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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 16:29
A propos de la revendication de référendum d'initiative populaire - par Fabien Roussel, 11 janvier 2019

À PROPOS DE LA REVENDICATION DE RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE POPULAIRE
L’une des revendications du mouvement des « Gilets jaunes » porte sur la possibilité de
« référendum d’initiative citoyenne ». Elle est devenue l’un des principaux débats politiques
du moment. Il est donc utile de rappeler la position du Parti communiste français sur cette
question.
Le PCF se bat depuis des décennies en faveur d’une « démocratisation permanente de la
République », d’une VI° République permettant de sortir du présidentialisme et des dérives
antidémocratiques que nourrit la V° République.
Il se prononce, dans ce cadre, pour l’élargissement des droits et libertés des citoyens, pour
une démocratisation profonde des mécanismes de représentation, pour de nouveaux droits
d’intervention des salariés à l’entreprise comme dans la vie économique et sociale, pour
donner au plus grand nombre des moyens nouveaux de participer au débat public et de
concourir directement à la formation de la loi.
Dans le programme « La France en commun » de 2017, il était ainsi proposé : « Pour que les
citoyens puissent reprendre la main, il faut en finir avec les pouvoirs exorbitants du président
de la République sur l’ensemble de nos institutions, incompatibles avec la démocratie réelle,
redonner la primauté au Parlement et gagner de nouveaux pouvoirs d’intervention des
citoyens… »
C’est dans ce cadre que le PCF défend la proposition du « référendum d’initiative populaire ».
En juin-juillet 2018 encore, les parlementaires communistes et le PCF, intervenant contre le
projet de révision constitutionnelle d’Emmanuel Macron, ont notamment avancé l’idée que
500 000 électeurs puissent porter, et faire soumettre à référendum, une proposition de loi
traitant de l'organisation des pouvoirs publics, de réformes relatives à la politique
économique, sociale ou environnementale ainsi que des services publics qui y concourent, ou
de la ratification de traités pouvant avoir des incidences graves sur la vie collective.
En clair, la démarche défendue par notre parti vise évidemment à conquérir de nouveaux
droits, non à remettre en cause de grandes conquêtes démocratiques ou acquis sociaux, tels
l’abolition de la peine de mort, le droit à l’interruption volontaire de grossesse, ou l’avancée
que représente le mariage pour tous.
Cette démarche cherche à favoriser la plus ample délibération citoyenne. Celle-ci est le
meilleur moyen de faire progresser la démocratie, et elle est donc la meilleure garantie contre
les régressions réactionnaires. La campagne pour le « non » de gauche au projet de Traité
constitutionnel européen, en 2005, en a fait l’éclatante démonstration, lorsqu’elle a déjoué les
tentatives d’instrumentalisation du référendum par l’extrême droite. Certes, le verdict
populaire a ensuite été bafoué par les pouvoirs en place, qui ont fait passer par le Parlement ce
que les électeurs et électrices avaient rejeté dans les urnes. Cela prouve qu’à elle seule une
mesure comme le référendum d’initiative populaire ne suffit pas à rétablir la souveraineté des
citoyens, un changement global du cadre institutionnel s’impose. La leçon qu’il faut en tirer :
il n’y a pas de grands changements progressistes sans la mise en mouvement du peuple et sans
qu’il s’approprie le débat démocratique.
Dans le débat public, la menace est aujourd’hui brandie, en particulier par les soutiens du
pouvoir ou dans les médias, d’une utilisation de l’arme référendaire pour rétablir la peine de
mort ou revenir sur le mariage pour tous. Outre que ces questions ne sont actuellement
défendues par aucun porte-parole des « Gilets jaunes », le droit au référendum d’initiative
populaire, tel que le revendique notre parti, s’inscrit dans le cadre des grands textes
garantissant les droits humains et sociaux fondamentaux : de la Déclaration des droits de 1789
à la Déclaration universelle de 1948, en passant par les principes républicains énumérés après
la Libération dans le préambule de la Constitution, et par toutes les conventions codifiées par
l’Organisation internationale du travail.
Dans cet esprit, des référendums d’initiative populaire seraient précieux pour renforcer les
protections sociales ou les services publics mis en cause par les traités libéraux européens,
pour battre les accords de libre-échange négociés par les gouvernements dans le dos des
peuples, ou encore pour renforcer les garanties civiques et constitutionnelles des personnes
victimes de campagnes discriminatoires, racistes, sexistes, ou LGBTI-pbobes.
Nous ferons dans les prochaines semaines des propositions plus générales sur le nécessaire
renouvellement de la démocratie dans notre pays, démocratie représentative comme
démocratie directe, que nous n’opposons pas et que nous voulons développer toutes les deux.
Fabien Roussel,
Secrétaire national

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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 16:16
Eurovision 2019: pas au pays de l'apartheid! Pas en Israël!

Le PCF soutient l'appel initié par le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens qui s'inscrit dans le cadre de la campagne européenne contre la tenue de l'Eurovision 2019 en Israël.

En 2019, le concours de l’Eurovision devrait se dérouler à Tel-Aviv en Israël.

Ce pays vient de voter une loi, dite « loi de l’État-Nation du peuple juif ». Cette loi, à valeur de constitution, n’accorde pas les mêmes droits aux Israéliens selon qu’ils sont Juifs ou non-Juifs. Israël, à la colonisation, l’occupation des terres palestiniennes et les massacres à Gaza, ajoute désormais l’officialisation de l’Apartheid dans sa propre population.

L’Eurovision est suivie par des millions de téléspectateurs dans la zone européenne de radiodiffusion. Comment imaginer que celui-ci puisse se passer dans un pays qui vient ainsi de promulguer l’apartheid ?

Il ne s’agit ni de priver les artistes qui le souhaitent de la possibilité de participer à ce concours, ni de priver des millions de téléspectateurs de le suivre.
Mais celui-ci ne peut pas, ne doit pas, se dérouler en Israël !!!

Il est encore temps !

France Télévision, partenaire majeure de l’Eurovision, doit convaincre celle-ci de chercher un autre pays organisateur et annoncer dès maintenant qu’elle n’enverra pas de candidat français si l’Eurovision était maintenue en Israël !

C’est pourquoi,

- Nous acteurs de la scène française, chanteurs, musiciens, techniciens, refusons de jouer, chanter, danser dans de telles conditions, et appelons les candidats de « Destination Eurovision 2019 » à refuser d’aller à Tel-Aviv et l’annoncer dès maintenant,

- Nous citoyens soutenons la démarche des artistes français qui refusent l’apartheid, et exigeons de France Télévision qu’elle fasse tout pour trouver une autre destination et annonce en tout état de cause ne pas envoyer de candidat français si l’Eurovision devait se dérouler en Israël.

Cette campagne s’inscrit dans le cadre de la campagne européenne contre la tenue de l’Eurovision 2019 en Israël qui a déjà reçu le soutien de nombreux artistes de toute l’Europe.

Organisations soutenant l’appel initié par le Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens et BDS-France :

Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA) - AFD International - AILES Femmes du Maroc - Alternative Libertaire (AL) - Américains contre la guerre (AAW) - Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF) - Association des Tunisiens en France (ATF) - Association France Palestine Solidarité (AFPS) - Association Nationale des Élus Communistes et Républicains (ANECR) - Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC) - Association pour les Jumelages entre les camps de réfugiés Palestiniens et les villes Françaises (AJPF) - Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) - Association Universitaire pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) - Campagne BDS France - Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP) – Cedetim / IPAM - Collectif des Musulmans de France (CMF) - Collectif Faty Koumba : Association des Libertés, Droits de l’Homme et non-violence - Collectif interuniversitaire pour la coopération avec les Universités Palestiniennes (CICUP) - Collectif Judéo-Arabe et Citoyen pour la Palestine (CJACP) - Collectif Paix Palestine Israël (CPPI Saint-Denis) - Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR PO) - Comité Justice et Paix en Palestine et au Proche-Orient du 5e arrt (CJPP5) - Droit-Solidarité - Ensemble ! - Europe Écologie les Verts (EELV) - Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) -Fédération Syndicale Unitaire (FSU) - Forum Palestine Citoyenneté - Génération Palestine - La Courneuve Palestine - le Mouvement de la Paix - les Femmes en noir (FEN) - Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, section française de la Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF) (LIFPL) - Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) - Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF) - Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) - Organisation de Femmes Égalité - Parti Communiste Français (PCF) - Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF) - Parti de Gauche (PG) - Parti de l’émancipation du peuple - Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM) - Socialistes pour la Paix (SPP) - Sortir du colonialisme - Syndicat National des Enseignements de Second degré (SNES/FSU) - Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens (UTIT) - Union Juive Française pour la Paix (UJFP) - Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) - Union syndicale Solidaires

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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 15:00
Par

De 1922 à 1944, le noyau dirigeant du capital financier opta pour une formule fasciste de gestion directe du pouvoir. Son plan connut un début d’exécution à l’ère Daladier - Reynaud (avril 1938-juin 1940), où la liquidation de fait des institutions parlementaires aligna la France sur le modèle pré-hitlérien allemand (mai 1930-janvier 1933). L’objectif fut pleinement atteint de l’été 1940 à l’été 1944 où, sous la protection de l’occupant allemand et l’apparente houlette de Pétain, Darlan et Laval, le capital financier assura directement le gouvernement de la France.

