Ce texte est édité pendant la drôle de guerre par le Parti Communiste sous forme de brochure clandestine. La vigueur et l'âpreté polémique de Maurice Thorez s'expliquent par les circonstances de l'heure. Léon Blum, instigateur de la politique de non-intervention dans la guerre d'Espagne qui provoqua la première brèche dans le Front populaire, partisan des accords de Munich en 1938, avait, dès les premiers jours de la guerre, à la suite du pacte germano-soviétique, demandé l'interdiction du Parti communiste et de sa presse, l'arrestation, la condamnation de ses députés et militants.
Portrait (Blum tel qu'il est)
" C'était un de ces fils de bourgeois enrichis, qui font de la littérature aristocratique et jouent les patriciens de la Troisième République. Il se nommait Lucien Levy-Cœur. Il avait... la parole câline, des manières élégantes, des mains fines et molles qui fondaient dans la main. Il affectait toujours une très grande politesse, une courtoisie raffinée... Il s'attaquait à tout ce qu'il y a de viril, de pur, de sain, de populaire, à toute foi dans les idées, dans les sentiments, dans l'homme. Au fond de toute cette pensée, il n'y avait qu'un plaisir mécanique d'analyse, d'analyse à outrance, une sorte de besoin animal de ronger la pensée, un instinct de ver... Lucien Lévy-Cœur était socialiste. Il n'était pas le seul à ronger le socialisme. Les feuilles socialistes étaient pleines de ces petits bonhommes de lettres, art pour art, qui s'étaient emparés de toutes les avenues qui pouvaient conduire au succès. Ils barraient la route aux autres et remplissaient les journaux qui se disaient les organes du peuple, de leur dilettantisme décadent..."
Dans La Foire sur la Place, le cinquième livre de Jean Christophe, Romain Rolland a brossé de main de maître ce portrait du pharisien socialiste qu'on vient de lire. L'auteur écrivant en 1908, peignait d'après nature. Il connaissait bien son modèle... le citoyen Léon Blum, autrefois son condisciple à l'Ecole Normale Supérieure.
Le leader socialiste appartient en effet, à une famille de la grande bourgeoisie d'affaires. Les comptoirs de la Maison Blum sont toujours installés au cœur de Paris, dans le quartier commerçant du Sentier, à deux pas de la Bourse, le temple moderne du Veau d'Or. Comme il est de règle dans les grandes familles de la bourgeoisie dominante, des fonctions différentes, mais complémentaires, furent réservées aux frères Blum. L'un d'eux, placé à la tête de l'entreprise paternelle, fut chargé de faire fructifier le capital de la famille en exploitant les prolétaires. L'autre, celui qui nous intéresse particulièrement, fut commis à la défense des intérêts de la Maison Blum et de toutes les maisons capitalistes, à la sauvegarde des intérêts des exploiteurs. Il fit carrière dans la haute administration et dans la "politique". La politique pour les Levy-Cœur, c'est l'art faisandé de truquer et de brouiller les cartes, pour tromper la classe ouvrière, pour l'abuser à force de mensonges et d'hypocrisie, pour la démoraliser et la détourner de la lutte libératrice, bref pour maintenir la domination de la bourgeoisie.
Léon Blum se vit donc avocat. Il entra au Conseil d'Etat. On sait que ce super-parlement, dont les membres sont recrutés avec soin, veille au contenu et à la forme des lois et décrets. Il assure la continuité du pouvoir exécutif - et la réalité de la dictature du Capital - en déléguant ses "légistes" dans les bureaux des ministères et à la direction des grandes administrations de l'Etat bourgeois. C'est ainsi que Blum devint chef du cabinet de Marcel Sembat, ministre socialiste pendant la première guerre impérialiste.
Car Léon Blum était socialiste. Mais, confessa t-il au Congrès de Tours, "je ne suis entré qu'à deux reprises dans la vie publique du parti". Il est très vrai que Léon Blum n'avait effectué, en 1904-1905, qu'un stage limité dans le parti socialiste, juste le temps d'appuyer l'aile révisionniste et opportuniste que condamna le Congrès international d'Amsterdam. Il est vrai qu'il ne reprit du service actif - pour le compte de la bourgeoisie - qu'en 1917, en qualité de partisan de la guerre impérialiste avec le sang des prolétaires, en qualité de désorganisateur du monde ouvrier.
