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28 décembre 2020 1 28 /12 /décembre /2020 12:46
Du métro au maquis, la résistance armée du Colonel Fabien - L'Humanité, 28 décembre 2020, Paul Ricaud
Du métro au maquis, la résistance armée du Colonel Fabien - L'Humanité, 28 décembre 2020, Paul Ricaud
Du métro au maquis, la résistance armée du Colonel Fabien - L'Humanité, 28 décembre 2020, Paul Ricaud
Du métro au maquis, la résistance armée du Colonel Fabien
Lundi 28 Décembre 2020 - L'Humanité

Jeune militant, combattant antifasciste, franc-tireur, militaire… Le Colonel Fabien, né Pierre Georges, a marqué l’histoire en étant le premier résistant à abattre un soldat allemand.

 

Le 21 août 1941, il est un peu moins de 9 heures quand trois hommes pénètrent dans la station de métro Barbès- Rochechouart, à Paris. Deux d’entre eux montent sur le quai, en face du wagon de la première classe. Chacun tient dans sa paume un revolver. Celui qui est utilisé, un 6,35 mm, a été « emprunté » à la mère d’un étudiant communiste. Il est tenu par un jeune homme de 22 ans. Sa cible, l’aspirant allemand Alfons Moser. Deux coups de feu retentissent dans la rame et sur le quai. Les résistants s’enfuient et se retrouvent dans un square. Le tireur est surnommé Fabien. « Il respire profondément et fait un mouvement d’expiration avec ses bras. Il s’exclame : “Titi est vengé.”», racontera l’un des camarades de Fabien après l’opération. Samuel Tiszelman « Titi » avait été fusillé par l’occupant deux jours plus tôt. L’attentat du métro Barbès fait office de représailles. Il fait surtout entrer la résistance française dans la lutte armée, et le tireur dans la mythologie de ce combat : il s’agit du tout premier attentat meurtrier visant un soldat allemand de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Si la postérité a retenu le pseudonyme du Colonel Fabien, la vie clandestine de Pierre Georges lui en a donné d’autres. Issu d’une famille de militants (son frère sera maire des Lilas), il rejoint les Jeunesses communistes dès 14 ans. À 17 ans, il ment sur son âge et fait ses premières armes en tant que Frédo, dès le début de la guerre d’Espagne, en 1936. En intégrant les Brigades internationales, il choisit la lutte armée contre le fascisme. « Il brûlait d’envie de partir au front, mais on le retenait à cause de son âge », peut-on alors lire dans un rapport le concernant. Blessé au ventre, Frédo retourne en France en 1938 et devient ouvrier. Il est ensuite élu au comité central des Jeunesses communistes. À la fin de l’année 1939, le PCF est interdit, mais le futur Colonel Fabien reste plus que jamais militant et s’engage dans la Résistance sous l’occupation allemande. En juillet 1941, il devient commissaire militaire de l’Organisation spéciale du PCF.

Icon Quote Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort de nos mains, ils n’avaient qu’à rester chez eux. » GÉNÉRAL DE GAULLE

Mais Pierre Georges ne fait pas qu’organiser les troupes : il donne lui-même l’exemple. À l’été 1941, il se charge donc personnellement de l’assassinat d’un officier allemand approuvé par les dirigeants de la France libre. « Les coups de feu tirés par le jeune Français sont la suite logique, fatale, inéluctable de l’attentat permanent contre la nation française par l’ennemi et ses complices, (…) l’attentat appelle l’attentat », réagit Maurice Schumann sur Radio Londres. L’attentat du métro Barbès enclenche une dure vague de répression, de nombreux otages résistants sont exécutés. Si le général de Gaulle désapprouve la méthode de la guérilla urbaine, il apporte son soutien à Fabien : « Il est absolument normal et absolument justifié que des Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort de nos mains, ils n’avaient qu’à rester chez eux. »

La colonne Fabien combat jusque dans le Haut-Rhin

Passé ce fait d’armes, Frédo s’implique toujours plus. En 1942, il organise dans le Doubs l’un des premiers maquis français. Pour échapper à la milice, il traverse le fleuve à la nage et est blessé à la tête. Il prend les traits de l’abbé Paul-Louis Grandjean avant d’être finalement rattrapé et arrêté. Frédo est emprisonné, torturé, condamné à mort, puis finalement transféré au fort de Romainville pour être déporté, mais il s’échappe. Sitôt libre, il s’implique dans l’organisation des maquis dans les Vosges, la Haute-Saône et le Centre-Nord.

Responsable FTP pour tout le sud de la région parisienne, il prend le nom de Colonel Fabien en 1944 et participe à la libération de Paris, en août. À l’automne, il rassemble 500 hommes prêts à combattre aux côtés des alliés, auprès du général Patton puis aux côtés de Lattre de Tassigny. La colonne Fabien combat jusque dans le Haut-Rhin, où, dans des conditions jamais élucidées, son chef trouve la mort en manipulant une mine, en décembre, à seulement 25 ans. La place qui accueillera plus tard le siège du Parti communiste français et la station de métro qui lui fait face prennent son nom dès l’année suivante.

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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 18:06
Discours de Marie-Claude Vaillant Couturier après la Libération, résistance, déportée, députée communiste

Discours de Marie-Claude Vaillant Couturier après la Libération, résistance, déportée, députée communiste

Essor et déclin du communisme français

Il y a cent ans naissait un parti authentiquement populaire

Article Le Monde Diplomatique, décembre 2020

Dès qu’il vit le jour, en décembre 1920, le Parti communiste français revendiqua une place singulière dans le paysage politique hexagonal : celle de la seule formation populaire, dirigée par des gens du peuple pour servir les intérêts de celui-ci. À l’heure où le fossé entre classes dirigeantes et classes laborieuses paraît plus profond que jamais, son histoire est riche d’enseignements.

