Le Larzac, un modèle pour l’avenir de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
Les médiateurs proposent une réallocation des terres agricoles conduite par l’Etat.
LE MONDE | 14.12.2017 | Par Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
A Notre-Dame-des-Landes, la lutte paysanne des années 1970 sur le plateau du Larzac reste la référence absolue pour les opposants à l’aéroport. Ces derniers ne rêvent pas seulement de victoire ; après l’enterrement du projet, ils aspirent à gérer la réallocation des terres selon un modèle calqué sur celui du Larzac. Soit la constitution d’une société civile ayant pour mission d’orchestrer la redistribution des parcelles.
Sur le plan juridique, ces terrains – 1 650 hectares selon la déclaration d’utilité publique, dont 650 expropriés – appartiennent à l’Etat, à l’exception de l’emprise de trois routes traversant la ZAD, propriété du département de Loire-Atlantique, précise un haut fonctionnaire. « L’idéal serait que la société civile que nous souhaitons créer obtienne de l’Etat un bail emphytéotique de la durée la plus longue possible, soit 99 années », énonce Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, association d’opposants au projet d’aéroport. A charge pour cette société civile de contractualiser des baux classiques « avec les agriculteurs ou des structures associatives. La question n’est pas de devenir propriétaire mais d’avoir une gestion collective de l’usage des terres ».
La solution est préconisée, à demi-mot, par les médiateurs, qui invitent l’Etat, en cas d’abandon du projet, à « garder la maîtrise foncière des terrains acquis » et à nommer « un chargé de mission de haut niveau, très bon connaisseur du monde agricole », pour superviser les opérations de réallocation menées « sous le pilotage des acteurs locaux ». Les scénarios de redistribution risquent de fâcher certains zadistes.
« Continuer de cheminer ensemble »
S’il est favorable à la création d’une société civile « en tant qu’agriculteur », Marcel Thébault temporise : « Laissons-nous le temps d’explorer toutes les possibilités. Pour ma part, j’ai envie que les différents acteurs de la lutte continuent de cheminer ensemble. » En cas d’arrêt du projet, les propriétaires expropriés ayant refusé de toucher l’indemnisation de Vinci exigeront de l’Etat la restitution de leurs biens (deux maisons, quatre fermes avec habitation, et plus de 150 hectares). Moyennant restitution de l’argent touché, ceux qui ont cédé leurs terres pourraient faire de même. M. Thébault, qui a perdu 25 hectares, veut croire à un dénouement paisible sur le sujet : « On peut imaginer que la plupart sont des amis de la lutte et accepteront de remettre leurs terres à la société civile en vue de l’installation de nouveaux agriculteurs ou de la pérennisation de projets collectifs. »
La priorité sera d’obtenir « un moratoire et un gel des expulsions, reprend M. Durand. Au Larzac, il a fallu trois ans pour que le dispositif soit opérationnel ». Seule certitude : si l’Etat donne le feu vert pour Notre-Dame-des-Landes, la prorogation de la déclaration d’utilité publique, indispensable au dossier, sera attaquée.
Une piste de sortie pour Macron dans le dossier de Notre-Dame-des-Landes
L’évacuation de la ZAD, occupée par plusieurs centaines d’opposants à l’aéroport, reste, quel que soit le scénario retenu, une opération délicate à mener.
LE MONDE | 14.12.2017 à 10h26 • Mis à jour le 14.12.2017 à 10h30 | Par Rémi Barroux
Emmanuel Macron et le gouvernement vont peut-être trouver la voie de sortie, dans ce dossier vieux d’une cinquantaine d’années de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. En proposant deux scénarios, la réalisation du projet du nouvel aéroport dans le bocage, au nord de Nantes, et le réaménagement de l’actuelle plate-forme aéroportuaire de Nantes-Atlantique, les trois médiateurs, qui ont remis leur rapport au premier ministre, Edouard Philippe, mercredi 13 décembre, ont tendu une perche au président de la République, qui annoncera son choix avant la fin du mois de janvier.
