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15 juillet 2023 6 15 /07 /juillet /2023 06:53
Milan Kundera, la légèreté de l’art du roman - Muriel Steinmetz, L'Humanité, 13 juillet 2023
Milan Kundera, la légèreté de l’art du roman

Disparition Né à Brno, en Tchécoslovaquie, l’écrivain est mort à Paris, à l’âge de 94 ans. Entré de son vivant dans « la Pléiade », il affirmait avec force que pour « être libre et déjouer l’autorité, il faut en rire ».

Publié le
Jeudi 13 juillet 2023

Milan Kundera s’est éteint le 11 juillet, à Paris. Il avait 94 ans. Il a été l’auteur de dix-sept romans mémorables dont, d’abord, La vie est ailleurs (prix Médicis étranger en 1973), la Plaisanterie et l’Insoutenable Légèreté de l’être, en 1984, après quoi il décida de ne plus apparaître dans les ­-médias grand public.

Il naît le 1er avril 1929, à Brno, capitale de la Moravie, en Tchécoslovaquie, à 130 km de Vienne. De la mère, on ne saura pas grand-chose. Le père, Ludvik, élève du compositeur Leos Janacek, est un excellent pianiste, futur recteur de l’Académie de musique de Brno après la guerre. Dans l’appartement de la rue Littré, près de Montparnasse, où Kundera a longtemps vécu avec son épouse Véra, trônaient sur son bureau, outre une photo du grand écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951), son maître en littérature, un portrait de son père et un autre de Janacek. La musique fut pour Milan Kundera un élément capital. Il jouait du piano.

Après ses études secondaires à Brno, il en vient, à partir de 1948, à la littérature et à l’esthétique à Prague et aborde la « théorie du roman », avant de se tourner en cours d’année vers l’audiovisuel, à la Famu, faculté de cinéma. Inscrit au Parti communiste en 1947, il est, depuis ses 16 ans, un militant enthousiaste. Il acquiesce au « coup de Prague » organisé par Moscou. L’année d’avant était sorti son premier texte, dédié à son professeur de piano, Pavel Haas, dont il épousera brièvement la fille. En 1950, en raison d’un acte considéré comme délictueux, il est exclu du Parti communiste. Cela donnera la Plaisanterie, dont Ludvik, le personnage principal, a des ennuis pour avoir écrit « Vive Trotski ! » sur une carte postale.

« Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité »

À la même époque, il rencontre Véra Hrabankova, de six ans sa cadette, qui joue au théâtre avant de devenir une vedette du petit écran. Kundera achève ses études en 1952 et réintègre le Parti en 1956, avant l’exclusion définitive en 1970, à la suite de ses prises de position publiques.

Durant les années 1960, il choisit le roman. Il est un intellectuel encore proche du Parti. Ses premières œuvres littéraires datent de ces années-là. En juin 1967, il inaugure le IVe congrès des écrivains tchécoslovaques. Sa contribution s’intitule : « Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité ». Les écrivains d’alors marquent avec force leur désaccord envers la ligne politique des dirigeants du Parti. Kundera en tête. Il a déjà achevé la Plaisanterie. Le livre est « à l’observation » dans les bureaux de la censure. Contre toute attente, il paraît en avril 1967. L’année suivante, alors que le printemps de Prague bat son plein, Kundera est même distingué par le Parti. À Paris, Gallimard prépare sa traduction pour l’automne 1968. Aragon se charge de la préface, admirative, chaleureuse. Dans cette atmosphère de liberté neuve, Kundera compose Risibles amours, recueil de nouvelles sur les relations intimes sous le prisme d’une parole dysfonctionnelle, sans oublier les questions d’identité et d’authenticité (les faits se changent en leur contraire).

Dans la nuit du 20 au 21 août, les chars soviétiques entrent dans Prague. Après une réhabilitation au sein du Parti au temps de la déstalinisation (1956), il perd son poste d’enseignant. Ses livres, introuvables en librairies, disparaissent des rayons des bibliothèques. Période de vaches maigres, évoquée dans  le Livre du rire et de l’oubli.

Il continue d’écrire et c’est La vie est ailleurs, publié pour la première fois à Paris. Il s’y penche avec ironie sur le « stupide âge lyrique », à travers la figure de Jaromil, jeune poète, son double, qu’il suit de sa naissance jusqu’à sa mort précoce à 20 ans. Jaromil est un Rimbaud pris au piège de la révolution. Ce roman tient lieu de catharsis pour Kundera, qui s’y confronte à son passé de militant et à son être d’artiste. Le couple Véra-Kundera est alors mis sur écoute. Filatures, courriers interceptés, ouverts…

Une méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images

Le 20 juillet 1975, ils quittent la Tchécoslovaquie en Renault 5. Direction la France avec une autorisation de séjour de « 730 jours ». Il a 46 ans. Elle a 39 ans. À l’arrière du véhicule : des caisses de livres, à l’avant, des vinyles. Ils s’installent à Rennes . Kundera y est professeur invité en littérature comparée (son cours porte sur « Kafka, ses interprètes, le roman et l’Europe centrale ») jusqu’en 1979, année où il est élu à l’École des hautes études en sciences sociales et où la nationalité tchécoslovaque lui est ­retirée. Mitterrand lui octroie la nationalité française deux ans plus tard. Il reste sous surveillance de la StB, les services de renseignements tchécoslovaques.

