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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 11:30
"Des gens meurent en silence" : des médecins humanitaires alertent sur la situation syrienne de la Ghouta, près de Damas

La Ghouta, enclave syrienne bouclée par l'armée du régime de Bachar Al-Assad, est assiégée et bombardée. Différentes ONG se mobilisent pour apporter de l'aide aux civils alors que les accès humanitaires sont coupés. 

Il y a un an, le monde entier parlait de la chute d'Alep, ville martyr en Syrie, reconquise par le régime de Bachar Al-Assad au prix de centaines de morts. L'histoire se répète aujourd'hui dans la région de la Ghouta, à l'est de Damas. 
Cette petite enclave, totalement bouclée par l'armée syrienne, est assiégée et bombardée. Elle ne dispose aujourd'hui d'aucun accès humanitaire. Les ONG se mobilisent pour tenter d'aider les civils, en particulier l'Union des organisations de secours et de soins médicaux (UOSSM), qui finance des hôpitaux et soutient des médecins en Syrie.

100 000 enfants pris au piège de la Ghouta

Le drame de la Ghouta hante Ziad Alissa. "Il y a presque 370 000 personnes assiégées dans une zone qui ne fait pas plus de 30 kilomètres carrés", alerte le médecin d'origine syrienne, qui préside l'UOSSM-France. Parmi elles, 100 000 enfants sont pris au piège. Des milliers d'entre eux souffrent de malnutrition et au moins 130 ont besoin d'une évacuation médicale d'urgence. 

Tous les accès humanitaires sont fermés. Les habitants manquent de tout, de nourriture, de médicaments... Il y a des blessés et des malades. C'est donc vraiment une catastrophe.

Ziad Alissa, médecin urgentiste et président de l'UOSSM à france info
 

La Ghouta est l'une des quatre zones de "désescalade" définies par la Turquie, la Russie et l'Iran qui mènent leurs négociations de paix en Syrie. Mais il n'y a pas eu de trêve dans cette région. "Tout le monde avait l'espoir qu'il n'y aurait plus de bombardements, qu'il y aurait des accès humanitaires mais malheureusement ce n'est pas le cas. Nos collègues sur place nous racontent toujours une situation catastrophique."

Les médecins contraints de prendre des pseudos

Régulièrement, Ziad Alissa appelle certains de ses collègues dans la Ghouta. Tous utilisent des pseudos pour protéger leur identité sur place. "Il reste quelques médecins qui veulent rester avec leurs familles. Ce sont vraiment des héros. Je pense qu'il est de notre devoir d'aller les aider", explique l'anesthésiste. Ainsi, un de ses confrères décrit une situation catastrophique depuis la Ghouta.

"Les civils ont peur, il n'y a rien à manger et ils redoutent l'hiver"

Abou Kinan, médecin dans la région de la Ghouta à France Info

"Ne nous oubliez pas", implore Abou Kinan.

Une autre consœur raconte la difficulté de la situation humanitaire à Ziad Alissa. Elle s'occupe de Rama, une petite fille de quatre ans, devenue l'un des visages de la tragédie de la Ghouta. Rama souffre d'un cancer de la gorge diagnostiqué il y a huit mois mais elle ne peut plus suivre de traitement parce qu'elle est coincée dans l'enclave. Conséquence : les médecins ne peuvent que traiter les symptômes d'une maladie qui s'aggrave chaque jour. 

"Il est temps de faire quelque chose, de réagir pour aller aider ces gens qui souffrent et qui meurent en silence", alerte Ziad Alissa. 

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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 06:43
En Autriche, l’extrême droite revient au pouvoir dans l’indifférence

18 décembre 2017 Par Amélie Poinssot

Le tout nouveau gouvernement autrichien a prêté serment ce lundi 18 décembre. Le jeune chancelier conservateur Sebastian Kurz a donné six ministères sur quatorze à l’extrême droite du FPÖ. Une alliance qui soulève bien peu d’indignation en Europe.

L’extrême droite est de retour au pouvoir en Autriche. Dix-sept ans après la première coalition entre conservateurs et extrême droite à la tête du pays, une nouvelle alliance s’est formée à Vienne entre l’ÖVP (Parti populaire d’Autriche, conservateurs), vainqueur des élections législatives d’octobre dernier avec 32 % des voix, et le FPÖ (Parti libéral d’Autriche, extrême droite) : les deux partis ont présenté ce week-end l’accord de gouvernement et le nouvel exécutif a prêté serment ce lundi 18 décembre.

Mais, à la différence de ce qui s’était passé en 2000, les réactions sont faibles au niveau européen. À l’époque, Vienne avait été visée par des sanctions diplomatiques (suspension des relations bilatérales entre les quatorze États membres et l’Autriche, et absence de soutien des Quatorze à toute candidature autrichienne dans les organisations internationales). Israël avait rappelé son ambassadeur à Vienne. Rien de tout cela aujourd’hui. « Je souhaite vous féliciter chaudement pour votre nomination comme chancelier fédéral de l’Autriche, a déclaré ce lundi le président du Conseil de l’UE Donald Tusk à l’attention de Sebastian Kurz, le jeune leader de l’ÖVP qui prend, à 31 ans, les rênes de l’exécutif autrichien. Je fais confiance au gouvernement autrichien pour continuer à jouer un rôle constructif et pro-européen dans l’Union européenne. »

Personne au parlement européen n’esquisse la menace de sanctions contre Vienne. Tout au plus les socialistes européens appellent-ils à « garder un œil vigilant sur chacun des actes du gouvernement autrichien qui pourraient brader nos valeurs européennes et nos principes », selon les mots de Gianni Pittella, le président du groupe sociodémocrate au parlement européen.

Le FPÖ – parti fondé à l’origine par d’anciens nazis – a pourtant un agenda ostensiblement raciste, tandis que l’ÖVP lui-même a axé sa campagne sur l’objectif de fermer le pays aux réfugiés. Comme ministre des affaires étrangères dans le gouvernement précédent, Sebastian Kurz s’était déjà fait le défenseur de la fermeture des frontières de son pays alors qu’il se trouvait sur la « route des Balkans » empruntée par les réfugiés à l’octobre 2015. Le leader des conservateurs n’avait cessé, depuis, de faire des clins d’œil à l’extrême droite en radicalisant son discours (lire à ce sujet notre enquête publiée le 13 octobre dernier).

