Le président a reçu les syndicats et le patronat pour leur présenter la nouvelle étape de la transformation du modèle social français. Il l'a aussi rappelé sur TF1 dimanche : après avoir « libéré » le droit du travail, il veut « inventer de nouvelles protections ». Mais les interrogations sont nombreuses, notamment sur l'assurance chômage.
Emmanuel Macron et son gouvernement ont bien « libéré » le droit du travail et les chefs d’entreprise. Il s’agit maintenant de « protéger » les salariés, les indépendants et les demandeurs d’emploi. Voilà le scénario que l’exécutif s’efforce de présenter aux Français alors qu’il lance le deuxième acte de la rénovation du modèle social hexagonal. Le scénario que le président a encore rappelé sur TF1 dimanche 15 octobre. Les ordonnances refondant le droit du travail n’ont pas encore été ratifiées par le Parlement que déjà il a rencontré, jeudi 12 et vendredi 13 octobre, les représentants des organisations syndicales et patronales. Il leur a fait part de ses intentions sur trois chantiers qu’il entend mener de front, présenter au parlement au printemps, et voir aboutir d’ici l’été : les réformes de l’assurance chômage, de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
À partir de mardi, les mêmes représentants rencontreront le premier ministre Édouard Philippe et la ministre du travail Muriel Pénicaud (ainsi que le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer sur l’apprentissage). « Objectif : inventer de nouvelles protections », a promis le président sur Twitter.
Autrement dit, après avoir offert « souplesse » et « sécurisation » aux employeurs, il s’agirait de renforcer les droits en faveur des travailleurs, pour mettre sur pied une « flexisécurité » à la française.
Mais les syndicats qui ont défilé à l’Élysée, échaudés par le précédent round de concertation où ils estiment s’être fait balader, sont pour le moins méfiants. La méthode qui leur est imposée est la même que pour les ordonnances : une série de tête-à-tête avec le pouvoir, sans aucune réunion collective où ils pourraient s’assurer que les mêmes promesses sont faites à tous, ni échanger entre eux pour aboutir à des positions communes de négociation. Même Laurent Berger, le dirigeant de la CFDT, qui refuse que son syndicat manifeste contre les ordonnances, y est allé vendredi de son avertissement sur Europe 1, juste avant d’être reçu à l’Élysée.
Laurent Berger : « On a besoin d'une politique sociale assumée » © Europe 1
« Je dirai au président que l'ambiance au sein des salariés est un peu lourde », a-t-il déclaré. « Il y a eu des pratiques des gouvernants qui ont pu choquer les salariés. La politique menée depuis le début est inquiétante. » La semaine précédente, il avait déjà prévenu que le gouvernement avait « intérêt à être au rendez-vous » de ses promesses sur le volet « sécurité ». Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO qui a longtemps salué la méthode de réforme du droit du travail, avant d’être contraint par sa base de revenir à une position plus critique, a d’ores et déjà réclamé une réelle négociation, avec tous les partenaires sociaux, sur la question de la formation professionnelle. Sur ce point, il se retrouve sur la même ligne que son homologue de la CGT : sortant de son entretien avec Emmanuel Macron jeudi, Philippe Martinez a déclaré ne pas avoir une « tête d’alibi » et réclame d’avoir un texte entre les mains pour appuyer ses rencontres avec le gouvernement.
Sur la forme, le ton est donc moins cordial qu’en juin, lorsque les mêmes défilaient pour évoquer la réforme du code du travail et déclaraient presque tous vouloir laisser sa chance à l’exécutif. Et sur le fond, certains chantiers s’annoncent plus épineux que d’autres.
Apprentissage et formations, thèmes quasi consensuels
Le thème le plus consensuel est sans conteste l’apprentissage. Gouvernement, syndicats et employeurs partagent, au moins sur le papier, la volonté de mieux valoriser cette filière de formation. Il y a un an, François Hollande avait fixé l’objectif de passer de 400 000 à 500 000 apprentis au 31 décembre 2017. Le curseur a finalement été prudemment descendu à 420 000, et 430 000 pour 2018. Le gouvernement souhaite notamment adapter encore plus les cursus pédagogiques aux besoins des entreprises, mettant ces dernières « au cœur » du système.
