Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 août 2023 2 15 /08 /août /2023 06:03
L’Arenh ou le pacte des profiteurs de crise - Fabien Gay, L'Humanité, 5 août 2023
L’Arenh ou le pacte des profiteurs de crise
Samedi 5 août 2023
 

Ce pourrait être le titre d’un polar. Imaginez l’histoire : un pacte entre des traders, des fournisseurs alternatifs d’énergie profitant d’opportunes décisions gouvernementales pour tirer d’énormes bénéfices de la mise à terre de deux victimes – EDF dépecée, et les usagers de l’électricité rackettés.

L’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), c’est ce système inventé de toutes pièces sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour accélérer la libéralisation du secteur de l’énergie, sous l’impulsion de l’Union européenne. La seule véritable règle de ce système est de permettre aux acteurs alternatifs de revendre aux usagers – devenus des clients – l’électricité produite par EDF, plus chère que si lesdits usagers étaient restés chez EDF. Le tout, en leur faisant croire qu’ils allaient y gagner, et dans le seul but d’engranger des bénéfices.

Puis, pour emballer ce douteux paquet, des règles opaques, des objectifs de production tellement flous qu’ils ne seront jamais respectés, et une bonne couche de lâcheté politique des gouvernements successifs pour ne surtout rien remettre en cause. Tant pis si EDF s’endette, n’a plus les moyens de s’autofinancer pour investir ou d’entretenir ses infrastructures. Et tant pis si, dans le même temps, près d’un Français sur quatre se trouve en situation de précarité énergétique.

Si l’Arenh n’est pas responsable de tous les maux qui accablent le secteur de l’énergie, elle en est un des principaux symptômes, du moins la traduction d’une étape dans la recherche effrénée de libéralisation.

Déjà en 2010, c’était folie d’obliger EDF à vendre un quart de sa production au prix de 42 euros le mégawattheure. Au lendemain d’une crise énergétique où celui-ci s’est échangé au prix de 1 000 euros sur le marché en août 2022, persister avec l’Arenh est une aberration. D’autant que ces prix ne reflètent en rien le coût de la production, mais bien celui du trading.

Car, en 2022, les acteurs alternatifs ont bien vu la manne financière qui s’offrait à eux : surévaluer leurs besoins avec un portefeuille clients conséquent, puis se défaire ensuite de l’essentiel de leurs clients pour revendre le surplus des quotas achetés 42 euros le mégawattheure… sept à huit fois plus sur le marché !

Et pendant qu’ils engrangent des milliards de bouclier tarifaire et de filet de sécurité auxquels s’additionnent les reventes de l’Arenh, les Françaises et les Français ont vu leur facture augmenter de 15 % en février et de 10 % au 1er août.

Et l’amende record, appelée complément de prix par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), de près de 1,6 milliard d’euros sera redistribuée… aux acteurs alternatifs eux-mêmes. Dans ce mauvais polar, pas de happy end. Il est temps d’en finir avec ce pacte absurde.

Pour écrire la suite, il faudra tout rebâtir. À l’image de Marcel Paul, ministre communiste de la Production industrielle de novembre 1945 à décembre 1946, il nous faut réfléchir, écrire, proposer et faire adopter une nouvelle loi de nationalisation de tous les secteurs énergétiques. S’y regrouperaient EDF, Engie et TotalEnergie sous une même bannière : GEDF, le Groupe énergie de France. Bénéficiant d’un monopole public, de la production en passant par le transport et jusqu’à la distribution de l’électricité, mais aussi du gaz et de l’essence, ce nouveau groupe aurait à charge de décarboner l’énergie et de la rendre accessible à toutes et tous. De l’audace ! À vos stylos.

Partager cet article
Repost0
15 août 2023 2 15 /08 /août /2023 06:00
René Char et Albert Camus (à droite) ont partagé une amitié de 15 ans, douce comme les promenades baignées de lumière que les deux hommes partageaient dans la campagne du Luberon, cette terre où « des flots de silence rebondissent sur la campagne »

René Char et Albert Camus (à droite) ont partagé une amitié de 15 ans, douce comme les promenades baignées de lumière que les deux hommes partageaient dans la campagne du Luberon, cette terre où « des flots de silence rebondissent sur la campagne »

René Char et Albert Camus : une amitié incandescente 

Baignée des lumières du Midi, l’amitié entre le poète René Char et le romancier Albert Camus s’est nourrie d’une correspondance affectueuse et dense, d’une sincérité désarmante, interrompue seulement par la mort brutale de Camus, le 4 janvier 1960.

Mercredi 2 août 2023 - L'Humanité

Ce fut, depuis le frémissement des premiers mots échangés, une amitié incandescente, d’une rare intensité, sans brouilles ni rancunes, sans ombre aucune. La « fraternité profonde » unissant Albert Camus et René Char s’est forgée au sortir de la guerre, quand le premier, qui dirigeait alors la collection « Espoir » chez Gallimard, publia en 1946 les Feuillets d’Hypnos, bouleversants fragments rapportés du maquis des Basses-Alpes par le poète, engagé dans l’Armée secrète sous le nom de capitaine Alexandre.

Sans se connaître encore, les deux hommes s’estiment : la complicité née de la Résistance les porte l’un vers l’autre ; avant-guerre, Char vilipendait avec les surréalistes l’exposition coloniale, quand Camus s’indignait dans les colonnes d’ Alger républicain de la condition faite aux indigènes ; tous deux se tiennent « sur la corde raide, glissant sur la lame de l’épée », quand l’époque, pensent-ils, est à la démesure.

Leur rencontre apaise la blessure laissée par la perte de deux frères d’armes

Leur rencontre a la force d’une évidence, la clarté d’une certitude. Elle apaise la blessure laissée par la perte de deux frères d’armes, poètes eux aussi : René Leynaud, fusillé par les nazis, dont Camus confie qu’il lui « manque obscurément » ; Roger Bernard, exécuté à Céreste sous les yeux de Char, qui, à la Libération avait fait publier de lui un recueil sous le titre Ma faim noire déjà.

Dans la clandestinité, l’Étranger était tombé entre les mains de Char. Il n’y avait guère prêté attention. Il devait s’en expliquer bien plus tard dans Naissance et jour levant d’une amitié, des réminiscences qui viennent clore la Postérité du soleil, publiée après la disparition de Camus : « J’avais eu peu de loisir pour le lire. Période où toute vraie lecture ne pouvait avoir lieu que dans la ligne où l’événement la fixait. J’avais parcouru le livre. Je ne peux pas dire qu’il m’avait causé une profonde impression… »

Au temps de la rencontre, Caligula suscite au contraire son « accord total » et il tiendra la Peste pour « un très grand livre » : « Les enfants vont pouvoir à nouveau grandir, les chimères respirer. (…) Notre temps a bien besoin de vous ». En écho, le romancier et dramaturge voit dans Char « le seul poète aujourd’hui qui ait osé défendre la beauté, le dire explicitement, prouver qu’on peut se battre pour elle en même temps que pour le pain quotidien ».

Premières lueurs d’une correspondance affectueuse, généreuse et dense, d’une sincérité désarmante, débordant la reconnaissance artistique et l’admiration mutuelle pour l’œuvre, interrompue seulement par la mort brutale de Camus, le 4 janvier 1960.

Dans le deuil, Char, profondément ébranlé, se retourne sur cette amitié d’une quinzaine d’années, douce comme les promenades baignées de lumière que les deux hommes partageaient dans la campagne du Luberon, cette terre où « des flots de silence rebondissent sur la campagne ». Il pleure un frère : « Un frère choisi par moi et non un frère donné par une mère aveugle. »

Cette amitié tient du paysage : celui de ces montagnes « pleines de vents cassés et d’obscure tristesse »

Leur correspondance est comme un cocon qui tient lieu de refuge à deux solitudes. D’emblée, elle se fait intime, des tracas d’intendance ou de santé jusqu’aux amours effilochées, des connivences politiques aux anciens amis qu’ils brocardent –  « Lugubre Breton ! ».

