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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 10:34

Le 17 avril est la journée internationale de solidarité avec les prisonniers politiques.

Le Parti Communiste appelle à faire de ce vendredi une journée de mobilisation populaire pour la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques palestiniens en organisant des inaugurations symboliques de place Marwan Barghouti partout dans le pays.

Israël détient aujourd'hui 6000 prisonniers dont 163 enfants (parmi lesquels 13 de moins de 16 ans); 484 détenus sont condamnés à la perpétuité. Leur nombre est en constante augmentation et Israël continue d'agir en dépit du droit international; ces arrestations arbitraires conduisent alternativement à des condamnations devant des tribunaux militaires ou des détentions administratives, c'est à dire sans aucune possibilité de défense pour les détenus. Depuis 1967, ce sont 800 000 Palestiniens qui ont été ainsi emprisonnés illégalement, soit 20% de la population palestinienne... et ce n'est qu'en 1999 que la Cour suprême israélienne a interdit "certaines méthodes de torture, sauf cas d'extrême nécessité".

En 2014, 2000 prisonniers ont fait près de 12 semaines de grève de la faim contre les détentions administratives. Ils n'ont reçu aucun soutien des officiels européens alors que l'article 2 des accords d'association avec l'Union européenne exige le respect des droits de l'homme.

Israël détient ainsi des civils et des représentants du peuple démocratiquement élus, puisque 17 membres du Conseil législatif palestinien parmi lesquels le député Marwan Barghouti, dirigeant de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Il y a quelques jours encore, au début de ce mois d'avril, l'armée israélienne a arrêté au milieu de la nuit chez elle, en territoire palestinien, la députée Khalida Jarrar, dirigeante du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).

L'absence de toute réaction internationale, européenne et américaine, conforte le sentiment d'impunité des dirigeants israéliens. Il n'existe aucun autre cas d'impunité aussi totale que celle dont jouit Israël; une exception injustifiable et une situation d'injustice, d'humiliation et de violence insupportable pour les Palestiniens à laquelle il faut mettre un terme, car plus elle dure, plus elle éloigne toute perspective de paix- et c'est précisément l'objectif recherché par la droite et l'extrême-droite israéliennes.

Dans ce contexte, seules la solidarité internationale et la mobilisation populaire peuvent peser significativement, comme en témoignent les votes de parlements européens en faveur de la reconnaissance de l'Etat palestinien. En France, nous devons aujourd'hui contraindre le chef de l'Etat à respecter ce vote.

Affiche de la campagne du PCF pour les prisonniers politiques palestiniens: "Marwan je crie ton nom Liberté!" - 17 avril

Affiche de la campagne du PCF pour les prisonniers politiques palestiniens: "Marwan je crie ton nom Liberté!" - 17 avril

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16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 22:14
Affiche d'Amnesty International-2013

Affiche d'Amnesty International-2013

La guerre civile en Syrie dure maintenant depuis quatre ans. Le bilan humain est effroyable.

Ce conflit a déjà causé 220 000 morts, un million de blessés graves, de gens qui ont tout perdu, et 4 millions de réfugiés dans d'autres pays, principalement le Liban (1,15 million de réfugiés), la Jordanie, la Turquie, l'Irak, l’Egypte dans une moindre mesure. Cette guerre barbare s’est encore intensifiée en 2014, qui a été l’année la plus meurtrière : 76 000 personnes y ont été tués.

En tout, sur ce pays de 23 millions d’habitants en 2011, 11 à 12 millions ont été déplacés, ont dû fuir leur domicile.

La situation humanitaire des populations syriennes, en Syrie et à l’étranger dans les camps de réfugiés, est catastrophique. Le régime de Bachar al-Assad, qui se sent de plus en plus en position de force depuis que les « occidentaux » et leurs alliés font une guerre aux « rebelles » fanatiques de l’Etat Islamique en Irak et en Syrie, utilisant pour alliés les milices chiites du Hezbollah, les forces chiites irakiens, et l’armée loyaliste syrienne, bloque l’accès aux zones « rebelles » par les convois humanitaires. Un article de Benjamin Barthe dans Le Monde du 14 mars rappelle que selon les décomptes de l’ONU, « entre 2013 et 2014, le nombre de Syriens ayant bénéficié des convois d’aide onusiens dans les zones les plus gravement touchées est passé de 2,9 millions à 1,2 million, soit un effondrement de 63%. Sur les 115 demandes de convois soumises au gouvernement syrien dans l’année passée, seulement 50 ont reçu l’agrément de Damas. » Pourtant, le nombre de personnes vivant dans des zones de guerre de haute intensité en Syrie a presque doublé, passant de 2,5 millions en 2013 à 4,8 millions depuis 2015. 80% de la population syrienne vit désormais sous le seuil de pauvreté : l’espérance de vie a chuté de 20 ans en 4 ans, pour tomber à 55 ans.

L’aide internationale pour les camps de réfugiés syriens au Liban, en Jordanie ou en Turquie est très insuffisante et s’est considérablement réduite à mesure que la guerre civile gagnait en férocité et que le nombre de réfugiés augmentait: pour exemple, le budget du service d’aide humanitaire et de protection civile de la commission européenne est tombé de 34 millions d’euros en 2012 à 15 millions d’euros en 2015. Dans beaucoup de camps, on passe l’hiver dans le froid, on ne mange pas à sa faim, on vit dans des conditions sanitaires et de surpopulation déplorables. En décembre 2014, faute de recevoir suffisamment de dons des Etats, le Programme alimentaire mondial a « dû » baisser son assistance mensuelle de 24 à 13 dinars (32 à 17 euros) par personne (et par mois), faute de dons. Handicap International se prépare à réduire ses activités après une nouvelle entaille de 20% dans un budget de 7 millions d’euros (venu de l’UE). « Il y a un désintérêt massif de la communauté internationale pour la crise syrienne, alerte Anne Garella, représentante régionale. Les financements sont inversement proportionnels aux besoins. Les deux tiers de la population sont dans le besoin et les mécanismes d’adaptation s’épuisent » (article d’Hélène Sallon dans Le Monde du 14 mars 2015). Au Liban, l’aide financière internationale aux réfugiés installés depuis des mois est passée de 30 € à 19€ par personne et par mois.

Dans les zones tenues par l’Etat islamique, en raison des attaques contre des humanitaires, de nombreuses associations humanitaires comme MSF ont renoncé à intervenir pour assister les populations en détresse.

La Syrie est-elle abandonnée de tous ?

Pas tout à fait: certains lobbies chrétiens d’Occident s’émeuvent aujourd’hui du sort des chrétiens d’Orient, désormais des cibles de l’Etat islamique. On va même jusqu’à regretter qu’on ait pas davantage soutenu Bachar al-Assad contre la « montée de l’islamisme » ou par exiger qu’on normalise nos relations avec lui au nom de la lutte contre l’islamisme et le djihadisme.

Ils ont raison d’un certain point de vue, malheureusement: l’avenir de communautés chrétiennes qui vivaient depuis presque deux millénaires en Irak et en Syrie est tragiquement compromis et celles-ci ont été et sont toujours victimes d’exactions et d’humiliations terribles de la part des islamo-fascistes de l’Etat islamique.

En même temps, l’indignation ne doit pas être unilatérale. Pour dire les choses naïvement et brutalement, la vie et l’avenir des chrétiens d’orient ont autant de valeur que ceux de la majorité sunnite et musulmane de Syrie.

Les chrétiens ont été pris en otage par le régime de Bachar Al-Assad, qui a cyniquement utilisé la peur de l’islamisme et de la dictature de la majorité sunnite en même temps qu’il renforcerait pratiquement la dimension communautaire du conflit.

Trop longtemps, les autorités religieuses chrétiennes, et une partie des chrétiens de Syrie, notamment la bourgeoisie, ont soutenu le régime sectaire, sanguinaire et corrompu de Bachar al-Assad en y voyant un rempart pour la préservation de leurs intérêts communautaires, alors que de nombreux chrétiens avaient participé à la révolte populaire du printemps 2011.

L’approche des français et des occidentaux sur le conflit syrien est aujourd’hui essentiellement d’ordre sécuritaire. La Syrie est perçue comme un foyer de terrorisme et de progression d’un islamisme radical extrêmement dangereux. On s’inquiète du départ de nos jeunes convertis pour la Syrie, et il y a de quoi, car beaucoup vont se fracasser dans une guerre atroce. On s’inquiète de leur hypothétique retour et de la guerre qu’il pourrait porter en Europe.

On s’inquiète moins de voir les Syriens refoulés d’Europe : seuls les Allemands et les Suédois ont fait un petit effort pour accueillir légalement des réfugiés syriens (10 000). La France, si prompte à donner des leçons au monde entier, qui est l’ancienne puissance colonisatrice de la Syrie entre 1918 et 1945, n’en a accueilli que 500, sur 4 millions. Et cela alors même que l’arrivée des syriens sur les côtes italiennes dans des bateaux de fortune a été multipliée par huit en 2014.

Cette indifférence morale, ce cynisme, cette non-assistance à un peuple qui a traversé une des tragédies les plus terribles depuis la seconde guerre mondiale, inspirent la colère et la nausée.

D’autant que cela succède à l’inaction face au massacre de son peuple par Bachar al-Assad et son armée depuis 4 ans. Nous n’avons pas sérieusement armés les rebelles modérés qui se battaient pour renverser la dictature de Bachar, pour qu’ils puissent au moins défendre la population civile des zones qu’ils contrôlaient contre les bombardements de Bachar al-Assad. Nous n’avons pas réalisé ces « couloirs de protection aérienne » pour protéger les déplacements de civils, empêcher le bombardement des villes et des villages. N’oublions pas que 80% des victimes de cette guerre sont imputables au régime de Bachar al-Assad et à ses alliés : bombardements massifs et indiscriminés, largages de barils d’explosifs sur les populations civiles des villes et quartiers rebelles (Alep notamment, tout au long de 2014), tortures et exécutions extra-judiciaires : autant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui sont directement imputables à ce régime.

Cette guerre civile est aussi un conflit international : avec l'Iran et le Hezbollah libanais à base chiite qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad, comme la Russie et dans une moindre mesure le gouvernement à base chiite d'Irak. La Turquie soutient elle la rébellion, comme le Qatar, l'Arabie Saoudite, même si ceux-ci prennent aujourd'hui des distances avec Daesh, l'Etat Islamique, qu'ils perçoivent eux aussi comme une menace.

A partir de mars 2011, le pouvoir de Bachar el-Assad a décidé de mater la révolte populaire, d'abord pacifique et démocratique, par tous les moyens à sa disposition. Dès le départ, ce pouvoir contesté pour son caractère anti-démocratique, ultra-répressif et oligarchique, et aussi parce qu'il condamnait au désespoir et à l'absence de perspectives toute une jeunesse exclue des bénéfices du libéralisme économique et de la vente des industries et services à des firmes privées contrôlées par le clan el-Assad et ses alliés, a tout fait pour discréditer et mater de manière impitoyable une révolte qui au départ n'avait pas de dimension confessionnelle ou communautaire très affirmée.

Dès le départ, il s'est dit menacé par des terroristes islamistes manipulés ou venus de l'étranger alors que l'évidence était qu'il était contesté dans ses pratiques par une grande partie de la jeunesse et de la population avides de liberté, de dignité et d'égalité, et inspiré par l'exemple des printemps arabes et des révolutions tunisiennes et syriennes.

Certes, la base sunnite de la population syrienne se sentait plus qu'une autre humiliée par la domination de l'appareil policier et totalitaire du clan el-Assad, issu d'une minorité culturelle et religieuse en Syrie, les alaouites, représentant 10 à 12 % de la population, et présente surtout dans les montagnes côtières de la côte méditerranéenne et les grandes villes, Damas et Alep.

Les Alaouites à partir de 1970 ont été surreprésentés dans les postes clés de l'armée, de l'appareil sécuritaire, du pouvoir politique et économique.

Mais on trouvait aussi dans les manifestations pour exiger des réformes démocratiques et sociales des alaouites, des chrétiens, des démocrates et progressistes laïcs. En même temps évidemment que des musulmans pratiquants plus ou moins inspirés par l'idéologie des Frères musulmans, mouvement sévèrement réprimé au début des années 1980 par Hafez al-Assad, le père de Bachar, responsable des terribles massacres de Hama en 1982 qui ont fait entre 20 000 et 25 000 morts sur 200 000 habitants (février 1982).

Lisons le témoignage de la militante communiste Nahed Badawie sur les premiers temps de la révolte démocratique syrienne, au printemps 2011, recueilli par François Burgat à Beyrouth en janvier 2013 (cité dans l’excellent recueil d’articles Pas de printemps pour la Syrie. Editions la Découverte, 2014 – sous la direction de François Burgat et Bruno Paoli).

« Parmi les procédés employés par le régime dès le début pour instiller la peur et la haine sectaire, je me souviens de cette petite vidéo terrifiante que nombre de mes amis avaient reçue sur leur téléphone et qui leur avait été communiquée très officiellement sur leur lieu de travail – alors qu’il était dangereux d’avoir sur son portable des vidéos de la révolution. On y voyait un supposé révolutionnaire, clairement identifié comme « salafi », brandir plusieurs secondes une tête qu’il tenait par les cheveux et dont s’écoulait encore du sang. Cette propagande, si grossière soit-elle, avait malheureusement un réel impact sur les gens de condition modeste. Cela ne prenait pas sur les intellectuels et tous ceux qui avaient une certaine capacité d’analyse. Mais je me souviens que même un ami ingénieur, malgré son bagage scientifique, ne mettait pas en doute les plus grossières de ces « preuves ».

Un des moments forts de mon expérience militante, c’est peut-être la première fois où j’ai crié moi-même : « Le peuple veut la chute du régime ! » Il faut rappeler que les autorités ont tué des manifestants dès les premières semaines. Chaque vendredi était donc inévitablement suivi d’une cérémonie d’enterrement qui regroupait dix fois plus de gens que ceux qui avaient participé à la manifestation. Alors le régime s’est mis à ouvrir le feu également sur ces cortèges qui prenaient des allures de manifestations. Il y avait ensuite, peu après ou quarante jours plus tard, les « majalis ‘aza » les cérémonies de condoléances. Ces rencontres ont très vite elles-mêmes pris des allures de manifestations.

Je me souviens tout particulièrement de l’une d’entre elles, dans la cité de Qabun, un quartier de Damas où je n’avais jamais mis les pieds. Un long couloir introduisait au grand espace où se déroulait la cérémonie. Des amis se tenaient à l’entrée pour vérifier qu’aucun des participants ne faisait partie des services de sécurité. Nous défilions ensuite devant les proches et les parents. Des délégations de tous les quartiers, mais également de nombreuses villes du pays, se présentaient fièrement, à voix haute. Comme j’étais accompagnée d’amis venant d’un quartier pouvant faire penser qu’ils étaient chrétiens, lorsque nous sommes entrés, le slogan de nos hôtes alignés dans le couloir est devenu : « Un, un, un, le peuple syrien est un ! » C’était une façon de bien signifier le rejet des manœuvres sectaires du régime. Il y avait dans la salle une tribune et nous avons été invités à nous y installer. En face de moi, j’ai vu une véritable marée humaine. Un des animateurs s’est approché de nous et dans un micro a dit tranquillement : « Le peuple veut abattre le régime ! » et nous avons tous repris en chœur. Puis il m’a tendu le micro. Je ne savais trop que dire. J’ai crié « Un, un, un, le peuple syrien est un ! ». Ce fut un moment très fort, extrêmement émouvant… Ce qui était émouvant dans ce genre de circonstances, c’est cette sensation que les Syriens de confession et de quartiers divers se découvraient les uns les autres pour la première fois. Des gens qui ne se seraient jamais parlé apprenaient à se connaître ».

Au printemps et à l’été 2011, le régime a joué d’une double carte contre les manifestants pacifiques revendiquant la démocratie, la liberté et la dignité : la désinformation pour en faire des personnes manipulées par les islamistes et les étrangers hostiles aux intérêts syriens, la répression cruelle par l’armée et les moukharabat, les services de renseignement de l’armée de l’air, de concert avec les chabbihas, des voyous sans foi ni loi, souvent d’origine alaouite, travaillant autrefois pour les intérêts mafieux des proches du régime, et se comportant en « bêtes fauves » contre les manifestants, puis les insurgés.

« Dans ces premiers mois de la guerre, pour terroriser les révolutionnaires, en leur montrant le sort qui attend ceux qui refusent d’abandonner le combat, les « moukhabarat » commettent des crimes particulièrement abjects, torturant et émasculant un enfant de quatorze ans, tranchant la gorge du chanteur qui a galvanisé durant plusieurs semaines les manifestants à Hama, coupant les jambes d’un homme ayant foulé aux pieds un portrait de Bachar –al Assad. Ils laissent filtrer des scènes insoutenables : séances de torture, égorgement d’un homme, viol de jeunes femmes… Le dévoiement de la révolution pacifique en conflit armé, et peut-être en guerre civile confessionnelle, fait partie de leur projet. Les armes à la main, le régime ne peut être défait » (Wladimir Glasman, dans Pas de printemps pour la Syrie.

Cette stratégie machiavélique de militarisation de la rébellion et de communautarisation du conflit s’accompagne d’une libération et d’une instrumentalisation de prisonniers djihadistes radicaux et salafistes.

La violence de la répression a fatalement engendré une montée en puissance de la réponse militaire et communautaire ou confessionnelle dans la majorité sunnite de la population syrienne (environ 75 à 80% des syriens), la partie de la population sur laquelle la répression s’est abattue avec le plus de violence. Seulement, la plupart des jeunes insurgés en armes se battent au départ, non pour une société islamique, mais, en tant que musulmans fiers de leur appartenance et de leur solidarité face à l’adversité, pour la justice, la liberté, l’égalité, une nation délivrée de Bachar, perçu comme un tyran sans morale aucune. La résistance nationale est première par rapport à l’affirmation religieuse même si celle-ci se renforce avec le durcissement du conflit, la formation idéologique des jeunes recrues et leur expérience de la haine contre le régime « alaouite ».

Les cadres de Jabhat al-Nosra, le futur EIIL Etat Islamique, qui va servir de cheval de Troie dans la rébellion et faire la guerre à l’Armée Syrienne Libre tout autant qu’aux forces de Bachar al-Assad, sont d’abord sortis de prison ou laissés tranquilles et utilisés par le régime après leur retour du djihad en Irak. La violence sectaire et la montée en puissance des islamistes djihadistes fait partie du plan du régime pour obtenir un revirement de la communauté internationale et un renversement des alliances, et se maintenir au pouvoir.

Pourtant, à ce stade du conflit, beaucoup d’observateurs pensent qu’il sera impossible de trouver une solution à tyrannie militaire et à la progression de l’Etat islamique sans rendre possible le départ de Bachar al-Assad et la destruction de son régime criminel honni par les deux tiers au moins de la population syrienne, et sans mettre fin à la domination sans partage des intérêts chiites en Irak. Croire qu’on va faire la guerre efficacement à l’Etat Islamique et l’éradiquer en renforçant de fait la légitimité du régime syrien est sans doute illusoire car l’Etat islamique, quoique ses méthodes et le type de loi islamique dont il se revendique sont étrangers à l’histoire, à la tradition religieuse et sociale syrienne, n’est pas simplement un produit d’importation : il séduit bon nombre de jeunes sunnites qui ont été formés et fanatisés par la guerre et y voient une force susceptible de vaincre le régime honni de Bachar al-Assad.

L’ONU et les états occidentaux, la Russie, et l’ensemble de la communauté internationale, ont une responsabilité écrasante dans la tragédie syrienne.

Nous avons abandonné aux monstruosités de la répression et de la guerre sectaire une population qui ne demandait qu’à vivre libre, en paix, et dans une nation syrienne plurielle.

L’ONU parce qu’à aucun moment elle n’a pu se donner ou trouver (du fait de son organisation héritée de la seconde guerre mondiale) les moyens, en raison notamment du veto russe, de protéger la vie des populations civiles contre un Etat qui faisait la guerre à sa population avec l’appui de l’Iran.

Les Etats occidentaux car ils n’ont pas su, soit armer l’opposition militaire modérée, soit la pousser à la négociation en l’organisant et surmontant les divisions des représentants de l’opposition. Obama en renonçant aux frappes contre le régime syrien suite à l’emploi des armes chimiques contre des quartiers rebelles permis à Bachar al-Assad de continuer à bombarder et soumettre impunément par les moyens les plus barbares la majorité hostile à sa dictature du peuple syrien. Les financeurs d’Arabie Saoudite, du Qatar, de Turquie qui ont pu soutenir et organiser parfois des factions combattantes islamistes peu fréquentables.

Il se trouve aujourd’hui des gens, notamment à l’extrême-droite, pour applaudir Bachar al-Assad ou Poutine qui l’a soutenu contre vents et marée pour affirmer son pouvoir de nuisance face aux « intérêts occidentaux ».

Dans l’opinion même, l’épouvantail de l’Etat islamique tend à réhabiliter a posteriori la dictature prétendument « laïque » de Bachar.

C’est un point de vue basé sur des réflexes de guerre froide, de croisade, ou de culte de la force fasciste, qui ne tient pas compte du droit à la liberté et à la dignité des peuples, qui fait peu de cas du caractère criminel et inhumain de ce régime, de son cynisme profond qui a conduit à la quasi-destruction d’une civilisation héritière d’une longue histoire et marquée par la cohabitation relativement tolérante de confessions et de communautés différentes.