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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 17:48
Ce que la France doit au Parti communiste - par Patrick Le Hyaric, 24 décembre 2020
Ce que la France doit au Parti communiste
Jeudi 24 Décembre 2020 - L'Humanité
 

Cent ans déjà, 100 ans à peine. Nous fêtons cette semaine la fondation du Parti communiste français. Né de l’horreur de la Première Guerre mondiale, du refus de la collaboration qu’une partie du courant socialiste scella avec l’Union sacrée, ce parti, qui sut concilier le drapeau tricolore et le drapeau rouge, a toujours été un élément moteur de l’union populaire et des forces prônant la transformation sociale, comme le fer de lance des combats internationalistes pour l’émancipation humaine.

Malgré les obstacles, les persécutions dont ses militants ont souvent été l’objet, les erreurs et retards dont il a su faire la critique, on ne peut enlever aux générations de militants leur dévouement sans faille à la défense des intérêts populaires, la fidélité à ceux de leur pays et à la solidarité internationaliste, les combats pour la paix, le désarmement et l’antiracisme. C’est par la voix de ces militants que les noms de Sacco et Vanzetti, Julius et Ethel Rosenberg, Angela Davis, Nelson Mandela, comme ceux de Marwan Barghouti et de Mumia Abu Jamal ont pu s’inscrire dans les rues et résonner sur les places publiques.

Deux des combats portés par les communistes trouvent aujourd’hui une singulière résonance. Tout d’abord, l’appel que le Parti a lancé avec ses parlementaires pour s’opposer à la Constitution gaullienne de 1958, dont le présidentialisme exacerbé continue d’être un verrou institutionnel bloquant toute perspective de changement. De même, ses propositions pour refuser « l’Europe du capital », dès la fin des années 1950, comme l’incomparable force d’entraînement qu’il a constituée pour que les Français refusent le projet de Constitution européenne, après avoir été le seul parti à refuser l’Acte unique, puis le traité de Maastricht, tout en travaillant à une union des peuples souverains fondée sur des projets communs, démontrent sa capacité d’anticipation.

Les tentatives répétées d’effacer son apport à l’histoire de France, par la guerre idéologique comme par l’empilement des contre-réformes vouées à l’anéantissement d’un siècle de conquêtes sociales, témoignent de l’intangible détermination des capitalistes et de leurs serviteurs à plonger dans l’oubli politique les classes populaires et leurs aspirations à vivre mieux, libres et respectées. C’est ainsi que le champ politique tend aujourd’hui à se résumer à un panel de nuances, parfois fortes, voire inconciliables, mais dont les classes populaires sont absentes, reléguées ou renvoyées dans la foule des abstentionnistes anonymes.

Prolongement de l’histoire révolutionnaire du pays, le communisme en fut tout autant la « rupture » en proposant pour la première fois au large peuple du travail un cadre d’organisation inédit, performant et fraternel, que chacune et chacun investissait en le transformant, rendant vivante la maxime de la Ire Internationale selon laquelle « la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Ce faisant, le Parti communiste permit à des millions d’entre eux d’acquérir des compétences rivalisant avec celles de la bourgeoisie, d’accéder à des formations de très haut niveau politiques, culturelles, scientifiques, donnant ainsi honneur et dignité à celles et ceux qui n’étaient jusqu’ici jugés dignes ni de l’un, ni de l’autre.

Des générations d’élus gagnant des responsabilités jusqu’aux ministères, de responsables syndicaux ou associatifs devinrent ainsi des « cadres » de grande qualité, restés proches du peuple dont ils et elles étaient issus. Cela au bénéfice de l’ensemble de la nation, qui s’est redéfinie à l’aune des conquêtes sociales arrachées par les travailleurs organisés.

Ses ennemis d’aujourd’hui comme d’hier refusent d’accepter que l’essor de la démocratie en France soit étroitement lié à celui du phénomène communiste. Sans l’apport communiste, la République n’aurait pu être qualifiée de démocratique, de sociale ou de laïque que par abus de langage. Plus que cela, par son activité intense, ses victoires politiques, son ancrage, il a retissé le lien avec les avancées décisives, philosophiques et politiques, de la Grande Révolution ou de la Commune. Et quand la nation sombrait sous la collaboration, il en fut l’honneur. C’est à lui que l’on doit ces fragments de communisme que sont la Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, la création d’EDF, les congés payés, les services publics, la retraite solidaire par répartition, les réductions du temps de travail, plusieurs nationalisations, les maisons de la Culture comme les centres de santé dans les municipalités, la solidarité concrète avec les travailleurs immigrés.

Les classes possédantes ont ainsi été contraintes de céder du terrain, non pas tant par la radicalité des discours et des postures que par l’organisation politique massive de celles et ceux qui ont un intérêt objectif à changer le monde : l’immense peuple des travailleurs, dont les plus exploités d’entre eux, les créateurs. Cette irruption des classes populaires, conscientes de leur poids, de leur rôle historiques, de leurs responsabilités à l’égard du peuple français comme des peuples du monde en a fait pâlir plus d’un. Et le poids que le Parti communiste, certes réduit, continue d’exercer par l’activité parlementaire, par l’engagement de ses milliers d’élus et de ses réseaux militants, qui en ce moment même organisent la solidarité avec les plus démunis dans les quartiers, animent des combats pour la garantie de l’emploi dans des entreprises et se placent aux côtés des créateurs, n’a pas fini d’exaspérer les tenants de l’ordre injuste qui ne rêvent que de conjurer définitivement le spectre d’un changement révolutionnaire, au moment où le mode de développement capitaliste est entré en procès permanent.

Comme ont su le faire les anciennes générations de militants et de dirigeants, l’heure est à l’invention pour une puissante ambition transformatrice, rassembleuse et innovante. Avec, au cœur de tout, la démocratie jusqu’au bout, la démocratie pour de vrai. Voilà ce à quoi se refusent les capitalistes. Voilà ce qui continue d’inspirer les communistes.

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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 14:06

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du Colonel-Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

 

Des longs entretiens entre Marchal, Guérin et Durand, il ressort que le fonctionnement et l’activité de la CIA à Paris sont très hiérarchisés, très compartimentés aussi. Il y a les agents de terrain, les agents de base comme Marchal : ils ne sont jamais de nationalité française ou américaine, ils sont belges, ou allemands, parfois hongrois. Ils se présentent sous la couverture de représentants de commerce ou d’agents immobiliers. Ces petites mains sont choisies en fonction du travail qu’on attend d’eux ; on va prendre par exemple un ex-mannequin s’il est chargé de séduire une cible ; pour assurer une filature, un ancien agent de sécurité de l’Otan fera très bien l’affaire. Si ces personnages venaient à rencontrer des problèmes avec les autorités, ils seraient exfiltrés du pays sans difficulté, en évitant toute complication diplomatique.