Ils s’y livrent, mettent leurs cœurs à nu, se disent crûment ce qu’il leur en coûte d’écrire, de créer. Leurs mots sont empreints de solidarité et d’attention, de confiance et de chaleur, parfois lestés de ­l’anxieuse attente entre les retrouvailles, dans le Midi ou à Paris dont ils vilipendent les intelligences vulgaires et les « lâches complaisances ».

Cette amitié tient du paysage : celui de ces montagnes « pleines de vents cassés et d’obscure tristesse », Luberon, Alpilles, Ventoux, qui entourent la plaine de L’Isle-sur-la-Sorgue où vit Char. Là où l’été a une belle vieillesse, où les hommes sont « forts comme des chênes et sensibles comme des oiseaux », les deux écrivains ont défriché un arrière-pays commun : une terre et des êtres « aux soleils jumeaux qui prolongeaient avec plus de verdure, de coloris et d’humidité, la terre d’Algérie à laquelle il était si attaché », écrira Char, à propos de son ami.

René Char et Albert Camus : une amitié incandescente  (Rosa Moussaoui, L'Humanité, 2 août 2023)
Partager cet article
Repost0
14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 06:00
Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison - L'Humanité, Bruno Odent, 4 août 2023
Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison

Incarcérée en Silésie pour son opposition aux impérialismes, Rosa Luxembourg la future cofondatrice du Parti communiste allemand résiste et s’évade par l’écriture. Les lettres qu’elle envoie à sa meilleure amie sont aussi surprenantes qu’émouvantes.

Publié le Vendredi 4 août 2023

Entre 1914 et 1919, c’est derrière les barreaux que Rosa Luxemburg aura passé, quasiment sans discontinuer, les dernières années de sa vie. Enfermée en Silésie dans la prison de Wronki (près de Posten, aujourd’hui Poznan), puis à Breslau (Wroclaw), la cofondatrice – avec Karl Liebknecht – du parti communiste allemand, usera de l’écriture comme d’un moyen de s’échapper pour poursuivre envers et contre tout son combat contre l’impérialisme et la guerre.

Elle y produit une extraordinaire somme d’articles, de réflexions et d’analyses, publiés souvent au nez et à la barbe de ses geôliers. Cette détermination politique intacte, elle l’associera à une activité épistolaire intense avec des proches, des amis, seules fenêtres sur le monde extérieur. Sophie (alias Sonja) Liebknecht, seconde épouse de Karl, sera l’une des principales destinataires d’échanges épistolaires émouvants et d’une extraordinaire qualité littéraire.

À la croisée d’un rendez-­vous avec l’histoire ni manqué ni prématuré

Avec Sonja, devenue sa meilleure amie, Rosa Luxemburg entretient, de longue date, une relation où elle sait pouvoir se confier sur tout, y compris son enthousiasme pour la beauté de la nature, des choses et des êtres, son goût si exigeant des textes. Les affinités de Soniouchka, la Russe, et de Rosa, issue d’une famille juive de Silésie, passent par les territoires polonais, sous contrôle des empires russe puis allemand.

Des missives de Sonja Liebknecht déclenchent une réaction intense chez Rosa Luxemburg dont il ne reste malheureusement aucune trace aujourd’hui. Ce qui nous a obligés à procéder à sens unique, en laissant deviner derrière les mots de la révolutionnaire allemande la personnalité de Sonja Liebknecht, cette jeune historienne de l’art qui trouvera refuge en Union soviétique après l’assassinat de son mari, en janvier 1919.

Les deux femmes et leur destin tragique sont à la croisée d’un rendez-­vous avec l’histoire ni manqué ni prématuré, mais assassiné, avec la complicité établie des dirigeants d’une gauche allemande déjà très recentrée, en train d’accéder au pouvoir sur les ruines du second Empire allemand (1).

L’une des deux lettres de prison adressées à Sonja, dont nous avons choisi de publier des extraits, constitue l’un des messages anti-guerre les plus forts laissés par la dirigeante internationaliste. Même s’il n’est jamais explicite. Même si le conflit mondial n’y est jamais évoqué directement.

La prisonnière savait que sa missive devait franchir le barrage de la Kommandantur (l’administration pénitentiaire), où elle aurait à subir la censure. Elle choisit donc de se projeter dans les yeux d’un buffle blessé qu’elle a vu entrer dans la cour de la prison : un sommet d’habileté littéraire, sans doute l’un des textes les plus beaux, les plus poignants contre l’horreur de la grande boucherie de 1914-1918.

Dans une précédente missive, dont nous avons sélectionné ici quelques passages, Rosa Luxemburg tente de consoler son amie, qui vient à l’évidence de lui écrire combien lui pèse l’absence de Karl (Liebknecht), emprisonné depuis mai 1916. Elle-même, affectée physiquement par la détention et surtout la trahison des dirigeants sociaux-démocrates (2), est alors d’autant plus déprimée qu’elle vient d’apprendre la mort sur le front de son jeune amant, Hans Diefenbach.

Un hymne à la vie et à l’amour

Elle qui s’est donné comme ligne de conduite de survivre en devenant attentive au moindre de ces petits détails du vivant, qu’ils prennent la forme d’un insecte, d’un oiseau, d’un nuage, d’où réussit à émerger « même en cabane », dit-elle, la splendeur du monde, conseille à sa chère Soniouchka de ne surtout pas se laisser engloutir et lui adresse un extraordinaire hymne à la vie et à l’amour.

Libérée début novembre 1918 alors que le soulèvement spartakiste bat son plein et que l’empereur Guillaume II a enfin abdiqué, elle se rend à Berlin, y prend la parole avec Karl Liebknecht. Elle se plonge sans relâche dans le lancement du journal Die Rote Fahne, le drapeau rouge du mouvement révolutionnaire.

Le dirigeant du SPD Friedrich Ebert, devenu chancelier, se rapproche alors du général Wilhelm Groener, chef de file des Corps francs, ces militaires non encore totalement démobilisés et toujours puissamment armés dont il ­entend se servir pour mater la révolution. L’ambiance à Berlin devient irrespirable.

« On veut créer une atmosphère de pogrom et poignarder le mouvement spartakiste avant qu’il n’ait eu la possibilité de faire connaître sa politique et ses objectifs aux masses ! » s’insurge Rosa Luxemburg. Quelques jours plus tard, le 15 janvier 1919, elle sera assommée puis criblée de balles par l’un des officiers de ces Corps francs, avant que son cadavre ne soit jeté dans un canal. Liebknecht connaît un sort analogue. Le Parti communiste allemand (KPD), qu’ils venaient ensemble de porter sur les fonts baptismaux, n’avait pas trois semaines.

 

Rosa Luxemburg à Sonja Liebknecht : « Je voudrais encore vous plonger dans toute l’ivresse du bonheur de vivre »

Icon QuoteBreslau, 24.11.[19]17

Ma chère petite Sonitchka,

Ô comme je vous comprends lorsque chaque belle mélodie, chaque fleur, chaque journée de printemps, chaque nuit de lune éveille en vous la nostalgie et le désir de ce qu’il y a de plus beau dans ce que le monde a à offrir. Et comme je comprends que vous soyez amoureuse “de l’amour” !

Pour moi, l’amour a été (ou est ?…) toujours plus important, plus sacré que l’objet qui l’éveille. Parce qu’il permet de voir le monde comme un conte de fées scintillant, parce qu’il fait sortir de l’être humain ce qu’il a de plus noble et de plus beau, parce qu’il rehausse ce qui est le plus commun et le plus humble et le sertit de brillants et parce qu’il permet de vivre dans l’ivresse, dans l’extase…

Mais, petite Sonitchka, vous êtes jeune et vous devez vivre encore vraiment. Il n’y a que ces quelques maudites années à passer, mais, après, tout doit changer, d’une manière ou d’une autre. Vous ne devez pas, vous n’avez pas le droit de clore d’ores et déjà la facture, c’est ridicule. Je voudrais encore vous plonger dans toute l’ivresse du bonheur de vivre et je défendrai fermement votre droit à cela. »

Icon Quote Breslau, 22.12.1917

Ah ! ma petite Sonia,

j’ai éprouvé ici une douleur aiguë. Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vieilles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang… On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccommodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l’armée. Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles (…).