Celui-ci peut se prévaloir de nouvelles informations, crédibilisant le scénario, défendu depuis toujours par les opposants à la construction de Notre-Dame-des-Landes, d’une modernisation de l’aéroport existant.
Alors que ce projet est encalminé depuis son origine, dans les années 1970, il va enfin trouver sa conclusion. Emmanuel Macron l’a confirmé dans un entretien au Monde (13 décembre), jugeant que l’information sur ce dossier avait été, jusqu’alors, « insuffisante ».
Ce faisant, le chef de l’Etat répond au principal argument des partisans du transfert de l’actuel aéroport nantais : le déni de démocratie, avec la négation du résultat du scrutin départemental du 26 juin 2016, qui avait apporté une nette majorité de réponses favorables à l’unique question posée : « Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »
En avançant qu’« on prend toujours les meilleures décisions en acceptant le débat démocratique, mais instruit et informé de manière indépendante », Emmanuel Macron prépare le terrain. Le report de sa décision, annoncée à l’origine avant la fin de l’année, qui ne sera rendue qu’en janvier, laisse le temps pour d’éventuelles précisions sur le scénario de réaménagement de l’actuel aéroport et, surtout, offre un délai afin de tenter d’amadouer les élus locaux, dont l’immense majorité, quel qu’en soit le bord politique, sont attachés à ce projet de transfert. Edouard Philippe, le premier ministre, lors de la remise du rapport, a d’ailleurs rappelé la nécessité de « faire de la pédagogie ». Il a aussi confirmé qu’il y aurait bien une « décision claire et assumée par le gouvernement ».
Jusqu’alors, aucune autorité, de gauche comme de droite, n’a été capable de trancher. Que ce soit François Fillon, favorable au projet de nouvel aéroport, quand il était premier ministre, lorsque le décret de déclaration d’utilité publique était publié, en 2008. Ou Jean-Marc Ayrault, ardent défenseur du projet, comme maire de Nantes ou président de la région des Pays de la Loire, et premier ministre socialiste de 2012 à 2014. Ce dernier a même tenté, à l’automne 2012, avec Manuel Valls comme ministre de l’intérieur, l’opération « César » d’évacuation de la ZAD, la zone à défendre occupée par les opposants, qui s’est soldée par un échec retentissant.
Le syndrome de Sivens
Aucun gouvernement ni chef de l’Etat n’a donc conclu, laissant au suivant le soin de décider, et la situation s’enliser. Emmanuel Macron hérite de la « patate chaude » et va conclure, au côté de son ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, icône de l’écologie et opposé au projet. Au sein du gouvernement, les avis sont partagés. Le ministre des affaires étrangères, le socialiste Jean-Yves Le Drian, ancien président de la région Bretagne, est favorable à la construction de Notre-Dame-des-Landes.
Le chef de l’Etat n’a pas le choix, car la déclaration d’utilité publique (DUP) arrive à échéance le 8 février 2018, sa durée étant de dix ans. Pour ménager l’avenir, le gouvernement pourrait déposer devant le Conseil d’Etat un décret de prorogation de cette DUP. Côté judiciaire, les recours déposés par les opposants sur les décrets préfectoraux « loi sur l’eau » et « protection des espèces protégées » font encore l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Quel que soit le choix du gouvernement, il reste le très délicat problème de la ZAD et de ses quelque 300 occupants. Si la décision de la construction à Notre-Dame-des-Landes était prise – le scénario le moins probable – l’opération d’évacuation susciterait de nouveau une très forte résistance, soutenue par un mouvement national de solidarité, à même de mobiliser des dizaines de milliers de personnes sur le site. Dans l’hypothèse de l’abandon du projet, le problème demeure pour le gouvernement. Les médiateurs ont été clairs sur ce point. La réalisation du nouveau scénario « ne pourrait s’accompagner du maintien d’une zone de non-droit sur le site de Notre-Dame-des-Landes ».