Après la colonisation de la Palestine, la guerre au Liban, celle d’Irak, la guerre en Syrie semble parachever l’agonie d’un certain visage du Proche-Orient, tel qu’il s’est construit en civilisation multiculturelle brillante avant même l’empire Ottoman, depuis l’Antiquité et la conquête musulmane.

Malgré tout, la Syrie et les Syriens doivent pouvoir revivre, sortir de cet enfer.

Ce sont nos frères en humanité et en aspirations, nous ne pouvons continuer à les abandonner.

C’est la responsabilité de nos gouvernements de trouver un chemin pour reconstruire la paix, la sécurité, et construire une démocratie en Syrie. Cela passe peut-être par des négociations sérieuses avec l’Iran.

Ismaël Dupont.

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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 07:22
Dette grecque: guide des bobards médiatiques, rétablissement des faits par le Collectif pour un Audit de la Dette (CAC)

Le collectif pour un audit citoyen publie aujourd’hui un petit guide sur les bobards médiatiques sur la Grèce disponible à cette adresse : http://www.audit-citoyen.org/?p=6374

A lire aussi cette étude décapante sur les vraies causes de la dette publique grecque, réalisée par Michel Husson : http://www.audit-citoyen.org/?p=6364

Ces publications s’inscrivent dans une campagne de soutien à la Grèce. Plusieurs actions sont prévues dans le cadre des mobilisations Blockupy, le 14 mars à Paris et le 18 mars à Francfort, avec une grande mobilisation à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège de la BCE : http://www.audit-citoyen.org/?p=6358

Sur le site d’Attac vous trouverez aussi plusieurs formes de solidarité concrète avec le peuple grec : https://france.attac.org/actus-et-medias/le-flux/article/quelques-formes-de-solidarite

Bonne journée à toutes et tous,

L’équipe d’animation du collectif d’audit

Grèce : petit guide contre les bobards médiatiques

Posted on 11 mars 2015 par Collectif pour un audit citoyen

Malgré l’ingérence et la pression des dirigeants de l’Union Européenne, le peuple grec a décidé de prendre courageusement son destin en main et d’en finir avec les politiques d’austérité qui ont plongé le pays dans la misère et la récession. Dans les pays victimes de la Troïka, mais aussi dans de nombreux autres pays européens, cette victoire est perçue comme un formidable encouragement à lutter pour mettre un terme à des politiques profitables aux marchés financiers et désastreuses pour les populations.

Mais déjà les grands médias relaient l’idée absurde selon laquelle l’annulation de la dette grecque « coûterait 600 euros à chaque contribuable français ». À mesure que les négociations vont se durcir entre la Grèce et la Troïka, la propagande va s’intensifier et notre travail d’éducation populaire sur la question de la dette publique va devenir de plus en plus décisif. Ces réponses aux idées reçues sur la dette grecque ont vocation à y contribuer. [Version PDF / Version ODT]

Idée reçue n°1 : Annuler la dette grecque: 636 € par Français ?

Le discours officiel sur la Grèce

« Il n’est pas question de transférer le poids de la dette grecque du contribuable grec au contribuable français » (Michel Sapin, ministre de l’Économie, Europe N°1, 2/02), « une ardoise de 735 € par Français » (Le Figaro, 8 janvier), 636 € selon TF1 (2 février).

Pourquoi c’est faux ?

La France est engagée à la hauteur de 40 milliards € par rapport à la Grèce : une petite partie a été prêtée à ce pays dans le cadre de prêts bilatéraux, le reste (environ 30 milliards d’euros) étant apporté en garantie au Fonds européen de solidarité financière1(FESF), lequel a emprunté sur les marchés financiers pour prêter à la Grèce.

Dans les deux cas ces prêts sont déjà comptabilisés dans la dette publique française (environ 2000 milliards €). Leur annulation n’augmenterait donc pas la dette.

La France devra-t-elle débourser ces sommes en cas d’annulation de la dette grecque ? Non, car en fait, la France, comme la plupart des pays, ne rembourse jamais vraiment sa dette. Lorsqu’un emprunt vient à échéance, la France le rembourse en empruntant de nouveau. On dit que l’État fait « rouler sa dette ».

La seule chose que perdraient les contribuables français, ce sont les intérêts versés par la Grèce, soit 15 € par Français et par an2.

La BCE pourrait résoudre facilement le problème de la dette grecque. Elle pourrait rayer d’un trait de plume les 28 milliards qu’elle détient. Elle pourrait racheter aux institutions publiques (États, FESF) les titres grecs qu’ils détiennent, et les annuler également. Ou bien les transformer – comme le demande la Grèce – en obligations perpétuelles, avec un taux d’intérêt fixe et faible, et pas de remboursement du capital. De toute façon une banque centrale ne court aucun risque financier puisqu’elle peut se refinancer elle-même par création monétaire.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

En France aussi la dette publique est insoutenable et ne pourra pas être remboursée. Les taux d’intérêt sont très faibles aujourd’hui ? Oui, mais c’est parce que la France mène une politique d’austérité qui plaît aux marchés financiers. C’est aussi parce que les investisseurs financiers ne veulent plus courir le risque d’investissements dans le secteur productif. Pour en finir avec cette politique en France et en Europe, il faudra aussi alléger le poids des dettes, d’une façon ou d’une autre : restructuration, remboursement partiel par un prélèvement exceptionnel sur les grandes fortunes, annulation partielle… toutes les hypothèses doivent être étudiées et faire l’objet de choix démocratiques.

Idée reçue n°2 : Quand on doit, on rembourse ?

Le discours officiel sur la Grèce

« La Grèce devra rembourser sa dette » (Michel Sapin, 2 février) « Une dette est une dette. Rembourser est un devoir éthique pour un État de droit » (Marine Le Pen, 4 février)

Pourquoi c’est faux ?

Sauf rares exceptions, un État ne rembourse pas sa dette : il ré-emprunte pour faire face aux échéances. Au budget de l’État figurent les intérêts de la dette, jamais le remboursement de la somme empruntée (le principal). Contrairement à un particulier, l’État n’est pas mortel, il peut s’endetter sans fin pour payer ses dettes. C’est la différence avec l’emprunt d’une mère de famille qui, elle, est obligée de rembourser sa dette.

Mais quand les marchés financiers ne veulent plus prêter à un État, ou exigent des taux d’intérêt exorbitants, et que l’Etat n’a plus accès à la création monétaire de la Banque Centrale de son pays, les choses se gâtent. C’est pourquoi en 2011, quand les banques ont pris peur devant les difficultés de la Grèce, la BCE et les États européens ont du lui prêter.

C’est ce qui leur permet aujourd’hui d’exercer un brutal chantage en menaçant de couper les crédits à la Grèce si son gouvernement maintient les mesures anti-austérité promises aux électeurs: hausse du SMIC et des retraites, ré-embauche des fonctionnaires licenciés, arrêt des privatisations.

De nombreuses expériences historiques de pays surendettés (Allemagne 1953, Pologne 1991, Irak 2003, Équateur 2008, Islande 2011, Irlande 2013…) ont pourtant abouti à la même conclusion : quand la dette est trop lourde (190% du PIB pour la Grèce !), il faut l’annuler et/ou la restructurer pour permettre un nouveau départ.

Chacun sait – même le FMI et la BCE – que l’actuel fardeau de la dette est trop lourd pour la Grèce. Une renégociation est nécessaire, portant sur une annulation partielle, sur les taux d’intérêt et l’échéancier. Il faut pour cela une conférence européenne sur la dette comme ce fut le cas en 1953 pour la République Fédérale Allemande.

Pour être efficace cette conférence doit pouvoir prendre appui sur les travaux d’une commission internationale et citoyenne d’audit de la dette grecque. Cet audit déterminera quelles est la part légitime de la dette, dont il convient de s’acquitter, même avec taux d’intérêt et des délais renégociés, et la part illégitime, qui peut être contestée.

Est légitime la dette contractée légalement pour financer des investissements ou des politiques profitables à la population. Est illégitime la dette qui n’a pas servi les intérêts de la population, mais a bénéficié à des minorités privilégiées. Selon la jurisprudence internationale, une dette peut même avoir un caractère odieux ou être illégale, selon la façon dont elle a été contractée.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

En France aussi, une démarche large d’audit citoyen est nécessaire pour sensibiliser l’opinion et montrer qui sont les véritables bénéficiaires du système de la dette. Le premier rapport d’audit citoyen publié en mai 2014 a montré que 59% de la dette française pouvait être considérée comme illégitime, de par son origine (taux d’intérêt excessifs, cadeaux fiscaux). Restructurer la dette française dégagerait des ressources pour les services publics, la transition écologique… Nous allons organiser une conférence européenne des mouvements sociaux sur la dette, afin de généraliser la démarche.

Idée reçue n°3 : Les Grecs se sont goinfrés, ils doivent payer ?

Le discours officiel sur la Grèce

La Grèce, c’est une « administration pléthorique, 7% du PIB contre 3% en Europe », une «difficulté à lever l’impôt et à maîtriser les dépenses » (Claudia Senik, économiste)

Pourquoi c’est faux ?

Selon l’OCDE, les fonctionnaires représentaient en Grèce 7% de l’emploi total en 2001, et 8% en 2011, contre 11% en Allemagne et 23% en France (incluant la sécurité sociale). Les dépenses publiques de la Grèce représentaient en 2011 42% du PIB contre 45% (Allemagne) et 52% (France).

Pourquoi donc, avant même la crise financière et la récession, la dette publique grecque était-elle déjà de 103 % du PIB en 2007 ? Une étude récente montre que la flambée de la dette grecque ne résulte pas du tout d’une gabegie de fonctionnaires et de prestations sociales. Les dépenses sont restées globalement constantes en % du PIB, de 1990 jusqu’à 2007. Comme en France, ce sont les taux d’intérêt excessifs et les cadeaux fiscaux qui ont gonflé la dette. Mais en plus, les diktats de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) ont fait plonger le PIB grec de 25 % depuis 2010, ce qui a provoqué mécaniquement une hausse de 33 % du rapport entre la dette et le PIB !

Les taux d’intérêt exigés par les prêteurs entre 1990 et 2000 ont été extravagants : en moyenne 7,5 % (taux réel corrigé de l’inflation), pour une croissance du PIB de 2,5 %. D’où un effet « boule de neige » : l’État grec s’est endetté pour parvenir à payer ces intérêts exorbitants. Si le taux d’intérêt réel était resté limité à 3 %, la dette publique grecque aurait représenté 64 % du PIB en 2007 au lieu de 103 %.

Concernant les recettes publiques, pour remplir le critère de Maastricht sur le déficit maximum de 3%, la Grèce a très fortement augmenté les impôts dans les années 1990 : de 28% à 42% du PIB. Mais dès l’entrée dans la zone euro en 2001, les riches grecs ont fait la fête. Ainsi entre 2004 et 2008 la Grèce a réduit les droits de succession, diminué par deux fois les taux d’imposition sur le revenu et décrété trois lois d’amnistie fiscale pour les fraudeurs (Études économiques de l’OCDE, Grèce 2009). Les recettes fiscales sont retombées à 38% du PIB. Si elles avaient gardé leur niveau de 2000, la dette publique grecque aurait représenté, en 2007, 86 % du PIB au lieu de 103 %.

Au total, avec des taux d’intérêt «raisonnables» et un simple maintien des recettes publiques, la dette grecque aurait été deux fois plus faible en 2007. Autrement dit on peut considérer que la moitié de la dette grecque était illégitime à cette date : elle a découlé d’une ponction opérée par les créanciers, nationaux ou étrangers, et d’une baisse des impôts au bénéfice principal des plus riches. L’explosion de la dette depuis 2007, quant à elle, est entièrement due à la récession infligée par la Troïka. Elle est donc encore plus illégitime.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique a déjà montré que les mêmes mécanismes (taux d’intérêt excessifs et cadeaux fiscaux) expliquent 59% de la dette publique française. En France aussi on pourrait en finir avec les politiques d’austérité si l’on remettait en cause le fardeau de cette dette, par une annulation partielle et / ou des mesures de restructuration.

Idée reçue n°4 : On a aidé les Grecs, ils doivent nous remercier?

Le discours officiel sur la Grèce

« La Grèce doit cesser d’être un puits sans fond » (Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, 12/02/2012)

Pourquoi c’est faux ?

De 2010 à 2013 la Grèce a reçu 207 Milliards d’euros en prêts des États européens et des institutions européennes assortis de plans de réformes. Il s’agirait « d’aides à la Grèce ».

Une étude d’ATTAC Autriche3 décortique les destinations des 23 tranches de financement imposées à la Grèce de 2010 à 2013. 77 % de ces prêts ont servi à recapitaliser les banques privées grecques (58 Mds €) ou ont été versés directement aux créanciers de l’État grec (101 Mds €), pour l’essentiel des banques européennes et américaines.

Pour 5 euros empruntés, 1 seul est allé dans les caisses de l’État grec !

Le mensuel Alternatives économiques (février 2015) complète l’analyse : de 2010 à fin 2014, 52,8 Mds € de ces prêts ont servi à payer les intérêts des créanciers. Seuls 14,7 Mds € ont servi à financer des dépenses publiques en Grèce.

Ces 207 Mds € ont donc beaucoup « aidé » les banques et les créanciers mais très peu la population grecque. Celle-ci, en revanche, doit subir l’austérité imposée par la Troïka (BCE, Commission FMI) lors de la négociation de ces prêts. De plus, l’État grec doit payer les intérêts sur l’intégralité de ces plans d’aide. Il est endetté encore pour 40 ans, jusqu’en 2054 ; 30 Mds € sont à verser en 2015.

Qui sont les véritables créanciers de la dette grecque et qui décide de son utilisation ? Pour une dette totale de 314 Mds €, les créanciers sont : le Fonds européen de stabilité financière (FESF, maintenant remplacé par le MES, 142 Mds) , les autres États européens (53 Mds), le FMI (23 Mds), le secteur privé (39 Mds), la BCE (27 Mds) et d’autres créanciers privés (31 Mds).

Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), entré en vigueur en 2012, gère désormais les prêts aux États de l’UE. Il contracte des prêts sur les marchés financiers et décide de leur affectation (principalement le sauvetage des banques privées). Les acteurs des marchés financiers se financent auprès des banques centrales, dont la BCE, à des taux très inférieurs à l’inflation. Le siège du MES est au Luxembourg, paradis fiscal bien connu.

À aucun moment, l’État grec n’a la main sur les fonds souscrits par le MES. En plus des réformes imposées par la Troïka, les Grecs payent pour des prêts qui ne leur ont pas été versés et qui pour l’essentiel profitent au secteur de la finance !

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Les « aides » bénéficient en fait aux banques et sont payées au prix fort par les populations. Entre satisfaire les besoins fondamentaux (nourriture, logement, protection sociale, santé et éducation) ou engraisser les principaux créanciers, le choix va de soi : la priorité n’est pas le remboursement, mais l’audit des dettes publiques et la clarté sur l’usage des fonds des soi-disant « sauvetages ».

Idée reçue n°5 : La Grèce doit poursuivre les réformes engagées ?

Le discours officiel sur la Grèce

Selon Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, « la Grèce est tenue de continuer sur la voie des réformes déjà engagées, sans aucune alternative, quel que soit le résultat du futur scrutin » (Le Monde 4/01/2014). Ce que François Hollande a confirmé après la victoire de Syriza : « des engagements ont été pris et doivent être tenus » (27/01).

Pourquoi c’est faux ?

L’austérité imposée n’a pas d’autre objectif que de dégager des capacités de remboursement pour les créanciers. Or, l’échec est criant ! Oui, la Grèce a besoin de réformes économiques, sociales et politiques. Mais pas celles de la Troïka – toujours moins d’État, toujours plus de marchés et d’inégalités – qui ont lamentablement échoué. Contre les logiques financières de court terme, trois pistes complémentaires doivent permettre la réappropriation par le peuple grec de son avenir :

(i) Un plan ambitieux de reconquête de l’emploi et de développement économique qui redessine le système productif vers la transition écologique. Ce plan serait bénéfique, contrairement aux affirmations de la Troïka, car 1 euro d’investissement public aura des effets multiplicateurs sur l’investissement privé et l’activité économique aujourd’hui totalement déprimés. Les pouvoirs publics doivent maîtriser le financement de l’activité : par exemple avec la création d’une banque publique de développement, un investissement massif dans l’économie sociale et solidaire, le développement de monnaies complémentaires, la promotion des banques coopératives.

(ii) La priorité à la cohésion sociale et économique contre la compétitivité et la flexibilité. La Troïka a imposé une baisse généralisée des revenus ainsi que la suppression de droits sociaux élémentaires qui ont contracté l’activité sans pour autant réduire la dette. L’État doit donc retrouver son rôle de régulateur et d’accompagnement pour maintenir la cohésion et prendre en compte les besoins socio-économiques du pays. Le partage du travail permettrait la création d’emplois et soutiendrait la demande. Le chômage pourrait baisser rapidement. Ces réformes passeraient par une autre répartition des richesses.

(iii) La refonte de la démocratie et la réforme de l’État au service des citoyens et de la justice sociale. La souveraineté de l’État passe par une fiscalité progressive, la lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscales. Ces réformes permettront de redonner des marges de manœuvre budgétaire pour financer le plan de relance, et pour lutter contre les inégalités4 et la pauvreté. Les privilèges détenus par l’oligarchie grecque, comme les armateurs, doivent donc être abolis.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

L’austérité a échoué, mais des réformes ambitieuses, radicalement différentes, sont possibles et nécessaires. Un audit des dettes publiques des pays européens pourra identifier des pistes pour leur allègement décisif. Il faut une politique économique volontariste pour renouer avec une dynamique d’investissements d’avenir vers la transition écologique. Ceci suppose la redistribution des richesses et la reconquête de la souveraineté démocratique sur l’économie, en particulier en stoppant les privatisations. Ces réformes doivent être coopératives et non soumises à la logique de la guerre économique.

Idée reçue n°6 : L’austérité, c’est dur mais ça finit par marcher ?

Le discours officiel sur la Grèce

« L’austérité, ça paye ! La Grèce repart en trombe. Selon les dernières prévisions de Bruxelles, la croissance sera cette année de 2,5 % en Grèce et 3,6 % l’année prochaine, ce qui fera d’Athènes le champion de la croissance de la zone euro! Le chômage commence à refluer de 28 à 26 %. Bref, au risque de choquer: la détestée troïka a fait du bon boulot!» (Alexis de Tarlé, JDD, 8 février)

Pourquoi c’est faux ?

Les Grecs seraient-ils stupides d’avoir mis fin à une politique qui marchait si bien ? En 2014, le PIB de la Grèce est inférieur de 25,8 % à son niveau de 2007. L’investissement a chuté de 67%. Quel bon boulot ! Le taux de chômage est de 26% alors même que nombre de jeunes et de moins jeunes ont dû quitter leur pays pour trouver un emploi. 46% des Grecs sont au-dessous du seuil de pauvreté, la mortalité infantile a augmenté de 43%. Quant aux prévisions de Bruxelles, à l’automne 2011 elles annonçaient déjà la reprise en Grèce pour 2013. Finalement, le PIB grec a chuté de 4,7% cette année-là.

Tous les économistes honnêtes le reconnaissent maintenant. Les politiques d’austérité imposées par les institutions européennes ont été catastrophiques pour la Grèce et l’ensemble de la zone Euro.

Les classes dirigeantes et la technocratie européenne ont voulu utiliser la crise pour réaliser leur vieux rêve : réduire les dépenses publiques et sociales. Sous les ordres de la Troïka et la menace des marchés financiers, les pays du Sud de l’Europe ont dû mettre en œuvre des plans drastiques de réduction des déficits publics qui les ont menés à la dépression. De 2009 à 2014, la réduction des dépenses a été de 11% du PIB pour l’Irlande, 12,5 % du PIB pour l’Espagne et le Portugal ; 28 % pour la Grèce. Les déficits ont certes été réduits, mais avec un coût social et économique monstrueux.

Et la dette a continué d’augmenter ! Pour la zone euro, elle est passée de 65% à 94% du PIB entre 2008 et 2014. L’austérité n’a pas payé, elle a au contraire enfoncé le continent dans la crise. En réduisant les impôts des hauts revenus et des sociétés, les États ont creusé les déficits, puis ont emprunté aux riches pour financer ces fameux déficits. Moins d’impôts payés d’un côté, plus d’intérêts perçus de l’autre, c’est le bingo pour les plus riches !

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

On demande aux Grecs de payer chaque année 4,5 points de la richesse nationale pour rembourser leur dette; aux citoyens européens, on ne demande « que » 2 points. L’effet est partout le même : toujours plus de chômage, et toujours moins de ces investissements publics qui pourraient préparer l’avenir.

C’est la leçon du calvaire grec. Y mettre fin concerne tous les pays d’Europe car il faut stopper la récession que l’austérité crée partout, et tirer les leçons de la crise pour s’engager dans un autre modèle de développement. Si austérité il doit y avoir, elle doit frapper les plus riches, ces « 1% » qui accaparent la richesse sociale et ont bénéficié du système de la dette. Il faut réduire les déficits et la dette, grâce à une fiscalité plus progressive et une restructuration des dettes publiques.

Idée reçue n°7 : Une cure d’austérité, c’est pas la mort ?

