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Emmanuel Macron et son Gouvernement viennent de prendre la décision de réduire de 5€ toutes les aides au logement à compter du 1er octobre. 6,5 millions de foyers sont touchés, dont une majorité qui vit sous le seuil de pauvreté.
Le Parti communiste français s'oppose avec fermeté à cette baisse des aides personnelles au logement et propose une politique de logement pour tous ambitieuse et solidaire.
Pour les ménages les plus fragiles, les aides au logement représentent jusqu’à un cinquième de leur niveau de vie ! 5€ par mois, 60€ par an, c’est une perte de pouvoir d’achat importante pour les étudiants, les salariés précaires, les privés d’emploi, les retraités, les familles monoparentales.Baisser les aides, c’est diminuer le niveau de vie de milliers de familles. C’est augmenter les risques d’impayés de loyer et les expulsions locatives. C’est empêcher certains de se soigner ou de partir en vacances.
Tout cela au nom de prétendues « économies budgétaires »... C’est une manipulation grossière : Macron et son gouvernement ont décidé d’offrir 3 milliards d’euros aux plus fortunés à travers la réforme de l’ISF. Si on trouve des milliards à donner aux riches, pourquoi réduit-on les ressources des plus modestes ?
De l’argent, il y en a
En 2016, les 500 plus gros milliardaires Français ont vu leur fortune augmenter jusqu’à atteindre aujourd’hui près de 600 milliards d’euros, un record. L’évasion fiscale des grandes entreprises et des grandes fortunes représente un coût gigantesque pour l’État. Mais Emmanuel Macron et Edouard Philippe ne font rien pour récupérer ces sommes qui fuient vers les paradis fiscaux.
En finir avec le mal-logement
Pour aider les Français à se loger, ce ne sont pas les APL qu’il faut réduire mais les loyers exorbitants. Il faut généraliser et renforcer l’encadrement des loyers et construire massivement des logements sociaux dans les zones où il y en a le plus besoin. Cela nécessite de mobiliser des financements, de renforcer les obligations des maires et les sanctions pour les communes récalcitrantes. Tous les territoires doivent prendre part à l’effort pour en finir avec le mal-logement !
La baisse des aides personnelles au logement de 5 euros au 1er octobre a relancé la polémique sur l'efficacité de ces aides. Leurs contempteurs les trouvent inflationnistes et inefficaces. Mais les APL n'ont pas que des défauts et les réduire sans politique alternative relève de l'inconscience
Feu sur les aides personnelles au logement (APL) ! La décision du gouvernement de couper de 5 euros par mois les APL (et les autres aides personnelles au logement) à partir du 1er octobre a lancé à nouveau la polémique sur leur efficacité. Ces critiques sont récurrentes depuis plusieurs années, notamment à l’initiative de la Cour des comptes qui, en 2015, avait remis un rapport très négatif au Sénat sur le sujet, rapport qu’elle cite à nouveau dans son audit sur les finances publiques transmis le 29 juin dernier au premier ministre. Ces critiques se divisent en deux accusations majeures : le caractère coûteux et inefficace des APL. Qu’en est-il vraiment ?
Certes, les aides personnelles au logement coûtent cher au budget de l’État. En 2016, leur montant a avoisiné les 17,7 milliards d’euros, soit 43,2 % de l’ensemble des dépenses publiques consacrées au logement (41 milliards d’euros). Cette masse importante place ces aides directement dans le viseur d’un gouvernement qui semble entièrement concentré sur la baisse des dépenses publiques. Du reste, dès jeudi, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, avait prévenu que l’action de l’exécutif portera dans les prochains mois « sur l'amélioration de l'efficacité des politiques du logement, de formation professionnelle et d'intervention sociale ». Les APL, à la confluence des politiques du logement et de l’intervention sociale, étaient donc naturellement visées. Et cette baisse de 5 euros pourrait donc n’être qu’un premier pas.
Évolution des mesures d'aides au logement © Commissariat général au développement durable, compte du logement 2016
Le coût des APL est souvent jugé explosif. La Cour des comptes évoque une « inflation des coûts ». Et en effet, en volume, les dépenses liées aux APL ont augmenté de 25 % depuis 1994 avec une progression de 10 % des bénéficiaires. Mais ces chiffres doivent être relativisés. D’abord, ils ont accompagné la croissance équivalente de l’économie. Ensuite, comme le souligne sur son blog hébergé par Alternative économiques l’économiste de l’OFCE Pierre Madec, la France ne fait plus figure d’exception. Avec moins de 1 % du PIB consacré aux APL, la France est très en deçà de la politique britannique, pourtant parcimonieuse, qui y consacre 1,5 % du PIB et proche de celle du Danemark (0,8 % du PIB). Certes, on est loin de l’Allemagne et de l’Espagne, avec 0,5 % du PIB, mais ces deux pays ont des structures assez différentes de celles de la France. Outre-Rhin, le parc locatif privé est pratiquement deux fois plus important qu’en France et en Espagne, la priorité est donnée à l’accès à la propriété (avec des conséquences parfois désastreuses). Dans les deux cas, la démographie est moins dynamique qu’en France.
Certes, la politique du logement participe à hauteur de 0,5 point de PIB à l’écart de dépenses publiques entre la France et la zone euro, selon la Cour des comptes. Mais cet écart n’est d’abord qu’une faible part de l’ensemble de l’écart (5,9 % des 8,5 points de PIB d’écart) et il peut aisément s’expliquer par la situation démographique française, très différente de celle de la moyenne de la zone euro, ainsi que par les structures du marché du logement en France (concentrations métropolitaines, pénuries de logement, faiblesse du parc locatif privé). La contribution des APL à cet écart est donc réduite, et justifiable.
Ensuite, comme on l’a vu, le coût des APL rapporté à la richesse nationale est stable depuis plus de 20 ans. Cela signifie qu’il n’y a pas « d’inflation » de la dépense comme l’avance l’institution de la rue Cambon. Si la dépense publique progresse en regard du PIB, elle ne le doit pas aux APL. Or cela représente un réel problème puisque, parallèlement, depuis 1994, les dépenses de logement des ménages ont progressé de deux points de PIB. Ce qui signifie très simplement que l’État a d’ores et déjà choisi de contrôler ses dépenses en laissant aux ménages locataires le poids de l’augmentation de la hausse des loyers depuis 1994. Un choix qui s’est fait par une sous-estimation des loyers dits plafonds utilisés pour le calcul des prestations. Pierre Madec souligne ainsi qu’entre 2000 et 2010, le loyer moyen des allocataires a progressé de 32,3 % alors que les loyers-plafonds ont progressé de 16,3 % seulement. Bref, il n’y a pas « d’explosion » du coût des APL. Selon le rapport de la commission des comptes du logement, le mouvement s’est même accentué en 2016. En revanche, les aides personnelles au logement représentent une dépense importante en volume, et c'est ce qui suscite l’intérêt de ceux qui veulent trancher dans le vif des dépenses publiques.