Le plan d’assassinat de la République par le noyau dirigeant du capital financier

La solution fasciste est couramment décrite comme « contre-révolution préventive » contre un péril rouge qui aurait épouvanté les classes dirigeantes, notamment en Italie et en Allemagne (Pierre Milza, Les fascismes,1991). De fait, après leurs rudes émotions de 1917-1919 (1920 au plus tard), celles-ci perçurent partout, France incluse, que la révolution n’aurait hors de Russie aucune chance à court ou moyen terme. Si haïe et « assiégée », de sa naissance à sa mort, qu’eût été la « forteresse » soviétique, ce n’est pas le péril révolutionnaire qui incita le noyau dirigeant du capital financier à abattre des structures politiques qu’il contrôlait pourtant presque autant que l’économie. La Banque de France, club de la haute banque privée, exerçait en effet depuis sa naissance (1802) – cadeau de Bonaparte aux bailleurs de fonds de son coup d’État du 18 brumaire – un pouvoir dictatorial sur tous les gouvernements, monarchique, impérial ou républicain, par l’octroi ou le refus de ses « avances ». « Rois, parlements, presse, […] armée, Église […] meilleurs élèves des grandes écoles », etc., trancha un observateur de 1942 ou 1943, sont « depuis un demi-siècle complètement passés sous le contrôle du haut patronat. [L]es hommes politiques, les ministres, les vénérables des loges et les secrétaires de syndicats, cela ne pèse pas lourd devant le Comité des Forges et le Comité des houillères », qui, avec « les “Deux Cents Familles” » [les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France], achètent « la moitié des hommes publics importants ». La longue liste des secteurs par eux contrôlés s’achevait sur le rejet, d’apparence provocatrice, du distinguo entre « démocraties » et États fascistes : « L’État d’aujourd’hui n’est rien devant les trusts. Ni l’État de Lebrun [président de la République depuis 1931], de Daladier, de Paul Reynaud [présidents du Conseil d’avril 1938 à juin 1940], ni l’État de Pétain ni de Laval ni ceux de Mussolini, de Hitler ou de Roosevelt. Derrière tous les rois, chefs d’État et ministres, il y a le haut patronat, dont le public ne connaît pas les chefs, qui n’aiment pas à se faire connaître » (rapport reproduit par les RG de la Sûreté nationale, août 1943).

Pourquoi donc ce « haut patronat français » décida-t-il, si peu après sa si fructueuse victoire de 1918, de balayer une république aussi bonne fille que l’était le nouveau régime pour son homologue allemand ? Seulement par haine des Soviets, auxquels il ne pardonnait pas de lui avoir « fermé l’accès des matières premières » de l’ancien empire : « l’or, le fer, le cuivre, le charbon, le pétrole, etc. », seule vraie « patrie [du…] haut patronat international » ? Malgré l’obsession antisoviétique des vrais décideurs français de l’entre-deux-guerres, « Moscou » n’explique pas seule le « plan d’action […] pour la France » qu’ils conduisirent autour du noyau de « ce que l’on appel[ait] les “Deux cents familles” ».

L’organisation d’une « synarchie »

Une douzaine de personnes s’organisèrent en 1922 en club politique, autoqualifié de « synarchie », pour liquider la république. Car, si obligeante que fût celle-ci, elle n’allait jamais assez vite en besogne, entravée par les moyens de défense des détenteurs de revenus non-monopolistes, ouvriers, fonctionnaires, paysans, petite bourgeoisie capitaliste, partis ouvriers ou de « gauche », syndicats, parlement, dont les décisions, lentes et trop molles, faisaient perdre tant de temps et d’argent. Certes, les bailleurs de fonds patronaux faisaient élire et guidaient de nombreux députés et la quasi-totalité des sénateurs. Mais l’obligation pour ces élus de se faire réélire ralentissait leur exécution de « l’assainissement financier », maître mot de la Banque de France, synonyme de verrouillage de tous les revenus autres que ceux de la haute banque et de la grande industrie.

Ce cénacle financier, grand prêteur à l’Italie, qu’il avait entraînée contre son gré dans la guerre récente, prônait pour ce gros débiteur une formule politique à poigne. Elle seule contraindrait le peuple italien à accepter les conditions impitoyables du remboursement dictées depuis la fin du conflit, solution que les créanciers internationaux, français inclus, firent triompher avec Mussolini fin octobre 1922. « Le haut patronat » français, comme tous ses pairs, britanniques et américains inclus, ne cessa d’exalter le modèle italien avant de trouver (en 1933) la formule politique, meilleure encore, adaptée au règlement de l’énorme « dette [extérieure] » allemande.

« Les milieux financiers rêvaient d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. »

Quand la synarchie se fonda, elle était dominée (et le resta) par « la banque Worms, […] grande organisatrice des gouvernements de Vichy », par le mystérieux « groupe de Nervo », employeur de Du Moulin de Labarthète (financier des ligues fascistes de l’entre-deux-guerres puis chef du cabinet civil de Pétain), par la Banque d’Indochine et par l’industrie lourde (avec Peyerimhoff, chef du Comité des Houillères), et des obligés du Comité des Forges dominé par François de Wendel et Schneider. Ces gens financèrent et guidèrent, 1° toutes les ligues fascistes, liées à l’Action française, matrice du fascisme née de la lutte contre Dreyfus, puis 2° la Cagoule dans laquelle, sans disparaître, elles se regroupèrent depuis le tournant de 1935. Leurs ligues essaimaient depuis la victoire fugace, en avril 1924, du Cartel des Gauches du radical Édouard Herriot, qui avait promis l’impôt sur le capital et la laïcité en Alsace-Moselle, mais capitula d’emblée devant le Mur d’Argent.

Dans les années 1920, la synarchie, banque Worms en tête, reine de cette spécialité, conquit et forgea le personnel indispensable au bon fonctionnement de sa future dictature : issu de l’École libre des Sciences politiques, inspection des Finances en tête, sans préjudice du Conseil d’État, et des grandes écoles, Polytechnique au premier chef sans oublier l’École normale supérieure et l’École centrale, ce personnel fournissait déjà les cadres de l’État – et, du côté de l’inspection des Finances, ceux de la haute banque –, après un stage étatique plus ou moins bref. Ces hauts fonctionnaires civils issus d’un sérail dominé par « Sciences Po », et les généraux cléricaux et factieux, détestaient la république et « ne la serv[ai]ent qu’à contrecœur », déplora Marc Bloch dans son Étrange Défaite de 1940.

Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que « le public » ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy : dans la petite cinquantaine de noms du « rapport sur la synarchie » d’Henri Chavin (un des prédécesseurs de René Bousquet au secrétariat général à la police) de juin 1941 figurent ces non-élus devenus gouvernants, presque tous liés à la banque Worms : tel son directeur général, l’inspecteur des Finances Jacques Barnaud, mais aussi Pierre Pucheu (ancien normalien devenu « directeur des services d’exportation du Comptoir sidérurgique de France et administrateur des Établissements Japy »), François Lehideux (directeur général de la Société anonyme des Usines Renault), Jean Bichelonne (X-Mines, « sorti major de Polytechnique », directeur général de « la Société métallurgique Senelle-Maubeuge »), le polytechnicien Jean Berthelot (ancien chef de l’exploitation du réseau ferré (Paris-Ouest), un des dirigeants de la SNCF, fief synarchiste, sous l’Occupation), les inspecteurs des Finances Jacques Guérard (porté en 1938 à la tête des assurances Worms, administrateur de Japy) et Paul Baudouin (directeur général puis président de la Banque d’Indochine), etc. ; et, seul à n’avoir pas « pantouflé », l’inspecteur des Finances Yves Bouthillier, pilier de l’administration des Finances puis son ministre auprès de Reynaud puis de Pétain.

« Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que “le public” ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy. »

Un fort ralliement de « gauche » à Pétain

La crise aiguisa la « stratégie du choc » (Naomi Klein) contre les salaires et autres revenus pesant sur le niveau des profits. Elle aviva l’impatience de la synarchie à l’égard du régime, qui décidément l’importunait : ainsi quand, à l’été 1931, il fallut attendre quelques semaines que l’État, même avec le docile Flandin aux Finances, acceptât de prendre à sa charge (celle du contribuable) les coûteuses décisions de la Banque de France sur le règlement de la dette extérieure allemande. Elle l’obligea aussi à étendre son recrutement au-delà des grandes écoles, condition nécessaire pour séduire une partie des masses radicalisées. Elle puisa de notables soutiens dans la gauche anticommuniste, politique (SFIO et radicaux), syndicale (CGT de Jouhaux), franc-maçonne : c’est cet efficace travail de sape qui explique un fort ralliement de « gauche » à Pétain ; mais il est si méconnu de ceux qui négligent les archives originales qu’ils opposent une gauche largement antisémite et « collabo » à une droite vichyste patriote et résistante (comme dans les thèses de Simon Epstein).

De ce volet du recrutement témoignent deux personnages importants, tant avant-guerre (surtout pour le premier) que sous l’Occupation : le socialiste Charles Spinasse, qui apporta au chef idéologique des synarques, Jean Coutrot, autre employé de la banque Worms, un sérieux coup de main dans l’investissement de l’appareil d’État quand son ami Léon Blum en fit, en 1936-1937, son ministre de l’Économie nationale ; et le socialiste et syndicaliste CGT René Belin, lieutenant-successeur du secrétaire général Jouhaux, que son traitant depuis le début des années 1930, Jacques Barnaud, transforma en potiche ministérielle sous Vichy. L’effort aboutit même à la conquête d’un des dirigeants du PCF, Jacques Doriot, qui, espéraient ses mentors, pourrait (en apparence) diriger un parti de masse fasciste : en liaison avec les futurs occupants, fort intéressés à la chose, les synarques lui édifièrent en juillet 1936 un parti, le Parti populaire français ; son Bureau politique, originalité pour un parti censément né du terreau populaire de Saint-Denis, fut peuplé de synarques importants, dont Pucheu. Dès 1934, la synarchie choisit la formule qui offrirait une façade civile et militaire à son pouvoir direct : Laval - Pétain (alors ministres respectifs des colonies et de la guerre). Ce choix, définitif, résista à tous les aléas des six années menant la France à la Débâcle et au putsch de juillet 1940.

« Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. »

Vichy : les synarques ministres ou l’exercice direct du pouvoir

Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. En témoigne un commentaire du 7 janvier 1942 du diplomate américain Anthony Joseph Drexel Biddle Jr sur le conseil des ministres de Pétain et Darlan (après Laval, juillet - décembre 1940 et avant Laval, avril 1942 - août 1944), avis d’autant plus intéressant que cet ambassadeur auprès de divers pays occupés représentés à Londres appartenait aussi aux milieux financiers : « Nombre d’entre eux avaient de longue date des liens d’affaires importants et intimes avec les intérêts allemands et rêvaient encore d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. Laval était depuis longtemps lié à ce groupe. Darlan, bien qu’il ne fût pas de leur monde, était assez intelligent pour se les associer. S’ils adoraient Laval, ils servaient Darlan, comme ils auraient servi quiconque jouait le jeu. » Au sommet de ce groupe « ne portant d’attention qu’à la défense de [leurs] intérêts » trônaient « de nombreuses grandes banques […] : la Banque nationale pour le commerce et l’industrie (qui était par excellence le groupe de Laval), la Banque d’Indochine (dont Baudouin était le chef), la Banque de Paris et des Pays-Bas. Mais celle qui s’identifiait particulièrement au régime Darlan était la banque Worms et Cie » comme le montrait « un bref examen du conseil des ministres et des secrétaires d’État ».

Des membres de « la clique Worms », Biddle n’exclut que quatre « hommes de Pétain » (en se trompant : ceux-ci étant de longue date liés à la synarchie, tel Joseph-Barthélémy, ministre de la Justice, chef cagoulard, qui avait requis de lâcher l’alliée tchécoslovaque dans un article du 12 juin 1938 dans Le Temps, organe du Comité des Forges) : « Pierre Pucheu (Intérieur) et Yves Bouthillier [Finances] étaient des membres de la clique Worms. Le général Bergeret (secrétaire d’État à l’aviation) était classé par les uns dans l’entourage personnel de Pétain, par les autres dans le groupe Worms. Lui excepté, les secrétaires d’État étaient à un homme près associés à la même clique ». Au « groupe Worms » appartenaient aussi « un grand nombre de fonctionnaires subalternes (surtout les secrétaires généraux) », parmi lesquels Bichelonne : secrétaire général puis, d’avril 1942 à août 1944, ministre de la Production industrielle, il dirigeait aussi le Travail, dont Hubert Lagardelle fut le titulaire officiel entre le départ de la potiche précédente, René Belin, en avril 1942, et le sien, en novembre 1943.

« Pratiquement tout ministère ou secrétariat touchant les affaires économiques était aux mains d’un homme ou d’un autre de la clique Worms. » (d’après un des trois rapports - janvier, mars 1942, novembre 1943 - sur la banque Worms cités par William Langer dans Our Vichy gamble, Amden, Archon Books, 1965, p. 168-169).

Malgré des retraits liés, depuis 1942, aux mutations du rapport de forces militaire et de politique général mais aussi à la certitude de la défaite allemande, cette maîtrise fut maintenue jusqu’au bout. Elle fut symbolisée par Bichelonne, personnage emblématique de la baisse de 50 % du salaire réel des ouvriers et employés sous l’Occupation, et au moins autant par Jacques Guérard. Resté inconnu du public, cet « homme de sang » fut, comme secrétaire général de Laval de son retour à la Libération de Paris, le maître du gouvernement français et le principal interlocuteur de l’occupant.

*Annie Lacroix-Riz est historienne. Elle est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris

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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 06:39
Nicolas Bonnet Ouladj

Nicolas Bonnet Ouladj

Gratuité des transports

Des décisions historiques suite aux propositions des communistes pour les familles parisiennes

jeudi 10 janvier 2019

La Maire de Paris a annoncé que les transports seront désormais gratuits pour les enfants de moins de 11 ans et le remboursement partiel de la carte imagine R pour tout ou partie des élèves du secondaire.

Elle confirme la mise en œuvre des engagements qu’elle avait pris en réponse à nos vœux adoptés lors des conseils de Paris de juin, de novembre et de décembre dernier. Nous nous félicitons aujourd’hui d’être entendus déclare Nicolas Bonnet président du groupe PCF-FG au Conseil de Paris dans un communiqué.

C’est une victoire historique pour les familles parisiennes et pour la jeunesse. Avec ces mesures de gratuité, notre majorité démontre qu’elle entend les problématiques qui agitent l’actualité et affectent particulièrement les jeunes et les familles de la capitale, en leur redonnant du pouvoir d’achat. Nous démontrons qu’il est possible de déployer des politiques publiques écologiques qui sont socialement justes.

Ces nouvelles mesures de gratuité partielle permettent d’aller vers l’horizon de la gratuité totale du réseau de transport à l’issue de la réalisation des travaux du Grand-Paris Express. Il s’agit bien de définir les transports comme collectivement disponibles parce que collectivement payés.

