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7 octobre 2018 7 07 /10 /octobre /2018 10:15
Michel Vovelle

Michel Vovelle

MICHEL VOVELLE, MORT 
D'UN GEANT DE L'HISTOIRE
Le grand historien de la Révolution française, Michel Vovelle, est décédé. Il était né en 1933. C'est un immense bout de l'Histoire de France, et, pardon, de notre Histoire, qui disparaît avec lui. Il fut, à la suite d'Albert Soboul, et avec notre ami Claude Mazauric (à qui je pense très fort), l'un des plus grands penseurs de l'Histoire révolutionnaire, celui grâce auquel nous sommes ce que nous sommes. J'ai eu la chance de le cotoyer, en particulier à Draveil, lors de cours magistraux qui éveillaient les consciences et l'intelligence collective. Brillant, novateur, il était un communiste vigilant, "déconstructeur" de génie, critique aussi quand il le fallait, et surtout, il irradiait d'une inépuisable source de réflexion. Que de lectures à revisiter, par les temps qui courent...
Ce soir, une immense tristesse m'envahit, nous envahit. Une part de nous-mêmes vient de nous quitter. Une sorte de père spirituel. Un ami, un camarade, un "maître" comme il y en eut si peu... JED

Mémoire(s)

Bloc-Notes de Jean-Emmanuel Ducoin dans l'Humanité

LES MEMOIRES HISTORIQUES 
DE MICHEL VOVELLE 
Un grand livre très intime du célèvre historien de la Révolution française, «Mémoires vives ou perdues, essai sur l’histoire et le souvenir» (Éditions de Paris-Max Chaleil). Il nous met en garde contre l’«érosion» de l’air du temps. «La révolution est-elle “terminée”?», demande-t-il. Ce slogan «est désormais banalisé» et ce «raccourci pour le moins pauvre de la pensée» semble abolir «définitivement l’idée de révolution, rangée au rang des illusions maléfiques». Et pourtant...
Mon bloc-notes, publié dans l'Humanité du 16 mars 2018... JED

 
Un grand livre de l’historien Michel Vovelle.
 
Flamme. Le temps qui passe est de bon conseil, parfois, pour s’éviter les points de non-retour: des mots rouge et noir nous aident, comme disait Gracq en 1940, à«triompher de l’angoissant par l’inouï». Le vocabulaire cambré de l’ultime a un pouvoir de dilatation jouxtant l’ivresse, il nous met à part, sur un pic de lucidité. Nous avons de qui tenir. Une longue lignée nous pousse dans le dos. L’un de nos «maîtres» nous en apporte une «preuve» par l’écrit si éclatante que le bloc-noteur chavire d’émotion d’oser se glisser dans ses pas: l’historien Michel Vovelle, auteur de près de cinquante ouvrages de référence, vient de publier «Mémoires vives ou perdues, essai sur l’histoire et le souvenir» (Éditions de Paris-Max Chaleil), le récit intime que nous n’attendions pas, ou plus, ambitionnant d’associer un certain nombre de considérations sur la mémoire, à partir de son expérience personnelle – que l’on sait hors du commun. Michel Vovelle y va de sa «petite chanson», dit-il. «Serait-ce pour répondre à ce “devoir de mémoire” que l’on invoque aujourd’hui si complaisamment? Je le dis tout net, je déteste le devoir de mémoire, il ne se commande pas, à travers les gesticulations ou accaparements officiels d’aujourd’hui. La mémoire ne se prescrit pas, elle s’entretient.» Avec Michel Vovelle, préférons donc définitivement la formule «travail de mémoire» et «devoir d’histoire». Il l’explique ainsi:«La mémoire s’enrichit comme elle s’appauvrit inévitablement tout à la fois, mais nous pouvons essayer de transmettre en passant le relais, le souffle, l’esprit, le souvenir, souffrances, affections, regrets mêlés aux espoirs indéracinables qui tissent la trame de nos vies, sans oublier les passions qui les entourent et qui donnent leur flamme à la continuité si fragile du passé remémoré. Cette immortalité fugace, la seule à laquelle je crois. »  
 

Révolution. Dans le tamis de cette pensée à foison, tout devient magnificence et cohérence. Si la fonction de mémorialiste existe encore, Michel Vovelle l’exalte en donnant corps «aux» mémoires à la sienne mélangées: mémoire au féminin, personnelle ou collective, mémoires au masculin pluriel, livrés par des personnages, célèbres ou inconnus, lesquels nourrissent la première. Comprenez bien, si l’authenticité de toute mémoire doit se discuter sinon se déconstruire, l’auteur tente de restituer une «vérité», et pas n’importe laquelle: l’empreinte des guerres dans son propre parcours. Tout y passe. Les mémoires de Fouché à l’aune des «vrais faux» ; les mémoires vagabondes des dernières décennies passées au crible de la politique ; l’excellence d’un opéra de Mozart ; la question de l’amour comme acte révolutionnaire ; et bien sûr la Révolution française elle-même, puisqu’il s’appelle Michel Vovelle et qu’il reste en l’espèce l’une de nos boussoles (avec Albert Mathiez, Albert Soboul, Claude Mazauric…). C’est sur ce dernier point, dans un chapitre éblouissant intitulé «La mémoire perdue de la Révolution française», que l’historien nous met en garde contre l’«érosion» de l’air du temps. «La révolution est-elle “terminée”?» demande-t-il. Ce slogan«est désormais banalisé» et ce «raccourci pour le moins pauvre de la pensée» semble abolir «définitivement l’idée de révolution, rangée au rang des illusions maléfiques». Et il poursuit: «Devait-on voir dans les grandes secousses où s’abîmait le système socialiste le retour d’une veine révolutionnaire, comme le prophétisait Edgar Morin, ou au contraire des contre-révolutions?» Michel Vovelle ne tranche pas, constate juste qu’une grande partie du combat se trouve toujours devant nous, possiblement fécond. Il raconte d’ailleurs une anecdote: en 2013, dans «Panthéon-Sorbonne Magazine», Pierre Serna, son successeur à cette chaire de l’université, s’obstinait et affirmait: «Nous sommes en 1988… L’Histoire s’est remise en marche… Une révolution a commencé… L’ère des rébellions a commencé.» «Révolution ou rébellion?» interroge Michel Vovelle. Et nous? Sommes-nous des successeurs?
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23 septembre 2018 7 23 /09 /septembre /2018 05:32
Mort de Pablo Neruda, le 23 septembre 1973

