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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 05:22

Suite à la décision prise par l’Inde de suspendre ses exportations, le prix de la tonne de blé tendre est monté à 438 € dans la journée d’hier. En France, le prix de la tonne de blé, rendue au port de Rouen pour l’exportation, cotait 385 € le 10 mai contre moins 270 € en février dernier et 230 € en mai 2021. La sécheresse en cours dans de nombreux pays, ajoutée au laisser faire de décideurs politiques des pays occidentaux, risque d’aggraver la situation.

Le vendredi 13 mai, le service communication de FranceAgriMer, rendait public le compte rendu de la réunion de son « Conseil spécialisé en grandes cultures » qui s’était tenu deux jours plus tôt. Ce conseil fait le point une fois par mois sur l’état des cultures céréalières de l’année et sur l’évolution des ventes et des stocks de la récolte de l’année précédente. La première phrase de ce texte d’analyse était ainsi rédigé : « Malgré le conflit russo-ukrainien qui s’enlise et met à mal les exportations ukrainiennes, FranceAgriMer a révisé à la baisse ses prévisions d’exportation de blé français, en raison du ralentissement de la demande chinoise et de la cherté qui limite les achats des pays importateurs (…) FranceAgriMer a révisé à la baisse ses prévisions d’exportations françaises de blé tendre à 9,25 millions de tonnes vers les pays tiers et à moins de 8 millions de tonnes vers l’Union européenne ».

Cela se traduisait par des prévisions exportations en recul de 310 000 tonnes sur l’exercice en cours, par rapport aux prévisions du mois précédent. Mais c’était suffisant pour indiquer que « le stock de blé français s’alourdirait ainsi à plus de 3,2 millions de tonnes en fin de campagne, au plus haut depuis 2015, en dépit du conflit russo-ukrainien qui s’enlise et les difficultés de l’Ukraine à acheminer ce qui lui reste à exporter ». Néanmoins, FranceAgriMer notait qu’après « un tassement courant avril, les prix du blé meunier sur Euronext sont en effet repartis à la hausse et dépassent à nouveau les 400 € la tonne : 418 € le 16 avril et 406 € le 6 mai ».

Un record à 438 € la tonne de blé tendre le 16 mai

Hier matin, on apprenait le prix de la tonne de blé tendre avait dépassé 438 € dans les pays membres de l’Union européenne et que cette nouvelle hausse spéculative dans les salles de marché était consécutive à la décision prise par l’Inde de suspendre ses exportations de blé. Jusque-là, la part de l’Inde représentait 12 % des exportations mondiales de blé. Ce pays avait exporté plus de 7 millions de tonnes de blé en 2021 et comptait en exporter 10 millions de tonnes cette année. Mais l’Agence France Presse (AFP) écrivait hier que cette interdiction d’exporter est « destinée à assurer la sécurité alimentaire nationale du pays de 1,4 milliard d’habitants et à garantir l’approvisionnement de ses vastes programmes sociaux, notamment la distribution mensuelle d’aliments de base gratuits et subventionnés à des millions de familles pauvres ». L’AFP citait le secrétaire indien au commerce qui a justifié l’arrête des exportations en ces termes : « Nous ne voulons pas que le blé aille d’une manière non réglementée où il risque d’être thésaurisé et ne pas être utilisé aux fins que nous souhaitions qu’il serve, à savoir, les besoins alimentaires des pays et populations vulnérables », a expliqué monsieur Subrahmanyam.

Le stop-en-go des pays importateurs de blé

Face à l’arrêt des exportations de l’Ukraine depuis près de trois mois et à la flambée des cours qui a aussitôt démarré dans les salles de marché, de nombreux pays importateurs nets de blé tendre, dont l’Égypte, ont suspendu leurs importations pour deux raisons que l’on peut qualifier de complémentaires. Disposant au début du mois de mars d’un stock de blé permettant d’approvisionner sa population de plus de 100 millions d’habitants durant sept à huit mois, l’Égypte a fait de choix de ne plus être aux achats dans l’espoir de voir baisser le prix mondial du blé tendre au bout quelques semaines. Elle a aussi choisi, comme d’autres pays importateurs de la même région, de ne pas acheter du blé français dont le taux de protéines dépasse rarement les 11 % contre plus de 12 % pour les blés de l’Ukraine et de la Russie. Il semble déjà acquis que cette stratégie d’attente sera finalement payée au prix fort par les pays importateurs nets de blé tendre à l’ère du capitalisme mondialisé qui laisse les pleins pouvoirs aux spéculateurs.

Mais revenons à l’Inde. Dans la dépêche publiée hier matin par l’AFP, on lisait également ceci : « La canicule de mars dernier, la plus chaude jamais enregistrée en Inde, imputée au changement climatique, avec des températures parfois supérieures à 45 degrés Celsius, a affecté les régions productrices de blé dans le nord de l‘Inde. Selon les estimations, la production de cette année devrait diminuer d’au moins 5 % par rapport aux 109 millions de tonnes récoltées en 2021 ».

Le G7 laisse les pleins pouvoirs aux spéculateurs

Voilà qui semble justifier la décision du gouvernement indien de suspendre toute exportation de blé pour le moment. Mais en fin de la même dépêche de l’AFP on peut aussi lire ceci : « Réunis à Stuttgart, en Allemagne, les ministres de l’Agriculture du G7 ont aussitôt critiqué cette décision, craignant de voir s’aggraver la crise des matières premières. Si tout le monde commence à imposer de telles restrictions à l’exportation ou même fermer les marchés, cela ne fera qu’aggraver la crise et cela nuira aussi à l’Inde et à ses agriculteurs », a déclaré le ministre allemand de l’Agriculture Cim Özdemir.

Pour ce ministre, le libre-échange et la spéculation sont préférables à la régulation. Quel qu’en soit le prix pour les millions de gens menacés par la famine en cette année 2022. Car la sécheresse en cours risque d’aggraver situation sur le marché mondial du blé, comme sur celui des céréales secondaires et des graines à huile.

 

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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 05:17

 

Les températures mondiales battent des records, la sécheresse menace jusqu’en France, mais les industries du pétrole et du gaz prévoient d’étendre, partout, leurs activités. The Guardian vient de publier une enquête révélant l’existence de 195 gigantesques projets qui relâcheraient chacun « l’équivalent d’environ dix-huit ans d’émissions mondiales actuelles de CO».

L’accord de Paris finira-t-il froissé, jeté au fond de la corbeille à papier ? Alors que l’Organisation météorologique mondiale (OMM, rattachée à l’ONU) affirme dans son dernier bulletin que le seuil d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C a désormais 50 % de risques d’être dépassé dans les cinq prochaines années, The Guardian vient de publier une enquête révélant l’existence de 195 bombes climatiques. Ces gigantesques projets pétroliers et gaziers, dont 60 % seraient déjà en cours d’exploitation, relâcheraient chacun « au moins un milliard de tonnes de COau cours de leur durée de vie », relèvent les auteurs de l’enquête, « soit l’équivalent d’environ dix-huit ans d’émissions mondiales actuelles de CO», résume le quotidien britannique.

En pole position, les États-Unis, le Canada et l’Australie

« Tant que nous continuerons à émettre des gaz à effet de serre, les températures continueront à augmenter. » Petteri Taalas, le secrétaire général de l’OMM, a beau réaffirmer l’évidence, répéter que le seuil fixé par l’accord de Paris à 1,5 °C « n’est pas une statistique choisie au hasard » mais « indique le point à partir duquel les effets du climat seront de plus en plus néfastes pour les populations et pour la planète entière », les géants des énergies fossiles (responsables de 80 % des émissions de gaz à effet de serre), eux, poursuivent leur course folle à l’expansion.

En pole position, les États-Unis, le Canada et l’Australie recensent le plus grand nombre de ces projets, devant le Moyen-Orient et la Russie. Par ailleurs et à eux seuls, les mastodontes ExxonMobil (États-Unis) et Gazprom (Russie) – dont la moitié des projets d’expansion concernent l’Arctique – ambitionnent de parvenir à extraire des sous-sols 192 millions de barils de pétrole supplémentaires dans les sept années à venir, « soit l’équivalent d’une décennie des émissions actuelles de la Chine », expliquent les auteurs.

Des exploitations toujours plus importantes

Parmi les « bombes » les plus dangereuses figurent l’immense projet d’expansion du North Field, gisement offshore de gaz au large du Qatar, les activités d’extraction d’hydrocarbures non conventionnels de Montney Play en Alberta (Canada) ou encore la construction d’un gigantesque gazoduc et d’une usine de gaz naturel liquéfié (GNL) offshore au Mozambique.