Aussi ces derniers avancent-ils l’argument d’inefficacité des APL, qui imposerait de cesser de dépenser rapidement ces 17,7 milliards d’euros. Pour ce faire, trois arguments sont formulés : celui des difficultés persistantes de la situation du logement en France malgré les APL, celui de l’effet inflationniste de ces prestations sur les prix et celui de la captation de ces aides par les bailleurs. Chacun de ces trois arguments repose sur un des classiques de ce que le sociologue et économiste étasunien Albert Hirschmann appelait la « rhétorique réactionnaire », et plus précisément « l’effet pervers ». Selon ce discours, le remède serait pire que le mal. En tentant de donner accès aux logements aux plus fragiles par les APL, on les en priverait. Conclusion : il faudrait donc supprimer le remède. La critique des aides personnelles au logement fonctionne sur ce ressort.
Mais qu’en est-il en réalité ? L’inefficacité globale de la politique du logement a été avancée notamment par Édouard Philippe dans son discours de politique générale. Et il est vrai que la France est frappée par le mal-logement qui, selon l’enquête nationale de l’Insee, toucherait au sens large près de 12 millions de personnes. Mais faut-il en accuser les APL ? Pour Pierre Madec, le procès en inefficacité oublie que ces aides ont également eu des effets positifs, notamment sur la qualité des logements loués qui est globalement meilleure qu’ailleurs en Europe. Pour lui, le vrai problème est que l’on a organisé, pour des raisons budgétaires, l’inefficience des APL. « En déconnectant les aides du montant des loyers pour faire des économies, on a réduit de fait leur efficacité, mais si elles sont inefficaces, ce n’est pas parce qu’elles sont trop élevées, mais bien parce qu’elles sont trop faibles », explique Pierre Madec. Baisser les APL sous prétexte d’une inefficacité organisée n’a donc pas de sens.
Par ailleurs, il convient de ne pas oublier que le problème du logement en France est aussi un problème de construction et d’investissement. Or les « aides à la pierre », la partie de la politique du logement qui soutient l’offre, sont plus élevées que les aides personnelles qui soutiennent la demande… avec une efficacité toute relative. « Les dispositifs de soutien à l’investissement locatif comme les lois Scellier ou Pinel sont coûteux et n’ont guère permis de développer l’offre », remarque Pierre Madec. Bref, cibler les aides personnelles au logement sous prétexte d’inefficacité de l’ensemble de la politique du logement est peu recevable.
Qu’en est-il alors de la politique inflationniste et du transfert de richesse vers les bailleurs ? L’argument est simple : les APL sont en réalité une subvention aux bailleurs puisqu’elles ne sont destinées qu’à ce type de dépense. Dès lors, il s’agit d’un transfert du budget de l’État vers les bailleurs, qui incite ces derniers à augmenter leurs loyers pour capter l’essentiel de cette subvention. Cet argument a du poids, c’est sans doute celui qui fait le plus mouche dans la mesure où il révèle un effet pervers particulièrement injuste non seulement pour les bénéficiaires des aides, mais aussi pour les autres locataires qui sont victimes de la hausse des loyers. Cet effet inflationniste a été assez bien montré par plusieurs études.
Pourtant, comme le souligne Pierre Madec, il convient de rappeler qu’il a surtout été fort dans les années 1990, lorsque le système a été mis en place et, particulièrement, lorsqu’on a intégré les étudiants dans ces aides. Ce sont d’ailleurs sur les années 1990 que portent les études qui mettent en relief l’effet de hausse sur les prix. Depuis, cet effet inflationniste est plus contestable, précisément parce que le calcul des aides est déconnecté du prix du marché. Or, alors « que l’on sous-indexait les aides, les loyers ont continué à augmenter fortement », remarque Pierre Madec. Il est difficile d’attribuer aux APL la paternité de la hausse des loyers lorsque neuf dixièmes des bénéficiaires paient déjà un loyer supérieur au plafond et prennent donc à leur charge toute hausse des prix.
Évolution de la part du logement dans les dépenses des ménages © Commissariat au développement durable : comptes du logement 2016
Mais en réalité, la question doit être posée différemment : faut-il réduire les APL pour obtenir une baisse des loyers ? Ce serait faire preuve d’une certaine naïveté. L’offre restant sous-dimensionnée par rapport à la demande, les bailleurs, par ailleurs contraints par la politique d’encadrement des loyers dans plusieurs grandes villes, n’auraient sans doute aucune envie de baisser les loyers. Pour obtenir une telle baisse, il faudrait que les locataires puissent être en capacité d’exercer une pression sur les bailleurs. On n’y est pas. « Une expérience de ce type a été tentée au Royaume-Uni et elle a échoué », rappelle Pierre Madec qui souligne que l’existence d’un effet inflationniste n’induit nullement une élasticité à la baisse des loyers avec les APL. Aucun des auteurs des études soulignant l’effet inflationniste ne recommande d’ailleurs une baisse des prestations.
Enfin, la véritable question, jamais réellement évoquée, est celle de la capacité de logement des bénéficiaires des APL sans ces aides. En dépit de l’effet inflationniste sur les loyers de ces aides (qui est très difficilement quantifiable), il n’est pas certain qu'elles soient inefficaces au sens où les locataires pourraient, sans elles, se loger dans les mêmes conditions. Ces aides personnalisées sont en effet fortement redistributives : les trois quarts des bénéficiaires sont concentrés dans les trois premiers déciles de revenus. Quand bien même – et aussi scandaleux ce phénomène soit-il – cette prestation finirait-elle dans les poches des bailleurs, elle permettrait de donner accès au parc privé de logement aux plus faibles revenus. Rien ne prouve qu’en l’absence de ces aides, cet accès serait garanti. En l’absence d’investissement majeur de l’État sur le parc social et de la situation globale du mal-logement, ce n’est pas là anecdotique, mais central.
Il y a bien ainsi un effet de soutien au pouvoir d’achat des plus modestes. L’enquête nationale logement de l’Insee soulignait ainsi, rappelle Pierre Madec, que les aides personnelles au logement permettaient de réduire le taux d’effort des ménages allocataires, autrement dit la part des revenus consacrée aux loyers et charges, de 12,6 points en moyenne. Si l’on ajoute que cela leur permet d’avoir accès au parc privé, c’est une clé essentielle de la politique sociale française. Aussi, toute ponction sur ces aides est une ponction sur leur pouvoir d’achat et il est évident que cela ne contribuera nullement à une réduction des inégalités, mais plutôt à leur creusement. Il en serait de même de la solution souvent avancée de fusionner APL et minima sociaux comme le RSA. Il n’est pas certain que cette mesure réduirait l’effet inflationniste et continuerait à assurer un accès au parc locatif privé des premiers déciles.