Au-dessus des agents, il y a les analystes, les chefs de l’opération. Eux sont américains. Ce sont eux qui récupèrent toutes les infos recueillies, qui classent, qui trient, qui font tourner leurs machines, qui relancent si nécessaire les agents dans leurs recherches

Marchal cite cet exemple : la Centrale avait entendu dire que des dirigeants communistes résidaient dans telle tour, ou telle cité d’une banlieue proche ; elle souhaitait avoir les noms de tous les résidents de l’immeuble afin de les donner à ses ordinateurs et voir quels recoupements elle pourrait faire avec ses propres fichiers.

Ces analystes font carrière dans l’Agence, ils ont le statut d’« officiers » et bénéficient d’une couverture diplomatique. D’ailleurs le numéro de téléphone qu’ils donnent à leurs espions est tout simplement celui de l’ambassade. Selon Marchal, les contacts avec la hiérarchie se passaient ainsi : au standard de l’ambassade, l’agent demandait le poste X ; là il déclarait souhaiter parler à Y. Si on lui répondait : « désolé il/elle ne travaille plus ici » (en ajoutant sans doute quelques formules convenues), cela signifiait que l’agent avait rendez-vous à telle heure dans telle brasserie avec son « correspondant ». En règle générale, ce genre d’entretien se passait dans le quartier de l’Etoile ou près d’une station de métro de la ligne 1.

Ces services américains jouissent sous le giscardisme en gloire d’une assez large impunité. Le fait que les maîtres espions puissent être joignables directement à l’ambassade américaine, même sous une forme vaguement codée, en est un signe. On n’ira pas jusqu’à dire que l’agence agit alors à visage découvert, mais disons qu’elle opère sans trop prendre de précautions.

Comme l’annonce Marchal, ce que reprendra d’ailleurs Alain Guérin quelques mois plus tard dans un article de l’Humanité dont nous reparlerons, la CIA organise ainsi en plein Paris aussi bien ses activités de « contrôle » du personnel que des stages d’entrainement des agents, toutes choses qui supposent une certaine logistique (et qui doit se voir des services français).

Les stages d’ « entrainement » ou de « drilling » des agents se déroulent dans divers appartements parisiens dont l’un est situé non loin du métro Abbesses dans le 18e arrondissement. Ces stages comportent des cours théoriques sur des thèmes tels que « la démocratie américaine » ou « pourquoi il faut lutter contre le communisme », des cours pratiques aussi, par exemple de « filature », avec des projections de films, des exercices de mémorisation.

D’autre part, la CIA aime contrôler régulièrement son personnel en le faisant passer au « détecteur de mensonge », un appareil censé mesurer les émotions d’un individu quand il est interrogé ; c’est une règle, semble-t-il, intangible de cette organisation. Ces séances se passent soit dans un grand hôtel du quartier des Tuileries, soit dans un appartement proche de La Motte-Picquet-Grenelle.

On a parlé des agents et des officiers/analystes, reste les spécialistes. Eux sont sollicités pour des opérations ciblées. Ils viennent tout exprès de Francfort/Main, QG de la CIA en Europe, ou de Washington (on présenta à Marchal l’un d’eux comme un ancien du Watergate…). Leur mission ? la pose d’un matériel d’écoute sophistiqué par exemple ou le repérage d’appartements ou d’immeubles à louer ou acheter comme bases d’espionnage des environs.  En règle générale ils déconseillaient toute opération sur des cibles logées en HJM : trop compliqué pour obtenir des appartements voisins dans ce secteur public… En revanche, si la cible résidait dans le privé, ils n’hésitaient guère à louer ou acheter les appartements (ou pavillons) à proximité. Leur mission, précise et limitée, une fois remplie, ils retournaient à leur camp de base.

Gérard Streiff

 

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26 décembre 2020 6 26 /12 /décembre /2020 13:57

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du Colonel-Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

 

Marchal confirme que le siège du PCF est l’objet d’une surveillance constante. Dans son dispositif, la « Central Intelligence Agency » (CIA) possède un appartement 83 boulevard de la Villette, à deux pas de « Fabien », d’où sans doute elle tente d’écouter ce qui se passe dans l’immeuble de verre. Aux alentours du bâtiment, une équipe, où opère Marchal, est chargée de noter tous les mouvements, les entrées et sorties, de véhicules et d’employés, un travail méthodique avec, par exemple, établissement de listes interminables des plaques d’immatriculation. Avec la complicité de la police de Poniatowski, le ministre de l’Intérieur de l’époque, l’agence n’aurait guère de mal à identifier les propriétaires et leurs adresses, puis de choisir des objectifs plus précis. Marchal raconte alors une technique simple pour entrer en contact - si on peut dire - avec un de ces propriétaire : repérer le véhicule en stationnement près du lieu où il réside, donner (discrètement, de nuit par exemple) un petit coup (de marteau) sur la carrosserie, laisser un billet d’excuse sur l’essuie-glace avec un numéro de téléphone, attendre. Lors de la rencontre qui suit, immanquablement, l’agent (avec son nom d’emprunt) se montre très conciliant, indemnise sans problème, cherche à sympathiser, suggère - pourquoi pas - de se revoir pour un apéro, etc.

Place du Colonel-Fabien, les agents disposent d’une valise-caméra qui photographie les voitures et les individus. Le matériel est un peu encombrant et Marchal demanda un jour s’il n’y avait pas moyen d’installer un « soum » (du mot sous-marin), c’est ainsi qu’on désigne en argot policier ces camionnettes qui semblent stationner ad vitam aeternam à la même place et d’où on procède à une surveillance discrète d’un quartier… On lui répondit texto : « Non, les Français le font ! » Comme quoi il y avait du beau monde autour du siège communiste ces années-là !