En tout, les 12 plus grandes compagnies de pétrole et de gaz au monde, sociétés d’État (Qatar Energy, Gazprom ou l’Aramco) comme sociétés privées (ExxonMobil, TotalEnergies, Chevron, Shell ou BP), envisagent de dépenser plus de 100 millions de dollars chaque jour (96 millions d’euros) et ce, pendant dix ans, pour se développer. Plus alarmant encore, 70 % des grandes entreprises américaines du secteur projettent d’étendre l’exploitation des hydrocarbures de schiste et les forages de très grande profondeur.
L'inde et le Pakistan suffoquent, l’Éthiopie n’a pas vu tomber la pluie depuis dix-huit mois… Et pendant qu’en sous-main l’industrie des combustibles fossiles joue avec le climat mondial pour engranger des profits, les responsables politiques, eux, multiplient les grands discours sur l’impératif d’une transition écologique. En réalité, de permis d’explorer délivrés en subventions publiques accordées, les États valident ces projets et renoncent, en somme, à atteindre les objectifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés. L’accord de Paris en est le plus criant exemple.

 

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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 07:23
😓Shireen Abu Aqla, célèbre journaliste palestinienne, correspondante d’@AlJazeera a été tuée ce matin par les forces d’occupation alors qu’elle effectuait un reportage à Jenine. Elle portait son gilet « press ». Des années durant, elle a documenté les crimes et injustices subis par les Palestinien•ne•s, l’occupation et l’apartheid. RIP Shireen. 🤲

😓Shireen Abu Aqla, célèbre journaliste palestinienne, correspondante d’@AlJazeera a été tuée ce matin par les forces d’occupation alors qu’elle effectuait un reportage à Jenine. Elle portait son gilet « press ». Des années durant, elle a documenté les crimes et injustices subis par les Palestinien•ne•s, l’occupation et l’apartheid. RIP Shireen. 🤲

Après avoir tué une journaliste, les Israéliens attaquent son cortège funèbre

Ce vendredi, lors des obsèques de Shireen Abu Aklehla, abattue par des soldats israéliens, malgré son équipement siglé «presse», la police de Jérusalem a dispersé violemment des milliers de Palestiniens venus lui rendre un dernier hommage. Des images qui choquent en Europe et même à Washington.

Publié le Vendredi 13 Mai 2022
 
Les images font le tour du monde : après que des militaires israéliens ont mercredi, dans le camp palestinien de Jénine, abattu Shireen Abu Aklehla, journaliste d’Al Jazeera pourtant parfaitement identifiable avec son gilet siglé «presse», la police israélienne a, ce vendredi à Jérusalem, chargé violemment les milliers de Palestiniens qui se pressaient autour du cercueil lors de ses funérailles. À la sortie de l’hôpital Saint-Joseph à Jérusalem-est, secteur palestinien de la ville occupé et annexé par Israël, la police a fait irruption dans l’enceinte de l’établissement et tenté de disperser une foule brandissant des drapeaux palestiniens. «Si vous n’arrêtez pas ces chants nationalistes, nous devrons vous disperser en utilisant la force et nous empêcherons les funérailles d’avoir lieu», a déclaré dans une mégaphone un responsable israélien en direction de la foule, selon une vidéo diffusée par la police. Des images retransmises par des télévisions locales montrent le cercueil manquer de tomber au sol et la police faire usage de matraques. D’après le Croissant Rouge palestinien, 33 personnes ont été blessées lors des funérailles, dont six ont été hospitalisées. La police israélienne a de son côté fait état de six arrestations.
L’Union européenne s’est dite «consternée par le niveau de force inutile exercée par la police israélienne tout au long du cortège funèbre». «Un comportement aussi disproportionné ne fait qu’alimenter les tensions», d’après elle. La représentation française à Jérusalem a qualifié de «profondément choquantes» les «violences policières» à l’hôpital Saint-Joseph. «Atterré par les scènes observées aujourd’hui en marge des funérailles et l’usage disproportionné et irrespectueux durant le cortège funèbre», Dimiter Tzantchev, ambassadeur de l’Union européenne auprès d’Israël, estime sur les réseaux sociaux que «maintenir l’ordre public peut se faire par d’autres moyens». Sans toutefois condamner un usage disproportionné de la force, la Maison Blanche parle d’images «profondément troublantes». «Nous déplorons l’intrusion dans ce qui aurait dû être une procession dans le calme», a déclaré Jen Psaki, la porte-parole de Joe Biden.
La journaliste Shireen Abu Akleh victime d’un tir israélien à Jénine

La reporter de la chaîne arabe Al-Jazeera, qui couvre le conflit israélo-palestinien depuis plus de deux décennies, a été tuée mercredi, dans un raid de l’armée israélienne à Jénine, en Cisjordanie.

Publié le Jeudi 12 Mai 2022

La journaliste Shireen Abu Akleh, une des plus connues de la chaîne arabe Al-Jazeera, a été tuée mercredi matin par un tir de l’armée israélienne alors qu’elle couvrait des affrontements dans le secteur de Jénine, en Cisjordanie occupée, rapporte l’AFP. Le ministère palestinien de la Santé et la chaîne Al-Jazeera ont, dans la foulée, confirmé l’information. Un autre journaliste a été blessé lors de ces affrontements, ont indiqué des sources hospitalières.

Ce drame intervient près d’un an jour pour jour après la destruction de la tour Jalaa, où étaient situés les bureaux de la chaîne qatarie dans la bande de Gaza, lors d’une frappe aérienne israélienne en pleine guerre entre le mouvement islamiste palestinien Hamas et Israël.

En Palestine, les journalistes informent au prix de leurs vies

La mort de la journaliste palestinienne Shireen Abu Abkeh, abattue mercredi par l’armée israélienne alors qu’elle couvrait des affrontements à Jénine, a suscité une onde de choc. Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Anthony Bellanger craint qu’une fois l’émotion retombée, tout continue comme avant. 

Publié le
Vendredi 13 Mai 2022

Shireen Abu Abkeh était une journaliste de terrain, parfaitement identifiable. La vedette de la chaîne panarabe Al-Jazeera portait un gilet siglé « presse » lorsqu’elle a été tuée par balle, mercredi 11 mai, alors qu’elle couvrait des affrontements à Jénine en Cisjordanie occupée. « C’est un drame, une consœur a été assassinée délibérément par l’armée israélienne », tonne Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Aux côtés de Shireen Abu Abkeh, le journaliste Ali Al-Samoudi a également été touché par un tir. Il attribue sa blessure à l’armée israélienne, malgré le démenti des autorités. Le premier ministre israélien, Naftali Bennett, a suggéré que la journaliste avait succombé à un tir palestinien. Une position qu’Anthony Bellanger juge « tout simplement incroyable ». Quelques heures après cette déclaration, Benny Gantz, son ministre de la Défense, a fini par admettre : « Le tir est peut-être venu de notre côté, nous enquêtons. »

Le secrétaire général de la FIJ se rend régulièrement sur le territoire palestinien. Il maintient un contact régulier avec les syndicats locaux de journalistes, qui déplorent une situation « catastrophique » pour la liberté d’informer. « Le gouvernement israélien alimente la haine envers les journalistes palestiniens, les qualifiants de terroristes, s’indigne encore Anthony Bellanger. C’est pour ça que les militaires ouvrent le feu sur eux. Alors quoi ? Les 2700 journalistes palestiniens membres de la FIJ sont des terroristes ? »

Chaque année, plusieurs centaines de journalistes palestiniens sont victimes d’exactions. Cela représente plusieurs cas par jour, d’après les syndicats locaux de journalistes. Pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF), « en Cisjordanie, les journalistes sont victimes de violations doubles, à la fois de la part de l’Autorité palestinienne et des forces d’occupation israéliennes ». À cause du conflit avec Israël, les reporters palestiniens subissent régulièrement des arrestations, des destructions de matériel ou des poursuites judiciaires lorsqu’ils couvrent des manifestations. Anthony Bellanger fustige, pour sa part,  « un Etat d’Israël colonial, qui mène une politique d’apartheid ». De l’autre côté, il dénonce « une Autorité palestinienne qui enraye le processus démocratique ». Mahmoud Abbas, le président palestinien, n’a plus organisé d’élections depuis 2006.

Après l’assassinat de Shireen Abu Abkeh, de nombreux pays réclament une enquête transparente. « Une procédure va être lancée auprès de la Cour pénal internationale. Hélas, ça ne sera pas la première fois. Trop de journalistes palestiniens ont été assassinés ces dernières années », soupire le secrétaire général de la FIJ. Il regrette que ces exactions soient devenues monnaie courante, au point de n’intéresser que ponctuellement la presse internationale. « Aujourd’hui nous faisons face à l’assassinat choquant d’une journaliste et les médias du monde entier ont leurs caméras braquées sur le territoire palestinien, ajoute-t-il. Mais demain ce sera fini et les journalistes locaux seront plongés dans l’oubli. »

Antoine Poncet

Après avoir tué la journaliste Shireen Abu Akleh, les Israéliens attaquent son cortège funèbre - Thomas Lemahieu, Nadjib Touaibia, Antoine Poncet, L'Humanité, 13 mai 2022
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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 07:17
Palestine. L’armée israélienne se déchaîne sur les civils (L'Humanité, Nadjib Touaibia, 12 mai 2022)
Palestine. L’armée israélienne se déchaîne sur les civils

La coalition gouvernementale aux commandes en Israël donne carte blanche aux soldats, qui se livrent à une répression aveugle. Exactions, exécutions sommaires, colonisation sauvage... Tel-Aviv ouvre la voie à un nouvel embrasement.

