Bac, brevet, maternelle: Blanquer joue au chamboule-tout
Le ministre de l’éducation nationale avait promis, à son arrivée, qu’il ne bouleverserait pas toute l’organisation du système scolaire. Pourtant, il multiplie les annonces et les missions, et s’attelle à plusieurs chantiers. Passage en revue.
Cet été, Jean-Michel Blanquer se défendait de vouloir tout bouleverser à l’école. « Je ne veux pas opérer de destruction. Je ne ferai pas de loi, je ne vais pas bouleverser les programmes, ni lancer de refondation », expliquait à Mediapart le ministre de l’éducation nationale. Huit mois après sa nomination rue de Grenelle, force est de constater qu’il a ouvert de nouveaux chantiers tous azimuts. L’examen du brevet, qui n’a qu’un an, a déjà changé de visage : retouché pour laisser moins de place au contrôle continu, comme le détaille le bulletin officiel du 4 janvier, le brevet des collèges 2018 sera désormais noté sur 800, contre 700 pour la version 2017. Les épreuves de l’examen final compteront pour 400 points (au lieu de 300), et les compétences du socle commun seront évaluées en contrôle continu pour 400 points également. Une manière pour le ministre de rééquilibrer le barème entre examen final et contrôle continu, et d’éviter que les bons élèves ne soient assurés d’avoir suffisamment de points et de décrocher l'examen avant même le début des épreuves finales.
Le baccalauréat – dont la nouvelle mouture doit être prête pour la session 2021 – va bénéficier d’un sérieux lifting. La mission a échu à l’universitaire Pierre Mathiot. Après un mois de consultation de différents membres de la communauté éducative, qui s’est achevé mi-décembre, celui-ci doit rendre son rapport à la fin janvier.
Ce n’est pas fini. En février, encore, le ministre va se lancer dans la vaste entreprise de réforme de la voie professionnelle, afin de la rendre plus attractive.
Les plus petits ne sont pas oubliés puisque le ministre vient d’annoncer, dans un entretien accordé à Ouest France le 6 janvier, la tenue en mars d’assises pour l’école maternelle, sous le patronage du neuropsychiatre Boris Cyrulnik. L’idée phare de ces assises étant d’améliorer l’acquisition du langage chez les enfants avant la scolarisation obligatoire à 6 ans, dans le but de « repenser l'école maternelle » pour en faire « l'école de l'épanouissement et du langage ». Le ministre entend corriger par ce truchement, dit-il dans cet entretien, « la première des inégalités qui se traduit par la quantité de vocabulaire maîtrisé à l’entrée en maternelle ». Il espère donc faire de l’école « un bain de langage » et une « locomotive pédagogique » pour l’ensemble du système scolaire. La maternelle est en effet considérée comme un point fort du système éducatif français. Dans son livre L’École de demain (éditions Odile Jacob), ouvrage programmatique paru à l’automne 2016, Blanquer rappelait déjà l’importance « décisive » pour l’apprentissage de la période comprise entre la naissance et l’âge de 7 ans.
De son côté, le psychiatre Boris Cyrulnik considère qu’il faut miser sur la « plasticité du cerveau » qui permet par exemple à un enfant « d’apprendre n’importe quelle langue ». Il explique encore que les enfants à cet âge-là « ne s’attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui ». Des propos qui font écho à ceux tenus en son temps par Xavier Darcos en 2008. Le ministre de l’époque avait provoqué un tollé en expliquant qu’il fallait s’interroger sur la nécessité de « généraliser la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans et est-ce qu'il nous faut des professeurs recrutés à bac + 5 pour s'occuper des enfants de 2 et 3 ans ? ».
Jean-Michel Blanquer rappelle fréquemment que ses deux boussoles sont la recherche et les comparaisons internationales. L’idée de travailler sur l’école maternelle a été explorée par les chercheurs en sciences de l’éducation.
