J'ai une affection toute particulière et une admiration sans borne pour Aragon, ce génie littéraire polymorphe qui a su trouver des mots que toute la France retiendrait, car ils touchent au plus essentiel du lyrisme, de l'épopée, du tragique, de l'amour et de l'héroïsme, de la fragilité et de la grandeur de l'homme.
Un étonnement persistant face au destin peu prévisible du poète dada et surréaliste dandy, noceur et plutôt anarchiste.
Une passion pour l'auteur de ces très grands romans classiques trop peu connus et lus aujourd'hui que sont à partir du milieu des années 30 ceux du cycle "réaliste" - "Les Cloches de Bâle", "Aurélien", "Les Voyageurs de l'Impériale", "La Semaine Sainte", "Les Communistes", et j'en passe - une fascination pour l'écriture d'Aragon, si savante, si cultivée, et si aisée, brillante, capable d'émouvoir et de faire réfléchir, un intérêt immense pour l'homme, le choix de cet écrivain-médecin sorti des tranchées pour rejoindre l'avant-garde créatrice dada et surréaliste, un homme issu de la petite bourgeoisie, fils naturel d'un homme politique centriste qui se faisait passer pour son parrain tandis que sa mère se faisait passer pour sa sœur et sa mère pour sa grand-mère, d'épouser la cause du peuple et du communisme, de se mêler aux militants les moins intellectuels, et de continuer à servir la cause de la culture, de la résistance, et des valeurs les plus universelles, à l'intérieur du Parti communiste et du combat de classe.
Un homme courageux, qui sacrifia beaucoup de son bonheur et de la tranquillité personnels à son engagement au service des autres et d'un idéal altruiste et élevé.
Un homme avec une énergie et un talent incroyables qui sut créer immensément et intensément au cœur de l'action, de son travail d'animateur de journaux, de dirigeant politique, de la direction clandestine de la Résistance des intellectuels, un homme fidèle jusqu'au bout à ses engagements, même s'ils ont impliqué des graves moments d'isolement, de persécution et de dangers, de découragement et de désillusions, de mise en doute de ses croyances passées.
Un homme qui a eu une influence très forte sur le développement d'une certaine idée de la démocratisation culturelle en France et sur la politique de rassemblement et de réappropriation de l'héritage national et des Lumières du Parti communiste.
La lecture de deux très belles biographies d'Aragon ces dernières années, celle de Pierre Juquin, une somme monumentale et extrêmement vivante, documentée et bien écrite, Aragon, un destin français - en deux tomes - et celle de Valère Staraselski - Aragon. La liaison délibérée - restituant le rapport interne chez Aragon entre choix politique et littérature, m'ont donné envie de célébrer cette écriture, cet homme et son monde, et de faire partager aux lecteurs du "Chiffon Rouge", par articles, différents aspects de la personnalité, de la vie d''engagement et de l'oeuvre de Louis Aragon.
Aragon que bon nombre d'écrivains considèrent comme un des trois ou quatre écrivains français majeurs du XXe siècle, à l'universalité et au génie créateur comparables à celui d'un Victor Hugo, mais qui, du fait de ses options politiques poussées jusqu'à la prise de responsabilité importante, et de son adhésion au Parti communiste de 1927 à sa mort, est souvent tenu en marge du discours médiatique et universitaire sur la littérature et la poésie, au profit de figures bien moins importantes, bien moins prolifiques.
Pourtant, Aragon peut être salué à juste valeur littéraire par des écrivains et intellectuels de droite comme Alain-Gérard Slama ou Jean d'Ormesson, qui nous a quitté il y a quelques mois, chroniqueur au Figaro, qui écrivit dans "Tombeau pour un Poète":
"Le plus grand poète français est mort. Et un romancier de génie. Et un critique, un essayiste, un polémiste hors pair. Un écrivain universel pour qui tout était possible et qui ne reculait devant rien (...) Celui qui, à travers le temps et l'espace, couvrait le plus de terrain. Pendant plus d'un demi-siècle, il occupe la scène et domine la situation".