L'Humanité, Jeudi 12 Mai 2022 Nadjib Touaibia
 
Un an après la guerre des Onze-Jours, en mai 2021, le quotidien s’écrit à nouveau en lettres de sang en terre de Palestine. L’affrontement le plus meurtrier depuis la guerre de 2014, entre Israël et le Hamas, avait alors fait plus de 243 morts côté palestinien, dont 66 enfants et 39 femmes. Plus d’une vingtaine de familles avaient été décimées par les frappes israéliennes, 15 000 habitations détruites, dont 205 tours résidentielles, et environ 91 000 Gazaouis avaient été déplacés. Le cessez-le-feu conclu après ce terrible bilan a épargné des vies. La situation n’en reste pas moins explosive. Elle illustre plus que jamais le désespoir de la jeunesse palestinienne à l’horizon bouché, prise en étau entre la répression sanglante israélienne et la désunion persistante des organisations dirigeantes (Hamas, OLP), du pain bénit pour Tel-Aviv.
Dans ce contexte, Israël entretient le feu. La répression s’intensifie en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les arrestations se multiplient, ainsi que les démolitions de maisons. La colonisation se poursuit sous des formes inédites. Dernier fait en date : une douzaine de villages palestiniens et environ un millier de personnes, des bergers et des agriculteurs, sont sous la menace d’expulsions à Masafer Yatta, au sud de la Cisjordanie, pour céder les terres à l’armée qui désire en faire un champ de tir. Le tout avec la bénédiction de la Cour suprême. « L’expansion des colonies, les démolitions et les expulsions sont illégales au regard du droit international. L’UE condamne de tels plans et demande instamment à Israël de cesser les démolitions et les expulsions, conformément à ses obligations en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme », a déclaré à ce propos le porte-parole de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne.

Une période propice au déchaînement

Cette violence permanente aux multiples facettes pousse les jeunes Palestiniens à des actes désespérés en territoire israélien et à des affrontements perdus d’avance avec des soldats lourdement armés. Un Palestinien âgé de 18 ans a été tué, mercredi, dans la ville d’Al-Bireh, en Cisjordanie occupée. De nouveaux cycles d’embrasements sont prévisibles dans les jours qui viennent : le 15 mai, jour de commémoration de la Nakba (catastrophe, mot qualifiant l’exode palestinien de 1948) ; le 28 mai, pour l’occupation de Jérusalem-Est et, le 5 juin, pour l’annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du Golan syrien. Une période propice au déchaînement des discours et des ambitions d’expansion coloniale.

Icon QuoteLa résistance palestinienne à l’occupation israélienne et à l’apartheid n’est pas du terrorisme. » GHADA KARMI, UNIVERSITAIRE

Nul doute que les provocations s’enchaîneront, qui déclencheront des réactions d’une jeunesse aux mains nues, acculée, dans l’indignation, la colère et la révolte. Les deux jeunes qui ont ciblé des civils israéliens au hasard n’appartiennent à aucun groupe, ni à aucun réseau, selon l’armée et l’Autorité palestinienne. Mais ils sont originaires de Jénine, de triste mémoire, où les troupes israéliennes se sont livrées, il y a vingt ans, à un massacre dans un camp de réfugiés. « Ce sont des Palestiniens normaux, des Palestiniens en colère, qui se sont sentis humiliés par Israël et qui ont réagi aux attaques quotidiennes de l’armée contre leur communauté », estime le gouverneur, Akram Rajoub . «  La résistance palestinienne à l’occupation israélienne et à l’apartheid n’est pas du terrorisme. (…) Israël, c’est un État qui tue des enfants, assiège des innocents et construit des colonies sur la terre d’autrui », rappelle de son côté l’universitaire Ghada Karmi.

Depuis les attentats qui ont fait 14 morts en Israël, les militaires ont carte blanche pour réprimer aveuglément dans la ville de Jénine, qui est quasiment assiégée. La punition collective systématique est une opération courante. Le ministère palestinien des Affaires étrangères a dénoncé des exactions contre des civils. Des Palestiniens ont été tués à bout portant. Au mois d’avril, les autorités israéliennes ont lancé une répression massive à Jérusalem-Est. Selon un rapport publié par le gouvernorat de Jérusalem, la police a arrêté 894 Palestiniens, imposé une assignation à résidence à 37 autres, banni 590 personnes de la mosquée Al-Aqsa et blessé 463 personnes.

Sous la pression de  Benyamin Netanyahou en embuscade

« Le problème réside dans le fait que le gouvernement israélien actuel est fragile et qu’il se voit contraint de faire des concessions pour les colons et les partis de droite israéliens », analyse le politologue palestinien Ghassan Al Khatib. En effet, depuis le 1er janvier 2021, près de 400 Palestiniens ont été tués. La coalition Bennett-Lapid prend soin de fermer les yeux et de faire protéger par la police l’extrême droite raciste et les hordes de colons qui traquent les fidèles musulmans sur l’esplanade des Mosquées, notamment durant le mois de ramadan. « La solution au problème des réactions palestiniennes violentes n’est pas d’utiliser la force militaire, mais plutôt d’atténuer les provocations contre les Palestiniens, d’améliorer la situation économique et de leur donner l’espoir d’un avenir politique », ajoute Al Khatib.

Le gouvernement israélien, sous pression de Benyamin Netanyahou en embuscade, dont le retour tient au basculement de quelques voix à la Knesset, ne va sûrement pas dans ce sens. Il semble plutôt bien disposé à précipiter un affrontement direct avec le Hamas. La guerre en Ukraine, qui occupe l’opinion internationale, lui offre une marge de manœuvre à l’abri du silence fort probable des États-Unis. Israël paraît aussi déterminé à tirer profit des travers de la résistance palestinienne, considérablement affaiblie.

En perte de vitesse, l’OLP, enlisée sous la direction de Mahmoud Abbas, semble incapable d’offrir à la jeunesse des raisons d’espérer. La nébuleuse islamiste n’apporte pas davantage de réponse autre que l’affrontement armé qui saigne les Gazaouis et dévaste le territoire sous blocus. L’épisode meurtrier de la guerre des Onze-Jours, en mai 2021, a toutefois scellé l’unité dans la société civile. « Les Palestiniens à l’intérieur d’Israël ont ressenti la même chose que les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. C’est une mauvaise nouvelle pour Israël », résume Ghada Karmi. La donne pourrait en effet changer.

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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 06:22
VICTOIRE HISTORIQUE DU SINN FEIN EN IRLANDE DU NORD - Francis Wurtz, ancien député européen communiste, L'Humanité Dimanche

VICTOIRE HISTORIQUE DU SINN FEIN EN IRLANDE DU NORD -

Francis Wurtz, L'Humanité Dimanche

Historique, la victoire du Sinn Fein, ce 5 mai 2022, l’est à plusieurs titres ! Depuis un siècle que cette province irlandaise dite « Irlande du Nord » a été rattachée à la Grande Bretagne, c’est la première fois que ce parti républicain et progressiste  -dont la raison d’être est de réaliser la réunification du pays-  supplante le DUP, leader de la droite ultra appelée « unioniste » car elle refuse toute perspective de séparation d’avec le « Royaume uni » !

 Cette victoire éclatante offre au Sinn Fein (Michelle O’Neill) le poste de Premier Ministre de la province, et celui de Vice-Premier Ministre au parti unioniste. En effet, l’ Accord du « Vendredi saint »  -ce compromis qui permit, en 1998, de mettre un terme à 30 ans de « troubles » sanglants entre les deux communautés-   prévoit que le parti arrivé en tête dans chacun des deux « camps » s’allie à son adversaire pour administrer ensemble, et dans une quasi-égalité de responsabilité, l’Irlande du Nord. 