Il s’installe à Paris, rue Littré avec Véra. Il s’épuise à écrire ses cours, phrase par phrase, en français sans pouvoir improviser, ce qu’il aime pourtant. Il enseigne Hermann Broch, Kafka, Musil, Dostoïevski… Il développe et approfondit les idées qui donneront lieu à ses essais sur l’Art du roman puis aux Testaments trahis… La langue française maîtrisée, il se lance dans la correction des traductions de ses livres, tous entièrement revus par ses soins. En 1982, il achève l’Insoutenable Légèreté de l’être. Une adaptation en a été tirée pour le cinéma, réalisée par Philip Kaufman et Jean-Claude Carrière. Il a écrit en 1981 une pièce en trois actes Jacques et son maître en hommage à Diderot, mise en scène par Jacques Lassalle. En 1990, ce sera l’Immortalité, méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images. En 1993, il achève la Lenteur, sa première œuvre écrite en français. Viendront ensuite l’Identité et l’Ignorance.

En mars 2011, Kundera, en deux volumes, est dans « la Pléiade », accédant de son vivant à l’illustre collection. Il avait mis comme condition sine qua non qu’elle ne comporte aucune note, préface, commentaire ni appareil critique. Il a encore écrit la Fête de l’insignifiance. En 2019, l’ambassade de la République tchèque en France lui restituait sa citoyenneté initiale. Il aimait ce vers de son compatriote romantique, le poète Karel Macha (1810-1836) : « Un sourire léger à la bouche, une tristesse profonde au cœur ».

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3 juin 2023 6 03 /06 /juin /2023 13:28
Samedi 10 juin, 11h - en dédicace à la Librairie Les Déferlantes,Camille Damiano et Samir Boukhalfa, auteurs de la BD sur la ligne Morlaix-Roscoff, "Le Fer et la Terre"

Samir Boukhalfa et Camille Damiano, jeunes architectes, auteurs de la BD sur le passé et l'avenir de la ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff, fruit de neuf mois d'enquête - "Le Fer et la Terre" (120 pages, 10€) - imprimée avec l'appui du Collectif pour la ligne Morlaix-Roscoff, seront en dédicace à la librairie Les Déferlantes de Morlaix le samedi 10 juin à partir de 11h.

Avant la rencontre-débat prévue à Saint-Pol-de-Léon, à l'espace Ti Kastellyz, à 14h30 ce même samedi 10 juin.

Venez nombreux vous procurer la bande dessinée dont se sera le premier jour de publication, et la faire dédicacer.

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18 mai 2023 4 18 /05 /mai /2023 06:38
Guy Darol en rencontre le samedi 20 mai 2023 à Dialogues Morlaix pour son dernier roman "Village fantôme"
Guy Darol en rencontre le samedi 20 mai 2023 à Dialogues Morlaix pour son dernier roman "Village fantôme"
Guy Darol crée une forme de géopsychologie sentimentale. "Village Fantôme" est, en effet, un texte qui donne à entendre des lieux qui ne sont plus. L’auteur travaille la langue et ses dérivations, il illumine des dialectes oubliés - c’est bouleversant. Quelque part entre André Hardellet et Eugène Dabit, Guy Darol affronte ses souvenirs avec style. Une lecture immanquable.
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12 mai 2023 5 12 /05 /mai /2023 05:16
Silence dans les champs - Rencontre passionnante avec le journaliste et écrivain Nicolas Legendre sur les impasses systémiques du "modèle agricole breton" à Dialogues Morlaix ce 11 mai
Silence dans les champs - Rencontre passionnante avec le journaliste et écrivain Nicolas Legendre sur les impasses systémiques du "modèle agricole breton" à Dialogues Morlaix ce 11 mai
Silence dans les champs - Rencontre passionnante avec le journaliste et écrivain Nicolas Legendre sur les impasses systémiques du "modèle agricole breton" à Dialogues Morlaix ce 11 mai

Une rencontre passionnante avec Nicolas Legendre sur le "modèle agricole breton" à base d'agrobusiness, de déni de la réalité, de compétition à outrance et de faux-semblants, de souffrances sociales dans le monde agricole, à Dialogues Morlaix ce jeudi 11 mai.

 

Silence dans les champs
« C’est pas la Corse ici. On te tue pas. C’est plus subtil. C’est sournois. La peur… »

Depuis les années 1960, le « système » agro-industriel fait naître des empires transnationaux et des baronnies rurales. Il crée des usines et des emplois. Il entraîne la disparition progressive des paysans, l’asservissement de nombreux salariés de l’agroalimentaire, l’altération des écosystèmes et la généralisation de la nourriture en boîte. Il s’impose au nom de la realpolitik économique et de la foi dans une certaine idée du « progrès ». Il prospère grâce à la bienveillance, l’impuissance ou la lâcheté des autorités. Il engendre ses propres mythes, capables de façonner durablement les mentalités. Il enrichit considérablement une minorité, alors que certains se contentent de survivre grâce aux subventions ou doivent s’estimer heureux parce qu’ils ont un travail. Il fait taire des récalcitrants à coups de menaces, de pressions, d’intimidations, de calomnies ou de sabotages. La violence est son corollaire. Le silence, son assurance-vie. Comment le définir ? « Féodalité », répondent les uns. « Esclavage moderne », disent les autres. « Oligarchie » ou « mafia », jurent certains...
Enquête au long cours jalonnée de témoignages saisissants, Silence dans les champs est une immersion glaçante dans le principal territoire agro-industriel de France : la Bretagne.
  • Paru le 12/04/2023, édition Arthaud, 20€
Silence dans les champs - Rencontre passionnante avec le journaliste et écrivain Nicolas Legendre sur les impasses systémiques du "modèle agricole breton" à Dialogues Morlaix ce 11 mai
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10 mai 2023 3 10 /05 /mai /2023 05:18
Irène Frachon sera à la librairie Livre in Room de Saint-Pol-de-Léon le samedi 13 mai à 18h30 pour une rencontre autour de sa bande dessinée Mediator
Irène Frachon sera à la librairie Livre in Room de Saint-Pol-de-Léon le samedi 13 mai à 18h30 pour une rencontre autour de sa bande dessinée Mediator
// Rencontre //
Irène Frachon sera à la librairie le samedi 13 mai à 18h30 pour une rencontre autour de sa bande dessinée Mediator, un crime chimiquement pur, publiée chez Delcourt.
Retour sur le combat mené par la pneumologue brestoise durant plus de 16 ans sur ce médicament tristement célèbre.
Venez partager un moment privilégié avec Irène Frachon durant 2 heures.
Réservation conseillée.
Interview d'Irène Frachon dans A coeur ouvert, le journal santé du PCF, 1er mai 2023