Le discours officiel sur la Grèce

Christine Lagarde, directrice du FMI : « Non, je pense plutôt aux petits enfants d’une école dans un petit village au Niger (…), ils ont plus besoin d’aide que les gens d’Athènes » (en réponse à la question d’un journaliste : « quand vous demandez des mesures dont vous savez qu’elle vont empêcher des femmes d’accéder à une sage-femme au moment de leur accouchement, ou des patients d’obtenir les médicaments qui pourraient sauver leur vie, est-ce que vous hésitez ? » (The Guardian, 25/05/2012). “Nous devrons tous perdre de notre confort“, (George Papandreou, Reuters, 15/12/2009)

Pourquoi c’est faux ?

En fait de réduire les dépenses de « confort », la Troïka a imposé une réduction de 40% du budget de la santé en Grèce. Résultat, « plus d’un quart de la population ne bénéficie plus de couverture sociale, les hôpitaux publics sont débordés et exsangues. La rigueur budgétaire a désorganisé le système de santé publique et entraîné une crise humanitaire » (4 janvier 2015 JDD international).

La tuberculose, la syphilis ont réapparu. Les cas de sida se sont multipliés par manque de moyens pour la prévention. Une étude parue dans le journal médical britannique The Lancet5 tire un bilan terrible : la mortalité infantile a augmenté de 43% entre 2008 et 2010, la malnutrition des enfants de 19%. Avec les coupes budgétaires dans la prévention des maladies mentales, les suicides ont grimpé de 45% entre 2007 et 2011. De nombreux centres pour le planning familial publics sont fermés, ceux qui restent fonctionnent avec un personnel réduit.

Selon Nathalie Simonnot, de Médecins du Monde, « un forfait de cinq euros à la charge des patients a ainsi été instauré pour chaque consultation à l’hôpital public…Pour un retraité qui touche 350 euros par mois, c’est un coût énorme, surtout que la plupart du temps il faut faire plusieurs consultations (…) Les médecins demandent aux patients d’acheter eux-mêmes pansements, seringues et gazes parce que certains hôpitaux sont en rupture de stock ».

Des témoignages de ce genre concernaient naguère l’Afrique. La politique de la troïka, des gouvernements grecs, ont créé un désastre sanitaire qui rend vital un changement de politique, notamment pour la santé. Si les choses ne sont pas encore pire, c’est grâce aux centaines de bénévoles des dizaines de dispensaires grecs, à Médecins du monde, à la solidarité internationale, qui ont limité les dégâts pour ceux qui n’avaient plus accès aux soins. Le nouveau gouvernement grec a raison de vouloir par exemple réembaucher dans les centres de santé les 3000 médecins qui ont été licenciés par la Troïka.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

On sait maintenant que « l’austérité tue »6. Les responsables des politiques d’austérité se rendent coupables de véritables crimes quand ils imposent des coupes massives dans les dépenses de santé, comme cela a été le cas en Grèce, en Espagne, au Portugal. Il faut partout défendre les systèmes publics de santé contre les privatisations et les restructurations qui ne visent qu’à réduire les coûts au mépris de la santé.

Idée reçue n°8 : De toutes façons la Grèce a déjà capitulé ?

Le discours officiel

« En signant un accord à l’Eurogroupe le 20 février, contrairement aux rodomontades, le gouvernement grec a fini par accepter les conditions de la troïka. Une dure leçon pour les populistes d’extrême gauche comme d’extrême droite ». (Eric Le Boucher, Slate.fr, 21/02)

Pourquoi c’est faux

Le nouveau gouvernement grec refuse les nouvelles réformes proposées par la Troïka fin 2014 : 160.000 licenciements supplémentaires dans l’administration (santé, éducation), une nouvelle baisse de 10% des retraites, de nouvelles taxes, une nouvelle hausse de la TVA.

Ces recettes ont déjà été appliquées et ont mené la Grèce au désastre. En moins de 5 ans, 30% d’entreprises ont fermé, 150.000 postes supprimés dans le secteur public, 42% d’augmentation du chômage, 45% de baisse des retraites, 40% d’augmentation de la mortalité infantile, une hausse de près de 100% du nombre des personnes sous le seuil de pauvreté.

Le programme de Syriza proposait au contraire 1. Une renégociation des contrats de prêts et de la dette. 2. Un plan national de reconstruction immédiate : mesures pour les plus pauvres (électricité et soins médicaux gratuits, tickets-repas…), le rétablissement du salaire minimum de 751 euros, la réinstauration des conventions collectives 3. La reconstruction démocratique de l’État : lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, contre la corruption, ré-embauche des fonctionnaires licenciés 4. Un plan de reconstruction productive : arrêt des privatisations, industrialisation et transformation de l’économie par des critères sociaux et écologiques.

Après un bras de fer avec les institutions européennes, le gouvernement grec a obtenu l’abandon des objectifs d’excédents budgétaires délirants prévus dans le mémorandum signé par le gouvernement précédent. De nouvelles aides seront créées : pour financer le chauffage et l’alimentation des ménages les plus démunis. Les conventions collectives seront rétablies. La fraude et l’évasion fiscales seront fortement combattus. Les petits propriétaires endettés ne seront pas expulsés de leur résidence principale.

Mais la Grèce n’est pas libérée de l’austérité. Les nouvelles mesures devront être financées sans accroître le déficit. Les privatisations seront maintenues. La Grèce s’engage à payer l’intégralité de la dette, et à ne pas revenir en arrière sur les privatisations. La hausse du salaire minimum et la restauration des négociations salariales sont repoussées. De nouvelles épreuves de force sont à prévoir dans les mois qui viennent.

Quelles leçons pour la France et l’Europe

Les institutions européennes veulent empêcher la mise en œuvre de l’essentiel du programme de Syriza. Aujourd’hui, il s’agit donc de développer dans toute l’Europe des mouvements coordonnés contre l’austérité, pour la justice sociale, pour empêcher la Troïka et nos gouvernements d’étouffer la Grèce et les alternatives sociales et politiques qui émergent en Europe. Nous proposons notamment l’organisation par les mouvements européens d’une conférence internationale sur la dette et contre l’austérité.

L’audit citoyen des dettes publiques en Europe : un outil pour vaincre l’austérité

Le collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC) salue le choix du peuple grec de rejeter massivement les politiques d’austérité lors des élections du 25 janvier. Cette victoire ouvre une brèche contre l’Europe de la finance, le diktat des dettes publiques et des plans d’austérité. Engouffrons nous dans cette brèche : une autre Europe devient possible !

Le collectif pour u audit citoyen a déjà publié un premier rapport d’audit citoyen[1], montrant qu’une large part de la dette publique française peut être considérée comme illégitime. Dans la période qui s’ouvre, notre collectif va continuer à proposer aux citoyens et à l’ensemble du mouvement social européen des lignes d’analyse juridiques, économiques, sociales, des arguments et des instruments de mobilisation contre les créanciers qui mettent en coupe réglée les populations.

Avec nos partenaires des autres pays européens, à commencer par la Grèce, notre collectif va intensifier son action pour mettre en débat le caractère illégitime, insoutenable, illégal, voire odieux d’une grande partie des dettes publiques en Europe.

Nous soutenons la proposition d’une conférence européenne sur les dettes publiques. En 1953 l’accord de Londres, annulant plus de 60% de la dette de l’Allemagne de l’Ouest, a permis sa relance, tout comme les annulations de dette de l’Équateur en 2008 ou de l’Islande en 2011.

Nous soutenons la proposition de réaliser un audit des dettes publiques afin d’identifier les responsables et les bénéficiaires réels de ces dettes, et de dégager les solutions qui permettront de libérer le pays de ce boulet.

Nous soutenons également le droit de la Grèce à désobéir à ses créanciers au cas où ils refuseraient la mise en œuvre de ces solutions. Rappelons que les memoranda imposés par la Troïka sont illégaux au regard du droit européen et international.

Tous ensemble, levons le voile sur la responsabilité des créanciers qui profitent des saignées effectuées sur le dos des peuples. Tous ensemble, renforçons une démarche citoyenne de contestation et de remise en cause de cette Europe des 1 %, des spéculateurs et des banquiers. C’est aux populations, trop longtemps victimes des plans d’austérité, de compétitivité et autres « memorandums », qu’il revient de décider de leur avenir : nous voulons mettre à leur disposition tous les outils nécessaires pour comprendre et décider comment sortir de l’étau de la dette en faisant payer non pas les contribuables ordinaires mais les véritables bénéficiaires du système de la dette.

Guide réalisé par : Jean-Claude Chailley, Thomas Coutrot, Alexis Cukier, Pascal Franchet, Michel Husson, Pierre Khalfa, Guillaume Pastureau, Henri Sterdyniak, Sofia Tzitzikou.

Notes :

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8 mars 2015 7 08 /03 /mars /2015 19:36

GAZA : la lettre de l'AFPS
N°1, mars 2015

http://www.france-palestine.org/GAZA-la-lettre-de-l-AFPS-no1-mars-2015

La situation humanitaire, économique et politique dans la bande de Gaza, sous blocus depuis plus de 8 ans, se dégrade constamment depuis l’attaque israélienne de l’été 2014. Gaza, partie intégrante de la Palestine, est confrontée à une violente stratégie israélienne d’étranglement, de division et de plongée dans l’oubli.

Une information spécifique régulière nous semble nécessaire. Le Groupe de Travail Gaza de l’AFPS vous présente le premier numéro de la lettre mensuelle d’information que nous avons décidé de consacrer à Gaza.

Cette lettre a l’ambition de servir d’outil pour tous les adhérents de l’AFPS et
bien sûr au-delà.

Veuillez trouver la lettre en pièce-jointe ou sur le site web de l'AFPS en cli
quant ici.

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24 février 2015 2 24 /02 /février /2015 20:41

Par Michel Tubiana, Président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme


Je suis juif. Aussi loin que ma mémoire remonte je n'ai jamais ignoré ce fait. En aurais-je été tenté d'ailleurs que la mémoire familiale qui n'a pas oublié la perte de la nationalité française et l'application du statut des juifs en Algérie m'en aurait dissuadé. Et mes premières années de lycée en France ont renforcé cette réalité : mes oreilles résonnent encore de quelques « sales juifs » ou de la rhétorique d'un individu que je retrouverai plus tard au service des étrangers de la préfecture de police de Paris (!) qui trouvait que les juifs étaient largement responsables de leur propre destruction.

Les assassinats de ces deux dernières années rappellent que le pire est toujours possible. Mais je suis un Français juif et, à ce titre, je n'ai pas d'autres fidélités que celles qui me lient à une certaine France, à une culture dans laquelle j'ai été éduqué. Et ces références, alliées aux valeurs familiales, ne sont pas pour rien dans ma prise de conscience politique et philosophique qui déterminera plus tard mon engagement dans plusieurs organisations telle la Ligue des droits de l'Homme.

Ce sont mes fidélités, je les ai choisies et je n'entends pas que l'on m'en impose d'autres au prétexte que je suis juif. Qu'un homme politique profite des peurs du moment pour creuser son sillon est déjà détestable. Qu'il utilise chaque victime pour créer des divisions, établir des distinctions et pousser chacun à se méfier de l'autre, voici qui est intolérable.

Benjamin Netanyahou n'a aucune légitimité à appeler les juifs à s'exiler en Israël. J'emploie le mot « exil » à dessein car Israël n'est pas mon pays, pas celui où je suis né, pas celui où j'ai appris, pas celui où je lutte, y compris contre l'antisémitisme, l'islamophobie et toute forme de racisme. D'autres juifs ont fait le choix de vivre en Israël. Ce sentiment national est aussi respectable que tout autre sentiment national mais rien ne me force à y adhérer.

Mon choix est inverse, je ne suis pas en diaspora et mon refuge, si je dois chercher refuge, c'est la France de Jaurès, de Blum et de tant d'autres. L'opportunisme du premier ministre Israélien n'a pas comme seule vocation la croissance numérique d'une population en mal d'enfants, il a aussi pour effet de lier la lutte contre l'antisémitisme à la problématique du conflit israélo palestinien. Je refuse ce trait d'union que tous les responsables israéliens ont toujours voulu tiré entre leur politique et les juifs d'une autre nationalité.

Je n'ai aucune solidarité a priori avec une politique d'Etat encore moins si cette solidarité doit être religieuse ou ethnique. On ne me fera pas cautionner une politique, surtout quant elle conduit à coloniser un autre peuple, parce qu'un Etat s'est arrogé le droit de parler en mon nom. Les dirigeants des organisations communautaires juives françaises devraient avoir bien présent à l'esprit que l'indispensable lutte contre l'antisémitisme ne passe pas par une défense inconditionnelle de la politique israélienne. Elle passe par une lutte commune qui nomme les différentes formes de racisme, n'en tolère aucune, ne stigmatise aucune communauté et s'attaque à ces discriminations qui dénaturent la République. C'est ainsi que l'on peut espérer retrouver l'égale dignité des hommes et des femmes de ce pays. La fraternité en somme.


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/24/benjamin-netanyahou-n-a-aucune-legitimite-a-appeler-les-juifs-a-s-exiler-en-israel_4582415_3232.html?xtmc=tubiana&xtcr=1

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23 février 2015 1 23 /02 /février /2015 06:45

Grèce. « Nous avons gagné une bataille, pas la guerre »

 

Alexis Tsipras commente le contenu de l’accord obtenu avec l’Union européenne.

Le Premier Ministre grec Alexis Tsipras a déclaré hier que l’accord conclu vendredi avec la zone euro sur la poursuite de son financement permettait à la Grèce de « laisser derrière (elle) l’austérité », tout en soulignant que les « difficultés réelles »sont à venir.

« Nous avons gagné une bataille mais pas la guerre (…) les difficultés réelles sont devant nous », a affirmé, dans une allocution télévisée, le chef du gouvernement grec qui estime également qu’avec le compromis trouvé à Bruxelles, le pays « laisse derrière lui l’austérité, le mémorandum, la troïka » de ses créanciers (UE, BCE, FMI) et qu’ainsi, la Grèce a atteint son « objectif principal ».

Une idée sur laquelle le Premier Ministre a insisté en affirmant que le gouvernement de gauche radicale Syriza a remporté « beaucoup de succès » mais a devant lui « une route longue et difficile ».

« Nous avons hérité d’un pays au bord du gouffre, aux caisses vides et nous avons mis en échec le plan des forces conservatrices aveugles, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, qui voulaient nous asphyxier », a ajouté le dirigeant du parti Syriza.

Un plan de développement

Cette « bataille longue et difficile » a désormais un autre « horizon » de négociation, a-t-il souligné : c’est le mois de juin lorsque l’accord de financement de quatre mois conclu vendredi va expirer et que la Grèce sera amenée à présenter « son propre plan de développement ». Le compromis trouvé vendredi soir à Bruxelles, au terme d’âpres négociations, « donne donc du temps » au pays, estime Alexis Tsipras.

Le gouvernement grec, selon le Ministre des Finances Yanis Varoufakis, devrait être dispensé d’inclure certaines mesures jusqu’alors exigées : hausse de TVA, nouvelles coupes dans les retraites ou poursuite de la dérégulation du marché du travail.

C’est ce qui permet à Athènes de se présenter désormais en « coauteur des réformes et de sa destinée », plutôt qu’en élève soumis, selon le MinistreVaroufakis.

Mais comme le souligne le Premier Ministre grec, la partie n’est pas encore gagnée tant les tenants du libéralisme veulent faire rentrer les Grecs dans le moule de l’austérité. Alexis Tsipras devra conquérir la partie la plus débattue de son programme : hausse du salaire minimum -que le gouvernement avait fixée pour 2016-, hausse des petites retraites, protection des saisies immobilières ou arrêt des privatisations.

Dans l’accord trouvé, la Grèce s’engage à ne pas légiférer avec un « impact négatif sur les objectifs budgétaires, la reprise économique et la stabilité financière ».

D’autant que ce compromis exclut pour l’instant que le gouvernement grec puisse utiliser les quelque onze milliards d’euros restant dans le fonds de stabilité des banques grecques pour autre chose que la sauvegarde du système financier. Et que la zone euro ne déboursera pas l’argent restant dans le programme d’aide (7,2 milliards d’euros, dont 3,6 venant de l’UE) avant une seconde évaluation des réformes, en avril.

L’UE a autorisé Athènes à dégager un excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) plus faible que ce qu’elle souhaitait initialement. Toute réforme « qui n’a pas de sévère impact budgétaire pourra être mise en œuvre », a dit hier le Ministre de l’Economie Giorgos Stathakis.

Selon lui, certaines mesures de lutte contre la pauvreté promises peuvent aussi rapporter à l’État (via les rééchelonnements d’impayés d’impôts), ou être compensées par les recettes attendues de la lutte contre l’évasion fiscale, la corruption, et la réorganisation de l’administration.

La Marseillaise, le 22 février 2015

Le combat de David et Goliath

Personne ne s’étonnera de la dureté de l’affrontement sur le dossier grec. D’un côté, la machine bien huilée à imposer l’austérité et à briser les modèles sociaux qu’alimente le libéralisme décomplexé incarné par le système Merkel.

De l’autre, un pays de moins de onze millions d’habitants, à l’économie rendue exsangue par la purge infligée par la troïka, qualifiée par de nombreux Grecs de « catastrophe humanitaire ». Une version moderne de l’opposition entre David et Goliath. Et pourtant, sous l’impulsion du nouveau gouvernement dirigé par Alexis Tsipras, la Grèce fait de la résistance et commence à enrayer un engrenage jusqu’alors implacable.

Personnalité remarquable, d’une lucidité qui ne contredit pas l’obstination à respecter ses engagements, le Premier Ministre sait que le moment n’est pas venu de crier victoire. Que le chemin sera « long et difficile » même si Bruxelles et Berlin sont aujourd’hui contraints à la défensive. Parce qu’ils s’appuient sur la puissance de frappe de la finance internationale, ces derniers ne manquent pas de ressources et de moyens pour faire obstacle au renouveau grec. Pour les affronter, Tsipras a l’intelligence de jouer la seule carte qui compte  : celle du soutien populaire autour de ses engagements électoraux.

A cet égard, il donne d’ores et déjà une leçon à ceux qui ont préféré la résignation et le reniement à l’action en faveur de la transformation sociale.

Tsipras et Syriza commencent à faire la démonstration que la volonté politique et le respect de la parole donnée peuvent être plus forts que le chantage des puissants. Pour la gauche française, c’est un formidable encouragement.

Christian Digne (La Marseillaise, le 22 février 2015)

Un bon compromis

François Hollande a qualifié hier de « bon compromis pour l’Europe et pour la Grèce » l’accord de Bruxelles. « Sur le dossier de la Grèce, nous avons cherché la bonne solution », a-t-il expliqué. « La bonne solution, c’était de prolonger le financement permettant à la Grèce d’assurer sa transition et de pouvoir honorer ses engagements »« La bonne solution, c’était aussi de lui laisser le temps pour que ses réformes soient engagées et que le respect des électeurs grecs soit aussi préservé », a-t-il encore précisé. « L’Europe, elle doit montrer de la crédibilité, elle doit montrer aussi de la solidarité. De la crédibilité parce que nous devons montrer que nous avons des règles et qu’elles valent pour tous les pays (…) De la solidarité, parce que quand il y a des pays qui souffrent, il est légitime que nous puissions les accompagner tout en leur demandant de respecter leurs engagements », a-t-il expliqué.

La Marseillaise, le 22 février 2015

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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 09:15

Un entretien très riche et instructif signalé par notre camarade du Front de Gauche Morlaix François Rippe et publié sur le site national d'Ensemble www.ensemble-fdg.org/content/grece-premiere-phase 

TSPIRAS Altra Europa

Au courant du mois de janvier, Stathis Kouvelakis, membre du comité central de Syriza et animateur de la Plateforme de Gauche, a donné une longue interview au magazine américain Jacobin. Au cours de cet entretien, il revient sur la formation de Syriza, ses différentes composantes, ses débats internes. A la veille des élections, et sans en connaîte encore le résultat, il analyse l’ensemble des difficultés auxquelles un gouvernement de Syriza sera confronté. Plus généralement, il revient sur tous les débats en cours, à la lumière de l’expérience grecque, à propos du rapport entre partis et mouvements, sur les stratégies de mobilisations, de luttes politiques et de choix électoraux.

Jacobin est l’une des plus importantes revues, indépendante, dde la gauche radicale aux Etats-Unis. Magazine trimestriel, il a plus de 10 000 abonnés et près de 600 000  lecteurs sur Internet.

L’interview de Stathis Kouvelakis, dont nous publions la première traduction en français,  a été réalisée par Sebastian Budgen, qui collabore régulièrement à Contretemps.

Parle nous de Syriza : quand et comment cette coalition des partis de la gauche radicale est-elle née ?

Syriza a été créé par plusieurs organisations en 2004, en tant qu'alliance électorale. Sa composante la plus importante était le parti d'Alexis Tsipras, Synapismos – d'abord Coalition de la Gauche de Progrès, puis rebaptisée Coalition de la Gauche et des mouvements, qui existait en tant que parti depuis 1991. Il provenait d'une succession de scissions au sein du mouvement communiste. D'autre part, Syriza incluait de plus petites formations. Certaines provenaient de l'extrême-gauche grecque. En particulier l'Organisation Communiste de Grèce (KOE), un des plus importants groupes maoïstes du pays. Cette organisation a eu trois de ses membres élus au Parlement en mai 2012. C'était également le cas de la Gauche Ouvrière Internationaliste (DEA), d'origine trotskyste, et d'autres groupes pour la plupart issus de la culture communiste. Par exemple la Nouvelle Gauche Communiste et Ecologique (AKOA) qui venait de l'ancien Parti Communiste de l'Intérieur.

