La visite à haute valeur médiatique ajoutée de Manuel Valls et Michel Sapin sur le chantier du terminal méthanier de Dunkerque ne remplacera pas les contrôles d’une inspection
du travail défaillante faute de moyens et face à l’explosion du nombre de travailleurs détachés.
Ils sont aujourd’hui en France plus de 220 000, soit 30% de plus qu’en 2012, dix fois plus qu’en 2004. L’opération de déminage de deux ministres du gouvernement – et deux poids lourds, s’il vous plaît – ne concernait pas seulement Dunkerque, mais le débat qui monte en France et en Europe, à l’approche des élections européennes, sur ce qui s’avère être purement et simplement un dumping social faisant bon marché du Code du travail.
C’est aussi, bien entendu, le sens du tapage fait autour du projet d’accord intervenu entre les ministres du Travail européens, censé freiner les abus liés au détachement. Quant à y mettre un terme, c’est une autre paire de manches, et il faut toute la conviction feinte de Michel Sapin pour affirmer qu’il s’agit d’«un progrès majeur pour lutter contre les fraudes», de «la démonstration que l’Europe peut avancer des propositions ambitieuses» et que «la combativité et la fermeté portent leurs fruits». Car, quand bien même certains contrôles çà et là seraient renforcés, quand bien même ils se traduiraient par quelques menus progrès, ils ne régleraient pas la question posée de manière exemplaire, si l’on peut dire, sur le chantier de Dunkerque et du groupe LNG, dont EDF est l’actionnaire majoritaire.
Le député communiste Jacky Hénin la pointait au Parlement européen, rappelant qu’un nouvel appel d’offres était sur le point d’être attribué à une société italienne 25% moins chère, la différence se faisant sur le montant des cotisations sociales. «75% des salariés qui pourraient travailler sur le chantier, disait-il, devraient être ainsi des travailleurs détachés dans une région où le taux de chômage oscille entre 15 et 18%.»
Cette concurrence, poursuivait-il, «ne profite qu’aux affairistes et aux esclavagistes du XXIesiècle». Au rang desquels il faut mettre les grands groupes du BTP, les filières de la restauration, les entreprises publiques et semi-publiques, comme dans le cas de la construction de l’EPR de Flamanville où interviennent une multitude de sous-traitants et où une quarantaine d’accidents du travail n’auraient pas été déclarés…
C’est la logique même du détachement qui est en cause. Détachés, dit-on, oui, de leur famille, de leur région, de leur rattachement à une collectivité sous toutes ses formes, du club sportif au syndicat, de leur citoyenneté, de toutes les solidarités qui se constituent lorsqu’on a un travail, un statut, une vie sociale. Le travailleur détaché, c’est l’homme entièrement réduit à sa force de travail. Le travailleur détaché n’est pas un homme en déplacement, c’est un homme loué et déplacé.
La logique du détachement est celle du capital dans cette Europe libéraleoù le travail et les travailleurs sont des marchandises.
Que Manuel Valls
et Michel Sapin visitent donc tous les chantiers
qu’ils voudront, la question qui nous est posée, c’est celle d’une autre Europe, fondée sur les coopérations et non sur la concurrence, sur l’harmonisation sociale et fiscale, et pas sur le dumping