Les extrêmes droites européennes, elles, se frottent les mains. « Le nouveau cours de la politique d’asile en Autriche marque un jalon dans l’histoire européenne, s’est réjoui lundi Alexander Gauland, le président du groupe parlementaire d’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite allemand qui a réussi en septembre à faire élire 94 de ses candidats au Bundestag. Pas seulement parce qu’on va enfin s’opposer de manière durable aux flux migratoires illégaux en Autriche. D’autres États membres de l’UE pourraient être convaincus par le succès à venir d’une sécurisation complète des frontières et de l’arrêt d’arrivées de migrants en Autriche. »
Comment expliquer le poids du FPÖ dans le nouveau gouvernement autrichien et quelles conséquences cette coalition peut-elle avoir sur les politiques européennes ? Entretien avec Martin Haselmayer, chercheur en sciences politiques à l’université de Vienne.

Mediapart : Comment en est-on arrivé à un gouvernement de coalition entre la droite et l’extrême droite ?

Martin Haselmayer : Il était déjà quasiment acquis pendant la campagne électorale que les conservateurs de l’ÖVP et les socialistes du SPÖ n’allaient pas gouverner ensemble. Au-delà de la lassitude et des désaccords entre ces deux deux partis qui gouvernaient ensemble depuis des années, il y a avait des inimitiés sur le plan personnel qui rendaient une coalition improbable. Une méfiance mutuelle et une atmosphère inamicale s’étaient instaurées.

A contrario, des similitudes très importantes sont apparues entre l’ÖVP – qui s’est droitisé sur la question migratoire – et le FPÖ, qui a toujours eu un agenda « antimigrants ». Cela rendait donc, avant même les élections, le scénario d’une telle alliance plus que probable.

Cela explique aussi peut-être pourquoi les réactions ont été si peu nombreuses à Vienne au moment de l’annonce de la formation de ce gouvernement : dans la capitale la manifestation d’opposition de ce lundi a rassemblé seulement entre 5 000 et 10 000 personnes. Ce n’est rien par rapport à l’année 2000, lorsqu’une première coalition s’était formée avec l’extrême droite au niveau de l’exécutif. Le fait qu’on a déjà connu cette situation ne favorise pas la mobilisation. Il y a par ailleurs comme une forme d’habitude  : le FPÖ est totalement intégré à notre paysage politique, cela fait longtemps qu’il a opéré sa mue de parti extrémiste en parti mainstream. Il faut dire enfin qu’un certain consensus antimigrants se dégage aujourd’hui au sein de la population autrichienne.

Des ministères plus importants qu'en 2000

Mais comment expliquer le peu de réactions au sein de l’Union européenne ?

Ce manque de réaction reflète un changement général en Europe, qui va dans le sens d’une plus grande tolérance à l’égard des partis d’extrême droite. Il est certain qu’il n’y aura pas cette fois-ci de sanctions européennes contre l’Autriche.

Ce gouvernement a par ailleurs donné des gages à l’Union européenne : dans leur accord de coalition, les deux partis se sont engagés au respect des règles des traités européens et à ne pas convoquer de référendum sur l’euro, ce qui était pourtant une volonté du FPÖ à l’origine. Mais tout cela n’a pas de caractère contraignant, ce ne sont que des mots sur du papier…

Comment le FPÖ a-t-il réussi à obtenir six ministères, dont trois régaliens ?

Le FPÖ était en position de force pour négocier : l’ÖVP n’avait pas vraiment de plan B pour former une coalition gouvernementale. De plus, le FPÖ, avec un discours très engagé politiquement, avait clairement marqué son territoire pendant la campagne électorale et avait exprimé sans ambiguïté qu’il voulait les portefeuilles de l’intérieur et les affaires étrangères. Il a sans doute également appris de ses expériences et gagné en force de négociation. Sebastian Kurz, qui était resté vague en matière de politique étrangère, n'avait pas de proposition alternative.

Cela dit, il faut relativiser l’importance du poste des affaires étrangères pour un petit pays comme l’Autriche, d’autant que les affaires européennes restent dans la main du chancelier. C’est un poste avant tout symbolique

Le FPÖ aujourd’hui a-t-il plus de poids qu’en 2000 ?

Le nombre de ministres dans le gouvernement est le même qu’en 2000. Mais les ministères que le parti de Haider avait obtenus à l’époque étaient moins importants : il n’avait pas l’intérieur ni les affaires étrangères, mais il avait le portefeuille des finances. Puis, deux ans plus tard, une nouvelle coalition avait été formée et le FPÖ avait perdu du terrain.

La participation au gouvernement peut-elle être favorable au FPÖ cette fois-ci ?

C’est difficile à dire car en réalité, aucun des nouveaux ministres affiliés au FPÖ n’a déjà eu une expérience gouvernementale. Cela peut jouer en leur faveur comme en leur défaveur. Une chose est sûre : le parti bénéficie d’une bonne conjonction économique, ce qui lui rend la tâche plus facile. ÖVP et FPÖ se félicitent par ailleurs de leur façon de travailler ensemble, se vantent d’avoir trouvé « un nouveau style de gouvernance ». Je ne sais pas si cela va tenir très longtemps, mais cela fonctionne sur le plan de la communication pour l’instant.

Qui sont ces personnalités du FPÖ qui rejoignent l’exécutif autrichien ?

À la défense, il s’agit de Mario Kunasek, quelqu’un issu de l’aile la plus droitière du FPÖ et qui s’est fait remarquer dans la campagne par ses slogans antimigrants. Cela dit, comme pour les affaires étrangères, il ne faut pas exagérer le poids de la défense en Autriche. Il s’agit d’un petit budget. C’est le cumul des trois ministères qui est inquiétant : à travers les affaires étrangères, l’intérieur et la défense, le FPÖ contrôle désormais la sécurité et les services de renseignement du pays...

C’est Herbert Kickl qui prend la tête de l’intérieur. C’est le cerveau du FPÖ : c’est lui qui dirige depuis des années les campagnes électorales du parti ; il est décrit comme quelqu’un de très intelligent.

Karin Kneissl, aux affaires étrangères, a un parcours plus atypique : c’est une universitaire qui a rejoint le corps diplomatique et a écrit un certain nombre d’ouvrages… Formellement elle n’est pas membre du parti, mais elle est tout à fait dans la ligne sur le plan migratoire.