La coalition Syriza a été créée en 2004, et n'a obtenu d'abord que des succès relativement modestes. Quoi qu'il en soit, elle réussit à entrer au Parlement en dépassant le seuil des 3%. En résumé, Syriza provient de la recomposition plutôt compliquée de la gauche radicale grecque. Depuis 1968, la gauche radicale est divisée en deux pôles. Le premier est le Parti Communiste Grec (KKE), qui a lui-même connu deux scissions : la première en 1968, sous la dictature des colonels, qui a donné naissance au KKE (Intérieur) et la seconde en 1991, après l'effondrement de l'Unioin Soviètique. Le parti Eurocommuniste connut une scission en 1987, son aile droite constituant la Gauche Grecque (EAR) et rejoignant Synapismos dès le début, et son aile gauche formant l'AKOA. Ce qui restait du KKE, après ces deux scisssions, était particulièrement traditionaliste, s'accrochant à un cadre stalinien qui devint encore considérablement plus rigide après la scission de 1991. Le parti se reconstruisit sur une base à la fois sectaire et combative. Il réussit à gagner une base militante significative au sein de la classe ouvrière, des couches populaires et de la jeunnesse, universitaire en particulier.

L'autre pôle, Synapismos, élargi en 2004 avec la création de Syriza, provenait pour sa part des deux précédentes scisssions du KKE. Synapismos avait considérablement évolué avec le temps. Au début des années 1990, c'était le genre de parti qui aurait pu voter pour le Traité de Maastricht et il avait une coloration de gauche modérée. Mais c'était également un parti hétérogène, formé de différents courants. De durs combats internes opposèrent l'aile gauche et l'aile droite du parti, et l'aile droite en perdit progressivement le contrôle. La fondation de Syriza marqua l'ancrage à gauche de Synapismos.

Quelle est l'influence de la tradition communiste sur Synapismos ?

La matrice communiste est clairement perceptible dans la culture majoritaire du parti. Elle provient pour une part de la tendance influencée par l'eurocommunisme qui s'est ouverte aux nouveaux mouvements sociaux depuis les années 70. C'est ce qui lui a permis de renouveler ses références théoriques et organisationnelles, en greffant les traditions des nouvelles formes de radicalité sur le cadre communiste existant. C'est un parti qui a été à l'aise avec les mouvements féministes, les mobilisations de la jeunesse, l'altermondialisme, les mouvements antiracistes et les courants LGBT, tout en maintenant une intervention considérable dans le mouvement syndical. Par ailleurs, cette culture vient de la couche des cadres et des militants qui ont quitté le KKE en 1991, la plus grande partie d'entre eux se retrouvant aujourd'hui dans la Plate-Forme de Gauche, même si de nombreux membres du groupe majoritaire de la direction de Syriza proviennent également de cette génération.

Il faut noter que les cadres et les militants du parti sont, en majorité, des salariés éduqués, des diplômés. C'est un électorat très urbain, un parti très enraciné parmi les intellectuels. Jusqu'à récemment, Synapismos avait la majorité absolue dans le syndicat de l'enseignement supérieur, à l'opposé du KKE qui a perdu, depuis les scissions de 1989-91, toute espèce de relations privilégiées avec les cercles intellectuels.

La direction du parti, également, porte une marque communiste. Ne soyez pas trompés par l'âge de Tsipras : il a commencé par être un dirigeant de l'organisatiuon de jeunesse du KKE au début des années 90. La plupart des cadres et des dirigeants les plus âgés ont lutté au coude-à-coude dans la clandestinité et sont des vétérans des prisons et des camps de déportation.

Pour toutes ces raisons, on voit une atmosphère fratricide au sein de la gauche radicale grecque, même si aujourd'hui elle n'est alimentée que par le KKE, qui traite Synapismos, puis Syriza, de "traîtres", le présentant donc comme "l'ennemi principal". C'est pourquoi, quand Syriza a organisé des rencontres avec presque tous les partis représentés au Parlement après les élections de mai 2012, quand il a eu la possibilité d'essayer de former un gouvernement, le KKE a été jusqu'à refuser ces rencontres.

Comment caractèrises-tu la ligne de Syriza ? Dirais-tu que la coalition suit une ligne anticapitaliste ou plutôt une approche réformiste plus graduelle ?

Sur le plan de son identité programmatique ou idéologique, Syriza défend une ligne anticapitaliste ferme et s'est nettement démarqué de la social-démocratie. Cette considération est de la plus haute importance si l'on pense à l'histoire des batailles internes à Synapismos, qui opposaient des tendances favorables aux alliances avec les sociaux-démocrates à celles qui étaient hostiles à tous accords ou coalitions, y compris au niveau local ou dans les syndicats.

L'aile "sociale démocrate" de Syriza a définitivement perdu le contrôle du parti en 2006, quand Alekos Alavanos en a été élu président. L'aile droite, dirigée par Fotis Kouvelis, provenant presque uniquement du groupe droitier eurocommuniste, issu d'EAR, finit par quitter Synapismos et par créer un autre parti, la Gauche Démocratique (Dimar), une formation qui tentait d'être une sorte de paserelle entre le Pasok et la gauche radicale.

Ainsi, Syriza est une coalition anticapitaliste qui affronte la question du pouvoir en mettant l'accent sur la dialectique entre les alliances électorales et les succès dans les urnes et les mobilisations populaires. Le fait est que Syriza et Synapismos se considèrent comme des partis de lutte de classes, comme des formations qui représentent des intérêts de classes spécifiques. Ce qu'ils souhaitent mettre en avant, c'est un antagonisme fondamental avec le système actuel. C'est pourquoi ils s'appellent "Syriza", coalition de la gauche radicale. Et cette affirmation de radicalité est extrêmement importante pour l'identité du parti.

Quels sont les rapports de force au sein de Syriza et combien de membres comptent les organisations qui composent la coalition ?

En 2012, Synapismos comptait environ 16000 membres. Le groupe maoïste KOE environ 1000 à 1500, et à peu près autant pour l'AKOA. La pratique et le mode d'organisation s'étaient développés à peu près de la même manière que son positionnement idéologique. A l'origine, ce n'était pas du tout un parti de militants, il avait, au contraire, un grand nombre de personnalités et une orientation essentiellement électorale. Mais l'activité et l'organisation du parti se sont considérablement transformé à deux niveaux différents. Tout d'abord, une aile très dynamique s'est développée dans la jeunesse à l'occasion des mouvements antiracistes et altermondialistes. Ce qui a permis au parti de renforcer sa présence dans la jeunesse, en particulier chez les étudiants, où il était traditionnellement faible. Son organisation de jeunesse compte aujourd'hui plusieurs milliers de membres. En fait, les cadres issus de cette branche jeunesse forment une grande partie de l'entourage de Tsipras. Ils se caractèrisent par un véritable radicalisme idéologique et s'identifie au marxisme, dans la tradition d'Althusser, pour la plupart.

D'autre part, les syndicalistes ont pris une place plus importante dans Synapismos pendant les années 2000, devenant le point d'ancrage de l'aile gauche. Provenant pour la plupart du KKE, cette aile gauche est sur des positions plus traditionnelles de lutte des classes et très critique envers l'Union Européenne.

Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus de positions modérées dans le parti aujourd'hui. Nous pensons en particulier au principal porte-parole économique, Yannis Dragasakis (il est devenu vice-premier ministre depuis la réalisation de cet interview) et à quelques cadres proches de Fotis Kouvelis qui ont refusé de le suivre dans la création de Dimar.

Tu nous as dit que Syriza avait une base militante et électorale principalement urbaine. Cela a-t-il changé avec la percée électorale de Syriza en mai 2012, quand il est devenu le second parti de Grèce, avec 16,7 % devant le Pasok ?

Absolument. Il est extrêmement important de comprendre la sociologie électorale de Syriza en 2012. La transformation qualitative a été un tremblement de terre aussi important que le bond quantitatif. Il est relativement facile de comprendre ce qui s'est passé en 2012, c'était essentiellement un vote de classe. Les salariés et la classe ouvrière des principaux centres urbains, qui votaient Pasok, ont bruquement voté pour Syriza. Syriza était en tête dans le grand Athènes, où vit environ un tiers de la population grecque, ainsi que dans la plupart des principaux centres urbains. Depuis mai 2014, il en contrôle le conseil régional. Il a atteint ses meilleurs scores dans les quartiers ouvriers et populaires qui étaient les bastions du Pasok et du KKE. Le déclin du KKE a commencé dans ces circonscriptions et il empire. Nous avons vu des élcteurs du KKE rejoindre Syriza. C'est un vote de la classe ouvrière, mais aussi un vote d'employés diplômés, un vote de personnes actives sur le marché du travail. Le score de Syriza chez les 18-24 ans et les 25-30 ans est proche de la moyenne nationale, mais il est plus élevé parmi ceux (plus de 30 ans) qui sont le noyau central de la population active. Ses scores les plus faibles sont parmi les inactifs, la population rurale (paysans compris), les retraités, les femmes au foyer et les travailleurs indépendants. Syriza s'appuie sur le vote des salariés, y compris les plus hautes catégories, les couches populaires et les chômeurs dans les principaux centres urbains.

Jusqu'à quel point Syriza s'appuie-t-il sur les travailleurs du secteur public ?

La sociologie électorale nous montre que Syriza, en juin 2012, a obtenu 33 % des voix des ouvriers du secteur public et 34 % des voix de ceux du secteur privé, soit des scores très comparables, avec une légère évolution en faveur du secteur public, si l'on considère les évolutions entre juin 2012 et les élections européennes de mai 2014. Mais les meilleurs scores viennent de la seconde circonscription du Pirée, une très grande circonscription industrielle et ouvrière, et de la province de Xanthi, au nord de la Grèce, parmi la population majoritairement musulmane et turcophone. En fait, deux parlementaires de Syriza sont issus de cette minorité musulmane et turcophone.

Comment expliques-tu le succès électoral inattendu de 2012 ?

Trois facteurs sont à prendre en compte. En premier lieu, la violence de la crise sociale et économique en Grèce, et la manière dont elle s'est développée depuis 2010, avec la purge austéritaire infligée par les mémorandums (les accords signés par le gouvernement grec avec la troïka afin de sécuriser les capacités du pays à payer ses dettes).

En second lieu, le fait que la Grèce, et maintenant l'Espagne, était le seul pays où la crise sociale et économique s'est transformée en crise politique. Le vieux système politique basé sur un duopole très stable s'est effondré.

Le troisième facteur, c'est la mobilisation populaire. Ce n'est pas une coïncidence si les deux pays dans lesquels la gauche raicale a décollé sont la Grèce et l'Espagne, à savoir les pays qui ont connu les mobilisations populaires les plus fortes de ces dernières années. Le mouvement des Indignés en Espagne et un mouvement plus profond et socialement plus diversifié en Grèce.

La plupart des forces qui se sont détachées des formes traditionnelles de la représentation politique se sont tournées vers la gauche radicale, alors que la partie de la société qui restait à l'écart de cette dynamique se tournait vers l'abstention, qui a connu une augmentation significative depuis le début de la crise, ou vers l'extrême droite, le parti néo-nazi Aube Dorée.

Mais on peut expliquer les succès électoraux et politiques de Syriza plus précisément par le fait que le parti s'est opposé dès le début aux memorandums et à la thérapie de choc de l'austérité. C'est pourquoi après de longs débats au sein de Synapismos, Syriza a rejeté l'idée d'alliances avec le Pasok dès son apparition en tant que coalition. Et, en raison de sa sensibilité "mouvementiste", il s'est montré pratiquement et concrètement capable de s'engager dans les mouvements sociaux et les actions collectives qui se sont déroulées en Grèce ces dernières années. Et Syriza l'a fait en respectant l'autonomie de ces mouvements, et en intégrant la plupart des formes nouvelles et spontanées de mobilisations. Il a par exemple soutenu le mouvement d'occupation des places de 2011, alors que le KKE dénonçait ce mouvement comme dirigé par des éléments petit-bourgeois et anti-communistes. Syriza est aussi un parti qui a beaucoup fait pour les réseaux de solidarité au niveau local, de manière à faire face aux effets traumatisants de la crise sociale sur la vie quotidienne du peuple. C'est également une formation qui a assez de visibilité dans les institutions pour paraître capable de transformer l'équilibre des forces au niveau de la vie politique nationale.

Ceci dit, Syriza a décollé dans les sondages électoraux dans les dernières semaines de la campagne électorale de 2012. La percée réelle eut lieu quand Tsipras centra son discours sur le thème de la constitution d'un "gouvernement de gauche anti-austérité", qu'il présentait comme une proposition d'alliance avec le KKE, l'extrême-gauche et de petites fractions dissidentes du Pasok. Ce qui changea littéralement le cours de la campagne électorale, mettant en place un ordre du jour radicalement différent. C'est alors que l'on commença à sentir un souffle, c'était presque physiquement perceptible, et que Syriza se mit à monter dans les sondages. Dès ce moment, les autres partis durent réagir à l'offre de Syriza qui apparaissait comme une perspective politique concrète, à portée de main, permettant à la Grèce de secouer le joug des memorandums et de la Troïka.

C'est une approche très oecuménique, pour la Gauche...

Oui, en efffet. Syriza est une source particulièrement crédible pour ce genre de propositions, en raison de sa pratique au sein des mouvements sociaux, mais également à cause de sa composition interne. Il s'agit d'un front politique, et au sein même de Syriza, il existe une approche pragmatique qui permet la coexistence de différentes cultures politiques. Je veux dire que Syriza est un parti hybride, un parti de synthèse, avec un pied dans la tradition communiste grecque et l'autre dans les nouvelles formes de radicalité qui ont émergé dans cette nouvelle période.

Penses-tu que le mouvement social que nous avons vu pendant l'occupation des places est lié aux avancées électorales de Syriza ?

Absolument. Certains pensent que ces mouvements n'étaient pas seulement spontanés, mais même "anti politiques", qu'ils se situaient à l'extérieur ou même contre la politique. Mais alors qu'ils rejetaient la politique qu'ils voyaient devant eux, ils cherchaient quelque chose de différent. L'expérience de Podemos en Espagne, comme celle de Syriza en Grèce, montre que si la gauche radicale fait des propositions acceptables, on peut alors arriver à une compréhension avec ces mouvements et fournir une "condensation" politique crédible à leurs demandes.

Quelles sont les expériences concrètes de Syriza dans les administrations locales et régionales depuis 2012 ?

Depuis les années 90-2000, la gauche radicale s'était prononcée contre toute alliance avec le Pasok, c'est pourquoi ni Syriza, ni le KKE n'étaient impliqués dans les administrations régionales, et dans très peu d'administrations locales, jusqu'à très récemment. Aujourd'hui, il y a un très fort contraste entre la percée aux élections nationales et européennes de Syriza et son implantation locale. Le parti a fait un moins bon score aux élections locales et régionales du 25 mai 2014 que pour les européennes : 18 % au lieu de 27 %. Néanmoins, il a connu des avancées majeures, en obtenant deux régions dont l'Attique où vit près de 40 % de la population.

Comment Alexis Tsipras est-il vu en Grèce ?

Le point le plus important de l'image de Tsipras, c'est son âge : c'est un homme jeune, après tout. Mais les cadres et le groupe dirigeant de la gauche radicale grecque sont toujours dominés par une génération de soixantenaires, ou même plus âgés qui bénéficient toujours du prestige d'avoir été impliqués dans le combat contre la dictature des colonels. Alekos Alavanos, l'ancien président de Syriza, a organisé la passation de pouvoir à Tsipras, de manière à marquer une rupture avec cette sorte de sclérose générationnelle. C'était un grand acte de volonté politique. Tsipras est populaire car, avant même d'avoir été élu président de Synapismos, il était tête de liste à Athènes pour les éléctions municipales. Ce n'est pas exactement un tribun populaire. Ce n'est pas non plus un mauvais orateur, mais il n'a certainement pas le talent oratoire de Jean-Luc Mélenchon ou de George Galloway. Il a aussi fait quelques erreurs, en particulier quand, comme une grande partie de la gauche radicale grecque, il a sous-estimé la profondeur de la crise et la façon dont la question de la dette publique serait utilisée pour justifier la mise en oeuvre des mesures d'austérité. En 2010 et au début de 2011, il paraissait dépassé par les évenements. Puis il s'est mis à développer un style pugnace dans ses interventions parlementaires, en particulier en s'opposant au gouvernement du Pasok et au Premier Ministre d'alors, Georges Papandreou. C'est ainsi qu'il a amélioré son profil de tribun populaire. Et sa proposition d'un gouvernement d'union des forces de gauche et anti-austéritaires, avant les élections de mai 2012, a assuré sa percée. Il a transformé l'image de la gauche radicale grecque, qui, jusqu'à présent, avait toujours été considérée comme une partie considérable, importante, utile des mouvements sociaux, mais pas comme une force cherchant à prendre sa responsabilité historique en offrant une voie pour sortir de la crise. Il s'agit d'un vrai tournant pour une gauche radicale toujours traumatisée par la défaite du communisme du XXème siècle. Et qui, aujourd'hui, doit abandonner son rôle d'éternelle minorité, le rôle d'une force perpétuellement condamnée à "résister".

Peux-tu nous fournir quelques données sur la force de Syriza, depuis 2012, et nous en dire un peu plus sur ses dynamiques internes, la Plate-Forme de Gauche, les éléments qui la composent et les courants du centre et de droite ?

Immédiatement après les élections de 2012, le processus d'unification de ce qui n'était jusque là qu'une coalition a débuté. D'abord avec une conférence nationale qui a élu pour la première fois une direction, puis, en juillet 2013 avec le congrès de fondation de Syriza. Je pense que certaines décisions importantes concernant la structure du parti, sa forme, pourrait on dire, furent prises à cette occasion, mais la priorité était d'enclencher un processus rapide qui ne laissait pas de temps pour une véritable discussion politique de fond. C'était, en même temps, un processus d'ouverture, qui ne s'adressait pas à des composantes ou à des catégories spécifiques de personnes impliquées dans les mouvements sociaux. Il s'agissait, plus ou moins, d'un processus amenant à un parti d'adhérents plus qu'à un parti de militants. Ce qui signifie également que cela rendait Syriza, en tant qu'organisation, plus perméable à des pratiques non pas clientèlistes, mais au moins liées aux réseaux de pouvoir locaux, traditionnels qui sont très puissants dans la société grecque.

Les partis de l'establishment sont destructurés au niveau national. Ils n'existent plus en tant que partis centralisés, ou à peine. Le Pasok s'est complètement désintégré, alors qu'il était de loin la machine politique la plus puissante de Grèce. Nouvelle Démocratie, qui était une organisation de masse de la droite, est également sérieusement affaiblie mais les réseaux locaux liés à ces deux partis sont encore très puissants. Nous l'avons constaté dans les dernières élections locales, par exemple, où l'écart entre l'influence électorale locale de Syriza et sa capacité à remporter des conseils municipaux est extrêmement significatif.

Un autre élément négatif de la nouvelle structure est que Syriza est devenu clairement un parti centré sur son leader, et cela est accentué par le fait que les structures internes sont très nombreuses, dysfonctionnelles, et tendent de moins en moins à fonctionner comme des réels centres de prise de décisions politiques. Tout le, processus de prise de décision est devenu de plus en plus centralisé, plus opaque, dans lequel le leader joue un rôle crucial, combiné avec plusieurs cercles de direction informels, plutôt qu'une direction collective, ou même un groupe de direction plus restreint.

Je pense qu'un des buts poursuivi par la direction du parti était de marginaliser la tendance de gauche au sein de Syriza. Ils ont sérieusement pensé que si nous étions relativement forts dans l'ancien Syriza (d'avant 2012), qui était organisé comme une coalition, une constellation de différents partis, notre poids relatif dans le parti diminuerait radicalement avec l'afflux de nouveaux membres.

Pour donner un exemple, qui s'applique à la plus grande, et de loin, des composantes, Synapismos : à son dernier congrès, au cours duquel Dimar est parti, le courant de gauche, dirigé par Alavanos avait environ 25% des voix. Alors, quand la Plate-Forme de Gauche a obtenu 25% à la conférence nationale inaugurale de Syriza en novembre 2012, ça a été une grande surprise pour la direction. Et une surprise plus grande encore, quand la Plate-Forme de Gauche a accru son poids jusqu'à 30 % au congrès de fondation. Entretemps, le nombre des membres de Syriza a quasiment doublé, de 17 – 18 000 membres à 35-36000. Il s'est développé géographiquement de manière significative, mais l'écart entre son influence électorale et sa capacité organisationnelle est encore énorme, et le lien entre le parti et le coeur de son électorat, la classe ouvrière urbaine pour l'essentiel, reste faible. Syriza est toujours dirigé par des couches intellectuelles : fonctionnaires avec un haut niveau d'éducation. C'est aussi assez problèmatique en termes d'âge, le poids des couches les plus jeunes demeure assez limité.

Existe-t-il une organisation de jeunesse ?

