaulliste de 1945 à 1974 et le deuxième, au tournant de l'élection de 1974 lorsque la droite libérale, qui regroupe les centristes et des héritiers du gaullisme autour de l'Europe, s'oppose à la droite nationaliste maintenant incarnée par le Front national, après sa percée en 1984. La dernière partie de l'ouvrage, intitulée Les droites depuis 1974 : nationalistes contre libéraux à l'heure de l'intégration de la France dans l'Union européenne commence donc avec cette élection charnière et analyse ainsi cette nouvelle opposition. La lecture devient sans doute plus aisée car elle présuppose moins de connaissances historiques, la période s'inscrivant dans une succession d'événements politiques récents ancrés dans la mémoire collective. Le champ historiographique de l'histoire du temps présent.
Le septennat de Giscard n'arrêta pas pour autant l'opposition entre les gaullistes et les libéraux. La mécanique partisane se réajuste alors en fonction de ce nouveau contexte politique13 sans empêcher la lente érosion du gaullisme. Un pluralisme organisé vit le jour avec la reprise de l'UDR par Jacques Chirac, après la défaite de Chaban-Delmas, alors que Michel Poniatowski prit la présidence de la FNRI avant la création d'un nouveau parti, le Centre des démocrates sociaux (CDS), fusion du Centre démocrate (CD) et du Centre démocratie et progrès (CDP) présidé par Jean Lecanuet. Cette tectonique des plaques dans le monde des droites conduit au divorce lors de la démission de Jacques Chirac de son poste de Premier ministre ; ce dernier devenant enfin libre de transformer l'UDR en un nouveau parti gaulliste, le Rassemblement pour la République (RPR) le 5 décembre 1976, véritable machine de guerre électorale pour mener la prochaine bataille présidentielle. La réponse des giscardiens survint le 1er février 1978 avec la création de l'Union pour la démocratie française (UDF), afin d'attribuer des investitures giscardiennes dans chaque circonscription. Pari réussi car le RPR perdit alors une trentaine de sièges par rapport à l'UDR en 1973 et l'UDF, qui rassemblait les principales composantes non-gaullistes de la majorité, en gagna une dizaine. Malgré ces préparatifs au sein des droites, l'élection de François Mitterrand en 1981 ramena la gauche au pouvoir, ne laissant pas pour autant les droites dans une longue atonie. Leur action dans l'opposition fut diverse, de la dénonciation des mesures gouvernementales par le biais de la presse et des radios périphériques aux luttes par de grandes manifestations de rue, à l'initiative de l'Association des parents des écoles libres (APEL), contre les projets du ministre Alain Savary ou bien à l'initiative des professions libérales contre le ministre de la Santé Jack Ralite ou encore par un travail d'obstruction parlementaire opéré par de multiples élus en déposant de très nombreux amendements.
Dans le monde politique partisan, et après la défaite de son leader, l'UDF eut des difficultés à poursuivre l'union des giscardiens, démocrates-chrétiens, radicaux valoisiens, sociaux démocrates, ainsi que des clubs Perspectives et Réalités et des « adhérents directs », comme l'on nommait les individus qui entraient dans l'Union sans passer par l'un des partis qui la composaient. Mais malgré ce ralentissement électoral chez les élus démocrates-chrétiens et libéraux, la pensée néolibérale continua à se développer, maintenant portée au RPR. « La conversion au néolibéralisme, amorcée dès 1980, fut confirmée lorsqu'en janvier 1983, le parti gaulliste se fixa pour objectif de « désétatiser » la France en ramenant le nombre de fonctionnaires à son niveau de 1972 » comme le précise Richard (p. 429-430). Giscard résuma lui-même le basculement idéologique de ses adversaires politiques au néolibéralisme et à l'intégration européenne lorsqu'il déclara en janvier 1988 qu'« il n'y a plus de différence idéologique entre le RPR et l'UDF ». Ce rassemblement idéologique entre les représentants du gaullisme et les partisans de l'Union se fixa dans un moment politique alors que la gauche socialiste au pouvoir souhaitait « moderniser » l'économie du pays selon le propre mot du président Mitterrand. Mais le fait que des droites de gouvernement portent quasiment le même projet idéologique et que des gauches n'apparaissent plus qu'avec des différences mineures face à elles eut comme conséquence le retour des nationalistes. Incapables de promouvoir durablement leur vision du monde pendant un siècle, ils « allaient enfin avoir l'occasion de s'imposer comme une force de premier plan et de remodeler le système partisan selon leurs vœux ».