Ils sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre (…). Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper (…).

Sonitchka, chez le buffle l’épaisseur du cuir est devenu proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu’on les déchargeait, celui qui saignait regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleurs. C’était exactement l’expression d’un enfant qu’on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif… J’étais devant lui, l’animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes.

Oh ! mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux, aussi hébétés l’un que l’autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être (…). »

Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison - L'Humanité, Bruno Odent, 4 août 2023
Partager cet article
Repost0
14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 05:29

 

De nombreuses sources sont venues alimenter les épisodes de « La petite histoire du siège du PCF ». De natures différentes, livres, revues, journaux, archives, web, DVD, reportages... croisés avec la mémoire d’ancien·ne·s camarades.

 

 

Les livres

Les courbes du temps : Mémoires, Oscar Niemeyer. Ed. Gallimard

La forme en architecture, Oscar Niemeyer. Ed. Metropolis

Oscar Niemeyer en France. Un exil créatif, Vanessa Grossman et Benoît Pouvreau, Éditions du patrimoine

Le PCF a changé, Vanessa Grossman. Ed. B2 Collection Société

Brasilia, un demi-siècle de la capitale du Brésil, livre d’art réalisé par Artetude Cultural

Ma vie s’appelle liberté, Etienne Fajon. Ed. Robert Laffont

Parti pris. Tome 1, D’une guerre mondiale à l’autre, Georges Cogniot. Éditions sociales

L’insurgé, Jules Vallès. Ed. Livre Club Diderot

14 Juillet, Éric Vuillard. Ed. Babel

L’agitation communiste de 1840 à 1848, Alexandre Zévaès. Persée

Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement (Ed. 1870) Louis Lazare. Ed. Hachette, Livre BNF

De Montfaucon, de l’insalubrité de ses établissements et de la nécessite de leur suppression (Ed. 1841), Louis Roux. Ed. Hachette, Livre BNF

Le nouveau Paris : histoire de ses 20 arrondissements (Ed. Vers 1860), Émile de La Bédollière. Ed. Hachette, Livre BNF

Les Misérables, Victor Hugo, Tome IV. Ed. Émile Testard, 1890

Paris ouvrier. Des sublimes aux camarades, Alain Rustenholz. Ed. Parigramme

Belleville, mon village, Clément Lépidis. Ed. Henri Veyrier

Histoire de Belleville, Emmanuel Jacomin. Ed. Henri Veyrier

K. Mel’nikov, Le pavillon soviétique, Paris 1925, S. Frédérick Starr, Présentation J.L. Cohen. Ed. L’Équerre collection Repères

La vie héroïque du Colonel Fabien, colonel André-Ouzoulias, Préface Charles Tillon. Éditions sociales 1945

Qui a tué Fabien ?, Pierre Durand. Ed. Messidor Temps actuels

1940-1945, La Résistance dans le 19e arrondissement de Paris, ANACR. Ed. Le temps des cerises

 

Journaux, revues, web

L’Humanité numérisé, Archives de la BNF

La Nouvelle critique numérisée, Archives de l’Université de Bourgogne

La Nouvelle critique, n° 170 Novembre 1965. Interview de Niemeyer par Jean Deroche

La Nouvelle critique, n° 46 septembre 1971, Gosnat, Niemeyer, Deroche, Prouvé, Chemetov...

Photos numérisées de l’Humanité, Archives départementales de Seine-St-Denis, Bobigny

Le Courrier de l’Unesco, du 24 juin 1992. Entretien avec Oscar Niemeyer, par Édouard Bailby

Les Comités centraux, Fondation Gabriel-Péri, Archives départementales de Seine-St-Denis, Bobigny

Les Cahiers du communisme, Archives numérisées de l’Université de Bourgogne

Fonds de la direction du Parti communiste français (1944-1994). Archives numérisée de l’Université de Bourgogne

Le répertoire des archives institutionnelles, Bibliothèque des arts décoratifs, Union centrale des arts décoratifs. Le Monde, La Croix, Le Figaro...

Publications de l’Insee.

 

DVD, reportages

« Oscar Niemeyer, Un architecte engagé dans le siècle ». Un documentaire de Marc-Henri Wajnberg

Podcast France-Culture, « Le génie des lieux, la maison du Parti communiste français »

Arte, « La Maison des communistes » (YouTube Dailymotion)

 

Quelques romanciers ont évoqué le siège du PCF

Bernard Landry avec Le dernier écrivain. Éd. Messidor. Écrit en 2050, les livres sont conçus et écrits par ordinateur après des études de marché. Les dernières révèlent un nouvel engouement pour l’époque ancienne. On va donc dénicher le vieil auteur oublié pour enregistre ses mémoires. Curieux personnage, parlant un français d’un autre temps, entouré de très jolies égéries, dont les cheveux ont les couleurs de l’arc-en-ciel, et qui se révèle être au cœur d’un complot terroriste... On y évoque l’ancien siège d’un parti politique disparu à proximité des Buttes Chaumont, de l’avenue Gustave Moreau jusqu’à la place du Colonel Fabius, siège qui semble s’être transformé en lupanar.

Gérard Streiff avec Le cas G.B. Éd. La Baleine. Paula est retrouvée morte dans la salle des archives du PC, Le Poulpe enquête à « Fabien », au siège du Parti. De fille en anguille, il se retrouve dans les lieux sadomasochistes de la capitale. Se heurte aux ombres de la guerre d’Espagne. Se perd dans les vies doubles, ou triples, de ces personnages. Comme les matriochkas, ces poupées gigognes russes, les histoires s’emboîtent les unes dans les autres. Où cela s’arrêtera-t-il ?

Gérard Pellois

 

Partager cet article
Repost0
13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 14:34

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:47
11 juillet 1963, la rafle des chefs de la lutte armée contre l'apartheid dirigée par Mandela - Par Jacqueline Derens, L'Humanité, 21 juillet 2023
11 juillet 1963, la rafle des chefs de la lutte armée contre l'apartheid dirigée par Mandela

Rivonia, à 20 km de Johannesburg, la police lance l’assaut sur Liliesleaf Farm. Les dirigeants de l’aile militaire de la lutte contre l’apartheid, qui réunit des responsables de l’ANC et du Parti communiste sous la direction de Nelson Mandela, sont arrêtés. Un coup très dur pour la résistance, suivi du « procès de Rivonia » qui va condamner les accusés à la prison à vie. Retour sur ce tournant dans l’histoire de l’Afrique du Sud.

Par Jacqueline Dérens, auteure, ancienne militante anti-apartheid

Vendredi 21 juillet 2023 - L'Humanité
 
Après le massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960, et la répression féroce qui frappa tous les opposants au régime d’apartheid, le mot d’ordre chez les militants était de survivre, de poursuivre et de réorganiser la résistance. ­Oliver Tambo, compagnon de lutte de Nelson Mandela depuis vingt ans, reçut de la direction du Congrès national africain (African National Congress – ANC) la mission de partir à l’étranger pour faire connaître le sens et les raisons de la lutte du peuple sud-africain contre le régime d’apartheid, et d’organiser la solidarité à l’échelle mondiale.

Pour les militants qui entraient dans la clandestinité, l’urgence était d’échapper à la traque policière et d’organiser la lutte armée. Le passage à la lutte armée était au cœur d’intenses discussions, aussi bien au sein du Parti communiste d’Afrique du Sud (South African Communist Party, SACP, interdit depuis 1950), que de l’ANC (interdit depuis la répression de Sharpeville). Albert Lutuli, président de l’ANC depuis 1952, prix Nobel de la paix en 1960, était fermement convaincu que le mouvement de libération devait s’en tenir aux méthodes pacifiques : désobéissance civile, manifestations, boycott.

