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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 06:59
Algérie: la jeunesse face au pouvoir militaire: le dossier dans L'Humanité (Rosa Moussaoui, Hassan Zerrouky)
« Il y a dans ces manifestations comme un sursaut de dignité du peuple algérien »
Vendredi, 1 Mars, 2019

L’historienne Karima Dirèche, observatrice attentive des secousses qui refaçonnent l’Afrique du Nord, décrypte les ressorts de la mobilisation politique inédite en cours dans toute l’Algérie.

Quel est le profil des manifestants qui descendent dans la rue en Algérie ?

Karima Dirèche Même les observateurs les plus avertis n’avaient pas vu venir cette mobilisation massive, intergénérationnelle. On voit dans les défilés des jeunes, des vieux, des femmes. Du point de vue de sa composition sociologique, ce mouvement est très hétérogène, avec des étudiants, des chômeurs, des travailleurs. Cela s’explique par le caractère horizontal de la mobilisation, initiée par des appels sur les réseaux sociaux, et non par des mots d’ordre venus de partis, de syndicats ou d’organisations de la société civile. Les répliques des manifestations du 22 février ont encouragé, par la suite, des rassemblements plus corporatistes, plus organisés : avocats, journalistes, étudiants avec l’occupation, le 26 février, de la majorité des campus algériens. Les universitaires, les intellectuels ont pris le relais avec un appel parti de la faculté des sciences politiques d’Alger.

En quoi cet élan populaire diffère-t-il du soulèvement d’octobre 1988, qui avait débouché sur une transition démocratique avortée ?

Karima Dirèche Les événements de 1988 signalaient la fin d’un régime post-indépendance épuisé par lui-même, encore marqué par le monopartisme instauré dès 1962 et par l’orientation socialiste des années 1970. Un nouveau cycle s’est ouvert en octobre 1988. Le régime s’est alors engagé sur la voie du néolibéralisme, encourageant l’émergence de milieux d’affaires, optant pour un déguisement « démocratique ». La mobilisation, à l’époque, était circonscrite à Alger et à quelques grandes agglomérations, avec des manifestants très jeunes. Là, c’est différent. Les motifs sociaux n’occupent pas le premier plan, même si les Algériens dénoncent les injustices sociales, les inégalités. En fait, c’est surtout une grande lassitude qui s’exprime. Il y a dans ces manifestations comme un sursaut de dignité. Les dirigeants politiques ont usé la patience du peuple algérien. Depuis 1999, ils répètent que tout mouvement populaire précipiterait immanquablement le pays dans le chaos. Sûrs de l’impunité dont ils jouissent depuis longtemps, ils étaient convaincus que cette mascarade du 5e mandat passerait sans accroc. Une gouvernance manipulatrice, culpabilisatrice et perverse prévaut en Algérie. Les capacités de rebond et de reproduction de ce régime restent très fortes. La mobilisation du 22 février est peut-être un événement porteur d’avenir. Mais personne ne peut en prédire les implications à ce stade.

En 2001, pendant le Printemps noir, la mobilisation, partie de Kabylie, avait donné lieu à des violences, à une répression meurtrière (126 morts et plus de 5 000 blessés). Ici, on est frappé par son caractère pacifique. Comment l’expliquez-vous ?

Karima Dirèche Ce mouvement fait preuve d’une maturité politique exceptionnelle. Les manifestants savent à quel adversaire ils font face. Ces vingt dernières années, on croyait à une forme d’atonie, de paralysie, de dépolitisation du peuple algérien. Il s’est passé autre chose. Cette société n’a jamais cessé, même dans le désenchantement, même dans un périmètre d’action restreint, de s’intéresser à la chose politique. Et puis, les Algériens ont tiré les leçons des expériences passées. La violence des années 1990 s’est imprimée dans leur mémoire cellulaire. Ils en conjurent le spectre dans l’organisation spontanée des rassemblements, dans les slogans, dans la façon même dont les corps se meuvent dans les manifestations. Si un jeune participant veut en découdre, il est immédiatement rappelé à l’ordre, de façon bienveillante, sur le mode de la protection collective. Cela prouve que le peuple algérien s’est auto-affranchi de la peur.

Cette crise politique traduit-elle un contrecoup de la crise économique liée à la chute des cours des hydrocarbures en 2014 ?

Karima Dirèche Je crois que oui. Les Algériens sont très conscients d’avoir bénéficié, ces deux dernières décennies, de politiques redistributives exceptionnelles. Mais ils ne sont pas dupes du caractère clientéliste de cette redistribution. « Nous ne sommes pas que des ventres », disent-ils aujourd’hui. Le pouvoir d’achat a sérieusement chuté dans la dernière période ; les importations ont connu des restrictions drastiques. Les Algériens savent que le plus dur est à venir. À leurs yeux, l’État, tel qu’il est, n’est peut-être pas suffisamment solide pour relever les défis qui se profilent.

La présence massive de la jeunesse dans les défilés est-elle le symptôme d’une fracture générationnelle ?

Karima Dirèche Clairement. Ce pays, où 45 % de la population ont moins de 25 ans, reste dirigé par des élites politiques qui, même en partie renouvelées et rajeunies, fonctionnent avec des référentiels et une rhétorique nationaliste obsolètes. En dépit des moyens énormes investis par l’État algérien ces dernières années dans le développement, dans les grands chantiers d’infrastructures, le problème du chômage des jeunes reste entier. Or c’est l’enjeu central pour l’Algérie de demain.

Quelles lignes de force se dégagent des secousses politiques qui refaçonnent le Maghreb depuis 2011 ?

Karima Dirèche Les peuples algérien, marocain, tunisien partagent le sentiment très fort de n’être pas être représentés par des élites politiques en échec, méprisantes et distantes. Une chose est sûre : la maturité politique affichée par les Algériens s’est nourrie de l’expérience de leurs voisins. Des traits communs se dégagent : d’abord une jeunesse désenchantée, éduquée, diplômée, mais au chômage. Cette génération exprime un grand désir de départ, de fuite ; son énergie, sa vitalité pourraient constituer un puissant carburant pour le futur : elles sont gâchées. Ces sociétés sont aussi traversées par un irrépressible besoin de respect des libertés individuelles. Cette demande s’affirme dans la revendication de séparation du religieux et du politique, dans l’aspiration à un espace privé où les orientations sexuelles, les options religieuses, la liberté de pensée pourraient s’exprimer sans entrave, sans intrusion d’acteurs religieux, de la police ou de l’État. La problématique LGBT commence par exemple à s’affirmer comme une question politique dans toute la région. Autre ligne de force : l’exigence démocratique, avec la demande d’un État de droit propre à protéger les citoyens de l’arbitraire.

Karima Dirèche Historienne, directrice de recherches au CNRS

Retrouvez l’intégralité de cet entretien sur humanite.fr
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui
L’armée algérienne, une institution au cœur du pouvoir
Vendredi, 1 Mars, 2019

Gardienne du dogme nationaliste, l’institution militaire est sollicitée par les acteurs politiques pour garantir une transition propre à sortir l’Algérie de l’impasse actuelle.

Un fait inédit a eu lieu mardi dernier ! Le chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah, a dans un premier temps incriminé les manifestants anti-5e mandat, puis, surprise, ce passage, qui avait fait le tour des réseaux sociaux, a été retiré du discours publié sur le site du ministère de la Défense pour être remplacé par des propos apaisants. Entre-temps, il a été demandé aux rédactions de ne pas publier le passage en question.

Aucun président n’a été élu sans l’aval des militaires

La sortie du vice-ministre de la Défense, contraint d’atténuer son propos, a sans doute provoqué des grincements de dents au sein d’une institution qui, la main sur le cœur, affirme sa neutralité dans le jeu politique. Or, en dépit des déclarations d’usage destinées à rassurer, l’armée est au cœur du pouvoir depuis l’indépendance du pays. Hormis Houari Boumediene qui en était le chef, aucun président n’a été élu sans l’aval des militaires. La force et la cohésion de l’armée reposent sur un consensus politico-militaire hérité de la guerre d’indépendance algérienne, où le militaire a de tout temps primé sur le politique. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’ex-premier ministre réformateur Mouloud Hamrouche, lui-même ancien militaire, rétorquait à ses détracteurs : « Je m’adresse à ceux qui gouvernent et à ceux qui les légitiment », à savoir les militaires.