Cette bascule de la droite vers la gauche en Irlande du Nord est d’autant plus prometteuse qu’au Sud de l’île, dans la République d’Irlande, le Sinn Fein  -seul parti présent dans les deux entités-  est également en position favorable pour gagner les prochaines élections. Plébiscité par les jeunes, il est à la pointe du combat pour les grands enjeux de société (moyens de vivre, logement, santé, droits des femmes…) et a acquis une crédibilité de parti de gouvernement. Mary-Lou Mc Donald, la brillante et très populaire présidente du Sinn Fein, partisane d’un référendum sur la réunification de l’île, parle de « la probabilité d’une Irlande unie dans les prochaines années ». On imagine l’émoi dans l’entourage de Boris Johnson, allié indéfectible des fanatiques du DUP et empêtré dans le blocage du « Protocole Nord-irlandais » , seul moyen d’éviter le rétablissement d’une frontière douanière dure sur l’île, après le Brexit…

On permettra à l’ex-président du groupe de la « Gauche unitaire » au Parlement européen d’évoquer les liens particuliers qui lient ce groupe à nos amis du Sinn Fein (Nord et Sud mêlés) : en mars 2004, nous nous sommes rendus à Belfast pour apprendre à mieux connaître cette force progressiste atypique, susceptible d’envoyer, la même année, ses premiers élus à Strasbourg et Bruxelles. Le courant passa immédiatement entre nous. Le Sinn Fein choisit de rejoindre notre groupe, sa première députée européenne n’étant autre que la jeune et dynamique Mary-Lou , aujourd’hui à la tête de son parti. L’année suivante, le leader historique du Sinn Fein, Gerry Adams, se rendit, pour la première fois, au Parlement européen, ce qui contribua à faire connaître le vrai programme actuel de son organisation, résolument orientée vers la démocratie, le progrès social et sociétal et la paix. En 2007, le Sinn Fein me fit l’honneur de m’inviter  à prendre la parole à son Congrès, puis à assister à l’investiture solennelle du premier Vice-Premier Ministre d’Irlande du Nord issu du Sinn Fein : Martin Mc Guinness, prêt à travailler avec son pire adversaire, le  très réactionnaire révérend unioniste, Ian Paisley, dans l’espoir de contribuer au dépassement définitif du climat de guerre civile dans la province. 15 ans plus tard, l’objectif reste le même. Car, souligne avec sagesse Mary-Lou Mc Donald : « Il y a besoin de réconciliation avant la réunification ». Bon vent à nos amis du Sinn Fein ! Ár ndlúthpháirtíocht go léir ! (x)

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(x) Toute notre solidarité ! (en gaélique irlandais) 

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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 06:19
L’assassinat de Shireen Abu Aqleh : Un nouveau crime de l’armée israélienne (PCF, 11 mai 2022)
L’assassinat de Shireen Abu Aqleh : Un nouveau crime de l’armée israélienne

La journaliste palestinienne Shireen Abu Aqleh a été assassinée par les forces d’occupation israélienne à Jénine. Alors qu’elle effectuait son travail de grand reporter, dont la notoriété est partout reconnue, elle a été froidement et sciemment exécutée alors qu’elle était totalement identifiable par l’insigne « presse » inscrite sur son gilet pare-balle.

Ce nouveau crime de l’armée israélienne s’inscrit dans une brutale escalade faite de d’implantations de colonies, de spoliations de terres, de destructions, d’arrestations et d’assassinats de femmes, d'hommes et d'enfants, afin de soumettre la population à un régime de terreur.

La situation est explosive face à la répression, la colonisation et la politique d’apartheid dont les Palestiniens sont victimes. Dans des conditions difficiles, les mobilisations se poursuivent et peuvent s’amplifier.

Le Parti communiste français (PCF) condamne ce nouveau crime et exprime sa solidarité constante avec la famille de Shireen Abu Aqleh et le peuple palestinien dans ce combat légitime.

Le Parti communiste français exige que le président de la République et son gouvernement, en sa qualité de président en exercice de l'Union européenne, prennent l'initiative de sanctionner les autorités israéliennes en suspendant l'accord d'association UE-Israël dont l'article 2 stipule : « Les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits humains fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme. »

Les tergiversations et les complicités tacites n’ont que trop duré. Elles nourrissent les crises régionales, les forces obscurantistes, le sentiment d’humiliation et d’injustice face à ces atrocités qui se déroulent dans l’indifférence.

Le Parti communiste français appelle à multiplier les initiatives en faveur de la paix pour le respect du droit international et des droits inaliénables des Palestiniens.

Parti communiste français
Paris, le 11 mai 2022

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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 06:16
L'envol de l'insécurité alimentaire dans le monde - Méline Le Gourriérec, commission internationale du PCF

Les médias en parlent peu et, pourtant, depuis deux mois déjà, les Sri Lankais descendent dans la rue pour protester contre leurs conditions de vie et dénoncer leur souffrance quotidienne. Pénuries de nourriture, de carburant et de médicaments sont le quotidien de la population, victime d'une grave crise économique qui ravage leur pays.

Le Sri Lanka n'est pas le seul pays où la sécurité alimentaire n'est plus assurée. Afghanistan, Pakistan, Liban, Yémen, Éthiopie, Madagascar, Guatemala...la liste des pays concernés s'allonge. La sous-alimentation et la malnutrition resurgissent dans toutes les régions du monde depuis la pandémie de la Covid-19. Le rapport mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur les crises alimentaires1 indique qu'en 2020 environ 118 millions de personnes de plus qu’en 2019 ont été confrontées à la faim, faisant monter le total des victimes à plus de 800 millions.

En novembre dernier, en raison d'une sécheresse historique liée au réchauffement climatique, des dizaines de milliers de Malgaches n'avaient plus accès à l'eau et souffraient de la faim.

Depuis le 24 février et le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, la sécurité alimentaire est menacée dans bien des pays au monde. Outre la population ukrainienne victime directe du conflit, ce sont également les pays très dépendants des matières premières ukrainiennes ou russes qui subissent et subiront de sévères pénuries.

Le rapport du FAO attire l'attention sur l'importance des poussées de la faim dans le monde, elles sont les plus fortes depuis des décennies. La réapparition des famines, de la faim et de la malnutrition montre les failles de nos sociétés fragilisées par les politiques ultra libérales. Les questions de production et de consommation, de quantité et de qualité des aliments, sont un enjeu primordial pour les êtres humains. L'alimentation, est un bien fondamental pour les femmes et les hommes, elle doit être extraite des forces de l'argent.

Les facteurs de l'insécurité alimentaire sont multiples : conflits, changements climatiques, crise économique ; leur répétition amplifie les effets, ce sur quoi il faut ajouter le facteur exponentiel qu'a été la pandémie. Ces causes suggèrent, comme l'indiquait Lydia Samarbakhsh dans son rapport de la commission des relations internationales du PCF en novembre 2021, que « les menaces et sources d'insécurité sont plus « globales » qu'uniquement nationales et elles invitent à l'élaboration de réponses politiques multilatérales, inclusives, où l'interdépendance est facteur de réussite collective par les coopérations et solidarités qu'elle permet de développer, contrecarrant dès lors toute ambition hégémonique. »2

La faim constitue une véritable menace pour la sécurité car pour survivre toutes les dérives peuvent voir se développer : trafic en tout genre, prostitution, travail des enfants, vente d'organes, etc. La sécurité alimentaire est un pilier pour la construction d'un monde de paix.

Méline Le Gourriérec
membre de la commission des relations internationales

1 - http://www.fightfoodcrises.net/fileadmin/user_upload/fightfoodcrises/doc/resources/GRFC_2022_FINAl_REPORT.pdf

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12 mai 2022 4 12 /05 /mai /2022 07:16
PCF - Irlande du Nord : La victoire historique du Sinn Féin fait résonner « le rire de nos enfants »

 

La victoire du Sinn Féin dans les six comtés du nord ouvre une nouvelle page de l’histoire de l’Irlande.

 

 

Avec 29 % des votes de première préférence, nos camarades ont toute légitimité pour assurer la direction du gouvernement régional, avec Michelle O'Neill comme Première ministre. Il est de la responsabilité des partis unionistes d’entendre le choix démocratique exprimé par le peuple irlandais.

Si on y ajoute les perspectives ouvertes en République d’Irlande, le Sinn Féin est aujourd’hui le premier parti sur l’ensemble de l’île. Le temps est venu pour un réel changement en Irlande. Le Sinn Féin porte avec force l’exigence des droits pour tous les Irlandais, dans leur diversité : droit à la santé, droit au logement, respect de la neutralité et engagement pour la paix et la sécurité collective, renforcement de l’intervention citoyenne pour toutes et tous.

Cette exigence est inséparable de la réalisation du droit historique du peuple irlandais de vivre dans une République unie. La voie vers un référendum de réunification au cours de la décennie est ouverte. Mettre fin à l’odieuse partition artificielle, qui divise le peuple irlandais depuis un siècle, serait non seulement rendre justice à tous ceux qui ont lutté, souvent au prix de leur vie, pour les droits du peuple irlandais ; ce serait aussi construire une République irlandaise indépendante, seul cadre possible permettant à l’ensemble des Irlandais, quelles que soient leurs convictions, de vivre ensemble.
Comme le disait Bobby Sands : « Notre vengeance sera le rire de nos enfants ».

