Le cadrage macroéconomique : le retour de la sincérité ?
Bruno Le Maire n’a cessé d’insister sur la « sincérité » du budget. L’an prochain, le taux de croissance sur lequel le PLF est bâti est de 1,7 %, ce qui, effectivement, correspond aux prévisions de nombreux instituts de conjoncture. L’idée selon laquelle le gouvernement actuel serait le seul à bâtir un budget fondé sur des prévisions raisonnables est néanmoins fausse. Le projet de loi 2017 prévoyait une croissance de 1,5 % qui a été sous-estimée, et celui de 2016 n’a dû sa dérive en termes de projections de croissance qu’à des éléments fort peu maîtrisables qui ont plombé l’économie française, comme l’effet des attentats de Paris et de Nice sur le tourisme ou les mauvaises récoltes céréalières. Le gouvernement n’est donc, de ce point de vue, pas une exception. Il s’inscrit dans une évolution qui date de plusieurs années et qui a vu les prévisions de croissance pour la construction du budget s’assagir.
Au reste, cette prévision, jugée « raisonnable » par le Haut Conseil aux finances publiques, n’est cependant pas dénuée d’un certain optimisme. Ainsi, la moyenne de la valeur de l’euro sur 2018 est fixée à 1,18 dollar, ce qui est proche du niveau actuel de la monnaie unique qui a subi le contrecoup des élections allemandes. Ce niveau est déjà supérieur de 4,4 % au niveau moyen de 2017. Or, malgré cet effet, Bercy prévoit une accélération de la croissance des exportations qui passerait de 2,5 % à 3,9 %. De même, avec un ralentissement du pouvoir d’achat du revenu disponible (+ 1,4 % en 2018, après + 1,7 % en 2017), les dépenses de consommation des ménages, elles, accéléreraient, passant de 1,3 % à 1,4 %. Ces évolutions semblent très incertaines et permettent de relativiser la « sincérité » du PLF 2018.
L’évolution des dépenses publiques : un fort ralentissement
La lecture du PLF en termes d’évolution globale des dépenses publiques françaises est délicate. Ces dépenses disposent d’une croissance tendancielle ou « naturelle » liée à l’évolution des prix et de la masse salariale, par exemple. Les chiffres « bruts » d’évolution de la dépense ne traduisent donc pas forcément la réalité sur le terrain, qui peut être celle de fortes économies. En 2018, les dépenses publiques de l’État en valeur passent ainsi à 424,7 milliards d’euros, soit une hausse de 1,7 % représentant 7,3 milliards d’euros. Ce chiffre cache en réalité une vraie volonté de serrer la vis.
Ainsi, la croissance des dépenses publiques est limitée à 0,5 % en volume (hors inflation). C’est certes plus que le « zéro » valeur promis par Édouard Philippe lors de son discours de politique générale de juillet dernier, mais cela traduit néanmoins un très net infléchissement de tendance. Entre 2013 et 2016, la croissance de la dépense publique en volume a été de 0,9 %. Elle était encore de 0,8 % en 2017. Il y a donc une inflexion qui se poursuivra dans les années à venir, jusqu’à être réduite à une hausse de 0,1 % en 2022, selon les prévisions. Gérald Darmanin a clairement revendiqué cette rupture de la tendance.
Bercy a évalué « l’effort » budgétaire réalisé par rapport à la tendance naturelle à 15 milliards d’euros. Autrement dit, les administrations publiques vont devoir réduire leurs dépenses de 15 milliards d’euros par rapport à l’évolution de la dépense, si rien de nouveau n’avait été décidé. Ce PLF est donc bien un budget d’austérité et de restrictions budgétaires pour un montant d’environ 0,75 point de PIB. La dépense publique représentera ainsi 53,9 % du PIB en 2018, contre 54,6 % en 2017. Et l’effort sera réalisé principalement par l’État (à hauteur de 7 milliards d’euros), la Sécurité sociale (pour 5 milliards d’euros) et les collectivités locales (3 milliards d’euros). L’effort sur les transferts sociaux sera important puisque, outre le budget de la Sécurité sociale (qui sera connu le jeudi 28 septembre), l’État va baisser ses effectifs et plusieurs éléments de redistribution de son budget (emplois aidés et APL, notamment).