Avant de se glisser à la direction du parti socialiste, Léon Blum s'était consacré à des travaux littéraires. On chercherait vainement dans sa prose équivoque la moindre trace d'une pensée forte. Le délicat esthète écrivit alors un Essai sur le mariage, qui obtint un certain succès dans la société des salonnards et autres profiteurs du régime aux mœurs dissolues, mais qui reste ignoré des prolétaires révolutionnaires. Léon Blum fut l'un des principaux collaborateurs de la Revue Blanche, périodique d'un éclectisme douteux. Il y soutint le millerandisme, rompant les lances contre le marxisme. Plus d'une fois, il s'attaqua, dans la forme cauteleuse et enveloppée qui lui est propre, à Jules Guesde, en ce temps-là le leader ouvrier le plus proche de Marx en France. Léon Blum se consacra par la suite à la critique théâtrale dans les colonnes du Matin, le plus vénal des journaux parisiens, le principal bénéficiaire des chèques Raffalovich, dont la caisse était alimentée par l'or du tsar. Le Matin déversait quotidiennement des tombereaux d'ordures sur Jaurès et les socialistes, tout comme il bave aujourd'hui sur les communistes et l'Union soviétique.
Survient la première guerre impérialiste. Le Parti socialiste sombre dans l'Union sacrée. Cependant, en 1917, après trois années de deuils, de souffrances, voici que des masses plongées dans l'horreur s'élèvent en France les premières rumeurs de mécontentement. A l'Est, la vague révolutionnaire a déjà chassé le tsar. Elle s'élève et s'élèvera jusqu'à se transformer en octobre en une marée humaine formidable guidée par les bolcheviks, guidée par Lénine et Staline, qui submergera tout, et fera place nette sur un sixième de la terre pour un monde nouveau, pour le monde du socialisme. Les répercussions de la révolution russe ne se font pas attendre. Dans la classe ouvrière, dans les syndicats, dans le parti socialiste, l'opposition à la guerre grandit. Et Léon Blum fait sa "rentrée" dans le parti socialiste. Or, par ses origines, par son activité, par son genre de vie, Léon Blum est absolument étranger à la classe ouvrière. Tout en lui trahit l'aristocratie: son maintien, son souci d'élégance, son langage, son style maniéré. Il est simplement l'agent conscient de la bourgeoisie dans les rangs du mouvement ouvrier.
En décembre 1920, le Congrès de Tours décide à une énorme majorité l'adhésion du parti socialiste à l'Internationale communiste fondée par Lénine. Léon Blum prend la parole au nom de la minorité chauvine et impérialiste. Le discours qu'il prononce porte bien la marque de son habituelle mauvaise foi, de sa casuistique fielleuse. Se prétendant révolutionnaire, et même partisan de la dictature du prolétariat, Léon Blum s'efforce de démontrer que les communistes tournent le dos au marxisme - pas moins- qu'ils sombrent dans l'anarchisme, le blanquisme, et même le carbonarisme. Léon Blum sait très bien aligner les mots en "isme"; il aime jongler avec les idées. Il sait aussi prêter à ses adversaires des conceptions extravagantes qu'il se donne la gloire facile de pourfendre. Dans cette période de poussée révolutionnaire consécutive à la première guerre impérialiste, Blum avait pour mission de démoraliser les masses, de les effrayer, de les détourner de la lutte pour le pouvoir. Calomniant les travailleurs, insultant leur enthousiasme révolutionnaire, Blum parle, non sans mépris, du danger qu'il y aurait à "s'appuyer sur l'espèce de passion instinctive, de violence moutonnière des masses profondes et inorganiques". La thèse communiste fixe comme première tâche le rassemblement, l'organisation et la direction des masses laborieuses en vue de les conduire à la lutte consciente et efficace contre le pouvoir de la bourgeoisie. Léon Blum caricature, dénature cette pensée juste. Il veut jeter le discrédit sur toute forme d'action révolutionnaire. Il ose provoquer le Congrès en déclarant que les travailleurs eux-mêmes "ne pourraient même pas prendre une caserne de pompiers".