Mort de Pablo Neruda, le 23 septembre 1973, il y a 45 ans
Pablo Neruda est de ces poètes qui ont vécu pleinement dans leur siècle. Il est un des rares poètes qui aient réussi à incarner la poésie aux yeux de tout un peuple et même d'un continent. Si nous devions avoir une seule image de Neruda, ce serait celle d'un poète explorateur de la matière et de l'amour. Son enfance passée dans un milieu modeste et ouvrier le marquera à tout jamais et lui fera prendre conscience de l'inégalité profonde qui règne entre les hommes. « L'homme doit se faire entendre et c'est au poète de transmettre sa voix, de devenir son cri », écrira-t-il.
Pablo Neruda a été un homme enraciné dans son siècle au point que peu de temps après le coup d'État militaire du 11 septembre 1973 contre l'Unité populaire et la mort de son compagnon Salvador Allende qu'il avait activement soutenu pendant sa campagne, il meurt, le 23 septembre, à Santiago du Chili, envahi de tristesse.

Pablo Neruda en 1951

Pablo Neruda en 1951

" J'accuse" par Pablo Neruda. 

Alors qu’il siégeait au sénat chilien sous les couleurs du parti communiste depuis 1945, le poète et prix Nobel de littérature Pablo Neruda, fut banni par le régime de Gonzalez Videla en 1947 pour avoir commis un brûlot contre l'oligarchie qui gouvernait le Chili d’alors.

Dans ‘’J’accuse’’, un poème dont le titre s’inspire du fameux ‘’J’accuse’’ de Zola, le poète qui écrivait souvent à l’encre verte (couleur de l'’espérance) a gravé dans nos consciences engourdies des mots aux couleurs de sang.
 

“ Ils se sont promus patriotes.
Ils se sont décorés dans les clubs.
Ils ont aussi écrit l’histoire.
Les parlements se sont remplis de faste 
Après quoi ils se sont partagés la terre,
La loi, les plus jolies rues,
L’air ambiant, l’université, les souliers.

Leur prodigieuse initiative
C’est l’Etat ainsi érigé,
La mystification rigide.
Comme toujours, 
On a traité l’affaire avec solennité
Et à grand renfort de banquets
D’abord dans les cercles ruraux,
Avec des avocats, des militaires.
Puis on a soumis au Congrès
La Loi suprême, 
La célèbre Loi de l’Entonnoir
Aussitôt votée.

Pour le riche, la bonne table,
Le tas d’ordure pour les pauvres.
La prospérité pour les riches
Et pour les pauvres le turbin.
Pour les riches la résidence.
Le bidonville pour les pauvres.
L’immunité pour le truand,
La prison pour qui vole un pain.
Paris pour les fils à papa,
Le pauvre, à la mine, au désert !
L’excellent Rodriguez de la Crota
A parlé au Sénat
D’une voix mélliflue et élégante.
’Cette loi, établit la hiérarchie obligatoire
Et surtout les principes de la chrétienté.
C’est aussi indispensable que la pluie.
Seuls les communistes, 
Venus de l’enfer comme chacun sait,
Peuvent critiquer notre charte de l’Entonnoir,
Savante et stricte.
Cette opposition asiatique,
Née chez le sous homme, 
Il est simple de l’enrayer :
Tous en prison, tous en camp de concentration,
Et ainsi nous resterons seuls,
Nous les messieurs très distingués
Avec nos aimables larbins
Indiens du parti radical’.

Les applaudissements fusèrent
Des bancs de l’aristocratie :
Quelle éloquence, quel esprit,
Quelle philosophie, quel flambeau !
Après cela chacun courut
A son négoce emplir ses poches,
L’un en accaparant le lait,
L’autre escroquant sur les clôtures
Un autre volant sur le sucre
Et tous s’appelant à grands cris Patriotes !
Ce monopole du patriotisme,
aussi consulté dans cette Loi de l’Entonnoir.”

Pablo Neruda

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22 septembre 2018 6 22 /09 /septembre /2018 06:46
Les vers éternels de Mahmoud Darwich, voix de la résistance palestinienne (Anne Berthod, Télérama, 17 septembre 2018)

Pour commémorer les dix ans de sa disparition, l’IMA et le festival Arabesques célèbrent les écrits du poète palestinien. Voix de l’exil, de la résistance et de la paix, il fut le plus grand poète contemporain de langue arabe. De Paris à Montpellier, son œuvre est à (re)découvrir à l’occasion d’un festival hommage et d’un récital. 

Il n’a jamais écrit de chanson mais remplissait des stades en déclamant des vers et de la prose : dix ans après sa mort, le festival Arabesques et l’Institut du monde arabe célèbrent le Palestinien Mahmoud Darwich (1941-2008), immense poète contemporain. « Il était une couleur de notre drapeau, un artiste et un leader romantique : par ses valeurs humanistes, libertaires et politiquement engagées, il était le Federico García Lorca du monde arabe », résume le oudiste Adnan Joubran. Le 23 septembre, le trio Joubran participera notamment à une grande soirée hommage avec une dizaine d’artistes (Souad Massi, Magyd Cherfi, ex-Zebda, Kamilya Jubran…) : un plateau hétéroclite, à l’image d’un héritage qui continue d’inspirer les jeunes générations. « Il est le seul dans le monde arabe à s’être ancré dans les métriques anciennes de la poésie classique avec un vocabulaire aussi actuel »,rappelle la chanteuse et oudiste Kamilya Jubran. De la même façon, la Palestine était son socle, mais ses thématiques étaient universelles : « le poète des vaincus » était un apatride, qui nous parlait d’exil (presque trente ans passés entre Beyrouth, Moscou, Tunis, Le Caire et Paris), de résistance et de paix. Lyrique et poignante, son œuvre ne faisait qu’une avec sa vie d’homme. En voici les figures clés.