"Aragon dérange, écrit Valère Staraselski, car jusqu'au bout, il se voudra l'homme de la liaison délibérée entre l'écriture et la politique, ces deux puissantes activités humaines pour atteindre et inventer le réel". Il dérange parce qu'il mettra son jeu et son je créateurs au service d'un "nous", et d'une certaine idée de la société humaine, basée sur la foi en l'avenir humain et en l'égalité humaine.
Ismaël Dupont - 11 août 2018
Le continent Aragon - Aragon, 1939-1945 - la grande voix de la Résistance nationale des écrivains
Commençons par une des périodes les moins méconnues de la vie et de l'oeuvre d'Aragon, son activité pendant la seconde guerre mondiale, et son rôle important dans la Résistance des écrivains et des intellectuels qui lui ont donné après-guerre une envergure nationale et internationale, un immense prestige faisant naître aussi beaucoup de jalousies, de mesquineries, d'inimitiés.
Avant-guerre, Aragon anime les revues "Commune" et le journal communiste "Ce soir" (il en est le rédacteur en chef à partir de mars 1937) au prix d'un travail acharné. Il anime avec Paul Vaillant-Couturier, et l'impulsion de Thorez, une politique de rassemblement du Parti Communiste face aux dangers de la guerre et du fascisme, aux perspectives de conquête pour le monde ouvrier du Front Populaire. Depuis 1927, il est devenu communiste, et ce fut un des seuls surréalistes à être resté au Parti Communiste. Depuis 1927, il vit depuis 1928 avec Elsa Triolet, née Kagan, une intellectuelle de haut vol d'origine russe et juive, dont la sœur, Lili Brik, est la compagne du grand poète Vladimir Maïakovski. La rencontre d'Elsa et de Maïakovski, bolchevik depuis ses 15 ans mais en butte à la dure réalité de l'écriture et de la vie en Russie sous le temps du stalinisme, va mettre Aragon en contact avec la réalité soviétique.
En 1933, Aragon a créé la Maison de la Culture, première amorce d'unification des intellectuels au service d'idéaux de civilisation: le partage de la culture et de la liberté, la paix, l'anti-fascisme. En 1936-1937, Aragon se démène pour les Républicains espagnols. Il est proche de Maurice Thorez, auquel il sait gré d'avoir réorienté le Parti communiste vers une ligne moins sectaire, moins ouvriériste, plus rassembleuse, plus ouverte aux idéaux des Lumières et à une conception libérale et émancipée de considérations utilitaristes de la culture. Pour Thorez, Aragon, Vaillant Couturier, Jean-Richard Bloch, comme jadis pour Jaurès, le PCF doit agir pour intégrer l'héritage culturel national et le faire partager, pour universaliser des valeurs telles que la liberté, l'art, la création, l'individu, et faire en sorte que l'émancipation ne soit plus conçue de manière élitiste. Il y a cette époque un contraste flagrant entre la politique de Staline en URSS (la terreur, les purges) et la politique d'ouverture et de main tendue du Parti communiste en France, un parti en pointe dans le travail d'unification de la gauche et le combat anti-fasciste.
Après le pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939, Aragon, surpris et désarçonné évidemment, met cet acte politique sur le compte d'une volonté de paix et d'apaisement dans un contexte où Français et Anglais et déjà en grande partie désarmé l'alliance anti-fasciste et conclut un pacte coupable à Munich abandonnant les nationalités de l'Europe centrale à l'Allemagne nazie, et abandonnant aussi l'URSS. Le pacte germano-soviétique n'empêche pas Aragon de porter une ligne patriotique, anti-nazie, et de dire que les communistes devront s'il y a lieu faire leurs devoirs de français en cas d'agression nazie. Néanmoins, le climat général, porté par la classe politique, SFIO comprise, et la presse, devient violemment anti-communiste. C'est la revanche de la bourgeoisie après le Front populaire.