Le Parti communiste français félicite chaleureusement le Sinn Féin pour cette victoire historique, qui en appelle d’autres. Il mesure également l’ampleur des embûches, des oppositions et des difficultés à surmonter. Il exprime à nouveau sa solidarité historique avec le Sinn Féin et les droits du peuple irlandais.

Parti communiste français
Paris, le 7 mai 2022

 

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7 mai 2022 6 07 /05 /mai /2022 07:11
Irlande du Nord. Le Sinn Féin à l'aube d'une victoire historique (Thomas Lemahieu, L'Humanité, jeudi 5 mai 2022)
Irlande du Nord. Le Sinn Féin à l'aube d'une victoire historique

Les républicains pourraient devenir la première force politique des deux côtés d’une île toujours divisée, à l'issue des élections locales qui ont eu lieu jeudi. Éclairage de l’universitaire Agnès Maillot.  Entretien

Publié le Jeudi 5 Mai 2022
L’histoire s’accélère-t-elle en Irlande ? Dans le Sud, après une percée spectaculaire lors des législatives, en 2020, le Sinn Féin caracole plus que jamais en tête des intentions de vote, avec 34 % des voix, sur une ligne résolument à gauche, payante face au vieil attelage des faux frères de droite (Fine Gael et Fianna Fáil). Dans le Nord, dans ce qui reste une province du Royaume-Uni, les mêmes, défenseurs depuis toujours d’une réunification de l’île, pourraient, ce jeudi 5 mai, à l’occasion des élections régionales, devenir la première force politique, devant les loyalistes et les unionistes britanniques. Une rupture dans l’histoire politique de l’Irlande du Nord, près de 25 ans après la signature des accords du Vendredi saint. Maîtresse de conférences à la Dublin City University et spécialiste du conflit nord-irlandais (1), Agnès Maillot met en lumière les dynamiques politiques à l’œuvre d’un côté comme de l’autre de la frontière.
 

En Irlande du Nord, les derniers sondages s’accordent : le Sinn Féin pourrait, pour la première fois, dépasser les unionistes du Democratic Unionist Party (DUP). Comment ce parti réussit-il à s’imposer d’un côté comme de l’autre de cette île qu’il rêve de réunifier ?

Déjà, c’est effectivement le seul parti qui est à la fois dans le Nord et le Sud. Au fil des ans, le Sinn Féin s’est non seulement professionnalisé, mais il a aussi développé des axes programmatiques très forts sur les grandes questions sociales et sociétales qui touchent directement l’électorat. C’est un parti très marqué à gauche, mais qui est aussi crédible et désormais prêt à gouverner aux yeux de beaucoup de gens. En février 2020, aux dernières élections législatives en République d’Irlande, il est arrivé en tête des « premières préférences » dans un système électoral qui organise les transferts de voix selon un ordre donné par les électeurs.

Dans un contexte de crise chronique, avec des tas de citoyens mal logés, des sans-abri, des loyers de plus en plus exorbitants, le Sinn Féin a fait du logement une priorité absolue. Alors que l’État s’est désinvesti du secteur, cela a permis de mobiliser les plus modestes, mais également les jeunes. Listes d’attente interminables pour des soins de base, délais de prise en charge aux urgences qui peuvent aller jusqu’à 36 ou 48 heures, coûts prohibitifs et assurances privées… Le Sinn Féin a également placé au centre de son programme la politique publique de santé. Et c’est là aussi une attente très forte de la population. Alors, au lieu de tout braquer sur ce qui reste historiquement sa priorité, la réunification de l’Irlande, le Sinn Féin se focalise sur la crise du logement, sur le système public de santé, sur l’inflation aggravée encore par la guerre en Ukraine. Cela leur a réussi dans la république du Sud, cela peut leur réussir dans le Nord aussi.

Icon QuoteLe Sinn Féin se focalise sur la crise du logement, le système public de santé et l'inflation. Agnés Maillot, Universitaire

Comment caractériser le vote pour le Sinn Féin aujourd’hui ? De moins en moins communautaire ou protestataire, de plus en plus de gouvernement ?

C’est un vote pour un parti qui est perçu comme capable de gouverner. Après, évidemment, les dimensions s’entremêlent, et ce n’est pas tout à fait la même situation d’un côté et de l’autre de la frontière. En Irlande du Nord, qui demeure sous l’autorité du Royaume-Uni, on a quand même trente ans d’un conflit qui – même s’il a été plus ou moins réglé avec les accords de paix en 1998 – reste très présent dans la vie quotidienne et dans la mémoire collective. Dès lors, l’histoire du Sinn Féin lui colle encore à la peau. Cela vaut notamment pour les liens avec l’Armée républicaine irlandaise (IRA), qu’il n’a jamais désavouée : les actions étaient, selon lui, nécessaires au moment où elles se sont produites. Les conditions ne sont pas les mêmes aujourd’hui que dans les années 1970 ou 1980, et le Sinn Féin n’est plus du tout dans une logique paramilitaire… Mais tous ses adversaires mettent systématiquement en avant ce pedigree sulfureux.

Avec Mary Lou McDonald à Dublin et Michelle O’Neill à Belfast, une nouvelle génération a pris la tête du parti. Est-ce que ça ne change pas la donne, tout de même ?

Il y a une nouvelle génération, ça ne fait aucun doute. Mais, en Irlande du Nord, les dirigeants du Sinn Féin demeurent malgré tout – de par leurs attaches familiales, leur histoire, leur éducation – renvoyés à ce passé. Michelle O’Neill est beaucoup trop jeune pour avoir été mêlée à des violences, mais tous les dirigeants du parti ont été affectés de près ou de loin : leurs parents ou leurs proches ont pu être impliqués dans des opérations paramilitaires, victimes d’attentats ou de violences policières. Qu’on le veuille ou non, ce passé reste très présent dans le Nord car tout n’a pas été résolu… C’est différent pour les dirigeants du Sinn Féin en République d’Irlande.

À propos de la réunification qu’ils défendent depuis des décennies, les républicains évoquent une « fenêtre d’opportunités ». L’élection peut-elle faire basculer l’Irlande ?

La réunification, ça fait partie de l’ADN du Sinn Féin. C’est l’objectif, et ça le restera, c’est clair. Ensuite, dans leur stratégie, les nationalistes ont intégré une part de pragmatisme. Comme cela est consigné dans les accords de paix de 1998, tout référendum sur le sujet doit passer par l’entremise du ministre britannique chargé de l’Irlande du Nord. Les conditions nécessaires à la tenue d’un référendum ne sont pas clairement détaillées, mais on imagine qu’il faudrait une opinion majoritaire en sa faveur. Comment on le détermine ? Par des sondages d’opinion ? Par une élection qui serait massivement remportée par des partis qui soutiennent l’idéal de la réunification ?

Difficile à trancher, mais pour l’instant, ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas du tout dans les intentions du gouvernement britannique. Et ça, le Sinn Féin en est parfaitement conscient. Donc, sans camoufler leur vision en faveur de la réunification, ses dirigeants cherchent, je pense, à augmenter leur assise électorale par le biais d’un programme de justice social inclusif et des mesures plus sociétales susceptibles de convaincre les jeunes, nationalistes ou unionistes, en faveur des droits des personnes LGBT, des droits des femmes, de l’avortement, de la défense de l’environnement et du climat. Des questions qui les mobilisent bien davantage que la réunification.

En réalité, avec un Sinn Féin qui est au plus haut en République d’Irlande, le scénario est déjà assez effrayant pour les unionistes : si l’organisation qui se définit par son objectif de réunification devient le premier parti des deux côtés de l’île, ça ne veut pas dire qu’il va pouvoir du jour au lendemain décider d’une réunification, loin de là… Mais cela signifie que l’opinion est en train de bouger.

Icon QuoteLes unionistes vivent en vase clos. Ils ont très peu de contacts avec le reste du monde.

Hégémonique si longtemps en Irlande du Nord, l’unionisme est-il désormais condamné aux seconds rôles ?