Oui, il y a une aile jeune, spécifique, qui provient de la fusion des branches jeunesse de toutes les composantes de Syriza, mais qui demeurent relativement faible, en comparaison avec l'influence électorale du parti dans cette catégorie. Le résultat probablement le plus encourageant est que le poids relatif de Syriza dans les syndicats a augmenté, doublé approximativement, mais en partant d'un très bas niveau. Ce qui veut dire, et c'est toujours le cas aujourd'hui, que l'influence de Syriza dans le mouvement syndical, plus particulièrement dans le secteur privé, demeure plus faible que celle du KKE. Qualitativement, bien sûr, les choses sont un peu différentes, même si le Parti communiste demeure une force plus organisée et cohérente, ses bastions tendent à être localisés dans les secteurs les moins dynamiques du mouvement syndical, ou même dans des zones qui n'ont pas été très actives en termes de mobilisation ces derniers temps, pour diverses raisons (en particulier parce qu'il y a eu très peu de mobilisations dans le secteur privé).

Dans les syndicats les plus dynamiques, là où les mobilisations ont été les plus importantes, Syriza est plus fort (ce qui était déjà le cas auparavant), mais ce sont les endroits où il se développe le plus. Il est maintenant, par exemple, la force principale du syndicat des enseignants du secondaire, syndicat clé dans le mouvement en Grèce. Egalement significatif, le fait que, dans ces secteurs, le poids relatif de l'extrême gauche s'est développé, ainsi que des formes spécifiques de fronts syndicaux où l'on peut voir des militants provenant tant de Syriza que d'Antarsya.

Ainsi, un milieu radical s'est développé dans le mouvement syndical, au cours de la dernière période et c'est également le cas à l'Université, où la gauche radicale a renforcé ses positions (même le KKE s'est légèrement renforcé), et l'extrême-gauche encore plus. Alors que Syriza stagnait dans les universités – la participation aux élections étudiantes est particulièrement significative en Grèce, c'est donc un indicateur à prendre en considération -  il est intéressant de constater que le milieu des étudiants radicalisés, qui ont tendance à voter pour des listes dont Antarsya est la colonne vertébrale, se mettent à voter pour Syriza, à l'extérieur de l'Université, dans les élections politiques nationales. Nous avons eu la confirmation de cette expression duale dans d'autres élections, particulièrement dans des élections locales, ou dans l'écart entre les élections régionales et européennes. Aux régionales, les listes présentées par Antarsya, la coalition d'extrême-gauche, ont obtenu 2 % et aux européennes, une semaine plus tard, seulement 0,72 %. Il est donc clair que pour certains secteurs engagés dans les mobilisations et les mouvements sociaux, au niveau local ou syndical, ils ont tendance à soutenir ou à se regrouper autour d'initiatives ou de structures dirigées par des militants d'extrême-gauche. Mais quand il s'agit de représentation politique, Syriza agit alors en tant que représentation politique clé pour toute cette constellation de forces. Le résultat est que l'une des évolutions les plus significatives de la dernière période réside dans le fait que la ligne de fracture de la gauche radicale grecque passe désormais entre un KKE très isolé et très sectaire et tout le reste (Syriza, Antarsya, etc...).

Peux-tu nous en dire un peu plus à propos des développements de la Plate-Forme de Gauche depuis 2012 : ses composantes, sa croissance, son niveau de cohérence... ?

La Plate-Forme de Gauche a deux composantes, le Courant de Gauche, qui est une sorte de courant communiste traditionnel, essentiellement constitué de syndicalistes, et qui contrôle la plus grande partie du secteur syndical de Syriza. Ses militants proviennent, pour la majorité, du KKE. Ce sont eux qui ont quitté le KKE lors de la dernière scission de 1991. Et il y a la composante trotskyste (DEA et KOKKINO qui viennent de fusionner).

La Plate-Forme de Gauche a été mise sous pression par la direction, mais aussi par le mode de fonctionnement et les structures que le parti a développées pendant et après le processus d'unification. La pression provenant de la majorité du parti se combine avec des raisons plus structurelles, dûes à l'évolution de la forme du parti et au déclin des mouvements et des mobilisations dans la dernière période en Grèce.

Tous ces facteurs ont eu, ou pu avoir, une influence négative, sur le poids relatif de la Plate-Forme de Gauche. Malgré tout, la Plate-Forme de Gauche a assez bien résisté à ces pressions. Sa relative diversité a été une force. De ce point de vue, nous pouvons dire que, malgré le fait qu'elle est constituée de deux cultures politiques différentes, sa cohésion interne est plus forte que celle du bloc majoritaire du parti, qui est un regroupement bien plus hétérogène de diverses cultures politiques. Dans la majorité, on peut par exemple trouver des militants qui viennent de la sociale démocratie "mainstream", aussi bien que des militants qui se sentent proches de l'extrême-gauche, des mouvementistes engagés dans les nouveaux mouvements sociaux et des personnalités réformistes traditionnelles, issus d'un passé eurocommuniste, ou KKE, mais aussi des nationalistes de gauche, généralement issus du Pasok, et la plus extrême forme d'anti-nationalistes, on pourrait dire une forme grecque du phénomène "anti Deutsch".

Sans parler des maoïstes (KOE) !

Les maoïstes sont, bien sûr, plus proche de ce pôle nationaliste de gauche. Le niveau d'hétérogénité est bien plus élevé du côté de la majorité. Je crois que ce que la Plate-Forme de Gauche a réussi à faire dans la période qui va des élections de mai 2012 jusqu'au Congrès de fondation, c'est d'attirer à elle une une quantité de militants plus large, qui ne s'identifient ni au Courant de Gauche, ni aux trotskystes et qui ne se préoccupent pas vraiment de ces distinctions. Ce qui les intéresse, c'est de porter une opposition, ou une perspective de gauche au sein de Syriza, et c'est pourquoi les tactiques manipulatrices de la majorité au cours du Congrès ont déclenché un contrecoup qui a fini par renforcer l'influence de la Plate-Forme de Gauche, durant le congrès lui-même. Nous avons fini par compter plus de 30 % des délégués, même en tenant compte du fait que nous étions sous-représentés, par rapport aux voix que nous avions obtenues dans le parti. Et on pourrait encore y ajouter les 1,5 % de voix obtenues par la "Plate-Forme Communiste" (formées par les partisans d'Alan Woods et la Tendance Marxiste Internationale).

Depuis le congrès de fondation, l'évolution a été positive pour la Plate-Forme de Gauche, mais aussi, plus généralement, pour l'équilibre des forces au sein de Syriza, car la majorité du parti s'est fissurée au moment des élections locales/européennes. Plus précisément, la gauche de la majorité, composée principalement de mouvementistes et d'une scission de gauche du courant de Tsipras dans Synapismos (Unité à gauche), s'est démarquée du reste. (Dans un style typiquement grec, le résultat  est que nous avons maintenant "unité à gauche de gauche" (sic) et "unité à gauche de droite" (sic) autour de Tsipras).

La gauche de la majorité s'est regroupée autour de la "Plate-Forme des 53", signée par 53 membres du Comité Central et quelques parlementaires en juin 2014, immédiatement après les élections. Ils ont sévèrement critiqué les tentatives de Tsipras pour attirer des politiciens de l'establishment, pour mener une campagne qui ne donnait pas un rôle assez important aux mobilisations et aux mouvements sociaux et pour développer un style de campagne très centré autour de sa personnalité, structuré par des techniques et des astuces de relations publiques, et aussi pour avoir adouci certtains angles cruciaux du programme, en particulier sur les questions de la dette, de la nationalisation des banques,  etc.

Si la Plate-Forme de Gauche a obtenu plus de 30 % au congrès de fondation (plus 1,5 % des partisans de Woods), y a-t-il un moyen de mesurer son influence dans le parti ? Et à combien estimes-tu "Unité à gauche de gauche "?

D’après moi, et cela se reflète au moins au niveau du Comit Central, la Plate-Forme de Gauche plus l’aile gauche du bloc majoritaire représentent actuellement la majorité au sein du parti et nous avons pu le constter dans la dernière période sur la question cruciale des alliances. La direction a très fortement insisté pour une alliance avec Dimar et n’a pas réussi. Elle n’a pas réussi, car au sein du parti, il y a eu une réaction écrasante, dont le moteur était ces deux composantes de gauche. Ainsi, malgré le fait que la question de l’euro empêche d’avoir une attitude plus cohérente dans ce que l’on peut appeler la gauche large du parti, on peut dire, néanmoins, que la direction dispose d’une marge de manoeuvre bien plus limitée. Malheureusemen, la majorité de la direction s’est toujours plus autonomisée du parti lui-même et ne tient pas compte de ses décisions. Et je ne parle pas simplement d’un écart entre la base et la direction, mais bien d’une prise d’autonomie avec le parti dans son ensemble. Ce qui constitue un risque sérieux pour l’avenir. Le Comité Central ne s’est réuni que très rarement et les décisions cruciales sont prises de plus en plus souvent d’une manière opaque, à l’issue de négociations constantes entre divers groupes et lobbies qui tentent d’imposer leurs vues.

Comment apprécies-tu la solidité de la Plate-Forme de Gauche ? Elle sait qu’elle s’oppose, à la majorité, mais jusqu’à quel point est-elle unie, et que propose-t-elle, dans ce contexte où la perspective du pouvoir gouvernemental est proche et que, potentiellement, on lui offrira des postes, des ministères, etc ?

Je crois que, comme je l’ai déjà noté, le niveau de cohésion, tant négatif que positif, de la Plate-Forme de Gauche est bien plus élevé que celui de la majorité du parti. Et même en termes d’interventions programmatiques, il est plus cohérent et rassembleur. Ici, le rôle de Costas Lapavitsas et de ses interventions sur le front économique ont été tout à fait cruciaux, en fournissant une expertise spécifique sur un grand nombre de questions économiques.

Ce qui est tout à fait caractéristique de la majorité, c‘est que leurs positions ne sont absolument pas cohérentes. Pour prendre un exemple précis, certains adoptent une attitude très ferme sur la question de la dette. Ils affirment que le défaut est tout à fait une option à envisager et que nous devons rester très ferme sur la demande d’effacement de la plus grande partie de la dete. Mais quand on leur demande, “bon, mais que faisons nous, si nous faisons défaut ?”, et si cette option est viable sans quitter l’euro, ce qui serait une conséquence presque immédiate et non une question de choix, ils refusent de donner une réponse et contournent cette question en disant que cela dépendra du rapport général des forces en Europe. La Plate-Forme de Gauche, au contraire, a des réponses bien plus précises. Les principales divergences au sein de la Plate-Forme de Gauche – et c’est une conséquence presque automatique, ou naturelle, ou inévitable quand deux cultures politiques coexistent – portent sur des questions de géopolitique, de politique étrangère. Le Courant de Gauche porte une vision plus traditionnellement communiste ou anti-impérialiste de la pôlitique mondiale ; il n’est pas hostile, ou même parfois en faveur de références nationales ou qui combinent les références nationales et de classe. A l’opposé, DEA a un type de culture plus internationaliste – ou ce qu’ils considèrent être plus internationaliste -. Ce qui signiife que sur des questions comme Chypre, les relations avec la Turquie, l’Ukraine, il peut y avoir des divergences, dépendant de chacun de ces sujets.

Comment la Plate-Forme de Gauche envisage-t-elle la question d’une éventuelle victoire de Syriza ? Y a-t-il une ligne commune sur la participation ou non au gouvernement, accepter ou non des ministères, ou sur le type de mobilisations extra-parlementaires ou sociales, qu’il faudrait engager ?

Je crois que ce qui caractèrise non seulement la Plate-Forme de Gauche, mais la gauche large au sein de Syriza, qui inclut une partie significative du bloc majoritaire, c’est le fait qu’elle voit dans la perspective d’accéder au pouvoir gouvernemental un moyen de déclencher des mobilisations sociales. Elle le pense vraiment, car elle est immergée dans un type de pratiques orientée vers les mobilisations. La conception que la gauche a du parti et de ce vers quoi le processus politique est orienté, c’est, pour faire court, le militantisme dans les mouvements. Il est tout à fait clair que le type d’approche politique mis en avant par Tsipras ou par la majorité de la direction dans la dernière période tend à donner un rôle limité aux mouvements sociaux et aux mobilisations. Pour donner un exemple, en 2012, Tsipras avait très fortement mis l’accent sur le fait que la perspective n’était pas seulement celle d’un gouvernement de Syriza, mais d’un gouvernement de toute la gauche anti-austéritaire, ce qui est toujours le cas, mais ne signifie plus grand chose, car il est clair que ni le KKE, ni l’extrême-gauche n’accepteront ce type de collaboration. Mais aussi, ce qui est au moins aussi important, ce devait être le gouvernement de la gauche et des mouvements anti-austérité. A cette époque, Tsipras se référait à l’expérience de la Bolivie, et l’une de position les plus significatives prises par Syriza entre les élections de mai et juin 2012 avait été la convocation d’une sorte d’assemblée générale des mouvements pour dialoguer avec la direction de Syriza. Ce qui avait été un événement absolument extraordinaire. La participation de dirigeants de campagnes, de syndicats, ou de ce type de mobilisations à un dialogue avec Tsipras et d’autres membres de la direction avait donné une très forte image du type de perspectives politiques et sociales que Syriza défendait alors. Il n’y a rien eu de comparable dans la dernière période. D’un autre côté, on doit également dire que l’atmosphère d’ensemble en Grèce a dramatiquement changé depuis ce moment : il y a eu un déclin du mouvement social, une atmosphère de relative passivité et de démoralisation, malgré, bien sûr, d’importantes grèves sectorielles. L’atmosphère générale du pays est très différente de celle de 2012, particulièrement marquée par le déclin des mobilisations sociales. Alors, la ligne de Syriza, de ce point de vue, s’adapte plus à cette tendance dominante.

Alors le modèle, pour la Plateforme de Gauche, c’est quelque chose comme le Front populaire en France avec un gouvernement de gauche qui sert de levier pour les mobilisations de classe et des mouvements sociaux de l’extérieur et qui, alors, mettent la pression sur le gouvernement ? Un pied dedans et un pied dehors ?

Bon, c’est difficile de faire des prévisions. Tu te réfères au gouvernement du Front Populaire, mais la situation au moment du Front Populaire était marquée par des revendications du mouvement social complètement différentes du programme très limité qui était celui du Front Populaire lui-même. Ainsi les victoires, les conquêtes, les succès du Front Populaire sont immédiatement issus de la pression du mouvement de masse. Maintenant, dans le cas de Syriza, je pense qu’il est plus adéquat de considérer que la victoire de Syriza agit comme la détente d’une arme parce qu’elle redonne confiance et rompt avec l’ambiance de résignation qui était celle de la dernière période, mais aussi parce que Syriza va prendre des mesures qui ouvrent un espace à la mobilisation sociale. Dans cette perspective, je pense que la question la plus cruciale est probablement la proposition de rétablir le salaire minimum à son niveau d’avant les mémorandums. Et, peut-être plus important encore, le rétablissement du système de conventions collectives et du droit du travail qui ont été complètement détruits au cours des quatre dernières années. Cela libérerait un espace, pas seulement pour lutter mais aussi pour reconstruire le mouvement syndical qui est aujourd’hui en Grèce dans un état catastrophique.

Mais sur la question des ministres et du rôle à jouer au sein du gouvernement, il n’y a pas d’orientation commune ? Les gens prendront position quand la question se posera ?

Non. Pas du tout ! Je pense que la Plateforme de Gauche est très claire sur le fait que son degré d’implication au niveau purement gouvernemental dépendra du type d’orientation qui prévaudra quant aux choix stratégiques de ce même gouvernement. C’est ainsi que l’on aborde la question, pas en contournant le problème. Et cela constitue, je pense, un bon indicateur des différences de pratiques politiques que nous avons avec d’autres : nous ne mettons pas au premier plan la question des ministres, nous mettons au premier plan la question de l’orientation choisie et celle des décisions stratégiques immédiates que prendra le gouvernement. Ainsi, tout dépend de la ligne qui sera mise en œuvre. Et, au moment où nous parlons, on ne peut pas dire que tout soit clair, non ? Pour le dire sobrement : il y a beaucoup de choses à clarifier dans le programme de Syriza. Mais, par-dessus tout, notre ligne est la suivante : nous devons rester fidèles aux engagements fondamentaux et clairs de Syriza, tels qu’ils ont été énoncés.

Le programme actuel ou celui de 2012 ?

Je voulais dire le programme actuel. Même la plateforme minimale présentée lors du congrès de Thessalonique et légèrement amendée depuis par Tsipras. Même rester fidèle à cela conduira à une confrontation majeure qu’il faudra, naturellement, appuyer et stimuler par la mobilisation populaire et d’autre part, il faudra mobiliser le parti et les autres sujets politiques et sociaux présents dans le processus. C’est là le rôle, je pense, de la Plateforme de Gauche : être un catalyseur de l’espèce de dialectique entre ce qui va se produire au niveau du gouvernement et ce qui va se produire au niveau de la société. C’est la mission, peut-être la mission historique, si les choses tournent bien, de la Plateforme de Gauche. Nous sommes une force cohérente au sein du parti, une force qui peut agir afin de catalyser les énergies et d’empêcher la création d’un fossé entre ce qui se passe au niveau des mobilisations à la base et le niveau gouvernemental.

Comme tu le sais parfaitement, une manœuvre classique serait d’offrir à la gauche le Ministère du Travail ou celui des Sports et de la Culture et de confier les ministères clés à l’aile droite du parti...

Oui. Mais en réalité, ce n’est pas le risque actuel ! Je pense que le risque actuel est que, précisément, ils ne vont pas faire cela. Ils vont offrir quelques ministères stratégiques, mais sans être clairs sur la ligne politique. Ce qui signifie qu’ils vont nous lier les mains préventivement. Aussi, je pense que ce qui est crucial est de savoir si l’on prend la responsabilité de faire prévaloir une approche de confrontation en interne et, bien sûr, avec l’Union Européenne et les forces européennes. Si nous allons dans cette direction, alors on ne pourra gagner la bataille sans de sérieuses clarifications au sein de Syriza et, plus largement, au sein de la Gauche grecque. Mon espoir – c’est un espoir réaliste, je pense – est qu’une telle perspective provoquerait des réalignements politiques au-delà même de Syriza et que, dans ce type de conjoncture, les secteurs qui restent sceptiques et hésitants vis-à-vis de Syriza prendraient des positions plus tranchées. Alors, je pense que nous pourrions avoir quelque chose comme un front unique.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur Panagiotis Lafazanis, le principal porte-parole de la Plateforme de Gauche ?

Oui. C’est vraiment un personnage clé. Ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Syriza est un parti tellement centré sur son dirigeant. Ou bien tend à être un parti centré sur son dirigeant. Et j’ai bien peur que la Plateforme de Gauche et, plus spécifiquement, le Courant de Gauche qui en est la principale composante soient aussi des organisations centrées sur une personnalité. Bien sûr, Antonis Davanellos (DEA) est aussi une personnalité emblématique. Mais, au niveau de la politique nationale, Lafazanis joue un rôle absolument crucial. Il est représentatif de cette génération de militants qui sont arrivés au premier plan pendant la lutte contre la dictature. C’est l’un des très rares cadres de la Jeunesse communiste – moins d’une dizaine à travers toute la Grèce – à avoir échappé aux arrestations pendant toute la période de la dictature. Il est de cette génération-là. Il a gravi les échelons de la hiérarchie du KKE dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Il est devenu membre du Bureau politique du parti. Il était particulièrement proche de Harilaos Florakis, l’ancien secrétaire général historique du KKE, de 1973 à 1989. Il a quitté le KKE avec d’autres personnalités dirigeantes, lors de la scission de 1991 dont il fut l’un des protagonistes importants. Mais sa particularité est que, alors que les autres dérivaient à droite (pour dire les choses rapidement) et que beaucoup d’entre eux quittaient Synaspismos ou Syriza ou y demeuraient mais évoluaient vers des positions de plus en plus droitières (comme Dragasakis), Lafazanis est resté fermement marxiste et très cohérent, en rompant de manière décisive avec le stalinisme. Mais il faut reconnaître que, dans le huis clos de la direction du KKE, il était déjà très critique vis-à-vis de l’Union soviétique à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. A cette époque, beaucoup de gens au sein du KKE le soupçonnaient d’être crypto-eurocommuniste. Il était réputé avoir lu Gramsci de façon approfondie. Mais, bien sûr, tout cela restait très confidentiel et n’était connu que dans les cercles dirigeants les plus restreints. Publiquement, il suivait la ligne. Aujourd’hui, Lafazanis est identifié et ciblé par les médias parce qu’il est vu comme un tenant de la ligne dure. C’est la personnalité de Syriza que les médias et, bien sûr, la Droite et les forces favorable au système aiment détester et stigmatiser en permanence. Il est présenté comme le Monsieur « Anti-euro » ou le Monsieur « Rupture avec l’Union européenne » de Syriza. Juste pour illustrer : immédiatement après la rupture des négociations entre Syriza et DIMAR, le principal quotidien grec (Ta Nea) a publié en première page un éditorial vociférant non signé et titré « Grecs, attention : vous votez pour Tsipras mais, en fait, c’est Lafazanis qui dirige le parti ». Il faut bien comprendre que l’une des principales raisons de l’hostilité des médias, de l’élite politique et de la classe dominante vis-à-vis de Syriza est la présence, en son sein, de forts courants de gauche. Tsipras doit prendre cela en compte et c’est pourquoi il y a eu des Unes de journaux disant : « Tsipras ! Sois Papandreou ! ». Autrement dit : débarrasses-toi de ton opposition interne et deviens un vrai dirigeant ! Débarrasses-toi de ces gauchistes fous et autres partisans de la ligne dure…

Comme on a déjà parlé du KKE, on peut y revenir rapidement. Les gens sont perplexes. Dans quelle mesure sa ligne politique possède-t-elle une quelconque rationalité ? Ou est-elle juste suicidaire ?