Nelson Mandela finit par le convaincre et il accepta la constitution d’une aile armée, à condition qu’elle soit indépendante de la direction de l’ANC et de celle du SACP. Mandela en prit la tête avec des dirigeants communistes, dont Joe Slovo. Très symboliquement, le 16 décembre 1961, jour de liesse pour les ­Afrikaners qui célébraient la victoire de Blood River sur le roi zoulou Dingane en 1838, Umkhonto We Sizwe (en zoulou, littéralement, « le Fer de lance de la nation », également désigné par l’abréviation MK) réalisait ses premiers sabotages en posant des bombes dans plusieurs villes et en ciblant des objectifs symboliques du régime, qui considérait désormais MK comme une organisation terroriste.

Nelson ­Mandela, alors militant clandestin, se cache en tant que jardinier 

Il fallait trouver un lieu sûr qui serve de quartier général aux dirigeants de MK, qui réunissait des responsables du SACP et de l’ANC. Le SACP, grâce aux subtiles transactions menées par Michel Harmel, Harold Wolpe et Arthur Goldreich, tous communistes blancs, fit l’acquisition de Liliesleaf Farm à Rivonia, une bourgade située à une vingtaine de kilomètres de Johannesburg.

La ferme s’étendait sur 10 hectares avec une maison de maître, divers bâtiments et une cabane de jardinier. Arthur Goldreich, sa femme Hazel et leurs deux fils Nicholas et Paul s’y installèrent en décembre 1961. Nelson ­Mandela, alors militant clandestin sous la fausse identité de David Motsamayi, s’y cacha en tant que jardinier au service de la famille Goldreich. Nicholas et Paul Goldreich se souviennent que « David » les a initiés au football, au lancer de couteaux et à identifier serpents et insectes.

Seuls survivants des anciens occupants de la ferme, les deux frères Goldreich sont aujourd’hui convaincus que la descente de police était inéluctable, les occupants ne prenant pas les mesures de sécurité nécessaires. Paul raconte, par exemple, que ses copains venaient jouer dans cette maison où Blancs et Noirs discutaient ensemble librement, et en parlaient à leurs parents. Les allées et venues de nombreuses personnes blanches et noires, des témoignages de voisins qui s’inquiétaient de cette « étrange cohabitation » alertèrent la police, qui cherchait à mettre la main sur ces « terroristes ».

Pourtant, tous avaient soigné leur « look ». Ahmed Kathrada, l’Indien, avait teint ses cheveux en roux et, maquillé, il paraissait un Blanc bien bronzé ; Walter Sisulu, dont le père était blanc, avait lissé ses cheveux crépus et pouvait ressembler à un métis ; Denis Goldberg, l’ingénieur blanc, utilisait divers postiches ; Govan Mbeki vaquait à ses occupations en salopette d’ouvrier agricole. Mais ces déguisements ne faisaient pas le poids face à la police sud-africaine, bien renseignée par la CIA et certainement d’autres services secrets occidentaux.

La rafle eut lieu le 11 juillet 1963, vers 15 heures, et personne n’y échappa. Comme l’écrit Denis Goldberg dans ses mémoires avec un brin d’humour : « Si nous avions mieux fait le ménage, les papiers de Nelson Mandela n’auraient pas été retrouvés dans la réserve à charbon. » (1) Mandela était déjà en prison, arrêté le 5 août 1962 au retour d’un voyage clandestin en Algérie, en Éthiopie, au Ghana, en Chine et dans d’autres pays amis où il tentait d’obtenir de l’aide pour la lutte armée. Une arrestation permise par les renseignements donnés par un agent de la CIA, infiltré dans le SACP, à la branche spéciale de la police sud-africaine chargée de traquer les militants.

Tout le monde se retrouva en prison, dans des lieux divers selon la couleur de la peau. Arthur Goldreich, Moosa Moolla, Harold Wolpe et Abdulhay Jassat réussirent une évasion rocambolesque de la prison de Marshall Square, grâce à AnnMarie Wolpe. Autorisée à leur apporter nourriture et vêtements, elle avait glissé des limes et autres petits outils dans le pain et le poulet. Son mari insérait des notes dans le col de ses chemises qu’elle emportait pour les laver. Une fois évadés, après une chasse à l’homme, les deux accusés blancs, Wolpe et Goldreich, déguisés en prêtres, réussirent à gagner le Botswana, puis la Grande-Bretagne ; Moola et Jassat parvinrent aussi à quitter le pays.

La rafle de Rivonia marqua un coup dur pour la lutte de résistance : la direction de l’ANC, du SACP et de MK fut décapitée

Après l’évasion de son mari, AnnMarie fut arrêtée, soumise à des interrogatoires musclés, puis expulsée d’Afrique du Sud. Bien que l’on parle peu des femmes des dirigeants arrêtés à Rivonia, à part Winnie Mandela, toutes ont joué un rôle important en continuant la lutte, comme Albertina Sisulu ou Epainette Mbeki.

La rafle de Rivonia marqua un coup dur pour la lutte de résistance : la direction de l’ANC, du SACP et de MK fut décapitée. Arthur Goldreich, Denis Goldberg, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Raymond Mhlaba, Andrew Mlangeni, Elias Motsoaledi, Lionel « Rusty » Bernstein, Harold Wolpe, James Kantor, Billy Nair, Walter Sisulu et Nelson Mandela devinrent « les accusés de Rivonia » au procès homonyme qui s’ensuivit.

Les retombées de la rafle décimèrent les trois organisations, la répression s’abattant sur les militants qui devaient s’exiler pour échapper à la prison. Les documents trouvés sur place étaient accablants : les notes de Goldberg pour fabriquer les bombes et surtout celles de Mandela sur l’« opération Mayibuye », qui ne planifiait rien de moins qu’une « action révolutionnaire de masse » et une victoire militaire sur le pouvoir blanc. Une mine de renseignements pour la branche spéciale de la police.

Le « procès de Rivonia », qui dura huit mois, de novembre 1963 à juin 1964, à Pretoria, est parfaitement documenté, bien qu’aucune image ne soit disponible : les 230 heures d’audience ont été enregistrées. Il a servi de trame à l’excellent film documentaire de Gilles Porte et Nicolas Champeaux, « le Procès contre Mandela et les autres » (2).

On connaît la célèbre plaidoirie de Nelson Mandela pour la cause de son peuple, accusant le régime raciste. On connaît moins l’équipe d’avocats qui défendit les accusés : Lionel Joffe, Arthur Chaskalson, George Bizos – qui souffla à Mandela d’ajouter « s’il le faut » à sa célèbre phrase « c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir », pour ne pas faire le bravache devant le terrible procureur Percy Yutar –, et Bram Fischer, qui joua un rôle de premier plan après la débâcle de Rivonia.

Au procès de Rivonia, les accusés, qui s’attendaient à être pendus, furent condamnés à la prison à vie.

Né en 1908 dans une famille de la grande bourgeoisie afrikaner, avocat admiré par ses pairs, Bram Fischer refusa l’avenir radieux auquel il était destiné en choisissant d’adhérer, au début des années 1940, au Parti communiste d’Afrique du Sud, la seule organisation qui rejetait fermement toute ségrégation raciale. Après le procès de Rivonia, il accepta de prendre la direction d’un parti dévasté et de rassembler les quelques militants clandestins restés sur place. Il fut arrêté en 1964, en vertu de la loi sur la suppression du communisme, et condamné à la prison à vie en 1966. Atteint d’un cancer négligé sciemment par les autorités, il fut libéré en avril 1975, grâce à une campagne médiatique, et assigné à résidence chez son frère, où il mourut le 8 mai. Denis Goldberg, dans la cellule voisine, fut témoin de sa lente agonie.

Au procès de Rivonia, les accusés, qui s’attendaient à être pendus, furent condamnés à la prison à vie. Denis Goldberg, toujours optimiste, cria à sa mère qui n’avait pas entendu le verdict : « La vie, maman, et la vie, c’est magnifique ! » Pour lui, seul accusé blanc reconnu coupable – Lionel « Rusty » ­Bernstein fut acquitté –, ce fut la prison de haute sécurité de Pretoria ; pour les autres, le bagne de Robben Island. Nelson Mandela sortira le dernier, le 11 février 1990, après vingt-sept années passées derrière les barreaux. Walter Sisulu, Ahmed Kathrada, Raymond Mhlaba, Andrew Mlangeni ont été libérés en octobre 1989. Denis Goldberg l’avait été en février 1985, à la condition de ne plus revenir en Afrique du Sud.