Mais dans les conditions actuelles, rien ne dit qu’il est possible de booster toujours plus l’apprentissage, comme Mediapart l’expliquait déjà il y a un an : d’abord, les apprentis sont déjà sélectionnés parmi une masse de candidats, et c’est pour cela que le dispositif fonctionne. D’autre part, pour que les entreprises recrutent plus d’apprentis, il faudrait accéder à leurs demandes de réduire le nombre d’obligations qui pèsent sur l’emploi de ces jeunes recrues, souvent mineures. Un point majeur pour les organisations patronales, mais que les syndicats auront bien du mal à accepter. Même débat sur les ruptures de contrats : aujourd’hui, les employeurs doivent payer les mois de formation restants et voudraient bien voir disparaître cette obligation.
Le deuxième chantier concerne la formation professionnelle, qui a déjà fait l’objet de réformes en 2004, 2009 et 2014. Mais son fonctionnement est toujours considéré par le gouvernement comme « un maquis » trop complexe. Selon les décomptes du ministère du travail, il existe aujourd’hui 97 000 organismes censés délivrer des formations, même s’ils ne sont en réalité que quelques milliers à en faire leur activité principale. Le gouvernement envisage d’établir des labels de qualité, ou d’obliger les organismes à afficher le taux d’insertion professionnelle de leurs étudiants. Fidèle à sa ligne, l’exécutif souhaite plus individualiser les parcours, laissant à chacun le soin de sélectionner le type de formation qui lui convient le mieux, voire les conseillers pour l’accompagner. Mais dans le même temps, et c’est assez contradictoire, il assure vouloir corriger la plus grosse inégalité du système : aujourd’hui, les formations sont utilisées à 68 % par les cadres. En d’autres termes, la formation va en priorité à ceux qui sont déjà formés. Et nul ne sait comment l’orienter vers ceux qui en ont le plus besoin pour trouver un emploi.
Bouleversement autour de l’assurance chômage
Mais ces deux dossiers ne sont que des hors-d’œuvre comparés au plat de résistance, roboratif, autour duquel chacun affûte ses arguments : la réforme de l’assurance chômage. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron en a fait l’un de ses marqueurs. Il veut ouvrir les droits au chômage aux salariés démissionnaires, et à tous les indépendants, artisans, professions libérales, et micro-entrepreneurs (ils sont 400 000 aujourd’hui, mais leur nombre devrait exploser car le gouvernement a doublé les plafonds de chiffre d’affaires pour bénéficier de ce statut avantageux fiscalement). Mediapart avait détaillé entre les deux tours toutes les questions soulevées par ce bouleversement des règles actuelles.
Premier enjeu de cette large ouverture souhaitée par le président, le coût. Même le président du Medef Pierre Gattaz, franc soutien des réformes sur le travail, a concédé en sortant de son rendez-vous à l’Élysée que l’idée posait « un petit problème économique », et qu’il était « un tout petit peu réservé ». Les Échos ont dévoilé les propres estimations du ministère du travail, qui a calculé que la première année cette ouverture pourrait coûter entre… 8 et 14 milliards d’euros, puis 3 à 5 milliards les années suivantes. Depuis, le ministère s’attache à relativiser ces chiffres, mais il table tout de même sur un coût de 2 à 3 milliards par an.
Face à ce chiffrage, patronat comme syndicats grincent des dents. Les deux parties soulignent que le président entend ne pas dépenser plus d’argent pour l’assurance chômage, malgré ce big bang annoncé. Les représentants des chefs d’entreprise craignent donc que le gouvernement sorte de son chapeau une hausse des cotisations patronales, à payer sur chaque salaire. Selon Les Échos, le Medef est très sceptique, assurant : « Nous n'avons pas d'opposition idéologique mais nous sommes sceptiques sur l'équation économique de la réforme, car ça ne tourne pas. »
Pour tenter de rassurer, sur TF1 le président a largement nuancé ses plans initiaux. Là où pendant la campagne, il parlait d'ouvrir les droits au chômage à un démissionnaire une fois tous les cinq ans, il a ouvert la porte à un allongement du délai à sept ans. Il a surtout annoncé : « Nous allons encadrer. Il faut le donner s’il y a un projet. » Autrement dit, ce droit de percevoir le chômage après une démission serait donc conditionné à un projet professionnel.
Il était important de rassurer le patronat. Ce dernier craint en effet une autre mesure annoncée pendant la campagne, qui consisterait à instaurer un malus pour les entreprises employant beaucoup de salariés en CDD. De quoi faire hurler les secteurs de l'hôtellerie ou de la grande distribution. Mais de cette idée, le président n'a pas parlé sur TF1.