Les nationalistes vont se créer une structure politique afin de toujours pouvoir participer aux combats électoraux pour mieux occuper le terrain idéologique du nationalisme. Libérés par la mort du général de Gaulle, ils créent avec le Front national en 1972, un « espace commun à toutes les tendances éparpillées du nationalisme » (p. 442). Un FN dont la volonté constamment revendiquée fut de s'inscrire dans l'histoire longue du nationalisme français avec ses symboles, ses références et ses héros. Malgré des débuts électoraux très discrets, le FN entra pleinement dans le système politique à partir des élections européennes de 1984 mais l'adoption du scrutin proportionnel de 1986 permit à l'UDF et au RPR d'éviter de se prononcer officiellement sur une alliance avec ce dernier. Même si Chirac put former un gouvernement sans l'aide des députés frontistes, sa politique de mise en œuvre d'une partie de leur programme, pour ramener au bercail les brebis égarées à la « sensibilité très proche », selon ses mots (p. 451), légitima après coup les nationalistes et leurs idées. Le RPR eut, durant les premières années de succès électoraux du FN, une attitude ambivalente, parfois proche de ses thèmes favoris et dont l'électorat principal (artisans, petits patrons et commerçants) était aussi celui du parti gaulliste, mais également parfois plus éloignée comme lorsqu'après sa défaite du 5 mai 1988, Chirac fut définitivement convaincu que la ligne néolibérale prônée par Balladur et Juppé était la meilleure pour l'emporter. Le 8 septembre de cette même année, « le bureau politique du RPR ferma officiellement la porte à tout accord politique avec le FN ».
Après le 21 avril 2002, le RPR se fondit dans une alliance plus large dans laquelle ses artisans souhaitaient toujours la création d'un grand parti de droite hégémonique. Ce fut la création de l'UMP, d'abord Union pour la majorité présidentielle afin de donner une large majorité au président Chirac à l'Assemblée. Avec 362 députés élus, jamais aucun groupe parlementaire n'avait totalisé plus de 300 sièges. L'UMP, devenue l'Union pour un mouvement populaire, mêle alors diverses familles politiques avec les libéraux, dominants depuis les années 1980, mais aussi des « gaullistes » aussi différents que Michèle Alliot-Marie, Charles Pasqua et Nicolas Dupont-Aignan ainsi que des démocrates-chrétiens, de Pierre Méhaignerie à Christine Boutin, les radicaux valoisiens et des écologistes passés par Génération écologie. L'UMP se trouve alors « maîtresse de l'Exécutif, de l'Assemblée, du Sénat mais aussi du Conseil constitutionnel et était donc en position de force pour mettre en œuvre son programme, conçu dans la droite ligne des politiques déjà menées en 1986-1988 et 1993-1997 » ; un programme dont la politique économique fut amorcée par Raymond Barre vingt-cinq ans plus tôt, avec un allègement de l'impôt sur le revenu et une suppression de certaines tranches d'imposition et dont la continuité fut un « assouplissement » des 35 heures, une diminution du nombre de fonctionnaires remplacés par des contractuels, la poursuite des privatisations commencées en 1986 et une nouvelle loi sur les régimes de retraite, réformés dix ans auparavant par Édouard Balladur. Mais malgré des revers électoraux aux élections intermédiaires cantonales, régionales, européennes et au référendum pour le Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005, la droite libérale garda le pouvoir en 2007. Le candidat Nicolas Sarkozy alliant parfaitement néolibéralisme et nationalisme dans une droite qu'il souhaitait « décomplexée » permit à l'UMP de l'emporter, celle-ci restant ainsi maître de l'exécutif et du législatif avec néanmoins, une majorité moins large. Les réformes d'inspirations libérales continuèrent avec la « loi TEPA » d'août 2007 qui défiscalisa les heures supplémentaires, diminua les droits de succession, augmenta la déduction fiscale sur les intérêts des prêts immobiliers et baissa « le bouclier fiscal » au profit des plus grandes fortunes ; la loi LRU pour « Libertés et responsabilités des universités » fut promulguée en août 2007 pour donner une plus large autonomie aux présidents d'universités dans le recrutement des personnels, l'élaboration du budget et la définition des formations les contraignant ainsi à se plier aux logiques de concurrence ; un service minimum fut instauré dans les transports publics et l'enseignement en cas de grève ; en 2008 la « loi de modernisation économique » inventa le statut d'auto-entrepreneur et la RGPP (« Révision générale des politiques publiques ») imposa, entre autres, le non-renouvellement d'un fonctionnaire en départ à la retraite sur deux ; en 2009, la TVA sur la restauration fut abaissée de 19,6% à 5,5%. Une multitude de réformes qui, de prime abord aurait pu paraître désordonnée mais qui avait bien entendu sa logique, révélée par l'un des vice-présidents du Medef d'alors, Denis Kessler.