Heinz-Christian Strache, le président du FPÖ, obtient quant à lui le poste de numéro deux du gouvernement, vice-chancelier, mais avec un portefeuille très restreint : secteur public et sports. C’est sans doute le signe d’une stratégie qui consiste pour lui à conserver une certaine indépendance par rapport au gouvernement, et qui consiste pour Sebastian Kurz à ne pas lui déléguer trop de responsabilités puisque sa personnalité divise davantage que les autres membres du FPÖ.

Quels sont les principaux points de l’accord de coalition signé entre les deux partis ?

Les points principaux sont le statut des demandeurs d’asile, la politique familiale, et l’allègement de la taxation des entreprises. C’est un programme typiquement de droite et inquiétant du point de vue des droits humains.

L’allocation de subsistance pour les sans-emploi est en effet très largement diminuée pour les réfugiés et demandeurs d’asile. Ces derniers se verront en outre confisquer leur argent liquide quand ils arriveront en Autriche. Le but est, à l’évidence, d’effrayer les futurs candidats à l’exil vers l’Autriche.

Des bonus fiscaux sont par ailleurs annoncés pour les familles autrichiennes. Mais au-delà de ces points, l’accord de coalition, qui fait plus de 160 pages, est un ensemble de formules qui ne contiennent pas grand-chose de précis.

Quelles peuvent être les conséquences de la formation d’un tel gouvernement sur la politique européenne ?

Ces deux partis sont contre le programme de répartition des migrants en Europe et ils sont très focalisés sur le renforcement des frontières. Ces positions les rapprochent évidemment du groupe de Visegrad. Je ne pense pas que l’Autriche va formellement rejoindre ces quatre pays d’Europe centrale [Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie – ndlr], mais cela ne fait aucun doute qu’elle va défendre les mêmes points de vue qu’eux sur le plan de la politique migratoire.

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18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 16:18

 

Les déclarations de Donald Trump du 6 décembre, considérant de manière unilatérale Jérusalem comme capitale d'Israël, violent le droit international et éloignent la perspective d'une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens en niant les résolutions adoptées par l'ONU pour y parvenir.

 

Rien ne serait pire que de prendre acte de la décision américaine sans réagir : la reconnaissance, aux côtés d'Israël, de l'Etat palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale doit devenir une priorité des gouvernements attachés à la paix, au respect du droit et à une solution politique juste.

 

La décision étasunienne a été dénoncée et condamnée lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU du 8 décembre et, le 9 décembre, par les membres de la Ligue arabe réunis au Caire. L'Union européenne comme le Vatican a réaffirmé son soutien aux résolutions de l'ONU et à la solution à deux Etats conforme à ces résolutions.

En ce 10 décembre, journée internationale des droits humains, le président français a manqué de prendre l'initiative politique qui était et demeure vivement attendue de la France à travers le monde pour relancer un véritable processus politique de paix au moyen d'une médiation internationale multilatérale.

 

Le président français qui recevait dimanche le premier ministre israélien a « désapprouvé » Donald Trump et qualifié de « regrettable » le pas franchi par l'administration américaine, et redit l'attachement de la France au droit international, aux résolutions de l'ONU et à la solution à deux Etats.

Emmanuel Macron a évoqué un « gel de la colonisation » mais a préféré renvoyer les protagonistes à un hypothétique tête-à-tête en appelant Benjamin Netanyahu à « des gestes courageux envers les Palestiniens » pour « sortir de l'impasse actuelle ».

La colonisation et l'occupation israéliennes redoublent de violences à l'égard du peuple palestinien, les habitants de Gaza, prisonniers d'un blocus illégal, sont bombardés quasi quotidiennement par l'armée israélienne : la paix, une paix juste, une paix durable, n'attend plus.

 

Le président Emmanuel Macron aurait pu s'appuyer sur le vote du Parlement français en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien, et conformément aux préoccupations exprimées par le ministère des Affaires étrangères obtenir la libération de notre compatriote, le jeune avocat Salah Hamouri.

 

Le PCF appelle au rassemblement le plus large des forces démocratiques et à la solidarité internationale pour le plein respect des droits du peuple palestinien, pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens et prend l'initiative d'une large campagne de pétition électronique adressée au président Macron pour la reconnaissance officielle de l’État de Palestine.

 

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17 décembre 2017 7 17 /12 /décembre /2017 09:38
Au cœur des inégalités, la fin des politiques publiques
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Réalisé par une centaine d’économistes, le Rapport sur les inégalités mondiales 2018 pointe la révolution capitaliste de ces quarante dernières années, qui a conduit à une concentration inégalée de richesse. L’abandon des politiques publiques de redistribution, la remise en cause de l’État sont au centre de ce creusement des inégalités.

« Ils disaient il y a vingt ans que le capitalisme globalisé et financiarisé apporterait la prospérité au plus grand nombre. Quand il est devenu évident que le capital était de plus en plus concentré à l’échelle mondiale et encore plus agressif contre les non-possédants, ils ont déclaré que la lutte des classes était terminée. » Dans une de ses dernières tribunes, Yanis Varoufakis rappelle en quelques phrases les origines du malaise politique et social qui mine les sociétés occidentales : un creusement des inégalités sans précédent dans le monde, une lutte des classes qui ne dit pas son nom, qu’on refuse même de nommer. Et ce n’est pas par hasard que l’ancien ministre grec de l’économie appuie sa démonstration sur ce qui se passe au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ils ont été au centre de la grande transformation capitalistique mondiale de ces quarante dernières années.

Rarement le monde a connu un tel changement et à une telle vitesse. Un des mérites du Rapport sur les inégalités mondiales 2018, réalisé par des chercheurs du World Wealth and Income Database (WID) travaillant sous la coordination des économistes Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, est de remettre ce bouleversement en perspective. S’inscrivant sur une longue période – de 1980 à 2016 –, ils ont dépouillé les statistiques fiscales et comptables d’une soixantaine de pays, pas seulement les pays occidentaux ou industrialisés mais aussi des pays d’Afrique ou du Moyen-Orient, afin d’examiner les évolutions des revenus et des patrimoines de toutes les catégories.

Leur constat est sans appel : même si l’ascension de la Chine a contribué statistiquement à réduire le niveau des inégalités au niveau mondial, les inégalités entre les pays, à l’intérieur des pays, entre les catégories les plus riches et les plus pauvres, n’ont cessé de se creuser, quelles que soient les régions du monde. Celles-ci ne sont pas encore au niveau atteint au début de XXe siècle, au moment de la première mondialisation. Mais pas loin.