À la fin des années 1960, la démographie en Irlande du Nord était très simple : il y avait deux tiers d’unionistes protestants et un tiers de catholiques nationalistes. On ne connaît pas encore les résultats du dernier recensement, mais ça devrait donner à peu près une égalité entre les deux camps. Par ailleurs, de plus en plus de citoyens ne se reconnaissent ni d’un côté ni de l’autre. Les unionistes ont perdu le contrôle d’un État qui avait été façonné il y a cent ans en fonction de leurs intérêts. Donc, évidemment, on revient à ce symbole : ce jeudi, en devenant le premier parti d’Irlande du Nord, les républicains pourraient renverser la table. Même si, à en croire les sondages, le Sinn Féin devra plus son succès à la chute spectaculaire du DUP qu’à sa propre progression…

Sur le fond, le camp unioniste et loyaliste est en train de se fragmenter : auparavant, il y avait deux partis ; à présent, il y en a trois. Le DUP demeure le principal, mais il est concurrencé par les plus modérés du Ulster Unionist Party (UUP) et par une frange plus extrême encore, les ultraconservateurs de la Traditional Ulster Voice (TUV). Dans les faits, ces formations ne se disputent plus que 40 % de l’électorat, voire moins encore… Un parti non aligné comme l’Alliance leur fait perdre du terrain car il représente mieux les vues des classes moyennes unionistes, ou des jeunes qui s’identifient de moins en moins aux positions extrêmement conservatrices et franchement d’arrière-garde du DUP ou du TUV sur l’avortement, sur les droits des personnes LGBT, etc.

La grande affaire de la plupart des unionistes, c’est le protocole nord-irlandais imposé dans le cadre de la sortie de l’Union européenne car, à leurs yeux, il sépare l’Irlande du Nord du reste du royaume. Mais on peut tourner la question dans tous les sens, on l’a fait depuis le jour de la victoire du Brexit au référendum en juin 2016 : personne n’a d’autres solutions que ce statut hybride pour l’Irlande du Nord, avec un pied dans le Royaume-Uni et un pied dans l’Union européenne. En fait, beaucoup considèrent qu’on peut parfaitement s’en accommoder, et même que les Nord-Irlandais bénéficient du meilleur des deux mondes, tout en ayant sauvé l’essentiel, les flux commerciaux et la circulation des personnes entre les deux parties de l’île…

Sur les droits des femmes ou des personnes LGBT, les républicains paraissent avoir pris un tournant progressiste que les unionistes, repliés sur leur idéologie ultraconservatrice, n’ont pas emprunté… Comment expliquer ce fossé grandissant ?

Les unionistes vivent en vase clos. C’est la grande différence avec le Sinn Féin. Le DUP, par exemple, n’existe qu’en Irlande du Nord et est très peu en contact avec le reste du Royaume-Uni, sauf à travers ses quelques députés qui siègent à Westminster. Le Sinn Féin, c’est un parti de toute l’Irlande qui est, par ailleurs, en lien avec le reste du monde. Or, depuis le début du XXIsiècle, l’Irlande a fait des progrès énormes sur les questions sociétales. Et le Sinn Féin est ancré dans la république, donc, au fond, il a bougé lui-même avec le reste de la société. Par ailleurs, il a toujours été assez progressiste, même par rapport à ses rivaux au sud de l’île. Certes, il y a quelques contradictions internes car le catholicisme occupe toujours une place dans le parti. Mais celui-ci a bougé aussi en Irlande du Nord, tandis que les unionistes sont, eux, restés englués dans les positions les plus rétrogrades… À tel point qu’ils sont maintenant en décalage avec leur propre électorat, qui, quand on regarde les enquêtes d’opinion, est en réalité bien plus progressiste que ses représentants politiques…

(1) Derniers ouvrages parus : Rebels in Government. Is Sinn Féin ready for power ?, Manchester University Press, 2022 ; et l’IRA et le conflit nord-irlandais, Presses universitaires de Caen, 2018.
 
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7 mai 2022 6 07 /05 /mai /2022 07:05
Henri Curiel, assassiné le 4 mai 1978, un ardent internationaliste - par Sylvie Braibant (L'Humanité, 10 mars 2022)
Henri Curiel, un ardent internationaliste

La journaliste Sylvie Braibant, membre du collectif Secret-Défense, un enjeu démocratique, est la nièce d’Henri Curiel. Elle revient pour l’Humanité sur le parcours de ce communiste égyptien sans frontières qui prit pendant la guerre d’indépendance algérienne une part décisive aux réseaux d’aide directe aux FLN. Le secret-défense fait toujours obstacle à la manifestation de la vérité sur son assassinat, qui présente tous les attributs du crime d’État. Ce texte est publié, dans une version courte, dans le hors-série de l’Humanité « France Algérie, mémoires à vif ».

Publié le Jeudi 10 Mars 2022 - L'Humanité

La date a été soigneusement choisie : le jeudi 4 mai 1978, jour de l’Ascension, sous un beau soleil printanier, Paris vit au ralenti. Un commando de trois tueurs attend en planque, rue Monge, à la hauteur de l’escalier qui mène vers la rue Rollin, dans le 5 e arrondissement de Paris. À midi, deux d’entre eux quittent le véhicule. Ils viennent d’entendre via leur système d’écoute qu’Henri Curiel dit au revoir à sa femme et s’apprête à quitter leur duplex, immeuble au fond de la cour, cinquième étage, vue imprenable sur cette ville qu’il aime tant.

Les deux hommes grimpent les 34 marches de l’escalier en pierre, entrent, juste à droite, sous la porte cochère du n° 4 rue Rollin et arrivent avant que le vieil ascenseur en fer forgé n’achève sa descente. Ils tirent à travers les portes vitrées, Henri Curiel s’écroule. Quelques heures plus tard, la revendication arrive. Elle renvoie à la guerre d’Algérie par sa signature, un commando Delta, et les mots de la revendication : « Aujourd’hui, à 14 heures, l’agent du KGB Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. » L’arme qui a tué Henri Curiel a déjà servi, le 1 er décembre 1977, contre Laïd Sebaï, gardien de l’Amicale des Algériens en Europe.

 La France est alors présidée par un homme « moderne », Valéry Giscard-d’Estaing, ancien partisan de l’Algérie française, cause partagée par de proches collaborateurs - Alain Madelin, Gérard Longuet, anciens militants du groupe « Occident », mélange d’anticommunisme et de nostalgie coloniale, ou Michel Poniatowsky -, tandis qu’au « service action » du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, prédécesseur de la DGSE), chargé des basses œuvres de la République, sévissent des reconvertis de l'OAS. 

L’assassinat d’Henri Curiel a été précédé d’une campagne de dénigrement de deux ans, lancée par le Point en 1976, sous la plume du journaliste Georges Suffert, relayée un an plus tard par d’autres médias, dont le Spiegel allemand. En septembre 1977, Henri Curiel est assigné à résidence à Dignes, d’où il revient trois mois plus tard après décision du Conseil d’État. Si le facteur déclenchant du meurtre est à chercher du côté du dévoilement des contrats mirifiques signés par la France (et l’Allemagne) avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, pourtant mise au ban des nations, les assassins reliés à l’OAS ont sans doute appuyé avec un plaisir non dissimulé sur la détente, tant la vie d’Henri Curiel, après son exil d’Égypte, fut liée à l’Algérie, avant et après son indépendance.

Lorsqu’il est expulsé d’Égypte en 1951 par le roi Farouk, Henri Curiel ne l’est pas seulement parce qu’il est l’un des fondateurs du mouvement communiste égyptien, mais parce qu’il est aussi convaincu que le combat contre les colonialismes occupera la décennie à venir.

Henri Curiel est né le 13 septembre 1914 au Caire, deuxième fils de Zephira et Daniel Curiel. Son père, Daniel Curiel, dirige la banque familiale fondée au XIX e siècle par le premier des Curiel arrivé en Égypte. Il possède des terres agricoles sur le Nil, reçoit à sa table artistes et écrivains ou encore les membres de l’administration coloniale, et il espère bien que l’un de ses fils reprendra le flambeau de ses affaires. Mais le XX e siècle en décidera autrement. L’aîné des frères Curiel partira arpenter les terrains archéologiques d’Asie centrale, tandis qu’Henri mène la vie quelque peu dissolue d’un jeune homme fortuné… jusqu’à sa rencontre avec Rosette Aladjem. La jeune femme, née en Bulgarie, est infirmière et sillonne les zones les plus pauvres de la capitale égyptienne pour secourir celles et ceux qui n’ont pas accès aux soins. En accompagnant Rosette, Henri découvre les « damnés » de la terre. C’est une déflagration, amplifiée par l’écho des événements en cours en Europe. En 1939, alors que la Seconde Guerre mondiale est inéluctable, Henri Curiel est convaincu, comme son frère Raoul, que seul le communisme pourra remédier aux maux du monde, de son pays en particulier… Mais, à l’inverse de ses compagnons, il perçoit aussi l’importance du nationalisme, l’autre mouvement de fond qui secoue l’Égypte, malgré une indépendance de façade accordée en 1922.

Durant la guerre qui s’invite en Égypte, il organise l’aide aux alliés. Il est incarcéré une première fois, en 1942, par des autorités enclines à se rapprocher des nazis par opposition au Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale toujours présente. Ce qui le conforte dans sa vision, qu’il résume ainsi : « Qu’est-ce qu’être communiste aujourd’hui en Égypte ? C’est être anti-impérialiste. » Et qui se retrouvera dans le nom de la première organisation qu’il fonde en 1943 : le Mouvement égyptien de libération nationale (MELN).