Partager cet article
Repost0
13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:11
Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus

La relation entre Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, deux des plus grands poètes de la littérature française, fut autant passionnée que tumultueuse, dans une période de l’Histoire qui ne l’était pas moins, marquée par la Commune de Paris.

Publié le
Mercredi 9 août 2023

Début septembre 1871. « Venez chère grande âme, on vous attend à Paris. »  Arthur Rimbaud, depuis Charleville, a déjà écrit à deux reprises à Paul Verlaine. Il n’a pas 17 ans. Il lui exprime son admiration et joint à son envoi plusieurs de ses poèmes. Les Effarés, Accroupissements, le Cœur volé, les Assis… Il lui envoie une seconde lettre quelques jours après : « J’ai fait le projet de faire un grand poème et je ne peux travailler à Charleville. Je suis empêché de venir à Paris étant sans ressources. Ma mère est veuve et extrêmement dévote »…

Paul Verlaine lui a envoyé une première réponse, assez énigmatique : « J’ai comme un relent de votre lycanthropie (…) vous êtes prodigieusement armé en guerre. » La lycanthropie est l’aptitude à se transformer en loup-garou les nuits de pleine lune. Le jeune poète est déjà allé à Paris, en vagabond, du 19 avril au 3 mai. La Commune n’est pas encore tombée, mais sa chute lui inspirera les Mains de Jeanne-Marie, en hommage aux femmes de la Commune enchaînées , « Elles ont pâli, merveilleuses, au grand soleil d’amour chargé, sur le bronze des mitrailleuses à travers Paris insurgé ». De retour à Charleville, il parle à son ancien professeur Georges Izambard des colères folles qui le poussent vers « la bataille de Paris où tant de travailleurs meurent encore tandis que je vous écris »…

Paul Verlaine, qui l’appelle à venir à Paris, est son aîné de dix ans et déjà un poète reconnu. Il s’est marié quelques mois plus tôt avec Mathilde Mauté, 17 ans, d’une famille aisée et cultivée. Louise Michel est une intime, présente à la cérémonie. La jeune femme est rapidement enceinte. Verlaine est nommé au bureau de presse de la Commune où il rédige ses communiqués. C’est dans cette famille qu’arrive Rimbaud, génial mais mal dégrossi. Bien qu’il n’y reste qu’une vingtaine de jours, il est déjà devenu un sujet de conflit dans le couple dont le bébé, Georges, naît le 30 octobre. Verlaine est souvent ivre, violent. Dès la mi-novembre, la nature de ses relations avec Rimbaud, qui repart cependant quelque temps à Charleville, semble avérée.

Les retrouvailles 

Le 2 avril, Verlaine, qui pense avoir renoué avec Mathilde après une séparation, écrit à Rimbaud. « C’est ça, aime-moi, protège et donne confiance (…) Mais quand diable commencerons-nous ce chemin de croix, – hein ? » Réponse de Rimbaud : « Quand vous me verrez positivement manger de la merde, alors seulement vous ne trouverez plus que je coûte cher à nourrir. » Verlaine : « Ne jamais te croire lâché par moi. » En mai, il prépare son retour à Paris : « Dès ton retour m’empoigner de suite. » Il écrit « prudences ! » avant de lui donner des conseils, « faire en sorte, au moins quelque temps d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge, cirage, peignage, petites mines »…

Il espère apaiser le climat avec sa femme. Mais quelques jours après son ­retour, Mathilde comprend, le couple éclate de nouveau. Début juillet, les deux poètes partent ensemble. En septembre, ils sont à Londres où ils retrouvent les communards en exil. Ils se séparent à deux reprises, Rimbaud retournant en France, mais leur relation reste au beau. Verlaine, le 18 mai : « Frérot, j’ai bien des choses à te dire (…) tu seras content de ta vieille truie (…) je suis ton old cunt ever open ou opened, je n’ai pas là mes verbes irréguliers. » C’est cru. On peut au choix traduire cunt par con, chatte, salope…

Verlaine tire sur Rimbaud et le blesse

Mais en juillet, le ton change. Verlaine veut retrouver Mathilde et leur fils. « Tu dois au fond comprendre, enfin, qu’il me fallait absolument partir, que cette vie violente et toute de scènes sans motif que ta fantaisie ne pouvait m’aller foutre plus. Seulement, comme je t’aimais intensément (Honni soit qui mal y pense), je tiens aussi à te confirmer que si d’ici à trois jours je ne suis pas avec ma femme, dans des conditions parfaites, je me brûle la gueule (…) nous ne nous reverrons plus en tout cas. » Rimbaud, qui lui a envoyé une lettre presque en même temps, lui demande à l’évidence d’oublier une scène – « Oui, c’est moi qui ai eu tort. » À la réception, le lendemain, de la lettre de rupture, il ironise : « Quant à claquer je te connais, tu vas donc, en attendant ta femme et ta mort te démener, errer, ennuyer des gens (…) crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d’autres que moi : Réfléchis-y ! - Ah ! Certes non ! »

Le 7 juillet, il lui écrit encore. « Sois sûr de moi, j’aurai très bon caractère. À toi. Je t’attends. Rimb. » Trois jours plus tard, à Bruxelles, c’est Verlaine qui tire sur lui et le blesse. Il sera condamné à deux ans de prison pour son acte et pour pédérastie, quand bien même Rimbaud a retiré sa plainte.

À sa sortie de prison, en janvier 1875, il revoit brièvement Rimbaud qui lui aurait alors remis le manuscrit des Illuminations. En décembre de la même année, il lui adresse une longue lettre qui sera la dernière : « Je te voudrais tant éclairé, réfléchissant. Ce m’est un si grand chagrin de te voir en des voies idiotes, toi si intelligent »

Au Harar, le patron de l’entreprise où Rimbaud travaille à partir de 1880 a eu vent de qui était son employé. Quand il l’interroge sur sa vie parisienne, il répond : « J’ai assez connu ces oiseaux-là. » Il écrit à sa mère qu’il voudrait gagner assez d’argent pour rentrer au pays et trouver une gentille fille qui voudrait bien l’épouser. Il meurt de la gangrène à Marseille, le 10 novembre 1891. Il a dit à sa sœur Isabelle, qui est venue près de lui : « J’irai sous la terre et toi tu marcheras dans le soleil. » Verlaine, alcoolique, presque clochardisé, finit ses jours avec sa compagne Eugénie Krantz pour qui il écrit certains de ses poèmes les plus sensibles. Il meurt le 8 janvier 1896 avec le titre de Prince des poètes décerné par ses pairs. Son dernier poème, Mort, paraît ce même mois : « Les armes ont tu leurs ordres en attendant de vibrer à nouveau dans des mains admirables »… 

Les grandes correspondances 

« Rimbaud, 4 juillet 1873

Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’en repens plus qu’on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux cher ami. Rien n’est perdu. Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah je t’en supplie. C’est ton bien d’ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J’espère que tu sais bien à présent qu’il n’y avait rien de vrai dans notre discussion. L’affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure-là ! Que vas-tu faire. Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ? (…) Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps. N’écoute que ton bon cœur. Vite, dis si je dois te rejoindre. À toi toute la vie. »

« Verlaine, mai 1872

Cher Rimbe bien gentil, je t’accuse réception du crédit sollicité et accordé, avec mille grâces, et (je suis follement heureux d’en être presque sûr) sans remise cette fois. Donc à samedi, vers 7 heures toujours n’est-ce pas ? D’ailleurs, avoir marge, et moi envoyer sous en temps opportun.

En attendant, toutes lettres martyriques chez ma mère, toutes lettres touchant les revoir, prudences, etc... chez M. L. Forain, 17, quai d’Anjou, Hôtel Lauzun, Paris, Seine (pr M. P Verlaine).

Demain, j’espère pouvoir te dire qu’enfin j’ai l’Emploi (secrétaire d’assurances).

