Une information:
A l'invitation d'Attac Morlaix, François Ruffin, journaliste à France Inter et rédacteur en chef de Fakir, animera une conférence-débat le jeudi 17 novembre à 20h30 à la salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix sur le thème:
Contre le fatalisme, vive le protectionnisme?
Voilà ce qu'on pouvait lire sous sa plume dans le dossier "Vive les douaniers" du Fakir n°50 de mai-juin 2011:
« C'est quoi, leur grande trouille? Leur peur bleue?
Il suffit de parcourir le site du Medef.
Le 17 octobre 2008, « d'une manière tout à fait exceptionnelle, Laurence Parisot a pris l'initiative d'organiser à Paris une réunion des patronats des principaux pays membres du G8 ». Et pour déclarer quoi? Que « nous attendons aujourd'hui des responsables politique et institutionnel...qu'ils écartent toute mesure protectionniste.(...). Nous sommes convaincus que nos économies retrouveront le chemin de la croissance à condition qu'elles écartent les mesures protectionnistes ». Préparant le G20 à Londres, quel est « le premier point » qu'aborde Laurence Parisot, en mars 2009, lors de sa conférence de presse? Ce « qui nous semble tout à fait essentiel est de dire clairement et le plus précisément possible à quel point il faut résister à toutes les tentations protectionnistes ». Le sommet n'est pas encore achevé, le 2 avril, que déjà elle respire: « L'appel à lutter formellement contre les tentations protectionnistes est fondamental pour nos économies, mais aussi pour nos démocraties ». Car taxer les importations, c'est bien connu, voilà le prélude au fascisme...
Ah, les charmes du monde « ouvert » - moins ouvert néanmoins pour le réfugié économique du Sud que pour les produits du nord... Ça fait réfléchir, quand même, non, que les braves patrons redoutent autant le « protectionnisme »? Voilà leur talon d'Achille.
Contre leur libre-échange, des barrières douanières. La grosse artillerie.
C'est notre dernière arme, j'ai l'impression. Les seules batteries qui les feront reculer. J'ai cru au reste. Ou j'ai voulu croire? Qu'il y aurait des trucs plus sympas, pour les arrêter: la consommation citoyenne, les rendez-vous altermondialistes, la concertation internationale, des luttes partout dans le monde, l'autodestruction du capitalisme, etc.
J'ai perdu ces illusions. Tant que leurs capitaux, leurs marchandises se baladeront tranquillement sur le globe, nous serons à genoux devant eux. A les supplier de rester: « D'accord, nous ne relèverons pas le SMIC... D'accord, vous pouvez rejeter votre CO2 dans l'atmosphère...D'accord, nous éliminerons la taxe professionnelle...Mais ne partez pas! » Ils disposeront toujours de cette menace.
Je tape « Tobin » sur le site du Medef:: « Aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés ». Idem avec « taxe sur les transactions financières ». Alors que cette idée- qui a également mes faveurs- est reprise par Nicolas Sarkozy, par Christine Lagarde, le patronat ne déploie manifestement pas la même énergie pour la contrer. Et pourquoi? C'est que, à l'évidence, le danger est plus lointain: il faudrait que tous les pays du monde se mettent gentiment d'accord. Ça laisse du temps au temps... »
François Ruffin
Voici les réflexions que m'inspire pour ma part ce problème de l'opportunité du protectionnisme pour mener une politique vraiment de gauche.
Tout d'abord, un fait massif: il y a 60 ans, les produits manufacturés étaient taxés à hauteur de 20% au moins à leur entrée en France. Un taux qui est descendue à 2,5% aujourd'hui pour l'Union Européenne. Sur l'ensemble du globe, d'un cycle de négociation à l'autre au sein du Gatt, puis de l'OMC, les tarifs de douane moyens sont passés de 40% à 3,9%.
Le protectionnisme est-il de gauche?
Pas nécessairement: dans l'Angleterre ou la France du XIXème siècle, des conservateurs pouvaient défendre des politiques économiques protectionnistes pour défendre des intérêts financiers nationaux contre la concurrence d'industries ou d'agricultures étrangères. On peut plaider pour la protection des intérêts économiques nationaux, subventionner et protéger de la concurrence des « champions industriels », sans réellement défendre le salariat et l'intérêt général contre les intérêts privés du capitalisme local. La défense de l'emploi industriel et de la patrie en danger peuvent même être des diversions aux combats de lutte des classes.