La surveillance vise aussi à identifier les employés, une partie du moins – Marchal dénombre 175 personnes occupées alors à Fabien, un chiffre assez vraisemblable. Les agents doivent donner de brèves descriptions de ces hommes, de ces femmes : âge, taille, couleur des cheveux, habillements, etc. Si le « centre » le demande, ils peuvent prendre certaines personnes en filature. Un même agent n’assure pas toute la « filoche », plusieurs se relaient ; ou alors il « tronçonne » son travail, par exemple le premier jour, il va suivre la cible de Fabien au métro, le jour suivant il l’attend du métro pour aller jusqu’à une correspondance du RER, le jour d’après du RER au domicile, etc.

Quand il est établi (par le centre) que la cible vaut le coup, l’agent cherche la rencontre. Si la rencontre se fait, trois moyens de pression sont possibles, la corruption, l’exploitation d’un point faible ou la séduction.

Corruption : les Américains répètent à Marchal que tout s’achète. Pour l’Agence, « des offres de mensualités de l’ordre d’un million d’anciens francs doivent être irrésistibles ».

Séduction : il peut être demandé à l’agent de repérer si la personne suivie porte une alliance ou pas. Des collaboratrices (plus rarement des collaborateurs) sont ciblées, leurs modes de vie inspectés. Marchal parle d’un agent dont ce travail de séduction était en quelque sorte la spécialité. Il détailla, pour s’en moquer avec Guérin et Durand, une histoire où cet « expert » avait réussi une première approche, il géra une puis deux rencontres préliminaires pour finalement se prendre un râteau !

Point faible : l’agent doit chercher si la cible est sensible à certaines dérives, alcool, sexe… La CIA s’intéresse particulièrement aux services « périphériques » de Fabien, en particulier les agences de nettoyage/entretien et la cantine ; elle va repérer un responsable d’une agence d’entretien qui mènerait une vie privée tumultueuse, avec un petit penchant pour les « partouzes ». Marchal ira même plusieurs soirs de suite sous les fenêtres du bonhomme pour vérifier si le lieu était « chaud ». Quoi qu’il en soit, un agent va prendre contact avec lui en prétendant être propriétaire d’importants locaux de bureaux (qui seraient proches de Fabien) et solliciter les services de sa société. À l’évidence, ici, les contacts iront assez loin.

Pour finir, un détail qui montre l’ingéniosité de nos espions : on fume dans les bureaux à cette époque ; il y a donc des cendriers partout et notamment des cendriers estampillés Ricard, interchangeables ; l’objectif était de récupérer un de ces objets (facile à manier et à remplacer) ; des techniciens (venus tout exprès) y incorporeraient un micro et le cendrier ainsi « armé » reprendrait sa place.

 

Gérard STREIFF

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25 décembre 2020 5 25 /12 /décembre /2020 13:55

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du Colonel-Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

 

Lors des différents entretiens avec Marchal, à l’hôtel Le Méridien de la Porte Maillot, l’ordre du jour est assez informel ; à en juger par les comptes rendus d’archives, la discussion pouvait passer du coq à l’âne. Marchal livra en vrac une série d’informations, toujours confirmées par des documents peu contestables (lettres, papiers divers). Par exemple, il signala qu’un cadre (en retrait de la direction fédérale) d’une fédération du Sud avait écrit, en janvier 1975, au consulat américain de Marseille. Il offrait ses services aux Américains pour les informer (de l’intérieur) de l’actualité communiste. Le consulat réagit avec retard, sans doute pour vérifier les faits. Il envoya même un courrier, au contenu très neutre, pour accuser réception ; le correspondant américain s’appelait - ou se faisait appeler plutôt - Walter Allee. Au final ça ne se fera pas. Pourquoi ? Dans le fonds d’archives on assure que l’homme, le candidat taupe, aurait entretemps adhéré au PS…

Après l’espionnage des Vietnamiens, Marchal fut aussi, un moment, affecté à la surveillance de personnalités soviétiques (l’un d’eux résidait rue de la Faisanderie). Le groupe de Marchal pouvait aussi favoriser la sortie de dissidents de pays de l‘Est avec la méthode suivante : un agent se rendait en voiture (en grosse voiture) en Bulgarie où il laissait le véhicule et de faux papiers d’identité ; il revenait en France par avion ; l’opposant russe pouvait accéder sans trop de problème en Bulgarie ; il y récupérait l’automobile et sa fausse identité, et passait à l’ouest, par la Grèce.

Cependant, l’essentiel de l’activité d’espionnage de Marchal va très vite consister à espionner le siège de la direction nationale du PCF, le tout nouvel immeuble de la place du Colonel-Fabien. Une partie du bâtiment alors est encore en travaux. Marchal vit cette nouvelle fonction comme une promotion ; il doit aussi s’attendre à une meilleure rétribution (ce qui, semble-t-il, ne se fera pas et l’agacera fortement).

Le travail de son équipe consiste à repérer tous les mouvements des dirigeants, des employés du siège, et si possible à infiltrer des micros dans l’immeuble.

Les Américains ont trois dirigeants communistes dans le collimateur : Georges Marchais, Gaston Plissonnier, Jean Kanapa.

Marchais : Il est alors en pleine gloire, politique, médiatique. Un des objectifs est de poser un micro dans sa voiture. Manifestement cet objectif sera atteint, les « services » réussiront à « sonoriser » (comme ils disent) son véhicule où se trouvait aussi le chauffeur (et parfois le garde du corps). Marchal se souvenait de l’enthousiasme de sa hiérarchie à l’annonce de ce « succès ». (Évidemment, aussitôt avertie, la direction prendra les mesures adéquates…).

Plissonnier : Il a la réputation de tout savoir sur tout, depuis toujours, il fut donc amplement ciblé. C’est sa maison personnelle, un pavillon dans les Hauts-de-Seine, qui doit être particulièrement visé. Les services ne sont pas regardants en matière financière et sont prêts à louer ou acheter tout lieu proche du pavillon. Selon Marchal, ils sont alors équipés pour écouter efficacement jusqu’à 200 mètres de distance. Ils vont même faire venir « en urgence » de Washington des experts en écoute pour apprécier le terrain, les meilleures possibilités d’écoute, etc.