La mère… patrie

« J'ai la nostalgie du pain de ma mère, du café de ma mère, Des caresses de ma mère… Et l'enfance grandit en moi… » : ainsi commence Oummi, fameuse ode à sa mère (1966). Enfant de Galilée, Mahmoud Darwich a connu l’exil à 6 ans, quand sa famille a fui Saint-Jean-d’Acre, devenu israélien après 1948, pour le Liban. A leur retour, un an plus tard,« Akko » était devenu une ville juive et les Arabes ne pouvaient plus se déplacer sans autorisation – l’adolescent a souvent atterri en prison pour avoir bravé l’interdiction. C’est ce traumatisme qu’il exorcise adulte quand il parle de sa mère, symbole d’une enfance brisée et d’un foyer confisqué : à travers elle, le poète file la métaphore palestinienne de la patrie perdue, mais dit aussi la douleur de l’exil.

Marcel Khalifé

Chanté, rapé, samplé, Mahmoud Darwich a souvent été mis en musique, mais jamais autant que par le Libanais Marcel Khalifé, dont la chanson Oummi, par exemple, fut l’un des premiers hits. C’est grâce à ce « Bob Dylan du Levant », figure de proue de la chanson contestataire dans les années 1970, que Darwich, figure de l’intelligentsia peu connue alors du grand public, a pu avoir une telle résonnance. L’ami Khalifé a si bien porté ses mots qu’en 1999 il a été poursuivi par un tribunal à Beyrouth pour avoir cité le Coran dans la chanson O mon père, je suis Joseph, adaptée d’un de ses poèmes. Quelque deux mille fans chantèrent la chanson incriminée dans une manifestation de soutien, et le chanteur fut relaxé.

Yasser Arafat

« Aujourd'hui, je suis venu porteur d'un rameau d'olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d'olivier de ma main », déclare Yasser Arafat à l’ONU en 1974. Le discours est signé Darwich, journaliste militant qui va devenir la plume de l’OLP. Il s’impose comme son leader spirituel avec Une mémoire pour l’oubli, récit (le seul de son œuvre) du siège de Beyrouth (1982), et entre même au comité exécutif. Il rompt avec l’organisation en 1993, déçu par les accords d’Oslo. Ses vers, toutefois, resteront des slogans. Jusqu’en 2011, quand Mahmoud Abbas déposera à l’ONU la demande de reconnaissance de la Palestine, sur ces mots :« Debout ici. Assis ici. Toujours ici. Eternels ici. »

Rita

Romantique avant tout, Darwich n’a jamais eu pour ambition d’être la voix du nationalisme arabe. Lui voulait être un poète de l’amour. La mystérieuse Rita, dont le nom a fait le tour du monde arabe grâce à Marcel Khalifé, est évoquée dès les premiers recueils (La Fin de la nuit, Les oiseaux meurent en Galilée…). En 1995, Darwich raconte enfin l’histoire de cette danseuse juive (nommée Tamar dans la réalité), rencontrée autrefois au bal du Parti communiste israélien, dont il était adhérent. La guerre des Six-Jours (1967) aura eu raison de leur intense idylle…« Entre Rita et mes yeux : un fusil. Et celui qui connaît Rita se prosterne. Adresse une prière. A la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel. » Rita incarne l’amour impossible. A travers elle, Darwich, toujours très métaphorique, pleurait à la fois la femme et sa terre bafouée.

L’absente

Opéré trois fois du cœur, Mahmoud Darwich avait pressenti sa mort. De Murale(2003) à Présente Absence (2006), son septième et avant-dernier recueil, il entame un dialogue intime avec elle. L’absente est cette mort qu’il tente d’apprivoiser. C’est aussi l’exilé, le déraciné, l’ami assassiné, l’impossible patrie, dont l’absence, au quotidien, fait présence. S’adressant dans Présente Absence à son moi à différents âges, Darwich fait le bilan poétique d’une vie d’errance et d’espoir : une sorte de testament, publié deux ans avant sa mort. Ecrits dans une prose magnifique (ce qui reste exceptionnel dans son œuvre), ces trente et un poèmes constituent une véritable élégie, entre fragments de mémoire vive et douloureuse mélancolie.

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13 septembre 2018 4 13 /09 /septembre /2018 05:17
« RACHID TAHA A DONNÉ CHAIR AUX COMBATS D’UNE GÉNÉRATION »
Mercredi, 12 Septembre, 2018
Naïma Huber-Yahi est historienne, spécialiste de la musique algérienne et maghrébine en France. Elle revient sur le parcours de Rachid Taha et son apport à la chanson française.
En quoi l’irruption du groupe Carte de séjour, en 1981, marque-t-elle une rupture dans l’histoire de la chanson de l’immigration ? 
 
Naïma Huber-Yahi. Cette irruption est nourrie en amont par plusieurs années de mobilisations auprès des militants des luttes portées par les quartiers dès le début des années 1970. Ce « cri » en provenance de la banlieue lyonnaise, ce « rock beur » est né d’un mélange de mobilisations contre les crimes racistes et sécuritaires et de l’engouement pour la musique d’outre-manche. L’avènement de ce « London Calling » à la Française marque une rupture générationnelle forte avec les aînés qui chantaient les affres de l’exil et la nostalgie de la terre natale. Avec Carte de Séjour, les dimensions politiques et esthétiques changent radicalement : le message sera : « On est ici chez nous » et le métissage rock n’roll et langue arabe dialectale propose une nouvelle fusion d’avant-garde réjouissante.
 
Rachid Taha a tout aussi bien puisé dans le patrimoine musical français que dans la tradition algérienne. Comment cette double filiation a-t-elle influencé d’autres artistes ?
 
Naïma Huber-Yahi. C’est le premier artiste à revendiquer un patrimoine de l’exil et à permettre sa transmission au plus grand nombre. Ses reprises de « Douce France »  (1985) de Charles Trenet puis de « Ya Rayah » (1991) de Dahmane El Harrachi résument à elles seules sa démarche patrimoniale : à la fois d’ici et d’ailleurs,  il a fait de sa lutte contre le racisme et les discriminations sa source d’inspiration. En cela, il a permis à plusieurs générations d’artistes issus de l’immigration  de se réapproprier cette richesse culturelle et patrimoniale dans leurs créations.  Je pense ici à de grands artistes comme Mouss et Hakim, qui rencontrent le succès avec Zebda, pointure du patrimoine musical français et qui n’hésitent pas à se réapproprier le répertoire algérien de l’exil en 2007, pour l’offrir en partage à leur public. Suivra la génération des rappeurs comme le 113, le M.A.P., puis HK et les Saltimbanks et bien d’autres qui inscriront leur création dans cette démarche de réappropriation et de patrimoine.
 
