Le meeting du candidat communiste à la présidentielle n’a pas encore commencé que l’ambiance est déjà survoltée ce dimanche au parc Chanot, à Marseille. L’enthousiasme parmi les plus de 3 500 participants fait écho à la progression de Fabien Roussel, avec un premier sondage OpinionWay vendredi qui le crédite de 4 % d’intentions de vote. Il y figure à égalité avec Christiane Taubira et l’écologiste Yannick Jadot, devant la socialiste Anne Hidalgo (3 %), mais derrière l’insoumis Jean-Luc Mélenchon (10 %). « Oui, il y a du souffle, ça bouge, nous le sentons tous et nous voyons déjà comment, en quelques semaines, nous avons bousculé le débat », assure, dès son arrivée à la tribune, Fabien Roussel, dont le discours est retransmis en direct sur quatre chaînes télé. Dans l’équipe du candidat communiste, on se réjouit aussi de ce début de dynamique, tout en gardant les pieds sur terre. « On a encore une marge de progression très importante, mais la mayonnaise commence à prendre et c’est évidemment satisfaisant », souligne Ian Brossat, son directeur de campagne. Désormais, l’objectif est clair : « élargir, élargir, élargir ».
Depuis la scène du Palais de l’Europe, Fabien Roussel commence ainsi par un appel : « J’en rencontre tant qui ont renoncé à voter, qui ont voté un jour pour l’un, un jour pour l’autre et qui n’ont plus confiance. Quels qu’aient été vos choix, vous êtes ici les bienvenus pour peu que nous partagions ensemble l’ambition de renouer avec la France des jours heureux » , lance-t-il. Peu après, c’est tout sourires qu’il adresse à la foule : « Le ruissellement de Macron, c’est terminé, ce que je vous propose pour 2022, c’est le “ roussellement” pour irriguer l’économie réelle, lutter contre la vie chère. » Une boutade typique du candidat dont la personnalité n’est pas étrangère à sa dynamique. « Il suscite une proximité, une identification, avec l’idée qu’il nous ressemble, qu’il est sympathique, souriant, spontané », détaille Frédéric Dabi, le directeur général de l’Ifop. Une carte que celui-ci ne manque pas de jouer. « Je suis du Nord, un Ch’ti, je vis dans le bassin minier, tellement meurtri par les fermetures d’usines, toutes ces friches industrielles qui laissent derrière elles leur cortège de chômage et de pauvreté », rappelle le député, promettant de bloquer « toutes les délocalisations pour à chaque fois trouver des solutions », comme de créer « de nouveaux droits au monde du travail ». « Rendre de la dignité aux gens, c’est les faire revenir vers l’emploi. Le revenu universel n’est pas une solution », approuve dans l’auditoire Nicole. « L’approche sociale du PCF peut ramener des gens déçus de la gauche », poursuit l’éducatrice de profession.
D’ailleurs, à deux pas du Stade Vélodrome, la surprise du jour vient des personnalités qui annoncent leur soutien. À commencer par la maire du 1er secteur de Marseille et suppléante de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, Sophie Camard. Ex-insoumis et plus récemment porte-parole d’Arnaud Montebourg, François Cocq prend également la parole, alors que nombre d’anciens militants du champion du made in France ont décidé de se joindre aux communistes. Le chanteur toulousain Magyd Cherfi, l’un des membres de Zebda, joue aussi les guest stars avec un message vidéo, tout comme le ministre espagnol Alberto Garzon.
« notre pays est riche, riche de votre travail »
Dans la salle, ce sont des syndicalistes qui témoignent. À l’instar de Frédérique, une militante CGT arrivée dans l’un des trois bus affrétés depuis le Vaucluse. Elle a réussi à arracher, avec ses camarades, une augmentation de 85 euros après une lutte de douze jours et a décidé de rejoindre le PCF : « La question sociale est centrale ! Malheureusement, la gauche avait arrêté de la porter. La campagne de Fabien Roussel est un point d’appui dans nos luttes. »
Un peu avant le meeting, c’est dans le Journal du dimanche qu’une autre bonne nouvelle attend le prétendant à l’Élysée. Selon un sondage Ifop, avec 47 % (+ 11 points en trois mois), il est le deuxième candidat qui représente le mieux la gauche, talonnant Jean-Luc Mélenchon (51 %). « Il a réussi à se distinguer sur un point fondamental, le sentiment qu’il parle des vrais problèmes », assure Frédéric Dabi. De ce point de vue, la polémique sur « la viande, le vin et le fromage » lui a au final plutôt servi. Et il n’a pas manqué d’y revenir dimanche taclant « ces bien-pensants » qui « ne voient pas toutes ces familles qui vivent à l’euro près ».