La haine contre Aragon, une des figures communistes les plus visibles, et l'intellectuel le plus prestigieux du PCF, est à son comble. Straselski raconte qu'on pouvait lire dans L'Action française du 25 août:
"Le gibier de Haute-Cour.
Nous n'avons pas l'intention, aujourd'hui encore, de lâcher notre Aragon. Et nous ne le lâcherons pas tant que le gouvernement et les autorités militaires ne seront pas décidés à mettre fin à sa besogne de traître. (Et à lui accorder son dû - nous répétons: douze balles dans la peau)".
Rappelons que Aragon, médecin parti au front tout jeune, était un héros de la Grande Guerre, avec plusieurs citations militaires...
Et l'article poursuit:
"Ce qui est indispensable
Daladier, voulez-vous le calme dans les rues et sur les places? Voulez-vous que le peuple français comprenne, retrouve la sagesse et la fermeté? Alors faites fusiller Aragon".
Robert Brasillach avait lancé pour sa part dans Je suis partout : "S'il y avait un gouvernement, Aragon serait fusillé demain matin".
Staraselki raconte que, en pleine persécution étatique et policière des communistes: "Harcelé par les provocations policières, agressé dans la rue par les nervis de l'Action française, le directeur de Ce soir quitte son appartement de la rue de la Sourdière et se réfugie à la légation du Chili, où il termine la rédaction des Voyageurs de l'impériale. Le choix de l'ambassade du Chili peut s'expliquer par la présence à Paris, en 1939, de Pablo Neruda, qui avait été chargé par le président chilien du Front populaire, Pedro Aguirre Cerda, d'organiser l'immigration au Chili des réfugiés espagnols et dont Aragon avait préfacé, en 1938, la traduction française de "L'Espagne au cœur".
Aragon est mobilisé alors que la police perquisitionne cet anti-fasciste et communiste notoire au 18 rue de la Sourdière à Paris.
Pierre Juquin écrit, dans le chapitre 55 de sa biographie ("Le transi de Ligier"):
"Dans le second volume du roman Les Communistes, publié par Aragon en 1949, Armand Barbentane, journaliste (fictif) à L'Humanité, rencontre Maurice Thorez, secrétaire général du parti, "presque par hasard", le 30 août 1939. Mobilisé, il demande s'il n'y a pas de directives spéciales, à l'armée". Thorez lui dit: "rien de spécial. Etre le meilleur partout... faire ce que dictera ta conscience de communiste et de Français". L'original de cet épisode romanesque est, semble t-il, dans la vie du romancier.
En septembre 1944, Aragon, soutenant la campagne du parti communiste pour le retour en France de Thorez, émigré en URSS depuis 1939, écrit, dans Ce soir, reparu dès la Libération de Paris: "Mon témoignage". Il verse au dossier le souvenir de sa dernière entrevue avec le secrétaire général, fin août 1939: "(...) Tu vas être mobilisé, me dit-il, fais ton devoir..."
Cette phrase - commente Aragon sur un mode épique - elle m'a accompagné dans l'armée, à la guerre. J'ai fait de mon mieux pour répondre à la confiance de Thorez (...) me comprendra t-on (...) si (...) je témoigne que c'est parce que j'avais au cœur ce fais ton devoir, dit par Maurice Thorez à la dernière heure de la paix, que j'ai été de ceux que l'on n'a pas vaincus? Me comprendra t-on si je dis que c'est ce fais ton devoir qui m'a poussé à écrire les poèmes du "Crève-Cœur"? Que c'est ce fais ton devoir que j'ai traduit de mon mieux, suscitant par tous les moyens légaux et illégaux, dans la France asservie, la fierté nationale et le patriotisme? Que c'est ce fais ton devoir qui m'a donné le dessein et la force de rallier autour de moi les hommes de l'esprit, les écrivains, les savants, les artistes qui furent mes collaborateurs de 1940 à l'heure de la Libération? ..."
Texte unique. Le seul dans lequel Aragon se présente en numéro un de la Résistance des intellectuels, ayant pris l'initiative dès 1940".