Kanapa : Les archives contiennent cette phrase de Marchal : « Kanapa c’est le principal. » Il faut dire qu’il était à la fois le principal conseiller de Marchais et le chef de la « polex », la section internationale du PCF. Il connaissait parfaitement le mouvement communiste mondial et encourageait une orientation « eurocommuniste ». La presse parfois le présentait comme un possible ministre des Affaires étrangères en cas de victoire de la gauche aux prochaines élections. Alors ils pistent Kanapa et il leur vient une idée étonnante, même si tout est étonnant dans ce dossier. Il est demandé à Marchal et à tous les agents d’être extrêmement précis dans leurs descriptions de Kanapa, taille, visage, look, tics, cheveux, costumes, habitudes. Il avait un type bien marqué, c’était un homme fin, élégant, le visage sévère, les cheveux plaqués, un peu l’air - avec tout le respect qu’on lui doit - d’un officier britannique de l’armée des Indes, genre David Niven… La CIA demande donc sur lui une profusion de détails. Leur idée, c’est de « fabriquer » un sosie de Kanapa ! De se servir de ce doublon pour fouiller notamment son appartement (à Bagnolet) lorsqu’il serait occupé à Fabien ou en voyage. Envisageaient-ils que le faux Kanapa trompe la vigilance des gardes et entre aussi à Fabien ? Un face à face entre Kanapa et son sosie dans un ascenseur de Fabien n’aurait pas manqué de sel…

Gérard Streiff

 

 

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 13:53

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du Colonel-Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

 

Gaston Plissonnier en avait déjà vu de toutes les couleurs dans sa longue vie de dirigeant. Pourtant le secrétaire national du PCF (les moqueurs l’avaient surnommé « le secrétaire perpétuel ») dut être plutôt surpris ce jour du printemps 1975 où un inconnu lui fait savoir que « la CIA m’a chargé de vous surveiller ». L’homme lui tendit un papier où étaient indiqués son nom, son adresse (Massy), son numéro de téléphone. Vérification faite, ces coordonnées étaient correctes. Il était marié, avait deux enfants et s’appelait Joseph Marchal, citoyen belge et espion américain. Ce quinqua avait une longue expérience et de soudains scrupules. À l’évidence, il ne s’agissait pas d’un mythomane mais bien d’un agent qui avait décidé de libérer sa conscience, de manger le morceau comme on dit. Par précaution, par pudeur aussi sans doute, Gaston Plissonnier se voyait mal en train de confesser le personnage. Il lui proposa de rencontrer le journaliste communiste Alain Guérin, et un jeune étudiant, Dominique Durand, pour poursuivre cet échange qui s’annonçait plutôt passionnant. Marchal accepta. Il accepta aussi que ses rencontres soient enregistrées sur magnétophone. Ainsi commença, au milieu de cette année 1975, une série d’entretiens secrets entre un espion américain et des « émissaires » communistes français.

Un mot sur le contexte : Giscard d’Estaing alors est au pouvoir depuis peu mais la contestation, politique et sociale, est forte. La gauche a le vent en poupe, elle vient de signer un « programme commun ». Le PCF pèse dans les 20 %, entame sa démarche « eurocommuniste » ; le nouveau PS se renforce, et tout le monde s’attend peu ou prou à ce que la coalition des gauches l’emporte bientôt. Beaucoup en rêvent, ici ; certains paniquent, ailleurs, du côté américain notamment. Et puis c’est à Paris que se tiennent les négociations sur la fin de la guerre au Vietnam. Washington veut suivre de près cette actualité. Dans ce but, la CIA va mettre de gros moyens pour comprendre (et entendre) ce qui se passe dans cette capitale et notamment du côté du Colonel-Fabien. Paris devient un « nid d’espions », comme dira l’écrivain Faligot. Mais la Centrale américaine va connaître un problème assez inédit, un imprévu, et c’est ici que commence notre histoire : un de ses espions a des états d’âme, des rancœurs, il est aussi pris de doute. Incroyable mais vrai, comme dit l’expression populaire.

Marchal va donc avoir six longs échanges avec ses deux correspondants communistes. Il va raconter avec beaucoup de précisions son parcours d’espion. Le premier entretien se passe dans une voiture, qui va rouler sur le périphérique pendant toute la discussion. Histoire d’éviter d’éventuels micros, enfin d’autres micros que ceux de Guérin et Durand. Les entretiens suivants se passeront dans un grand hôtel (Le Méridien de la porte Maillot). À chaque fois Marchal demandera si on avait bien vérifié l’état de la chambre, de la salle de bain, etc. Ces discussions se dérouleront notamment le 6 juin, le 25 juillet, le 8 décembre 1975 et courant janvier 1976. Pourquoi Marchal se mettait-il à table ? Disons qu’il agissait autant par aigreur à l’égard de son propre « Service » et de sa direction (des histoires de rémunérations…) que par bienveillance tardive à l’égard des communistes français. Dans sa jeunesse, il avait participé à la résistance antinazie en Belgique, il lui restait sans doute des traces de ses années de formation.