Certains, adeptes de la « mondialisation heureuse » comme Strauss-Kahn ou Daniel Cohen diront, dans le sillage du libre-échangisme d'Adam Smith, que la concurrence libre et non faussée favorise la croissance, la spécialisation des sociétés dans les domaines économiques où elles peuvent prétendre à des avantages comparatifs et qu'elle est au final mutuellement avantageuse, permettant l'élévation du niveau de vie dans les pays riches comme dans les pays émergents ou en voie de développement. Être de gauche, ce ne serait pas, par chauvinisme ou simplisme, restaurer les frontières et les restrictions à l'activité économique privée et à la libre concurrence des acteurs économiques: ce serait d'abord être soucieux de redistribuer équitablement des richesses que seul le libéralisme est en mesure de maximiser...
Ce serait aussi penser aux intérêts du producteur chinois, africain ou roumain bénéficiaire des transferts d'activité et de l'arrivée des investisseurs dans son pays... et ne pas s'accrocher à des activités économiques non rentables en France en privilégiant le repli nationaliste et le refus de l'insertion dans la mondialisation pour lutter contre quelques délocalisations qui relèvent du mal nécessaire et creuseront bien moins le chômage et la misère dans notre pays que ne le ferait une fermeture de notre économie. De toute évidence, en restreignant notre marché intérieur aux produits et capitaux étrangers, on s'interdit également un accès aisé à d'autres marchés: or, il est loin d'être établi que les pays européens avec des normes sociales élevés pâtissent actuellement de la mondialisation libérale.
D'autres, dans la gauche radicale et marxiste y compris, plaident contre un protectionnisme qui préserve artificiellement des secteurs d'activité obsolètes ou nécessitant une restructuration au nom de l'internationalisme et de la nécessité de donner des réponses globales pour transformer ou dépasser le capitalisme en profitant préalablement de sa tendance endogène auto-destructrice, de sa propension à homogénéiser le statut des salariés dans le monde ou à créer des outils politiques de gouvernance économique à l'échelon international qui pourront être utilisés à l'avenir pour d'autres fins.
On peut citer Daniel Bensaïd le philosophe et militant de la LCR décédé l'an passé, dans l'ouvrage collectif coordonné par Clémentine Autain, Post capitalisme: Imaginer l'après (édition Au Diable Vauvert, 2009):
"Devant la brutalité de la crise et l'explosion du chômage, des voix s'élèvent pour prôner des mesures protectionnistes, à commencer par un "protectionnisme européen"... Emmanuel Todd s'en en fait le champion. Le but serait de "créer les conditions d'une remontée des salaires" afin que l'offre crée enfin sur place sa propre demande... La question n'est pas de principe ou de doctrine. Protéger? Mais protéger quoi, contre qui, et comment? Si l'Europe commençait par adopter des critères sociaux de convergence en matière d'emploi, de revenu, de protection sociale, de droit au travail, par harmoniser la fiscalité, elle pourrait légitimement adopter des mesures de protection, non plus des intérêts égoïstes de ses industriels et financiers, mais des acquis sociaux. Elle pourrait le faire de manière sélective et ciblée, avec en contrepartie des accords de développement solidaire avec les pays du Sud en matière de migrations, de coopération technique, de commerce équitable. Sans quoi un protectionnisme de riche aurait pour principal effet de se décharger des dégâts de la crise sur les pays les plus pauvres".
Les militants tiers-mondistes peuvent aussi se plaindre de trop de protectionnisme unilatéral et accuser les États occidentaux, les Etats-Unis notamment de trop protéger leurs agricultures et certaines de leurs industries, en pratiquant un libre-échangisme à géométrie variable qui ne permet pas aux États émergents ou en voie de développement moins puissants politiquement de continuer à se développer grâce au commerce extérieur et à leurs exportations.