Interview d'Irène Frachon dans A coeur ouvert, le journal santé du PCF, 1er mai 2023

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19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 06:20
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix

Avec Alain Prigent, historien, ce mardi 18 avril, un très beau Mardi de l'éducation populaire sur l'histoire du PCF dans les années 30 et pendant l'occupation, ainsi que dans les années 50, autour des parcours de Madeleine Marzin, amie de Louis Guilloux et Renée Guilloux, institutrice rouge, résistante communiste, torturée, condamnée a mort, évadée, femme la plus recherchée de France, députée communiste du quartier de Belleville de 1951 a 1958, première présidente femme d'un groupe politique au conseil municipal de Paris (le groupe communiste bien sûr), de Francis Marzin, son frère aîné, responsable régional du PCF breton dans les années 30, qui signait les éditoriaux de la "Bretagne ouvrière, paysanne et maritime", et luttait contre les ventes-saisies de fermes de petits paysans a l'ouest de la Bretagne, mais aussi de Gustave Marzin, résistant communiste déporté, rescapé d'un terrible naufrage à la fin de la guerre, ou deux bateaux remplis de déportés ont été coulés par l'aviation anglaise dans la baie de Lubeck, avec près de 10 000 morts ...

 Une conférence et un livre passionnants...

18 avril 2023 - Mardi de l'éducation populaire avec Alain Prigent sur Madeleine Marzin - les conférences-débat du PCF Morlaix
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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 06:58
Camille Damiano et Samir Boukhalfa ont enquêté pendant neuf mois sur la ligne de chemin de fer Morlaix Roscoff dans le cadre de leurs études en architecture. Le fruit de ces recherches est une BD de 90 pages qui démontre l’intérêt de rouvrir cette ligne et un projet de nouvelle gare à Saint-Pol-de-Léon. (Camille Damiano et Samir Boukhalfa- Photo Le Télégramme)

Camille Damiano et Samir Boukhalfa ont enquêté pendant neuf mois sur la ligne de chemin de fer Morlaix Roscoff dans le cadre de leurs études en architecture. Le fruit de ces recherches est une BD de 90 pages qui démontre l’intérêt de rouvrir cette ligne et un projet de nouvelle gare à Saint-Pol-de-Léon. (Camille Damiano et Samir Boukhalfa- Photo Le Télégramme)

Deux architectes se sont passionnés pour les enjeux de la ligne ferroviaire Morlaix Roscoff et ont travaillé dessus pendant des mois: Camille Damiano et Samir Boukhalfa. Voici un lien pour aller découvrir et lire intégralement et gratuitement (selon leur volonté) leur BD à la fois élégante, pédagogique et très intéressante, qui s'engage pour une relance de la ligne ferroviaire, avec notamment l'enjeu d'un fret ferroviaire à redévelopper et d'un trafic voyageur écologique.
 
Pour lire gratuitement la BD, ouvrez le lien suivant:
 
 
« Le Fer et la Terre » : la BD enquête qui redonne une chance à la ligne Morlaix Roscoff Réservé aux abonnés

  Le Télégramme Gwendal Hameury le 26 février 2023

 

Deux architectes ont enquêté pendant neuf mois sur la ligne Morlaix Roscoff dans le cadre de leurs études. Selon leurs conclusions, publiées sous forme de BD, cette dernière a un avenir.

Ils ne sont pas Bretons. Ni économistes. Et encore moins spécialistes du ferroviaire. Mais leur travail n’en demeure pas moins intéressant. Camille Damiano et Samir Boukhalfa, 24 ans, ont enquêté pendant neuf mois sur la ligne Morlaix Roscoff, dans le cadre de leur dernière année d’étude à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Paris Malaquais. « Notre objectif final était de proposer un projet architectural approfondi, renseignent-ils. Mais dans le cadre de ce travail, lancé après la lecture d’articles du Télégramme sur le sujet, nous nous sommes énormément documentés sur le Haut Léon, son histoire agricole, son passé ferroviaire, son avenir. On s’est pris de passion pour ce territoire où nous avons séjourné deux fois cinq jours ». Le fruit de ces recherches : une BD enquête de 90 pages intitulée « Le Fer et la Terre » (le fret ferroviaire comme outil d’irrigation au service de la transformation d’un territoire agricole), disponible sur Issuu, une plate-forme d‘édition électronique gratuite.

« Un véritable gisement »

À la fois auteurs et illustrateurs de cet ouvrage, Camille Damiano et Samir Boukhalfa arrivent à la conclusion que la ligne Morlaix Roscoff, abandonnée depuis le 3 juin 2018, suite aux pluies d’orage qui avaient emporté une partie des rails au niveau de Sainte-Sève, a un gros potentiel. « Elle a été la ligne de fret la plus rentable de la SNCF de 1957 à 1981. Puis a décliné en raison de la concurrence routière, rappellent-ils. Mais elle reste un véritable gisement. Après le Brexit, la COP26 (à Glasgow, en 2021, NDLR) et à l’heure de l’agrandissement du réseau transeuropéen du transport (RTE-T), la donne pourrait changer ».