Blum se livre à un autre numéro de prestidigitation. Il s'avoue prêt à l'action illégale - ah mais! - puis il ajoute qu'il a horreur de l'action clandestine. (...).
Après Tours, voici Léon Blum à la tête du parti socialiste, puis plus tard, directeur de son quotidien. Léon Blum méprise les adhérents de base du parti socialiste; il n'a jamais aucun contact avec les milieux ouvriers. Il va surtout s'employer à prévenir, à réduire les oppositions. Il est l'homme de la "synthèse", de la "conciliation", c'est à dire des motions "nègre-blanc" qui escamotent les divergences, qui "noient le poisson". Entre temps, le conseiller d'Etat en retraite ne néglige pas son cabinet d'avocat. Les magnats de la finance se disputent ses précieux avis. Il plaide leurs causes méprisables devant les tribunaux. On voit même un jour Blum défendre l'industriel Lederlin contre un autre avocat politicien, alors socialiste, Paul Boncour, qui représentait, lui aussi, une firme capitaliste, les blanchisseries de Thaon. On apprend une autre fois à la Chambre que Léon Blum ne dédaigne pas d'effectuer des démarches personnelles auprès des ministres réactionnaires, en faveur de riches capitalistes qu'il veut faire exonérer d'une partie de leurs impôts, de plusieurs millions est-il précisé.
Il est vrai que Léon Blum est au mieux avec les personnages consulaires de la République bourgeoise. Le dirigeant socialiste, toujours si digne en public et devant les adhérents de son parti, est "à tu et à toi" avec les Tardieu et les Herriot. Il y a bien parfois un peu de tirage dans le parti socialiste, par exemple lorsque Blum favorise trop ouvertement contre le candidat de son parti le réactionnaire Forgeot. Alors on ne tarde pas à apprendre que c'est le prix du service rendu au directeur du Populaire par ce Monsieur Forgeot, qui a casé le fils Blum chez Hispano-Suiza.
Quand on connaît les intérêts considérables de cette firme industrielle en Espagne, la "non-intervention" qui a fait la triste célébrité de Léon Blum, n'est plus tout à fait un mystère.
En 1924 ont lieu les premières élections législatives vraiment "libres" depuis la guerre. Le Parti Communiste a lutté courageusement contre le traité de Versailles, contre l'occupation de la Ruhr. Il a combattu le chauvinisme et appelé les soldats français à la fraternisation avec le peuple allemand. Il propose au parti socialiste d'unifier l'action de la classe ouvrière et de réaliser, en vue des élections et pour après, le Bloc ouvrier et paysan. Mais Blum fait repousser les propositions communistes. Il conduit le parti socialiste à un accord avec le parti radical, au Cartel des gauches. Au lieu d'unir la classe ouvrière, il la divise davantage, il met une fraction de cette classe ouvrière au service de la bourgeoisie. Le résultat, deux ans après le succès électoral du Cartel des gauches, c'est la pire réaction de nouveau au pouvoir.
En 1925-1926, Blum est l'un des responsables directs de la guerre au Maroc et en Syrie. Il réclame la flétrissure contre les députés communistes qui condamnent la guerre. Il demande des poursuites contre le Comité central d'action contre la guerre. Son rôle ignoble de fauteur de guerre est démasqué par la publication de la fameuse lettre Vatin-Pérignon. Ce haut-fonctionnaire français au Maroc expose le plan général d'opérations politiques et militaires conçu par les cercles impérialistes et indique à la fin: "Blum fera le reste". C'est à dire que le bourgeois chargé de "travailler" le parti socialiste exécutera sa besogne exécrable dans le mouvement ouvrier.