Avant de se consacrer à la chanson, Rachid Taha travaillait à l’usine, il était syndicaliste. Cette expérience sociale a-t-elle marqué son parcours artistique ?
 
Naïma Huber-Yahi. Rachid Taha a connu la vie d’un jeune prolétaire à la chaîne. C’est le fameux O.S. étudié par le sociologue Abdelmalek Sayad : il a échappé à cette fatalité inscrite dans la trajectoire des Algériens de France pour prendre la parole et raconter l’histoire d’un enracinement dans notre pays alors que les immigrés eux-mêmes ne l’avaient pas vu venir.  Cette génération « beur » dont il fut le symbole et sa musique, sa bande-son, luttait pour briser les déterminismes sociaux et dire son droit de cité en France. De fait,  cette expérience sociale a marqué durablement le jeune Rachid au point que, même quand il accède à la notoriété, il se tourne vers le répertoire des chanteurs de l’immigration algérienne, ouvriers le jour, comme Dahmane el Harrachi, et troubadours de l’exil la nuit, pour perpétuer leur tradition.  Sa reprise de « Ya Rayah »  a été traduite dans 68 langues, il en a fait un tube planétaire et de ce fait, a permis de rendre universelle l’expérience de l’immigration algérienne en exil.
 
Il s’inscrivait, au tournant des années 80, dans le vaste mouvement initié par la Marche pour l’égalité. Quel fut, dans ces luttes politiques, le rôle des artistes issus de l’immigration ? 
 
Naïma Huber-Yahi. La préhistoire de la Marche contre le racisme et pour l’égalité fut marquée par de nombreuses mobilisations culturelles : du théâtre, de la presse, des radios libres. Des chanteurs ont donné chair aux combats portés par cette génération, balbutiante en politique, mais qui luttait contre les expulsions dites de la « double peine » avec des grèves de la faim ou qui organisait des mobilisations culturelles comme « Rock against police » alliant spectacles et meetings contre les violences subies par les jeunes des quartiers populaires. Rachid, avec ses acolytes de Carte de Séjour, a chanté avec fougue et poésie les problématiques de cette jeunesse : avec « Zoubida » pour le conflit de valeurs que subissaient les filles maghrébines, ou avec « Ramsa» sur le racisme au quotidien.
 
Quelle empreinte laisse-t-il dans l'histoire récente de la chanson française?
 
Naïma Huber-Yahi. La disparition de Rachid Taha laisse d’abord un immense vide du fait même de sa singularité et de l’importance de son œuvre. Son engagement sans faille contre le racisme et les discriminations, son travail acharné pour faire connaître au plus grand nombre le répertoire de l’immigration algérienne ou le répertoire arabe, font de Rachid Taha un artiste indispensable et important du patrimoine culturel français. Avec lui, entre dans la mémoire collective et le patrimoine national, la création de l’immigration en exil et le génie rock d’un jeune « gône » de la banlieue lyonnaise, arrivé d’Algérie à l’âge de 10 ans. En définitive, fier de ses origines ouvrières et algériennes, il a ouvert la porte à de réjouissantes créations métissées, et aux générations suivantes qui voudront rappeler à la France que oui, l’on peut être à la fois français et maghrébins.
 
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui
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10 septembre 2018 1 10 /09 /septembre /2018 19:36
Une embuscade dans les Aurès d'Anne Guillou: Lorsque les pères enterrent leurs fils (Didier Gourin, Ouest-France, 4 septembre 2018)
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25 août 2018 6 25 /08 /août /2018 05:25

 

L’onde de choc de l’intervention militaire à Prague touche durement les communistes français qui cherchaient à trouver une voie médiane à l’échelle mondiale et qui voient interrogée leur perspective stratégique.

Pour le PCF dont l’histoire a été imbriquée avec celle du mouvement communiste international la crise tchécoslovaque en 1968  a été une épreuve majeure qui a marqué durablement son histoire.  Le récent  ouvrage de Roger Martelli, minutieux et très  documenté aborde  cette question et permet de revisiter l’année  1968 comme l’épisode révélateur de la situation du PCF aussi bien en France que sur la scène internationale (1). En fait les événements de l’année 1968 qui ont secoué toutes les forces politiques françaises ont particulièrement marqué le PCF, doublement interpellé par la situation politique nationale et la crise internationale du mouvement communiste. Sous la conduite prudente de son secrétaire général, Waldeck Rochet, le PCF ambitionne alors  de tenir une place médiane dans le mouvement communiste international. Il est un des promoteurs d’une prochaine conférence internationale des partis communistes dans un contexte marqué par l’exacerbation du conflit entre le Parti communiste chinois et le Parti communiste soviétique aux côtés duquel il n’a cessé de se placer. En Europe, marquée par la division en deux camps, plusieurs partis communistes au pouvoir ont pris leurs distances avec l’Union soviétique qui est à la tête de l’organisation militaire du pacte de Varsovie  face à l’Otan sous direction américaine. Outre la Yougoslavie qui, de longue date a  affirmé sa neutralité, la Roumanie et l’Albanie ont adoptés des positions différentes de celles   de l’URSS  dans le domaine diplomatique. Les 5 autres, Pologne, RDA, Bulgarie, Hongrie et Tchécoslovaquie restent soumis  à une influence  étroite  de l’URSS même si celle-ci proclame le respect de leur indépendance. Dès la fin de 1967, en Tchécoslovaquie comme en Pologne, parmi la jeunesse étudiante mais aussi  au sein du  parti communiste s’affirment des critiques contre la persistance des formes staliniennes et pour la démocratisation du fonctionnement de l’Etat et du parti. Le PCF, tout en renouvelant son accord avec  l’universalité du marxisme-léninisme, affirme son attachement au principe de l’indépendance de chaque parti communiste responsable de sa politique nationale.