« Pris aux tripes par ce sujet », les deux jeunes architectes estiment que le rail doit être la colonne vertébrale du Haut Léon. « Il faut voir le train comme un moyen de mutualiser les ressources, soufflent-ils. Et prendre le fret ferroviaire comme mode premier du transport de marchandises. Mais cette transformation ne peut trouver de réalité qu’avec les acteurs qui façonnent déjà le territoire et son économie. Comme le port de Bloscon ou la Sica ».

« Un travail désintéressé »

C’est justement à Saint-Pol-de-Léon, fief de la Sica, que Camille Damiano et Samir Boukhalfa ont implanté leur projet architectural. Dans l’ancienne gare (où vient de s’installer un bar-restaurant), précisément, qu’ils ont imaginée en grande halle, « histoire de revisiter l’image de ce pays agricole exportateur ». Un endroit qui abriterait à la fois des laboratoires destinés à la recherche sur les semis paysans, mais aussi une gare de fret et une gare voyageurs. « Car le redémarrage du fret relancera le trafic voyageurs. Tous les éléments sont en place pour un fonctionnement différent de ce territoire. C’est ce qu’on a voulu montrer dans cette BD, qui est un condensé de notre enquête. Il nous est apparu que c’était le meilleur moyen de communiquer sur ce sujet complexe ».

Les jeunes architectes ne cherchent pas à monétiser leur travail. Seulement à le rendre accessible au plus grand nombre. « C’est gratuit, désintéressé, argumentent-ils. Notre projet de gare à Saint-Pol-de-Léon est très ambitieux. Il est fait pour rêver et ne verra pas le jour. Ça coûterait bien trop cher. Mais ça n’enlève rien au reste de l’enquête ».

« Nous avons justifié le retour du train »

Cette dernière comporte aussi des annexes. Consacrées à ce projet de gare en lui-même, mais aussi aux chiffres du fret ferroviaire et à l’analyse du rapport Spinetta de 2018. Confier la gestion des petites lignes ferroviaires aux régions, fidéliser le fret et ouvrir à la concurrence faisaient partie des propositions de ce rapport. « Nous sommes allés au fond des choses, concluent Camille Damiano et Samir Boukhalfa. Et nous avons justifié le retour du train entre Morlaix et Roscoff, en expliquant qu’il y avait des moyens pour le financer. Cette ligne a un avenir ».

Ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff, pourquoi la relancer - Lisez gratuitement en ligne la Bande dessinée enquête sur la ligne Morlaix-Roscoff des architectes Camille Damiano et Samir Boukhalfa
Ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff, pourquoi la relancer - Lisez gratuitement en ligne la Bande dessinée enquête sur la ligne Morlaix-Roscoff des architectes Camille Damiano et Samir Boukhalfa
Ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff, pourquoi la relancer - Lisez gratuitement en ligne la Bande dessinée enquête sur la ligne Morlaix-Roscoff des architectes Camille Damiano et Samir Boukhalfa
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5 avril 2023 3 05 /04 /avril /2023 06:56
Note de lecture - Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub
Beyrouth-sur-Seine est un roman autobiographique de Sabyl Ghoussoub qui a reçu le prix Goncourt des Lycéens 2022, une exploration temporelle et géographique, des années 1960 à 2020.
 
Des allers-retours entre Paris où sont exilés ses parents libanais depuis la fin des années 70 et le Liban où la guerre fait rage dans les années 1970 et 1980, où la famille se partage entre des oncles communistes et combattant au côté de la gauche et des Palestiniens dans la guerre civile, et des oncles phalangistes combattant avec la droite chrétienne, Moscou, où va étudier un des oncles communistes.
 
La lourdeur de l'héritage, la complexité et les contradictions de la situation politique et de l'histoire libanaise sont amenés avec beaucoup de subtilité dans une écriture fluide et proche de la vie et de l'humain procédant par allusions, évocations par petites touches, avec une tendresse qui ne tombe jamais dans la sensiblerie, qui restitue l'élégance, l'étrangeté, et la singularité irréductible des êtres.
 
Un récit lumineux, facile à lire, plein d'empathie et d'humour, sur une guerre atroce, les paradoxes de l'exil et de la gauche libanaise, qui revient aussi sur les attentats et attaques à Paris dans les années 80 qui ont prolongé cette guerre du Proche-Orient aux imbrications et instrumentalisations si complexes entre la Syrie, l'Iran, Israël, les États-Unis, l'Irak, la France, les Palestiniens.
 