De leur côté, les syndicats redoutent que le coût de la réforme oblige à baisser le montant des prestations versées aux demandeurs d’emploi. Ils rappellent par exemple qu’aujourd’hui, seuls 70 000 démissionnaires sont indemnisés chaque année. Une autre option envisageable pour assurer le financement est l’augmentation de l’âge à partir duquel une personne relève de la filière senior, qui garantit trois ans d’indemnisation contre deux normalement. Sur ce point, l'inquiétude des syndicats est d’autant plus légitime que pendant sa campagne, Macron avait indiqué qu’il souhaitait faire reculer de 55 à 57 ans l’âge pour pouvoir bénéficier de cette durée plus longue d’indemnisation.
Il a aussi annoncé, et l'a encore redit lors de son intervention sur TF1, qu'un plus grand contrôle des chômeurs sera mis en place. Lors de sa campagne, il calculait que cette surveillance renforcée permettrait d'économiser un milliard d'euros par an. On peut donc anticiper de fortes vagues de radiations d'inscrits à Pôle emploi, et notamment, si l'on en croit le programme de campagne, s'ils refusent deux offres d’emploi « crédibles » et « décentes ». Une mesure qui ne pourra pas avoir l'assentiment des représentants des salariés.
Les syndicats et le patronat se retrouvent en revanche sans aucune difficulté pour allumer tous les signaux d’alerte contre ce qu’ils voient contre un changement profond de logique à l’œuvre dans les propositions de l’exécutif. Comme Mediapart l’a détaillé, Emmanuel Macron a lancé une baisse des cotisations sociales payées par les salariés, qui sera compensée par une hausse d’un impôt, la CSG. C’est une transformation majeure du modèle social français, et une menace directe contre ce qu’on nomme le modèle assurantiel.
La fin du modèle assurantiel ?
Aujourd’hui, quand un salarié touche son salaire, une partie de la somme est déduite au nom des cotisations chômage, et c’est à ce titre (s’il a cotisé au moins quatre mois) qu’il pourra toucher des droits au chômage s’il perd son emploi. En fait, les salariés placent une partie de leur rémunération dans une assurance, qui leur garantit des revenus en cas de chômage. Ces revenus varient en fonction du montant et de la durée des salaires perçus. Les cotisations chômage sont d'ailleurs régulièrement considérées, par les syndicats, mais aussi par les comptables ou même la justice, comme un « salaire différé ».
En taillant dans les cotisations salariales et en faisant monter en puissance l’impôt, payé par tous, mais aussi par les retraités qui ne bénéficieront jamais du chômage, par définition, Emmanuel Macron attaque de front le système assurantiel. Les partenaires sociaux pensent que la suite logique de cette transformation est une évolution vers un système de minima sociaux, comme le RSA, payés à tous au même niveau, quelles que soient les conditions d’emploi précédentes. Des minima sociaux qui pourraient par ailleurs être ajustés à la baisse en cas de difficultés budgétaires.
Le 5 septembre, toutes les organisations représentatives des salariés et des employeurs ont publié un communiqué commun pour dire leur opposition à la réforme en cours. « Le financement du régime est (…) aujourd’hui basé sur des contributions sociales. Si les débats à venir doivent permettre de discuter de l’ensemble des sujets relatifs à une évolution du régime, il convient pour cela de n’en préempter aucune conclusion, en particulier sur les modalités de financement de l’assurance chômage », écrivent-ils.
Sur ce point, le gouvernement risque d’avoir face à lui un front commun syndical. D’autant que toutes les organisations représentatives sont vent debout contre l’autre versant de la réforme : une étatisation du système, alors que l’assurance chômage est aujourd’hui gérée par le patronat et les syndicats, au travers de l’Unédic. Ce sont eux qui en fixent les règles, y compris la durée et les montants de prestations accordées aux demandeurs d’emploi. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron n’a pas caché sa volonté de mettre un terme à ce système.
À l’époque, son principal conseiller sur ces questions, Marc Ferracci, aujourd’hui conseiller spécial de la ministre du travail, ne cachait pas sa position : « Nous assumons parfaitement le fait que le paritarisme produit des équilibres qui ne sont pas bons », assurait-il à Mediapart. Les signaux envoyés aux syndicats et au patronat se sont faits moins virulents aujourd’hui. Mais l’objectif de l’exécutif reste bien flou. Et au vu des positions actuelles des camps en présence, il n’est pas exclu qu’il déclenche un front commun contre la réforme qu’il voudra mener sur ce thème très sensible.