Le constat n’est malheureusement pas nouveau. De rapport en rapport, les grandes institutions comme l’OCDE, des ONG comme Oxfam et même des acteurs financiers comme Crédit suisse chroniquent depuis plusieurs années ce phénomène de l’extrême concentration des richesses à laquelle nous assistons. Comme le rappelle Oxfam, la fortune des 388 premiers milliardaires dans le monde équivalait à la richesse de la moitié de la population mondiale la plus pauvre. En 2016, les huit premiers milliardaires dans le monde totalisaient une fortune égale à celle de la moitié de la population mondiale. À ce stade, il ne s’agit pas plus des 1 %, ni même des 0,1 %, voire des 0,001 %.

Une telle accumulation en si peu de mains était-elle inévitable ? Dans une récente étude, le FMI tentait d’expliquer que le creusement des inégalités dans le monde était d’abord le produit de la mondialisation et des ruptures technologiques. Chiffres à l’appui, les chercheurs du WID récusent totalement cette thèse : les politiques publiques ont un rôle déterminant dans l’évolution des inégalités.

La comparaison de ce qui s’est passé entre l’Europe et les États-Unis au cours des trente dernières années est assez éclairante. Au début des années 1980, les 1 % les plus riches de part et d’autre de l’Atlantique possèdent environ 10 % des revenus nationaux. Trente ans plus tard, la part de ces plus fortunés est montée à 12 % des revenus en Europe, tandis qu’elle dépasse les 20 % aux États-Unis.

La période a vraiment été faste pour les Américains les plus riches. Leur revenu annuel a augmenté de 205 % depuis 1980 pour les 1 % et de 636 % pour les 0,0001 %. Dans le même temps, le salaire moyen des 50 % a stagné depuis 1980 autour de 16 000 dollars par personne (13 500 euros environ), alors que le PIB américain était multiplié par dix ! Une génération a été exclue de toute croissance.

Cette immense distorsion est le fruit des politiques qui ont été mises en œuvre. C’est à partir des années Reagan qu’une totale liberté est donnée à la finance, à la circulation sans frein des capitaux. Dans le même temps, les gouvernements américains successifs réforment leur politique fiscale au profit des plus riches, renoncent à tout salaire minimum au niveau fédéral. Les protections salariales sont démontées tandis que les syndicats disparaissent peu à peu. L’accès à l’éducation, aux services de santé devient de plus en plus coûteux, de plus en plus inégalitaire.

La même comparaison peut être faite au niveau des pays émergents. Comment expliquer en effet que la Chine et l’Inde, voire la Russie, affichent de telles différences dans les évolutions des inégalités ? D’un côté, la Chine a connu une croissance hors normes. Une nouvelle classe de millionnaires, voire de milliardaires, a émergé. Les inégalités se sont creusées mais elles sont sans comparaison avec celles qui sont apparues en Inde ou en Russie. La différence, pour les chercheurs du WID, s’explique par les politiques publiques menées.

Le gouvernement chinois a veillé malgré tout à prendre des mesures pour l’ensemble de la population. Il a permis la naissance d’une classe moyenne. En Inde, par incapacité politique ou institutionnelle peut-être, rien n’a été fait pour corriger les écarts, au contraire : alors que les 10 % les plus riches captaient 30 % des revenus nationaux en 1980, ils en accaparent 60 % aujourd’hui. Quant à la Russie, c’est une véritable kleptocratie qui s’est constituée à la faveur de la chute de l’URSS. Les 10 % les riches, qui détenaient moins de 20 % des revenus nationaux en 1980, en ont accaparé près de 50 % dès 1995, pour ne rien lâcher par la suite.

 

L’effondrement des patrimoines publics

C’est à ce moment charnière des années 1980 que les économistes néolibéraux préconisent d’abandonner les principes d’égalité au profit des principes d’équité, bien plus féconds selon eux, surtout qu’ils ont l’immense mérite de délégitimer toute politique redistributive, de récuser par avance toutes les inégalités. Dans le même mouvement, la notion de politique publique, celle d’action de l’État, voire d’État tout court, sont remises en cause par les mêmes penseurs. L’État, selon eux, ne peut que perturber le marché, par nature efficient et parfait.

C’est un des points les plus intéressants et les plus novateurs de ce rapport sur les inégalités. Il met en lumière les conséquences de cette délégitimation de l’État, le formidable transfert qui s’est organisé entre les patrimoines publics et privés.

En 1970, les patrimoines privés représentaient entre 200 et 350 % du revenu national dans les pays occidentaux. Aujourd’hui, ils atteignent entre 400 % et 700 %. « La crise financière de 2008 n’a pratiquement pas infléchi cette augmentation, pas plus que l’éclatement des bulles spéculatives qui s’étaient formées dans certains pays comme le Japon ou l’Espagne », relève le rapport. Les politiques monétaires, menées depuis 1987 par les banques centrales, si favorables à la finance et aux classes les plus aisées, ne sont sans doute pas pour rien dans cette évolution.

Dans le même temps, poursuit le rapport, « le patrimoine public a diminué dans presque tous les pays depuis les années 1980 ». Au Japon, en Allemagne et en France, il est à peine au-dessus de zéro. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il est même devenu négatif. « Cette situation ne peut que limiter les capacités d’action des États pour lutter contre les inégalités », constatent les chercheurs du WID.

Pendant ces quatre décennies, les responsables ont défendu ces ruptures au nom de l’efficacité économique. L’ennui est que ces affirmations ne résistent à l’examen des chiffres. Les pays qui ont accepté et entretenu les plus fortes inégalités ont eu des croissances sur le long terme qui ne diffèrent en rien des autres. La seule différence est que cette croissance a été répartie de façon très inéquitable. « Les 1 % les plus riches ont profité deux fois plus de la croissance mondiale que les 50 % les plus pauvres », rappelle le rapport.

Les cohésions sociales, elles, sont de plus en plus mises à mal. Le creusement des inégalités se paie en matière d’éducation, de santé, par une montée de la précarité et de l’exclusion à l’intérieur des pays entre les plus aisés et les plus pauvres, et entre les pays les plus riches et les plus pauvres. Demain, il faudra sans doute y ajouter les risques environnementaux et climatiques que les économistes ne savent pas encore chiffrer précisément mais dont ils pressentent l’importance. Les plus pauvres seront à nouveau les plus exposés.