In fine, l’inefficacité des aides personnelles semble plus problématique que ce que les raccourcis de leurs adversaires prétendent. L’effet pervers n’est pas évident : si l’on supprimait les APL, on n’aurait aucune garantie que les prix généraux du logement baisseraient et que la situation du logement s’améliorerait pour les plus modestes. Bien au contraire.
Cela ne signifie pas qu’il ne convient pas de repenser le dispositif qui est, certes, loin d’être parfait, notamment concernant les modulations régionales du dispositif et son efficacité pour réduire le taux d’effort des ménages. Mais toute remise en cause des APL devrait nécessairement s’accompagner, dans un souci d’efficacité, d’un contrôle accru de l’évolution des loyers et d’une politique active de construction de logements sociaux. Tout autre alternative serait une politique conduisant encore à la dégradation des conditions de logement dans le pays, alors même que le gouvernement mène une politique hautement inflationniste sur les loyers en région parisienne avec sa volonté d’attirer le secteur financier londonien.
Mais une baisse uniforme de la prestation n’a pas d’autre sens que celle d’une ponction sur les revenus des plus modestes, puisqu’il est évident que les loyers ne réagiront pas à la baisse. Autrement dit : la rente ne sera pas mise à contribution, seulement les revenus des bénéficiaires qui, rappelons-le, appartiennent pour trois quarts d'entre eux aux trois premiers déciles. Son caractère injuste est renforcé par la nature forfaitaire de la baisse qui en fait une forte de poll tax, d’impôt forfaitaire unique recueilli sur les plus pauvres. Cette mesure est un grand classique de la pensée néolibérale qui cherche en permanence à transférer une partie des revenus des plus pauvres vers les plus riches, comme l’a montré Laurent Mauduit dans son article ISF vs APL : cadeaux pour les ultra-riches et ponction sur les plus pauvres. Le gouvernement ne cherche pas même à améliorer le système, à le rendre plus efficace, il se contente de couper les prestations. Preuve d’un manque de vision, d’ambition et de réalisme. Après cette mesure, non seulement la situation du logement ne sera pas améliorée, mais les objectifs de finances publiques ne seront pas atteints.
Car, compte tenu de la faiblesse des recettes de cette hausse – 400 millions d’euros en année pleine alors qu’il faut trouver 5 milliards d’euros cette année et 20 l’an prochain –, cette mesure a d’abord un caractère vexatoire et politique. Ce que l’on cherche à montrer, c’est que les maux de la France proviennent d’assistés qui jouissent de la dépense publique aux dépens des créateurs de richesse. On se garde bien de toute réforme d’envergure. Là encore, c’est un grand classique de la politique néolibérale à laquelle le couple exécutif semble s’être définitivement rallié.
Lettre ouverte à M. le Président de la République française
Shlomo Sand, historien israélien
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
En commençant à lire votre discours sur la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv, j’ai éprouvé de la reconnaissance envers vous. En effet, au regard d’une longue tradition de dirigeants politiques, de droite, comme de gauche, qui, au passé et au présent, se sont défaussés quant à la participation et à la responsabilité de la France dans la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté : oui la France est responsable de la déportation, oui il y a bien eu un antisémitisme, en France, avant et après la seconde guerre mondiale. Oui, il faut continuer à combattre toutes les formes de racisme. J’ai vu ces positions comme étant en continuité avec votre courageuse déclaration faite en Algérie, selon laquelle le colonialisme constitue un crime contre l’humanité.
Pour être tout à fait franc, j’ai été plutôt agacé par le fait que vous ayez invité Benjamin Netanyahou, qui est incontestablement à ranger dans la catégorie des oppresseurs, et ne saurait donc s’afficher en représentant des victimes d’hier. Certes, je connais depuis longtemps l’impossibilité de séparer la mémoire de la politique. Peut-être déployez-vous une stratégie sophistiquée, encore non révélée, visant à contribuer à la réalisation d’un compromis équitable, au Proche-Orient ?
J’ai cessé de vous comprendre lorsqu’au cours de votre discours, vous avez déclaré que :
« L’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur : Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin.
Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes !
Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens ; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume Uni, dont il devint également la gouverneur de la banque. Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit : « Je vous le dis en toute franchise : je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, Etat juif, dévot et non libéral, qui rejettera le Chrétien et l’étranger. » Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant : il n’était pas antisémite !
Il y a eu, et il y a, bien sûr, des antisionistes qui sont aussi des antisémites, mais je suis également certain que l’on trouve des antisémites parmi les thuriféraires du sionisme. Je puis aussi vous assurer que nombre de sionistes sont des racistes dont la structure mentale ne diffère pas de celle de parfaits judéophobes : ils recherchent sans relâche un ADN juif (ce, jusqu’à l’université où j’enseigne).
Pour clarifier ce qu’est un point de vue antisioniste, il importe, cependant, de commencer par convenir de la définition, ou, à tout le moins, d’une série de caractéristiques du concept : « sionisme » ; ce à quoi, je vais m’employer le plus brièvement possible.
Tout d’abord, le sionisme n’est pas le judaïsme, contre lequel il constitue même une révolte radicale. Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement, avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le « Tout Puissant », pour lui substituer le sujet humain actif.
Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un Etat juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, est une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. Jusqu’alors, les masses du peuple yiddish, voulant fuir les pogroms de l’empire Russe, avaient préféré émigrer vers le continent américain, que deux millions atteignirent effectivement, échappant ainsi aux persécutions nazies (et à celles du régime de Vichy).
En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’Etat d’Israël. Malgré cela, et dans le contexte de l’extermination des juifs d’Europe, nombre d’antisionistes sont parvenus à la conclusion que si l’on ne veut pas créer de nouvelles tragédies, il convient de considérer l’Etat d’Israël comme un fait accompli irréversible. Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ?
Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux. Ils sont assujettis par Israël à un contrôle militaire : pour une partie d’entre eux, dans une sorte de « réserve d’Indiens » en Cisjordanie, tandis que d’autres sont enfermés dans un « réserve de barbelés » à Gaza (70% de ceux-ci sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés). Israël, qui ne cesse de proclamer son désir de paix, considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël », et s’y comporte selon son bon vouloir : jusqu’à présent, 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés….et cela n’est pas terminé !
Est-cela le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit Etat palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un Etat où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité « l’antique patrie ». Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupé constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif.
Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres » (sic). Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre.
Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Lévy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Nétanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux pas être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?