Effectivement, après le pacte germano-soviétique du 25 août, Thorez avait rappelé "la volonté de tous les communistes de lutter contre le fascisme et le nazisme " (1er septembre 1939) avant que les députés communistes ne votent les crédits demandés par Daladier pour la défense nationale (le 3 septembre). Pierre Juquin rappelle pourtant que, le 7 septembre Staline recevant Dimitrov exige que " les partis communistes des pays capitalistes en guerre renoncent au mot d'ordre du Front populaire et se dressent contre leur propre gouvernement, contre la guerre!".
"A partir du 20 septembre, le Parti communiste français, appliquant les nouvelles consignes, commence à dénoncer la "guerre impérialiste" et exiger l'arrêt des hostilités; mais le manifeste qu'il adopte, en l'absence de Thorez, mobilisé sous le titre "Il faut faire la Paix" n'est pas diffusé. (...). L'Internationale communiste exige de Thorez, qui a rejoint son unité, qu'il déserte et quitte la France. Thorez regimbe. Puis cède. Le 4 octobre, il est secrètement exfiltré en Belgique, où le noyau de l'Internationale l'initie à la nouvelle ligne. Après un mois d'attente clandestine, le 8 novembre, il arrive à Moscou avec sa femme, Jeannette Vermeersch". (Pierre Juquin, Aragon un destin français 1939-1982, La Martinière - p.21)
En 1933, Aragon a créé la Maison de la Culture, première amorce d'unification des intellectuels au service d'idéaux de civilisation: le partage de la culture et de la liberté, la paix, l'anti-fascisme. En 1936-1937, Aragon se démène pour les Républicains espagnols. Il est proche de Maurice Thorez, auquel il sait gré d'avoir réorienté le Parti communiste vers une ligne moins sectaire, moins ouvriériste, plus rassembleuse, plus ouverte aux idéaux des Lumières et à une conception libérale et émancipée de considérations utilitaristes de la culture. Pour Thorez, Aragon, Vaillant Couturier, Jean-Richard Bloch, comme jadis pour Jaurès, le PCF doit agir pour intégrer l'héritage culturel national et le faire partager, pour universaliser des valeurs telles que la liberté, l'art, la création, l'individu, et faire en sorte que l'émancipation ne soit plus conçue de manière élitiste. Il y a cette époque un contraste flagrant entre la politique de Staline en URSS (la terreur, les purges) et la politique d'ouverture et de main tendue du Parti communiste en France, un parti en pointe dans le travail d'unification de la gauche et le combat anti-fasciste.
Après le pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939, Aragon, surpris et désarçonné évidemment, met cet acte politique sur le compte d'une volonté de paix et d'apaisement dans un contexte où Français et Anglais et déjà en grande partie désarmé l'alliance anti-fasciste et conclut un pacte coupable à Munich abandonnant les nationalités de l'Europe centrale à l'Allemagne nazie, et abandonnant aussi l'URSS. Le pacte germano-soviétique n'empêche pas Aragon de porter une ligne patriotique, anti-nazie, et de dire que les communistes devront s'il y a lieu faire leurs devoirs de français en cas d'agression nazie. Néanmoins, le climat général, porté par la classe politique, SFIO comprise, et la presse, devient violemment anti-communiste. C'est la revanche de la bourgeoisie après le Front populaire.
La haine contre Aragon, une des figures communistes les plus visibles, et l'intellectuel le plus prestigieux du PCF, est à son comble. Straselski raconte qu'on pouvait lire dans L'Action française du 25 août:
"Le gibier de Haute-Cour.
Nous n'avons pas l'intention, aujourd'hui encore, de lâcher notre Aragon. Et nous ne le lâcherons pas tant que le gouvernement et les autorités militaires ne seront pas décidés à mettre fin à sa besogne de traître. (Et à lui accorder son dû - nous répétons: douze balles dans la peau)".
Rappelons que Aragon, médecin parti au front tout jeune, était un héros de la Grande Guerre, avec plusieurs citations militaires...