En même temps, comment ne pas voir que le libre-échange promu par l'Union Européenne, les institutions financières internationales et les gouvernements néo-libéraux des principaux états mondiaux depuis 30 ans, produit une mise en concurrence des salariés pour le profit des actionnaires des grandes entreprises? La libre circulation des capitaux a renforcé leur volatilité et leurs exigences de rendement, ce qui a nourri les licenciements boursiers, le développement sans fin des opérations boursières spéculatives, porté préjudice à l'économie réelle et à l'investissement dans la recherche et le renouvellement de l'appareil de production, et servi de chantage au niveau des entreprises et des États pour faire pression sur les salaires et renforcer l'exploitation des salariés?
Aujourd'hui, c'est la menace des délocalisations et du déplacement des investisseurs étrangers vers des pays au « coût du travail » moins élevé, à l'économie moins réglementée et à la fiscalité « moins décourageante pour l'activité » que l'on agite à chaque fois qu'un mouvement politique exprime la volonté de mener une politique sociale ambitieuse par la loi afin de répondre aux aspirations populaires et de donner satisfaction aux luttes des salariés.
Dès lors, ne faut-il pas penser que seule est en mesure de donner les moyens d'une politique de gauche souveraine et efficace le développement, à l'échelle nationale et continentale, d'un investissement public massif dans des secteurs stratégiques d'intérêt général au travers d'entreprises subventionnées ou de services publics soustraits à la concurrence?
Ou encore qu'il faut en passer par l'instauration d'une restriction sévère à la libre circulation des capitaux et des marchandises, par le biais notamment d'une fiscalité freinant ou retardant les déplacements de capitaux d'une entreprise et d'un État à un autre, pénalisant les réimportations de productions délocalisées et taxant les marchandises produites dans des conditions écologiques ou sociales inacceptables? Augmenter les salaires, lutter contre la précarité par une politique sociale volontariste peut bénéficier dans un schéma de pensée keynésien à l'économie nationale à condition que les consommateurs ne se reportent pas mécaniquement sur des marchandises produites à bas coût à l'étranger, pourvu aussi que les investisseurs ne fuient pas tout en pouvant vendre sans problème leurs produits à nos salariés au pouvoir d'achat restauré.
Par ailleurs, si l'on veut que des États comme la Chine ou l'Inde fassent réellement profiter toute leur population- et pas simplement leur nouvelle bourgeoisie- des fruits de leur dynamisme industriel et commercial, ne faut-il pas que des restrictions à l'exportation les encouragent à se créer un marché intérieur et une large classe moyenne consommatrice?
Le protectionnisme n'est-il pas également un moyen d'aller dans les pays du Sud, à l'encontre du développement des monocultures d'exportation, vers la défense des agricultures paysannes et vivrières si nécessaires pour nourrir leur population et, dans les États occidentaux, vers des agricultures et des activités industrielles plus écologiques, des échanges commerciaux courts moins coûteux en énergies et en émission de gaz carbonique? Ne peut-il pas enfin être considéré comme un moyen de progresser (par l'augmentation des prix des biens de consommation produits par des salariés mieux retribués) vers moins de consommation superflue et irréfléchie et une certaine décroissance plus compatible avec le caractère fini du monde tout en privilégiant des modes de production plus solidaires et coopératifs?
Le protectionnisme, contrairement à ce qu'en disent ses détracteurs libéraux qui le rapprochent volontiers de la xénophobie ou de la fermeture totale des frontières, ne signifie pas le repli sur soi et l'égoïsme national exaspéré. Il n'exclut pas au contraire des coopérations mutuellement avantageuses entre les États, peuples, et régions du monde, sur la base de transfert de travailleurs qualifiés, de compétences, de moyens financiers et de matières premières décidés non par l'intérêt de groupes financiers mais par des accords politiques résultant du sens de l'intérêt général des sociétés.
On peut préférer la perspective d'une altermondialisation, un pilotage politique national et transnational des échanges économiques mondiaux qui ne vise pas simplement à renforcer la domination du capital sur les salariés et les profits des investisseurs privés, plutôt que celle, improbable de toute manière, d'une antimondialisation ou une démondialisation, pensées sous la forme d'un recentrage des activités économiques dans les frontières régionales ou nationales.
Cette altermondialisation est bien sûr compatible avec une plus grande circulation des hommes entre les États et les continents, alors que les frontières sont aujourd'hui scandaleusement plus fermées pour eux que pour les capitaux et les marchandises.
Ismaël Dupont.
commenter cet article …