Ébranlée et très marquée par les événements d’octobre 1988 où elle a été utilisée à des fins répressives, faisant plusieurs centaines de morts, avant de faire son mea culpa, l’armée algérienne, formée majoritairement de conscrits, n’est pas prête à refaire la même expérience. Et les politiques le savent. Elle tient – ses chefs ne cessent de le répéter – à l’un de ses principes fondateurs qui est de ne pas se couper du peuple : la majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité de son commandement, est, à l’instar du candidat à la présidentielle, le général Ghediri, lui-même fils de mineur de l’Ouenza (près de la frontière tunisienne, à l’est du pays), issue de milieux populaires. Ébranlée, elle le fut une seconde fois durant l’été dernier, quand le puissant chef de la police algérienne, le général Abdelghani Hamel, candidat supposé à la succession d’Abdelaziz Bouteflika, a été limogé le 26 juin 2018, sort partagé quelque temps après par cinq autres généraux et plusieurs officiers de haut rang. On se demandait alors s’il ne s’agissait pas d’une sorte de ménage opéré dans les rangs de l’armée en prévision de l’élection présidentielle d’avril 2019. Outre qu’elle est l’un des principaux canaux d’ascension sociale et en raison de son rôle dans la lutte antiterroriste, l’armée reste paradoxalement, malgré des accusations récurrentes de corruption, la seule institution encore respectée en Algérie. Aussi, l’entraîner sur le terrain d’un affrontement avec des jeunes scandant à tue-tête « Armée-peuple contre le 5e mandat ! » est sans doute une ligne rouge que les militaires ne franchiront pas. C’est peut-être ce qui explique la marche arrière du général Gaïd Salah.

En cas de brusque aggravation de la crise, l’armée, sollicitée par tous les acteurs politiques pour garantir une transition, reste une institution incontournable. Les fins de non-recevoir affichées par le général Gaïd Salah, face à l’opposition politique qui l’interpellait pour assurer une transition et empêcher ainsi la poursuite de l’État-Bouteflika, ne sont plus d’actualité, alors que des millions d’Algériens sont dans la rue. L’armée reste néanmoins face à ses responsabilités.

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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 06:50
Avraham B. Yehoshua : « En Israël, l’apartheid est devenu comme un cancer »
Vendredi, 1 Mars, 2019

Né en 1936 à Jérusalem, il est l’un des chefs de file de la littérature israélienne contemporaine. Très engagé en faveur du processus de paix israélo-palestinien, il a participé à l’initiative de Genève. Son dernier roman, le Tunnel (Grasset), aborde par la fiction des questions politiques mais aussi le vieillissement et la maladie.

Le personnage principal du Tunnel est un ingénieur à la retraite qui perd la mémoire, souhaitiez-vous parler du poids écrasant de la mémoire en Israël et des dégâts que cela peut produire ?

Avraham B. Yehoshua Les juifs et les Palestiniens sont écrasés par la tyrannie de la mémoire, qui devient un obstacle qui empêche de voir la réalité. À Gaza, les Palestiniens se jettent contre les barrières et sont tués par les balles de l’armée israélienne. Ils veulent retourner à la maison, celle de leur arrière-arrière-grand-père. Mais où se trouve cette maison ? Pour y revenir, il faut détruire des bâtiments israéliens. Chez les juifs aussi, l’Holocauste est devenu un culte mémoriel qui empêche les gens de voir la réalité et l’avenir. Les juifs qui sont retournés en Cisjordanie en disant qu’il y avait, deux mille ans auparavant, une colline juive, une synagogue, ne voient pas que c’est le passé et qu’aujourd’hui, ils pénètrent dans un village arabe. Tout le mouvement de la colonisation qu’Israël a entreprise à partir de 1967 était basé sur la conception de la mémoire. C’est pourquoi David Ben Gourion, premier ministre d’Israël à deux reprises, est allé dans le désert, là où il n’y a pas de mémoire, en disant : c’est notre place, c’est une terre vide, nous ne nous mêlons à personne. C’était pour lui une manière de dire qu’il ne fallait pas être esclave de la mémoire. Il faut être conscient que la moitié de l’État d’Israël est un désert très peu peuplé avec des choses magnifiques et un potentiel énorme. Mais, au lieu de mettre de l’énergie dans ce désert, on investit énormément d’argent dans les colonies des territoires occupés. Et aujourd’hui, on ne peut plus faire partir les colons installés là-bas. C’est pourquoi nous allons, de fait, vers un État binational.

Vous avez beaucoup évolué sur cette question. Pendant de longues années, comme d’autres personnes de gauche, vous défendiez une solution à deux États. Pourquoi avez-vous changé d’avis ?

Avraham B. Yehoshua C’est une formule vide. Nous avions l’illusion qu’on pouvait couper la terre en deux États et Jérusalem en deux capitales. En 1967, les Palestiniens ont eu seulement 22 % du territoire et nous avons eu 78 %. Mais, dans les 22 %, on a mis des colonies et des villes qu’on ne peut pas retirer. Il y a là-bas 400 000 Israéliens, dont la plupart sont des zélotes, des fanatiques, qui ne partiront pas. On ne peut pas donner aux Palestiniens des petits morceaux épars, ce n’est pas faisable. Nous sommes déjà un peu un État binational, il y a 6 millions et demi de juifs et 2 millions de Palestiniens qui ont la carte d’identité israélienne. L’État binational est devenu la seule possibilité d’abolir l’apartheid, qui est devenu comme un cancer. L’idée qu’il existe deux lois, qu’on n’a pas les mêmes droits, que la justice ne s’applique pas de la même manière selon qu’on est israélien ou palestinien, empoisonne Israël, et pas seulement les territoires.

Dans le roman, le thème de la maladie est justement très important, comme si le corps malade représentait l’État d’Israël…

Avraham B. Yehoshua La maladie est un phénomène qui unit les Palestiniens et les Israéliens. Dans le roman, je montre le côté humaniste, la façon dont ils se rencontrent au sein de l’hôpital : les Israéliens soignent les Palestiniens et vice versa, les chefs de clinique sont juifs, palestiniens, tout est mêlé. La maladie est à la fois une métaphore de notre relation avec les Palestiniens, mais c’est aussi une métaphore de l’espoir, des relations d’intimité qu’on peut réussir à créer.

Votre personnage reprend du service pour aider un jeune collègue à construire une route dans le désert du Néguev. Quand le tracé de la route bute sur une colline, il songe à creuser un tunnel pour ne pas la raser. Que signifie ce tunnel ?

Avraham B. Yehoshua Ce tunnel n’est pas seulement physique, il est aussi métaphorique. C’est un tunnel entre les identités, qui va permettre de passer de l’une à l’autre. Sur cette colline vit une famille palestinienne sans identité. Son histoire commence parce que la femme est malade du cœur. Son mari, instituteur, a vendu un morceau de terre qui ne lui appartenait pas pour payer un traitement très cher. En vendant ce terrain, il s’est attiré les foudres des Palestiniens. Pour se dédouaner, l’officiel qui a imaginé toute cette affaire décide d’installer la famille sur cette colline. Et quand il est question de faire passer une route à cet endroit, il y a deux solutions : soit raser la colline, soit construire un tunnel pour éviter de la détruire et de faire partir la famille.

Cette question de l’identité est très importante dans le roman. L’identité, les particularités ont-elles pris une place démesurée en Israël ?

Avraham B. Yehoshua Cela devient terrible et la solidarité nationale diminue. En Israël, il y a des laïques, des religieux, des religieux nationalistes, des Arabes, des Druzes, des homosexuels, des féministes, la gauche, la droite, des tribus… Et chacun fait de son identité un bastion. Par exemple, je suis membre de la gauche, j’ai toujours voté pour la gauche, mais quand j’ai dit que l’existence de deux États n’était plus possible, on m’a immédiatement accusé de quitter les rangs de la gauche. J’ai répondu que ce n’était pas le cas, mais que nous devions penser des solutions, que nous ne pouvons pas être fermés sur notre identité.

Vous avez protesté contre la loi adoptée par la Knesset le 9 juillet 2018 définissant l’État israélien comme « nation du peuple juif » et déclarant l’hébreu comme la seule langue officielle…

Avraham B. Yehoshua C’est une loi abominable, qui n’était pas nécessaire. Beaucoup de gens étaient contre, des juges, des professeurs de science politique. Cette loi a été faite par la droite pour répondre aux inquiétudes de la gauche et du camp de la paix qui l’accusaient de briser l’identité juive de l’État d’Israël en poursuivant l’entreprise de colonisation. Avec cette loi, la droite dit qu’elle maintiendra les territoires occupés mais que l’identité juive est assurée. Mais cela ne dit rien d’un point de vue pratique. Il y a 4 millions de Palestiniens, l’arabe n’est pas une langue secondaire, elle est parlée. Cela n’a pas de sens de dire que les Palestiniens ne parleront plus l’arabe.

Il y a quelque chose d’assez labyrinthique dans ce livre et une impression de léger décalage avec la réalité, peut-être parce que Louria, votre personnage, perd un peu la tête…

Avraham B. Yehoshua Oui, il y a aussi une dimension de jeu. En hébreu, il existe deux mots pour désigner la démence. L’un désigne le côté obscur, passif, tandis que l’autre désigne des patients qui font des bêtises. Quand on perd la mémoire, il y a aussi une dimension de joie, de mouvement. C’est ce mot que j’ai choisi pour donner à Louria l’apparence non pas d’une personne déprimée mais vivante. Cela lui donne un aspect humoristique, un côté mi-obscur, mi-joyeux, par exemple quand il se fait tatouer le code de sa voiture sur le bras pour ne pas l’oublier. Tout ce mélange produit dans sa tête une sorte de chakchouka, un plat qu’il adore cuisiner justement parce qu’il représente ce qui lui arrive.