Ismaël Dupont, 3 avril 2023
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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 05:57
Note de lecture - Les communistes et l'Algérie. Des origines à l'indépendance, 1920-1962. Par Alain Ruscio (La découverte)
Une synthèse historique qui prend son temps et traite cette question en profondeur, avec un vrai travail sur les archives, et un temps pris pour parler des femmes et des hommes acteurs de l'histoire, des dirigeants politiques aux simples militants.
Alain Ruscio était déjà l'auteur d'une biographie remarquable d'Ho Chi Minh - Ho Chi Minh, écrits et combats (Temps des Cerises, 2019).
Dans ce livre de référence de 550 pages, sans les notes (très intéressantes elles aussi), l'historien revient sur la rupture qu'opère l'apparition du PCF et l'influence de l'Internationale communiste sous l'influence anti-colonialiste et anti-impérialiste de Lénine avec une certaine complaisance paternaliste de la gauche française (un certain socialisme) avec un colonialisme prétendument civilisateur.
A l'inverse, dans les années, le jeune PCF s'engage avec les colonisés et les opprimés, vietnamiens, africains, nord-africains. C'est l'époque où Ho Chi Minh adhère au PCF, comme d'autres futurs grands dirigeants indépendantistes comme Messali Hadj. "L'Humanité n'hésite pas à publier des documents horribles pendant la guerre du Rif, telle cette photo en une de soldats français souriants, exhibant des têtes de rebelles coupées". C'est sur ces bases anticolonialistes que de grands intellectuels et artistes d'avant-garde vont rejoindre le PCF, Aragon, Breton, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Michel Leiris, Benjamin Péret, Philippe Soupault, rejoignent le PCF.
Dès le printemps 1922 Paul Vaillant-Couturier voyage en Algérie et en tire des idées nuancées sur l’Islam et la culture de l’Algérie, dénonce l’esprit raciste et colonialiste qui règne en Algérie, y compris chez les ouvriers d’origine européenne.
Au début des années 20, le PCF présente des travailleurs immigrés aux élections en région parisienne : le communiste Abdelkader Hadj Ali échoue de 20 voix à être élu à Paris. Le Sénégalais Lamine Senghor est présenté aux municipales dans le quartier de la Salpétrière.
C’est une époque où des élus sont arrêtés pour opposition à la guerre coloniale du Maroc : Thorez condamné à 14 mois de prison, en 1925, avec 257 militants, la plupart communistes, mais aussi quelques anarchistes. Le PCF est le seul parti en France qui axe sa propagande sur l’exigence de l’indépendance des pays colonisés. Le secrétaire national Pierre Sémard écrit dans L’Humanité le 20 août 1925 : « La paix dans l’Afrique du Nord, la seule qui soit durable, ne s’obtiendra que par l’octroi de l’indépendance complète aux peuples coloniaux opprimés. Si l’impérialisme français et les autres ne s’accordent pas sur cette indépendance de bon gré, les peuples coloniaux la conquerront par la force ».
En 1926, l’Etoile Nord Africaine, organisation et société d’aide mutuelle d’immigrés coloniaux nord-africains, est créée avec l’appui du PCF. Ce sera un des creusets du futur mouvement nationaliste.
En 1931, le PCF organise avec la CGTU une contre-exposition coloniale, place du Combat, devenue depuis place du Colonel Fabien, où se tient le siège du PCF.
Quant au Parti communiste algérien, dès 1925, il se positionne pour l’unité inter-confessionnelle et ethnique des exploités, et la libération des peuples opprimés des colonies. Les Algériens d’origine « musulmane » y adhèrent. Le parti communiste algérien s’« arabise » progressivement.
La logique de Front Populaire et de compromis avec la gauche classique, socialiste et radicale, souvent complaisante avec les logiques coloniales, va modérer le discours du PCF et ses revendications sur la question coloniale.
1936 est aussi le retour du drapeau tricolore, de la nation, des thématiques d'union nationale, de la Marseillaise, dans le discours et les symboles du PCF. Conjurer le danger fasciste devient plus important sur le moment que pousser les feux de la révolution.
En octobre 1936, le PCA d’autonomise, selon une volonté de l’Internationale communiste. Le PCF défend des réformes démocratiques en Algérie, l’égalité des droits, mais plus l’indépendance en tant que telle. Camus sera adhérent au Parti communiste de août 1935 à 1937.
Après la seconde guerre mondiale, la Libération est synonyme pour l’Algérie de reprise en main ultra-violente du système colonial, avec l’écrasement féroce de la « révolte » de Sétif.
Le PCF est membre du gouvernement et s’il cherche à établir la vérité sur les responsabilités et dénonce les massacres du Constantinois dans L’Humanité, avec une ambiguïté maintenue sur les responsabilités, il ne quitte pas le gouvernement pour autant et garde une forme d'adhésion de facade au discours de l'union française librement consentie portée par le CNR.
A la fin des années 40 et au début des années 50, le PCA est plus avancé que le PCF pour défendre une perspective d’indépendance. Ses effectifs atteignent 15 000 membres en 1950. Il contrôle des journaux indépendants et critiques de l’exploitation coloniale (« Alger Républicain », dirigé par Boualem Khalfa, « Liberté »). Son bureau politique est composé d’européens comme d’arabes et de berbères culturellement musulmans. A la veille de la guerre d’indépendance, le PCA compte 60 % de musulmans et c’est la deuxième force politique chez les musulmans derrière le PPA-MTLD de Messali Hadj. Des grands écrivains comme Kateb Yacine et Mohamed Dib se rapprochent du PCA et écrivent dans « Alger Républicain ». La CGT algérienne a la même politique d’intégration des exploités coloniaux et est en pointe des grands combats internationalistes, notamment contre la guerre d’Indochine.
Alain Ruscio décrit aussi à merveille l’état de la société française et sa relation à l’Algérie, la production de cet imaginaire colonial et son existence plus ou moins affirmée selon les secteurs de la population.
Il explore aussi les évolutions, les affrontements de tendance et d'analyses, les hésitations et les oscillations, sur la question algérienne, à l'intérieur du PCF et du PCA, se gardant bien de tomber ni dans l'hagiographie, ni dans une histoire inquisitoriale, et faisant la part des circonstances et du contexte.
Dans les années 50, "L'Humanité" est le seul grand journal français à faire état sans fard de la violence de l'exploitation et de la répression coloniale en Algérie, des tortures policières. Le PCF est à l'origine d'une expérience militante originale: l'envoi en Algérie de deux peintres, tous deux anciens résistants, Boris Taslitzky, rescapé de Buchenwald, et Mireille Miailhe, témoigner en un ouvrage d'art de la détresse matérielle d'une large part de la population algérienne en même temps que de la combativité maintenue de certains groupes sociaux comme les dockers et les travailleurs agricoles et pour dénoncer de la répression coloniale.
Au début de la guerre, ce sera l'Humanité qui qualifiera la première les "évènements" d'Algérie pour ceux qu'ils sont, une véritable guerre, et menée contre les civils, avec une succession d'articles coups de poing de l'ancienne résistante et députée landernéenne Marie Lambert et Madeleine Riffaud dénonçant les exactions de l'armée française. "L'Humanité" sera d'ailleurs censurée à plusieurs reprises pendant la guerre d'Algérie.
Au début des années 50, les communistes algériens soutiennent les volontés d’indépendance au Maroc et en Tunisie. Néanmoins, les relations du PCA avec le nationalisme indépendantiste algérien à la référence dominante islamique sont marquées par la méfiance à la veille du 1er novembre 1954, début de la guerre d’Algérie.
Partisan d'une politique de front unique anti-impérialiste et anti-colonial depuis 1950, à partir de 1955, les communistes algériens vont soutenir l’insurrection, sommés par le FLN de choisir leur camp définitivement. De nombreux militants, et parmi plusieurs « européens », plusieurs militants communistes juifs, vont rejoindre les maquis indépendantistes, livrer des armes et des colis. Les militants communistes sont alors persécutés et poursuivis par l’armée et la police coloniales au même titre que les nationalistes algériens. Les journaux communistes sont interdits, les journalistes arrêtés et torturés, comme Henri Alleg. Une centaine de militants communistes « non-musulmans », européens et juifs, au moins ont combattu avec les Algériens indépendantistes, beaucoup y perdant leur vie, certains tués par des chefs de maquis FLN sectaires, d’autres étant emprisonnés pendant de longues années et torturés. Certains militants, comme Fernand Iveton, sont exécutés, avec un refus de grâce à l’époque de Mitterrand, ministre de la justice.
Pendant ce temps là, sans encourager la désertion pour ne pas se couper des masses, le PCF milite pour la paix et la négociation en Algérie, pour aller vers l’indépendance.
En 1956, avec son soutien au gouvernement de Guy Mollet et au retour de la gauche au pouvoir, gouvernement qui vite décevoir les promesses de paix et de négociation en Algérie, avec le durcissement de la guerre, la position du PCF va être de plus en plus équilibriste et difficile à tenir, avec notamment le vote des pouvoirs spéciaux par les députés communistes en mars 56, provoquant un malaise au sein du PCF. La répression de l'insurrection de Budapest et l’opposition du PCF à l’agression de l’Égypte nassérienne après la nationalisation du canal de Suez vont isoler encore plus le PCF dans un retour de logiques de guerre froide, ce qui va amener les communistes à être progressivement de plus en plus ouvertement critiques vis-à-vis du gouvernement, de la politique de guerre, et des violations des droits humains et libertés en Algérie et en Métropole, comme dans l’affaire de l’arrestation, de la torture et de la disparition du brillant mathématicien communiste Maurice Audin, membre du PCA, agent de liaison, ou de la publication du livre brûlot d’Henri Alleg sur « La Torture ».
 