Pas vu Gavroche hier bien que rendez-vous. Je t’écris ceci au Cluny (3 heures), en l’attendant. Nous manigançons contre quelqu’un que tu sauras de badines vinginces. Dès ton retour, pour peu que ça puisse t’amuser, auront lieu des choses tigresques. Il s’agit d’un monsieur qui n’a pas été sans influence dans tes 3 mois d’Ardennes et mes 6 mois de merde. Tu verras, quoi. »

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus - Maurice Ulrich, L'Humanité, 9 août 2023
Partager cet article
Repost0
13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:04
Sixto Rodriguez, "Sugar Man", mort d'un chanteur ressuscité - Florian Le Du, L'Humanité, 10 août 2023
Rodriguez, mort d’un chanteur ressuscité

Disparition Célèbre en Afrique du Sud dans les années 1970-1980 et égérie de la lutte contre l’apartheid, l’artiste américain, décédé mardi, à 81 ans, l'ignorait. Histoire d’un Sugar Man, Oscar du meilleur documentaire en 2013.

Publié le
Jeudi 10 août 2023

Star sans le savoir, icône de l’anti­apartheid ignorant tout de sa popularité, le chanteur américain Sixto Rodriguez s’est éteint, mardi, à l’âge de 81 ans. Sans un improbable destin, il serait mort dans l’anonymat. Car sa carrière n’a failli durer que deux ans. Deux albums, en 1970 et 1971, formidables recueils de chansons engagées et poétiques, rythmées par sa guitare psychédélique. Mais deux échecs cuisants. Mi-décembre 1971, peu après avoir enregistré le titre Cause, dans lequel il pleure le sort d’un ouvrier qui « perd son travail deux semaines avant Noël », il est viré de sa maison de disques. Fin de carrière.

Mais pendant que Rodriguez reprend un travail dans une usine de Detroit, quelques centaines de ses disques invendus partent dans un conteneur vers l’Australie et l’Afrique du Sud. Mystérieusement, ces exemplaires passent de main en main, se copient et deviennent cultes. La légende de Sugar Man veut même qu’il ait vendu en Afrique du Sud plus de disques qu’Elvis. Là-bas, les jeunes Blancs opposés au régime de l’apartheid s’arrachent les protest songs de Rodriguez. En tête, le titre The Establishment Blues, brûlot contre l’Amérique de Nixon, son uniformisme et son information contrôlée, qui donne à ces Sud-Africains la rage et la légitimité de protester contre leur propre société. Dans ses textes, Rodriguez y raconte la pauvreté de Detroit, les injustices sociales, la brutalité policière, la solitude de l’ouvrier, le racisme. D’où l’écho puissant qui résonne à 13000 kilomètres de lui. Les chansons sociales de Rodriguez, qu’elles parlent de politique ou de drogue, comme l’emblématique Sugar Man, sont censurées. Renforçant le culte autour d’un artiste dont ils ne savaient rien, qu’ils imaginaient mort.

Dans les années 1980, Rodriguez prend conscience de son succès en Australie – au moins aussi grand puisque son premier album, Cold Fact, est quintuple disque de platine. Mais l’Afrique du Sud, coupée du monde, l’ignore. Deux fans se mettent alors en tête de le retrouver. Ils tombent sur un simple citoyen américain, modeste et touchant. Le fils d’un Mexicain immigré et d’une Amérindienne qui n’avait pas le pedigree ni les codes pour réussir. L’histoire de cette quête est immortalisée au cinéma en 2012 dans le documentaire oscarisé Sugar Man, qui le révèle définitivement au monde entier. À plus de 70 ans, Rodriguez se met alors à remplir les salles aux États-Unis, en France, au Japon. Avant que sa voix ne s’éteigne progressivement, donnant lieu à des concerts poussifs musicalement mais émouvants. Une tournée trop tardive mais lui offrant le succès que son génie de musicien et de parolier méritait.

Partager cet article
Repost0
13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 07:51
La Bretagne  et la gestion des eaux de surface - Gérard Le Puill, L'Humanité, 26 juillet 2023
La Bretagne  et la gestion des eaux de surface

Les ruisseaux et les rivières sont nombreux en Bretagne. Mais les réserves souterraines  sont limitées dans un sous-sol essentiellement granitique  et schisteux. Stocker plus d’eau en surface sera donc indispensable dans les prochaines décennies  marquées par le réchauffement climatique et le recul de la pluviométrie en été.  

Mercredi 26 juillet 2023 - L'Humanité
 

Dans le dossier consacré à la Bretagne, la Cour des comptes  indique en introduction que « la qualité de l’eau  est devenue un enjeu prégnant  en raison des pollutions chroniques  d’origine agricole, dont les effets les plus visibles sont les "marées vertes" . 

La récurrence des épisodes de sécheresse, plus fréquents dans un contexte de réchauffement climatique, conduit les acteurs bretons  à une prise de conscience de la rareté des ressources », lit-on en introduction du dossier.

Évoquant les ressources disponibles, le texte fait état d’un « réseau hydrographique  dense de 30.000 km  de cours d’eau  et peu de masses d’eau souterraine  (27). Les ressources prélevées sont essentiellement de surface(…) Les débits des cours  d’eau dépendant essentiellement  de la pluviométrie hivernale. Leur alimentation est assurée  en premier lieu par les précipitations  dites efficaces, qui représentent 39% du volume total des précipitations. Les 61% restants étant soumis  au phénomène d’évapotranspiration ».

Une ressource à 75% superficielle

Un autre paragraphe  de ce document nous informe  que « la Bretagne a la particularité  d’avoir une ressource en eau  à 75%  superficielle  du fait de son sous-sol, essentiellement granitique et schisteux. Elle est plus abondante à l’ouest, alors que la population est plus dense à l’est  et sur le littoral. La qualité de l‘eau  reste globalement peu satisfaisante, du fait essentiellement des pollutions aux nitrates et aux pesticides liés à l’agriculture intensive. Le développement économique agricole et agro-industriel  et la pression démographique, conjugués aux effets, du changement climatique, vont créer un effet  de ciseau entre les besoins  en eau et la disponibilité  d’une ressource de qualité et placer le bassin breton en situation de vulnérabilité ».

Le constat n‘est pas faux, mais les trois paragraphes cités ici ne permettent de comprendre pourquoi la situation a ainsi évolué défavorablement. Du coup, les 40 pages consacrées à la Bretagne ne donnent pas les meilleures pistes pour sortir de l’impasse. Il est acquis que, du fait de sa constitution, le sous-sol de la Bretagne  ne permet pas de stocker beaucoup d’eau. Pire encore l’infiltration des eaux de pluie a été considérablement  réduite depuis le milieu de XXème siècle sur les terres souvent pentues  de cette région. Cette situation résulte de l’arasement massif et abusif des talus afin d’agrandir les parcelles  et  de faciliter les labours dans les années précédant la mise en place du marché commun agricole en Europe. Il en résulte, une moindre recharge des nappes phréatiques en raison du ruissellement accru des eaux de pluies vers les ruisseaux et les rivières, entraînant du même coup de la terre fertile, mais aussi  des matières azotés issues du lisier et des engrais dans les cours d’eau, d’où  cette persistance   des algues vertes sur certaines zones des côtes bretonnes.

Construire des barrages dans des vallées à l’abandon

En Bretagne, beaucoup de ruisseaux et de rivières  coulent dans des vallées étroites et profondes qui ne sont plus guère habitées. De piètre qualité, beaucoup des prairies en fond de vallée ne sont plus pâturées. Jusqu’au  milieu du XXème siècle, les moulins à eau étaient alimenté par des biefs. Ils détournaient une partie du débit des ruisseaux jusqu’à la roue du moulin qui la restituait dès qu’il entrait en action. Dans certaines de ce vallées,  en se faisant conseiller par des hydrologues, il est possible de construire des barrages   pour stocker de l’eau en hiver afin dans disposer à la belle saison. Il y a plusieurs barrages  sur le cours du Blavet, lequel prend sa source en centre Bretagne dans les Côtes d’Armor pour aller se jeter dans l’Océan Atlantique du côté de Lorient  dans le Morbihan. Le plus connu de ces barrages est  Guerlédan.  On peut aussi construire des barrages sur les affluents  de l’Elorn et de l’Aulne  qui  se jettent à la mer dans la rade de Brest .Il en va de même pour le Léguer  qui prend sa source dans la même zone rurale que le Blavet pour filer dans la direction opposée jusqu’à la baie de Lannion.