Le roman parle aussi de cette très belle relation entre Louria et sa femme, renforcée par la maladie et le vieillissement au sein du couple…

Avraham B. Yehoshua J’ai projeté des choses de ma vie personnelle. Dans plusieurs de mes livres, les mariages sont des amitiés, j’ai vécu avec ma femme pendant cinquante-six ans, nous étions vraiment des amis, nous étions toujours ensemble, sans s’écraser l’un l’autre. Elle a eu sa clinique, elle a développé sa carrière, et moi aussi. Nos deux vies professionnelles ont pu coexister sans nuire à l’égalité entre nous. L’égalité est la clef d’un bon mariage.

Vos ancêtres sont originaires de Salonique. Comment votre famille est-elle arrivée en Palestine ?

Avraham B. Yehoshua Ils sont arrivés dans la deuxième moitié du XIXe siècle, pour des raisons surtout religieuses. Ils se sont ensuite installés à Jérusalem. Ils ont quitté une très grande communauté à Salonique, une ville dont la majorité des habitants étaient juifs, Ashkénazes ou Séfarades. Après l’Holocauste, cette communauté a été brutalement détruite. Ces juifs qui étaient venus de tous les coins prenaient au sérieux la fameuse phrase : « L’année prochaine, à Jérusalem. » Ils l’ont fait. S’il y avait eu 500 000 personnes, le destin du peuple juif aurait été différent. Nous aurions pu avoir un État avant la Shoah. Et toute l’histoire juive en aurait été différente.

Votre père était professeur d’arabe…

Avraham B. Yehoshua Il était orientaliste, professeur d’arabe, mais il était employé du gouvernement comme interprète et il était responsable au ministère de la Religion des affaires des musulmans et des Druzes. Il a fait sa thèse sur la presse palestinienne au début du XXe siècle. Dans les vingt dernières années de sa vie, il a surtout écrit sur la communauté séfarade, sur les relations entre Séfarades et Ashkénazes, sur les relations avec la communauté arabe. Il a évoqué magnifiquement le folklore et la vie de la communauté séfarade à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Tout ce matériau m’a aidé pour l’écriture de Monsieur Mani, que je considère comme mon livre le plus important.

Vous avez commencé par écrire des nouvelles avant de passer au roman, à l’âge de 40 ans. Pourquoi avoir attendu ?

Avraham B. Yehoshua J’en suis assez fier. Je crois qu’un des problèmes de la littérature aujourd’hui est qu’on écrit trop vite des romans. Il faut d’abord travailler sur la prose, la langue de la nouvelle. Elle est plus incisive, suggestive, intense, que celle du roman, qui est plus fonctionnelle à cause de l’intrigue. Un écrivain qui veut bien se préparer au roman doit le faire en écrivant des nouvelles. C’est le conseil que je donne aux jeunes écrivains, même s’ils font ce qu’ils veulent !

La voix des intellectuels et des écrivains est-elle encore entendue en Israël ?

Avraham B. Yehoshua Non, c’est fini. Le sionisme a été créé par des écrivains, comme Hertzl. Cette tradition a été très importante. Il faut aussi parler du renouvellement de la langue, à l’origine du sionisme. La génération de la guerre d’indépendance a beaucoup parlé, mais après la guerre des Six-Jours, pas mal d’écrivains ont pris position et ont été très écoutés. Amos Oz a été le premier à le faire, d’une façon très courageuse. Je suis alors venu de Paris, où j’ai été pendant quatre ans secrétaire général de l’Union mondiale des étudiants juifs, et j’ai commencé à prendre part à la discussion. Mais, aujourd’hui, peu d’écrivains parlent, ils sont fatigués. Sur les réseaux sociaux, les gens peuvent dire des choses abominables, les attaques sont sauvages. Les artistes ont peur, ils s’autocensurent. La haine et le racisme contre les Arabes n’ont jamais été aussi forts.

Avraham B. Yehoshua

Entretien réalisé par Sophie Joubert
Avraham B. Yehoshua, romancier israélien : en Israël, l'apartheid est devenu comme un cancer (L'Humanité, 1er mars 2019)
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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 06:44
Au Proche-Orient, Paris vend des armes et de la surveillance (le chercheur Tony Fortin interviewé par Stéphane Aubouard, L'Humanité, 27 février 2019)

Il faut prendre la mesure de l'énormité de ce que nous rappelle Tony Fortin, spécialiste de l'industrie d'armement: la France alimente l'appareil répressif et impérialiste des régimes les plus réactionnaires et répressifs, en donnant ensuite des leçons de démocratie et de droit de l'homme à un des seuls gouvernements de gauche d'Amérique Latine, au Venezuela, assailli par les Américains et les gouvernements de droite du continent: 

" Le fait est que Paris est déjà dans une position de dépendance vis-à-vis de ces pays (du Golfe), qui, en 2018, représentaient quelque 60 % de son marché de l’armement. Cela entraîne de facto une complicité d’ordre politique qui débouche sur une perte réelle de souveraineté. Ces arrangements industrialo-financiers ont abouti à l’apparition de réseaux d’initiés. Par exemple, Luc Vigneron, ancien dirigeant de Thales, se trouve aujourd’hui à la tête du principal groupe émirati de défense, Emirates Defense Industries Company (Edic), qui s’est manifesté par le rachat de Manurhin, fleuron alsacien de l’armement français spécialisé dans la fabrication de machines pour la production de munitions. L’an dernier, les banques françaises et européennes ne se sont pas positionnées quand l’entreprise a été mise en redressement judiciaire, laissant la voix ouverte à Edic. En échange de tout cela, la France pense pouvoir gagner sa place dans le golfe d’Aden, qui est une zone stratégique majeure de transit de marchandises. « Je t’arme et tu me donnes accès à la mer Rouge… » Il s’agit donc d’un deal très construit. On comprend mieux aussi l’enchaînement de la guerre au Yémen, avec non seulement des ventes d’armes à l’Arabie saoudite qui se sont poursuivies malgré les appels d’ONG ou des Nations unies sur leur utilisation contre la population civile, mais aussi avec des contrats ad hoc dont on peut penser qu’ils ont été montés en vue de cette guerre au Yémen. On sait qu’on a demandé à des entreprises françaises d’adapter, en 2014-2015, les composants d’armes commandés vers 2011 aux EAU et à l’Arabie saoudite en fonction des conditions climatologiques du Yémen… Il y a donc un marché de la guerre pensé et réfléchi en amont et à peine caché, dans lequel l’Élysée a su s’engouffrer. On parle aujourd’hui de 16 références d’armes françaises utilisées par la coalition militaire arabe au Yémen" .

"Avec l’Égypte, il y a eu une augmentation exponentielle des ventes d’armes. On est passé de 40 millions d’euros de commandes en 2010 à 1,4 milliard d’euros en 2017 ! Il est aussi notable de remarquer – comme pour l’exemple des armes utilisées au Yémen – la très grande capacité des industriels français à s’adapter aux besoins de leurs clients. Par exemple, aujourd’hui, on ne fabrique plus de chars Leclerc parce qu’ils ne peuvent pas circuler dans les rues arabes. On a donc privilégié la fabrication de blindés Sherpa, qui ont été testés dans les rues du Caire lors des manifestations réprimées par le régime d’Al Sissi depuis sa prise de pouvoir après le coup d’État de juillet 2013. C’est aussi pour avoir su s’adapter à cela que les Français ont supplanté les Américains sur ce marché. La France a littéralement co-construit l’architecture du régime répressif d’Al Sissi et ce au moment même où le président égyptien subissait des critiques de la part des États-Unis. La France y a vu une opportunité. La même chose s’est produite avec Riyad. C’est au moment où Obama refusait de donner les images satellitaires du Yémen à l’Arabie saoudite que la France a profité de cette faille pour donner des photos au royaume wahhabite et s’ouvrir un espace qui dépasse le seul marché de l’armement."

Avec MACRON, comme avec HOLLANDE et SARKOZY, LE DRIAN étant peut-être le trait d'union entre tous ces hommes de la finance, le droit des peuples à la liberté, à la dignité, les droits de l'homme ne sont rien face à l'intérêt des multinationales de l'armement et de leurs amis de la finance. Aujourd'hui Sarkozy est devenu propriétaire du plus grand casino et du plus grand complexe hôtelier au Maroc de Mohammed VI: retour à l'envoyeur. La politique internationale de la France se fait à la corbeille, des intérêts de l'industrie d'armement. 

Diplomatie. « Au Proche-Orient, Paris vend des armes et de la surveillance »
Mercredi, 27 Février, 2019

Pour Tony Fortin, spécialiste de l’industrie de l’armement, les profits immédiats générés par les entreprises françaises du secteur en Égypte et dans le Golfe participent aux morts d’aujourd’hui, comme ils préparent les guerres de demain.