L’OCDE, à l’origine du classement PISA, a publié en juin 2017, une étude d’ampleur (à lire ici), intitulée Petite enfance, grands défis 2017. On y explique que l’accueil des tout-petits est crucial car il favorise le développement de compétences « déterminantes pour réussir dans la vie », le tout appuyé par les neurosciences. Pas étonnant que le ministre s’intéresse donc à cette question.
Scolariser les enfants très tôt, notamment chez les enfants défavorisés, apporte de bons résultats même si certains mettent en garde contre le risque d’une « primarisation de l’école maternelle trop précoce », comme ici dans cette étude de la Direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’éducation nationale de 2013.
En 2016, le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco) publiait unenote sur la question : « En résumé, la recherche française suggère qu'une plus longue éducation en école maternelle a un impact positif sur les résultats éducatifs ; il y a aussi l'évidence qu'une école maternelle généralisée a des effets positifs sur les enfants issus de classes sociales défavorisées sans affecter les enfants issus de classes favorisées, ce qui implique que la maternelle peut être un outil de réduction des inégalités. »
La note comparative pose aussi la question de la scolarisation dès 2 ans (11,8 % des enfants de 2 ans sont scolarisés), qui pourrait permettre d’augmenter la réussite des enfants issus des milieux défavorisés. Une idée poussée par l’un des prédécesseurs de Jean-Michel Blanquer, Vincent Peillon. Jean-Michel Blanquer et Boris Cyrulnik ne l’évoquent pas encore.
Tous deux insistent plutôt sur la nécessité de « sécuriser » les enfants, d’améliorer la formation des enseignants et des intervenants en maternelle, notamment les ATSEM (agents territoriaux spécialisés). « Il s’agira de revoir les formations initiales et continues, peut-être d’aller jusqu’à des formes de certification », indique le ministre. Encore faut-il que les municipalités jouent le jeu et allouent suffisamment de moyens pour leur permettre d’être présents dans toutes les écoles, en nombre suffisant si possible. Sans compter que le ministre et son nouveau chargé de mission ne parlent pas de la question des effectifs, 26 enfants en moyenne. Alors même qu’il en parlait dans son livre. Il y dessinait un « scénario optimal » et considérait qu’il faudrait agir sur la taille des classes et les diviser par deux en éducation prioritaire, les REP et REP +. Un investissement de 120 millions d’euros annuels, calculait Jean-Michel Blanquer, serait nécessaire pour modifier le taux d’encadrement.
Le ministre estime dans cet entretien qu’il convient aussi d’agir sur le cadre de travail des enfants : il évoque ainsi la nécessité d’améliorer les salles de classe, la cantine ou les toilettes (lire ici le rapport du Cnesco consacré au cadre de vie des élèves). Autant de compétences qui ne lui sont pas dévolues, mais incombent aux collectivités locales…
Le choix du neuropsychiatre pour piloter cette mission confirme encore un peu plus l’appétence forte que nourrit le ministre envers les neurosciences. Il doit d’ailleurs installer, ce mercredi 10 janvier, le conseil scientifique annoncé fin novembre 2017. Celui-ci, doté « d’un pouvoir consultatif et composé d’une vingtaine de personnalités reconnues travaillant dans différentes disciplines scientifiques », selon le communiqué du ministère de l’éducation nationale, « pourra être saisi sur tous les sujets afin d'apporter des éclairages pertinents en matière d'éducation ». Il est chapeauté par Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire en psychologie cognitive expérimentale, auquel se réfère abondamment Jean-Michel Blanquer.
Ce dernier est persuadé que les sciences peuvent apporter des réponses aux problèmes de l’école. Dans son livre, il écrivait ceci : « Les neurosciences permettent de mieux comprendre les étapes du développement cognitif sans être un nouveau dogme commandant de tout saisir et tout déterminer. » Ses détracteurs pointent la vision« mécaniste » de Jean-Michel Blanquer, son peu d’intérêt pour la sociologie. Le philosophe Denis Forest expliquait à Mediapart les biais de ce recours aveugle à la science. Ces recherches ne peuvent être considérées comme des « vérités absolues venues d’en haut », avertissait-il. « La preuve, pendant longtemps on a dit que l’autisme était la faute des mères. On sait que c’est parfaitement faux. On ne peut donc pas demander à la science de dicter une politique éducative », conclut-il.