À nouveau emprisonné, après 1948 et la création de l’État d’Israël, comme communiste ou/et comme juif, Henri est expulsé de son pays natal par le roi Farouk, le 26 août 1950.

En France, où il arrive un an plus tard, malgré un statut d’apatride qui devrait l’inviter à se tenir en retrait, il reprend aussitôt le combat, sur plusieurs fronts : il veut maintenir un lien avec les camarades égyptiens – mais en Égypte les communistes ne veulent plus de lui et en France il est ostracisé par le PCF – ; il se lance dans l’organisation du dialogue entre Israéliens, Palestiniens et Égyptiens ; il salue l’émergence d’une troisième voie hors des États-Unis ou de l’URSS qui se concrétise à Bandung en 1955 sous l’impulsion de l’indien Nehru, de l’Indonésien Soekarno et surtout, pour lui, de l’Égyptien Nasser – le groupe d’Henri a accompagné le coup d’État des officiers libres contre la monarchie en 1952 et quatre ans plus tard manifeste à nouveau son soutien à Nasser en lui faisant passer les plans de l’attaque franco-britannique lors de la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez en 1956. Mais le raïs n’y croit pas, met les communistes en prison et Henri voit s’éloigner un peu plus son Égypte natale.

En 1957, lorsqu’il rencontre des membres du réseau Jeanson, « porteurs de valises » du FLN, il est mûr pour passer à autre chose. La lutte pour l’indépendance algérienne sera le grand tournant de son action.

Après le retrait de Francis Jeanson, grillé, les Algériens demandent à Henri de reprendre la main sur les réseaux d’aide au FLN. Trois ans durant, entouré des compagnons d’Égypte, obligés de partir eux aussi au long des années 1950, de sa femme Rosette, mais aussi des exceptionnelles Joyce Blau et Didar Fawzy-Rossano, il organise les filières de transfert d’argent ou d’armes, d’exfiltration des déserteurs et des militants du FLN. Jusqu’à son arrestation le 20 octobre 1960.

Mais la prison n’a jamais entravé Henri Curiel : en Égypte, déjà, il convertissait ses gardiens successifs au communisme, il fallait en changer régulièrement, et il organisait des groupes de discussion avec les Frères musulmans. Il s’installe au centre pénitentiaire de Fresnes, comme s’il était chez lui, sa cellule se transforme en séminaire permanent entre Algériens et Français. Lors du ramadan, par solidarité, il invite ses codétenus non musulmans à le suivre, comme lui. Il tient une bibliothèque et organise des cours de yoga, il est particulièrement habile au sirsasana, position tête en bas…

Cette année et demie de réclusion lui permet surtout d’envisager l’étape suivante de son combat, dans laquelle l’Algérie indépendante jouera un rôle déterminant : ce sera Solidarité, organisation semi-clandestine destinée à apporter une aide très concrète aux indépendantistes et aux antifascistes partout dans le monde, aux Espagnols et Portugais antifranquistes, aux Sud-Africains à l’assaut de l’apartheid, aux Brésiliens, Argentins ou Chiliens contre leurs dictatures, etc. S’y côtoient des anciens de la Résistance, des mouvements communistes égyptiens et des réseaux d’aide au FLN, experts en services multiples : repérage et rupture d’une filature ; impression de tracts et de brochures grâce à un matériel léger ; fabrication de faux papiers ; chiffrement et écriture invisible ; soins médicaux et premiers secours ; maniement d’armes et utilisation des explosifs ; cartographie et topographie. Le financement vient d’Alger, les « instructeurs » d’un peu partout.

Sous la présidence d’Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, Alger s’est transformé en chaudron révolutionnaire international. Henri Curiel s’y rend plusieurs fois. Comme il n’a toujours pas de passeport, il voyage sous la couverture d’une maison d’édition. Joyce Blau l’accompagne et, sur place, ils retrouvent Didar Fawzy-Rossano, installée en Algérie après l’indépendance – elle fait merveille dans les « chantiers de jeunesse ». Joyce se souvient encore de la demande d’Henri à Ahmed Ben Bella, qu’il rencontre à chacun de ses séjours, d’intercéder auprès de Nasser afin que sa mère, Zephira Curiel, puisse sortir d’Égypte pour rendre visite à ses deux fils en France. Ce qui fut fait. Une belle époque, pleine d’espérance. Jusqu’au renversement de Ben Bella.

Après 1965, les relations entre Solidarité et l’Algérie sont plus épisodiques. Ainsi, lors du « sauvetage » des pirates de l’air des Black Panthers en 1972. Le 31 juillet de cette année-là, Melvin et Jean McNair, George Brown, George Wright et Joyce Tillerson détournent un avion qui devait relier Detroit à Miami. Ils veulent rallier Alger, où siège la section internationale des Black Panthers. Mais celle-ci entretient de très mauvaises relations avec Houari Boumediene. Henri Curiel et Solidarité organisent alors l’exfiltration des membres du commando vers la France.

Quatre ans plus tard, le 11 mai 1978, à 14 heures, une foule dense suit le fourgon funéraire qui remonte l’allée centrale du cimetière du Père-Lachaise depuis le boulevard de Ménilmontant. Une immense couronne de lys et de roses recouvre le véhicule dans lequel repose le cercueil d’Henri. Elle porte l’inscription : « À la mémoire d’Henri Curiel. L’Algérie ».

CURIEL Henri, dit Younès en Égypte, dit Pointet, Jacques, Guillaume, Frédéric et Wassef en France

Né le 13 septembre 1914 au Caire (Égypte), assassiné le 4 mai 1978 à Paris ; militant antifasciste de l’Union démocratique ; fondateur du Mouvement égyptien de libération nationale (1943) ; responsable politique du Mouvement démocratique de libération nationale (1947) ; « porteur de valise » pour le FLN (1957), responsable du réseau Jeanson (1960) ; fondateur du Mouvement anticolonialiste français (juillet 1960) ; fondateur de l’organisation Solidarité ; artisan de la paix au Proche-Orient.

 

Issu du côté paternel, d’une famille de juifs séfarades, protégés italiens, Henri Curiel grandit au Caire avec son frère, Raoul (né un an avant lui) dans un milieu cosmopolite où la France était une référence absolue. Demeurant dans l’un des beaux quartiers de la capitale égyptienne (Zamaleck) avec son père, Daniel Curiel, banquier, homme d’affaires et propriétaire terrien, et sa mère, Zéphira Behar, catholique, d’origine syro-libanaise, il fit sa scolarité au collège des jésuites.

Optant pour la nationalité égyptienne en 1935, Henri Curiel, désigné pour travailler avec son père, subit l’influence de son frère, étudiant à Paris, membre des Amis de l’URSS, marqué par le Front populaire et sa participation aux réseaux de soutien à l’Espagne républicaine. Raoul Curiel faisait partie des Étudiants socialistes et était proche de la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert*. En 1938, à cause des menaces de guerre il décida de revenir en Égypte. Il incitait son frère, Henri, à lire les brochures et manuels d’édition française du marxisme-léninisme soviétique.

En 1939, les deux frères Curiel, antifascistes, séduits par le communisme à travers la personnalité de Georges-Henri Pointet* qui avait adhéré au Parti suisse du travail, rallièrent l’Union démocratique connue aussi sous le nom de Ligue démocratique, avec Marcel Israël. Grâce aux fonds de Daniel Curiel, ce regroupement disposait de locaux, d’une bibliothèque tenue par Diane Rossano (plus tard Didar Fawzy*) et d’une revue : Don Quichotte (façon de saluer l’Espagne républicaine) dont Georges Henein était responsable. Henri Curiel y écrivit un article dénonçant la condition des ouvriers égyptiens. Cette revue dura six mois et soutint la campagne du jésuite Henry Ayrout pour porter secours à la misère paysanne, en publiant des enquêtes sur la vie des fellahs en Haute Égypte. L’Union démocratique organisait des conférences et trouvait dans la libraire du Rond-point un relais intellectuel antifasciste attentif à ce qui se passait en France. Lorsque la Seconde Guerre mondiale fut déclarée, Raoul et Henri se portèrent volontaires pour rejoindre l’armée française, mais en vain tandis que Georges-Henri Pointet réussissait à s’enrôler dans les troupes françaises. Celui-ci appartint ensuite à l’armée de libération au sein de laquelle il trouva la mort en 1944. Henri Curiel prendra le nom de Pointet pour premier pseudonyme, à son arrivée en France en 1951.

En butte à des soucis de santé (signes précurseurs de la tuberculose), Henri Curiel avait découvert l’insondable misère du peuple égyptien dans la compagnie entre autres filles de bourgeoisie, d’une jeune infirmière qui avait des préoccupations sociales, Rosette Aladjem, fille d’un haut fonctionnaire, qu’il épousera en 1943. Ce fut pour Henri Curiel le choc initiatique, la révélation d’un insoutenable malheur qui allait le conduire à la politique.