La France est aujourd’hui l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, deux États qui, depuis 2015, mènent une guerre meurtrière au Yémen. Depuis quand remonte cette relation entre l’industrie de l’armement française et les pays du Golfe ?

Tony Fortin Le rapprochement entre la France et les pays du Golfe a été graduel. Il y a eu quelques contacts après la Seconde Guerre mondiale, puis une première accélération s’est produite sous les présidences de Giscard et de Mitterrand. Le déploiement du GIGN à La Mecque en 1979, lors de la prise d’otages dans la grande mosquée, ouvre une brèche. Dans la foulée de cet événement, les ventes d’armes françaises augmentent de manière substantielle, avant que cela ne se tasse au milieu des années 1990 et ce, jusqu’à la fin des années 2000. En 2008, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un nouveau coup d’accélérateur est donné. Ce dernier met en pratique la réflexion menée en amont lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis de l’Économie de Jacques Chirac. L’idée consiste à s’aligner sur les pays du Moyen-Orient en deux temps : tout d’abord, en installant une base militaire à Abu Dhabi en 2009 – base qui deviendra la vitrine de l’armement français au Moyen-Orient –, puis en faisant venir des entreprises directement sur place.

Quel intérêt ces entreprises françaises ont-elles à venir s’installer dans les pays du Golfe ?

Tony Fortin L’intérêt est d’abord d’ordre commercial. Être présent dans un pays qui s’affirme comme la puissance militaire la plus avancée de tout le Proche-Orient rapporte gros. Il y a un effet domino immédiat. Par exemple, quand Abu Dhabi achète à la France des Mark 3 Crotale – système antiaérien nouvelle génération –, Riyad s’est aussitôt positionné pour en acquérir. Thales, Airbus, Construction mécanique de Normandie ou encore Safran ont de suite compris l’intérêt d’avoir pignon sur rue. Cela se fait aussi sous forme de joint-venture. Thales vient récemment d’en créer un en Arabie saoudite avec CMI Defence, une entreprise belge spécialisée dans la construction de tourelles de tir pour de nouveaux blindés. On trouve aussi des sous-traitants, des petites boîtes peu connues mais essentielles au processus de construction, principalement des fabricants de composants, qui viennent aussi s’agréger aux grands groupes. L’autre avantage de cette délocalisation, c’est de produire le plus possible, de manière à échapper aux législations des pays européens dont les obligations de transparence sont théoriquement contraignantes. C’est le cas de l’entreprise Amesis, qui s’est installée à Abu Dhabi pour vendre ses technologies de surveillance à l’Égypte du maréchal Sissi. Lorsque vous possédez une filiale aux EAU, cela permet de vendre discrètement sans avoir besoin de demander l’autorisation de l’État français pour produire un élément ou une arme dans sa totalité. Vous dépendez des législations du pays dans lequel vous êtes implanté et, concernant l’Arabie saoudite et ou les Émirats, ce genre de législation est quasi nulle, voire absente. Du point de vue fiscal, enfin, l’opération est très intéressante, car vous n’avez pas non plus à vous soumettre au régime français.

Cette politique basée sur le profit immédiat ne peut-elle avoir à terme des conséquences sur l’indépendance de la France vis-à-vis de ces pays ?

Tony Fortin Le fait est que Paris est déjà dans une position de dépendance vis-à-vis de ces pays, qui, en 2018, représentaient quelque 60 % de son marché de l’armement. Cela entraîne de facto une complicité d’ordre politique qui débouche sur une perte réelle de souveraineté. Ces arrangements industrialo-financiers ont abouti à l’apparition de réseaux d’initiés. Par exemple, Luc Vigneron, ancien dirigeant de Thales, se trouve aujourd’hui à la tête du principal groupe émirati de défense, Emirates Defense Industries Company (Edic), qui s’est manifesté par le rachat de Manurhin, fleuron alsacien de l’armement français spécialisé dans la fabrication de machines pour la production de munitions. L’an dernier, les banques françaises et européennes ne se sont pas positionnées quand l’entreprise a été mise en redressement judiciaire, laissant la voix ouverte à Edic. En échange de tout cela, la France pense pouvoir gagner sa place dans le golfe d’Aden, qui est une zone stratégique majeure de transit de marchandises. « Je t’arme et tu me donnes accès à la mer Rouge… » Il s’agit donc d’un deal très construit. On comprend mieux aussi l’enchaînement de la guerre au Yémen, avec non seulement des ventes d’armes à l’Arabie saoudite qui se sont poursuivies malgré les appels d’ONG ou des Nations unies sur leur utilisation contre la population civile, mais aussi avec des contrats ad hoc dont on peut penser qu’ils ont été montés en vue de cette guerre au Yémen. On sait qu’on a demandé à des entreprises françaises d’adapter, en 2014-2015, les composants d’armes commandés vers 2011 aux EAU et à l’Arabie saoudite en fonction des conditions climatologiques du Yémen… Il y a donc un marché de la guerre pensé et réfléchi en amont et à peine caché, dans lequel l’Élysée a su s’engouffrer. On parle aujourd’hui de 16 références d’armes françaises utilisées par la coalition militaire arabe au Yémen.

L’industrie française de l’armement semble aussi s’être remarquablement adaptée – au mépris des valeurs de la République et des droits de l’homme – à un autre « marché » basé sur le flou d’une frontière de plus en plus ténue entre besoins militaires et policiers…

Tony Fortin La relation Paris-Le Caire est en cela un exemple frappant de ce business hybride. En 2012, à Eurosatory (Salon international de l’armement, voir l’Humanité du 13 juin 2018), lors d’une conférence de presse, les organisateurs ont expliqué sans rougir qu’il y avait une demande forte des polices du Moyen-Orient pour s’équiper en matériel militaire. Avec l’Égypte, il y a eu une augmentation exponentielle des ventes d’armes. On est passé de 40 millions d’euros de commandes en 2010 à 1,4 milliard d’euros en 2017 ! Il est aussi notable de remarquer – comme pour l’exemple des armes utilisées au Yémen – la très grande capacité des industriels français à s’adapter aux besoins de leurs clients. Par exemple, aujourd’hui, on ne fabrique plus de chars Leclerc parce qu’ils ne peuvent pas circuler dans les rues arabes. On a donc privilégié la fabrication de blindés Sherpa, qui ont été testés dans les rues du Caire lors des manifestations réprimées par le régime d’Al Sissi depuis sa prise de pouvoir après le coup d’État de juillet 2013. C’est aussi pour avoir su s’adapter à cela que les Français ont supplanté les Américains sur ce marché. La France a littéralement co-construit l’architecture du régime répressif d’Al Sissi et ce au moment même où le président égyptien subissait des critiques de la part des États-Unis. La France y a vu une opportunité. La même chose s’est produite avec Riyad. C’est au moment où Obama refusait de donner les images satellitaires du Yémen à l’Arabie saoudite que la France a profité de cette faille pour donner des photos au royaume wahhabite et s’ouvrir un espace qui dépasse le seul marché de l’armement. Pourquoi ? Parce que, lorsque vous achetez des chars à la France, vous achetez aussi un système de contrôle. Ces chars ne sont pas que des véhicules de destruction. Ils sont aussi munis de caméras qui permettent de voir à 8 kilomètres. Ils peuvent être reliés via une liaison numérique à un poste de commandement, recevoir des données numériques, des vidéos, des images de la population. Il s’agit donc d’outils de renseignement, de surveillance et de répression. La France a sciemment vendu à l’Égypte du matériel fabriqué par Amesis qui a permis de capter les conversations téléphoniques d’opposants au régime. Morpho, une autre entreprise française, a elle aussi vendu un système de fichage, de collecte et d’analyse biométrique à l’État égyptien qui constitue une interface de surveillance des populations. Paris a par ailleurs traité pour des satellites qui déclenchent des alertes chez les opérateurs de renseignement. Des contrats liés à la vente de drones de surveillance, qui peuvent aussi être armés, existent également. Mais l’Égypte n’est pas le seul pays à profiter du « savoir-faire » à la française. Des échanges extrêmement approfondis sur le sujet sécuritaire ont cours entre les États du Golfe et la France. Notre pays ne fait d’ailleurs pas que renseigner, il enseigne aussi. Des CRS sont régulièrement dépêchés en Arabie saoudite pour former les forces de police saoudiennes, de même que des forces spéciales pour des entraînements conjoints.

Cette politique opportuniste peut-elle durer encore longtemps ?

