Notre-Dame-des-Landes: «Ils ont la répression, nous, on a les bâtons»
8 OCTOBRE 2016 | PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU ET JADE LINDGAARD
Les opposants au projet d’aéroport ont mobilisé en masse samedi 8 octobre pour leur quatrième manifestation de l’année : entre 12 800 et 40 000 personnes ont marché dans la campagne et planté leurs bâtons en promettant de revenir les chercher en cas d’évacuation. Pour beaucoup, c’était leur première venue sur la ZAD.
Notre-Dame-des-Landes, de nos envoyés spéciaux.- C’est une démonstration de force : pour la quatrième fois de l’année, les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes se sont mobilisés en masse. Entre 12 800 manifestants, selon la préfecture, et 40 000, selon les organisateurs, ont arpenté les chemins de la ZAD samedi 8 octobre pour prévenir le gouvernement : toute tentative d’évacuation de la zone, tout commencement de travaux, rencontrera l’opposition de milliers de personnes. « Nous sommes là, nous serons là ! » entonne la foule à de nombreuses reprises. Le décompte de la préfecture est deux fois plus important que lors de la manifestation de janvier dernier, sur le pont de Cheviré à Nantes. Pour ce nouveau rassemblement, chaque personne était invitée à apporter un bâton à planter sur place, signe de son engagement à revenir le chercher et à défendre la ZAD en cas d’évacuation.
À partir de 7 heures du matin, près de 400 personnes arrivent en bus depuis Paris. Elles se retrouvent à la Vache rit, lieu historique de résistance à l’aéroport sur la ferme de la famille Fresneau. Un groupe de quatre jeunes Parisiens, tout de noir vêtus, attend le départ du cortège dans la pénombre de la grange. Ils sont étudiants travailleurs, et disent ne pas appartenir à un collectif militant particulier mais être habitués des cortèges de tête des manifestations contre la loi Travail. Ils ne veulent pas donner leur nom. L’un d’entre eux est déjà venu en juin pour participer à un chantier : « Contre la loi Travail et son monde, contre l’aéroport et son monde, c’est se battre contre une réalité. Les grands projets, les infrastructures immenses, la libéralisation de toutes les sphères de la vie. »Son voisin déclare : « Je m’en fous de l’aéroport, je viens pour la défense de ce territoire. C’est pour le principe. C’est une vision du monde. La ZAD, c’est l’autonomie, l’autogestion, les prises de décision collectives, réapprendre des techniques, devenir polyvalent. C’est une réappropriation globale. »
Une sono posée sur des planches de bois diffuse des chants en espagnol. Une pancarte « Non à l’aéroport » sort d’un vieux seau de peinture. Luc, paysagiste, est venu de Bordeaux pour marcher contre l’aéroport. Il se souvient du Larzac pour lequel il a marché, dans sa jeunesse : « Ça se ressemble parce que dans les deux cas, au départ, ce sont des paysans qui se sont battus. Au Larzac, plein de gauchistes, anarchistes et non-violents sont venus ensuite se battre à leurs côtés. À Notre-Dame-des-Landes, les zadistes sont arrivés avec plein de visions différentes de la société. »
À l’extérieur, deux étudiants en histoire à Paris-I attendent au soleil, bâton en mains. C’est aussi leur première fois sur la ZAD. Fabienne, 19 ans : « J’aimerais bien y vivre, ça a l’air super au niveau des relations humaines. Ils mettent en place des choses qu’on voudrait voir dans le monde entier, comme vivre sans demander d’argent. » Émile a participé à sa« première manif écolo » le 29 novembre 2015 à la veille de la COP21, pour le climat et contre l’état d’urgence. « Nos parents étaient contre notre venue. Ils m’ont dit : tu vas te faire tuer. » Lui : « Et à moi, ils m’ont dit : tu vas attraper des maladies. » C’est sa première fois sur la ZAD : « On a croisé deux agriculteurs ce matin. S’il n’y avait pas la ZAD, il y aurait des blocs de béton à la place. »
Un groupe de fonctionnaires municipaux venus de Paris foule le sol de la zone pour la première fois, lui aussi : « On manifeste contre la destruction de la planète, contre les intérêts particuliers qui dominent l’intérêt général. » Pour Virginie : « La ZAD, c’est important. C’est une nouvelle appellation. Elle dit la lutte. » Peu après 10 heures, dans une lumière dorée, trois cortèges s’élancent vers le point de ralliement, la ferme de Bellevue, à l’ouest de la zone. Quelques chansons, une batucada, peu de banderoles, quelques slogans (« Ils ont la répression, nous, on a les bâtons », « On va lutter, on va gagner ») et en passant devant un troupeau de vaches : « Ne nous regardez pas, rejoignez-nous ! » L’atmosphère est tranquille. On entend le bruit des bâtons heurtant le sol. Beaucoup de manifestants ont pris le temps de les sculpter : « ZAD vivra », « Non à l’aéroport ». Un chant résonne, sur l’air de « Dansons la Carmagnole » : « Dansons la zadignole / Ils expulsent les paysans, nous expulsons le parlement / Et quand on sera partis, on expulsera Vinci ! »
Parmi les marcheurs, se trouve des militants engagés dans d’autres luttes. Bernard Loup, du collectif pour le triangle de Gonesse, opposé au projet de centre commercial Europa City, en Île-de-France : « Avec Roissy, on a l’expérience de ce qui se passerait après la construction de Notre-Dame-des-Landes : étalement urbain, multiplication de centres commerciaux et d’entrepôts de logistique… tout cela crée une énorme pression foncière. »