Et l'article poursuit:
"Ce qui est indispensable
Daladier, voulez-vous le calme dans les rues et sur les places? Voulez-vous que le peuple français comprenne, retrouve la sagesse et la fermeté? Alors faites fusiller Aragon".
Robert Brasillach avait lancé pour sa part dans Je suis partout : "S'il y avait un gouvernement, Aragon serait fusillé demain matin".
Staraselki raconte que, en pleine persécution étatique et policière des communistes: "Harcelé par les provocations policières, agressé dans la rue par les nervis de l'Action française, le directeur de Ce soir quitte son appartement de la rue de la Sourdière et se réfugie à la légation du Chili, où il termine la rédaction des Voyageurs de l'impériale. Le choix de l'ambassade du Chili peut s'expliquer par la présence à Paris, en 1939, de Pablo Neruda, qui avait été chargé par le président chilien du Front populaire, Pedro Aguirre Cerda, d'organiser l'immigration au Chili des réfugiés espagnols et dont Aragon avait préfacé, en 1938, la traduction française de "L'Espagne au cœur".
C'est dans ce contexte de marginalisation et de persécution du PCF du fait du prétexte trouvé avec le pacte germano-soviétique pour éradiquer le communisme comme force organisée en France, et avec lui, le Front populaire, que Aragon va être mobilisé et combattre, avec tant de courage qu'il nouvelle fois, il est cité et reçoit la médaille militaire, la Croix de Guerre avec palme pour son courage. Il a notamment ramassé des blessés à quelques mètres des chars allemands.
Pierre Juquin écrit, dans le chapitre 55 de sa biographie ("Le transi de Ligier"):
"Dans le second volume du roman Les Communistes, publié par Aragon en 1949, Armand Barbentane, journaliste (fictif) à L'Humanité, rencontre Maurice Thorez, secrétaire général du parti, "presque par hasard", le 30 août 1939. Mobilisé, il demande s'il n'y a pas de directives spéciales, à l'armée". Thorez lui dit: "rien de spécial. Etre le meilleur partout... faire ce que dictera ta conscience de communiste et de Français". L'original de cet épisode romanesque est, semble t-il, dans la vie du romancier.
En septembre 1944, Aragon, soutenant la campagne du parti communiste pour le retour en France de Thorez, émigré en URSS depuis 1939, écrit, dans Ce soir, reparu dès la Libération de Paris: "Mon témoignage". Il verse au dossier le souvenir de sa dernière entrevue avec le secrétaire général, fin août 1939: "(...) Tu vas être mobilisé, me dit-il, fais ton devoir..."
Cette phrase - commente Aragon sur un mode épique - elle m'a accompagné dans l'armée, à la guerre. J'ai fait de mon mieux pour répondre à la confiance de Thorez (...) me comprendra t-on (...) si (...) je témoigne que c'est parce que j'avais au cœur ce fais ton devoir, dit par Maurice Thorez à la dernière heure de la paix, que j'ai été de ceux que l'on n'a pas vaincus? Me comprendra t-on si je dis que c'est ce fais ton devoir qui m'a poussé à écrire les poèmes du "Crève-Cœur"? Que c'est ce fais ton devoir que j'ai traduit de mon mieux, suscitant par tous les moyens légaux et illégaux, dans la France asservie, la fierté nationale et le patriotisme? Que c'est ce fais ton devoir qui m'a donné le dessein et la force de rallier autour de moi les hommes de l'esprit, les écrivains, les savants, les artistes qui furent mes collaborateurs de 1940 à l'heure de la Libération? ..."
Texte unique. Le seul dans lequel Aragon se présente en numéro un de la Résistance des intellectuels, ayant pris l'initiative dès 1940".
Effectivement, après le pacte germano-soviétique du 25 août, Thorez avait rappelé "la volonté de tous les communistes de lutter contre le fascisme et le nazisme " (1er septembre 1939) avant que les députés communistes ne votent les crédits demandés par Daladier pour la défense nationale (le 3 septembre). Pierre Juquin rappelle pourtant que, le 7 septembre Staline recevant Dimitrov exige que " les partis communistes des pays capitalistes en guerre renoncent au mot d'ordre du Front populaire et se dressent contre leur propre gouvernement, contre la guerre!".