Tony Fortin Il est bien sûr difficile de se prononcer sur la durée de ce genre de relations bilatérales. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette politique de vente d’armes contribue d’abord et avant tout à la déstabilisation de régions entières, à la mort de dizaines de milliers de civils et au déplacement de millions d’autres. Ce genre de politique peut aussi fabriquer les guerres de demain, notamment dans la Corne de l’Afrique que les pays du Golfe tentent d’occuper avec l’aval de la France. L’Arabie saoudite, qui investit très fortement dans les ports de la mer Rouge, ne vient-elle pas d’installer une petite base militaire à Djibouti ? Dans un futur proche, un territoire allant de la mer Rouge au golfe de Guinée peut devenir le terrain de jeu meurtrier de pays aux intérêts divergents. Cette course à l’armement nous mène donc dans une impasse, où la France s’expose à des accusations de complicité liées à des crimes de guerre. Ce qui ne semble pas affecter l’Élysée qui, malgré l’arrivée d’un nouveau président, persiste et signe sur sa politique à court terme dans le Golfe, avec néanmoins des nuances notables concernant les acteurs. Qui sait, par exemple, que depuis 2017 le Koweït est devenu le premier client de la France en matière d’armement ? Un contrat pour des blindés Sherpa est en cours, de même qu’une commande pour des hélicoptères Caracal. Ce nouveau marché koweïtien est une manière discrète de continuer à pourvoir du matériel de guerre à la coalition arabe via la plateforme des pays du Golfe. Cela met en lumière un système de mutualisation qui sert au même objectif. Ce matériel militaire pourra être prêté aux Émirats arabes unis ou à l’Arabie saoudite dans le cas de conflits à venir et ce au nom de leurs propres objectifs militaires. Pour la France, le marché koweïtien est donc une manière d’aménager des sas par lesquels elle peut vendre ses armes sans que cela éveille les soupçons des quelques rares institutions qui tentent de réguler ce marché. En outre, le Koweït est, en plus d’Abu Dhabi, une base arrière des Forces spéciales engagées au Yémen.

Des contre-feux en France peuvent-ils encore freiner cette machine infernale ?

Tony Fortin C’est peut-être cela le plus inquiétant. La classe dirigeante française refuse de faire naître tout débat sur le sujet. On a un système très centralisé qui tourne autour de la figure du président de la République, qui concentre tous les pouvoirs. C’est lui qui donne le « la » dans le domaine des ventes d’armes, comme dans celui des opérations françaises extérieures (opex). Créer les conditions du débat pour infléchir cette politique mortifère serait pourtant salutaire. En ce sens, le combat des gilets jaunes est révélateur du manque de démocratie qui étouffe notre pays. Nous sommes dans un contexte où tout le monde est conscient du déficit démocratique lié au fonctionnement d’une Ve République à bout de souffle. Dans le cas de la France, seule une démocratisation de la vie publique et de l’État pourra permettre de revenir à un peu plus de raison en matière de diplomatie de l’armement.

Tony Fortin

Chercheur à l’Observatoire des armements

Entretien réalisé par Stéphane Aubouard
Au Proche-Orient, Paris vend des armes et de la surveillance (le chercheur Tony Fortin interviewé par Stéphane Aubouard, L'Humanité, 27 février 2019)
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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 05:30

COMMUNIQUE DE PRESSE

Soutien aux mobilisations populaires et pacifiques algériennes

En Algérie, depuis plusieurs jours, des manifestations populaires pacifiques s'organisent, s'amplifient et s'étendent à travers le pays, suite à l'annonce le 10 février de la candidature du président sortant, Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat.

Étudiants, lycéens ont été les premiers à protester rejoints aujourd'hui par une grande partie de la population de tout âge, dont de nombreuses femmes.
Il faut remonter à la fin des années 80 pour trouver une contestation de cette ampleur et sa généralisation dans tout le pays.
La jeunesse algérienne et de nombreux algériens contestent le maintien du président actuel qui n'est plus en état d'exercer son mandat mais aussi le régime en place.
Ensemble, ils rejettent les politiques économiques menées, l'usage de la rente pétrolière, le chômage, la corruption et l'aggravation des inégalités.
Ils aspirent aussi à la démocratie et au respect de leur dignité de citoyen.

L'Algérie est un pays jeune où près d'un algérien sur deux a moins de 25 ans. Cette jeunesse veut avoir son mot à dire sur son avenir et celui de leur pays.
Le Parti communiste français exprime son soutien et sa solidarité avec ces manifestations populaires et pacifiques, avec les Algériens et Algériennes qui, en Algérie et en France, se mobilisent pour la justice et le progrès social, la démocratie et la dignité.

Parti communiste français


Paris, le 1er mars 2019

Soutien aux mobilisations populaires et pacifiques algériennes - PCF, 1er mars 2019
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28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 16:58
  Nous saluons la libération de la députée palestinienne FPLP Khalida Jarrar (Laurence Cohen, PCF)
  Nous saluons la libération de la députée palestinienne FPLP Khalida Jarrar (Laurence Cohen, PCF)

  Nous saluons la libération de la députée palestinienne FPLP Khalida Jarrar, militante féministe incarcérée sans motif depuis plus de 20 mois, une détention administrative sans charges et sans jugement!

Laurence Cohen - PCF

28 février 2019

PALESTINE / Khalida Jarrar a été libérée après 20 mois de détention administrative (PCF)

Le PCF se réjouit de cette nouvelle qui lui permettra d’aller enfin se recueillir sur la tombe de son père mort pendant sa détention illégale. Mais cette bonne nouvelle ne doit pas nous faire oublier ceux, hommes, femmes et enfants, qui chaque jour continuent de remplir les prisons israéliennes sans que bien souvent des charges ne soient retenues contre eux et qu’aucun procès n’ait lieu.
Les palestiniens ne peuvent pas continuer à vivre sous la menace permanente de l’arbitraire israélien qui colonise, emprisonne, humilie, tue.
Nos efforts ne doivent pas faiblir pour accompagner les revendications du peuple palestinien qui demande le droit de vivre dans un État viable sur les frontières de 1967 reconnues par l'ONU et toute sa souveraineté.
La France doit absolument reconnaître l’État de Palestine.

  Nous saluons la libération de la députée palestinienne FPLP Khalida Jarrar (Laurence Cohen, PCF)
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28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 05:17
Afghanistan. A Kaboul, elle portait un turban pour le turbin - l'incoyable histoire de Nadia Ghulam, par Pierre Barbancey, L'Humanité, 25 février 2019
Afghanistan. À Kaboul, elle portait un turban pour le turbin
Lundi, 25 Février, 2019

L’incroyable histoire d’une jeune Afghane, défigurée à l’âge de 8 ans, qui s’est fait passer pour un garçon afin de subvenir aux besoins de sa famille.

Assise dans un café en plein Paris, Nadia arbore un grand sourire. Dans ses yeux, la vie luit à pleins feux. D’un geste empli de grâce, elle nous invite à nous asseoir. À voir ainsi cette jeune femme de 33 ans – elle est née en 1985 à Kaboul –, qui pourrait bien songer à la vie qui a été la sienne ? Tout juste si l’on remarque, masquée par une mèche de cheveux bouclés, noirs, une cicatrice sur le côté gauche de son visage. Qui pourrait penser que Nadia a, un beau jour, décidé de quitter son pays, de dire « adieu et à jamais » à tous ceux qu’elle aime et à tout ce qu’elle aime, pour s’établir en Catalogne où elle étudie ? Son histoire, témoignage émouvant à l’image de son courage, est bien sûr très personnelle.

Mais ce récit, maintenant publié (1), a valeur universelle par sa force, le théâtre de la souffrance qui est donné à voir, la cruauté des événements mais surtout peut-être par la détermination sans faille d’une toute petite fille frappée de plein fouet qui, au lieu de sombrer dans une dépression, décide d’affronter les éléments qui la secouent au plus profond d’elle-même. Mourir ou grandir. Elle a choisi. « J’avais beaucoup de raisons d’écrire mon histoire, explique-t-elle. Je me suis aperçue que beaucoup de gens ne savaient rien de mon pays, qu’ils ne connaissaient que les talibans. J’ai voulu montrer que les enfants comme moi n’avaient rien à voir avec la guerre, que nous rêvons de paix. »

Le paradis fait vite place à l’enfer

Nous sommes en 1992. Nadia n’a que 8 ans. Les troupes soviétiques ont quitté le pays depuis trois ans et l’Afghanistan est alors dirigé par le communiste Mohammad Najibullah, qui doit faire face aux attaques répétées des moudjahidine largement soutenues par les pays occidentaux et ceux du Golfe. Leur but, qu’ils atteindront : instaurer une République islamique. Haute comme trois pommes, Nadia ne comprend évidemment pas ce qui se passe. Insouciance de l’enfance, émerveillement devant des sachets de cerises et d’amandes vendues par l’épicier du coin, jeux à n’en plus finir, des parents aimants. Elle adorait aussi les études puisque les filles pouvaient, à cette époque, se rendre à l’école, malgré les exécutions sommaires des instituteurs par les fameux moudjahidine, pour qui la place des femmes est à la maison ou sous une burqa. Son frère, Zelmaï, sur lequel les espoirs de la famille reposent, préfère le farniente, les dessins animés à la télévision, le rire plutôt que la lecture studieuse. Le paradis fait vite place à l’enfer. Najibullah est tué dans les conditions les plus atroces et les factions islamistes se disputent le pouvoir à coups de canon.