Quand, en  janvier 1968, le comité central du Parti communiste Tchécoslovaque destitue Novotny de son poste de secrétaire général du PCT remplacé par Dubcek, le PCF se garde d’une prise  de position. Les mois suivants il reste dans l’expectative et refuse de porter une appréciation positive sur les changements engagés critiquant d’ailleurs de certaines initiatives dans la presse communiste, comme Paul Noirot qui a interviewé Dubcek dans « Démocratie Nouvelle » ou des articles Pierre Daix dans les Lettres Françaises. Mais la position de la direction du PCF évolue. Le 19 avril, Waldeck Rochet apporte un soutien prudent aux réformes engagées par le PCT. Il se félicite que dans son programme d’action celui-ci affirme son engagement pour la démocratie socialiste afin de redresser les erreurs du passé et qu’il ne remette pas en cause les engagements  internationaux du pays. En somme, alors que l’URSS et les autres pays du Pacte de Varsovie marquent leur désapprobation en vers les réformes annoncées par le PCT, le PCF s’estime rassuré par le parti et le gouvernement tchécoslovaques sans approuver pour autant le contenu des différentes réformes.  Du fait de la situation politique en France, il doit surseoir à ses projets de relancer une démarche médiatrice au sein du mouvement communiste international. En juillet, Waldeck-Rochet, tente d’ultimes démarches pour empêcher l’irréparable : il se rend à Moscou le 15 puis à Prague le 19 en préconisant  une solution politique.  Devant  Brejnev il convient de certaines dérives en Tchécoslovaquie mais le dirigeant russe ne veut rien entendre quand il lui déclare qu’une intervention militaire serait une catastrophe pour tout le mouvement communiste. A Dubcek, qui lui reproche d’être influencé par les soviétiques, il prône la prudence. Les dirigeants du PCF veulent voir dans les ultimes rencontres entre la direction soviétique et tchécoslovaques à Cierna  le 1er aout puis à Bratislava le 3 avec les autres partis communistes, le résultat positif de leur démarche. Le BP du PCF, le  5 août, salue la déclaration commune des six partis qui « ont souligné que les  succès du socialisme et du communisme exigent l’application des lois générales du marxisme-léninisme en tenant compte des conditions et particularités nationales ».

Le Bureau Politique du PCF,  réuni en  toute hâte le 21 aout,  « exprime sa surprise et sa réprobation à la suite de l’intervention militaire en Tchécoslovaquie ». Devant le Comité central réuni le lendemain, en  session extraordinaire, Waldeck Rochet reconnaît d’emblée que l’affirmation du désaccord avec le PCUS a suscité des déchirements au sein du PCF. « C’est presque le contraire qui serait anormal car il est vrai que notre Parti, depuis 50 ans, a toujours été aux côtés de l’Union soviétique ». Pour autant la condamnation de l’intervention militaire est réaffirmée ce qui d’ailleurs ne suscite pas au sein du CC d’opposition explicite. La direction du parti, les jours suivants, suscite la  réunion des comités fédéraux et appelle leurs membres à se prononcer sur la décision de la direction du parti. Pour obtenir un très large soutien l’équipe dirigeant équilibre le propos, en atténuant les termes de la condamnation, réaffirmée  désormais comme une désapprobation. De plus le PCF appelle les dirigeants tchécoslovaques, arrêtés et emmenés en URSS, à la discussion avec les dirigeants soviétiques pour déboucher sur une solution politique positive dont le Bureau Politique le 25 août réclame qu’elle s’appuie sur une normalisation de la situation impliquant « le retrait des forces d’intervention ». Les jours suivants, le 27 août puis le 2 septembre, il se félicite que les pourparlers aient débouché sur un accord. De fait, cet accord engage le processus  de normalisation qui entraînera l’année suivante l’éviction de Dubcek et la remise en cause de toutes les réformes démocratiques engagées.

Pour l’heure, le PCF doit affronter au sein du Bureau Politique les critiques portées par Jeannette Vermeersch qui dénonce l’antisoviétisme et par Roger Garaudy qui met en cause le système soviétique en tant que tel. Si le BP repousse les critiques de la veuve de Maurice Thorez il dénonce avec vigueur les thèses  défendues par Garaudy accusé de développer une ligne stratégique étrangère à celle du parti. Pour autant le PCF  doit faire face également aux attaques de certains partis frères, en particulier le SED (parti communiste de RDA) et le PCUS qui par différents canaux, articles de presse et brochures, dénoncent la prise de position du PCF contre l’intervention militaire et la justifient auprès des cadres du parti. Des explications orageuses ont lieu avec les dirigeants soviétiques et ceux de RDA au terme desquelles, Waldeck Rochet et Georges Marchais qui les ont menés en concluent qu’il est urgent de reporter la Conférence Internationale à la tenue de laquelle ils s’employaient depuis des mois. Lorsque le 5 décembre le Comité central se  réunit à Champigny l’unité du parti bien qu’ébranlée a été maintenue et l’organisation n’a pas subi la même hémorragie qu’en 1956 même si  le PCF s’est trouvé en difficulté aussi bien en France qu’au plan international sur sa perspective stratégique et sa vision du socialisme. La résolution finale, préparée par Waldeck Rochet, épaulé par Jean Kanapa, bientôt intitulée le Manifeste de Champigny, esquisse face au « socialisme existant » ce que pourrait être « la voie française au socialisme ». Les événements de Tchécoslovaquie ajoutés à ceux de mai-juin en France venaient de montrer l’urgence d’une avancée…

(1)   Communistes en 1968. Le grand malentendu. Editions sociales, 2018.

 

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25 août 2018 6 25 /08 /août /2018 05:23

 

Entré très jeune au Parti communiste, antifaciste opposé à la dictature slovaque de Jozef Tiso, le premier secrétaire du PCT sera la figure centrale du printemps de Prague, et plus tard le spectateur de la partition du pays.

«Je pense à tout ce que nous aurions pu accomplir pendant ces années et aux avantages qu’en auraient tirés notre pays et le socialisme. » Ainsi répondait Alexander Dubcek au journal communiste italien l’Unita. C’était en 1988, et les autorités tchécoslovaques avaient desserré l’étau sur l’ancien dirigeant du printemps de Prague.

La vie de l’ancien dirigeant communiste se confond avec l’histoire du mouvement ouvrier dans cette partie de l’Europe centrale longtemps dominée par l’Empire austro-hongrois et divisée entre les pays tchèque, directement attaché à Vienne, et slovaque, placé sous la férule de Budapest. Dubcek est Slovaque, mais peu s’en est fallu qu’il ne naquît à Chicago, où vivaient ses parents jusqu’à leur retour au pays, en 1921, quelques mois avant la naissance du jeune Alexander. Un retour provisoire avant un nouveau départ en Kirghizie, puis à Gorki. Jusqu’en 1938, Alexander Dubcek passe une adolescence soviétique.