Ceux qui l’ont connu parlent d’un Monsieur-tout-le-monde. Aucun signe particulier, pas même un accent belge. Né en 1923, près de Givet, résistant, il se retrouva dans les « services » belges après-guerre. Il mena diverses affaires en Afrique avant de travailler pour l’OTAN (il montra tous ses états de service). En 1971, il est sollicité par la CIA pour « travailler » à Paris. Un Américain, venu de Francfort, Allemagne (QG des forces US en Europe), le fit passer au détecteur de mensonges. À la suite de quoi, il est engagé. Washington a alors une obsession : le Vietnam. Les USA, qui croyaient ramener ce pays à l’âge de pierre comme avait dit un de ses militaires, étaient en échec sur le terrain, en échec aussi dans les têtes : un puissant mouvement anti-guerre les avait contraints à négocier. Ces négociations se passent à Paris. La CIA veut absolument connaître les intentions des diplomates vietnamiens. Aussi elle va traquer les résidences où ils séjournent, sonder les murs, poser des micros, tout écouter, traduire, informer autant que faire se peut, Kissinger, le négociateur US, des réflexions de Hanoï. Marchal fait partie de ces espions (il s’agissait chaque fois d’équipes importantes), il donne des dates, des adresses, des noms, il décrit dans le détail comment les services s’infiltrent dans les appartements visés (ils auraient placé un jour un micro dans un matelas), comment ils achètent, louent, occupent les lieux voisins des responsables vietnamiens ; comment l’Agence envoie des spécialistes (certains ont travaillé sur le Watergate), venus soit de Francfort, soit de Washington, pour des actions très ponctuelles. Leur job ? tester les outils d’écoute les plus sophistiqués du moment. Un jour, des collègues maladroits (il donne leurs prénoms) ont traversé complètement avec leur sonde le mur mitoyen donnant sur une des résidences vietnamiennes. Craignant que les « victimes » ne s’en rendent compte, on gèle l’opération, les « spécialistes » reprennent l’avion, les autres se mettent au vert, une semaine, deux semaines, le temps de voir. Mais leur « erreur » n’est pas repérée (genre quelques poussières de plâtre tombées dans l’appartement inspecté), tous se remettent au travail.

Gérard Streiff

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 07:34
Centenaire du PCF - Congrès de Tours, 25 décembre 1920: L'ouverture du congrès prometteur (Jacques Girault, L'Humanité, 24 décembre 2020)
Centenaire du pcf. 25 décembre 1920, l’ouverture d’un congrès prometteur
Jeudi 24 Décembre 2020

À 9 heures, à Tours, ce jour de Noël, la salle du Manège accueille les délégués de la SFIO. Après plusieurs jours de débats intenses, le 30 décembre, à 2 h 45, la majorité vote l’adhésion à l’Internationale communiste. Retour sur ce huis clos décisif.

 

En France, dans le Parti socialiste SFIO, les minoritaires, avec Jean Longuet et Louis-Oscar Frossard, l’emportent en octobre 1918, mais le parti perd les élections l’année suivante. Dans la CGT, les grèves et les actions ouvrières qui ont continué pendant le conflit échouent en 1920. L’espoir vient du bolchevisme. Après un premier Parti communiste, un Comité de la IIIe Internationale naît en mai 1919. Les anciens opposants à l’Union sacrée décident de mener leur action dans ou en direction du parti socialiste SFIO. Ils lancent le Bulletin communiste, en mars 1920, pour faire connaître les idées bolcheviques.

Le Parti socialiste décide, en février 1920, d’entreprendre des discussions exploratoires avec la IIIe Internationale, après la rupture décidée avec la IIe Internationale. En juin 1920, le secrétaire général Frossard et le directeur de l’Humanité Marcel Cachin partent en Russie pour négocier avec ­’Internationale communiste (IC).

Dans le même temps, la stratégie de cette dernière change d’orientation. Après l’échec de la révolution mondiale, il faut faire adhérer les partis socialistes à l’IC et les bolcheviser ensuite. Le congrès de l’IC insiste sur la rupture totale avec le réformisme. Les 21 conditions énoncent les principes de tout parti communiste de type nouveau, centralisé sur le plan national et dans sa structure internationale. Le choix de procéder à la constitution de partis communistes expurgés impose des scissions dans les partis socialistes. La France est un des champs d’application.

Les résultats du vote des fédérations confirment la scission

Le samedi 25 décembre 1920, à partir de 9 heures, la salle du Manège à Tours commence à se remplir de délégués au congrès national du Parti socialiste SFIO. L’harmonie la Lyre du peuple exécute l’Internationale, un chœur de fillettes du patronage laïc interprète le Chant des ouvriers, de Pierre Dupont. À 10 h 30, Louis-Oscar Frossard, secrétaire général du Parti socialiste SFIO, ouvre le congrès et procède à la mise en place des structures habituelles des congrès nationaux de la SFIO depuis la création du parti en 1905. Après quatre journées de débats, la séance de nuit s’ouvre le mercredi 29 décembre. On savait dès l’ouverture que l’adhésion à l’Internationale communiste l’emporterait. Après les explications de votes données par les représentants des fédérations, la tendance s’est confirmée. Après que Léon Blum eut annoncé le retrait de la motion du Comité de Résistance, les résultats du vote des fédérations confirment la scission à la suite de l’ultime tentative de maintenir l’unité du parti. À l’annonce de la poursuite du « congrès communiste », Frossard précise que « le socialisme français continue » et commente : « L’inévitable s’est accompli. » Il est 2 h 45. Cette séance a été marquée par des agitations, non signalées dans le compte rendu officiel, conséquence des négociations entre minoritaires.

Paul Vaillant-Couturier lit l’acte de naissance du nouveau parti

Le matin du 30 décembre, toujours dans la salle du Manège, le congrès communiste se déroule. Paul Vaillant-Couturier lit l’acte de naissance du Parti socialiste (section française de l’Internationale communiste). Après les réunions séparées des partisans de la Résistance autour de Blum et des Reconstructeurs autour de Longuet, les deux courants minoritaires se retrouvent, l’après-midi, pour réorganiser le Parti socialiste de l’Internationale ouvrière, la « vieille maison », selon l’expression de Léon Blum.

Les analyses propres au Parti communiste viennent de loin. Héritière de clivages anciens, résultant des analyses marquées par la radicalité sensible dans les couches sociales défavorisées depuis la Révolution française, relayées par des théoriciens de formes avancées se réclamant du socialisme, l’aspiration communiste dans la société se réveille avec la guerre et la révolution bolchevique. Le Parti socialiste SFIO en France et les partis constitutifs de l’Internationale socialiste n’ont pas poursuivi l’action de Jaurès pour maintenir la paix. La guerre s’est aggravée avec la participation des socialistes. Exploitant la faiblesse du pouvoir, les bolcheviques en Russie ont triomphé et s’engagent dans la constitution d’une Internationale communiste qui entend provoquer la révolution mondiale. La majorité des socialistes français choisissent cette voie. Reste à construire le parti défini dans les 21 conditions d’adhésion à l’Internationale communiste.