« Tout vola en éclats. Et l’obscurité se fit. » Un obus a touché la maison de Nadia. Elle se réveille à l’hôpital. Défigurée du côté gauche. Le rêve d’avant se fait cauchemar. Huit opérations à Jalalabad avec l’aide d’une ONG allemande, la survie dans un camp de déplacés, le père qui perd la raison et, quelque temps plus tard, l’assassinat de son frère Zelmaï. Malgré son jeune âge et ses souffrances, elle doit subvenir aux besoins de la famille. Comment faire lorsqu’on est une femme dans un pays tenu par des obscurantistes ? Nadia, à force de vêtements masculins et d’un turban qui masque sa féminité à peine naissante, décide de passer pour un homme et se fait appeler… Zelmaï. « Il » travaille dans les champs, surveille les troupeaux. Le tout pour quelques afghanis. Autant dire une poignée de figues. De ces fruits et de ces légumes, Nadia/Zelmaï en a malgré tout appris la richesse. « En Afghanistan, cultiver ce n’est pas seulement pour le trafic de drogue, souligne-t-elle. C’est important pour moi de partager ça. En Catalogne, ils sont fiers de leur raisin mais je leur dis qu’ils n’ont pas goûté les grappes d’Afghanistan. »

Inutile de raconter toute cette histoire. Le livre est bien plus riche ! Seulement savoir que, la puberté venant, la dissimulation a été de plus en plus difficile. Pas seulement pour des raisons physiques (poitrine naissante, sang qui coule soudain sur les mollets) mais aussi pour des raisons sentimentales. Tomber amoureuse d’un garçon, alors qu’on est soi-même perçue comme un garçon et qu’on n’en est pas un. Pas facile, on en conviendra. Au bout de huit ans d’une vie terrible, elle parvient à s’inscrire à nouveau dans une école puis obtient son baccalauréat et s’inscrit à l’université, avant de quitter l’Afghanistan et de s’installer en Espagne, à l’âge de 21 ans.

Mal du pays, besoin de revoir sa famille

Autant de raisons qui la poussent à entreprendre le chemin inverse, douze ans après, pour une courte période. L’incroyable se produit : pour passer en Afghanistan clandestinement depuis le Pakistan, elle revêt son déguisement d’homme. Là, elle retrouve un pays « triste », où « les talibans qui négocient sont pires que leurs aînés parce qu’avant ils frappaient les femmes avec un bâton, maintenant ils les tuent » ; où « la corruption ne cesse d’augmenter » ; où « tout est privé » ; où « le prix des médicaments équivaut à celui de l’or » ; où « le gouvernement ne cesse de taxer les petites gens alors qu’il ne fait jamais payer les entreprises ». Nadia, qui se veut aujourd’hui un « pont » avec son pays, sait bien que « personne n’a la solution magique ». Pour elle, « donner du travail permettra de faire diminuer la violence et la guerre ». Avec lucidité, elle regrette qu’aujourd’hui l’Afghanistan soit coupé en deux. Pas géographiquement : « il y a un pays pour les riches et un pour les pauvres », déplore-t-elle.

(1) Cachée sous mon turban, Nadia Ghulam avec Agnès Rotger. Éditions l’Archipel, 312 pages, 21 euros.
Pierre Barbancey
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27 février 2019 3 27 /02 /février /2019 06:33
Rosa Moussaoui, journaliste militante de l'Humanité, spécialiste Maghreb-Afrique (fête de l'Humanité 2017)

Rosa Moussaoui, journaliste militante de l'Humanité, spécialiste Maghreb-Afrique (fête de l'Humanité 2017)

Algérie. Une fracture politique et générationnelle
Mercredi, 27 Février, 2019

Dans tout le pays, des milliers d’étudiants ont pris part aux marches parties des universités. « Système, dégage ! » clamaient les manifestants.

«Pendant ce temps, leurs enfants étudient à l’étranger… » L’allusion à l’exil doré des enfants d’apparatchiks planait hier sur les imposantes manifestations étudiantes parties des campus, dans toute l’Algérie. Lycéens et étudiants ont rejoint par milliers les marches de protestation contre un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika à Alger, Tizi-Ouzou, Bouira, Béjaia, Annaba, Skikda, Jijel, Boumerdès, Adrar, Ouargla Bechar, Djelfa, Chlef, Oran, Tlemcen…

Dans la capitale, les autorités ont tenté de boucler la fac centrale, rue Didouche-Mourad, pour empêcher les étudiants mobilisés d’investir la rue. Des policiers sont même allés jusqu’à poser un cadenas sur le portail ! Même scénario à Ben Aknoun et à Bouzaréah, sur les hauteurs de la ville, où le dispositif sécuritaire s’est finalement avéré insuffisant pour contenir les manifestations. Toute la journée, les policiers ont tenté d’empêcher les cortèges de converger. Mais dans l’après-midi, place Maurice-Audin, les petits groupes dispersés dans le centre-ville sont finalement parvenus à faire jonction pour former un défilé de plusieurs milliers de personnes.

À Tizi-Ouzou, la manifestation, partie de l’université Hasnaoua, haut lieu de contestation politique, s’est déroulée sans heurts. « Les étudiants s’engagent, système, dégage ! » proclamait une banderole. C’est que la colère déborde : au-delà du cinquième mandat, tout le régime est explicitement mis en cause désormais, avec ses choix économiques, son mépris du peuple, son verrouillage démocratique.

À 20 ans, les jeunes qui marchaient hier dans toute l’Algérie n’ont connu, à la tête de l’État, qu’Abdelaziz Bouteflika, arrivé au pouvoir en 1999. Nés au terme de la décennie noire, ils sont bien moins sensibles que leurs aînés au chantage à la déstabilisation, principal argument du clan présidentiel et des tenants du système. Comme les insurgés de 1988, ils contestent sans complexe au FLN l’héritage historique dont il ose encore se prévaloir pour confisquer le pouvoir. Entre cette jeunesse et ceux qui gouvernent l’Algérie, la fracture est donc sociale, politique, culturelle, mais aussi générationnelle. Comment la clique aux affaires depuis si longtemps pourrait-elle comprendre les aspirations des moins de 25 ans, qui représentent 45 % de la population ? Signe que cette effervescence politique gagne tous les secteurs de la société algérienne, les jeunes mobilisés hier ont reçu l’appui de leurs enseignants. Des universitaires ont appelé à donner de l’écho à la « voix du peuple qui se lève contre un système politique devenu une véritable menace pour notre avenir et la stabilité du pays ».

Rosa Moussaoui
Algérie. Le clan Bouteflika s’enferre dans ses urnes
Mardi, 26 Février, 2019

Les manifestations vont se succéder tout au long de cette semaine décisive, avant la date limite du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, dimanche.

L’Algérie respire, Ahmed ­Ouyahia s’étrangle. Hier, le premier ministre algérien s’exprimait pour la première fois sur les manifestations populaires allumées par l’officialisation de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. Pour suggérer, devant les parlementaires, que tout continue comme si de rien n’était. « Les urnes trancheront », a-t-il affecté, en invoquant encore le spectre de la décennie noire : « L’Algérie a vécu suffisamment de souffrances (...) pour avoir obtenu la possibilité de choisir dans le calme et la paix. »

Vermoulu, l’argument ne porte plus et dans la semaine décisive qui s’est ouverte hier avant la date limite du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, dimanche, la mobilisation pourrait encore s’élargir. Hier, ce sont les avocats qui sont entrés dans la contestation par un sit-in au tribunal Abane-Ramdane d’Alger. Avec un slogan acerbe : « L’Algérie est une république, pas un royaume ! » La profession lance un appel à des rassemblements dans tous les barreaux du pays, jeudi, « pour l’État de droit, les libertés, le respect de la légitimité populaire ». Étudiants et lycéens devraient rejoindre eux aussi le mouvement, ce jour, avec des marches prévues au départ des universités. Partout, l’expression se libère. Dans un appel rendu public dimanche, des universitaires se réjouissent de voir les Algériens refuser « la soumission au pouvoir absolu » et tiennent ce réveil populaire pour une « opportunité de transformation sociale et politique » dans une « société qui aspire à vivre dans la dignité, la liberté et le bien-être ».