En 1926, le parti socialiste, inspiré par Blum, décide de "laisser faire l'expérience Poincaré". Les finances de l'Etat bourgeois se trouvent dans un désordre inextricable. Le déficit budgétaire augmente. Le trésorerie se vide. Le franc dégringole. Le coût de la vie monte en flèche. La classe ouvrière est mécontente. Les manifestations se multiplient. Les grèves éclatent. La réaction réinstalle au pouvoir Poincaré, l'homme de la Ruhr et du double-décime... Et Léon Blum se démène pour éviter les difficultés à son "ami Poincaré", lequel lui a rendu un hommage chaleureux et solennel dans son discours de Bordeaux (1927). Avec l'aide de son autre compère et complice Tardieu, Léon Blum fait élire un socialiste, Fernand Bouisson, à la présidence de la Chambre. Cependant les travailleurs de Paris ne tardent pas à exprimer leurs sentiments envers le traître Blum. En 1928, les ouvriers du XXe arrondissement, de ces quartiers qui virent combattre et mourir les derniers communards, chassent Blum de la Chambre des Députés: ils élisent à sa place un militant communiste poursuivi et alors recherché par la police, Jacques Duclos. Blum, d'ordinaire si prudent, perd quelque peu la tête, il exhale rageusement son dépit. Il insulte les travailleurs parisiens, dont le cœur reste et restera acquis au parti de la classe ouvrière. Blum écrit "qu'il faut détruire les cadres communistes".
(...) Pendant de longues années, Léon Blum a combattu avec un acharnement digne d'une meilleure cause, les multiples propositions communistes d'unité d'action... Enfin en 1934, Blum doit faire l'aveu, en première page de son journal, que par leur action persévérante, les communistes ont rendu le front unique "inévitable". A ce moment, la direction du parti socialiste se trouve tout simplement débordée par la volonté unitaire des travailleurs. La majorité des ouvriers socialistes, de nombreuses sections locales, plusieurs organisations départementales sont déjà entraînés par les communistes dans l'action commune. Blum agit alors selon la fameuse boutade: "Je suis leur chef, donc je les suis"...
En mai 1936, le Front populaire remporte un immense succès aux élections législatives. En sa qualité de leader du parti socialiste - le parti qui avait obtenu le plus grand nombre de sièges à la Chambre, Léon Blum devient président du Conseil. Il alors au Congrès extraordinaire du parti socialiste en 1936; "Je ne serai pas Kérinski: si je m'en allais, ce ne serait pas Lénine qui recueillerait l'héritage.". En un tel moment, et compte tenu de la différence entre la situation de la Russie en 1917, en pleine révolution, et celle de la France en 1936, où la caractéristique essentielle était le recul de la réaction sous la pression des masses, la phrase de Léon Blum a la signification suivante: "Mes chers amis capitalistes, soyez tranquilles. Je ferai tout pour briser l'élan des masses. Je ferai tout pour que le Front populaire n'ouvre pas à la classe ouvrière et au peuple la perspective d'une amélioration substantielle et durable de leur sort, pour que votre profit ne soit pas réduit, pour que votre domination, "notre" domination ne soit pas mise en péril..."
Et de fait, Blum et son gouvernement ne tardent pas à tourner le dos au programme du Front populaire. Dès le début d'août 1936, un coup terrible est porté au Front populaire. Léon Blum prend l'initiative désastreuse de la prétendue "non-intervention", cette "erreur tragique que le peuple espagnol paye de de son sang", écrivit un jour le parti socialiste espagnol au parti socialiste français... Le chargé d'affaires des capitalistes de France et d'Angleterre prive sans hésiter le peuple espagnol des moyens qui lui permettrait de face victorieusement à la rébellion des généraux parjures et à l'invasion étrangère. Il sacrifie aux buts de réaction et de guerre des capitalistes de tous les pays la cause du Front Populaire, l'avenir de la classe ouvrière et même la sécurité de la frontière française des Pyrénées...
Et ce Tartuffe immonde essaye de justifier par des phrases sur la paix la condamnation à mort qu'il porte contre les centaines de milliers d'hommes, de femmes, et d'enfants espagnols. Il devient hideux d'hypocrisie, jusqu'à donner la nausée à ceux qui doivent parfois l'approcher, non sans répulsion. Ce comédien consommé essuie une larme, il sanglote, il va défaillir.
Un jour, Blum reçoit dans son luxueux cabinet de l'Hôtel Matignon les représentants du Front populaire d'Espagne. Ils sont venus demander la levée du blocus infâme. En leur nom parle Dolorès Ibarruri, la Pasionaria.