Le Groupe communiste se félicite donc de ces mesures de gratuité et continuera de peser pour leur extension à d’autres publics.

Nicolas Bonnet Oulaldj, Président du groupe PCF-FG au Conseil de Paris

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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 06:35
Profits. Les premiers de cordée du CAC 40 enfilent leur gilet en or (L'Humanité, 10 janvier 2019, Sébastien Crepel)
Profits. Les premiers de cordée du CAC 40 enfilent leur gilet en or
Jeudi, 10 Janvier, 2019

57,4 milliards d’euros ont été dépensés en dividendes et rachats d’actions, l’année dernière, par les 40 plus grandes sociétés cotées en Bourse en France, établissant un nouveau record absolu. Les salariés et l’investissement sont les grands perdants de ces choix financiers.

Les entreprises du CAC 40 n’ont jamais autant choyé leurs actionnaires. Selon la Lettre Vernimmen, une publication spécialisée des milieux d’affaires citée hier par les Échos, 57,4 milliards d’euros ont été dépensés en dividendes et rachats d’actions l’année dernière par les 40 sociétés cotées, établissant un nouveau record absolu. Le dernier en date remontait à 2007, juste avant l’éclatement de la crise financière, avec 57 milliards d’euros distribués à l’époque. La performance de 2018 n’est donc pas anodine : « Les géants du CAC 40 ont enfin tourné la page de la crise financière », note le journal les Échos.

Si la générosité envers les actionnaires explose cette année, avec une hausse de 12,8 % par rapport à 2017, et surtout + 62 % par rapport au creux de 2009 (35,3 milliards d’euros distribués aux actionnaires), cela va de pair avec une forme olympique pour les bénéfices des sociétés concernées en 2017 (année de référence pour la distribution des dividendes en 2018), qui ont grimpé de 18 % en un an. Au total, près de 60 % de ces profits ont été redistribués aux actionnaires. Indice d’une année hors norme pour les détenteurs de capital, chaque société du CAC 40 a acquitté des dividendes l’an dernier, ce qui n’était pas le cas les années précédentes. Mais certaines ont contribué plus que d’autres à ce record. En haut du podium, Total a versé à lui seul 10,1 milliards à ses actionnaires en dividendes et rachats d’actions. Suivent Sanofi (4,8 milliards), BNP Paribas (3,8 milliards), Axa (3 milliards), LVMH (2,8 milliards), L’Oréal (2,5 milliards) et Schneider Electric (2,1 milliards). Ces sept sociétés représentant à elles seules plus de 50 % des sommes versées aux actionnaires par le CAC 40 l’an dernier.

Seulement 5,3 % des bénéfices sont redistribués aux travailleurs

En pleine crise des gilets jaunes, une telle débauche d’argent scandalise à gauche. La France insoumise, le PCF, Génération.s ont dénoncé un pactole indécent au moment même où le pouvoir a péniblement consenti un plan de mesures pour le pouvoir d’achat de 10 milliards d’euros qui ne mettra pas ou que très peu à contribution les entreprises, et que le moindre « coup de pouce » au Smic a été refusé. « Tandis que les bénéfices et les dividendes battent des records, le versement de primes est laissé au bon vouloir des sociétés et les principales mesures consistent en des défiscalisations, c’est-à-dire qu’elles seront financées par les contribuables et non par les entreprises, alors qu’elles ont un rôle fondamental à jouer pour la réduction des inégalités », pointe Pauline Leclère, de l’ONG Oxfam, à l’origine d’un rapport l’an dernier sur les bénéfices du CAC 40.

Selon cette étude intitulée « CAC 40 : des profits sans partage », plus de 67 % des bénéfices réalisés entre 2009 et 2016 par les principales ­sociétés cotées en France sont allés aux actionnaires, contre seulement 5,3 % aux salariés, et 27,3 % à l’investissement dans l’entreprise. « La tendance n’a pas changé, les salariés et l’investissement sont toujours les grands perdants de ce partage inégal des bénéfices », constate Pauline Leclère, qui rappelle les recommandations d’Oxfam pour « un partage plus équitable des richesses dans l’entreprise », formulées à l’occasion de la loi Pacte : encadrement des dividendes et transparence des écarts de salaires. Au-delà, « cette question cruciale du partage des bénéfices dans les grandes entreprises doit faire l’objet d’un point central dans le “grand débat” national » annoncé par Emmanuel Macron, estime la responsable de l’ONG.

Des sociétés s’endettent pour rémunérer leurs actionnaires

Pour l’instant, cela n’est guère prévu. Signe que le sujet embarrasse, la Lettre Vernimmen anticipe la critique, en affirmant que, « contrairement au sophisme et au poncif (sic), aucun groupe n’a dû réduire ses investissements pour verser un dividende. Aucun n’a dû s’endetter au-delà du raisonnable (re-sic) pour verser un dividende ». Une assertion à laquelle les Économistes atterrés ont déjà répondu sur leur blog, l’an dernier. « Dividendes et rachats d’actions représentaient 19 % de l’excédent net d’exploitation (l’ENE, en résumé : les profits diminués de l’amortissement des investissements passés – NDLR) en 1990, puis 39 % en l’an 2000 et 70 % aujourd’hui, y écrit le chercheur à Lille-I, Michaël Lainé. Autant dire que, de plus en plus, les entreprises sont contraintes de s’endetter ou de vendre leur outil de production afin de rémunérer leurs actionnaires. » Ainsi, en 2011, « alors que les profits avaient baissé de 10 %, les entreprises ont augmenté les dividendes de plus de 15 % et sacrifié du même coup leur capacité à investir en la réduisant de plus de 38 % », indique Pauline Leclère.

« Du point de vue des actionnaires, l’entreprise n’a qu’une fonction : créer du cash », rappelle de son côté Matthieu Montalban, membre des Économistes atterrés. Dans cette logique, investissement et dividendes en viendraient presque à se confondre puisque, « selon cette vision, l’intégralité de la trésorerie qu’elle génère appartient aux actionnaires. Qu’elle soit redistribuée ou réinvestie dans l’entreprise, c’est toujours du patrimoine de l’actionnaire », décrypte cet enseignant-chercheur à Bordeaux. Or, non seulement cela est une « erreur sur le plan juridique », mais de « nombreux travaux aux États-Unis ont montré que la hausse des dividendes et des rachats d’actions a bien eu pour effet de rationner les capacités de recherche-développement des entreprises ».

Sébastien Crépel

 

Profits. Les premiers de cordée du CAC 40 enfilent leur gilet en or (L'Humanité, 10 janvier 2019, Sébastien Crepel)
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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 06:29
Actes Sud, 2019, 8€50 1524, les pauvres se soulèvent dans le sud de l’Allemagne. L’insurrection s’étend, gagne rapidement la Suisse et l’Alsace. Une silhouette se détache du chaos, celle d’un théologien, un jeune homme, en lutte aux côtés des insurgés. Il s’appelle Thomas Müntzer. Sa vie terrible est romanesque. Cela veut dire qu’elle méritait d’être vécue ; elle mérite donc d’être racontée.

Actes Sud, 2019, 8€50 1524, les pauvres se soulèvent dans le sud de l’Allemagne. L’insurrection s’étend, gagne rapidement la Suisse et l’Alsace. Une silhouette se détache du chaos, celle d’un théologien, un jeune homme, en lutte aux côtés des insurgés. Il s’appelle Thomas Müntzer. Sa vie terrible est romanesque. Cela veut dire qu’elle méritait d’être vécue ; elle mérite donc d’être racontée.

Éric Vuillard « L’écriture n’affranchit pas de la loi du monde »
Jeudi, 10 Janvier, 2019

Dans son dernier livre, Éric Vuillard raconte l’histoire inachevée d’une guerre civile dans l’Allemagne du XVIe siècle, entre les tenants de l’ordre social établi et ce qu’on appelle la plèbe. Entretien.

Il y a trois ans, dans 14 Juillet, vous vous attachiez à donner corps à ceux qui prirent la Bastille. Il s’agissait d’éclairer en profondeur ce moment clé de notre histoire. Aujourd’hui, avec la Guerre des pauvres, vous abordez un chapitre, moins connu en France, de la lutte des classes en Allemagne au XVIe siècle. Pourquoi ce choix ?