"A partir du 20 septembre, le Parti communiste français, appliquant les nouvelles consignes, commence à dénoncer la "guerre impérialiste" et exiger l'arrêt des hostilités; mais le manifeste qu'il adopte, en l'absence de Thorez, mobilisé sous le titre "Il faut faire la Paix" n'est pas diffusé. (...). L'Internationale communiste exige de Thorez, qui a rejoint son unité, qu'il déserte et quitte la France. Thorez regimbe. Puis cède. Le 4 octobre, il est secrètement exfiltré en Belgique, où le noyau de l'Internationale l'initie à la nouvelle ligne. Après un mois d'attente clandestine, le 8 novembre, il arrive à Moscou avec sa femme, Jeannette Vermeersch". (Pierre Juquin, Aragon un destin français 1939-1982, La Martinière - p.21)
Léon Blum et Maurice Thorez en 1936
Le Journal officiel du 29 septembre annonce la constitution, à la Chambre, d'un Groupe ouvrier et paysan français (GOPF), qui rassemble 42 députés communistes, rejoints par quelques autres les 4 et 5 octobre.
Un député communiste sur trois a fait défection!
L'un des premiers actes du GOPF est d'envoyer au président Herriot une lettre datée du 1er octobre, qui réclame un débat sur la paix avec l'Allemagne.
Pendant toute la guerre, Maurice Thorez, écrit Juquin, "va ronger son frein en URSS. Dès avant son arrivée dans la capitale soviétique, le Présidium de l'IC a critiqué la direction du parti français -sauf Marty qui partage l'analyse de Staline et se confronte avec Thorez. Le 14 novembre, dans une réunion du secrétariat consacrée à la France, Thorez consent péniblement à son autocritique; il a fallu près de douze semaines. La ligne soviétique reste en vigueur jusqu'à la ruée allemande de mai 1940. Thorez accepte de l'exprimer, mais seulement dans un article confidentiel d'une publication de l'Internationale (Die Welt) en allemand (!), puis dans Les Cahiers du bolchevisme clandestins".
Ce soir, Commune, Europe, et 79 publications communistes au total sont interdites. La Maison de la Culture est fermée, les réunions communistes sont interdites. Le Parti est désorganisé par la mobilisation.
"Le décret du 26 septembre 1939 dissout non seulement le parti communiste, mais aussi toutes les organisations prétendument satellites. La ceinture rouge de Paris est visée, la vie culturelle ouvrière démantelée: sont dissous les Bourses du travail, des clubs sportifs, des patronages municipaux, des harmonies municipales, des amicales de locataires, l'Aéro-Club des Aiglons à Ivry, l'Amicale des pêcheurs de Gentilly, l'Oeuvre des vacances populaires enfantines de Malakoff, les amis de la boule ferrée de la même ville ("En raison de son caractère nettement communiste (...) elle a groupé jusqu'à 20 adhérents", note le rapport de police). On n'en finit plus d'énumérer.
Le 18 novembre 1939, un autre décret permet l'arrestation et l'internement administratif, sans jugement, de tout individu considéré comme dangereux pour la défense nationale.
Une loi du 20 janvier 1940 porte déchéance "de tout membre d'une assemblée élective qui faisait partie de la IIIe Internationale".
Suivant un bilan ministériel établi le 19 mars 1940, 60 députés et un sénateur ont été déchus; 11 000 perquisitions opérées (par exemple le 3 octobre 1939, au domicile des Aragon, rue de la Sourdrière, les documents saisis n'étant récupérés au greffe correctionnel qu'en janvier 1949); 3400 militants ont été arrêtés, 1500 condamnations prononcées. En pleine déroute de l'armée française, la police passera encore son temps à traquer des communistes: au 31 mai 1940, on en est à 15 000 perquisitions et 5553 arrestations. On a trop oublié cela.