Source : Les invités de Mediapart
L’Aide personnalisée au logement va baisser de 5 euros par mois dès le 1er octobre, suscitant une indignation d'autant plus forte, que le gouvernement multiplie les cadeaux fiscaux aux plus grandes fortunes.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en quelques jours Emmanuel Macron a fait tomber le voile sur la politique budgétaire qu’il entend suivre et qu’il a donné instruction au gouvernement de mettre en œuvre. On savait déjà depuis quelques jours qu’elle donnerait lieu à d’immenses cadeaux pour les ultra-riches. Et voilà que l’on apprend, dans une symétrie lourde de sens, que les plus pauvres peuvent s’attendre, eux, à des mauvais coups. En somme, c’est une détestable politique budgétaire qui a pris forme en à peine quelques jours, celle de l’égoïsme social, offrant beaucoup à ceux qui possèdent déjà énormément, et faisant supporter l’austérité à ceux qui n'ont presque rien.
C’est évidemment la dernière mesure en date, annoncée par le gouvernement, visant à réduire l’Aide personnalisée au logement (APL), qui a mis le feu aux poudres, déclenchant une avalanche de protestations et d’indignations.
Au tout début, certes, nul n’a vraiment pris garde aux véritables intentions du gouvernement. Car cela fait des lustres que la direction du budget ressort perpétuellement de ses cartons ce projet de remise en cause de cette aide sociale si décisive qu’est l’APL, puisqu’elle profite chaque année à 2,6 millions de foyers parmi les plus modestes. Une aide qui concerne notamment près de 800 000 étudiants se trouvant souvent dans des conditions de forte précarité. À plusieurs reprises, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le premier ministre de l’époque, François Fillon, avait ainsi annoncé son intention de s’en prendre à l’APL, dont le coût budgétaire approche les 20 milliards d’euros.
Mais face à la colère sociale, et à la fronde des organisations étudiantes, il avait chaque fois fait machine arrière. Et même quelques mois encore avant l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy avait concocté un plan secret, révélé par Mediapart, visant à diminuer d’un tiers les aides au logement (Lire : Logement : un violent plan d’austérité en préparation).
Sous le quinquennat de François Hollande, le projet est ressorti des cartons – même si les hiérarques socialistes ont la mémoire courte – et un premier plan d’austérité a été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Au 1er octobre de cette année-là, le patrimoine, et non plus seulement les revenus, ont été pris en compte dans les critères d’attribution de l’APL, de sorte que, au-delà de 30 000 euros de patrimoine, un demandeur ne puisse plus bénéficier de cette aide. Ce qui a eu à l’époque pour effet de diminuer de 10 % le nombre des bénéficiaires. Puis, dans le cadre de la loi de finances pour 2017, le gouvernement de Manuel Valls avait prévu d’autres mesures d’austérité sur les APL mais, à l’approche de l’élection présidentielle, ne les a pas mises en application.
Alors, quand, au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, le bruit a de nouveau couru que les APL feraient aussi les frais de la nouvelle politique de rigueur voulue par le chef de l’État, personne n’y a vraiment cru ou n'a pris la menace au sérieux. Et pourtant, on a eu tort de ne pas prendre l’affaire au sérieux, car c’est à l’évidence un projet qui vient de loin : dès son accession à l'Élysée, Emmanuel Macron avait déjà l’APL dans le collimateur. Et plusieurs ministres, sans que l’on y prenne garde, l’avaient clairement annoncé.
D’abord, le 4 juillet, lors de sa déclaration de politique générale, Édouard Philippe avait déjà clairement fait comprendre que le gouvernement allait piocher dans les projets réactionnaires que la direction du budget ressort à chaque alternance. Il avait en effet annoncé qu’il entendait « repenser les politiques publiques qui pèsent sur nos actifs, sans suffisamment de résultats ». Avant d’ajouter : « Nous dépensons deux fois plus que nos voisins européens dans l’aide au logement et les Français éprouvent toujours autant de difficultés à se loger. Cet écart entre le niveau de dépenses et la faiblesse des résultats, les Français le constatent également dans la politique de l’emploi et de la formation professionnelle […] La France est dans les cordes et aucune esquive ne nous sauvera. J’ai conscience d’appeler à l’effort et au courage. »
Puis, le 12 juillet, lors d’une audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale du ministre de l’économie Bruno Le Maire, et du ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin, ce dernier a fait allusion aux mesures d’économies votées par la précédente majorité pour 2017 mais pas mises en pratique (c’est à écouter ici, à partir de 4’47’’35’’’), et a fait comprendre que le nouveau gouvernement passerait, lui, à l’acte.
Tout s’est accéléré ces derniers jours. Jeudi 20 juillet, le même Gérald Darmanin a annoncé, lors du traditionnel débat d’orientation budgétaire à l'Assemblée, que le gouvernement entendait bel bien ratiboiser les APL. Et finalement, deux jours plus tard, le couperet est tombé : Matignon a annoncé que dans le cadre du plan d’économie de 10 milliards d’euros pour renflouer le budget de 2017, les aides au logement allaient baisser uniformément de 60 euros par an, à compter du 1er octobre prochain, soit 5 euros par mois, ce qui constitue pour les populations les plus fragiles une somme importante.
Aussitôt, cela a été un tollé général. Sans grande surprise, c’est dans le monde étudiant que l’indignation a pris le plus d’ampleur. Ce qui s’explique pour une double raison. D’abord, l’université et la recherche font déjà partie des premières victimes des annulations de crédits pour 2017, décidées ces derniers jours par le gouvernement : soit au total un plan d’économies de 331 millions d’euros dans le cas de ces deux départements (Lire 331 millions d’euros en moins dans le supérieur : l’adieu à la démocratisation de l’université). Ce qui a été naturellement très mal perçu dans un monde universitaire, déjà asphyxié par l’austérité, comme le révèle l’affaire des bacheliers qui ne peuvent pas s’inscrire en faculté. La seconde raison est tout aussi évidente : pour les étudiants, dont beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté, une réduction de 5 euros par mois de l’APL est un très mauvais coup. Les deux principales organisations étudiantes ont donc dit aussitôt leur vive préoccupation.