ÉRIC VUILLARD La Guerre des pauvres raconte un soulèvement en 1525, pendant la ­Réforme, qui a eu quelques conséquences. Mais le livre ne s’en tient pas à un seul événement. Il s’agit avant tout de suivre un mouvement, de raconter l’histoire inachevée de la guerre civile entre les tenants de l’ordre social et ceux qu’on appelle la plèbe.

L’événement de 1525 est une insurrection de paysans, de petits commerçants, d’artisans pauvres, de vagabonds. Cet aspect composite nous fait signe. On y assiste à un mouvement désorganisé, livré aux ­hésitations. La révolte s’achève sur une féroce répression, tout autre chose que le 14 juillet. L’ampleur des violences est une mesure, et le fait que la Réforme s’y fracture est un avertissement. En matière d’égalité, on n’ira pas plus loin que lire la Bible en langue vulgaire et démocratiser les fonctions sacerdotales.

La figure de Thomas Müntzer est fascinante, en ce qu’il prend radicalement la tête du parti des humiliés et des offensés au nom de Dieu, c’est-à-dire avec les moyens du bord idéologiques de son temps. En quoi vous paraît-elle exemplaire ?

ÉRIC VUILLARD En effet, passer par le christianisme, c’est faire avec les moyens du bord, et Müntzer y recourt ardemment. Mais, après tout, on peut penser que les Évangiles sont un prétexte, une issue. Il faut échapper à une hiérarchie séculaire, rompre avec ses discours. Le christianisme, qui se manifeste alors comme un verrou de l’ordre social, en est un. Celui de l’homme ordinaire, qui va bien au-delà de la Réforme luthérienne, est une véritable révolution sociale.

Cette révolte, qui s’inscrit dans un vaste mouvement commencé en Angleterre deux cents ans plus tôt, a cela de singulier qu’elle est l’une des premières à s’appuyer sur un corps de doctrine, un christianisme pris au sérieux dans toutes ses conséquences. Auparavant, les jacqueries n’ont pas laissé de témoignage marquant de leurs principes, et les révoltes serviles ne semblaient qu’une façon de reprendre sa liberté. Müntzer réclame autre chose. Il exige le renversement de l’ordre social. Pour la première fois, une masse d’hommes en colère ne se contentent pas de brûler des châteaux. Ils font des projets.

La rivalité avec Luther n’est-elle pas capitale dans son cas ? Ne s’agit-il pas alors de deux visions de la Réforme ?

ÉRIC VUILLARD Luther se réclame lui aussi de l’égalité, mais il a besoin d’appuis pour stabiliser la Réforme. Et puis, sa révolte est plus subjective, morale, religieuse. Au départ, il est seul, c’est avant tout un conflit intime, il prie, il digère mal, sa conscience le tourmente. Sa révolte spirituelle ouvrira la danse. Müntzer, lui, est emporté par un mouvement ; il prend la tête d’une révolte qui commence par un refus de corvée. La dimension religieuse sert de catalyseur, c’est une langue alors disponible, on puise dans la Bible des mots auxquels la colère redonne sens.

Dans les deux cas, il y a les mots. Luther et Müntzer sont de prodigieux écrivains. Les 95 thèses sont un brûlot d’une vigueur étourdissante. C’est à la fois rationnel, emporté, net, mordant. Et ce petit bout de papier fait basculer l’histoire du monde. La prose de Müntzer est plus galvanique encore. Il y a en elle une ardeur insolite, une vraie force poétique. Ce sont des mots qui ont changé les choses, et on peut sentir presque physiquement leur puissance d’action. En cela, les écrits de Müntzer appartiennent à la littérature : ils sont une parole vive.

Il y a eu, en 1850, la parution de la Guerre des paysans en Allemagne, de Friedrich Engels, un classique du marxisme et, plus près de nous, cette pièce de théâtre de l’Allemand Dieter Forte, Martin Luther et Thomas Müntzer, ou les débuts de la comptabilité. Ces ouvrages vous ont-ils été utiles ? Si oui, en quel sens ?

ÉRIC VUILLARD L’ouvrage d’Engels est une ancienne lecture, une étude importante et pionnière. Mais c’est avant tout la prose de Müntzer qui m’a marqué. Il n’existe pas de pensée sans style, sans rythme. La langue de Müntzer est en surchauffe, elle ne relâche jamais son rapport à la vérité. C’est cela qui m’a le plus troublé, le plus exposé. Au fond, pour prendre un exemple célèbre, ce qui est fascinant dans le Rouge et le Noir, c’est combien l’écriture de Stendhal épouse la trajectoire de ­Julien Sorel. Le style heurté, haletant du roman, le piqué de sa prose sont homogènes aux hésitations constantes de Julien, à sa situation ­fragile, précaire : faut-il prendre la main de madame de Rênal ? Non, ce n’est pas possible, mais si, il va le faire, il le doit, il le fait… Ces réticences, ces décisions prises dans le feu de l’action sont le tremblement réel du livre. Tout y est passager, flux de conscience, chaque minuscule contradiction reflète sa vie entière. À chaque instant, Julien Sorel doit trancher contre le fils de scieur de bois qu’il est, pour son cœur qui proclame qu’il ne l’est pas, qu’il peut tout exiger, tout avoir. Et le staccato de la narration, l’écriture rapide, suffocante, nous embarque dans le cours alerte de sa brève et tragique existence. À mon tour, je voulais accompagner Thomas Müntzer, être avec lui jusqu’à l’échafaud, sentir le sang battre à mes tempes.

Votre écriture a quelque chose d’un lyrisme électrique constant dans l’évocation de temps révolus, aussi bien dans Congo que dans l’Ordre du jour, entre autres. Vous êtes-vous donné pour mission de reprendre, un par un, les chapitres de l’histoire de l’humanité dans le sens d’un dévoilement sans peur de l’injustice et de la domination ?

ÉRIC VUILLARD Je tâtonne, chaque livre vient au gré de mes lectures. Soudain, je tire un fil ; je le tire en écrivant, c’est en écrivant que les choses s’avivent. Mais une direction se dessine en effet. Si on considère que l’histoire n’est pas terminée, on la raconte autrement. On ne peut plus être extérieur à elle, on est dans le courant, embarqué. L’histoire de la domination est un conflit, et ce conflit est en cours. On ne peut donc pas se tenir en marge, comme si l’écriture était une activité autarcique, inoffensive. Le fait d’écrire n’affranchit pas de la loi du monde.

Que vous inspire l’actuel mouvement de protestation des gilets jaunes ? N’est-ce pas, toutes proportions gardées, un nouvel épisode, sous d’autres formes, certes, de ce à quoi vous vous efforcez de donner visage ?

ÉRIC VUILLARD On s’imagine volontiers que le passé éclaire le présent, cela rassure, mais c’est l’inverse qui se produit, le présent ranime le passé, sans cesse, c’est lui qui le fait revivre. Ce sont les gilets jaunes qui réveillent l’homme ordinaire du XVIe siècle, et qui nous enseignent le pas qui lui a manqué.

Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
« Ce n’est pas Dieu qui se soulève »
Jeudi, 10 Janvier, 2019

La Guerre des pauvres Éric Vuillard Actes Sud, 80 pages, 8,50 euros
Comment Thomas Müntzer, « homme à la foi amère », en citant les Évangiles, a pu prendre la tête d’une révolte paysanne au cœur de la Réforme.

Avec 14 Juillet (Actes Sud, 2016), Éric Vuillard rendait la prise de la Bastille à ses artisans essentiels. Dans la Guerre des pauvres, mince volume annoncé tardivement, discrètement sorti ces jours-ci, il revient sur la révolte religieuse et sociale galvanisée par le théologien Thomas Müntzer (1489-1525). Le romancier opère d’entrée de jeu un retour en arrière en quelques pages concises sur des figures phares du passé, entre autres celle de l’Anglais John Wyclif (1330-1384) qui, deux siècles plus tôt, « ouvre ce qui allait devenir la Réforme ». En 1525, Thomas Müntzer, « l’homme à la foi amère », mènera, en pleine Réforme protestante, le soulèvement de l’« homme ordinaire » (paysans et pauvres des villes, hommes et femmes du peuple, héros anonymes). Ce soulèvement devient à son contact « social, enragé ». Ces « exaspérés jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs ». Ce peuple n’est pas muet, il « pue, il grogne, mais il pense aussi ». On suit au plus près Müntzer, orphelin précoce d’un père tué « sur les ordres du comte de Stolberg, certains disent pendu, d’autres brûlé ». La prose de Vuillard est saturée par la présence de Müntzer, la cadence de son verbe tiré des Évangiles.