Les deux ! Je crois que la seule préoccupation du KKE est de maintenir ce parti figé et à flots. Le rêve du KKE est de revenir à la situation de 2009, quand il était encore la force dominante de la gauche radicale. C’est cela que le KKE souhaite vraiment : être un parti qui fait 7 à 8 % de l’électorat et dirige certains secteurs. C’est un appareil extrêmement conservateur, ce qui crée un fossé entre la nature interne du KKE et sa rhétorique « troisième période » qui, en surface, est ce qu’il diffuse. Au niveau des discours, on trouve des références constantes à la rhétorique révolutionnaire, au socialisme, à la classe ouvrière, au pouvoir des travailleurs, etc… Mais en fait, au cours de toutes ces années, le KKE est resté extrêmement passif. Il est, avec constance, très hostile aux mobilisations à la base. Au printemps 2011, il a condamné de manière totalement folle le mouvement d’occupation des places, qu’il a présenté comme un complot anticommuniste. C’est un parti très conservateur. Un parti qui n’aime pas les grands changements.

Est-ce une vision du monde « organique » ? Est-ce que ce n’est pas imposé par l’autoritarisme de la direction ?

C’est imposé. Ils ont un appareil très puissant. Ils ont construit un parti qui a une forte cohésion. Ils ont éliminé impitoyablement toutes les oppositions au cours de toutes ces années et ont réussi à garder le contrôle du parti. Je soupçonne que les mauvais résultats électoraux qu’ils vont obtenir aux prochaines élections auront probablement un impact. Lors du dernier congrès du KKE, en avril 2013, on a vu qu’il y avait de sérieuses divergences internes, mais la direction a réussi à se débarrasser de la plupart des dissidents. Je pense que tout dépendra de la manière dont la situation va évoluer. La vision du monde globale du KKE et d’une partie de l’extrême gauche est de parier sur l’échec et la trahison de Syriza. Ils l’annoncent bruyamment, avec un fort aspect de prophétie autoréalisatrice. Cette perspective a joué un rôle et il faut la prendre en compte. Et je ne dis pas cela pour exonérer la direction de Syriza de ses responsabilités. Le fait que ces forces-là font tout ce qu’elles peuvent pour isoler Syriza de tout autre courant de la gauche radicale a certainement favorisé les tentatives visant à modérer la ligne et la démarche du parti. Le pari est que l’échec imminent de Syriza conduira à la radicalisation des masses et les libérera de leurs illusions réformistes. Mais cette vision est rejetée catégoriquement par des secteurs grandissant de la société grecque, qui la considèrent pour ce qu’elle est : une ligne complètement irresponsable et passablement folle. Le résultat en est un gaspillage de forces : cela ne changera que si la situation se réchauffe au cours de la période à venir.

Pour la première fois depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale, un parti de la gauche radicale a battu les sociaux-démocrates dans les urnes. Syriza a dépassé le PASOK grâce évidemment à sa propre percée mais aussi à l’effondrement du vote social-démocrate. Est-ce que cela peut durer ?

La thérapie de choc qui a été appliquée à la Grèce a produit les mêmes résultats politiques que dans les autres pays du Sud où elle avait été mise en œuvre précédemment. Le vieux système politique s’est effondré et c’est la première fois depuis la fin de la guerre que cela se produit dans un pays d’Europe occidentale. Les deux principaux partis ont été frappés : le PASOK, bien sûr. Mais aussi la Nouvelle Démocratie, à un moindre degré. En 2012, elle a perdu 20 % de son électorat et enregistré le plus mauvais score pour la Droite depuis que la Grèce est indépendante ! L’effondrement qualitatif du PASOK est en réalité bien plus sérieux que ne le suggèrent les chiffres au niveau national. Dans les principaux centres urbains, le PASOK arrive maintenant en six ou septième position. Dans la plupart des zones ouvrières qui étaient autrefois ses bastions, il est battu par les néo-nazis d’Aube Dorée. Son résultat chez les 18 – 24 ans atteint à peine 2,6 %. Et la majorité de son électorat (13,4 % des votes) est composé de retraités et d’habitants des zones rurales ou des petites villes.

Dirais-tu que le PASOK est complètement discrédité, aux yeux des Grecs ?

Ce parti a été complètement détruit. En fait, tout ce qui subsiste au PASOK, ce sont les réseaux clientélistes du vieux « Parti Etat ». Les deux partis qui se sont succédés au pouvoir après la chute de la dictature des colonels étaient des partis de masse, mais aussi des « partis état ». Autrement dit, des partis qui étaient totalement liés à l’Etat et à la redistribution d’emplois et de ressources qu’ils étaient capables de contrôler grâce à leur mainmise sur l’appareil d’Etat. Le PASOK et la Nouvelle Démocratie fonctionnaient par l’intermédiaire de réseaux clientélistes et cela ne signifiait pas seulement les faveurs à l’ancienne qui existent parmi les élites mais bien un clientélisme basé sur un appareil bureaucratique considérable, incluant le mouvement syndical. Bien sûr, la Nouvelle Démocratie était un « parti populaire de droite », un Volkspartei comparable à la démocratie chrétienne allemande, disposant de l’appui d’une aile significative du mouvement syndical.

A l’heure actuelle, il n’y a pas de relations entre Syriza et le PASOK ?

En dehors de Grèce, il est très difficile d’imaginer le fossé qui sépare le PASOK non seulement de la gauche radicale mais de la société grecque elle-même. Depuis les années quatre-vingt-dix en ce qui concerne le KKE et depuis le milieu de années deux mille pour Syriza, il n’y a pas d’alliance possible ou souhaitable entre le PASOK et la gauche radicale, à aucun niveau que ce soit.

Ainsi la raison du courant sanitaire autour du PASOK, c’est que le reste de la gauche grecque ne le considère plus comme un parti de gauche ?

Il faut comprendre une chose à propos du vocabulaire de la gauche grecque. Jusqu’en 1974, il n’y avait pas de parti socialiste en Grèce. Dans notre lexique politique, dire « je suis de gauche » signifiait « je suis à gauche du PASOK ». Et, donc, le PASOK n’a jamais été considéré comme un parti de la gauche, au sens grec de ce mot. En Grèce, la « Gauche » se réfère à la tradition communiste, au sens large du terme. Et cela exclut les sociaux-démocrates comme le PASOK.

Parlons maintenant du recentrage de l’orientation de Syriza au cours de l’année écoulée. Que s’est-il passé ?

En fait, lorsque nous parlons du prétendu recentrage du parti, nous parlons du fait que le discours du parti est devenu une espèce de discours à deux ou trois niveaux. Tsipras ou la direction du parti ont développé de nombreux niveaux de discours. Les deux principaux économistes du parti – Giannis Dragasakis et George Stathakis, véritables représentants des tendances les plus droitières de Syriza, d’une manière très directe pour Stathakis et d’une façon beaucoup plus manœuvrière pour Dragasakis – ont développé leurs propres approches distinctes sur les questions économiques. Des approches systématiquement différentes des décisions des congrès du parti ou de la position officielle du parti. Souvent, Tsipras a du intervenir pour rétablir une sorte d’équilibre, mais ce processus signifie que la position initiale – la position adoptée par le congrès de 2013 – a été adoucie. Dragasakis et Stathakis, par exemple, ont déclaré qu’un gouvernement Syriza ne prendrait jamais de décision unilatérale sur la dette alors que les décisions de congrès du parti indiquaient explicitement que toutes les armes pouvaient être utilisées et que rien n’était exclu si un gouvernement Syriza était soumis au chantage de ses créanciers. Tous les deux ont souvent été ambigus, en fonction des interlocuteurs ou du public auxquels ils étaient confrontés, même sur la question de l’annulation des mémorandums ou de la demande de Syriza d’une annulation totale ou partielle de la dette.

Ensuite, Tsipras a beaucoup voyagé au cours de la dernière période. C’était nécessaire en tant que dirigeant d’un parti qui jusqu’à une date récente ne recueillait que 5 % des suffrages et qui manquait de crédibilité en tant que chef d’Etat. Il devait accroître sa crédibilité, sans parler de sa connaissance de la scène internationale. C’est ainsi qu’il s’est rendu dans des lieux et des institutions qui sont parrainées par

les courants idéologiques dominants, et même par l’oligarchie financière, comme le Forum Ambrosetti. Ce sont des espèces de clubs très fermés dans lesquels se rencontrent et discutent des gens importants du monde de la finance et des affaires. On a eu l’impression que lorsqu’il était dans ce cadre il présentait une version nettement plus douce de la démarche du parti. Ainsi, par exemple, lorsqu’il est allé à New York et est intervenu au Brookings Institute, il a fait des références répétées au New Deal et à Franklin Roosevelt. Lorsqu’il s’est rendu à Austin (Texas), il a déclaré que Syriza n’abandonnerait jamais l’euro alors même que la position du parti – et aussi ce que lui-même a déclaré ensuite – était que nous ne voulions pas rester inconditionnellement dans l’euro, sans garanties etc…Tout cela a créé l’impression que Syriza n’était pas complètement clair sur les questions cruciales et stratégiques, qu’il y avait différents niveaux de discours. Et cela a généré un certain scepticisme sur les intentions de Syriza et son degré de détermination à résister aux pressions auxquelles un gouvernement Syriza devra faire face, comme chaque personne sensée peut le prédire. Cela a provoqué des cycles de débats internes à répétition et des discussions au sein du parti qui ont parfois été pénibles mais qui ont néanmoins produit des résultats. Je pense que c’était nécessaire mais, comme je l’ai indiqué, ce fut parfois pénible. Finalement, cela a eu un coût. Mais, au moins, Syriza n’a pas renié ses engagements fondamentaux. C’est ce que l’on peut constater aujourd’hui. Bien qu’il existe un certain manque de clarté sur la manière de réaliser ces engagements, il est devenu clair pour tout le monde que ce que propose Syriza a peu à voir avec le programme actuel d’aucun autre des partis sociaux-démocrates européens. C’est un programme de rupture réelle avec le néolibéralisme et l’austérité. Syriza apparaît comme apportant un type de culture politique liée à un radicalisme social, politique et même idéologique qui est vraiment inscrit dans l’ADN du parti. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura aucune surprise ; cela ne signifie pas que nous ayons la garantie que les choses n’évolueront pas négativement. Mais cela signifie qu’il existe une possibilité d’un changement des rapports de forces entre classes. En Grèce, les gens ont conscience, à grande échelle, que c’est la seule possibilité réelle et que si nous sommes vaincus, alors ce sera une défaite pour toute la prochaine période historique.

Ainsi, il y a eu des retombées de ce processus au cours de la dernière période ? John Milios est connu dans le monde anglophone pour ses ouvrages et, maintenant, pour son interview au Guardian. Il semble avoir pris ses distances avec la direction.

Jusqu’à une date récente, Milios n’avait pas une position stratégique très spécifique au sein de l’équipe des économistes, où Dragasakis et Stathakis mènent le jeu. Son rôle était de fournir une espèce d’argumentation marxiste contre ceux qui défendaient une rupture, ou une rupture claire, avec l’Union européenne et, plus particulièrement, sur la question de l’euro. Milios a fourni beaucoup d’arguments marxistes et radicaux, affirmant qu’une rupture avec l’euro signifierait une dévaluation du travail et une régression vers des positions nationalistes. D’une manière qu’il avait peaufiné théoriquement depuis des décennies, il a plus ou moins accusé les gens qui mettaient en avant des thèmes tels que la sortie de l’euro de recycler les vieilles approches des années 70 sur le développement du centre contre la périphérie et d’avoir comme projet politique réel le développement d’un capitalisme grec nationalo-centré. Dans cette optique, vraisemblablement, éviter à tout prix la rupture avec l’euro devient la garantie mythique d’une perspective internationaliste et socialiste. Cela signifiait, en termes de choix concrets, que Milios défendait une version modérée des positions réformistes de Dragasakis et Stathakis. Milios a commencé à prendre ses distances avec cela à deux niveaux. D’abord, sur la question des alliances politiques : il ne veut pas d’ouvertures politiques à des gens qui viennent du PASOK ou à des éléments de la vieille classe politique. Il rejette aussi tout adoucissement des aspérités anti-néolibérales du programme et je pense qu’il a été très déçu du fait qu’au bout du compte Syriza n’a pas eu d’élaboration spécifique sur la réforme fiscale (qui était l’un de ses thèmes de prédilection), par exemple sur une politique audacieuse de redistribution des richesses, la taxation des riches, etc…

Ce que fera Syriza vis-à-vis des banques ou des privatisations est loin d’être clair. Il est très probable qu’au minimum Syriza annulera les opérations les plus scandaleuses de braderie des actifs publics à des prix ridiculement bas. Mais les déclarations les plus récentes de Dragasakis et Stathakis au sujet des banques et des privatisations ne sont pas très encourageantes et s’écartent sensiblement des décisions et des engagements de congrès. Or, ce sont des questions importantes auxquelles un gouvernement Syriza sera confronté. Pas à long ou moyen terme, mais immédiatement.

Quelques mots, peut-être, sur les candidats qui ont été désignés par la majorité pour les élections à venir ?

Une fois de plus, il s’agit d’une des questions cruciales qui se posent au parti. Au niveau des sections locales et des régions, quasiment toutes les tentatives de gens issus de la vieille élite politique – aussi bien locale que nationale – visant à s’infiltrer, à gagner des postes et des positions  ont échoué. Ils ont été rejetés par des majorités écrasantes. Et c’est aussi un indicateur du fait que la Plateforme de Gauche et la « gauche large » du parti ne constituent pas des secteurs isolés, mais sont capables d’imposer leur point de vue sur des questions essentielles.

La réaction de Tsipras et de la direction a été de repousser systématiquement les sessions du comité central et, ainsi, de paralyser ce niveau de décision. Puis la direction a obtenu carte blanche pour désigner 50 des 450 candidats (il y a 300 députés, mais 450 candidats), ce qui signifie que c’est seulement maintenant  que nous connaissons la composition des listes. Le projet d’une collaboration avec Dimar a échoué parce qu’elle s’est heurtée à une réaction. De nombreux candidats locaux ont également été rejetés par les sections et les fédérations locales. Et maintenant il y a des polémiques à propos des candidats qui ont été parachutés, d’une façon très verticaliste. D’un autre côté, le fait que la candidature de Costas Lapavitsas ait été retenue constitue un développement majeur. La discussion avait déjà eu lieu pour l’élection européenne et, au bout du compte, sa candidature avait été rejetée par la majorité de la direction du parti. C’est très important parce Lapavitsas n’est pas seulement une personnalité : c’est vraiment le symbole d’une approche très spécifique et très déterminée de la manière dont il faut gérer la crise, les rapports avec l’Europe, la dette et toutes les questions économiques. Le mettre sur la liste et le faire élire député a une signification claire : quand Syriza dit : « en fait, toutes les options sont sur la table »… c’est exactement ce que Syriza veut dire !

Si Syriza gagne la première place lors des élections au Parlement, il devra former une majorité parlementaire. Est-ce possible ? Et comment ?

Je n’exclus pas un véritable glissement de terrain en faveur de Syriza. Les sondages donnent 35 %, ce qui n’est pas très éloigné de la majorité absolue, puisque le système électoral grec donne un bonus de 50 sièges au parti arrivé en tête. Il est donc possible et même probable que Syriza atteigne la majorité absolue. Il est vrai qu’il n’y a pas d’allié évident. Le KKE exclut toute alliance et DIMAR qui, il y a un an, participait encore à la coalition dirigeante a été anéanti. C’est donc bien une des difficultés à laquelle Syriza est confronté. Mais n’oublions pas que cette difficulté, à sa façon, exprime un problème politique essentiel : après tout, il existe bien des gens qui veulent modérer les positions de Syriza, en s’appuyant sur les concessions qu’il ferait pour construire des alliances. Les électeurs grecs en sont parfaitement conscients et il se pourrait qu’ils donnent à Syriza une majorité claire pour lui permettre de mettre en œuvre son programme sans avoir à faire des concessions pour pouvoir disposer d’une majorité parlementaire.-

Qu’est-ce que tu penses de l’attitude de la Nouvelle Démocratie qui parie sur la « peur du rouge » et la crainte du chaos en cas de victoire de Syriza ?

Il faut bien comprendre que, après quatre années sous le régime des mémorandums, non seulement la Droite mais aussi le centre-gauche – ou ce qu’il en reste – sont désormais des formations extrêmement autoritaires, partisanes d’une politique de la main de fer. L’actuel Premier ministre, Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), est issu de l’aile nationaliste de ce parti et l’essentiel de son entourage est composé de gens qui viennent de l’extrême droite. C’est une aile droitière et jusqu’au-boutiste qui joue sur les réflexes profondément anticommunistes d’une partie de la population grecque. Ainsi, le gouvernement utilise la rhétorique de la peur : ils n’ont pas d’autres arguments. C’est un élément de leur vision autoritaire et « musclée » de la politique. Si Syriza échoue, les perspectives du pays seront réactionnaires et autoritaires.

Quelles sont les priorités de Syriza pour la Grèce ?

Il y a quatre chantiers, et je les décline ici sans ordre de priorité.

Le premier, ce sont les mesures d’urgences pour traiter les aspects les plus choquants du désastre des dernières années : le rétablissement de la fourniture d’électricité dans tous les logements, des repas scolaires pour tous les enfants, la reconstruction d’un service de santé digne de ce nom – aujourd’hui, un tiers de la population est exclu du système de soins.

Le deuxième chantier, c’est le démantèlement du noyau dur des mémorandums. C’est-à-dire le rétablissement du salaire minimum au niveau où il était avant 2010, le rétablissement des conventions collectives et de la législation sociale qui ont été entièrement détruites. Cela ouvrirait un champ d’action pour le mouvement ouvrier et se traduirait pas des améliorations immédiates. Nous devrons aussi nous débarrasser de cet impôt foncier absurde que l’Etat a extorqué à la population depuis plusieurs années. Rien de tout cela n’est négociable.

Le troisième chantier concerne le traitement de la dette. Et là, il y aura négociation. Il n’existe absolument aucune possibilité d’issue positive pour la Grèce aussi longtemps que le service de la dette sous le régime des mémorandums continuera à passer le pays à la moulinette.

Nous avons connu de sanglantes réductions des dépenses publiques et sociales destinées à dégager des excédents budgétaires afin de payer la dette et d’en finir avec la nécessité de la financer. C’est sans issue. L’excédent budgétaire ne sera jamais suffisant pour couvrir le coût du service de la dette, dont le fardeau s’est accru alors le produit intérieur brut chutait. La dette atteint maintenant 177 % du PIB. Il faut trouver une solution à ce problème. Syriza insistera sur l’adoption d’une solution identique à celle qui a été revendiquée dans le cas de l’Allemagne, en 1953. C’est-à-dire annuler la majeure partie de la dette et conditionner le paiement du reste à la croissance. Mais que faire si les Européens refusent ? De nouveau, toutes les options sont sur la table. Syriza ne battra pas en retraite et ne cédera pas au chantage comme l’a fait Anastassiades, le président de droite de Chypre, au printemps 2013 alors que le Parlement de son pays avait refusé à l’unanimité le plan de sauvetage proposé par l’Union Européenne.

Le quatrième chantier, c’est le redémarrage de l’économie qui a été détruite, afin de traiter le chômage de masse qui sévit actuellement en Grèce (26 % de la population, 50 % de la jeunesse). Seul l’investissement public peut réellement permettre d’affronter cette question. C’est une question très compliquée, mais il est nécessaire de relancer l’économie d’une manière qui satisfasses les besoins sociaux et environnementaux, à l’opposé de ce que nous connaissons aujourd’hui.

Imaginons que les élections ont eu lieu, que Syriza a obtenu une majorité absolue sans avoir besoin de compter sur des alliés pas fiables. Une victoire « glissement de terrain ». Comme tu sais, Paul Mason a écrit un document qui traite des dangers qui menaceraient Syriza dans les premières semaines après la victoire, et les différents sortes d’énormes pressions qui s’exerceraient sur Syriza, tant de la part des marchés que de l’Union européenne. Pour le moment, la ligne de Tsipras est : dénoncer le bluff de l’Union Européenne et parier sur le fait que ce sera suffisant ; que la crise que la Grèce pourrait provoquer dans l’eurozone sera suffisante pour calmer les choses. Comment juges-tu cette stratégie ? Syriza est-il préparé à ce type de pressions ?

D’abord, on ne se rend pas suffisamment compte de la violence du climat politique et des campagnes électorales en Grèce.  C’était déjà le cas en 2012. Honnêtement, c’est plus proche d’une campagne électorale dans un pays d’Amérique Latine que dans un pays européen. L’approche globale ainsi que le genre de rhétorique et de discours qui sont développés à la fois par l’actuel gouvernement et les médias consistent à dépeindre Syriza comme une force fondamentalement illégitime. Tel en est le sens profond : affirmer que si Syriza arrive au pouvoir, alors se déroulera un scénario totalement apocalyptique. La Grèce sera expulsée de l’Eurozone ; les rayons des supermarchés seront vides. On a même vu des photomontages avec des rayons vides – ou prétendument vides – de magasins vénézuéliens ou argentins avec le message : « c’est ce qui va se produire en Grèce ». D’une certaine manière, ces intimidations nous ont beaucoup aidés : en particulier, les nombreuses déclarations des représentants de l’Union européenne au cours de la dernière période. Toutes étaient très hostiles à Syriza, toutes constituaient une sorte de tentative d’intimidation. Syriza doit faire face à cela. Il doit se confronter à la situation. L’approche actuelle est : nous ne reconsidérerons pas nos revendications ; nous ne les diluerons pas.