Le déficit public se réduit : est-ce assez pour l’Europe ?
Bruno Le Maire n’a pas caché qu’un des objectifs du budget 2018 était européen. « Pour transformer l’Europe, il faut respecter l’Europe », a-t-il affirmé, ce qui, pour lui, signifie la sortie de la France de la procédure de déficit excessif. En théorie, cet objectif devrait être atteint : en 2017, le déficit public passera sous les 3 % du PIB, à 2,9 %. Le PLF 2018 table sur un déficit de 2,6 % du PIB, malgré une aggravation nette du déficit de l’État (qui subit l’essentiel des baisses d’impôts) de près de 6 milliards d’euros, à 82,9 milliards d’euros. La consolidation budgétaire est portée principalement par les collectivités locales et la Sécurité sociale. En fin de quinquennat, Bercy table sur un budget des administrations publiques en très léger déficit à 0,2 % du PIB. Pour Bruno Le Maire, cela devrait suffire. Mais rien n’est moins sûr.
En effet, les nouvelles règles de la zone euro, adoptées de 2011 à 2013, obligent désormais les États membres à réduire leur déficit structurel (hors effet de conjoncture) et leur dette. Or, ici, le compte n’y est pas. Chaque année, il faudrait abaisser de 0,5 point de PIB le déficit structurel. Le gouvernement n'a pas prévu d'atteindre cet objectif sur le quinquennat : la baisse n’est que de 0,1 point de PIB sur 2018 et devrait atteindre 0,4 point en fin de mandat. Preuve que le gouvernement compte largement sur l’amélioration conjoncturelle pour sa trajectoire budgétaire et que, partant, elle n’est pas dans les clous de Bruxelles. La dette, elle, est stabilisée en 2018 à 96,8 % du PIB et entame sa baisse en 2020 pour atteindre 5 points en deux ans.
Il n’est pas certain que cette trajectoire satisfasse pleinement Bruxelles. Bruno Le Maire a reconnu qu’il devra « convaincre » la Commission européenne que la France a besoin de sa compréhension afin de mener la « transformation » du pays. Autrement dit, loin de rétablir la crédibilité française en Europe, ce budget poursuit la stratégie déjà largement menée par les gouvernements de François Hollande : des réformes contre une compréhension de Bruxelles.
Des mesures fiscales pour le capital
Bruno Le Maire assume entièrement le choix « d’alléger la fiscalité du capital » parce que, selon lui, l’investissement est trop taxé en France. Certes, ce discours était en contradiction avec la reprise soutenue de l’investissement soulignée par ce même ministre quelques minutes plus tôt et ne correspond guère à la capacité élevée d’attraction des investissement de la France. C'est néanmoins un des axes principaux de ce projet de loi de finances : des baisses d’impôts sur le capital et les entreprises.
- L’impôt sur la fortune (ISF) sera aboli le 1er janvier 2018. Le gouvernement y voit une« spécificité française qui nuit à l’attractivité du pays », « freine la croissance des entreprises » et « contribue à l’expatriation de centaines de Français ». Il sera remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui sera basé sur les mêmes critères que l’ISF pour les seuls biens immobiliers. Cette réforme vise donc dans les faits à exonérer les patrimoines mobiliers de l’ISF. Cela coûtera pas moins de 3,2 milliards d’euros à l’État et réduira la recette de l’IFI à 900 millions d’euros seulement. Le débat sur le maintien de cet impôt pourrait s’engager à l’Assemblée, où une partie de la majorité semble pencher pour une suppression de l’IFI compte tenu de son faible rendement.