Jacques Girault

Historien

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 07:25
Martha Desrumaux: la lutte chevillée au corps - Marie Toulgoat, L'Humanité - 23 décembre 2020
Martha Desrumaux, la lutte chevillée au corps
Mercredi 23 Décembre 2020 - L'Humanité

L’ouvrière et syndicaliste du Nord aura été de tous les combats : contre le fascisme, contre le capitalisme, contre le patriarcat. Une obstination dans l’engagement de tous les instants qui lui aura valu l’expérience sinistre de l’enfer concentrationnaire.

 

En 1943, dans l’atelier du camp de concentration de Ravensbrück, Martha Desrumaux est affectée à la couture. Neuf heures par jour, elle et ses camarades de souffrance doivent confectionner des habits aux soldats allemands. Secrètement, elle s’applique à bâtir les coutures les moins solides possible et y glisse des poux. Son acte de rébellion, percé à jour par ses tortionnaires nazis, lui vaudra une blessure au doigt, lui laissant sa paume à jamais insensible. Tout au long de son existence, et même plongée dans les heures les plus obscures de l’Histoire, la communiste n’aura rien cédé de son combat. Et aura toujours conjugué la résistance dans toutes ses déclinaisons possibles.

Même au plus profond de l’horreur des camps, sa solidarité n’a pas failli

Résistance d’abord au patronat, premier combat de la militante. Née en 1897 à Comines dans le Nord, la jeune Martha Desrumaux est précipitée dans le monde du travail au décès brutal de son père alors qu’elle n’a que 9 ans. Aussitôt, l’enfant est dépêchée comme bonne dans une riche famille de la banlieue bourgeoise de Lille. Rapidement, celle-ci se tourne vers le vacarme incessant de l’usine textile Cousins Frères de sa ville natale. Le travail y est si pénible, les conditions si déplorables que la jeune ouvrière se syndique à la CGT à ses 13 ans. Un signe imparable d’émancipation, alors même que les femmes, surtout à un si jeune âge, n’étaient guère nombreuses dans les rangs du syndicat.

Femme, pauvre, analphabète jusqu’à l’âge adulte… Face à sa ténacité et sa détermination, aucun obstacle ne résiste sur le chemin de la travailleuse. Alors qu’elle n’a que 20 ans, la « pasionaria du Nord » mène à la victoire sa toute première grève dans les usines Hasbroucq à Lyon. Encore incapable d’écrire, elle s’entraîne toute la nuit pour ne pas se priver de la satisfaction d’apposer sa signature à côté de celle du patron. Dix ans plus tard, elle devient la première femme élue au comité central du Parti communiste, balayant d’un revers de main les contestations. « Ça gênait beaucoup qu’une femme puisse prendre des responsabilités dans le Parti. Elle a dû subir des remarques machistes et malgré tout, elle est restée fidèle à ses valeurs », relève Pierre Outteryck, professeur agrégé d’histoire et biographe de Martha Desrumaux. En 1936, seule femme parmi la délégation du Front populaire, elle arrache les accords de Matignon, agitant sous le nez du patronat les fiches de paie des ouvrières du textile.

Alors que la France entre en guerre, la résistance prend dans la vie de la communiste un sens tout nouveau : celui de la lutte contre le fascisme. À peine l’occupation allemande installée, Martha Desrumaux s’érige comme la figure de proue d’un réseau de sabotage et prend à bras-le-corps la réorganisation du PCF depuis la ­Belgique. Une nuit, elle détruit le réservoir d’essence d’un champ d’aviation ennemi, clouant au sol la flotte nazie. Elle est arrêtée alors qu’elle rend visite à Louis, son tout jeune fils, confié à un couple d’amis militants. La suite de la guerre, elle la passera à Ravensbrück. Mais, même au plus profond de l’horreur, sa solidarité n’a pas failli une seule seconde. « Je me souviens qu’à Noël 1943, quand nous sommes arrivés, Martha s’était débrouillée pour nous procurer quelques biscuits, et c’était déjà énorme pour nous », se remémore Lili Leignel, déportée avec ses deux frères alors qu’elle n’avait que 11 ans. Quelques années plus tard, alors qu’elle foule le sol français pour la première fois depuis quatre ans, la militante prononce, comme un pied de nez à l’inhumain : « Je suis Martha Desrumaux, les nazis ne m’ont pas eue. » Peu de mots formeront meilleur témoignage de son obstination.

À son retour d’Allemagne, souffrante du typhus et alors que le droit de vote des femmes est tout récent, la militante se fait élire conseillère municipale à Lille et devient en 1944 l’une des douze premières femmes à siéger à ­l’Assemblée nationale. Affaiblie par la maladie, elle ne tire pas pour autant un trait sur son combat syndical, et renoue aussitôt avec la lutte ouvrière. Un engagement de toute une vie qui lui vaudra ces quelques mots de la bouche de l’ancienne députée européenne communiste Danielle de March : « Martha, on dit que c’était une grande, mais le mot est petit. C’était une géante. » Une géante qui aurait toute sa place au Panthéon.

 

Lire aussi:

Martha Desrumeaux: syndicaliste et communiste résistante et déportée. Pour que la classe ouvrière rentre au Panthéon!

Martha Desrumaux - la solidarité populaire au cœur - Conférences de l'historien Pierre Outteryck à Brest le lundi 4 février et à Morlaix le mardi 5 février, 18h

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 07:16
Actualité du combat communiste - entretien de Julia Hamlaoui avec Guillaume Roubaud Quashie, animateur du centenaire du Parti communiste et membre de la direction du PCF (L'Humanité, 23 décembre)
Guillaume Roubaud-Quashie : « Une rupture possible et nécessaire »
Mercredi 23 Décembre 2020

Dirigeant du PCF en charge de coordonner son centenaire, Guillaume Roubaud-Quashie met en perspective un siècle d’histoire de la formation née du congrès de Tours avec l’actualité du combat communiste.

 

Guillaume Roubaud-Quashie Historien, membre de la direction du PCF

Les communistes soufflent cette année les cent bougies du congrès de Tours. Face à la crise historique que nous vivons, comment leur combat prend-il une nouvelle actualité ?