À l'autre extrémité du spectre de la scolarité, le ministre veut s'occuper des élèves les plus âgés et du rite de passage que constitue le baccalauréat. L’échéance est lointaine, mais l'examen à la sauce Blanquer devrait être opérationnel pour la session 2021 (lire notre article sur le sujet). Difficile pourtant de toucher si facilement à un monument national vieux de deux cents ans. D’où l’attention extrême donnée à la consultation. La commission menée par l’universitaire Pierre Mathiot s’est achevée le 13 décembre. Il est quasiment acté que le baccalauréat sera évalué sur quatre épreuves nationales passées en Terminale. Les épreuves anticipées de français en Première ne bougeraient pas pour leur part. Selon Les Échos, « les élèves suivraient des enseignements de tronc commun, en se spécialisant progressivement grâce au choix de deux disciplines constituant la “majeure” et de deux ou trois “mineures”. Ils pourraient suivre la même discipline en majeure et en mineure, sous forme d'un enseignement renforcé ». Au printemps de l'année de Terminale, les futurs bacheliers passeront des épreuves finales portant sur les deux majeures choisies par les élèves dans des couples de disciplines donnés, pour lesquels ils se seront prononcés dès la fin de Seconde. Tous les élèves au-delà des majeures conserveront la philosophie en épreuve terminale.
Les autres disciplines seront évaluées, bien entendu, mais sous la forme de contrôle continu. Difficile de savoir comment, mais cela pourrait se faire via des partiels mis en place dans chaque établissement. Voilà pour les grandes lignes.
Le Snes-Fsu, syndicat majoritaire du secondaire, a pointé le risque d’un bac à plusieurs vitesses. D’autant que les séries – L, S, ES – pourraient disparaître. Un grand oral, sur le modèle italien, portant sur un sujet choisi par l’élève, serait à l’étude. Le Snes-Fsu explique dans un article qu’il serait possiblement évalué par un jury de« trois personnes dont un non-enseignant ».
L’autre rumeur concernant le futur examen est rapportépar Le Figaro. Le quotidien explique que la commission Mathiot envisagerait de supprimer les épreuves orales de rattrapage, ce « second groupe d’épreuves », selon la terminologie officielle, accessible aux élèves de Terminale qui ont récolté une moyenne comprise entre 8 et 10 sur 20. Ces élèves sur le fil devaient choisir deux matières parmi les épreuves obligatoires du bac. Avec le nouveau bac, ce « deuxième groupe d’épreuves du bac, qui mobilise des dizaines de milliers d’enseignants en juillet ainsi que des centaines d’établissements scolaires, pourrait être remplacé par un examen attentif du livret scolaire de ces élèves tangents ». Certains syndicalistes ne sont pas opposés à cette suppression, explique Le Figaro, car ils jugent le dispositif peu satisfaisant et chronophage pour les professeurs.
Claire Guéville, responsable de la question du lycée au Snes-Fsu, juge qu’à l’aune des différentes informations recueillies à l’issue de la consultation de la mission baccalauréat, plusieurs points suscitent interrogations et inquiétudes. « Un bac qui piloterait tous les enseignement au lycée, ce n’est pas acceptable. C’est réducteur. Sans compter qu’on ne sait pas ce qu’il advient des lycées de la voie technologique. » Elle craint par ailleurs que l’évaluation par le biais d’un grand oral ne pénalise les élèves les plus défavorisés, ne serait-ce que parce qu’ils ont engrangé moins de savoirs extrascolaires que leurs camarades mieux lotis. Plus généralement, la responsable syndicale pointe la difficulté à gérer « de manière pratique » cette réforme. Quels enseignants ? Quels choix d’enseignements pour quels élèves ? Tout en restant prudente, Claire Guéville considère que derrière « l’illusion de la liberté de choix se cache un système inégalitaire et pernicieux car il y aura un délit d’initiés. Les mieux informés choisiront les meilleures options ».