En revanche l’appareil du PCF, qui au départ soutenait en sous-main le ralentissement et le blocage des convois d'appelés, n’encourage pas non plus les logiques de désertion, de sabotage, de refus net d’engagement, ni de soutien militaire à la rébellion même si certains militants communistes y participent, et alors même que les militants communistes algériens, et parfois aussi des communistes français séjournant en Algérie, soutiennent complètement le FLN et la révolution algérienne.
 
La position du PCF va se renforcer et se clarifier au moment où de Gaulle engage une voie de discussion pour l’indépendance, s’exposant une tentative de coup d’État qui va amener le PCF à engager tout son poids pour la paix en Algérie, contre l'OAS, contre la dérive factieuse d’une partie des officiers, tandis que son influence sur de nombreux appelés explique peut-être le refus de suivre les militaires félons.
 
Auparavant, politiquement, les communistes vont perdre du poids et des positions électorales avec la logique plébiscitaire que De Gaulle a réussi à mettre en place et leur échec à faire obstacle à l'installation d'une Ve République monarchiste avec les autres forces de la IVe République, du centre et du centre-gauche.
 
Au début des années 60, le PCF malgré des positions parfois équilibristes et contorsionnistes, pour ne pas dire pleines de contradictions, sur la guerre en Algérie, va être porté et renforcé par l’exigence du retrait des troupes et de la paix qui montent dans l’opinion, qu’il exprime avec force, défendant l’autodétermination de l’Algérie, la négociation et la paix immédiate.
 
On ne peut qu’encourager la lecture de ce livre d'une immense richesse, facile et agréable à lire et particulièrement éclairant, fruit d’un travail de recherche et de synthèse monumental !
 
Ismaël Dupont - 3 avril 2023
 
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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 07:00
Kateb Yacine n’a cessé d’écrire, amassant au fil de ses pérégrinations des documents, multipliant les rencontres, les expériences. Ici, vers 1965.- Photo publiée dans l'Humanité

Kateb Yacine n’a cessé d’écrire, amassant au fil de ses pérégrinations des documents, multipliant les rencontres, les expériences. Ici, vers 1965.- Photo publiée dans l'Humanité

Communist'Art: Kateb Yacine
 
 Kateb Yacine naît en 1929 à Constantine.
Il est issu d'une famille chaouie originaire des Aurès. Son grand-père maternel est juge suppléant du cadi, à Condé Smendou, son père est avocat et sa famille le suit dans ses mutations successives.
Le jeune Kateb (nom qui signifie « écrivain» en arabe) entre en 1934 à l'école coranique de Sedrata, et en 1935 à l'école française à Lafayette (aujourd'hui Bougaa en Petite Kabylie, actuelle wilaya de Sétif), où sa famille s'est installée, puis en 1941, comme interne, au lycée de Sétif : le lycée Albertini.
Kateb Yacine se trouve en classe de troisième quand éclatent les manifestations du 8 mai 1945, auxquelles il participe et qui s'achèvent sur le massacre de plusieurs dizaines de milliers d'Algériens par la police, l'armée françaises et des milices.
Quatorze membres de sa famille sont tués au cours du massacre. Trois jours plus tard, il est arrêté et détenu durant deux mois. Il est définitivement acquis à la cause nationale, tandis qu'il voit sa mère « devenir folle ».
 