« Deux mois, c’est le temps qu’il aura fallu au gouvernement pour s’en prendre au budget de l’enseignement supérieur et pour désormais s’attaquer au porte-monnaie des étudiants […] Alors que plus de 60 000 bacheliers sont en détresse, faute d’affectation dans APB [le logiciel d'inscription à la fac – ndlr], la poursuite d’études se voit aujourd’hui doublement remise en cause », a ainsi protesté la Fage sur son site Internet. Et d’ajouter : « L’accès au logement est crucial pour permettre aux jeunes d’être autonomes. Dans un contexte où un étudiant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté, le logement représente plus de la moitié du budget mensuel d’un étudiant. La Fage ne peut tolérer que l’on continue de précariser la jeunesse sous couvert de “mesures d’économie”. »
Même émotion du côté de l’Unef : « L’accès au logement autonome est indispensable afin de permettre l’accès à l’autonomie, à la filière de son choix, mais également la réussite au sein de l’enseignement supérieur. Pourtant de nombreux obstacles empêchent l’accès au logement autonome, en premier lieu le coût des loyers. Représentant près de 54 % des dépenses mensuelles, le loyer pèse lourdement sur le budget des étudiant-e-s et pénalise les plus précaires. Alors que les tarifs de loyer sont en constante augmentation d’année en année et que la mise en place de l’encadrement des loyers est retardée dans les principales villes universitaires, les étudiant-e-s ont plus que jamais besoin d’aides publiques importantes pour réussir à se loger », a fait valoir le syndicat étudiant sur son site Internet. Et d'insister : « Permettant de couvrir jusqu’à la moitié des dépenses de logement, les APL sont donc indispensables pour garantir un droit au logement au plus grand nombre. Ces 20 milliards de dépenses publiques que constituent les APL sont donc un investissement favorisant ainsi la réussite universitaire et l’autonomie des jeunes. Alors que la moitié des étudiant-e-s se salarient d’ores et déjà pour financer leurs études, une baisse des APL signifierait une dégradation des conditions de vie et une attaque contre la réussite à l’université. »
Mais l’indignation ne se limite pas au monde estudiantin. Dans tout le mouvement social ou associatif, cette annonce a déclenché une vague de protestations. Un exemple parmi de très nombreux autres, la réaction consternée de Christophe Robert, délégué général de la très respectée Fondation Abbé-Pierre : « Moins 5 euros par mois pour tous les bénéficiaires des APL, c’est 400 millions d’euros économisés sur les plus pauvres et modestes ! » s’est-il indigné sur son compte Twitter.
La même sidération s’est aussi propagée dans de nombreux cénacles de la gauche – ou de ce qu’il en reste. Témoin cet autre tweet, celui de Benoît Hamon : « Baisse des APL perçues par les plus modestes et réduction de l’ISF payé par les plus riches. C’est révoltant. » Car, tout est là, effectivement ! Si le plan d’économies sur les APL prend un si fort relief, c’est qu’il est annoncé dans un calendrier très particulier, qui risque de marquer d’autant plus les esprits.
On se souvient que le gouvernement avait fait comprendre que sa première priorité était de faire baisser les déficits publics. Aussi a-t-il annoncé initialement aux plus grandes fortunes qu’il respecterait certes sa promesse d’un démantèlement partiel de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mais pas tout de suite. Il a donc été annoncé aux milieux les plus favorisés que les cadeaux fiscaux en leur faveur seraient votés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, étant entendu que les mesures ne s’appliqueraient qu’en 2019.
Mais dans les milieux d’affaires et les milieux des grandes fortunes, cela a déclenché une tempête : certains des plus fervents soutiens d’Emmanuel Macron se sont publiquement indignés qu’il ne leur renvoie pas derechef l’ascenseur, en organisant une baisse sans délai de l’ISF. Or, on sait ce qu’il en est advenu : ledit Emmanuel Macron a aussitôt obtempéré (Lire Macron change de cap sous la pression des milieux d’affaires).
En bref, cette séquence politique, qui va du démantèlement de l’ISF jusqu'au plan d’économie sur les APL, forge du chef de l’État une image qui frappera immanquablement l’opinion. Un chef de l’État qui obéit, le petit doigt sur la couture du pantalon, aux milieux les plus favorisés, mais qui reste insensible aux souffrances sociales des plus modestes. En somme, le télescopage d’actualité qui vient de se produire marquera les débuts de ce quinquennat.
Ce télescopage est d’autant plus ravageur que l’on connaît maintenant dans le détail l’énormité des cadeaux fiscaux qu’Emmanuel Macron va offrir aux milieux d’affaires. Pour en prendre la mesure, il suffit de se replonger dans l’audit que Mediapart en a fait voici quelques jours, en s’adossant à des études récentes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au travers de cet article : La dangereuse contre-révolution fiscale de Macron. En résumé, au travers d’un démantèlement partiel de l’ISF et surtout d’un abaissement encore plus spectaculaire de la fiscalité pesant sur le capital, le gouvernement s’apprête à apporter plusieurs milliards d’euros de cadeaux à une infime minorité, celle des ultra-riches, les 0,1 % parmi les plus fortunés.
C’est ce qui rend la pilule de l’APL d’autant plus amère : Emmanuel Macron est devenu le « président des riches » ; et à l’égard des pauvres, il a le cœur sec… Sans doute politiquement le paiera-t-il très cher. Mais dans l’immédiat, cela ne soulagera pas les difficultés de ceux qui ont impérieusement besoin d’aides au logement.
Que le Conseil de sécurité de l'ONU soit dans l'obligation de se réunir à propos de la crise ouverte par l'installation illégale de détecteurs de métaux à l'entrée de l'esplanade des Mosquées à Jérusalem dit beaucoup de la gravité de la situation créée par le pouvoir israélien. Mais, si cette réunion ne servait, une fois de plus, qu'à calmer la protestation justifiée du peuple palestinien, l'ONU se rendrait elle-même responsable de la non application du droit international qu'elle édicte.
Le gouvernement de droite israélien agit ainsi car il bénéficie de criminels silences, de coupables complicités et de sordides encouragements, parmi lesquels ceux de M. Trump, de M. Macron et des cercles européens. Trop de gouvernements, dont le nôtre, tolèrent l'accélération des destructions de maisons de familles palestiniennes à Jérusalem-Est, la colonisation, l'allongement du sinistre mur de séparation, le vol de l'eau, l'emprisonnement de jeunes et de travailleurs palestiniens, l'étouffement de Gaza. Dans ces conditions, il faut être de mauvaise foi pour s'étonner de l'explosion de la bouilloire qui parcourt les rues palestiniennes. Il s'agit donc d'interpeller les autorités françaises pour qu'elles réclament des actes forts visant à faire appliquer le droit international. Cela suppose des initiatives politiques et des sanctions envers le pouvoir israélien, notamment en cessant la livraison d'armes et en réduisant certaines coopérations qui servent à renforcer la colonisation.
L'Union européenne doit avoir le courage de rompre l'accord d'association tant que l'ultradroitier pouvoir de Tel-Aviv ne s'engage pas dans un processus de négociations pour la reconnaissance de deux États. Deux vrais États ! Pas un État croupion palestinien comme on l'envisage dans quelques chancelleries, mais celui défini dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Il en va de la sécurité de tous. Assez de parlottes, des actes maintenant !