La vie politique est indexée sur le cours des hydrocarbures

Ce vent de révolte souffle jusque sur les médias publics, où des journalistes de plus en plus nombreux refusent désormais de se faire les propagandistes du régime. Les signataires d’une lettre ouverte au directeur de la radio nationale refusent ainsi « le traitement dérogatoire exceptionnel imposé par la hiérarchie au profit du président (...) et restrictif quand il s’agit de l’opposition ». Conclusion : « La radio algérienne appartient à tous les Algériens. (...) Nous sommes le service public et non des journalistes étatiques. »

Par-delà le rejet du scénario grotesque d’un cinquième mandat, c’est tout le système qui est mis en cause par des manifestants suggérant de reléguer le « FLN au musée ». « Ce mouvement est exceptionnel. Il n’y avait plus eu de manifestations de cette ampleur depuis 2001, lorsque la Kabylie s’était soulevée, exigeant justice sociale et ­démocratie. Ici, tout le pays est concerné, d’Oran à Annaba, de Tamanrasset à Alger », remarque l’historien Massensen Cherbi (1). Traumatisés par l’ouverture démocratique avortée qui avait suivi le soulèvement de 1988 et par la guerre intérieure des années 1990, les Algériens observaient avec défiance, depuis 2011, les processus incertains, voire chaotiques, initiés chez leurs voisins. Sans cesser pour autant de protester et d’exiger des droits dans des mobilisations très localisées, circonscrites à des ­revendications précises (emploi, logements, salaires, etc.). On dénombrait ainsi, en 2016, plus de 10 000 émeutes. « Avant 2014, le régime y répondait par une redistribution clientélaire de la rente pétrolière », résume Massensen Cherbi. Seulement voilà, en Algérie, la vie politique est indexée sur le cours des hydrocarbures : les marges de manœuvre du régime ont diminué au même rythme que les réserves de change. Dans ce contexte de crise sociale, économique et politique, on voit mal comment l’appel du clan Bouteflika à jouer le jeu d’un scrutin verrouillé pourrait être entendu. Sur les banderoles, une ­réponse fleurit : « Nos rêves sont trop grands pour vos urnes. »

(1) Algérie, de Massensen Cherbi. Éditions De Boeck, 2017.
Rosa Moussaoui
Maghreb. La jeunesse algérienne clame sa soif de dignité et de changement
Lundi, 25 Février, 2019

Hier, après les imposantes manifestations de vendredi, des opposants à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika ont encore investi les rues d’Alger quadrillées par la police.

Qui mieux que le caricaturiste Ali Dilem peut traduire l’effervescence politique qui s’est emparée de l’Algérie ? Hier, en dernière page du quotidien Liberté, son dessin figurait l’avion présidentiel en route pour la Suisse, survolant une foule de protestataires hostiles à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat. De l’appareil s’échappe une bulle : « Nous traversons une zone de turbulences. » Le président algérien à l’état de santé très dégradé depuis son accident vasculaire cérébral (AVC) de 2013 s’est bel et bien envolé vers Genève, hier, officiellement pour un « court séjour afin d’y effectuer des contrôles médicaux périodiques ».

Au même moment, dans les rues d’Alger quadrillées par un dispositif sécuritaire serré, des protestataires investissaient encore l’espace public. Dès les premières heures de l’après-midi, la police avait évacué la place Maurice-Audin, dans le centre-ville, où le mouvement Mouwatana (Citoyenneté) avait fixé le départ de la manifestation dans la capitale. Des cortèges se sont pourtant constitués, dispersés par des tirs de gaz lacrymogène ou coupés en deux, avant de se reformer encore. Le dimanche est en Algérie un jour de semaine, la mobilisation ne pouvait donc égaler celle de l’avant-veille, partie d’appels sur les réseaux sociaux. Mais elle témoigne de la détermination des opposants au 5e mandat, confortés par les imposantes manifestations de vendredi.

La mobilisation a gagné tout le territoire

Ce 22 février restera sûrement comme un jour marqué d’une pierre blanche dans l’histoire contemporaine de l’Algérie. C’est toute une jeunesse qui s’est levée pour dénoncer la gérontocratie corrompue qui s’accroche au pouvoir, pour rejeter les scénarios byzantins du système FLN, pour exprimer son exigence de respect, de démocratie et de justice sociale.

Concentrée, la semaine précédente, dans l’est du pays, la mobilisation a gagné tout le territoire : des défilés se sont formés dans l’Ouest, à Oran ou Tiaret, et dans le Sud, à Touggourt, Adrar ou In Salah, où les banderoles contre le 5e mandat se mêlaient à celles des opposants à l’exploitation du gaz de schiste. À Annaba, des manifestants perchés sur le toit d’un immeuble en décrochaient sous les vivats un portrait géant d’Abdelaziz Bouteflika. Partout, cette mobilisation revêt un caractère pacifique frappant : ici, des jeunes gens nettoyant les rues après le passage des protestataires ; là, des opposants choisissant de recouvrir une affiche de campagne du sortant plutôt que de dégrader le mobilier urbain. Belle réponse à un régime qui invoque depuis des années le chaos en Syrie ou en Libye pour tenter de contenir la colère.

À ceux qui l’accusent d’ouvrir une brèche propice aux ingérences étrangères, cette jeunesse debout répond en arborant le drapeau national, en renvoyant le FLN aux trahisons des promesses de l’indépendance, en remettant au goût du jour les mots d’ordre de la révolution algérienne. La maturité politique de ce mouvement tranche avec la fébrilité du clan présidentiel, où certains s’abandonnent à l’excès de zèle jusqu’au ridicule. Le député FLN Mouad Bouchareb, qui dépeint Abdelaziz Bouteflika en prophète désigné par Dieu pour « réformer la nation algérienne », est ainsi passé du registre mystique à celui du mépris. « Ceux qui manifestent contre le 5e mandat de Bouteflika veulent détruire le pays ! » a-il lancé, suscitant la gêne jusque dans les rangs de son propre parti.

En coulisses, tractations et grandes manœuvres se poursuivent

De telles élucubrations restent sans effet. Que pèsent-elles face au sentiment de dignité retrouvée qui fait sauter toutes les digues posées par le système ? Dans ce réveil du peuple algérien, c’est aussi l’exigence d’une représentation décente du pays qui s’affirme avec force...

En coulisses, tractations et grandes manœuvres se poursuivent. Avec l’armée dans le rôle d’arbitre, une constante depuis 1962. Allié du clan Bouteflika, le général Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état major de l’Armée nationale populaire, fustigeait à la veille des manifestations les « ennemis de l’intérieur et de l’extérieur » menaçant, selon lui, la stabilité du pays. L’opposition, pourtant hétéroclite, affaiblie et divisée, veut, accuse-t-il, « faire de l’Algérie et de son peuple les otages de leurs intérêts abjects et de leurs ambitions sordides ». Mais l’institution militaire est divisée, comme en témoigne la candidature d’Ali Ghediri, un ancien général major qui se présente en « indépendant » à l’élection présidentielle.

Autre signe de la confusion qui règne au cœur même du système, le prédécesseur d’Abdelaziz Bouteflika, le général à la retraite Liamine Zéroual, est sorti vendredi saluer les manifestants dans son fief de Batna... En quête d’un plan B propre à assurer la « continuité » du régime, ces obscurs acteurs sont en fait bousculés par un surgissement populaire qu’ils pensaient pouvoir conjurer. Ils sont débordés. Une image en témoigne, cruelle pour la campagne que s’apprêtait à mener le clan présidentiel en faisant voyager dans le pays le portrait encadré d’Abdelaziz Bouteflika. Au-dessus d’une foule compacte de manifestants, un esprit facétieux a placé un cadre vide. La photographie est devenue virale. Avec ce commentaire corrosif : « Un seul cadre, le peuple. »

Rosa Moussaoui
À paris, des centaines de manifestants anti-bouteflika

Hier après-midi, des centaines de manifestants sont venus protester place de la République, à Paris, contre un nouveau mandat d’Abdelaziz Bouteflika. « Pouvoir assassin », « Système dégage », pouvait-on lire parmi les slogans inscrits sur les pancartes brandies par les manifestants entassés au pied de la statue de la République, où trônait une photo géante du président algérien estampillée « Non à un 5e mandat ». « On a besoin d’un président valide », a aussi déclaré à l’AFP Ahmed Ouaguemouni, ancien membre de l’opposition algérienne qui vit dorénavant en France tout comme Abdel Djamel, un médecin de 66 ans arrivé à Paris en 1992, et qui rappelle au passage que l’exil n’est jamais un choix. « C’est le système algérien qui nous a fait venir en France », a-t-il confié.

En partie tenus par le pouvoir, les islamistes en rangs dispersés
Lundi, 25 Février, 2019

Prise de court par la force des manifestations de vendredi contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat, la mouvance islamiste, toutes tendances confondues, est apparue divisée.

Parmi les opposants aux manifestations de vendredi, se trouve le très conservateur Comité national de coordination des imams, qui a relayé l’instruction du ministère des Affaires religieuses. En vain, des imams ont tenté dans leurs prêches, lors de la grande prière de vendredi, de dissuader les fidèles de répondre aux appels à manifester, parce que « nul ne sait s’ils émanent d’un Algérien ou d’un ennemi, d’un musulman ou d’un athée » !