IL SERA EXCLU DU PARTI

Revenu en Tchécoslovaquie en 1938, le jeune homme va vivre l’invasion nazie et les crimes de l’État clérico-fasciste de Jozef Tiso en Slovaquie. Il adhère au Parti communiste clandestin, combat dans la Résistance, est blessé lors de l’insurrection en 1944 (son frère Julius est tué). Après la libération, Dubcek gravit les échelons du pouvoir, siège au Parlement et, devenu numéro un du parti en Slovaquie en 1963, ne tarde pas à s’opposer aux éléments conservateurs, proches du secrétaire général, Antonin Novotny. Ironie de l’histoire, Dubcek emporta la partie après avoir invité le secrétaire général du PCUS, Leonid Brejnev, lequel lâcha Novotny, en janvier 1968…

Au lendemain du 21 août 1968, les ­Soviétiques hésitèrent à destituer immédiatement Alexander Dubcek. Ce n’est qu’en avril 1969 que celui-ci cède son poste à Gustav Husak. L’ex-secrétaire général est appelé à présider ­l’Assemblée fédérale. Alors que la contestation pacifique se poursuit – l’étudiant Jan Palach s’immole sur la place Venceslas –, Dubcek sera démis de ses fonctions parlementaires et exclu du Parti communiste. Envoyé en ­Turquie comme ambassadeur, il sera bientôt rappelé. Il occupera jusqu’en 1989 un emploi dans l’administration forestière, à Bratislava.

Lors de la « révolution de velours », en novembre 1989, il apparaîtra aux côtés de Vaclav Havel. Acclamé au cri de « Dubcek na Hrad ! » (Dubcek au Château !), il devra se contenter de la présidence de l’Assemblée. Président du Parti social-démocrate slovaque, il assistera impuissant au processus qui conduira à la partition du pays, qu’il réprouve. Sa mort, le 7 novembre 1992, des suites d’un accident de circulation, alimentera des soupçons chez ses partisans. L’enquête confirmera la thèse accidentelle. Mais sa disparition a privé le pays des Tchèques et des Slovaques d’une grande voix en faveur de l’unité.  J.-P. P.

 

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24 août 2018 5 24 /08 /août /2018 05:43

 

Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les chars russes et les troupes du pacte de Varsovie investissent la Tchécoslovaquie. Au petit matin, la capitale, Prague, est quadrillée par les militaires devant des habitants médusés.

«Ce fut à cinq heures dans Prague que le printemps s’obscurcit. » La chanson de Jean Ferrat Camarade exprime la colère et la tristesse des militants de gauche, des communistes en premier chef, à l’annonce de l’entrée des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Elle fait écho aux images de ce matin du 21 août 1968 : ces chars qui manœuvrent sur la place ­Venceslas face à des jeunes gens médusés qui tentent de dialoguer avec des tankistes aussi jeunes qu’eux.

Un choc à la dimension de l’espoir qu’avait éveillé le printemps de Prague, ce nouveau cours emprunté depuis le début de l’année par le Parti communiste tchécoslovaque (PCT) pour insuffler la démocratie dans la vie politique et sociale, après des années d’arbitraire. Ce projet de « socialisme à visage humain », en rupture avec l’héritage stalinien, était largement soutenu par la population. Il ne modifiait pas la position stratégique du pays, qui demeurait membre du pacte de Varsovie, alliance militaire des États socialistes, et du Comecon, organe d’intégration économique de l’URSS et de ses alliés.

Toutefois, ces garanties ne suffisaient pas à calmer les inquiétudes du Kremlin, qui redoutait que le vent des réformes ne soufflât dans les autres capitales d’Europe centrale et orientale. Les dirigeants soviétiques ignoraient qu’en intervenant militairement à Prague, ils ruinaient la dernière chance de donner au modèle issu de la révolution d’octobre 1917 le second souffle qui aurait pu peut-être éviter la fin calamiteuse de l’Union soviétique deux décennies plus tard. Certes, l’histoire n’a pu trancher sur ce qui n’est qu’une hypothèse et restera une question en débat.

MÉCONTENTEMENT SOCIAL ET POLITIQUE

Au cours des années 1960, en Tchécoslovaquie, un pays aux fortes traditions communistes et où le PCT a joué un rôle majeur dans la résistance, un mécontentement social et politique sourd contre un pouvoir autoritaire et encore marqué du passé stalinien. Les terribles procès de Prague contre des dirigeants communistes comme Rudolf Slansky et Artur London, décrits dans le film de Costa-Gavras l’Aveu, ont laissé des traces profondes. L’économie hypercentralisée donne des signes d’essoufflement. Particulièrement visé par les critiques, le secrétaire général du parti, Antonin Novotny, est remplacé en janvier 1967 par le dirigeant slovaque Alexander Dubcek. Celui-ci annonce un programme visant à « réformer ce qui a été déformé ». Au centre du projet, l’affirmation des droits fondamentaux (presse, réunion, expression, circulation), l’abrogation de la censure, la démocratisation de la vie politique et le pluripartisme. Au plan économique, la réforme vise à augmenter l’autonomie des unités de production et les droits des travailleurs par les conseils d’entreprise. L’orientation socialiste est réaffirmée.

Les pressions soviétiques ne tardent pas pour tenter de réduire la portée des changements. L’hostilité de Leonid Brejnev est partagée par d’autres dirigeants comme Walter Ulbricht, le président de la RDA, ou Todor Jivkov, de Bulgarie. Le Hongrois Janos Kadar, dans un premier temps plutôt favorable aux réformes de Prague et qui tente une voie médiane dans son pays une décennie après l’insurrection de Budapest, se ralliera finalement aux vues de ses homologues. Plusieurs réunions se succèdent, à Dresde, à Cierna nad Tisou, à Bratislava, où les dirigeants de Prague sont sommés de s’expliquer et font figure d’accusés. Toutefois, la rencontre de Bratislava le 3 août semble présager d’une relative détente. Dubcek en ressort avec l’assurance que le 14e congrès du PCT pourra se réunir comme prévu en septembre. Les troupes soviétiques, qui viennent de participer à des manœuvres en Slovaquie, repassent la frontière. Les positions de Moscou ont aussi des relais au sein du PCT, où le camp des conservateurs, dirigé par Vasil Bilak, ne reste pas inactif, souhaitant ouvertement une « aide fraternelle » de l’URSS avant que les communistes ne plébiscitent le programme de Dubcek lors du congrès. L’agence Tass expliquera plus tard que le pacte de Varsovie a répondu à une demande « d’hommes politiques tchécoslovaques ».