Mais si Nicolas Sarkozy réussit « à imposer une néolibéralisation accélérée de la société » selon Richard, il « échou[a] à affaiblir le PS et à s'emparer des forces du Front national, conditions pourtant indispensables pour faire de l'UMP une force hégémonique capable de gouverner le pays dans la durée » car le PS, grâce à une certaine vigueur retrouvée à l'occasion de ses primaires de 2011 emporta l'élection présidentielle de 2012. Sarkozy fût ainsi le deuxième président sortant à ne pas réussir sa réélection malgré une hégémonie en suffrages exprimés mais dans un éclatement des candidatures. Si au premier tour, les droites additionnèrent 20 millions de voix face aux 15,6 millions pour les gauches, le second tour fut favorable au candidat François Hollande. Ce dernier porta le parti socialiste au pouvoir mais pour l'inscrire dans la continuité du grand renoncement à « changer la vie » officialisée en 1984 par François Mitterrand. Cette défaite affaiblit l'UMP qui était censée fédérer toutes les droites. L'Union des démocrates et indépendants (UDI), d'abord groupe parlementaire formé en juin 2012, s'est alors transformé en parti politique trois mois plus tard en regroupant le parti radical de Jean-Louis Borloo, le Nouveau Centre-Parti social libéral européen, l'Alliance centriste de Jean Arthuis, la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel, la Convention démocrate et le CNIP de Gilles Bourdouleix sous la présidence de Jean-Louis Borloo puis de Jean-Christophe Lagarde. À l'inverse de Sarkozy qui souhaitait poursuivre sa synthèse entre néolibéralisme et nationalisme, l'UDI refusait tout discours nationaliste contraire à son idéal européiste, idéal associé à une plus grande préoccupation écologique. Une vision de la droite plus giscardienne que sarkozyste en somme. La liste UDI-Modem aux élections européennes de 2014 recueillit presque 2 millions de suffrages, soit la moitié de ceux recueillis par l'UMP. Mais aux élections départementales de l'année suivante, l'UDI fit alliance avec l'UMP, ce qui leur apporta la majorité des départements lorsque l'UMP seule n'en eut plus que 41. Nicolas Sarkozy entama ensuite la procédure pour changer le nom du parti, l'UMP devint Les Républicains (LR).
Le FN, l'opposant des libéraux dans cette bipolarisation au sein des droites, vit de son côté son dynamisme électoral ainsi que son enracinement local ne cesser de croître depuis les cantonales de 2011. Une ascension électorale qui se confirme toujours, du triplement des suffrages entre les législatives de 2007 et 2012 aux élections municipales de 2014 avec plus d'une dizaine de mairies conquises. Le résultat de cette assise territoriale, et donc de la multiplication d'élus locaux, fut l'élection de deux sénateurs FN, une première dans l'histoire du parti. Puis les européennes de la même année le virent devenir le « premier parti de France » en termes de suffrages exprimés avec 25% des voix, succès qu'il réitéra lors des élections départementales et régionales de 2015. Le Front national de Marine Le Pen, décidément plus celui de son père, a donc acquis, au fil de ces différents scrutins, un électorat stable, diversifié et fidèle. Un FN antimondialiste et antilibéral hostile au « système économique » voulant réformer l'Union européenne en restaurant ses frontières par un « protectionnisme raisonné » en revenant à une « Europe des patries ». Ce discours est associé à d'autres mesures en politique intérieure grandement puisées à gauche comme la hausse du SMIC, la retraite à 60 ans et l'augmentation de diverses allocations. Un autre aspect fondamental soulevé par Gilles Richard est la dénonciation par le FN du « fondamentalisme islamique » ou de « l'islamisme » comme principal danger que le pays doit affronter avec pour contexte, outre les attentats islamistes perpétrés sur le territoire national, des « flux migratoires » plus importants dus à une extrême instabilité politique au Proche-Orient et au Sahel. Ces deux phénomènes permettent alors à Marine Le Pen de mieux mêler « les Arabes » et « les musulmans » dans un même amalgame, les excluant d'une civilisation chrétienne, blanche et européenne. Pour l'auteur, « la stratégie « nationale-républicaine » résolument mise en œuvre depuis 2011 a, à l'évidence, porté ses fruits » (p. 530).