Les instantanés du soulèvement

Cet homme vif et sombre rêve d’un monde sans privilèges, sans propriété, sans État. Éric Vuillard passe au crible les instantanés du soulèvement, même si Müntzer le juge prématuré. Il lui fait dire : « Soulevez les villages et les villes, et surtout les compagnons mineurs et autres braves garçons, qui seront bien utiles. » On découvre les châteaux dévastés et la négociation comme technique de combat. « Ce ne sont pas les paysans qui se soulèvent, c’est Dieu ! » aurait dit Luther, et Vuillard d’écrire : « C’étaient bien les paysans qui se soulevaient. À moins d’appeler Dieu la faim, la maladie, l’humiliation, la guenille. » Il ajoute : « Ce n’est pas Dieu qui se soulève, c’est la corvée, les censives, les dîmes, la mainmorte, le loyer, la taille, le viatique, la récolte de paille, le droit de première nuit, les nez coupés, les yeux crevés, les corps brûlés, roués, tenaillés. » M. S.

La guerre des pauvres: Eric Vuillard écrit sur la révolte protestante égalitariste de Thomas Müntzer : L'écriture n'affranchit pas de la loi du monde (L'Humanité, 10.10.2019)
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10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 06:22
La fiscalité, les prélèvements obligatoires et leurs enjeux en France aujourd’hui - Analyse et éléments de réflexion (PCF Morlaix)

La fiscalité, les prélèvements obligatoires et leurs enjeux en France aujourd’hui

 

Introduction

La situation sociale explosive de cette fin d’année 2018, outre l’expression de la détresse sociale dans laquelle se trouve plongée une part importante de notre société, a mis en lumière bon nombre de besoins, d’attentes, de revendications pour vivre dignement en France en ce début du 21ème siècle.

Les mots d’ordre qui avaient fusé au départ « trop de taxes » trop de « charges » trop d’impôts » firent rapidement la place à des revendications au caractère de classe plus marqué : plus de pouvoir d’achat, plus de salaires et de minima sociaux, ainsi que des besoins de services publics. Un certain nombre de revendications que l’on croyait enfouies chez beaucoup, ont resurgi tout d’un coup, décontenançant totalement nos dirigeants qui ne s’y attendaient guère manifestement.

Chez beaucoup d’entre nous est apparue cette nécessité d’avoir un regard et une réflexion sur les aspects fiscaux et sociaux dans notre société aujourd’hui en France, pour essayer de comprendre les raisons de la colère et aussi pour tracer d’autres perspectives dans le sens d’une fiscalité plus juste, permettant de répondre aux attentes des citoyens.

Dans notre réflexion nous nous sommes aidés, d’une part de l‘ouvrage « pour une révolution fiscale » coécrit en 2011 par Landais, Piketty et Saez, et d’autre part par un document de la fédération des finances CGT et de ses propositions pour la mise en œuvre d’une autre fiscalité.

Nous avons également intégré dans cette réflexion les idées avancées dans un rapport de mars 2008 du Conseil des Prélèvements Obligatoires dépendant de la Cour des comptes.

En préalable, comme le disent Piketty, Landais et Saez :

 

« La question des impôts est tout sauf technique. Il s’agit d’une question éminemment politique et philosophique, sans doute la première la première d’entre toutes. Sans impôts il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. »

 

I Les prélèvements obligatoires

Que n’entend-on pas sur la question des prélèvements obligatoires ?

Ainsi le 15 octobre 2018, on pouvait lire dans Le Figaro : « C'est un record dont le contribuable français se serait bien passé… En 2017, le montant des prélèvements obligatoire a dépassé la barre symbolique des 1000 milliards d'euros. Dans le détail, la part des impôts et différentes taxes auxquels ont été soumis les Français cette année-là représente 45.3% du PIB, soit 1038 milliards d'euros exactement, révèle un rapport mené par le député LREM Joël Giraud. C'est 43,3 milliards de plus que la somme atteint en 2016 (994,7 milliards), 59,6 milliards de plus qu'en 2015 (978,4 milliards) et surtout 368,5 milliards de plus qu'en 2002... »

C’est le type même des réflexions constamment et largement véhiculées par les partisans du libéralisme. Les vérités apparentes tirées de ces constats n’ont pour seul objet que de convaincre la majorité de la population de devoir se débarrasser le plus possible des constructions sociales basées sur les couvertures collectives et la solidarité, à partir des financements par l’impôt ou les cotisations sociales.

 

 

Qu’entend-on exactement par prélèvements obligatoires ?

Définition:

Selon la définition de l’INSEE les prélèvements obligatoires désignent les impôts et les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques et les institutions européennes.

Qui paye des impôts ?

Selon l'impôt ou la taxe, il peut s'agir de personnes physiques (particuliers) et/ou de personnes morales (entreprises, associations...). Par exemple, les particuliers sont assujettis à l'impôt sur le revenu et une partie des entreprises sont assujetties à l'impôt sur les sociétés.

Trois différents types de prélèvements obligatoires

I) les impôts : payés par tous les contribuables pour financer les dépenses publiques (impôts directs et impôts indirects) ;

- les impôts directs, c'est à dire les impôts payés et supportés par la même personne : par exemple, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, la taxe d’habitation la taxe foncière, etc...

- les impôts indirects, c'est à dire les impôts et taxes dont le montant est répercuté sur le prix de vente au consommateur d'un produit ou d'une prestation : par exemple, la TVA, les droits de douane, la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques, etc...

II) les cotisations sociales  obligatoires : pour financer les prestations sociales ;Les cotisations sociales assises sur les salaires (part ouvrière et part patronale) et la CSG, CRDS et prélèvements sociaux

III) les taxes fiscales : versées en contrepartie d'un service spécifique  en échange de la fourniture d'un service, sans équivalence entre le montant de la taxe et le prix du service fourni : par exemple, la contribution à l'audiovisuel public ou le timbre fiscal pour obtenir un passeport, la taxe d'équipement, taxe funéraire, taxe pour la formation professionnelle, taxe sur les spectacles, etc. et dues par tous les contribuables susceptibles d'en profiter. Le produit est affecté contrairement à l'impôt.

En 2015, le niveau de prélèvements obligatoires en France était de 44,6 % du PIB (ratio entre les prélèvements et la richesse nationale).

Le taux augmente chaque année en raison de la hausse des impôts et cotisations, notamment des cotisations sociales (42,5 % en 2010).

Pour rappel, le taux était de 34 % en 1970, 40 % en 1980 et 41,6 % en 1990.

Officiellement, les prélèvements obligatoires sont supportés approximativement aux 2/3 par les ménages (28 % du PIB) et au tiers par les entreprises (16 %). (NB : cf remarques Piketty « pour une révolution fiscale p.36 ,37 et 38).

A quoi servent les Prélèvements sociaux ?

prélèvements obligatoires perçus par l’État et les ODAC

  • l’enseignement scolaire : 67 milliards d’euros ;

  • les engagements financiers de l'État (charge de la dette et trésorerie de l’État, appels en garantie de l’État, épargne et majoration de rentes) : 45 milliards d’euros;

  • la défense : 40 milliards d’euros ;

  • la recherche et l’enseignement supérieur : 26 milliards d’euros ;

  • la sécurité : 19 milliards d’euros ;

  • la solidarité, l’insertion et l’égalité des chances : 18 milliards d’euros.

Source : « Les chiffres-clés du budget 2016 »www.economie.gouv.fr, 19 janvier 2016
 

Prélèvements obligatoires perçus par les administrations de Sécurité sociale (54 % des prélèvements obligatoires). Ils financent l'assurance maladie, les retraites, l'indemnisation du chômage, les établissements de santé.