À partir de la librairie du Rond-Point, et sous l’impulsion de Georges Gorse, délégué de La France libre du général de Gaulle à Londres, il avait participé à la fondation des Amitiés françaises ; son frère, Raoul, devint le speaker de la France libre à radio Dakar. En Égypte, la puissance d’occupation était l’Angleterre ; tout se précipitera en 1942 lorsque Le Caire faillit tomber aux mains de Rommel. Alors que la communauté juive aisée s’empressait de partir pour Jérusalem, Henri Curiel décida de rester ; il fut arrêté par la police égyptienne, emprisonnant communistes et Frères musulmans, à l’insu des autorités anglaises. Libéré grâce à l’intervention de son père et placé pour trois ans sous le régime de la résidence administrative après le coup d’arrêt porté à l’avance allemande d’El Alamein, il créa en 1943 le Mouvement égyptien de libération nationale (MELN), un de ces fronts nationaux que l’Internationale communiste appelait à former. Le « secteur Égypte », avant comme après la dissolution de l’IC, relevait de la Section coloniale du PCF que dirigera Élie Mignot*, sous la responsabilité d’André Marty.

Rapidement, l’organisation fut en mesure de traduire et de diffuser des textes communistes (comme Manifeste du Parti communiste, Que faire ? Socialisme utopique et socialisme scientifique, Les principes du léninisme), de tenir une fois une école de cadres dans la propriété Curiel, de recueillir les mutins des brigades grecques en avril 1944, de s’associer aux actions et manifestations du Comité national des étudiants et des ouvriers, de participer aux conflits sociaux qui secouaient le pays, notamment aux grandes manifestations de février 1946. Mais la concurrence avec les organisations d’Hillel Schwartz (Iskra) et de Marcel Israël (Libération du peuple), la faiblesse de l’implantation populaire qui laissait la direction entre les mains d’ « Egyptiens étrangers » pour dire intellectuels issus des colonies d’affaires, et la répression policière ne facilitaient pas la volonté d’« égyptianiser » le mouvement. Henri Curiel fut à nouveau arrêté en juillet 1946, relâché puis encore arrêté en décembre et libéré sous caution.

En juillet 1947, les trois organisations majeures (MELN, Libération du peuple et Iskra) formèrent un front national, Mouvement démocratique de libération nationale (MDLN), contre l’occupation britannique, mais très vite des luttes intestines brisèrent l’unité. La reconnaissance de l’État d’Israël et la première guerre israélo-arabe provoquèrent l’arrestation de militants communistes. Accusé de sionisme, Henri Curiel fut enfermé d’abord à « la prison des étrangers » puis détenu au camp d’Huckstep ; Rosette Curiel, sa femme, fut arrêtée puis, pour raisons de santé, placée sous bonne garde en résidence pendant deux ans dans un sanatorium. Après les élections de 1950, le gouvernement égyptien annonça la libération des détenus politiques « étrangers » moyennant leur départ définitif d’Égypte. Privé de la nationalité égyptienne sous le prétexte qu’il n’avait pas produit le papier de renoncement à la nationalité italienne, Henri Curiel, qui s’obstinait à vouloir rester incarcéré, fut embarqué de force à Port-Saïd le 26 août 1950. Débarqué à Gênes, il s’adressa à la direction du Parti communiste italien qui lui réserva un accueil glacial. Il passa clandestinement en France en 1951, fut reçu par André Marty, mais le bureau de la section coloniale se montra réservé vis-à-vis de ce fils de banquier juif prétendant prendre la tête du communisme égyptien.

Aidé financièrement par Joseph Hazan qui avait monté une société de papeterie et textile, Patex (Henri Curiel sera officiellement un employé de la société), il continua à diriger le MDLN en Égypte comme un secrétaire général en exil. Mais le putsch des « officiers libres », le 23 juillet 1952, qu’il approuva, lui valut de se voir dénoncé comme « suppôt de la dictature fasciste ». L’affaire Marty, en novembre 1952, acheva de le marginaliser (le PCF reprochait à André Marty d’avoir été hébergé par « un couple d’Égyptiens douteux » en 1943 au Caire) et de le mettre au ban du mouvement communiste. La section coloniale du PCF accompagnait en outre la distance que prenait l’URSS avec l’État d’Israël, et se refusait à soutenir les efforts de recherche d’une solution concertée judéo-arabe pour trouver une issue au conflit que conduisaient ces exilés d’Égypte dans le Groupe de Rome.

L’orientation et l’action pratique de Curiel étaient vouées au soutien des luttes de libération nationale. Robert Barrat, journaliste engagé contre la guerre d’Algérie, lui ouvrit un nouveau champ d’action ; il le présenta à Francis Jeanson* qui mettait en place un réseau d’aide au FLN. Pendant trois ans, Henri Curiel s’employa à seconder le réseau Jeanson : caches, transports de militants, diffusion des journaux et des tracts, collecte de l’argent de l’émigration et transports de fonds, passages de frontières. Il travaillait avec sa femme, Rosette, Joyce Blau* et Didar Fawzi Rossano, toutes deux venues d’Égypte. Après l’insurrection à Alger des partisans de l’Algérie française, le 13 mai 1958, Henri Curiel incita Francis Jeanson à rencontrer des dirigeants du PCF pour envisager des luttes en commun. Un premier contact eut lieu entre Francis Jeanson et Antoine Casanova* le 30 mai 1958, suivi d’un second le 5 juin avec Waldek Rochet*, mais les divergences étaient trop fortes.

En même temps que les arrestations au sein du réseau Jeanson se faisaient plus nombreuses en 1960, des désaccords apparurent entre le groupe Curiel et Francis Jeanson. Ce fut néanmoins Henri Curiel qui prit la direction du réseau en 1960 lorsque Francis Jeanson dut disparaître après un coup de filet de la DST. Henri Curiel voulut alors élargir le réseau en créant le Mouvement anticolonialiste français (MAF). La réunion fondatrice se tint le 20 juillet 1960 à Saint-Cergue, en Suisse, avec une trentaine de délégués. Ce fut un échec, le pragmatisme de Curiel se heurta aux partisans de la « révolution algérienne » qui pensaient qu’elle pourrait avoir des conséquences en Europe alors qu’il ne voyait dans le FLN qu’un mouvement de libération nationale.

Le 7 octobre 1960, Rosette Curiel fut arrêtée à Genève puis expulsée vers Tunis. Le 20 octobre, Henri Curiel fut, à son tour, arrêté et incarcéré à Fresnes où il fut détenu pendant dix-huit mois avec plus d’un millier d’Algériens. Après la grève de la faim de novembre 1961, il obtint le régime politique avec les autres détenus algériens. Le FLN le laissa donner des cours de perfectionnement en français. Il sortit de Fresnes après les accords d’Évian, le 14 juin 1962, et dut à ses relations gaullistes de pouvoir rester en France et d’œuvrer pour le Tiers-monde.

Henri Curiel créa, en décembre 1962, Solidarité, une centrale de prestation de services pour apporter de l’aide aux mouvements de libération. Il s’agissait de se mettre au service d’autres militants venus du monde entier et de leur enseigner certaines techniques : repérage et rupture d’une filature, impression de tracts et de brochures, fabrication de faux papiers, etc. Axée sur le Tiers-monde, l’aide fut étendue aux réseaux antifascistes luttant contre Franco en Espagne, Salazar au Portugal, les colonels en Grèce ou Pinochet au Chili, et à l’ANC d’Afrique du Sud. Les militants arrivaient par petits groupes pour des stages de durée variable. Cela dura quinze ans. Sous la présidence de Giscard d’Estaing, Henri Curiel perdit sa protection, se retrouvant à la merci des entreprises anticommunistes des Services français.

Henri Curiel s’employait à esquisser un plan de paix entre les Palestiniens émissaires de Yasser Arafat à la tête de l’OLP, et des Israéliens engagés dans le mouvement de « la paix maintenant », lorsqu’il fut assassiné le 4 mai 1978. Il avait rendez-vous avec le responsable palestinien Issam Sartaoui, mandaté par Yasser Arafat, quand il fut abattu, sur informations minutées d’écoutes téléphoniques, en sortant de l’ascenseur de son domicile. L’attentat fut revendiqué par le groupe Delta faisant écho au commando Delta de l’OAS en Algérie et en France, mais l’enquête policière ne put aller jusqu’à identifier les instigateurs et les exécutants du crime.

 

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21225, notice CURIEL Henri, dit Younès en Égypte, dit Pointet, Jacques, Guillaume, Frédéric et Wassef en France par René Gallissot, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 3 mai 2020.
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