La fin du clivage gauche(s)-droite(s) ?
Cette nouvelle histoire des droites redonne ainsi toute sa place aux partis politiques, organes essentiels au bon fonctionnement démocratique. Tout au long de ces deux siècles d'histoire, le lecteur pourra constater, s'il en était encore besoin, de l'importance des partis qui structurent, organisent et animent la vie politique, celle-ci étant, avant toute réalisation concrète, faite de débats et de confrontation d'idées. La notion de « famille politique » prend alors tout son sens dans ce renouveau historiographique pour comprendre notre histoire politique car, naturellement plus englobante que la simple structure partisane, « une famille politique, bien que constituée autour d'une vision du monde cohérente à laquelle adhèrent des millions d'individus dont plusieurs centaines de milliers structurés en parti, ne peut s'enraciner et prétendre accéder au pouvoir pour y mettre en œuvre son programme qu'à la condition de réussir son insertion durable dans le système politique tel qu'il existe préalablement » (p. 333). Et c'est donc sur ce substrat historique, redécouvert grâce à cette histoire générale des droites, que l'auteur dresse un tableau regroupant huit familles politiques apparues successivement sur la scène politique : ultraroyalistes ou légitimistes, constitutionnels ou orléanistes, bonapartistes, républicains libéraux, nationalistes, démocrates chrétiens, agrariens et gaullistes.Que certaines soient en déclin voire en phase d'extinction définitive, « ces huit familles politiques, nées au fil du temps depuis la Révolution, continuent toutes d'exister et contribuent ainsi, au même titre que les familles de gauche, à conserver son extraordinaire épaisseur historique à la vie politique française » (p. 537).
Lorsque l'auteur signe la conclusion de son ouvrage, il se risque à un pronostic à moitié avoué : Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont les deux candidats déclarés qui incarnent le mieux à ce jour les deux pôles du clivage politique central, l'un représentant les nationalistes et l'autre les libéraux ; deux candidats qui devraient incarner le choix des électeurs pour le second tour de l'élection présidentielle. Ce qui se produisit effectivement, le candidat Macron souhaitant luimême incarné le camp des « progressistes » face à la candidate des « nationalistes ». Un clivage qu'il souhaite encore reproduire à l'occasion des élections européennes de mai 2019. Se pose alors la question de la pertinence du clivage gauche(s)-droite(s) à l'heure où la question centrale qui divise ces deux forces politiques principales est la question nationale et dans laquelle le représentant des libéraux se dit être celui qui incarne le camp des « progressistes ». Pour Gilles Richard, « le clivage gauche(s)-droite(s), structurant l'histoire de la République depuis ses débuts, a aujourd'hui cessé d'organiser la vie politique française, même si nombre de citoyens et citoyennes continuent de se revendiquer « de gauche » » (p. 543). Le constat de l'historien, même s'il peut prêter à discussion auprès de nombreux militants de gauche qui ne souhaitent pas se laisser enfermer dans un débat uniquement centré sur les frontières nationales, doit finalement les faire s'interroger sur cette notion de progressisme et sur les réponses à apporter à un « peuple de gauche » pour relever les défis du XXIè siècle. Un constat donc, qui n'est pas une fin de l'histoire mais bien un bilan d'étape dans une histoire politique qui ne cesse de s'écrire.
Nicolas Ferreira, octobre 2018