D’Israël, de notre correspondante.- Les connaisseurs du conflit israélo-palestinien ont coutume de dire qu’on ne peut jamais prévoir d’où la prochaine escalade de violences surgira. Depuis des mois, les regards se tournaient vers la bande de Gaza, où une crise humanitaire et énergétique sans précédent fait craindre le déclenchement par le Hamas d’une nouvelle guerre. Mais c’est au cœur de Jérusalem, autour de l’esplanade des Mosquées, que les tensions ont explosé.
Le 14 juillet, trois Arabes israéliens ont tué à l’arme à feu deux policiers israéliens à la porte des Lions dans l’est de la vieille ville. Les assaillants se sont enfuis et ont finalement été abattus par les forces de sécurité israéliennes sur l’esplanade des Mosquées. En réaction à cette attaque, le premier ministre Benjamin Netanyahou a ordonné l’installation de détecteurs de métaux aux abords du lieu saint. Mais la décision a suscité un large mouvement de protestation de la part des Palestiniens, qui accusent Israël de vouloir remettre en cause le statu quo instauré sur l’esplanade des Mosquées.
Après plusieurs jours d’échauffourées, la journée de vendredi s’est terminée dans le sang. Outre des centaines de blessés, trois Palestiniens ont perdu la vie en marge d’affrontements à Jérusalem-Est. Deux d’entre eux ont été abattus par les forces de sécurité israéliennes. Le troisième pourrait, selon les médias palestiniens, avoir été tué par un tir provenant d’un quartier juif. Dans la soirée, trois Israéliens sont également morts après avoir été attaqués à l’arme blanche dans leur maison dans la colonie israélienne d’Halamish en Cisjordanie. Neutralisé par un voisin, l’assaillant, un Palestinien de 19 ans originaire d’un village proche de Ramallah, avait publié un message sur Facebook un peu plus tôt indiquant que son passage à l’acte était motivé par la controverse autour de l’esplanade des Mosquées. Samedi, deux Palestiniens ont de nouveau été tués dans des heurts en Cisjordanie.
La tournure prise par les événements est d’autant plus surprenante que les services de sécurité israéliens, en coopération avec l’Autorité palestinienne, n’ont cessé de concentrer leurs efforts depuis la vague de violences de 2015 pour empêcher ce type d’embrasement. « Ce qui a été construit avec difficulté sur un an […] peut facilement être détruit en une semaine – spécialement quand des éléments religieux entrent dans le tableau », soulignait samedi matin le spécialiste des questions de sécurité du journal Haaretz, Amos Harel. L’esplanade des Mosquées (ou mont du Temple pour les juifs) reste plus que jamais la poudrière du conflit israélo-palestinien.
Depuis 1967, le troisième lieu saint de l’islam, sous contrôle jordanien, est régi par des règles tacites : les musulmans peuvent s’y rendre quand ils le souhaitent ; les juifs uniquement à certaines heures, et sans avoir le droit d’y prier. Mais depuis plusieurs années, les Palestiniens redoutent une remise en cause de ce statu quo. De fait, à la suite des attaques comme celle du 14 juillet ou en prévision de tensions comme vendredi, le gouvernement israélien a pris l’habitude de limiter ponctuellement l’accès de l’esplanade aux femmes et aux hommes musulmans de plus de 50 ans. « Je suis humilié. Je ne peux décrire à quel point je me sens mal. Aucun de ces jeunes n’a le droit d’entrer sur l’esplanade. C’est pire que tout pour moi », confiait un jeune Palestinien de Jérusalem-Est à la porte des Lions vendredi. « Je refuse de passer par ces portiques. Al-Aqsa [la mosquée – ndlr] n’est pas aux juifs, Al-Aqsa est à nous », protestait également une femme palestinienne.
À ces mesures sécuritaires, jugées arbitraires par les Palestiniens, s’ajoutent les prétentions grandissantes d’une partie de l’extrême droite israélienne en faveur d’un accès élargi des juifs au mont du Temple. Alors que la Halakha, la loi juive, interdisait aux pratiquants de fouler le lieu où se dressait autrefois le Temple tant que le messie ne serait pas arrivé, plusieurs rabbins et nouvelles figures du sionisme religieux, dont le ministre de l’éducation pro-colonisation Naftali Bennet, revendiquent désormais de pouvoir s’y rendre librement. Certains, comme le rabbin et député du Likoud Yehuda Glick, rêvent même de pouvoir y reconstruire le Temple, alimentant les peurs des Palestiniens.
Depuis la vague de violences de 2015, le gouvernement Netanyahou a interdit aux responsables politiques israéliens de se rendre sur l’esplanade des Mosquées. Le chef du gouvernement sait parfaitement combien ce type de visites officielles est un casus belli aux yeux des Palestiniens. Le déplacement d’Ariel Sharon sur les lieux en septembre 2000 reste dans les mémoires comme un des événements déclencheurs de la seconde Intifada. Pourtant, le premier ministre avait fait part ces dernières semaines de son intention de lever cette interdiction pour un test de sept jours. Une perspective qui semble désormais peu probable.
Le rôle joué par Benjamin Netanyahou dans les événements des derniers jours a de quoi déconcerter. Alors qu’une réunion sécuritaire du cabinet du premier ministre a lieu jeudi soir, les observateurs s’accordent à penser que les détecteurs de métaux controversés seront retirés par Israël avant la grande prière de vendredi. Depuis mercredi, l’ensemble des responsables de l’état-major israélien conseille en effet au chef du gouvernement de revenir sur sa décision. « Le bénéfice des portiques ne vaut pas le bain de sang qu’ils pourraient entraîner », mettent-ils en garde, selon des propos rapportés par Haaretz. Hormis le commissaire de police de Jérusalem, l’armée, le Shin Bet (le service de sécurité intérieure israélien) et le Cogat (l’organe gouvernemental chargé de la gestion des Territoires palestiniens) partagent cet avis, persuadés que les Palestiniens exploiteront la controverse pour enflammer la Cisjordanie. À la surprise générale, Benjamin Netanyahou annonce pourtant le maintien des détecteurs et déploie les forces de police en masse dans Jérusalem vendredi matin. Tous les ingrédients sont réunis pour l’explosion.
Pourquoi une telle obstination de la part du premier ministre israélien ? Ce dernier, poussé par le gouvernement américain, vient de donner un gage de paix aux Palestiniens, en annonçant le 13 juillet la signature d’un accord qualifié d’« historique » sur l’approvisionnement en eau en Cisjordanie et à Gaza. Mais dans les coulisses, des préoccupations beaucoup plus politiques entrent en ligne de compte. Concurrencé au sein de sa propre coalition par le parti nationaliste religieux de Naftali Bennet, HaBayit HaYehudi (Le foyer juif), Benjamin Netanyahou ne veut pas être accusé d’être « faible face à la terreur », suggère Amos Harel. L’hypothèse pourrait même être poussée plus loin : le premier ministre, rattrapé par une des nombreuses affaires dans lesquelles il est soupçonné de corruption, celle des sous-marins allemands, pourrait vouloir faire diversion. Benjamin Netanyahou ne se sent en effet jamais aussi fort aux yeux de l’opinion israélienne que lorsqu’il endosse son costume de chef de guerre face à l’ennemi extérieur.