Beaucoup de maisons mais très peu de citernes

En Bretagne comme ailleurs, il faudra dans les prochaines décennies stocker plus d’eau  et économiser en même temps l’eau potable qui coule au robinet. La région compte environ  3,3 millions d’habitants  et disposait de  près de 2 millions de logements en 2018.  71% de ces logements  étaient des maisons individuelles. Il suffit toutefois de se promener partout en Bretagne pour constater  que l’on collecte très rarement l’eau de pluie   qui tombe sur le toit de ces maisons, alors que cette eau peut avoir différents usages  comme irriguer le potager, arroser la pelouse, laver la voiture, voire alimenter les toilettes.  De même, l’eau qui tombe sur les toits  des grands bâtiments de certaines exploitations d’élevage en Bretagne peut être stockée pour différents usages. Un peu partout en France, le stockage de l’eau de pluie  continue  d’être sous-estimé, voire occulté. C’est  un sujet que le gouvernement,  les conseils régionaux  et les conseils municipaux  devraient mieux prendre en compte qu’il ne le font jusqu‘à présent .   

Partager cet article
Repost0
12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 08:28
Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957

« Ce matin ils ont osé

Ils ont osé vous assassiner

C’était un matin clair

Aussi doux que les autres

Où vous aviez envie de vivre et de chanter

Vivre était votre droit

Vous l’avez refusé

Pour que par votre sang d’autres soient libérés. »

Ce poème bouleversant est d'Annie Steiner, membre du réseau FLN d’Alger, condamné à cinq ans de réclusion et emprisonné en même temps que Iveton. Il a été écrit le soir de l'exécution de Fernand Iveton, 30 ans, et de deux camarades indépendantistes algériens condamnés à mort. C'est le 11 février 1957.

Née le 7 février 1928 à Marengo, la famille d'Annie Steiner était originaire de Florence (Italie). Le papa directeur d’hôpital. La maman enseignante. Une famille aisée qui lui permit de faire des études supérieures. Diplômée de droit, mariée à l’architecte suisse Rudolf Steiner, elle s’engage à 20 ans dans la Résistance algérienne. Européenne d’origine, elle a combattu pour l’indépendance de son pays, l’Algérie. Arrêtée en 1956, elle fera six prisons : Barberousse, Maison Carrée, Blida, la Petite Roquette à Paris, Rennes et Pau. Cette héroïne est restée d’une grande simplicité et d’une grande gentillesse. De sa cellule dans la prison de Barberousse, elle assista au supplice de Fernand Iveton, Ahmed Lakhnèche et de Mohamed Ouenouri.

Guillotiné le 11 février 1957, Fernand Iveton est le seul Européen exécuté par la justice de l’État français pendant la guerre d'Algérie. France-Soir, pour commenter son décès, le qualifiera de "tueur", et Paris-Presse de "terroriste".

Deux jours après sa décapitation, un de ses avocats, communiste algérien comme Iveton, Albert Smadja, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin de "faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés, soutenir leurs familles, leurs proches, se mettre au travers de l'accusation dans les procès" (voir le Camp de Lodi par Nathalie Funès): il ne sera libéré que deux ans plus tard.

Plaisante justice qu'une guerre coloniale borde...

L'écrivain Joseph Andras, né en 1984, a publié en 2016 un premier roman centré sur les derniers mois de la vie de l'ouvrier et militant communiste algérien Fernand Iveton et son amour avec Hélène Ksiazek. Ce livre au si beau titre, "De nos frères blessés", est court (145 pages aux éditions Barzakh, il est aussi publié chez Actes Sud et il a obtenu le Goncourt du Premier roman) est intense, profondément émouvant, touchant des vérités politiques, humaines et littéraires. C'est comme l'écrit son éditeur à juste titre "un texte habité, un fulgurant exercice d'admiration dans les angles morts du récit national". Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec sa compagne, Hélène Ksiazek, une jeune femme fille née en Pologne, rencontrée à Paris mais ayant passé sa jeunesse dans un village de la Marne, qui le suivit en Algérie.  Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.

Joseph Andras s'est beaucoup appuyé sur sa documentation sur le travail de Jean-Luc Enaudi, dans un livre préfacé par Pierre Vidal Naquet: Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton : enquête (L'Harmattan, 1986).

En 2020, Hélier Cisterne a adapté ce livre au cinéma avec Vincent Lacoste et Vicky Krieps, réalisant un film poignant et intense lui aussi.

En vacances en Algérie cet été, je suis allé me recueillir sur la tombe de Fernand Iveton au cimetière Saint-Eugène de Bologhine, et sur celle de son ami communiste du quartier Clos-Salembier, Henri Maillot, tué après le combat et alors qu'il était désarmé par l'armée française quelques mois plus tôt dans le maquis, à 24 ans (Henri, arrêté vivant par les soldats du 504 BT dans son maquis: après l'avoir battu, on lui dit qu'il pouvait s'en aller, il savait qu'il n'en était rien, il marcha à reculons et hurla "Vive le Parti communiste", avant d'être abattu par une rafale... Son cadavre fut transporté en ville sur le capot d'un engin blindé, les cheveux teints au henné, de faux papiers en poche), tombe qui se trouve au magnifique cimetière chrétien d'El Madania (ex-Bru) au-dessus du quartier de Belcourt (Belouizad). J'étais avec notre camarade Aouicha Beckhti, que notre amie et camarade Christine Prunaud, ex-sénatrice communiste des Côtes d'Armor, grande amie de l'Algérie, m'a donné la chance de connaître, comme d'autres militant.e.s communistes, de gauche, féministes, de son réseau d'ami.e.s algérien.ne.s. Aouicha est une ancienne militante du PAGS (Parti communiste algérien), avocate très connue, défenseuse des droits des femmes, du progrès humain, des idéaux internationalistes et communistes, et de la laïcité, avec qui nous avons aussi rendu hommage à Juliette et Georges Acampora, décédés il y a quelques années, et dont les tombes sont également au cimetière "européen" de Saint-Eugène (Georges, qui fut capitaine des pompiers de Bab-el-Oued (également condamné à mort pendant la guerre d'Algerie même si la peine n'a pas été exécutée). Georges et Juliette Acampora furent des amis proches et des camarades de lutte d'Iveton. Avec Aouicha Bechkti nous avons été aussi devant l'ancienne prison Barberousse au dessus de la Casbah où Iveton a été guillotiné avec ses camarades de lutte algérien: Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennour.

Le responsable du cimetière, fils de résistant algérien condamné à mort lui aussi, nous montra la plaque avec la photo d'Iveton et celle de ses grands-parents qu'il avait rapatrié dans son bureau.
 