D’un autre côté, Syriza veut rassurer les électeurs sur l’existence en Europe de gens et de forces qui sont plus ouvertes à la négociation et à d’éventuelles concessions. Tsipras, par exemple, a écrit un article malheureux suggérant que  les gouvernements Italien et Français prenaient leurs distances avec les politiques d’austérité… Maintenant ils soulignent les déclarations des sociaux-démocrates allemands ou encore un article dans Bloomberg qui indique qu’il n’existe pas de possibilité d’une sortie de la Grèce de l’euro, que ce n’est pas un scénario faisable, que personne ne s’y consacre. Mais le cœur du problème est que la façon dont Syriza est présenté par les médias européens dominants a effectivement changé ces dernières semaines et ces derniers jours. Quelle est la signification de ce changement ? Avant la ligne était : « ce sont des gauchistes durs ; ils sont une menace ; nous allons les contrer et les écraser, etc ». Une franche hostilité. Maintenant, la tonalité est : « en fait, ils sont plus raisonnables qu’ils n’en ont l’air ; de toute manière, rien de va tellement changer ». Ainsi, le résultat final c’est : quoi que l’on fasse, il faudra bien demeurer dans le cadre existant. Les uns jouent le rôle du bon flic, pendant que les autres jouent celui du mauvais flic ! Mais la vérité, c’est que la cage de fer  est toujours là et la marge de manœuvre disponible inexistante. Je pense que, jusqu‘à un certain point, à l’intérieur du parti, la position modérée est compréhensible. De même que, dans certaines circonstances, une espèce de discours plus défensif est peut-être nécessaire. Mais le problème est que cela ne prépare pas les gens à ce qui arrivera inévitablement en cas de victoire de Syriza. A savoir : la décision de mettre en œuvre complètement le programme de Syriza conduira à la confrontation, à la fois en interne et avec le reste de l’Union européenne. De nouveau, je pense que même durant cette campagne la Gauche de Syriza a un rôle à jouer, d’une manière très loyale, en restant fidèle au programme, mais en soulignant le fait que les choses ne vont pas être faciles, que nous devons nous préparer à une sérieuse bataille. Et que nous devons souligner tout cela en fonction de l’actualité et des faiblesses des positions de la majorité. Mais, parfois, Tsipras joue cette carte ; aussi, en permanence, il faut équilibrer toutes ces contradictions. Si l’on considère les choses avec un peu de recul, les contradictions viennent en réalité de la situation elle-même, au sens où il aurait été difficile de ne pas avoir ce genre de contradictions dans une situation pareille. Nous parlons d’une situation où, depuis une période maintenant significative, le niveau des mobilisations sociales est assez bas et où le contexte est un contexte électoral, pas un contexte  insurrectionnel. Le rapport de forces international est en défaveur de Syriza, malgré les développements récents en Espagne. Il est évident qu’en Europe, en règle générale, un gouvernement Syriza sera plutôt isolé. Ces hésitations, ces ambiguïtés, ces oscillations sont donc en partie inévitables, dans la mesure où nous sommes lucides sur le fait que ce qui est devant nous est le choix entre avancer vers la confrontation ou bien abandonner et capituler. Je pense qu’il n’y a pas de solution intermédiaire entre la capitulation et la confrontation.

Abordons la question de la dette et celle de l’euro. Ce sont les principaux points de clivage et des questions essentielles pour la gauche radicale. Elles sont prises en charge, en partie, par la Plateforme de Gauche à l’intérieur de Syriza et par Antarsya. Ces sensibilités affirment que la majorité de Syriza ne traite pas correctement ces questions, les évite ou les esquive. Qu’as-tu à dire à la fois sur l’importance symbolique de ces questions et, plus concrètement, sur leur importance stratégique, à la lumière d’une possible victoire de Syriza ?

Cela fait beaucoup de questions en une ! Partons du niveau symbolique. Je pense que, en termes d’hégémonie idéologique, il n’y a aucun doute sur le fait que, en Grèce, l’hégémonie idéologique de la classe dominante a été basée sur le projet européen : l’idée que, en rejoignant le processus de l’intégration européenne, la Grèce deviendrait une nation « moderne », un pays de « l’Occident européen développé ». Et la Grèce rejoindrait définitivement et inexorablement le club des sociétés occidentales européennes les plus développées et les plus avancées. C’est là un rêve très ancien, je pense, de la nation grecque depuis l’indépendance : devenir un élément pleinement accepté du monde occidental, comme autrefois. Et, pendant la première décennie qui a suivi l’adhésion à l’Euro, ce rêve a semblé devenir réalité. Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer la force symbolique de l’euro : on peut évoquer à ce propos les analyses de Marx sur le rôle de la monnaie et des devises et toutes les valeurs symboliques qui y sont attachées. Et ça marche. Chacun le sait : avant la crise, avant les mémorandums, c’est en Grèce – comme dans les autres pays de la périphérie de l’Europe – que l’on constatait le plus haut niveau d’adhésion à la fois au projet européen et à la monnaie commune. Je pense que c’est là une mentalité typique des pays subalternes. Bien sûr, ces niveaux d’adhésion se sont effondrés pendant la crise. Mais la réalité est plus ambivalente que cela : d’un côté, il y a un manque de confiance en l’Union européenne parce qu’elle a imposé les mémorandums et la loi de la troïka. Mais, d’un autre côté, il semble que plongé dans le désespoir, le peuple s’accroche aux derniers vestiges de son ancien statut symbolique. Les gens sont même parfois encore plus désespérés d’avoir perdu leur ancien statut, réel ou supposé, de membres du « club » des pays européens les plus avancés. Les choses sont parfois assez complexes au niveau du « sens commun ».

Maintenant, venons-en aux stratégies politiques : au sein de Syriza, différents courants – notamment ceux qui viennent d’une certaine culture eurocommuniste (ou, dans une moindre mesure, les courants qui viennent d’une culture plus mouvementiste) – ont affiché un fort sentiment d’adhésion au projet européen en tant que tel. A l’inverse, les courants qui viennent de la gauche du KKE – ce qui est surtout le cas du Courant de Gauche – sont traditionnellement beaucoup plus hostiles à l’intégration européenne. Depuis le début de la crise, ils ont conservé une attitude bien plus négative vis-à-vis de l’Euro et de toute cette stratégie, et aussi vis-à-vis de l’Union européenne vue comme une institution, ou comme un ensemble d’institutions.

Mais pas d’un point de vue nationaliste de gauche ?

Je pense que ce serait une erreur de croire que les courants qui viennent du KKE sont des courants nationalistes de gauche. Il y a une tradition patriotique de gauche, qui est profondément liée, disons, à la période antifasciste. Mais si l’on prend, par exemple, le conflit avec la Macédoine ou même les relations avec la Turquie, le KKE et les gens qui viennent de la matrice KKE ont des positions extrêmement modérées sur la Turquie. Et, pour ce qui est de la Macédoine, le KKE est le seul parti à ne pas avoir participé au soi-disant consensus national des années quatre-vingt-dix contre toute reconnaissance nationale de la Macédoine. Au sein de Syriza, la Plateforme de Gauche a développé une critique de principe de l’Union européenne en tant que telle et considère que l’appartenance de la Grèce à la zone Euro est une dimension clé du problème. Si l’on n’est pas prêt à rompre avec la zone euro, alors on se lie les mains au cas où la situation évoluerait vers une situation de chantage comme celui qui s’est exercé sur Chypre. La majorité de Syriza s’est fortement opposée à une telle approche et avancé des arguments qui peuvent sembler très à gauche, affirmant que cette approche conduirait à un repli sur des solutions nationales. Ils ne critiquaient pas seulement un défaut d’internationalisme, mais aussi un défaut d’anticapitalisme. Car, affirmaient-ils, le projet qui sous-tend cela est un retour au capitalisme national. Et cette argumentation était assez en ligne avec ce que racontait le reste de la gauche radicale européenne.

Sous l’influence d’Antonio Negri et de ce genre de positions ?

Concernant la majorité de Syriza, je ne pense pas que ce soit sous l’influence de Negri. Negri a peut-être joué un rôle vis-à-vis des composantes les plus mouvementistes. Mais, pour la majorité de Syriza, je pense plutôt au rôle joué par Die Linke et la Fondation Rosa Luxemburg. Ils ont joué un rôle dans la diffusion d’un nombre de thèmes comme le programme de réforme interne de l’Union européenne, une certaine compréhension de la crise et l’affirmation que l’issue à la crise était essentiellement une question de redistribution. Et derrière cela, il a l’idée qu’il faut changer le rapport de forces directement au niveau européen, qu’il faut éviter tout geste unilatéral au niveau national. Toute autre stratégie est considérée comme une régression, parce qu’elle témoignerait d’une nostalgie pour le vieil état nation, etc. Tels étaient les termes du débat. La question de l’euro est devenue un point de clivage.

L’autre question, au moins aussi importante, est celle de la dette. Là, la topographie ou les termes du débat ne sont pas les mêmes. Il y a des gens qui ne sont pas favorables à une rupture avec l’Euro et qui sont partisans d’une attitude radicale sur la dette. Ils considèrent que faire défaut sur la dette est quelque chose qui est inévitable ou qui, au moins, peut servir d’arme dans la renégociation de la restructuration de la dette grecque. L’approche de la majorité de Syriza, c’est qu’il est possible de distinguer les deux questions et de démarrer le processus par la discussion de la dette. Selon cette logique, puisque la rupture avec l’austérité et les mémorandums n’est pas négociable, nous serions en position d’inverser le chantage, du faible au fort. Nous rompons unilatéralement avec l’austérité, et alors Merkel et consorts n’auront pas d’autre choix que d’accepter une restructuration de la dette favorable au pays débiteur. Je pense que ces termes du débat sont eux-mêmes assez circulaires. La question réelle est la suivante : tout le monde est d’accord sur le fait que rompre avec l’austérité et agir unilatéralement sur la question du mémorandum est la seule issue à la situation actuelle. Et, sur cette question, nous pouvons obtenir le soutien de la majorité de la société grecque, ce qui en fait donc un aspect décisif.

La question devient alors : est-ce que cela peut se produire dans le cadre de la zone euro ou pas ? Je pense que cette question reste ouverte et que seule la vie fournira réellement la réponse. Mon opinion – et celle de la Plateforme de Gauche – est que l’on ne peut résoudre ces problèmes sans traiter cette question. Les problèmes de la dette et des mémorandums seront les tests décisifs de l’approche de la majorité de Syriza. D’un autre côté, l’attitude du KKE est devenue très rapidement, quasi immédiatement : « C’est un faux débat ; nous ne nous soucions pas de la devise ». Leur slogan officiel est : « Ni euro, ni drachme ; aussi longtemps que nous sommes à l’intérieur du capitalisme, ce n’est pas important d’être ou non pro- Union européenne ». Ils affirment que ceux qui appellent à la rupture avec l’euro sont les ennemis les plus dangereux, parce que c’est une diversion par rapport aux objectifs réels de la lutte de classes, etc.

Ni drachme, ni euro, mais le rouble et le socialisme international !

Bon, aujourd’hui on peut écarter le rouble de l’équation ! Mais, oui : quelque chose comme un mythique pouvoir des travailleurs... C’est érigé en ligne de démarcation immédiate entre réformistes et révolutionnaires. Ce qui sous-estime ainsi complètement le rapport de forces au sein de la société grecque et les positions de la gauche radicale réellement existante. Et, ensuite, confond l’horizon stratégique avec des revendications et des objectifs transitoires. Et cet ultimatisme qui met en avant cette question comme une pré condition à toute approche radicale, commune ou unitaire, est totalement rejeté dans la conjoncture actuelle. Le test de la confrontation au réel va bientôt avoir lieu. Nous saurons alors s’il est possible de rompre avec l’austérité et de rester dans la zone euro. Presque tout suggère que ce n’est pas possible. C’est le message que suggèrent les différents types de chantages auxquels ont été récemment confrontées l’Irlande et Chypre, tout autant que l’approche actuelle des gouvernements européens qui disent maintenant : « D’accord, on peut peut-être éviter une sortie de la Grèce de la zone euro si vous restez dans le cadre actuel. Peut-être n’êtes-vous pas aussi dangereux et menaçants que vous paraissiez ou prétendiez être. Dans ce cas, vous allez très rapidement suivre le même chemin qu’ont suivi dans un passé récent les gouvernements de gauche, dans les différents pays européens, à commencer par la France ». C’est pourquoi je pense que la Plateforme de Gauche met bien en lumière ce qui va arriver, ce qui est devant nous. La bonne manière d’aborder cette question n’est pas d’ériger la position sur l’euro comme une condition, mais de rejeter toute idée selon laquelle nous devrions accepter des sacrifices ou des concessions pour pouvoir rester dans la zone euro.

Mais est-ce que cela ne contribue pas en un sens à réduire l’écart entre la majorité et la Plateforme de gauche sur cette question d’un choix biaisé ? Le clivage ne semble pas si important, et repose pour beaucoup sur des déclarations publiques, qui sont en partie performatives : le bluff et la dénonciation du bluff de Merkel et compagnie. Cela ne semble pas très substantiel.

Je pense que c’est beaucoup plus substantiel que vous ne le suggérez. Sur le papier, on peut avoir des formules qui reflètent ce type de compromis : « nous n’accepterons pas de sacrifices pour l’euro », « toutes les options sont sur la table, mais notre choix n’est pas en tant que tel de sortir de l’euro », et c’est effectivement le type de formules qu’on trouve dans les documents clé du parti. Mais ce compromis est très instable, et ce qui s’est produit l’a finalement révélé. Il y a donc une position, d’un côté « nous devrions rester  dans la zone euro » et de l’autre « nous devrions nous préparer à toutes les initiatives et à tous les objectifs ». le résultat concret est que Syriza n’est pas prêt. Il n’y a pas de plan B. Il n’y a pas eu de préparation politique du parti, de la société grecque, du peuple. Et ce fait est encore utilisé comme moyen de chantage imposé à la population grecque, de même qu’il sera utilisé dans l’avenir pour exercer un chantage sur un gouvernement dirigé par Syriza.

Juste pour clarifier : on parle de la sortie, ou de la possibilité d’une sortie, de la zone euro, pas de l’Union européenne ? Personne dans Syriza ne propose de sortir de l’UE ?

Ce n’est pas totalement vrai. Au minimum, le Plate forme de gauche est hostile à l’UE en tant que telle.

Mais on pourrait imaginer que la Grèce reste dans l’UE tout en ayant quitté la zone euro ?

Eh bien oui, mais cela soulève aussi toute la question de savoir si les traités européens en tant que tels sont compatibles avec le fait de suivre quelque voie alternative que ce soit. Dans cette perspective, on peut évoquer la position du Front de gauche en France, au moins sur le papier, en ce qui concerne la désobéissance aux traités européens. Sauf que, comme nous l’avosn vu dans les récentes élections, même si la question était dans le programme, elle n’a jamais été développée et défendue publiquement. Le débat est plus avancé en Grèce parce qu’il s’agit d’enjeux réels dans un débat qui irrigue largement la société et pas seulement un milieu restreint d’intellectuels et de militants. Il me semble qu’il y a des leçons précieuses à tirer de cela pour la gauche européenne dans son ensemble.

Quel est le lien avec l’OTAN ?

Je crois que l’opposition à l’OTAN fait toujours partie du code génétique de la gauche radicale en Grèce. Cela dit, depuis le début de la crise, l’opposition à la loi de la troïka a dominé tout le reste. C’est au point que même les Etats-Unis d’Obama sont perçus comme plus bienveillants que l’Allemagne de Merkel. Je crois qu’un secteur de Syriza considère que les Etats-Unis sont aujourd’hui un contrepoids à une Europe dominée par Merkel. Je suis en désaccord avec cela, et je pense qu’il y a un lourd prix à payer pour ce type de choix. Les gens qui disent ce genre de chose en Grèce ont tendance à soutenir la politique étrangère de l’Etat grec et des élites politiques, à savoir une alliance avec Israël et la tentative de jouer la carte d’Israël dans la relation avec la Turquie, allant ainsi à l’encontre de l’axe traditionnel entre la Grèce et le monde arabe, ou du point des parties du monde arabe. Je suis en désaccord fondamental avec cela, mais il faut bien reconnaître que la perception  dominante est que la principale contradiction est interne à l’Europe et concerne notamment l’Allemagne, ce qui a contribué à déplacer la question de l’impérialisme américain.

Donc une sortie de l’OTAN n’est pas au programme ?

C’est aussi un point de débat interne à Syriza. La Plate forme de gauche est très favorable à une sortie unilatérale de l’OTAN, mais les formulations qui dominent dans la gauche radicale en appellent plutôt à la « dissolution de l’OTAN ». C’est comme pour la dette. Nous allons négocier cette dette, mais qu’arrivera-t-il si l’autre partie n’accepte pas notre proposition ? Que signifie “dissoudre l’OTAN” ? Je n’en sais vraiment rien. Cela dit, je suis d’accord avec le fait que ce n’est pas la priorité n°1 du gouvernement grec. On ne peut pas ouvrir tous les front d’un coup. Et le front principal est celui qui nous oppose à la troïka et aux pouvoirs qui dominent l’Union Européenne.

Et sur la dette, corrigez moi si je me trompe, mais j’ai l’impression que la Plateforme de gauche, au moins le dernier texte de Heiner Flassbeck et Lapavitsas, parle d’une annulation d’une partie de la dette et semble mettre de côté l’aspect d’audit citoyen de la dette, qui était très populaire du côté d’ATTAC et du processus équatorien, en tant que processus participatif dans lequel la population ouvrirait les comptes de l’Etat et examinerait toute la corruption et le mauvaise distribution et se réapproprierait le contrôle des finances de l’Etat. Cela ne semble pas être une préoccupation centrale aujourd’hui. Cela n’est pas vu comme un processus politique de masse. Vous confirmez ?

Il y a plusieurs sujets ici ? L’audit de la dette était une des revendications approuvées par le congrès de Syriza et c’est indiqué comme tel dans le document final. Mais c’est une des décisions que la majorité n’a pas mises en avant depuis. Ce qui est plus inquiétant est que, malgré un début de champagne sur ce sujet Durant les deux premières années de la crise, il y a eu un déclin très net de ce type de revendication, et cela ne semble pas être une question majeure du débat public. Les textes de Lapavitsas insistent beaucoup sur cette question. Quand les textes sont cosignés par Flassbek et lui, il doit suivre une ligne plus consensuelle, et certains thèmes sont mis de côté, parmi lesquels celui-là. C’est un des thèmes qui pourraient et devraient être portés par une campagne internationale digne de ce nom, puisque c’est une question autour de laquelle un large spectre de forces pourrait être mobilisées. Mais il ne peut y avoir de discussion sérieuse sur la dette tant qu’on ne répond pas à la question “Que ferons nous si les autres dissent non ?” Bien des débats depuis 2012 tendent à brouiller cette question en assumant le fait que des concessions des autres sont inévitables. Ce n’est pourtant pas le cas.

Imaginons que nous sommes en juillet 2015. Syriza a gagné les élections, la position de la Plate-forme de gauche a été confirmée, la Grèce sort de la zone Euro, le mémorandum est annulé, le système bancaire au moins partiellement nationalisé, les privatisations stoppées etc etc. A quoi ressemblerait la société grecque en juillet 2015 ? Nous savons tous que le socialisme dans un seul pays ne fonctionne pas. Dans quelle mesure une social démocratie de gauche pourrait-elle changer les choses dans un pays européen pauvre et arriéré, sans accès aux prêts internationaux et exclu de la zone euro ? De quel genre de société s’agirait-il ?

D’abord, dans le tableau que vous brossez de la situation, l’été 2015, ce sera le début du défaut de paiement pour la Grèce. Parce que c’est à l’été que de gros paiements doivent être faits concernant la dette grecque, et dans une situation de défaut de paiement, et, en conséquence, d’une sortie ou d’une expulsion de la zone euro, il faudra affronter toute une série de difficultés. Mais jusqu’ici, dans l’histoire, toutes les expériences de transformation sociale se sont déroulées dans un environnement international hostile. Et dans le cas présent, la notion de temps et de temporalité est absolument cruciale. La politique consiste essentiellement à intervenir à un moment particulier, à déplacer la temporalité dominante et à en inventer une autre. Bien sûr, stratégiquement, le socialisme dans un seul pays n’est pas viable. Et la transformation sociale en Europe ne se produira que s’il y a une dynamique d’élargissement autour de cela. Donc ma réponse serait la suivante : ce sera sans doute difficile pour la Grèce, mais gérable s’il demeure un haut niveau de soutien dans la société pour les objectifs mis en avant par le gouvernement. La Grèce, avec un gouvernement de gauche qui va dans cette direction, va provoquer une énorme vague de soutien par de très larges secteurs de l’opinion publique en Europe, et va électriser à un niveau que nous ne pouvons imaginer la gauche radicale dans les pays où elle constitue une force d’intervention. L’Espagne est la candidate la plus sérieuse pour une extension du scenario grec, mais je crois que, même si cela semble improbable aujourd’hui, la France est également un maillon faible dans l’Union Européenne, si le vent venu du sud est assez fort.