Côté palestinien, la gestion de la crise interpelle également. Habituellement silencieux, plutôt modéré, le Waqf, qui gère l’esplanade des Mosquées, s’est fendu d’une conférence de presse mercredi pour inciter les pèlerins musulmans à protester contre les détecteurs de métaux. « Les Israéliens ont planifié le changement du statu quo en installant ces portiques de sécurité et en limitant toute liberté de mouvement des pèlerins qui vont prier sur l’esplanade des Mosquées. Ce n’est pas acceptable », a tonné le sheikh Azzam Khatib, directeur de l’institution islamique. « Nous sommes contre les violences qui dénaturent la sainteté des religions », a-t-il toutefois souligné.
Les experts s’accordent à penser que là encore des considérations politiques sont à l’œuvre. Alors qu’Israël ne cesse de grignoter du terrain en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, faisant s’éloigner chaque jour un peu plus la perspective d’un État Palestinien, l’esplanade des Mosquées est considérée comme un refuge par les Palestiniens. En soutenant les protestations, le Waqf tente ainsi de ne pas perdre son influence sur les lieux aux dépens de mouvances plus radicales, comme le djihad islamique ou le Hamas. Même analyse concernant le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, qui a annoncé vendredi le gel de sa coopération avec les autorités israéliennes. Une manière de ne pas apparaître en situation de faiblesse au cas où le Hamas voudrait tirer avantage de la situation.
Les événements meurtriers de vendredi ont été dénoncés par la Maison Blanche et les membres du quartet pour le Moyen-Orient, composé de la Russie, des États-Unis, de l’Union européenne et de l’ONU. Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies doit en outre avoir lieu ce lundi à l’appel de la Suède, de la France et de l’Égypte pour discuter de la manière d’enrayer l’escalade de violences. Pour ne pas perdre le soutien de ses alliés internationaux, Benjamin Netanyahou pourrait finalement revoir sa décision.
Samedi soir, la mise en place d’une solution alternative aux détecteurs de métaux était évoquée. Et dans la nuit, des caméras ont été installées aux abords de l’esplanade des Mosquées sans que l’on ne sache si elles constituent l’alternative envisagée. Si tel est le cas, la solution devra néanmoins être approuvée par les Palestiniens. En attendant, Israël a renforcé sa présence militaire en Cisjordanie dans l’espoir d’éviter qu’une attaque de type “loup solitaire”, comme celle d’Halamish, ne se reproduise. Vingt-cinq membres du Hamas ont déjà été interpellés ce dimanche.
BENJAMIN KÖNIG ET CÉDRIC CLÉRIN
JEUDI, 20 JUILLET, 2017
HUMANITÉ DIMANCHE
Classe contre classe ou cash pour cash ? Un choix clair pour tous ceux qui se sont opposés à la loi travail et qui remettront le couvert, le 12 septembre, avec la CGT .- ZAKARIA ABDELKAFI
L'hôte de l'Élysée rêve d'une « start-up nation », à l'image de ces entreprises « jeunes pousses » qui fleurissent dans les nouvelles technologies, et d'un « État plateforme », sur le modèle Uber. Sous des dehors modernes et « cool », se dessine en fait un pouvoir autoritaire au seul profit des entreprises.
«Vous vivez au pays des start-up et de OuiOui. » Sébastien Jumel, député communiste de Seine Maritime, interpellait ainsi les députés LREM lors du débat sur les ordonnances visant à réformer le Code du travail. Par cette formule visant à fustiger la déconnexion de la réalité des parlementaires de la majorité, l'élu communiste a dévoilé l'une des supercheries du macronisme : tenter de masquer un pouvoir autoritaire, les rapports de classes et les archaïsmes sous le sceau de la modernité. « Je veux que la France soit une start-up nation. Une nation qui pense et évolue comme une start-up », a ainsi déclaré le chef de l'État le 15 juin dernier lors du Viva Technology 2017, le salon mondial des start-up. Une phrase qui résume sur le fond et la forme l'idéologie macroniste. La start-up (jeune pousse en français) est une jeune entreprise du numérique qui cherche à s'imposer sur un marché grâce, notamment, à d'importantes levées de fonds. Grâce à la jeunesse de leurs employés, leurs méthodes de management en apparence très cool, elles jouissent d'une image de modernité, d'innovation et d'esprit d'équipe, autant de qualificatifs que le président aimerait que l'on puisse accoler à la France. Mais la réalité de ces entreprises du XXIe siècle est beaucoup moins rose : des armées de stagiaires travaillent jour et nuit pour permettre à l'entreprise, et à son patron, de décoller.
« C'est un coup marketing réussi, une fabrique de rêves », explique Mathilde Ramadier, auteure de « Bienvenue dans le nouveau monde, comment j'ai survécu à la coolitude des start-up ». « On promet de la liberté aux salariés et derrière on découvre un univers totalitaire : un leader charismatique, un langage commun, une surveillance généralisée et en réalité une absence totale de marges de manoeuvre. » Une duplicité qui n'est pas sans rappeler la communication du nouveau président et sa gestion du débat parlementaire ou même de son propre parti.
L'analogie est également frappante avec l'écart entre promesse et réalité du macronisme. Emmanuel Macron avait basé sa campagne présidentielle, et auparavant son opposition à Manuel Valls, sur l'idée de son attachement aux libertés publiques et de sa vision libérale des questions de société. Une fois au pouvoir, le nouveau président s'empresse de vouloir faire entrer dans le droit commun ce qui était jusqu'alors l'« état d'urgence ».
Sur son libéralisme économique, en tout cas, le président n'aura pas menti. Une nation « start-up » est en effet, dans l'esprit d'Emmanuel Macron, une société tournée vers l'entreprise. « Je veux, en même temps et j'assume pleinement cela , lever les contraintes, redonner des libertés de faire, de tenter, parfois d'échouer, et créer les protections qui vont avec le monde qui nous entoure », déclare-t-il ainsi, en guise de profession de foi de sa réforme du Code du travail. Le modèle de l'hôte de l'Élysée est brutal : 9 start-up sur 10 échouent, parfois d'une semaine sur l'autre, en laissant les salariés sur le carreau.