- Concernant les revenus du capital, un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sera instauré à partir du 1er janvier 2018. Ce PFU vise à simplifier la taxation des revenus du capital et, surtout, à réduire les taux les plus élevés qui frappent ces revenus. Dans les faits, sa mise en place est assez complexe et remplie d’exonérations diverses. Le gouvernement précise que les contribuables les plus modestes seront préservés puisqu’il sera toujours possible de conserver la soumission au barème de l’impôt sur le revenu lorsque celui-ci est plus favorable que le PFU. Les produits d’épargne populaire, comme le livret A, resteront également exonérés jusqu’à un encours de 150 000 euros par personne constitué avant le 1er janvier 2018. Enfin, les produits investis en actions comme le PEA garderont leur régime fiscal actuel. Au final, la mesure coûtera 1,3 milliard d’euros en 2018 et 1,9 milliard d’euros en 2019.
- Le gouvernement réduit le taux de l’impôt sur les sociétés de 33,3 % à 28 % pour les 500 000 premiers euros de bénéfices en 2018, conformément aux engagements du précédent gouvernement. Le rythme sera accéléré à partir de 2019, où le taux normal passera à 31 %, puis pour l’ensemble du bénéfice à 28 % en 2020, à 26,5 % en 2021 et à 25 % en 2022. En revanche, le taux du CICE repasse de 7 % à 6 % avant sa transformation en 2019 en baisse de charges, sur la base des 6 % de la masse salariale comprise entre le SMIC et 2,5 SMIC.
- Pour attirer les banques de la City à Paris, le gouvernement a décidé de supprimer le taux majoré de 20 % (contre 13,6 %) de la taxe sur les salaires, payé principalement par les banques sur les rémunérations supérieures à 152 279 euros brut par an. L’extension de l’assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions infra-journalières, celles qui ont sans doute le moins de relations avec l’économie réelle, prévue le 1er janvier 2018, est également abrogée.
Les mesures de soutien au « pouvoir d’achat »
Bruno Le Maire estime que ce budget doit « profiter à tous les Français » et soutenir le pouvoir d’achat avec comme mot d’ordre que « le travail doit payer ». Plusieurs mesures vont dans ce sens et ont été mises en scène par Bercy dans un « livret du pouvoir d’achat » pour soutenir l’affichage de Gérald Darmanin selon lequel, à la fin du quinquennat, certaines catégories de personnes auront un « treizième mois » de plus. Mais ces mesures ne feront pas que des heureux et, surtout, elles seront systématiquement lissées et divisées, ce qui fragilise leur réalisation effective en cas de retournement conjoncturel.
- Le PLF 2018 prévoit la première tranche de la suppression progressive de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers, qui se poursuivra en 2019 et 2020 sur le principe d’un tiers de baisse chaque année. Cette mesure coûtera 3 milliards d’euros en 2018 et 10,1 milliards d’euros en tout. Elle concerne les contribuables qui gagnent moins de 2 500 euros imposables par mois, avec cependant un barème qui pénalise les familles. Ce sont principalement les classes moyennes aisées qui devraient profiter de la mesure, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui l’a évaluée.
- Les cotisations salariales maladie et chômage seront supprimées en deux temps en 2018 et remplacées par une hausse de 1,7 point de la CSG, qui, elle, sera appliquée dès le 1er janvier 2018. Le gain pour les salariés sera ainsi réparti en deux fois : un tiers au 1er janvier (soit une hausse de 0,5 % du salaire net) et deux tiers au 1eroctobre (soit une hausse de 0,95 % du salaire net). L’effet en année pleine – donc en 2019 – sera de 1,45 %, mais par rapport à 2017. En revanche, sur 2018, la hausse du salaire net sera de 0,74 % par rapport à 2017. La mesure est donc « coupée en deux ». Si elle ne sera pas entièrement sans effet sur le pouvoir d'achat, elle restera cependant peu sensible, notamment pour les salaires les plus bas.