Il dira: «Je suis né quand j’avais seize ans, le 8 mai 1945. Puis, je fus tué fictivement, les yeux ouverts, auprès de vrais cadavres et loin de ma mère qui s’est enfuie pour se cacher, sans retour, dans une cellule d’hôpital psychiatrique. Elle vivait dans une parenthèse, qui, jamais plus, ne s’ouvrira. Ma mère, lumière voilée, perdue dans l’infini de son silence»
 
Exclu du lycée, traversant une période d'abattement, plongé dans Baudelaire et Lautréamont, son père l'envoie au lycée de Bône.
Il y rencontre Nedjma (l'étoile), « cousine déjà mariée », avec qui il vit « peut-être huit mois », confiera-t-il,et y publie en 1946 son premier recueil de poèmes.
Il se politise et commence à faire des conférences sous l'égide du Parti du peuple algérien, le parti nationaliste de masse de l'époque.
En 1947, Kateb arrive à Paris, « dans la gueule du loup ». Il prononce en mai, à la Salle des Sociétés savantes, une conférence sur l'émir Abdelkader et adhère au Parti communiste algérien.
Au cours d'un deuxième voyage en France métropolitaine, il publie l'année suivante Nedjma ou le Poème ou le Couteau (« embryon de ce qui allait suivre ») dans la revue Le Mercure de France.
Journaliste au quotidien communiste de rassemblement "Alger républicain"  entre 1949 et 1951, son premier grand reportage a lieu en Arabie saoudite et au Soudan (Khartoum).
À son retour, il publie notamment, sous le pseudonyme de Saïd Lamri, un article dénonçant l'« escroquerie » du lieu saint de La Mecque.
Après la mort de son père, survenue en 1950, Kateb devient docker à Alger, en 1952. Puis il s'installe à Paris jusqu'en 1959, où il travaille avec Malek Haddad, se lie avec M'hamed Issiakhem, Armand Gatti et, en 1954, s'entretient longuement avec Bertolt Brecht, dialogue avec Cesaire, Glissant.
En 1954, la revue Esprit publie « Le Cadavre encerclé » qui est mis en scène par Jean-Marie Serreau, mais interdit en France.
Son chef d’œuvre, Nedjma paraît en 1957 (et Kateb se souviendra de la réflexion d'un lecteur : « C'est trop compliqué, ça. En Algérie vous avez de si jolis moutons, pourquoi vous ne parlez pas de moutons ? »).
Nedjma, c’est à la fois la femme et l’Algérie, l’incarnation de la résistance à toutes les oppressions. Nedjma lui confère une place singulière dans la littérature, le propulse au premier rang, le consacre comme l’écrivain de la littérature moderne algérienne. Avant lui, Mammeri, Feraoun, ­Mohamed Dib, Malek Haddad avaient entrouvert la porte. Kateb la pousse définitivement.

Et la figure de Nedjma fera des apparitions récurrentes dans son œuvre, fantôme incarné qui franchit le temps et l’espace, toujours là avec, à ses côtés, ­Lakhdar et Mohamed.

En 1958, le metteur en scène et ami Jean-Marie Serreau monte le Cadavre encerclé, de Kateb. Cela fait quatre ans que l’Algérie est le théâtre d’une guerre sans nom. Les autorités françaises interdisent la pièce. Elle se jouera au Théâtre Molière, à Bruxelles, dans un climat de grande tension. Dans la distribution, Serreau, mais aussi José Valverde, Edwine Moatti, Paul Crauchet ou encore Antoine Vitez.