Pour Pascoe Sabido, de l’Observatoire des entreprises en Europe (CEO), militant contre les traités TTIP et le CETA : « C’est très important de venir manifester ici. Le lien entre des campagnes contre le libre-échange et l’aéroport, c’est la démocratie : qui décide ? Pour qui et dans quel but ces décisions sont-elles prises ? En 2005, des millions d’Européens ont voté non au TCE, ils n’ont pas été écoutés. En 2016, la consultation sur l’aéroport a été réduite à une échelle favorable au oui. Aucun autre citoyen n’a pu s’exprimer. »
Le « serment du bâton »
Gérard est venu en famille, avec son épouse et ses trois enfants. « On n'habite pas loin, on ne veut pas de cet aéroport. Surtout, on est là aujourd’hui pour montrer qu’on est tous des zadistes. On défendra la ZAD, même si on n’est pas toujours d’accord avec ce qui s’y passe. On a plus de points communs avec les zadistes qu’avec Vinci. » Laurence, étudiante de 23 ans, est venue de Bruxelles : « J’ai envie de venir depuis 2012, là c’était l’occasion. L’énergie ici est dingue, les champs du possible sont grand ouverts. Franchement, à la place du gouvernement français, j’aurais un peu la trouille de voir ce truc qui marche. »
En début d’après-midi, des milliers de personnes se retrouvent sur les 5 hectares du champ de Bellevue où s’alignent un chapiteau, plusieurs échoppes de nourriture ou de boisson à « prix libre », une scène. Des manifestants sont encore sur les chemins, certains n’ont même pas encore quitté les lieux de rendez-vous. Sur la scène principale, toutes les composantes du mouvement prennent la parole. Pour remercier tous ceux qui sont venus « faire entendre le chant de [leurs] bâtons », mais surtout pour « placer la ZAD sous [leur] protection ». L’un d’eux se félicite de voir un « message si puissant, si massif, qu’il portera si fort qu’il éliminera la menace ». Un « serment du bâton » est lu à plusieurs voix. Il se conclut par ces mots : « En ce 8 octobre, nous saisissons nos bâtons, symbole de notre détermination et outil de protection de cette ZAD que nous aimons. En les plantant aujourd’hui, nous scellons dans le sol de Notre-Dame-des-Landes notre serment collectif de revenir, si nécessaire, défendre la ZAD. Nous ne nous soumettons ni à la loi du profit, ni à celle du plus fort : nous sommes là, nous serons là ! » La foule reprend « Nous sommes là, nous serons là », applaudit à tout rompre en frappant les bâtons sur le sol. Suit un message de soutien et de solidarité aux réfugiés de Calais, et un « appel contre les politiques xénophobes et racistes de l’État français ».
Délégué CGT à Vinci, Francis Lemasson prend la parole sur scène : « Ça fait du bien, l’accueil que nous avons eu aujourd’hui. Notre prise de position collective, à la CGT Vinci, est récente, mais c’est une position unanime : nous sommes contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Nous nous mobilisons en tant que syndicat car nous savons comment Vinci fonctionne de l’intérieur : Vinci fait des profits privés avec de l’argent public. Nous avons l’impression de renouer avec l’histoire même de notre syndicat. On nous accuse d’être obsédés par Notre-Dame-des-Landes, mais c’est que c’est un projet exemplaire : exemplaire car c’est un projet crapuleux, exemplaire aussi en ce que la ZAD représente en termes de démocratie et de convergence des luttes. Nous avons beaucoup appris au contact des habitants de la zone. Nous portons ce combat contre Vinci et son monde. Nous avons dit à nos membres de prévenir la ZAD dès qu’on leur demanderait de préparer des travaux sur la zone, nous leur avons aussi expliqué que tout salarié peut refuser de travailler s’il se trouve face à un danger grave et imminent. Or travailler sur la ZAD présente un danger grave et imminent, non ? » La foule applaudit.
Tristan Leroy, de la CGT AGO © Yann Levy / Hans Lucas
La mort de Rémi Fraisse, en 2014 à Sivens, ainsi que les violences policières, pendant le mouvement contre la loi Travail comme dans les quartiers populaires, était aussi au centre des discussions. Amal Bentounsi, du collectif « Urgence, notre police assassine », est également montée sur scène. Une grande bannière avec le nom de victimes de la police a été déployée sur le côté de la scène.
Les manifestants convergent ensuite à l’entrée d’un autre champ pour y planter leur bâton. Certains sont de simples bouts de bois ou de bambou ; d’autres, au contraire, sont décorés, sculptés, peints ou portent des slogans. Très vite, le talus est couvert d’une forêt de piques multicolores. Un peu plus loin, une grande structure en bois est en train d’être construite. Ce « nouveau hangar » a été conçu pendant l’été par « des dizaines de charpentiers et charpentières ». Les trois cortèges ont tous pris un élément sur le chemin pour le rapporter sur le chantier. Toute la journée, une dizaine de personnes s’active pour le monter, sous l’œil de centaines de personnes. Une manifestante, émue par cette œuvre collective de construction, compare la carcasse de bois à une cathédrale. Un groupe masqué d’assiettes en carton scande : « Hangar, debout, soulève toi ! »