Néanmoins, pour l’heure dans les rues de Prague, en ces chaudes journées d’août, le soir dans les tavernes à bière, la jeunesse se reprenait à croire en l’avènement d’un socialisme démocratique en Europe de l’Est. Aussi la surprise est-elle glaçante quand peu avant cinq heures du matin, le 21 août, Radio Prague annonce que toute la République tchécoslovaque est occupée. 200 000 soldats confluent dans le pays. D’importantes unités se concentrent devant le siège du comité central du PCT, au Château, la résidence du chef de l’État, et l’immeuble de la radio-télévision. Le gouvernement invite la population à ne pas s’y opposer par les armes. Les principaux dirigeants, Alexander Dubcek et le président Ludvik Svoboda, sont embarqués dans un avion pour Moscou. Ils en repartiront le 26 août après avoir signé le « protocole de Moscou », qui enterre le printemps de Prague avec tout son cortège d’espérances. 

Jean-Paul Piérot

 

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22 août 2018 3 22 /08 /août /2018 06:45

 

Le général communiste Enrique Líster a joué un rôle de premier plan dans l’organisation et la direction des « maquis » espagnols.

L’opération « Reconquista de España» supposait également qu’un hôpital de l’arrière, en France et pas loin de la frontière, serve de « retaguardia » médicale (arrière-garde) aux guérilleros blessés. Le PCE et « l’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols » aménagent à Toulouse, quartier Saint-Cyprien, un vieux bâtiment qui devient « l’Hôpital Varsovie », au 15 de la rue du même nom, un hôpital de qualité, solidaire, militant, qui peu à peu opère et soigne bien au-delà des guérilleros. La plupart des médecins sont militants du PCE ou proches de lui.

 

L’hôpital sera lui aussi, impitoyablement, victime du déploiement policier du gouvernement de « centre-droit et gauche », de l’ Opération de  « Guerre froide »  « Boléro-Paprika » ; « el hospital de los guerrilleros », véritablement décapité, et ses médecins espagnols arrêtés, déportés eux aussi, ou assignés à résidence, etc. Dans la journée même, des médecins communistes français prennent le relais, et l’hôpital prendra le nom de « Joseph Ducuing » en hommage à celui qui reprit la direction et le flambeau. La grande rafle suscite peu de réactions en France de l’époque. Plus il est gros et répété, mieux le mensonge passe... « L’Humanité », la CGT, le PCF, la Ligue des Droits de l’Homme... mènent une campagne de dénonciation et de solidarité. Le chef d’accusation finalement unique appliqué à tous les détenus, au-delà du grotesque : « intelligence avec une puissance étrangère », c’est l’accusation « d’appartenance communiste », et de surcroît étrangère.

 

LÉON BLUM VOLE AU SECOURS DES « BOLÉRISTES » ET LANCE : « LE COMMUNISME INTERNATIONAL A DÉCLARÉ LA GUERRE À LA DÉMOCRATIE »[1].

 

Les militants espagnols, intégrés aux syndicats français, luttent avec leurs camarades. Les autorités françaises, de droite, gaullistes, socialistes, radicales, de « troisième force », haïssent ces « rouges espagnols » révolutionnaires, « bouffeurs de curés », et de patrons. Une belle « union sacrée » ! Le 29 octobre 1948, le président du gouvernement, en pleine grève minière, accuse « la foule criminelle des communistes espagnols » d’avoir « attaqué les forces de l’ordre... ». Il fait porter aux Espagnols la responsabilité des affrontements sanglants, fruits de sa terrible répression contre les puits d’Alès, de Saint-Etienne, du Nord... et les mineurs grévistes. A partir de 1947, la France tourne le dos totalement aux Républicains espagnols et se place ouvertement sous la tutelle des Etats-Unis.

 

La presse française, « Le Figaro » en tête, accusent, eux-aussi, « la cinquième colonne » qui préparerait une « invasion soviétique » du sud de la France. Un danger mortel, totalement fantasmé, mais matraqué jusqu’à plus soif. Une telle parano , il faut le faire ! Ces propos sont repris par le très référentiel « Le Monde », et même « Le Populaire », journal du PS, « France Soir »... « L’Humanité » s’insurge contre l’arrestation de 300 antifranquistes, et le gouvernement qui cède aux pressions de Madrid[2], maltraite des héros de la Résistance, veut « nettoyer » de leur présence le grand sud de la France.

 

Peu à peu, la lutte des classes reprend ouvertement son cours normal. « Mieux vaut Franco que le ‘frente crapular’ ! ». Les socialistes jouent l’attentisme ; en septembre 1945, le plenum du PSOE condamnait l’organisation « de révoltes et d’incidents » qui pourrait légitimer, au plan international, l’existence d’un gouvernement de fait en Espagne »[3]. Le premier août 1950, le sénat nord-américain avait autorisé l’octroi d’un prêt de 62,5 millions de dollars à l’Espagne franquiste. Le 4 novembre 1950, l’ONU revient sur sa résolution du 12 décembre 1946 et autorise désormais ses membres à rétablir les relations diplomatiques avec l’Espagne. Décembre 1951, en ce qui concerne la France... Quelques semaines après « Boléro-Paprika ». Tout est là. Le 8 mai 1948, et le 14 juin 1949, la France et l’Espagne avaient déjà signé des accords commerciaux et financiers.

 

LE 23 SEPTEMBRE 1953, LE PRÉSIDENT EISENHOWER PARAPHE À MADRID AVEC FRANCO, EN GRANDE POMPE, LES « ACCORDS DE MADRID », EN TOUTE « COHÉRENCE » : RECONNAISSANCE DIPLOMATIQUE DU FASCISME ESPAGNOL CONTRE SOUTIEN ÉCONOMIQUE ET MILITAIRE DE WASHINGTON, ET QUATRE BASES MILITAIRES.

 

Comme Somoza, Franco était un « fils de pute », mais c’était « notre fils de pute », comme le déclara, un jour d’inhabituelle lucidité, le président nord-américain.