Reste que la gauche, à deux mois du premier tour, est en difficulté, avec un plafond à 10 % qu’aucun candidat ne parvient durablement à franchir. « Face à ce socle beaucoup trop faible, notre obsession est de ramener à la gauche des gens qui en sont partis, pour la grande majorité pas pour voter RN mais pour s’abstenir », insiste le directeur de la campagne des Jours heureux. « Qu’importe le résultat, cette campagne construit le présent et l’avenir. Les avancées sociales de ce pays sont conditionnées au poids du PCF », assure aussi Louis, un Marseillais de 29 ans.
Car des points, le candidat est bien décidé à en marquer de nouveaux. « Si la déprime nourrit la déprime, nous, nous disons que l’espoir nourrit l’espoir. Et l’espoir est là, aujourd’hui, dans cette salle », affirme-t-il. Et c’est d’abord sur ce qui fait le cœur de sa campagne que Fabien Roussel entend avant tout jouer le match. « Je veux la France des jours heureux parce que nous savons que notre pays est riche, riche de votre travail, riche à milliards. Et je refuse que des millions d’entre nous vivent aussi mal à côté de tant d’argent », déroule le parlementaire, rappelant les « 137 milliards » qui font de « la France la championne des dividendes ». « Alors je commence par dire où nous allons prendre l’ argent », développe l’élu du Nord, proposant de rétablir et tripler l’ISF, de rendre l’impôt plus progressif, de « priver les fraudeurs fiscaux de leurs droits civiques », ou encore de nationaliser la BNP, la Société générale et Axa. Le tout, pour « s’attaquer au coût du capital », afin de « reprendre le pouvoir sur la finance, (d’) augmenter les dépenses utiles de l’État » mais aussi les salaires. Ce sera « la première mesure que nous mettrons en œuvre, en commençant par le Smic à 1923 euros brut, soit 1 500 euros net », enchaîne-t-il, fustigeant le « gang des arnaqueurs, les Macron, Pécresse, Le Pen et Zemmour, qui prétendent monter les salaires en baissant les cotisations sociales ». Et le député d’embrayer sur le « droit universel à l’emploi » qu’il veut garantir, « alors que tant de besoins demeurent insatisfaits ». « Nous voulons éradiquer le chômage en garantissant à chacun un emploi ou une formation, et un salaire permettant de vivre dignement », assure-t-il avec au programme la semaine de 32 heures et la retraite à 60 ans, mais aussi une « écologie des solutions plutôt que des punitions », ou encore des moyens pour les services publics, de l’école à l’hôpital, à commencer par la création de 500 000 postes.
« On peut bousculer le scénario établi »
« Il a gagné en notoriété et en distinction en abordant les vrais sujets : travail, pouvoir d’achat, vie quotidienne », relève Frédéric Dabi. D’autres sujets, plus sensibles à gauche, comme le nucléaire ou la laïcité – qui a suscité des critiques au sein du PCF notamment du fait de la présence de Caroline Fourest à une initiative de la formation – n’en sont pas moins abordés : « Notre République laïque, qui doit nous permettre de vivre heureux tous ensemble, est régulièrement mise en cause par toutes les formes de fascisme. C’est un vrai combat » pour l’égalité, glisse le candidat. « La France est un pays laïc. Ce qui m’attire chez Fabien Roussel, c’est qu’il parle au monde du travail, et nous défend, qu’importe nos origines », réagit dans les travées du meeting Aziz, 53 ans, syndicaliste CGT.
Désormais, la prochaine étape consiste à « franchir la barre des 5 %, c’est à portée de main dans les prochaines semaines », estime Ian Brossat. « Nous voulons redonner un espoir à la France, et ouvrir un espoir nouveau à gauche pour lui redonner de la force. (…) On peut bousculer le scénario établi », clame à la fin de son discours Fabien Roussel. « On en a encore sous le pied », promet son directeur de campagne. Encore un peu plus de soixante jours pour relever le défi.