Mais nous avons l’expérience d’une société qui, comme la Grèce, est une formation sociale capitaliste avec une bourgeoisie privée, un gouvernement réformiste radical voire révolutionnaire qui le dirige, et qui se trouve disposer d’un avantage massif, celui des réserves de pétrole,  et qui a réussi à susciter un certain soutien sur le reste du continent, avec des gouvernements bénins ou même pro-Chavez. La situation en Grèce est bien pire que celle de la Révolution bolivarienne – moins d’avantages et moins de soutien international. Et la situation n’est pas si enviable au Venezuela aujourd’hui. Alors comment penser que cela marchera mieux en Grèce ?

D’abord, au Venezuela, nous avons l’expérience d’une formation sociale qui a duré 15 ans. Il n’y avait pas de forte tradition de la gauche radicale au Venezuela, pas de tradition de luttes sociales comparable à la Grèce ou au reste de l’Amérique latine. Le Venezuela était considéré comme le Dubai ou un émirat d’Amérique latine. Il n’y a qu’à lire Les pas perdus, un roman d’Alejo Carpentier, et on mesure la transformation d’une société dans une période extraordinairement brève, quand une société arriérée se déplace très vite vers quelque chose comme l’Arabie Saoudite ou les Emirats. Politiquement, socialement et économiquement, la Grèce est un une société capitaliste bien plus avancée que le Venezuela : sa structure sociale, ses traditions politiques, sa constitution, la configuration des classes sociales et des forces sociales sont bien plus proche de la moyenne d’Europe de l’Ouest.

Mais avec une petite bourgeoisie importante …

C’est vrai, mais rien de comparable avec le Venezuela, où l’économie informelle représentait aux alentours de 50% de la population, en particulier après les réformes néolibérales. En outre, les réserves de pétrole sont une arme puissante, mais elles ont aussi empêché toute transformation de la structure économique du Venezuela. Donc c’est une arme à double tranchant. En conséquence, mon point de vue sur la Grèce est que (a) si nous avions une période de 15 ans sans succès qualitatif mais avec une transformation sociale, ce serait formidable ; (b) La Grèce, c’est évidemment la périphérie, mais c’est la périphérie interne du centre, ce qui signifie que le potentiel de déstabilisation de l’expérience grecque est peut-être plus grand pour le système capitaliste que celui du Venezuela ; (c) l’expérience politique accumulée des forces sociales et politiques en Grèce – et je veux pas minimiser l’importance majeure de ce qui s’est passé au Venezuela – est incomparable. La Grèce a une riche tradition de lutte sociale. Ce qui différencie la solidarité envers la Grèce des autres mouvements de solidarité tient à ce qu’il ne s’agit pas d’exprimer une solidarité envers des pays géographiquement très éloignés et qui ont des différences majeures en termes de structure sociale et de niveau de développement. La Grèce est une périphérie, si l’on veut, mais c’est une périphérie de l’Europe. Les processus politiques en cours en Europe ont une capacité expansive, qui est bien supérieure et bien plus directe dans cette partie du monde que ceux d’Amérique latine, parce que la crise grecque est une partie de la crise du capitalisme européen. Et l’Europe, malgré sa position actuelle – qui est très différente de celle qu’elle occupait par le passé – demeure l’un des centres du système capitaliste mondial.

Qu’en est-il d’une opposition interne ? Quelle crédibilité a un scénario à la chilienne si la pression états-unienne est insuffisante ?

J’ai lu beaucoup à propos du Chili récemment ; entre autres l’excellent ouvrage de Franck Gaudichaud sur les luttes de travailleurs et le mouvement social durant la période de l’Unité Populaire. La grande différence entre la Grèce et le Chili, c’est qu’au Chili, on assistait clairement à la montée en puissance du mouvement ouvrier, avec de puissants partis de la gauche socialiste et communiste, fortement implantés dans les masses populaires. Nous n’avons pas ce genre de sujets politiques et sociaux en Grèce, et Syriza n’est pas un parti de masse avec des liens vers les classes ouvrières et les masses rurales, comparables à ceux des partis de l’Unité Populaire et l’extrême gauche au Chili à l’époque. D’un autre côté, les adversaires sont aussi féroces qu’à l’habitude. Dans ces conditions, le sabotage économique est une option, pour étrangler le gouvernement de gauche en Grèce. Une autre possibilité réside dans une stratégie de la tension. Il faut prendre cela au sérieux. Le danger principal ne vient pas de l’armée. Les événements récents ont montré qu’il n’y avait pas de réseaux au sein de l’armée qui puissent être mobilisés à court terme dans un but putschiste. En revanche, il y a des réseaux significatifs de ce type dans la police, dans des secteurs de la justice, et dans ce qu’on peut appeler l’Etat profond. Et bien sûr, comme vous le savez, Aube dorée a révélé cela. Il ne faut pas oublier que quand la direction d’Aube dorée a été arrêtée, deux cadres importants de la police grecque et une personne des services de renseignement grecs ont été arrêtés en raison de leurs liens avec cette organisation.

Je pense donc que c’est la menace principale pour Syriza. Ca, et les médias. Il est clair que les médias grecs sont équivalents aux médias vénézuéliens. Le genre de rhétorique utilisée – le niveau extraordinaire d’agression envers Syriza – la violence verbale et symbolique qu’ils déploient préparent le terrain pour quelque chose de plus violent et de plus concret.

Peux-tu évoquer une possible dialectique négative entre d’un côté les forces de l’Etat et de l’autre les anarchistes ou autonomistes ou autres éléments ultra-gauche – l’idée que la résistance venue des forces extra parlementaires, vulnérables aux agents provocateurs et tutti quanti, peut être utilisée comme prétexte pour augmenter la pression et la force exercées par la police puis provoquer le type d’événement sur laquelle elle capitalise ?

On ne peut évidemment pas l’exclure parce que c’est un scenario très opaque. Cela dit, je dirais que le milieu anarchiste est un vrai courant politique dans la société grecque. Il représente vraiment un secteur social, essentiellement dans la jeunesse. C’est évidemment une constellation de choses très différentes, beaucoup ne sont pas structurées, c’est difficile de parler de courants, de tendances, etc. Cela dit, une partie importante de ce milieu est plutôt favorable à Syriza. Syriza s’est nettement prononcé contre l’autoritarisme d’Etat, et a souvent défendu des anarchistes ou d’autres gens arrêtés. Il a défendu les droits de personnes qui ont été accusés suite à des affrontements avec la police, etc. Il y a une structure spécifique, proche du parti, le Réseau pour les droits sociaux et politiques. Il est très actif dans la défense des droits de celles et ceux qui ont été persécutés par la police, y compris des membres du groupe de lutte armée Novembre 17 ou des anarchistes impliqués dans des mouvements de guérilla urbaine. De nombreux membres du parti  sont venus témoigner en faveur d’accusés dans ce type d’affaire. Cela signifie que les secteurs plus plus conscients politiquement (par ailleurs assez significatifs) ont une attitude positive vis-à-vis de Syriza. Ce qui est arrivé autour de Nikos Romanos est caractéristique. Syriza  a pris une position très ferme et très positive – Tsipras lui-même a tenté d’obtenir une issue positive à la grève de la faim. Ce type de batailles doivent être gagnées au bon niveau politique, et nous devons trouver un terrain sur lequel nous pouvons entrer en relation avec une partie de ce milieu.

Tous les noms que vous mentionnez sont masculins. Quelles sont les approches concernant la politique du genre, au sein de Syriza ?

En termes de culture politique, Syriza est un courant qui est parmi les moins machos, pour la Grèce. C’est l’espace politique qui a les liens les plus historiques avec le féminisme et les mouvements lgbt, et se trouve régulièrement stigmatisé en tant que parti des homosexuels et pour la défense des minorités. Il y a quelques femmes très importantes, la plus connue étant sans doute Zoé Konstantopolou, une avocate très reconnue qui jouera, je pense, un rôle dans le prochain gouvernement comme ministre de la justice, et qui est attaqué par la droite avec une violence sexiste incroyable. Elle est très charismatique. Il y a aussi Nadia Valavani, une autre figure historique de la lutte contre la dictature, un membre de la Jeunesse communiste à l’époque, qui est très active dans le domaine de la politique extérieure. Ou Rena Dourou, qui a été élue préfète de l’Attique. Le groupe parlementaire de Syriza est de loin le mieux placé en termes de rapport hommes/femmes, et je pense que ce sera le cas au nouveau parlement.

En revanche, il y a encore un écart important, il reste beaucoup à faire. Il y a un quota dans les instances de Syriza. Il y a un quota de 35 ou 40% dans le comité central. Je pense qu’au niveau des candidats aux élections il y a aussi un fort attachement à quelque chose qui s’approche de la parité. C’est donc une préoccupation constante à tous les niveaux. Il y a aussi un cérat entre cela et ce qu’on obtient en termes de personnes réellement élues, mais je veux vraiment insister sur le fait qu’en termes de culture politique, Syriza – sur des sujets comme le genre, les minorités, les droits des LGBT – représente quelque chose de distinct, quelque chose d’éloigné du reste de la vie politique grecque.

Et pour ce qui concerne la solidarité internationale : beaucoup reposera sur la capacité de Syriza à trouver des soutiens en dehors des canaux habituels. Quelles formes cela pourrait-il prendre, sachant que les forces de la gauche radicale ne dirigent aucun autre Etat en Europe en ce moment ? Et qu’est-ce qui est possible en termes de solidarité, à part la construction de luttes de classe – et au-delà de l’Europe, jusqu’aux Etats-Unis où Jacobin existe ?

Il faut aborder trois aspects. Le premier est que nous avons besoin de la solidarité des mouvements. Dans l’hypothèse d’un gouvernement Syriza après le 25 janvier, un vaste mouvement de solidarité est nécessaire pour briser l’isolement de Syriza et empêcher dans la mesure du possible le chantage des gouvernements européens. Nous avons besoin de soutien sur la question de la dette, les mesures rompant avec l’austérité etc. C’est une première dimension

Donc quelque chose comme la conception bourdieusienne d’une assemblée européenne des mouvements sociaux ?

Je vais y venir. Le 2e niveau est la nécessité de rompre l’isolement politique en tant que telle, donc la meilleure solidarité pour la Grèce, c’est d’obtenir une victoire politique dans votre pays et modifier le rapport de forces. Il y a bien sûr beaucoup, sans doute trop d’attentes sur c front, mais cet excès permet de mobiliser, et on ne peut limiter l’imagination du peuple. C’est donc une dimension necessaire, pour atteindre de reels succès politiques. L’ascension de Podemos est la meilleure nouvelle pour Syriza. Le simple fait que le paysage politique en Espagne change si vite, et ouvre la possibilité de quelque chose de comparable à la Grèce à court terme, est une bouffée d’oxygène pour nous. La troisième chose, d’accord avec vous, c’est que nous avons besoin d’outils politiques au niveau international. On a le Parti de la gauche européenne, on a les campagnes de structures parapluie comme l’Alter Summit, on a les restes des forums sociaux. C’est mieux que rien bien sûr, mais encore très insuffisant, très en deçà de ce que la situation exige. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une sorte de nouvelle internationale, de quelque chose de plus solide en terme de réseau international. Sans être mégalo, ou hélleno-centrique, je pense qu’avec un gouvernement Syriza, Athènes peut devenir un centre pour des processus politiques à l’échelle européenne et internationale. Ce dont nous avons besoin en cas de victoire de Syriza, c’est de grands rassemblements à Athènes – pas seulement en soutien à Syriza mais pour discuter sérieusement et aller au-delà de ce dont nous disposons en termes d’outils politiques, c’est-à-dire peu de choses.

Et faire de Syriza un parti international ? Parce qu’en ce moment il semble que ses sections internationales sont surtout dirigées par des Grecs de la diaspora dans d’autres pays.

Je ne crois pas que Syriza soit un modèle qui convienne à toutes les situations. Il a des sections à l’étranger en raison de l’existence d’une diaspora, ces structures peuvent donc jouer un rôle ici et là, mais pour l’essentiel, il faut connecter les forces fragmentées de la gauche radicale dans chaque pays et progresser sur les questions stratégiques et programmatiques. 

La dernière question est plus théorique. Nous vivons une période étrange dans laquelle beaucoup des idées et des théories des théoriciens radicaux que nous avons lues et discutées pendant des années – et qui ont constitué en général des débats abstraits, dans des livres et des revues -  deviennent des forces vivantes. Nous avons eu une période durant laquelle les idées de Négri et Holloway sont devenues des forces vivantes (le mouvement altermondialiste), et l’on peut faire des jugements sur les échecs et les succès. Nous vivons maintenant une période qui voit deux forces politiques majeures dans le sud de l’Europe, chacune correspondant globalement à un type de modèle particulier, un modèle type Laclau en Espagne, un modèle type Poulatzas en Grèce. D’abord, partages-tu cette idée, et que peux-tu dire de cette situation ? Et deuxièmement, que dirais-tu d’une formation politique « Laclauienne » ou « Poulantzasienne » ? Et y a-t-il un 3e terme ?

Première chose, je suis d’accord – c’est absolument vrai. A un niveau plus personnel, je peux dire que durant les 4 dernières années j’ai beaucoup relu ce qui a constitué depuis le départ la base de ma culture politique, Gramsci et Poulatzas. Je lis beaucoup Gramsci pour comprendre les spécificités de la crise en Grèce, et la façon dont la crise est devenue une crise politique globale ou une crise “organique”, pour utiliser le terme gramscien, et le rôle du niveau proprement politique dans ce qui semblait très ouvert au départ, mais est aussi très chaotique. Ce fut aussi utile de réfléchir aux différences entre la situation grecque et l’approche typiquement gramscienne en termes de « guerre de position ». D’un côté, on constate une confirmation de l’option Gramscienne/Poulatzasienne, qui consiste à prendre le pouvoir par les élections, mais en combinant cela avec des mobilisations sociales, et rompt avec la notion d’un double pouvoir en tant qu’attaque insurrectionnelle de l’Etat par l’extérieur – l’Etat doit être pris de l’intérieur et de l’extérieur, par en bas et par en haut. Mais d’un autre côté, ce qui manqué pour la “guerre de position” traditionnelle, ce sont des positions solides au sens gramscien, des organisations puissantes et stabilisées des classes subalternes à partir desquelles mener le combat en situation de confrontation. Le mouvement syndical est très faible en Grèce, et a été désorganisé par la crise. Les partis politiques de gauche eux-mêmes, Syriza compris, ne sont pas comparables aux organisations de masse du mouvement ouvrier du siècle dernier. Nous n’avons donc pas ces blocs organisés à partir desquels progresser et construire la contre-hégémonie.

Mais la situation est beaucoup plus mobile sur le front de la confrontation sociale. Nous avons connu de grandes explosions, au bord d’une situation de type insurrectionnel, tout particulièrement entre juin et octobre 2011. Mais ceux qui espéraient, pour la Grèce, une situation de type “Tahrir” ont très vite réalisé que les choses ne se passeraient pas de cette manière. Le niveau politique, et également électoral, est tout à fait stratégique. Et c’est pourquoi, bien sûr, la proposition de gouvernement anti-austérité proposé par Syriza s’est imposée.

Mais j’ai aussi lu beaucoup de Poulantzas, en particulier les écrits les plus tardifs, pas seulement sur la question stratégique de “la voie démocratique vers le socialisme” mais aussi de manière à comprendre spécifiquement les risques de l’évolution de Syriza comme forme-parti et plus particulièrement la nécessité d’éviter « l’étatisation » de Syriza. Le risque de ce type de stratégie c’est d’être absorbé par l’Etat, avant d’arriver au pouvoir ou juste après. Et bien sûr, nous savons que l’Etat n’est pas neutre, qu’il reproduit les relations de pouvoir capitaliste etc. J’ai donc beaucoup lu pour comprendre stratégiquement la situation. Et j’ai combiné ces lectures avec les écrits de Daniel Bensaïd sur la nécessité de réorienter la pensée stratégique de la gauche. La question que vous soulevez est pertinente, parce qu’il semble vraiment que la situation espagnole soit assez proche de celle de la Grèce. Pour citer Bensaïd, les Espagnols ont compris que les Indignés ne constituaient pas une proposition auto-suffisante, et c’était une « illusion sociale » de penser qu’on peut changer la situation simplement par le biais du mouvement des indignés. D’un autre côté, Podemos poursuit vraiment, consciemment et sui generis, une approche populiste selon le modèle de Laclau. Il me semble que, bien que les développements de Laclau soient postérieurs à ceux de Poulantzas, ils ont surgi à un moment où le type de questions soulevées semblaient s’être éloignées de la transition vers le socialisme et la prise du pouvoir d’Etat posées par Poulantzas. Je pense que Poulantzas est nettement supérieur à Laclau. Je veux dire par là que les problèmes auxquel Podemos va faire face en tant que parti ne font que commencer. Comme organisation, comme type d’organisation et de stratégie, au niveau politique, au niveau du programme, du parti, de la relation à l’Etat, aux réalités internationales, etc : ils ne font que commencer. D’une certaine manière, les choses sérieuses – et désagréables – sont devant eux. Je pense que nous devons aller au-delà de Laclau pour faire face à ces tâches. Et, pour être un peu moins optimiste, si Syriza échoue et se révèle incapable de résister à la pression, je ne suis pas très optimiste sur les chances qu’une organisation moins structurée (comme Podemos) pourrait résister à des pressions similaires.

Article publié sur le site de la revue Jacobin, le 22 janvier 2015. www.jacobinmag.com/2015/01/phase-one/

Traduction : Ingrid Hayes, François Coustal, Mathieu Dargel.

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 19:21
Le coup de force inadmissible et irresponsable de la BCE contre la Grèce

 

 

Communiqué 5 février 2015

 

 

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé mercredi 4 février qu’elle arrêtait les opérations normales de refinancement des banques grecques. Pour retirer des liquidités auprès de la BCE, les banques ne pourront plus donner comme garantie des obligations d’État grecs. Les banques grecques se voient retirer leur principale source de financement à la BCE.

Attac condamne fermement cette décision de la BCE.

 

 

 

Cette décision est inacceptable car la BCE a outrepassé son mandat. Celle-ci a suspendu le financement des banques grecques sur la simple « présomption » (selon son communiqué) qu’aucun accord ne pourrait être trouvé avec le nouveau gouvernement grec concernant la restructuration de la dette. Comment la BCE, institution qui n’a aucune légitimité démocratique, peut-elle prendre une décision aussi politique alors que les négociations ne font que commencer ?

Cette décision est illégitime, car la BCE s’oppose à l’application du programme politique qui résulte du choix des électeurs grecs. Une fois de plus, la BCE se fait le défenseur des créanciers de la Grèce pour imposer la poursuite d’un programme d’ajustement qui a ruiné le peuple grec et s’est traduit par une hausse de la dette grecque.

La décision de la BCE est irresponsable car elle pourrait engendrer une panique bancaire dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour la Grèce et la zone euro dans son ensemble !

Attac demande que la BCE suspende sa décision, et que les propositions du nouveau gouvernement grec soient entendues et appliquées. Seule est acceptable une restructuration rapide de la dette grecque, incluant une remise de dette. Le pouvoir exorbitant de la Troïka et des créanciers doit cesser !

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 19:20

ministre des finances grec

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4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 07:00


Refuser l’impunité d’Israël, lui opposer le droit

http://www.france-palestine.org/Refuser-l-impunite-d-Israel-lui-opposer-le-droit


Le gouvernement israélien refuse toute enquête internationale sur les crimes commis cet été à Gaza. Comme en 2009 lors de l’élaboration du rapport Goldstone après l’opération « plomb durci », il a refusé toute coopération avec la commission d’enquête internationale mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU scandaleusement baptisé par son porte-parole « Conseil des droits des terroristes », lui interdisant même l’entrée dans la bande de Gaza.

Le président de cette commission d’enquête, le Canadien William Schabas, professeur de droit international, attaqué par Israël pour ses supposées sympathies pour la population de Gaza, vient de démissionner pour « ne pas gêner la rédaction du rapport d’enquête, qui doit être publié en mars ». Israël avait violemment mis en cause son impartialité. Comme il l’avait fait précédemment pour le juge Goldstone ou la juriste française Christine Chanet auteur du rapport de mars 2013 sur l’impact de la colonisation sur les droits des Palestiniens.

Qu’Israël persiste dans son refus de toute enquête indépendante ne fait que traduire sa volonté de n’avoir jamais aucun compte à rendre et de préserver sa totale impunité. En l’absence de tout rappel à l’ordre, après une campagne de dénigrement de la Cour Pénale Internationale et la volonté affichée d’obtenir sa dissolution, Israël s’active ouvertement et en toute arrogance à « empêcher la publication de ce rapport ».

En s’abstenant en août dernier lors du vote de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU sur la création de la commission d’enquête internationale sur Gaza, en se taisant sur les obstacles mis par Israël à son travail sur le terrain, la France a pris la très lourde responsabilité d’affaiblir cette commission. Elle ne peut continuer sans risque à fermer les yeux sur ce mépris des lois internationales. Continuer à se taire, revient à décerner à Israël un brevet d’impunité permanente. C’est ouvrir la voie à de nouveaux crimes.

La France doit au contraire soutenir pleinement les travaux de la commission internationale d’enquête sur Gaza, exiger qu’elle puisse entrer à Gaza et exprimer sa confiance à son président, tout comme elle doit soutenir la démarche palestinienne auprès de la Cour pénale internationale.

Le Bureau national de l'AFPS
 

 

Paris, le 04 février 2015

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