En dépit de la multitude des signaux d’alarme, la remise en cause de cette politique ne semble pas être à l’ordre du jour. Bien au contraire. Le budget adopté par le Sénat américain, qui prévoit la diminution de toutes les taxes et les impôts, s’annonce comme un nouveau cadeau fait aux riches. La réforme fiscale lancée par le gouvernement Macron, proposant la suppression de l’ISF, une flat tax sur le capital, des allègements pour les plus riches, s’inscrit dans la même ligne.

Plus généralement, les politiques d’austérité menées depuis la crise financière en Europe, marquées par des coupes dans tous les budgets publics, un démaillage des services publics, de santé, d’éducation, des allègements sur le capital, conduisent à un alignement sur les pratiques américaines et britanniques. Si l’Europe affiche encore dans les chiffres des différences moins marquées en matière d’inégalités en raison de ses politiques sociales, il n’est pas sûr que, au train où vont les évolutions, celles-ci subsistent encore dans quelques années.

Si rien n’est fait pour corriger la trajectoire exponentielle des inégalités, à terme, les 0,1 % les plus riches pourraient cumuler l’équivalent des patrimoines de l’ensemble des classes moyennes mondiales, avertissent les économistes du WID. Les inégalités risquent alors d’atteindre un niveau insupportable, dit le rapport. Les spasmes qui secouent l’ensemble des sociétés occidentales tendraient à prouver que ce niveau n’est pas loin d’être atteint.

 

 

 

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14 décembre 2017 4 14 /12 /décembre /2017 06:39
Selahattin Dermirtas

Selahattin Dermirtas

Turquie: un appel lancé à tou.te.s les élu.e.s de France contre la répression des forces démocratiques, du HDP et du peuple kurde

Turquie : un appel lancé à tou.te.s les élu.e.s de France

 

Nous sommes une quarantaine d’observateurs européens en route pour assister aux procès de Figen Yuksekdag et Selahattin Demirtas, co-présidents du HDP. Le tribunal a été installé anormalement dans les locaux de la prison où Figen est incarcérée à une soixantaine de kilomètres d’Ankara, dans un campus infranchissable, au milieu d’une plaine immense cernée de collines enneigées. À la descente de nos cars, un vent puissant et un froid glacial nous transpercent en deux minutes. Nous resterons là trois heures, sans pouvoir entrer, malgré toutes les tentatives des avocats. Des policiers forment un mur noir sur plusieurs rangées. Nous protestons sans reculer, levant haut passeports, cartes d’élu·e·s, de diplomates, de parlementaires européens. Rien n’y fait. En vérifiant de temps en temps qu’il vous reste toujours votre nez et vos pieds, vous êtes en train de vivre en direct l’arbitraire. « Il faut venir voir pour comprendre », réagit Jean-Paul Lecoq, député communiste à l’Assemblée nationale, membre de la commission des Affaires étrangères(1).

Dans cette Turquie, les lois ne comptent plus. Sa Constitution prévoit que les audiences des procès sont ouvertes au public. Comme nous le rappelle une avocate anglaise, « la justice doit être vue et entendue pour être rendue ». Pour nos amis Figen et Selahattin, cet accès public est interdit et le co-président ne peut même pas être présent physiquement. Alors que la liste nominative des observateurs avait été officiellement remise par les avocats, le document est déclaré inconnu par le président de la Cour. Les avocats la lui remettent cette fois en mains propres, l’obligeant à nous autoriser oralement à entrer. Le procureur et le chef de la police s’y opposent et ils auront le dernier mot.

Il en va ainsi des procès et des condamnations. Des dirigeants politiques sont emprisonnés et jugés pour avoir joué leur rôle de dirigeants politiques, et leurs avocats travaillent contre la montre, avant d’être arrêtés pour avoir fait leur travail d’avocats... Les 500 pages d’accusations contre Selahattin Demirtas correspondent à des discours publics, notamment en soutien aux Kurdes engagés contre Daech à Kobanê. Des procès sans délit et une justice accusant sans preuve de « terrorisme » ceux-là même qui le combattent, les universitaires, les journalistes, les syndicalistes, et particulièrement les élu·e·s du HDP. 10 000 militants sont poursuivis et sans cesse harcelés entre gardes à vue, emprisonnement, relâche, emprisonnement... 5 000 affrontent les conditions inhumaines dans les prisons, les fouilles corporelles systématiques et dégradantes, la torture, les viols.

Signe de force de RT Erdogan ? Il se trouve de plus en plus isolé dans son pays et dans la région, de plus en plus discuté, y compris dans son camp. Les populations sont fatiguées. La situation économique catastrophique. Hisyar Ozsoy, chargé des relations internationales au HDP, insiste : « Il a besoin de gagner du temps pour détruire les institutions, l’Europe doit réagir rapidement, faute de quoi elle-même en subira les lourdes répercussions. Nous avons besoin que l’Europe soit ferme sur ses principes. Il ne faut pas avoir peur de faire pression par des sanctions économiques. Ce sont les seuls arguments qu’il entend. »

Être ferme avec RT Erdogan, sans isoler la Turquie, c’est renforcer notre soutien aux démocrates qui lui résistent. C’est répondre à l’appel du HDP qui demande à tous les élu·e·s de France de parrainer leurs élu·e·s emprisonné·e·s. C’est participer en grand nombre à la prochaine audience le 14 février 2018. Cette fois-ci, S. Demirtas sera présent physiquement. En nous remerciant de ce premier résultat, Hisyar Ozsoy conclut : « Ensemble, nous pouvons stopper Erdogan. »

Sylvie Jan
présidente de France-Kurdistan / sylvie.jan@free.fr
article paru dans Communistes du 13 décembre 2017

(1). Voir vidéo de Jean-Paul Lecoq sur la page Facebook « Les députés communistes ».