Prélèvements obligatoires perçus par les collectivités locales et les ODAL (15 % des prélèvements obligatoires) (taxe foncière, taxe d'habitation, contribution économique territoriale) financent essentiellement : aide sociale, entretien de la voirie, formation professionnelle, achats mobiliers et immobiliers, gros travaux et réparations, etc....

Il faut aussi noter noter l’Union Européenne : 1 % des prélèvements obligatoires

Des prélèvements obligatoires trop importants en France ?

Le taux de prélèvement obligatoire est-il trop élevé en France ? C’est ce que soutiennent certains économistes. Selon eux, l’importance des impôts sur le revenu, par exemple, réduirait les incitations au travail, notamment ; l’importance des cotisations sociales augmenterait le coût du travail et donc serait source à la fois de chômage et de perte de compétitivité des entreprises résidentes. Plus largement, l’intervention de l’Etat réduirait la liberté des acteurs économiques, l’Etat décidant à la place des entreprises ou des individus ce qu’il faut faire de l’argent gagné.

Mais, d’autres économistes insistent sur le caractère démocratique des choix de l’Etat : il n’y aurait pas véritablement contrainte. Ils mettent aussi en évidence la protection qu’offre l’intervention de l’Etat ce qui nécessite des ressources stables. Ces prélèvements financeraient aussi des investissements humains et collectifs source de croissance future et de plus grande liberté réelle (santé, éducation, routes, etc.). Lors de la crise de 2008, le système a même servi « d’amortisseur social » aux dires de tous.

Sens et limites de la comparaison des taux…

C’est sous ce titre qu’en mars 2008 le Conseil des Prélèvements Obligatoires (dépendant de la Cour des comptes, alors placée sous la présidence de Philippe Seguin) a jugé utile de publier un rapport dans lequel il insiste sur la totale relativité qu’il convient d’accorder à cette notion, compte tenu de la diversité des situations et des constructions sociales rencontrées au plan international.

Dans son introduction celui-ci indique ainsi : « La notion de prélèvements obligatoires et le taux qui lui correspond (rapport des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut - PIB -) sont d'un usage si fréquent qu'on en oublie souvent de préciser ce qu'ils signifient et de relativiser les évolutions qu'ils traduisent. Ces grandeurs sont pourtant d'un maniement particulièrement délicat, qu'il s'agisse d'analyser leurs variations dans un pays donné ou - plus encore - d'effectuer des comparaisons internationales, qui peuvent alors aboutir à des conclusions hâtives ne tenant pas compte des caractéristiques propres de chacun des pays étudiés. Les débats qu'ils suscitent sont, en effet, lourds d'enjeux économiques, sociaux et politiques engageant de véritables choix de société et de mode de vie. Le Conseil des prélèvements obligatoires a souhaité apporter sa contribution. »

Seuls les prélèvements publics et obligatoires sont retenus dans le calcul

Par conséquent toutes les couvertures volontaires et facultatives (mutuelles, assurances…) n’entrent pas dans le calcul, et de plus, selon que les organisations économiques et sociales différentes rencontrées dans les divers pays de la planète, retenir le seul prisme des prélèvements obligatoires revient à comparer des situations qui ne le sont pas.

Le concept de « prélèvements obligatoires » est donc à manier avec d’infinies précautions

Le CPO précise ainsi : « Seuls les prélèvements publics “obligatoires” sont retenus, ce qui exclut les versements correspondant à une décision “volontaire” de la part de celui qui les acquitte ou qui sont la contrepartie d'un service rendu. Sont exclues des prélèvements obligatoires les cotisations sociales “fictives” ou “imputées” correspondant aux prestations versées par les employeurs eux-mêmes sans qu'un organisme tiers soit impliqué. Leur financement repose sur des cotisations du personnel et sur une contribution de l'employeur qui doit assurer l'équilibre du compte. Plus leur importance est grande, plus le taux de prélèvements obligatoires s'en trouve allégé. En matière de santé, le recours aux régimes d'entreprise est précisément la norme aux États-Unis puisque plus de 65 % des Américains de moins de 65 ans sont assurés par leur employeur ou par celui d'un membre de leur famille. »

Il convient également de prendre en compte les dépenses financées par les prélèvements obligatoires.

Le niveau réel de la dépense publique ne se réduit pas aux prélèvements obligatoires.

Les prélèvements obligatoires ne peuvent se comparer d'un pays à un autre sans prendre en considération les dépenses qu'ils financent, c'est-à-dire en tenant compte de la place des services publics et des transferts sociaux dans l'économie du pays.

Cela résulte des choix que retient chaque société pour financer les dépenses de protection sociale : maladie, retraite, famille, chômage, etc.

De plus nous dit le rapport : « Structurels, caractérisant chaque société, les choix de financement de la protection sociale ne font pas qu'expliquer largement les écarts entre les taux de prélèvements obligatoires. Ils ont aussi des répercussions profondes sur la société d'une part, les systèmes ainsi financés, d'autre part. »

Ecrits quelques mois seulement avant la survenance de la crise de 2008, ces propos étaint tout à fait pertinents, car quelques mois plus tard on allait aussi s’apercevoir de l’influence des systèmes sociaux sur les effets des crises, en l’occurrence le système français ayant servi, de l’avis des économistes de tous bords, d’amortisseur social alors qu’il en allait tout autrement dans des pays où le libéralisme était plus débridé.

Le CPO retient quatre points nécessaires pour l’analyse :

- « Pour effectuer et commenter utilement les comparaisons internationales entre les taux de prélèvements obligatoires, il faut davantage s'attacher à l'analyse de l'évolution des écarts plutôt que d'en simplement constater l'existence. »

- « L'efficience de la dépense publique n'est pas partout la même : selon les pays, le même service ou la même fonction, est assuré avec une qualité équivalente mais par des montants de dépenses différents...Une partie des écarts de taux de prélèvements obligatoires entre pays tient à ces efficiences différentielles du service public ».

- Un troisième facteur tient aux choix retenus par les états pour financer ce que l'on peut appeler les fonctions existentielles ou de développement. Mais le CPO analyse que cela influe peu sur l’explication des écarts.

- Le quatrième facteur retenu par le CPO est, selon lui, « de loin le plus important : l'ampleur des fonctions de santé et de protection sociale, et celle de leur financement public, extrêmement différentes toutes deux d'un pays à l'autre, jouent le rôle principal. Ces deux éléments, le second surtout, sont susceptibles d'expliquer non pas quelques points de différence entre taux de prélèvements obligatoires, mais beaucoup plus (jusqu’à environ trois quarts de l'écart). A vrai dire et sans négliger les autres facteurs, ces deux éléments expliquent la très grande majorité de l'écart entre les taux de deux pays donnés... Se jouent ainsi, autour de ces deux fonctions centrales, des modes de vie et de conception propres à chaque société, que la valeur du taux de prélèvement obligatoire de chaque pays reflète pour une très grande part ».

Ainsi, la question de la structure des prélèvements obligatoires est bien plus importante que celle de son niveau : les cotisations sociales sont sans doute d’un haut niveau en France , mais ne sont-elles pas la source d’une démocratie sociale ? ou encore d’une stabilité économique et sociale ? Souvenons-nous de la crise de 2008, et qu’aux dires de tous, le système a servi « d’amortisseur social ». A partir de là la question essentielle est, non pas tant celle du niveau des prélèvements obligatoires, mais bien plutôt celle des moyens de leur financement à partir des richesses créées par le travail.
 

II Vision d’ensemble de la réalité des revenus et des impôts en France

 

1) Un revenu moyen de 33 000 € par adulte et par an en 2010 (source INSEE)

Chiffres comptabilité nationale 2017

Produit intérieur brut (PIB) 2017 2 292 Mds €

revenu national brut 2 348 Mds €

nombre d’habitants en 2017 67 105 500

Revenu national brut par habitant 34 309 €

 

2) patrimoine = près de six années de revenus

 

(Précision : le revenu est un flux, le patrimoine est un stock )

D’après l’INSEE les résidents français possédaient en 2010 environ 9 200 milliards de patrimoine financier et non financier (net de dettes) soit plus de 182 000 € par adulte ( source : Pour une révolution fiscale, Piketty, Landais et Saez, p,22)

Le patrimoine privé représente en 2010 près de 6 fois le revenu annuel, contre moins de quatre années dans les années 80, et moins de trois années dans les années 50. Il faut remonter à la Belle époque (1900-1910) pour retrouver une telle prospérité des fortunes françaises. » (ibid)

En 2010 ce patrimoine se décompose en deux parties égales :

- le logement (résidences principales et secondaires, nettes de taxes), soit environ 91 000 € en moyenne par adulte,

- les actifs financiers et professionnels (grosso modo la valeur des entreprises) soit environ 91 000 € en moyenne par adulte.