Durant la guerre d'Algérie, Kateb, harcelé par la Direction de la surveillance du territoire, connaît une longue errance, invité comme écrivain ou subsistant à l'aide d'éventuels petits métiers, en France, Belgique, Allemagne, Italie, Yougoslavie et Union soviétique.
En 1962, après un séjour au Caire, Kateb est de retour en Algérie peu après les fêtes de l'Indépendance.
Il reprend sa collaboration à "Alger républicain", mais il effectue entre 1963 et 1967 de nombreux séjours à Moscou, en Allemagne et en France tandis que "La Femme sauvage", qu'il écrit entre 1954 et 1959, est représentée à Paris en 1963.
Il publie en 1964 dans "Alger républicain" six textes sur "Nos frères les Indiens" et raconte dans Jeune Afrique sa rencontre avec Jean-Paul Sartre, tandis que sa mère est internée à l'hôpital psychiatrique de Blida (« La Rose de Blida », dans Révolution Africaine, juillet 1965). En 1967, il part pour le Vietnam, abandonne complètement la forme romanesque et écrit "L'Homme aux sandales de caoutchouc".
Lorsqu’il décide de rester plus durablement en Algérie, en 1970, il abandonne l’écriture en français et se lance dans une expérience théâtrale en langue dialectale dont Mohamed, prends ta valise, sa pièce culte, donnera le ton. Fondateur de l’Action culturelle des travailleurs (ACT), il joue dans les lieux les plus reculés et improbables, usines, casernes, hangars, stades, places publiques... avec des moyens très simples et minimalistes — les comédiens s’habillent sur scène et interprètent plusieurs personnages —, le chant et la musique constituant des éléments de rythme et de respiration.
« Lorsque j’écrivais des romans ou de la poésie, je me sentais frustré parce que je ne pouvais toucher que quelques dizaines de milliers de francophones, tandis qu’au théâtre nous avons touché en cinq ans près d’un million de spectateurs. (...) Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple ; je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier, même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes. Il faut faire une véritable révolution culturelle. »
L’engagement politique de Kateb détermina fondamentalement ses choix esthétiques : « Notre théâtre est un théâtre de combat ; dans la lutte des classes, on ne choisit pas son arme. Le théâtre est la nôtre. Il ne peut pas être discours, nous vivons devant le peuple ce qu’il a vécu, nous brassons mille expériences en une seule, nous poussons plus loin et c’est tout. Nous sommes des apprentis de la vie . » Pour lui, seule la poésie peut en rendre compte ; elle est le centre de toutes choses, il la juge « vraiment essentielle dans l’expression de l’homme ». Avec ses images et ses symboles, elle ouvre une autre dimension. « Ce n’est plus l’abstraction désespérante d’une poésie repliée sur elle-même, réduite à l’impuissance, mais tout à fait le contraire (...). J’ai en tous les cas confiance dans [son] pouvoir explosif, autant que dans les moyens conscients du théâtre, du langage contrôlé, bien manié »
Un « pouvoir explosif » qu’il utilisera dans "Le Cadavre encerclé", où la journée meurtrière du 8 mai 1945, avec le saccage des trois villes de l’Est algérien, Guelma, Kherrata et Sétif, par les forces coloniales, est au cœur du récit faisant le lien entre histoire personnelle et collective.
Kateb Yacine a fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme mais aussi de la dictature post-indépendance qui n’a cessé de spolier le peuple. Dénonçant violemment le fanatisme arabo-islamiste, il luttait sur tous les fronts et disait qu’il fallait «révolutionner la révolution ».
S’il considérait le français comme un « butin de guerre », il s’est aussi élevé contre la politique d’arabisation et revendiquait l’arabe dialectal et le tamazight (berbère) comme langues nationales. Surnommant les islamo-conservateurs les « Frères monuments », il appelait à l’émancipation des femmes, pour lui actrices et porteuses de l’histoire : « La question des femmes algériennes dans l’histoire m’a toujours frappé. Depuis mon plus jeune âge, elle m’a semblé primordiale. Tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai fait jusqu’à présent a toujours eu pour source première ma mère (...). S’agissant notamment de la langue, s’agissant de l’éveil d’une conscience, c’est la mère qui fait prononcer les premiers mots à l’enfant, c’est elle qui construit son monde »
L’éventail et la radicalité de sa critique lui ont valu autant de passions que d’inimitiés.
En 1986 il livre un extrait d'une pièce sur Nelson Mandela, et reçoit en 1987 en France le Grand prix national des Lettres.
Dans la perspective du bicentenaire de la Révolution française, on lui commande une pièce. Il écrit le Bourgeois sans-culotte ou le Spectre du parc Monceau. Elle est jouée en 1984 à Arras, puis en 1988 au Festival d’Avignon. Il faut lire et relire cette pièce. C’est une sorte de grand embrasement révolutionnaire de 1789 aux luttes pour l’indépendance. Les terroristes – tels que les qualifiaient les royalistes, les pétainistes et les nazis, les défenseurs de l’Empire colonial français – sont des révolutionnaires. Kateb prend le contre-pied des thèses en vogue d’un Furet, qui s’acharne à détruire la figure de Robespierre. Pour lui, les révolutionnaires de 1789 sont les ancêtres des indépendantistes algériens : « Le préfet de police Papon achève l’œuvre de La Fayette. À Charonne comme au Champ-de-Mars, la police française a tué des Français. (…) Cinq cent mille Parisiens ont assisté à l’enterrement des neuf morts de Charonne. La France de la Révolution vient de se reconnaître dans l’Algérie indépendante. »

« Notre théâtre, confiait-il en 1975 à Colette Godard dans le Monde, est de combat. (…) Nous défendons, nous attaquons, c’est une forme d’action politique dans la ligne de la Révolution.(…) Nous ne faisons peut-être pas du théâtre, mais nous créons le débat idéologique sans lequel toute révolution n’est qu’un exercice militaire. » Kateb ne cède rien, ni aux sirènes de la gloire, ni au confort d’une reconnaissance réelle, ni au public qu’il bouscule dans ses retranchements : « Il faut le harceler, ne pas le laisser reprendre son souffle. Le vrai théâtre est un combat pour le public et contre lui », dira-t-il.

Son théâtre est aussi subversif par sa langue : indisciplinée, rugueuse, joyeuse. Le lire et le relire aujourd’hui est à la fois vertigineux et salutaire. Comme un Gatti, un Benedetto, ses écrits sont à redécouvrir. Il serait temps de retourner à ces création denses, d’oser les remettre sur le métier. À Paris, un square dans le 13e arrondissement porte son nom. À Grenoble, une bibliothèque. Le théâtre de Tizi Ouzou. C’est peu au regard de l’immensité de son talent, de son engagement. On ne connaît pas la date de naissance exacte de Kateb Yacine. On est sûr qu’il est mort le 28 octobre 1989. Laissant une œuvre inachevée qui respire encore…

Il est enterré au cimetière d'Al Alia à Alger.
 
Source: Wikipedia, article de Marina Da Silva dans Le Monde Diplomatique, article de Marie-José Sirach dans L'Humanité
LES FOURMIS ROUGES -
Kateb Yacine (1929-1989)
 
Fallait pas partir.
Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté.
Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête.
Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.
Fallait rester au collège, au poste.
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s'étaient groupés.
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas.
Y avait plus ni principal ni pions.
L'odeur des cuisines n'arrivait plus.
Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.
Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !
Les manifestants s'étaient volatilisés.
le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.
J'ai caché la Vie d'Abdelkader .
J'ai ressenti la force des idées.
J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...
La respiration de l'Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l'Algérie elle même est devenue...
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les enterrés dans la rivière.
J'ai tracé sur le sable un plan...
Un plan de manifestation future.
Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.
je me battrai avec du sable et de l'eau.
De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu'il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...
Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.
Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.
Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.
Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.
Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant
mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
 
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