 

Lire aussi: 

Turquie: la répression continue tout azimut: contre l'opposition et les forces démocratiques, le HDP, les Kurdes, les homosexuels

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9 décembre 2017 6 09 /12 /décembre /2017 07:19
Vers la fin du droit d'asile? - Réfugiés, les damnés de l'Europe néocoloniale (L'Humanité Dimanche, 7-13 décembre 2017)

"Les solutions ne sont ni simples ni uniques, mais s'offusquer des crimes commis à l'encontre des migrants en Libye tout en continuant à mener une politique assumée de renvoi et de maintien du plus grand nombre de ce côté de la Méditerranée relève au mieux de l'indécence"

(Thierry Allafort-Duverger, directeur général de MSF France, tribune pour Le Monde, 1er décembre)

"Il s'agit d'une politique raciste et xénophobe car, si on y regarde de près, on se rend compte que sont principalement concernés les demandeurs d'asile venus d'Afrique. Plus on bloque les voies légales d'entrée, plus on fait le jeu des trafiquants"

(Marie-Christine Vergiat, députée européenne Front de Gauche - PGE) 

"L'Europe est en train de financer la création d'innombrables centres de détention dans les Etats maghrébins, qu'elle soudoie à coups de subsides quand ce n'est pas à coup de contrats inégaux. La plupart des prisons de la honte et l'économie sur laquelle elles reposent sont privatisées. Pour son fonctionnement, cette économie requiert la capture, la détention et la vente à l'encan de migrants noirs et bientôt, la chasse et la déportation de milliers d'entre eux". 

(Achille Mbembe, philosophe et enseignant universitaire ) 

 

Vers la fin du droit d'asile? 

Derrière les grandes déclarations des dirigeants européens se lamentant bien tardivement sur le retour de l'esclavage en Libye se dessinent en réalité d'autres projets pour les migrants qui tentent de fuir vers l'Europe. A Bruxelles, au sein du Conseil européen, un nouveau règlement "instituant une procédure commune en matière de protection internationale" est en discussion. Le texte en question prévoit une disposition qui remettrait en cause le droit d'asile tel qu'il existe dans la convention de Genève. 

Il prévoirait notamment de pouvoir déclarer irrecevables les demandes d'asile formulées par des réfugiés à partir du moment où ils ont transité dans "un pays sûr". Ainsi, ils pourraient être reconduits directement dans le "pays tiers sûr" en question. 

Quelle est cette notion de "pays sûr"? Jusqu'ici l'espace Schengen, c'est la règle du pays d'arrivée qui prévaut: un réfugié arrivant dans un pays de l'espace Schengen y fait sa demande d'asile. C'est ce pays d'accueil qui l'examine et les réfugiés peuvent ensuite être dispersés dans d'autres pays européens selon les quotas. 

Le concept de "pays tiers sûr" est en réalité en train de remettre en cause cet accueil au sein des pays membres de l'Union européenne. Un concept déjà présent dans la directive européenne datant de juin 2013, à la différence que ce règlement ne s'imposait pas aux pays qui ne souhaitaient pas l'appliquer. 

L'accord intervenu entre l'Union européenne et la Turquie d'Erdogan, en 2016, a été le premier à instaurer ce principe concrètement. Depuis la Turquie est censée accueillir et retenir les migrants sur son sol, moyennant une rétribution des pays de l'UE (6 milliards d'euros dans les trois ans qui suivaient cet accord).

Avec le changement en gestation dans les tiroirs du Conseil européen d'autres pays hors de l'Union européenne pourraient devenir des "pays tiers sûrs", vers lesquels on renverrait donc les demandeurs d'asile parvenus sur le sol européen. Si certaines zones de Libye, par exemple, se retrouvaient sécurisées ou normalisées au milieu de ce vaste chaos qu'est devenu le pays après la chute du régime de Khadafi, la règle du "pays tiers sûr" pourrait donc s'y appliquer également... malgré les grandes déclarations scandalisées après la révélation du trafic d'esclaves en cours dans certains camps de réfugiés. 

En interne, certains pays, comme la France, commencent déjà à se projeter dans ce sens et durcissent davantage les conditions d'examen des demandes d'asile formulées sur leur territoire. La loi française prévoit en effet que, jusqu'ici, un demandeur d'asile relevant de Dublin ne pouvait être placé en centre de rétention avant d'avoir fait l'objet d'une décision d'expulsion vers un pays tiers. 

Le 29 novembre, la Commission des lois de l'Assemblée nationale, au moment où Emmanuel Macron faisait sa tournée africaine en dénonçant "le crime contre l'humanité" de l'esclavage en Libye, a adopté un texte permettant le placement en rétention des réfugiés jusqu'à l'examen de leur dossier et l'éventuelle décision d'expulsion vers le "pays tiers", c'est à dire celui par lequel ils sont rentrés sur le territoire de l'UE. 

"Nous reconduisons beaucoup trop peu", avait déclaré le président de la République au mois de septembre dernier.

Ces nouvelles mesures législatives françaises sont faites pour répondre à ce souci du gouvernement. 

Hypocrisie totale et chasse aux pauvres

L'attitude des gouvernements européens est donc totalement hypocrite. Si ce principe du pays tiers sûr entrait en vigueur, il leur permettrait de "relocaliser" les migrants hors du sol européen. A travers ces manœuvres, que dissimule mal l'indignation affichée par les dirigeants européens, se cache la véritable conception de l'Europe à l'oeuvre: celle d'une forteresse qui se ferme aux migrants venus de pays dont notre continent a pourtant sa propre responsabilité dans leur état de pauvreté. La réponse des chefs d'Etat européens, en durcissant le régime de l'asile et en repoussant hors des frontières de l'UE des milliers de personnes en détresse, s'apparente à une chasse aux pauvres. 

Diego Chauvet, dossier L'Humanité Dimanche (du 7 au 13 décembre) - "Réfugiés, les damnés de l'Europe néocoloniale".            

 

 

 

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 20:23
Gerry Adams et les évolutions du Sinn Féin - une très bonne tribune de Jean-Michel Galano, philosophe et ancien résident français en Irlande, dans L'Humanité (vendredi 8 décembre 2017)
Gerry Adams et les évolutions du Sinn Féin

Deuxième force en Irlande du Nord et troisième dans la République

par Jean-Michel Galano, philosophe et ancien résident français en Irlande du Nord

L'Humanité - vendredi 8 décembre 2017 

"L'ancien barman devenu dirigeant de parti politique n'est ni Arafat ni Mandela" : c'est en ces termes méprisants qu'un article du Monde de 1992 parlait de Gerry Adams. Depuis, le ton a changé. Le Sinn Féin, deuxième force politique en Irlande du Nord et troisième dans la République, a fait la preuve de sa représentativité et de sa capacité à œuvrer pour le bien public, dans des circonstances extrêmement difficiles où les pièges et les provocations n'ont pas manqué. 