 
Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957

Un témoin raconta, lors d'une cérémonie d'hommage à Fernand Iveton organisé par les communistes algériens au cimetière Saint Eugène de Bologhine:

Fernand Iveton & Hélène Ksiazek / Juliette & Georgio Accompora… Le pull de Fernand
" Il avait froid le camarade en ce début du mois de février 1957 dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Barberousse à ALGER ! Sa femme (Juliette) est venue te voir, car c’était ton jour de parloir Juliette, afin de lui transmettre à travers Georgio ,son compagnon de cellule, un pull qui puisse le tenir au chaud…
À la porte de la prison voulant faire la chaîne pour voir ton amour GEORGIO, les femmes présentes sur les lieux t’avaient alors demandée de ne pas rentrer ce jour-là !
Étonnée et angoissée tu avais foncé vers la porte et là on t’informa que FERNAND IVETON a été guillotiné à l’aube, avec ses compagnons Mohamed OUENNOURI et MOHAMED LAKHNECHE.
La terre avait tremblé sous tes pieds, et tu avais éclaté en sanglots, alors les femmes t’avaient dit : "Surtout pas devant eux ! Ne pleure pas devant "l’isstiaamar", le colonialisme..."
Ils les ont guillotinés à l’aube !..
En sanglots tu te présentas au parloir devant GEORGIO qui te répéta la même chose «Ne pleure pas, veux-tu faire plaisir aux gardiens ? Ressaisis toi, oui, à l’aube ils ont exécuté Fernand Iveton et les deux frères ! Surtout ne pleure pas !"
Le couffin a été remis et le pull d’IVETON c’est GEORGIO qui l’a mis jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux ! ... "
Fernand, dont le père, fils de l'assistance publique, était militant communiste et syndicaliste lui aussi, employé aux Gaz d'Algérie, révoqué par le régime de Vichy, tandis que sa mère, Incarnation, était d'origine espagnole, était ouvrier tourneur à l’usine à gaz du Hamma de l'EGA à Alger où il était délégué syndical affilié à la CGT puis à l'Union générale des syndicats algériens (UGSA). En 1955, il adhère au Parti communiste algérien interdit, le PCA, qui a majoritairement suivi la voie de la défense du combat pour l'indépendance au moyen de la lutte clandestine et armée, et d'un rapprochement avec le FLN, après maints débats internes, la voie du terrorisme n'étant pas celle privilégiée par les communistes, encore moins quand il s'attaque aux civils. Il y milite au côté aux côtés notamment d'Abdelkader Guerroudj, Georges Acampora, Yahia Briki, Félix Colozzi,  Mohamed Hachelaf, et bien d'autres. Le 1er juillet 1956, il adhère au FLN, à titre individuel, avec nombre de ses camarades, tout en restant bien sûr communiste. 
Il se propose, en , pour réaliser un sabotage à l'aide d'une bombe dans l’usine à gaz du Hamma où il travaille. C'est Jacqueline Guerroudj qui lui remet la bombe fabriquée par Abderrahmane Taleb. Iveton ne veut faire que des dégâts matériels et la bombe doit exploser après le départ des employés de l'usine à gaz, dans une remise où Iveton l'a placée.

L’objectif est un sabotage purement matériel qui a pour but de provoquer une panne d'électricité à Alger et Iveton prend des précautions afin que l'explosion n'occasionne pas de victime. Il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser après le départ des ouvriers, en fonction de quoi un premier réglage a été prévu pour 18h30. Iveton a jugé que la marge est insuffisante, au cas où des ouvriers s’attarderaient pour des raisons imprévisibles, et il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser à 19 h30.

Iveton est repéré par un contremaître de l'usine, Oriol, qui se méfie de lui et l'a vu entrer dans le local avec son sac de plage et en ressortir les mains vides. Oriol prévient son chef, Carrio, et ils pénètrent tous les deux dans le local désaffecté où ils entendent le bruit de la minuterie de la bombe. Iveton est arrêté à 16 h 20. La bombe est désamorcée par les militaires. Il n'y a ni dégâts, ni victimes.

Du 14 au , Fernand Iveton est torturé au commissariat central d'Alger au moyen de décharges électriques sur le corps et du supplice de l'eau. Les policiers ayant trouvé sur lui un papier (écrit par Abderrahmane Taleb) donnant des indications sur l'heure d'explosion des deux bombes veulent lui faire avouer de toute urgence les noms de ses complices — dont il ignore l'identité —, afin de retrouver la deuxième bombe. N'en pouvant plus, Iveton donne les noms de deux autres membres de son groupe, qui, informés de son arrestation, ont en principe eu le temps de prendre la fuite.

En vertu des pouvoirs spéciaux, il est jugé par un tribunal militaire et il est condamné à mort pour « tentative de destruction d'édifice à l'aide d'explosifs », le , à l'issue d'une journée d'audience. C'est le président Roynard, rouage de la machine repressive de l'Etat français, qui lui lit son acte de condamnation à mort.

Joseph Andras décrit bien l'atmosphère de haine qui a entouré ce procès "spécial" et "expéditif": l'attentat du Milk Bar de la rue d'Isly venait d'avoir lieu, les colons européens étaient sur les dents, et réclamaient la mort du "traître".

Au président du tribunal qui lui lit l'acte d'accusation et qui lui signifie qu'il encourt la peine de mort, sauf à pouvoir invoquer des circonstances atténuantes, Iveton déclare, c'est cité par Joseph Andras dans De nos frères blessés:

"Oui je suis un militant communiste. J'ai décidé cela parce que je me considérais comme algérien et que je n'étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien. Il n'est pas juste, aurait-on dit, que les Français se tiennent en dehors de la lutte. J'aime la France, j'aime beaucoup la France, j'aime énormément la France, mais ce que je n'aime pas, ce sont les colonialistes. C'est pourquoi j'ai accepté."

Sifflets et exclamations dans le public. Le président lui demande s'il comptait au sein de sa cellule militante agir par tous les moyens.

Fernand Iveton répond: "Pas tous. Il y a plusieurs formes de passage à l'action. Dans l'esprit de notre groupe, il n'était pas question de détruire par tous les moyens; il n'était pas question d'attentat à la vie d'un individu. Nous étions décidés à attirer l'attention du gouvernement français sur le nombre croissant de combattants qui luttent pour qu'il y ait plus de bonheur social sur cette terre d'Algérie"

On fait état de ses liens d'amitié avec le "traître" Henri Maillot, militant communiste qui a transporté un camion d'armes volées alors qu'il était aspirant intégré dans un bataillon de l'armée française afin d'armer la rebellion. Le président lui demande s'il avait songé aux dégâts que sa bombe eût pu commettre si elle n'avait pas été découverte à temps. Iveton répond: 

"Elle n'aurait fait tomber qu'une ou deux cloisons. Je n'aurais jamais accepté, même sous la contrainte, de faire une action qui puisse entraîner la mort. Je suis sincère dans mes idées politiques et je pensais que mon action pouvait prouver que tous les Européens d'Algérie ne sont pas anti-Arabes, parce qu'il y a ce fossé qui se creuse de plus en plus"

Le pourvoi d'Iveton devant le tribunal de cassation militaire est rejeté le .

N'ayant pas tué, Iveton croit à sa grâce plaidée par l'avocat communiste de la CGT Joë Nordmann (agent de liaison du PC clandestin pendant la Résistance) qui s'est joint aux avocats commis d'office, Albert Smadja (communiste également) et Charles Laînné (chrétien libéral). Mais son recours est refusé le par le président de la République, René Coty après avis défavorable du garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand et du président du Conseil, Guy Mollet, deux socialistes responsables de l'escalade répressive en Algérie. Il est guillotiné le , à 5h10, dans la cour de la prison de Barberousse à Alger par le bourreau d'Alger, Maurice Meysonnier, assisté de son fils, Fernand Meyssonnier. Le bourreau sera exécuté par le FLN par la suite. Avec lui, deux militants nationalistes, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennouri, dits « Ali Chaflala » et « P’tit Maroc », sont également décapités.

Fernand Iveton est le seul "européen" (lui se considérait avant tout "algérien") parmi les 198 prisonniers politiques guillotinés par la guerre d'Algérie. Me Albert Smadja, son avocat commis d'office, témoin de l'exécution, rapporte qu'avant de mourir Fernand Iveton déclara :

" La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l'amitié entre Français et Algériens se ressoudera. "

Ismaël Dupont - 12 août 2023

Lire aussi:

Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur

Histoires d'Algérie: Djamila Boupacha, militante FLN défendue par Gisèle Halimi et dont Picasso fit une icône de la lutte des Algériens

Hommage à la résistante algérienne Annie Steiner - Musée d'Ali la Pointe dans la basse Casbah

Hommage à la résistante algérienne Annie Steiner - Musée d'Ali la Pointe dans la basse Casbah

Photo I. Dupont - Liste des condamnés à mort politique guillotinés pendant la guerre d'Algérie - Musée d'Ali la Pointe dans la basse Casbah

Photo I. Dupont - Liste des condamnés à mort politique guillotinés pendant la guerre d'Algérie - Musée d'Ali la Pointe dans la basse Casbah

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez
  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
  • Contact

Visites

Compteur Global

En réalité depuis Janvier 2011