L’opération d’évacuation, même si le mouvement de solidarité sera moins virulent du fait de l’abandon du projet de nouvel aéroport, reste délicate. De 2 000 à 3 000 gendarmes et policier seraient nécessaires et les risques d’affrontements violents, avec de possibles victimes, réels.
Le syndrome de Sivens, dans le Tarn, où Rémi Fraisse, un jeune manifestant opposé au projet de barrage, avait été tué par une grenade lancée par un gendarme, le 26 octobre 2014, hante l’Elysée. « Quel serait alors l’intérêt de prendre un tel risque, d’engager de telles dépenses si on ne fait pas l’aéroport ? », notent certains partisans du transfert. Malgré l’éclairage des médiateurs, la conclusion du dossier Notre-Dame-des-Landes reste périlleuse pour M. Macron.
Le réaménagement de l’aéroport de Nantes Atlantique devient crédible
Les médiateurs nommés par le gouvernement ont rendu leur rapport. Deux scénarios ont été retenus : le projet de Notre-Dame-des-Landes et la modernisation de l’actuel aéroport.
LE MONDE | 14.12.2017 | Par Rémi Barroux
A défaut d’indiquer quel devait être le choix concernant l’implantation du futur aéroport nantais – ce qui ne lui était pas demandé –, la mission de médiation, installée par le premier ministre le 1er juin, a rouvert le champ des possibles.
En rendant leur rapport à leur commanditaire, Edouard Philippe, mercredi 13 décembre, les trois médiateurs, Anne Boquet, Michel Badré et Gérard Feldzer ont présenté deux options « raisonnablement envisageables » : le maintien du projet en l’état à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) – deux pistes à une vingtaine de kilomètres au nord de l’agglomération nantaise – et le réaménagement de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique, situé à Bouguenais, au sud-ouest de Nantes.
Après six mois de travail, d’enquête, d’audition de quelque 300 personnes, de séances dites de « controverse » où les anti et les pro transfert de l’actuel aéroport, confrontaient leurs expertises, les médiateurs ont écarté tout autre scénario.
Exit ainsi la proposition d’une plate-forme aéroportuaire à Notre-Dame-des-Landes à une seule piste qui avait été avancée par les experts commandités par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, au printemps 2016. De même, les constructions d’une piste en travers (orientée Est-Ouest au lieu de Sud-Nord), ou d’une « piste auxiliaire en V » sur le site actuel n’ont pas été retenues. Enfin, la solution de sites alternatifs ou de mise en réseau des aéroports voisins, Saint-Nazaire, Rennes, Angers, n’a pas non séduit la commission.
· Trafic
Une chose est sûre et reconnue par les différents protagonistes du dossier, les prévisions de croissance du trafic aérien, telles qu’annoncées, sont globalement validées. L’actuel aéroport fait face à une importante augmentation du nombre de voyageurs, dépassant déjà les prévisions. Les 5,4 millions de passagers de 2017 seraient, en 2030, 7 millions, puis 9 millions dix ans plus tard.
Mais, le nombre des vols, lui, croît plus faiblement, expliquent les médiateurs. L’emport des avions, soit leur capacité en passagers, est plus important, ce qui se traduit par une moindre augmentation du nombre de rotations.
Les auteurs du rapport rappellent qu’en 2000 on comptait 45 000 mouvements d’avions pour 2 millions de passagers et, dix-sept ans plus tard, 55 000 mouvements pour 5,4 millions de passagers, soit des croissances de 170 % pour les voyageurs mais de 22 % pour les vols. Pour les 7 millions de passagers en 2030, on compterait 65 000 mouvements d’avions et pour 9 millions, 80 000.