Daladier allègue le pacte. Or, dès le 3 décembre 1936, une dépêche très secrète, qu'il a signée comme ministre de la Guerre du gouvernement Blum, a enjoint aux généraux commandants de Paris et aux Régions militaires de préparer des unités pour mater on ne sait quel coup de force communiste, en particulier des chars et des troupes coloniales. Après Munich, Daladier a reprimé une grève générale lancée par la CGT. Le 17 décembre 1938, un appel signé par 432 journaux a demandé l'interdiction du parti communiste, alors accusé non pas de soutenir le pacte germano-soviétique, mais de pousser à la guerre contre Hitler!
La répression de 1939-1940, c'est avant tout la revanche de 1936, y compris de la part de nombreux participants au Front populaire.
Le 20 mars 1940, le 3e tribunal militaire permanent ouvre le procès, à huis clos, de 44 députés communistes qui n'ont pas lâché leur parti, dont 35 présents. En avril, ces élus écopent de plusieurs années de prison ferme, de lourdes amendes, et t'interdiction des droits civiques et politiques. A tous les prévenus, le capitaine de Moissac, juge d'instruction, a demandé s'ils reniaient leur appartenance au "PC mondial (sic) dont le PCF n'est qu'une section", s'ils désavouaient la discipline de l'Internationale, le pacte germano-soviétique, la lettre à Herriot (procès-verbaux d'interrogatoires conservés aux archives de Fontainebleau). Vichy continuera Daladier: dans les dossiers des communistes emprisonnés ou recherchés, l'approbation du pacte restera un test discriminant.
Mais cette persécution a un effet inattendu. Sans le vouloir, Daladier fait de la question du pacte une épreuve de vérification des cadres communistes. Certains doutent ou ne sont pas d'accord. Mais, face à la répression, la fidélité prend le pas sur toute autre considération, chez ceux-là mêmes qui, comme Gabriel Péri, tourmenté et mystérieux, ont pu avoir in petto des désaccords graves. Fidélité contre persécution, fierté contre déni de justice, confiance contre panique, de très nombreux cadres communistes, sélectionnés et formés dans les années 1930, tiennent bon dans le désastre. Leur solidité aura des conséquences considérables quand la mouvance communiste se reprendra et que le parti sortira de sa ligne erronée et de son discrédit pour se place en tête de la Résistance.
(...)
Le 7 septembre 1939, Daladier nomme le général Pierre Héring gouverneur militaire de Paris. En vertu de l'état de siège Héring est responsable de la sécurité de la capitale. Hanté, soixante-dix ans après, comme beaucoup de généraux, par la peur de la Commune, il vise les communistes; le 15 septembre, il exige que les tribunaux militaires soient, contre eux, fermes et rapides; cadres et troupes participent, sous sa direction personnelle, à des exercices de guerres de rue et de répression d'émeutes; en guise d'avertissement, des défilés et des revues montrent la "force" aux Parisiens. Héring essaie d'obtenir du gouvernement que des "indésirables", arrêtés et parqués au stade Roland-Garros, soient expédiés dans des camps, en province ou aux colonies. Il fait surveiller les ouvriers des usines métallurgiques par des détachements de soldats. Il "épure" le contingent des "affectés spéciaux". Dans un rapport adressé au gouvernement en janvier 1940, il qualifie le communisme d'"ennemi numéro un". Et Hitler dans cela?"
La loi punit toute propagande communiste d'amendes et de prison, et bientôt de mort.
"Le 9 avril 1940, le socialiste Albert Sérol, ministre de la Justice, signe un décret qui prévoit la peine de mort pour les communistes".
Voir: http://pcf-1939-1941.blogspot.fr/2014/03/decret-loi-du-9-avril-1940-dit-decret_26.html
L'Humanité clandestine n° 38 du 10 avril 1940 dénoncera avec vigueur ce "
décret scélérat" pris par un "
gouvernement social-fasciste" en soulignant que le Parti communiste ne renoncera pas à son combat contre "
la guerre impérialiste" :
Le décret scélérat
[...] Mardi, le ministre "socialiste" de la justice, Sérol, a soumis son décret-loi à la signature du président de la République !