 

 

[1] DENOYER Aurélie, « Résonances françaises de la guerre d’Espagne », HAL, Archives ouvertes, ed. D’Albray, 2011, p. 295-312.

 

 

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21 août 2018 2 21 /08 /août /2018 08:12
21 août 1941: à Barbès-Rochechouart, Pierre Georges (Fabien) tire sur un officier de la Kriegsmarine. Le début de la résistance armée intérieure
21 août 1941: à Barbès-Rochechouart, Pierre Georges (Fabien) tire sur un officier de la Kriegsmarine. Le début de la résistance armée intérieure
21 août 1941: à Barbès-Rochechouart, Pierre Georges (Fabien) tire sur un officier de la Kriegsmarine. Le début de la résistance armée intérieure

21 août 1941 : à Barbès-Rochechouart, Fabien tire
 

L’acte du militant communiste et résistant, qui, à vingt et un ans, a déjà combattu le fascisme en Espagne, donne le signal de la lutte armée contre l’occupant.
Il est encore tôt, ce matin du 21 août 1941 à Paris. Au métro Barbès-Rochechouart, un officier de la Kriegsmarine s’apprête à monter dans la rame. Deux coups de feu claquent, il s’écroule. C’est dans la France occupée le premier acte de la résistance armée.

Son auteur, Pierre Félix Georges, entrera dans l’histoire sous le nom de colonel Fabien. Né dans le 19e arrondissement, il n’a que vingt et un ans, mais il a déjà combattu le fascisme, en Espagne.

À la fin de l’année 1936, il s’est engagé dans les brigades internationales en mentant sur son âge. Il est communiste. Les deux coups de feu de Fabien vont avoir un sens clair. Pour les nazis, cela veut dire qu’en dépit de la collaboration active du gouvernement de Pétain, de l’appui de la police française dirigée par Bousquet, ils ne seront plus en sécurité. Pour une part de l’opinion française, encore fidèle à Pétain, c’est le signe que la guerre continue. Certes, depuis Londres, le général de Gaulle l’a dit dès le 18 juin 1940. Mais il s’agit de rassembler les forces de l’empire colonial et de reconstituer à partir de Londres une force combattante, s’appuyant en France sur des réseaux de résistance tournés vers le renseignement ou constituant des forces d’appoint dans l’attente du grand jour. L’action de Fabien signifie que le combat au cœur même de la capitale et des villes passe par la lutte armée. C’est aussi un acte politique majeur. La résistance française, pour le PCF, sera populaire, sur la terre de France. La portée de cette décision est considérable. Sans elle, à tout bien considérer, la libération de Paris « par lui-même », selon la formule du général, n’aurait peut-être pas eu lieu.
« Paris a froid, Paris a faim, Paris ne mange plus de marrons dans la rue, Paris a mis de vieux vêtements de vieille », écrivait Paul éluard. Pas pour tout le monde. La collaboration est devenue pleinement active, ce qui ne va pas sans interrogations dans l’opinion. Le 12, Pétain déclare à la radio qu’il sent souffler un vent mauvais : « L’inquiétude gagne les esprits, le doute s’empare des âmes, l’autorité de mon gouvernement est discutée. » Le 14, Vichy décrète que les magistrats, les hauts fonctionnaires et les militaires doivent prêter serment au maréchal. Le 20, la police française, à la demande des Allemands, arrête 3 447 juifs, internés à Drancy.

Au matin du 21 août, un communiqué officiel annonce : « Pour activité en faveur de l’ennemi, le juif Samuel Tyszelman et le nommé Henri Gautherot, tous deux domiciliés à Paris, ont été condamnés à mort. Ils avaient participé à une manifestation communiste dirigée contre les troupes d’occupation allemandes. En exécution de l’arrêt, ils ont été fusillés. » Tous deux étaient des amis de Fabien.
Pour les communistes français, le trouble du pacte germano-soviétique de 1939 est déjà loin. Pas seulement parce que l’Allemagne est lancée depuis juin contre l’Union soviétique, mais parce que la répression contre les communistes, dès juillet 1940, ne laisse guère de place aux ambiguïtés. Pour Vichy comme pour les nazis, les communistes sont l’ennemi principal. Dès octobre 1940, les communistes ont créé les OS, organisations spéciales, dont le but est d’agir contre l’occupant. Le 15 mai, le PCF lance un appel à la constitution d’un front national de lutte pour la libération de la France, et des attentats et sabotages, en particulier contre les installations ferroviaires, commencent à se multiplier. Mais il faut faire plus. Les nazis, dès septembre 1940, ont déjà désigné des otages qui seraient exécutés en cas de troubles. Ils ont exécuté des patriotes. Jacques Bonsergent qui a « bousculé des soldats allemands » en décembre 1940, André Masseron qui a chanté la Marseillaise, le 19 juillet 1941, Roger Roig le 24 qui a tenu des propos injurieux. Le premier, sans doute, fut à Rouen, Étienne Dechavanne, dès juillet 1940.
Il faut un choc. Ce n’est pas si simple. Est-ce la bonne stratégie ? Fabien va donner l’exemple. Ce jeune homme est déjà un combattant aguerri, devenu sous-officier en Espagne, grièvement blessé en 1938. Revenu à Paris il est « ajusteur d’avion » et épouse Andrée Coudrier qui sera déportée à Ravensbrück. Élu au Conseil national de la jeunesse communiste, puis arrêté dans son usine où les ouvriers se solidarisent en se mettant en grève, il s’évade, commence à organiser l’activité clandestine du PCF dans différentes régions. Il revient à Paris début 1941, à la demande de la direction du PCF. Le 21 août, il tire.
Fabien installe ensuite le premier maquis de France dans le Doubs, attaqué en octobre par la gendarmerie. Il est de nouveau blessé, à la tête. Il traverse le Doubs à la nage, regagne Paris. Arrêté par la police française, il est torturé et remis à la Gestapo. Il s’évade du fort de Romainville et reprend les combats dans divers maquis. En 1944, il est l’un acteurs importants de l’insurrection parisienne. Le groupe qu’il commande devient le 151e régiment d’infanterie sous les ordres du général Delattre de Tassigny. Ce dernier le voyait déjà général. Le 27 septembre 1944, Pierre Georges, le colonel Fabien, saute sur une mine dans des conditions restées imprécises. Il avait vingt-cinq ans.
Maurice Ulrich

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