· Bruit
Le nombre de vols a des conséquences en termes de nuisances sonores, ce que martèlent les partisans du transfert de l’aéroport qui soulignent le nombre important d’habitants de l’agglomération nantaise incommodées par le bruit. Cela reste, pour les médiateurs, le point faible principal de la solution du réaménagement de Nantes Atlantique.
Mais leurs projections révèlent de nouvelles informations que, jusqu’alors, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) n’avait pas données. « L’aménagement de Nantes Atlantique laisse subsister des nuisances sonores significatives, sans pour autant les accroître ni restreindre les zones constructibles », écrivent les médiateurs.
Cela signifie que le nombre d’habitants résidant dans la zone d’exposition au bruit serait comparable à la situation actuelle (définie par le plan d’exposition au bruit de 2004), soit 3 500 à 6 000 riverains confrontés à des « nuisances significatives » et 67 000 à une « gêne modérée ». A titre de comparaison, sur le site de Notre-Dame-des-Landes, ces nuisances significatives impacteraient quelque 200 habitants, 1 500 riverains subissant, eux, une gêne modérée.
Pour limiter les conséquences en termes de bruit, les médiateurs avancent une série de propositions : modification des trajectoires et de la pente d’approche, en l’accentuant, allongement de la piste, « approches innovantes » avec les nouvelles technologies, notamment les moyens satellitaires embarqués, limitation des vols de nuit, etc.
· Urbanisation
Ces nouveaux éléments sur l’exposition au bruit invalident les arguments de ceux qui expliquaient que l’agrandissement de Nantes Atlantique empêcherait la densification et favoriserait l’étalement urbain, alors que l’agglomération ne cesse d’accueillir de nouveaux habitants. Selon les médiateurs, le réaménagement consommerait 60 à 224 hectares, selon les différentes hypothèses (piste allongée, aires de stationnement – qui pourraient être construites en silo, ce qui n’est pas le cas actuellement).
Dans le cas d’un nouvel aéroport dans le bocage, la superficie consommée serait de 1 100 hectares (aérogare, barreau routier d’accès, zone d’activité économique…). Dans le match entre les deux scénarios, la question de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols montre que le choix de Notre-Dame-des-Landes serait bien plus pénalisant.
· Environnement
Dans l’hypothèse Notre-Dame-des-Landes, l’impact environnemental est donc évident. Les médiateurs ont pris en compte la nécessiter de compenser les impacts sur la zone humide et les espèces protégées mais s’interrogent « sur la faisabilité du dispositif de compensation ».
Surtout, leurs travaux sur le réaménagement de Nantes Atlantique tordent le cou à un argument des pro transfert, qui protestaient contre les atteintes écologiques d’une éventuelle augmentation de l’activité aéroportuaire sur le site actuel. « Il n’y aurait pas d’impact significatif dommageable sur la réserve du Lac de Grandlieu », classée Natura 2000, et voisine de Nantes Atlantique, explique le rapport. « L’expertise fournie par le Muséum d’histoire naturelle lève le doute en la matière. »
· Coûts
« La comparaison financière entre les deux options pour l’Etat et les collectivités territoriales fait apparaître un écart de l’ordre de 250 à 350 millions d’euros en faveur de l’option de Nantes Atlantique, hors prise en compte d’une éventuelle indemnisation du titulaire du contrat de concession [Vinci], le cas échéant », avancent les médiateurs.
Ils se gardent bien, en revanche, de préciser quel pourrait être le montant d’une telle indemnisation. « Cela va faire l’objet d’une négociation et il n’est pas possible d’intervenir en avançant un chiffre », a précisé Michel Badré, tout en rappelant que la fourchette pouvait aller de 0 à 350 millions d’euros.
De même, que les coûts de l’intervention des forces de l’ordre sur la « zone à défendre » (ZAD) seront aussi proportionnés à la durée et à l’importance de cette opération, selon que l’aéroport sera construit ou non à Notre-Dame-des-Landes.