Guillaume Roubaud-Quashie L’une des dimensions du congrès de Tours est l’ambition d’un changement de civilisation. Dans la période que nous vivons, cette volonté de rupture rencontre une possibilité plus importante que cent ans en arrière du fait des connaissances accumulées par l’humanité. Mais aussi une nécessité plus grande due aux ravages du capitalisme. Le lamentable épisode mercantile des vaccins, où certains sont davantage préoccupés par les profits à engranger que par les vies à sauver, l’illustre parfaitement.

Révolution ou réformisme, ce débat trouve-t-il encore une résonance aujourd’hui ? Quelle forme prend aujourd’hui la révolution dont rêvent les communistes ?

Guillaume Roubaud-Quashie Ce vocabulaire est ancien mais a encore un usage aujourd’hui : dans une partie du monde syndical, par exemple, certains évoquent parfois la constitution d’un pôle réformiste. Nous nous définissons toujours comme révolutionnaires. Évidemment, ce mot a une histoire et peut évoquer la brutalité, la brièveté, éventuellement l’idée d’insurrection barricadière. Si ce n’est pas notre stratégie, nous pensons en revanche que les changements à impulser sont globaux. En l’occurrence, sortir d’une logique fondée sur la seule rentabilité quitte à broyer les êtres humains et la planète, pour miser sur le libre et plein développement de chacun. Malheureusement, les forces qui ne portent pas clairement l’ambition d’affronter les logiques du capital sont nombreuses à gauche, peut-être même plus qu’au cours du siècle passé. Ce qui ne doit pas être tout à fait étranger à l’état de la gauche. Est-ce qu’avec des mesures qui laissent le cœur du réacteur intact, on sauvera le million d’espèces menacées ? Beaucoup de gens se rendent comptent que ça ne tient pas.

L’histoire du PCF est aussi celle des conquêtes sociales rendues possibles par de puissants mouvements populaires et le rassemblement de la gauche. Quelles leçons en tirer ?

Guillaume Roubaud-Quashie Les enjeux institutionnels et électoraux ont une grande importance. Mais une grande illusion consiste à penser que les changements révolutionnaires ne pourraient advenir que par une logique délégataire. Ce à quoi les communistes appellent, c’est à la mise en mouvement la plus large et de toute nature. Je sais bien que, dans la période, certains cherchent des sauveurs suprêmes, mais, sur ce point, l’Internationale n’a pas pris une ride. En outre, ce sont ces cercles vertueux fondés sur des perspectives de victoires qui ont donné leur force au mouvement populaire en 1936 ou à la Libération. Aujourd’hui, la résignation n’est pas seulement le fruit de la bataille idéologique, mais aussi de déceptions politiques objectives et de difficultés du mouvement social. Cependant, il faut aussi mesurer les points marqués, comme les concessions, malgré toutes leurs limites, que le pouvoir a été obligé de consentir au monde de la santé… La direction actuelle du PCF fait aussi montre de volontarisme pour structurer les communistes sur les lieux de travail et de création de plus-value, parce que le combat de classe y prend sa source. C’est une tâche difficile mais qui n’a rien perdu de sa pertinence.

Sur les questions dites de société comme le féminisme ou l’antiracisme, les positions à gauche ont fluctué, quelles ont été les évolutions du PCF sur ces sujets au cours de son histoire ?

Guillaume Roubaud-Quashie C’est plus compliqué que ce que l’on dit toujours : avant, les luttes étaient hiérarchisées, maintenant elles ne le sont plus. La logique multidimensionnelle des changements à opérer a été l’objet de fluctuations, parfois de conflits pendant tout ce siècle. Les années 1920 sont celles de l’accentuation de la question de classe, mais aussi d’affirmation du combat des femmes, avec des candidates aux élections municipales, par exemple. Cela est atténué lors du Front populaire parce que ces questions ne font pas l’objet d’un accord unanime dans la société française et que le rassemblement prime face à la menace fasciste. Avec la Libération, viennent les combats pour le droit de vote et d’éligibilité des femmes ou encore la création de l’Union des femmes françaises. Pendant les années 1950, des oppositions avec le mouvement féministe naissent sur la question du « birth control », suivies d’autres ratés en 1968 et dans les années 1970 avec une hostilité réciproque assez forte. Mais, dans la décennie 1990, un rapprochement s’opère à nouveau sous l’impulsion de personnalités comme Marie-George Buffet qui affirment très clairement qu’il n’y a pas à penser de hiérarchie dans les combats émancipateurs. Sur l’antiracisme, les combats contre l’antisémitisme des années 1930, la lutte contre le fascisme, contre la colonisation, ou encore la création du Mouvement national contre le racisme, qui deviendra ensuite le Mrap, ont marqué l’histoire du PCF. Tout cela est abîmé à la fin des années 1970 et début 1980 par un moment de flottement sur des questions de politique migratoire, encore l’objet aujourd’hui d’instrumentalisation de l’extrême droite. Mais on ne peut pas résumer le Parti communiste ni même Georges Marchais, puisque c’est de lui qu’il est question, à ce flottement de quelques années.

Courant majoritaire à gauche après-guerre, l’influence du PCF a reflué à partir de 1978. Quelles sont aujourd’hui ses forces et ses faiblesses ?

Guillaume Roubaud-Quashie La mémoire du pays est assez sensible aux années 1970. Or ces années sont effectivement un moment d’apogée, très loin de représenter les cent ans du PCF. Si on se place en regard de l’histoire générale du mouvement ouvrier, on peut mesurer que le Parti communiste d’aujourd’hui par rapport à celui du début des années 1930, par exemple, compte un nombre tout à fait significatif d’adhérents, de cotisants, de municipalités… La période des années 1980-1990 a été extrêmement difficile, avec un déclin qui semblait impossible à arrêter. Depuis une quinzaine d’années, le PCF a réussi à en sortir. L’image de l’URSS continue de jouer négativement, mais elle est moins significative pour les plus jeunes générations. Et cette dynamique est aussi liée à la crise du capitalisme : nombreux sont ceux qui cherchent une alternative. Les succès d’éditions autour de Marx le donnent à voir.

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