Il faut reconnaître que rien n'était écrit d'avance: Gerry Adams avait hérité quelques années auparavant, peu après sa sortie de prison où il avait passé huit ans, d'une organisation squelettique encore semi-clandestine, légale dans la République mais pas dans le Nord, et dont le rôle se bornait à être la vitrine politique de l'IRA. En 1982, l'armée, dirigée par Martin Mc Guiness, mais aussi par Gerry Adams, s'interrogea sur les suites à donner au mouvement de solidarité qui avait entouré l'année précédente les grévistes de la faim, et comment élargir ce mouvement. Elle prit l'initiative de "blâmer le Sinn Féin", auquel elle reprochait son absence des luttes sociales et politiques, et une identité catholique trop marquée malgré les dénégations. 

Un grand remue-ménage s'ensuivit: des militants du Sinn Féin s'investirent dans les syndicats, les associations de quartier, les mouvements féministes, les initiatives de solidarité internationale, notamment avec l'Amérique latine et l'Afrique du Sud. 

Je peux témoigner de cette mutation: invité à la conférence annuelle du Sinn Féin en 1998, juste après les accords du Vendredi saint (qui, dans les faits, mirent fin à la guerre civile), j'avais été un peu agacé, comme d'autres délégués étrangers, par l'arrivée "à l'américaine" d'Adams et de Mc Guiness au beau milieu des débats entourés d'une foule de cameras. 

Rien de tel l'année suivante: sous une grande banderole disant en français: "Liberté, égalité, fraternité", les délégués rendaient hommage à la Révolution française, ainsi qu'aux United Irishmen de Wolfe Tone, fondateurs d'un nationalisme irlandais social et déconfessionnalisé. Il y a davantage encore: un volet des débats était consacré à la question des femmes, ce qui était en soi très nouveau. Adams avait attendu son tour pour s'exprimer devant le micro, en tant que délégué de son quartier de Belfast. En quelques phrases fermes, il avait invité les délégués à ouvrir les yeux sur ce qu'était le Sinn Féin: un mouvement certes en pleine mutation, mais toujours majoritairement masculin, porteur de valeurs viriles et guerrières, avec très peu de femmes dans ses organismes de direction. "Une honte", avait-il dit.   

Et c'est cela qui a changé. Alors que le jeune Gerry Adams se disait "antimarxiste" et accordait une importance considérable au "lobby irlandais" américain, le Sinn Féin dénonce la politique agressive de Trump, n'hésite pas à parler de lutte des classes et est partie prenante au Parlement européen de la Gauche unitaire européenne. Mary Lou Mc Donald, bien connue des communistes français, députée du centre de Dublin et sans passé commun avec l'IRA, pourrait lui succéder. Que de chemin parcouru!     

Gerry Adams

Gerry Adams

Mary Lou Mc Donald

Mary Lou Mc Donald

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 20:23
Brexit - Les droits du peuple irlandais doivent être respectés (PCF)

La réunion du Conseil Européen le 14 décembre prochain sera cruciale pour la mise en oeuvre du Brexit. 

La question de l'avenir de l'Irlande en est un des éléments fondamentaux. L'opposition de la majorité du peuple irlandais, aussi bien du Nord, où 56% des votants se sont exprimés contre le Brexit, que du Sud, à voir s'établir une frontière "dure" à travers l'île doit être respectée. Les droits du peuple irlandais ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel d'un éventuel accord financier entre l'UE et le gouvernement de Theresa May, qui ne tient que par une alliance parlementaire avec les unionistes ultra-conservateurs du DUP d'Irlande du Nord. 

Le danger est réel, alors que l'Irlande traverse une crise politique majeure. 

Au nord, les élections régionales de mars 2017 ont montré une forte progression de nos camarades républicains du Sinn Féin (SF). Depuis, le DUP mène une politique d'obstruction à la constitution d'un gouvernement régional. Ce pourrissement voulu de la situation renforce le risque d'un retour à des pratiques discriminatoires. Le Sinn Féin défend un programme d'égalité pour tous "contre le sectarisme". Au Sud, le gouvernement minoritaire conservateur de Leo Varadkar ne tient qu'à un fil, surtout après la démission, le 30 novembre, de la vice-première ministre Frances Fitzgerald, accusée de faire taire des cas de violences policières. De nouvelles élections sont donc possibles en 2018. Le Sinn Féin, lors de sa conférence annuelle qui s'est tenue en novembre, s'est déclaré disponible pour gouverner en cas de victoire ou de forte progression aux élections. 

L'enjeu pour le peuple irlandais est majeur. Une majorité des Irlandais du Nord s'est prononcée contre la sortie de l'UE. Cela implique l'établissement d'un statut spécial pour l'Irlande du Nord permettant le maintien de la liberté de circulation et de la citoyenneté européenne dans toute l'Irlande. Tout renforcement de la frontière reviendrait à remettre en cause les accords du Vendredi Saint de 1998. Or, c'est bien cela que recherche le DUP, qui fait pression sur Theresa May contre le statut spécial pour l'Irlande du Nord.

Le gouvernement français doit intervenir auprès de l'UE et de ses homologues de Londres et de Dublin en faveur de l'introduction du statut spécial et de l'inclusion des accords du Vendredi saint dans l'acte final du Brexit. 

La perspective de la réunification de l'île se dessine à nouveau. Sans statut spécial, il conviendra de poser la question, comme le fait le Sinn Féin, d'un référendum de réunification, qui serait alors le seul moyen de faire respecter les accords du Vendredi saint. 

Dans tous les cas, la connexion établie entre les deux parties de l'Irlande ne peut être interrompue par le Brexit, et la réunification de l'Irlande sous forme d'une république assurant le res^pect des droits sociaux et démocratiques et de l'égalité pour tous est aujourd'hui crédible. 

Un pas important serait l'établissement d'un système de santé gratuit unique pour tous les Irlandais, comme le propose le Sinn Féin.

La question irlandaise est une question européenne. La manière dont l'UE traite la volonté des Irlandais à demeurer dans un même ensemble politique sera révélatrice de la manière dont elle traite les droits souverains et démocratiques des peuples. 

Vincent Boulet, membre PCF du comité exécutif du Parti de la gauche européenne    

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 20:22
Selahattin Demirtas

Selahattin Demirtas

Figen Yuksekdag

Figen Yuksekdag

Dans un communiqué, le PCF a demandé l'arrêt des "discriminations contre la communauté LGBT" en Turquie, le gouverneur d'Ankara ayant décidé "d'interdire toute initiative et événement culturel à la communauté LGBT". 