Dans la pure tradition libérale, chez Emmanuel Macron, l'État n'est pas là pour « réguler » le marché, mais pour l'aider à prospérer : « Je veux que notre État se comporte différemment avec le monde économique ; que ce soit non pas un État qui réglemente tout, mais qui facilite et qui accompagne », dit-il. Limpide. Dans la nation « sta r t-up », « nous devons construire un État plateforme qui facilitera, accompagnera, transformera nombre de ses procédures en solutions », explique également le chef de l'État. « État plateforme », du nom des « plateformes numériques » (Uber, Airbnb, etc.) qui font exploser des pans entiers de l'économie. « Si l'État est une plateforme, si la nation est un fichier clients (ou un ensemble de start-up), si la démocratie élective est un algorithme, alors le citoyen ne sera plus qu'un utilisateur » (1), craint pour sa part Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l'information à l'université de Nantes.
Voilà donc la France du XXI e siècle selon Emmanuel Macron : l'illusion de l'horizontalité, l'illusion de la liberté, mais une société tout entière régie par les règles de l'économie. Les patrons décident sans contre-pouvoirs, les citoyens sont des employés qui exécutent sans droit à la parole. La gestion « démocratique » du président depuis le début du quinquennat illustre la dérive que sous-tend sa nation « start-up ».
(1) « De la France comme une start-up nation (et de mon cul comme du poulet) », affordance.info
À l'Assemblée, ils se taisent d'une seule voix
« Ce texte prend en compte la réalité du monde, un monde qui bouge, un monde qui déménage. Et je ne comprends pas votre hostilité à un monde qui déménage. » Ces mots, dans la plus pure novlangue libérale, sont ceux d'Aurélien Taché, député LREM et coordinateur de la majorité sur la loi travail. Une armée de clones, étroitement encadrés, flexibles et efficaces comme des salariés de start-up : c'est un spectacle surréaliste qui s'est tenu à l'Assemblée à l'occasion de l'examen de la loi travail XXL.
En dix heures de débats en commission des Affaires sociales, les députés LREM n'ont pas pris la parole une seule fois, se contentant de lever le bras pour suivre les ordres de la ministre et du rapporteur, Laurent Pietraszewski. Dans l'Hémicycle, la majorité avait déposé... deux amendements, et n'est jamais intervenue quand le débat a porté sur des points « techniques », comme le motif de licenciement en cas de refus d'un accord d'entreprise de la part d'un salarié. La majorité ne discute pas, ne débat pas, ni du fond ni de la forme. « Ils veulent privilégier le dialogue social, mais on ne peut pas dire qu'ils privilégient le dialogue parlementaire », a moqué le député FI Alexis Corbière. Même à droite, où l'on voulait muscler le texte, on s'émeut : « Ils n'ont fait que lever le bras comme un seul homme. Je n'ai jamais vu ça », a lancé Gérard Cherpion (LR), vieux routier de l'Assemblée. Comme dans une start-up, la modernité de façade cache une réelle absence de liberté (de vote ou de parole, y compris auprès des journalistes) et une surveillance omniprésente.
S'organiser pour marcher... au pas de l'oie
Souvent décrit comme la « première start-up politique » en France dont Macron serait le « CEO » (PDG, en anglais), En marche ! en a adopté les codes et le langage : on « benchmarke » pour évaluer l'entreprise, on « disrupte » la politique pour bousculer les codes... Le mouvement s'est développé avec un concept d'horizontalité, au moins en apparence. Car, dans le parti comme au sein du groupe parlementaire, le fonctionnement est très vertical, voire dictatorial. C'est le « Canard enchaîné » qui a révélé l'info : le règlement intérieur du groupe LREM. Plutôt rigide, en l'occurrence : les élus d'En marche ! n'ont qu'un seul droit, celui de la « liberté d'expression garantie » lors des réunions de groupe. Pour le reste, c'est marche au pas : interdiction de déposer des propositions de loi ou même des amendements sans en référer au chef, Richard Ferrand. Interdiction de cosigner des amendements avec des députés issus d'autres groupes même si ceux-ci soutiennent le gouvernement, comme « les Constructifs ». Un verrouillage qui va jusqu'à enjoindre les députés LREM à « respecter l'unité de vote lors des scrutins en séance publique », en commission comme dans l'Hémicycle.
Cette règle est pourtant totalement anticonstitutionnelle, puisque la liberté de vote des élus ne peut être remise en cause. Mais, comme dans une start-up, En marche ! est structuré de façon très centralisée, malgré un vernis de rénovation démocratique. Les « référents départementaux » du mouvement ne sont pas élus mais nommés par la direction, de même que les investitures aux législatives ont été décidées par un petit comité centralisé, dirigé par l'ancien chiraquien Jean-Paul Delevoye. Face à cette absence totale de démocratie interne, un collectif s'est créé : « Les marcheurs en colère ». Ils sont environ 8 000 adhérents à dénoncer les « seigneuries locales » et les « choix arbitraires ». Le député François-Michel Lambert, ex-EELV, prévient : « La marche forcée pour la conquête, OK, mais pas pour la conduite du mouvement. À trop innover, on se fourvoie. »
L'info ? Jamais mieux servi que par soi-même
En marche ! n'a pas seulement adopté les codes langagiers et managériaux du monde de l'entreprise, mais également ceux de la communication : une information totalement verrouillée, sur le modèle du « secret des affaires ». Transposé à la vie politique, cela conduit à des attaques d'ampleur contre la liberté de la presse : c'est la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui porte plainte contre « Libération », reprochant au journal d'avoir sorti des informations sur la loi travail ; c'est François Bayrou, alors garde des Sceaux, qui téléphone à France Inter à propos de l'affaire concernant le Modem pour se plaindre de « méthodes inquisitrices » ; c'est le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, demandant aux journalistes de ne pas enquêter sur Muriel Pénicaud afin de « ne pas l'affaiblir ». C'est, surtout, le chef de l'État lui-même, qui ne donne pas d'interview, et choisit un journal le « JDD » du 16 juillet , pour mettre en scène « Ce que j'ai dit à Trump », mais refuse de répondre aux questions des journalistes sur l'affaire Pénicaud, du haut de sa superbe : « Je ne commente pas les péripéties du quotidien. » Lors de son discours au Congrès, le président s'est lancé dans une charge contre la presse, appelant à « en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec cette chasse à l'homme ». Il parlait des affaires Ferrand et Pénicaud, pas de Fillon : pendant la campagne, les enquêtes sur Fillon qui lui ont ouvert la voie du pouvoir ne le gênaient en aucune manière. Mais le plus grave est sans doute sa volonté de produire une propagande : En marche ! a ainsi annoncé vouloir « se constituer comme un média ». Exactement comme une entreprise produit sa communication.
Chaque semaine, Patrick Le Hyaric analyse et commente les temps forts de l'actualité.
Réalisation : Nicolas Bertrand
Point de vue du 14 juillet 2017