Il est vrai que dans la forme, le décret diffère un peu de celui annoncé par l'agence Havas. Au lieu de dire cyniquement que seule sera réprimée la propagande communiste, on parle "d'entreprises de démoralisation de l'armée et de la nation".
Cette hypocrisie dévoile le père spirituel du décret : c'est Blum ! si ce n'était pas de l'hypocrisie, il faudrait commencer par l'appliquer à la racaille des Munichois et des amis de l'espion Abetz, à tous ceux dont les crimes d'hier ont préparé les massacres d'aujourd'hui. Il faudrait l'appliquer aux profiteurs de guerre et aux spéculateurs qui ramassent des fortunes dans le sang et les privations des travailleurs. Il faudrait l'appliquer à Paul Reynaud [président du Conseil et ancien ministre des Finances], auteur d'une fiscalité qui ruine les commerçants et les paysans et affame les familles des mobilisés, aux malfaiteurs du gouvernement qui ont aboli toutes les libertés et qui prétendent maintenant bâillonner le peuple sous la menace de mort !
Ce sont eux qui démontrent à la nation et à l'armée qu'elles ne souffrent et ne se battent ni pour la liberté, ni pour l'indépendance nationale. Leurs actes prouvent que cette guerre est une guerre des riches, une guerre contre le peuple !
S'ils veulent effrayer les communistes, le coup est manqué ! [...]
Vous avez beau prendre des décrets copiés sur ceux de Hitler, vos jours sont comptés messieurs les ennemis du peuples ! [...]
La France de 89, de 48 et de la Commune saura débarrasser le pays de votre tyrannie et laver la honte de vos décrets scélérats !
Avec, à sa tête, un parti trempé comme le Parti communiste, elle sûre de la victoire !
A BAS LE DECRET SCELERAT !
A BAS LE GOUVERNEMENT SOCIAL-FASCISTE !
A BAS LA GUERRE !
Le décret Sérol ne fera l'objet d'aucune application entre sa publication en avril 1940 et la fin de la guerre franco-allemande en juin 1940.
Les quatre ouvriers communistes qui seront condamnés à la peine de mort le 27 mai 1940 pour les sabotages des moteurs d'avion de l'usine Farman le seront sur la base de l'article 76 (2°) qui prévoit cette sanction pour "Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident".
Un communiste sera amnistié par le président de la République le 18 juin 1940 en raison de son âge. Les trois autres seront exécutés le 22 juin 1940 à Pessac, près de Bordeaux.
Mobilisé, Aragon cherche à garder des liens avec la direction du parti communiste, plongée dans l'illégalité. Par Elsa, en lien avec Danièle Casanova, il cherche à établir des liens avec Laurent Casanova, le secrétaire personnel de Maurice Thorez.
A 42 ans, Aragon vit d'abord dans un état quasi dépressif son cantonnement à Crouy-sur-Ourcq en octobre. Les premiers mots du Crève-Cœur en disent long: "Le temps a retrouvé son charroi monotone".
Dans le Crève-Cœur, plusieurs poèmes à allusions cryptées souvent sous couvert de revenir sur des références historiques anciennes disent le dégoût d'Aragon face à l'attentisme du gouvernement français, la propagande des médias, la persécution des communistes, le manque de cohérence de la préparation militaire, le manque d'Elsa.
Aragon et Elsa ont renoué leurs relations avec Paulhan et la NRF au début de l'année 1939 (Gallimard était en litige financier avec Aragon, lui demandant le remboursement de ses émoluments et voulant dénoncer le contrat qui le liait avec l'écrivain pour des raisons essentiellement idéologiques) et Les voyageurs de l'impériale commencent doivent paraître en feuilleton dans la NRF. A partir du 1er janvier 1940, la NRF publiera les cinq premiers chapitres de ce manuscrit de 1000 pages qui ne quitte pas Aragon dans sa garnison.
A suivre.