Plus résolue dans son opposition aux anti-5e mandat, la mouvance salafiste proche des wahhabites saoudiens prône « la non-contestation de l’autorité de l’État », à l’instar des salafistes égyptiens qui soutiennent le maréchal-président Sissi. Cette mouvance, qui s’était signalée par une fatwa contre l’écrivain Kamel Daoud, a été la plus active, de manière virale, sur les réseaux sociaux, en appelant à ne pas répondre aux appels à sortir dans la rue. Bien présents sur le terrain, ces militants, dont le chef de file et idéologue Ali Ferkous a été officiellement désigné, le 8 janvier 2018, comme représentant du salafisme-wahhabite algérien par le Saoudien Al Madkhali, doyen de l’université islamique de Médine (Arabie saoudite), bénéficient d’une indulgence coupable de la part des autorités (1). En contrepartie, car c’est du donnant-donnant : ces salafo-wahhabites qui, pour l’heure, dénoncent la violence voient leurs interdits complaisamment diffusés par les médias proches du pouvoir, quand ils ne mobilisent pas une partie de la société contre l’actuelle ministre de l’Éducation, Nouria Benghabrit, coupable à leurs yeux de vouloir interdire les prières à l’école et d’être femme.

Le silence des télévisions privées pro-régime comme Ennahar et Echorouk...

Autre acteur islamiste opposé aux manifestations de vendredi, le parti TAJ (Rassemblement pour l’espoir de l’Algérie, 20 députés), ironiquement surnommé « Taj mahal », de l’ex-ministre Amar Ghoul, qui a déclaré qu’il soutenait « le président Bouteflika vivant ou mort » ! Mort ? Enfin, ajoutons le silence des télévisions privées islamistes pro-régime comme Ennahar et Echorouk sur ces manifestations. À l’opposé, il y a cette mouvance islamiste dite modérée, opposée au 5e mandat. Le MSP (Mouvement de la société pour la paix), par exemple, qui siège avec ses 34 députés à l’Assemblée nationale populaire (APN), a pris le train en marche au dernier moment, des fois qu’il le raterait. Mais à titre individuel, presque anonyme, non en tant que parti. Aujourd’hui dans l’opposition, alors qu’il a fait partie de plusieurs gouvernements entre 1999 et 2012, ce parti, qui entretient d’étroites relations avec l’AKP du président turc Recep Tayyip Erdogan et avec les islamistes tunisiens d’Ennahdha, rêve, à l’instar de son grand cousin turc, d’arriver au pouvoir « démocratiquement ».

Ses alliés, Nahdha et le Parti de la justice et de la liberté (PJL) d’Abdallah Djaballah, ont également tenu, à titre individuel, à être présents dans les défilés : l’essentiel pour eux était de prendre date. À l’ombre de ces forces, le mouvement Rachad, issu de l’ex-FIS (Front islamique du salut), de Mourad Dhina, était bien présent vendredi. Et l’inévitable Ali Belhadj (fondateur du FIS) qui, de son lit d’hôpital à Hussein Dey, dans la banlieue est d’Alger, a soutenu, via une vidéo, les anti-5e mandat. En direct, la chaîne al-Magharibia, proche des réseaux de l’ex-FIS, basée à Londres, a relayé un peu, à la façon de BFMTV en France sur les gilets jaunes, images et commentaires à l’appui, les manifestations de vendredi (2). Reste à savoir de quelle influence dispose cette opposition islamiste parmi une partie des jeunes ayant manifesté vendredi.

(1) Mohamed Ali Al Madkhali est l’homme qui parraine les djihadistes syriens de Fatah al-Cham et juste avant Daech. (2) Al-Magharibia, très regardée par les Algériens, qui donne la parole également aux « laïcs », a été fondée en novembre 2016 avec l’aide, dit-on, du Qatar.
Hassane Zerrouky
Maghreb. La jeunesse algérienne clame sa soif de dignité et de changement - Rosa Moussaoui et Hassane Zerrouky, L'Humanité, 25-27 février
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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 18:19
Turquie - L'artiste et journaliste kurde Zehra Doğan est sortie de prison aujourd’hui, 24 février
Turquie - L'artiste et journaliste kurde Zehra Doğan est sortie de prison aujourd’hui, 24 février
Turquie - L'artiste et journaliste kurde Zehra Doğan est sortie de prison aujourd’hui, 24 février

Quelle joie et soulagement d'apprendre aujourd'hui la libération de Zehra Doğan, artiste et militante des droits de l'homme formidable à l'honneur de deux festivals dans le pays de Morlaix l'an passé, à Plouézoch (Traon Nevez) et à St Martin des Champs (le Roudour). Elle était détenue depuis deux ans dans les geôles d'Erdogan pour avoir faire usage de sa liberté d'expression pour condamner dans une oeuvre d'art la répression dans les régions kurdes. Bravo à tous ceux qui ont animé un grand mouvement de solidarité internationale en sa faveur et en faveur des prisonniers politiques kurdes. 

En savoir plus sur le site de Kedistan:

http://www.kedistan.net/2019/02/24/turquie-zehra-dogan-sortie-de-prison/?fbclid=IwAR1U1EFIeJznU0C1c4xmR59i1YEuV_-oCUFhF8-ufC7zX3l702QVFK_ctoI

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23 février 2019 6 23 /02 /février /2019 06:37

"Mes amis de "L'Humanité", je suis choqué d'apprendre que "L'Humanité" pourrai disparaître, ce quotidien français qui a toujours été la voix des opprimés et de la classe ouvrière depuis plus d'un siècle. Contrairement à la presse bourgeoise, "L'Humanité" est le journal du peuple, pas celui des gouvernants, et il a toujours donné la priorité à ceux qui se battent pour l'émancipation et la dignité, c'est un trésor national et mondial dont l'avenir doit être aussi radieux que le passé.

Moi comme nous tous, soutenons l'Humanité"

Mumia Abou Jamal,

Journaliste, Ancien condamné à mort (soutenu par l'Humanité pendant des décennies), toujours emprisonné aux Etats-Unis. 

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Mumia Abu-Jamal soutient l'Humanité: l'Humanité est le journal du peuple!
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19 février 2019 2 19 /02 /février /2019 13:24
41 femmes parlementaires se mobilisent en solidarité avec les femmes kurdes
41 femmes parlementaires se mobilisent en solidarité avec les femmes kurdes

lundi 18 février 2019

Dans un appel initié le 15 février par Laurence Cohen, Sénatrice du Val-de-Marne, 41 femmes parlementaires se mobilisent et apportent leur soutien aux femmes kurdes, àl’heure où la Députée kurde Leyla Guven en est à son 100ème jour de grève de la faim et en ce jour marquant le 20ème anniversaire de l’arrestation d’Abdullah Ocalan.

"Il est intolérable de voir les pays occidentaux détourner les yeux de ce qui arrive aux kurdes en Syrie. Alors que leurs luttes contre Daesh, à laquelle les femmes ont pris toute leur part, avaient été décisives, la communauté internationale a laissé l’armée turque d’Erdogan reconquérir Afrin.
Au Rojava, malgré les conditions effroyables dues à la guerre, femmes kurdes, arabes et de toutes les ethnies vivent ensemble et essaient de s’organiser dans un système démocratique, féministe et écologique. Elles luttent pour construire la paix dans un dialogue permanent avec les populations. Ainsi, Leila Mustapha, jeune maire de Raqqa, ville martyre, reprise aux mains de Daesch après 3 ans d’occupation. Leur lutte est un exemple de libération des femmes qui ébranle l’idée d’un Etat au service du nationalisme et des extrémismes religieux.
L’agression de la Turquie contre le peuple kurde vise donc aussi la révolution des femmes qui refusent de se soumettre au patriarcat, à la violence d’Etat et ont le courage de revendiquer une société de liberté pour elles-mêmes et donc pour tous. Le président turc ne peut supporter une telle indépendance. Il craint une contamination au Moyen-Orient.
Tous les moyens sont bons pour écraser la résistance kurde, des milliers de prisonnières et prisonniers croupissent en prison. Elles et ils vivent des conditions de détention épouvantables (sévices, humiliations, isolement...). Remise en liberté conditionnelle, Leyla Güven poursuit sa grève de la faim afin de briser le mur du silence, « pour la démocratie, les droits humains et une justice équitable. » Plus de 259 prisonnières et prisonniers politiques sont en grève de la faim illimitée pour rompre le régime d’isolement arbitraire qui leur est infligé ainsi qu’à leur leader Mr. Abdullah Öcalan.
Nous femmes parlementaires de toutes sensibilités politiques, appelons à soutenir les femmes kurdes, dans le double combat pour un projet de société émancipateur qu’elles mènent contre l’offensive de la Turquie et de Daesh.
Nous demandons au Président Erdogan la libération des prisonnières et prisonniers politiques kurdes.
Nous invitons la France à saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour que les Kurdes de Syrie soient placés sous protection internationale et bénéficient de leur droit à l’autodétermination, afin d’aboutir à une solution politique susceptible de construire une paix durable dans la région
.
"

Voir le communiqué :

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Appel solidarité femmes kurdes
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