Par ailleurs, L'Humanité consacrait un titre en une et deux pages le mercredi 6 décembre signée Pierre Barbancey sur la présentation devant le juge des prisonniers politiques, leaders progressistes kurdes du HDP et de l'opposition démocratique de gauche, Figen Yüksekdag et Selahattin Demirtas, emprisonnés depuis 13 mois déjà. Arrêtés le 4 novembre 2016, ils risquent la prison à vie, sous prétexte d'un lien complètement fantasmé entre le HDP  et le PKK. 

A travers l'emprisonnement et le procès politique des deux co-présidents du HDP, la dictature d'Erdogan entend s'attaquer au seul espoir existant d'une Turquie démocratique. 

Selahattin Demirtas affirmait le 5 août 2015 à L'Humanité:      

"Nous ne sommes absolument pas la branche politique du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Notre parti a été formé à la suite du regroupement de plus d'une vingtaine d'organisations. Parmi les fondateurs du HDP, il y a des membres du parti socialiste, de mouvements islamistes, des mouvements pour le droit des femmes, pour l'écologie... Parmi eux, on trouve aussi le fondateur du parti kurde DBP. Faire croire que le HDP est une continuité du PKK n'est qu'une manipulation destinée à tromper la population".  

A l'époque, rappelle Pierre Barbancey, "le président turc Tayyip Erdogan, fou de rage d'avoir perdu sa majorité aux élections du mois de juin et de voir 80 députés du HDP entrer au Parlement, s'activait pour organiser un nouveau scrutin et barrer la route à cette formation. Dans le même temps, il reprenait sa guerre contre le PKK. De quoi alimenter sa propagande contre le HDP et surfer sur la violence et les attentats. Malgré tout, le Parti démocratique des peuples a conservé un groupe au Parlement. Des députés prêts à s'opposer aux dérives dictatoriales d'Erdogan et de son parti, l'AKP. Les inculpations ont commencé à tomber, en utilisant les discours des leaders comme Demirtas et Yüksekdag. Ils sont coupables de parler de résistance quand les kurdes manifestent contre le couvre-feu. Coupables encore de défendre l'idée d'une autonomie démocratique, alors même que celle-ci est inscrite dans le programme du HDP. Coupables aussi de dénoncer les massacres de civils. Et sans doute coupables, aux yeux d'un Erdogan, de prôner la parité hommes-femmes à tous les niveaux, lui qui assure que hommes et femmes ne pouvaient pas être traités de la même façon "parce que c'est contraire à la nature humaine". (...) Dix universitaires sont jugés depuis hier pour avoir dénoncer les massacres de l'armée turque dans les villes kurdes. Depuis le coup d'Etat manqué de juillet 2016, ce sont des milliers de personnes- magistrats, militaires, journalistes, fonctionnaires - qui ont été chassés de leur travail, voire arrêtés. Des médias ont été fermés. Des élus, pour la plupart du parti kurde DBP, une des composantes du HDP, ont été démis de leur fonctions et remplacés par des préfets aux ordres. Il s'agit bien d'en finir avec le rêve d'une Turquie plurielle, respectueuse de toutes les composantes".

Selahattin Demirtas, qui dénonçait le massacre par l'armée d'Erdogan de 53 "frères kurdes" en juillet 2017, a été qualifiée de "terroriste" par Erdogan au G 20 de Hambourg.  

Selahattin Demirtas ne se laisse pas impressionner par la rhétorique guerrière d'Erdogan contre les ennemis de l'intérieur de son autoritarisme islamo-conservateur et ultra-nationaliste: "Tôt ou tard, je serai devant les juges. Là, qui est terroriste et assassin deviendra clair aux yeux de l'opinion publique... Le HDP et tous les amis du HDP, en prison ou dehors, vont résister contre le fascisme, et soyez sûr que, historiquement, c'est nous qui allons vaincre". 

     

Humanité, mercredi 6 décembre 2017 - entretien entre Pierre Barbancey et Ahmet Insel, politologue et économiste turc: "Le pouvoir mène une campagne contre le HDP"

Humanité, mercredi 6 décembre 2017 - entretien entre Pierre Barbancey et Ahmet Insel, politologue et économiste turc: "Le pouvoir mène une campagne contre le HDP"

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 20:21

Turquie : Liberté pour Demirtas et Yüksekdag

 

Le procès des deux co-présidents du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, se tient ces 6 et 7 décembre 2017 à Ankara.

Arrêtés le 4 novembre 2016, les parlementaires avaient été déchus de leur immunité quelques semaines auparavant. Ils risquent respectivement 142 et 83 années de prison.

Pour avoir dénoncé les crimes de l'Etat turc dans les villes du Kurdistan soumises à des bombardements et au couvre-feu, la justice leur reproche d'appartenir ou d'appuyer une "organisation terroriste". Le président turc R.T. Erdogan entend aussi faire payer au HDP le camouflet que cette formation lui infligea lors des législatives de juin 2015, entravant la présidentialisation du régime et l'instauration de la dictature. Depuis, l'AKP au pouvoir a entrepris de briser toute forme d'opposition démocratique.

Les emprisonnements de journalistes, d'intellectuel-les, de syndicalistes, de responsables d'organisations des droits humains ou d'élu-es du HDP se sont amplifiés alors que les procès iniques sont devenus quotidiens.

En Turquie, toute expression du dissensus politique est désormais impossible et la politique est devenue un champ de vengeance généralisé. Comme depuis de longues années, le Parti communiste français (PCF) sera à leurs côtés.

Une délégation conduite par Jean-Paul Lecoq, député et membre de la Commission des Affaires étrangères, est présente à Ankara pour exprimer la solidarité du PCF et de son secrétaire national Pierre Laurent qui parraine Selahattin Demirtas. J.P. Lecoq rejoindra sur place Sylvie Jan, présidente d’une association de solidarité avec le peuple kurde.

Le PCF appelle la France et l'UE à dénoncer ces atteintes aux droits humains et à exiger la libération des prisonniers politiques en Turquie.

Le PCF appelle à la mobilisation pour amplifier la solidarité avec les membres du HDP qui oeuvrent pour la paix, la liberté et la justice.

Turquie: liberté pour Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag (PCF)
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