Mais la composition du patrimoine des ménages varie suivant selon son importance :

En visualisant ce tableau on comprend pourquoi Macron a remplacé l’ISF par l’IFI (impôt sur la propriété immobilière)

 

3) Répartition des patrimoines en France en 2010

 

Groupe

Nombre d’adultes

Patrimoine moyen par adulte

Part dans le patrimoine total

Population totale

50 millions

182 000 €

100 %

Classes populaires, les 50 % les plus pauvres

25 millions

14 000 €

4 %

Classes moyennes : les 40 % du milieu

20 millions

154 000 €

34 %

Classes aisées : les 10 % les plus riches

5 millions

1 128 000 €

62 %

Dont classes moyennes aisées (9%)

4,5 millions

768 000 €

38 %

Dont classes très aisées (1%)

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10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 06:14
Le scandale Chantal Jouanno en cache beaucoup d'autres (Laurent Mauduit et Donatien Huet, Médiapart)
Le scandale Chantal Jouanno en cache beaucoup d’autres
Par et

La présidente de la Commission nationale du débat public renonce à animer le Grand débat national mais veut garder son salaire de 14 666 euros bruts par mois. Un système qui en dit long sur le fonctionnement des autorités administratives (soi-disant) indépendantes, dont les présidents profitent de rémunérations décidées de manière opaque par le pouvoir.

Le scandale dans lequel Chantal Jouanno, ex-ministre sarkozyste et actuelle présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), est emportée, fonctionne comme un miroir à facettes multiples. On y discerne les nouveaux errements d’un pouvoir qui face à l’insurrection des gilets jaunes cherche sans cesse, dans la panique, de nouvelles parades qui tout aussitôt viennent nourrir un peu plus la crise au lieu de la colmater : ainsi le Grand débat national voulu par le gouvernement pour tenter de montrer qu’il était à l’écoute du pays vient-il, avant même d’avoir démarré, d’être totalement pollué par l’affaire de la rémunération exorbitante de celle qui devait l’animer.

Au-delà, on y discerne aussi que le « scandale Jouanno » en révèle d’autres : les autorités administratives indépendantes ne méritent guère cette dénomination puisque leurs présidents profitent pour beaucoup d’entre eux de rémunérations encore plus importantes qui sont fixées de manière opaque et discrétionnaire par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire par l’Élysée ou Matignon.

Cela vient confirmer que ces autorités administratives ne sont en fait que peu indépendantes, leurs dirigeants profitant de passe-droits qui ne sont encadrés par aucune règle. C’est l’une des manifestions du système du « coup d’État permanent » : du fait des institutions de la Ve République, le chef de l’État profite de pouvoirs exorbitants. Et en face de lui, il n’existe aucun contre-pouvoir véritable, ni aucune autorité administrative réellement indépendante, comme ce devrait être le cas dans un véritable État de droit.

Voyons donc, pour commencer, l’affaire Chantal Jouanno. Ainsi donc, l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy est-elle emportée dans d’invraisemblables turbulences. Voilà quelques jours, la Lettre A a en effet révélé l’ampleur de ses rémunérations : celle qui préside la CNDP et qui devait à ce titre présider le Grand débat national voulu par le gouvernement pour essayer d’apaiser la crise des gilets jaunes doit percevoir une rémunération de 14 666 euros en brut par mois en 2019.

Comme la question du pouvoir d’achat est l’un des éléments moteurs de la crise sociale, le montant considérable de cette rémunération, pour la présidente d’une commission qui en temps ordinaire conduit des travaux relativement confidentiels, a légitimement fait scandale. Un Grand débat national pour évoquer les questions de la pauvreté, de la précarité, des fins de mois difficiles, avec pour arbitre impartial une personnalité qui a une rémunération quasi identique au chef de l’État ? Il n’en a naturellement pas fallu davantage pour qu’aussitôt les réseaux sociaux s’enflamment et que le Grand débat national tourne au fiasco, avant même de commencer.

Chantal Jouanno l’a bien compris. Mardi 9 janvier, sur France 2, elle a donc annoncé qu’elle jetait le gant d’une très curieuse façon, en précisant qu’elle se retirait du Grand débat national, mais qu’elle ne démissionnerait pas de la CNDP. « J'ai décidé de me retirer du pilotage de ce débat », a-t-elle indiqué, avant d’ajouter : « Je maintiens ma présidence [de la CNDP – ndlr]. Ceci dit, je remets dans les mains du président de la République, et du gouvernement en général, le niveau de rémunération de la présidente de la CNDP qu'il leur appartiendra d'arbitrer, comme les autres rémunérations des autorités indépendantes et des hauts fonctionnaires. » Et sur France Inter, le lendemain matin, elle a, au moins, eu la lucidité de faire cet ajout : « Ce débat porte fondamentalement sur le pouvoir d'achat et la justice sociale. [...] Comment voulez-vous piloter un débat et en même temps incarner ou porter ce sentiment d'injustice ? »

En clair, elle a usé de mots qui, loin de faire taire la polémique, risquent de l’alimenter encore plus. Comment la responsable d’une telle autorité peut-elle choisir de ne pas assumer la mission qui lui incombe, tout en gardant la rémunération très importante dont elle profite, quitte à ce que cette rémunération soit éventuellement revue par le pouvoir ? Faut-il que les comportements de caste soient à ce point ancrés dans les sommets du pouvoir pour qu’une telle personnalité songe à garder une rémunération publique, mais en occupant ce qui devient alors, dans le moment, un emploi en grande partie fictif ? Pourquoi n’a-t-elle pas sur-le-champ démissionné de ses fonctions, volontairement, ou à la demande expresse du gouvernement, ce dernier n'ayant pourtant pas le pouvoir de la révoquer ?

On devine les raisons à peine cachées de cet invraisemblable comportement. Depuis plusieurs semaines, la présidente de la CNDP a multiplié des déclarations de nature à agacer l’Élysée, faisant valoir que le gouvernement devait veiller à ne pas faire d’intrusions dans le Grand débat national, de sorte que l’impartialité et l’indépendance du rendez-vous soient assurées. Emmanuel Macron a-t-il fini par en prendre ombrage ? Chantal Jouanno ne s’est sans doute pas mise de côté de son plein gré, mais à l’instigation de l’Élysée ou sous sa pression. D’où cette solution abracadabrantesque, résultat d’un compromis boiteux avec l’Élysée : garder son titre et sa rémunération, mais se décharger de l’essentiel de sa fonction.

Compromis doublement boiteux, puisque du même coup, le gouvernement est dans l’obligation de trouver une autre personnalité pour piloter le Grand débat national. Édouard Philippe a cherché mercredi à minimiser cette nouvelle crise en disant qu’il ne s’agissait que d’une « péripétie ». Ira-t-on jusqu'à financer sur fonds publics une seconde rémunération pour la personnalité qui succédera à Chantal Jouanno, pour un remplaçant qui n’aura pas le poste mais assumera la mission ?

De quoi donner de nouveaux arguments aux oppositions, de droite comme de gauche, qui jugent ce débat mort-né. Une « péripétie » qui va coûter un « pognon de dingue », comme dirait l'autre…

Ces tripatouillages, indignes d’un fonctionnement républicain, sont de très mauvais augure pour le Grand débat national. Alors que de très nombreux gilets jaunes s’interrogent sur l’utilité de participer à cette initiative au motif qu’un débat piloté de bout en bout par l’Élysée, avec des personnalités qui ignorent tout des problèmes concrets de la vie et des fins de mois difficiles, pourrait être un piège pour eux, l’affaire Jouanno risque fort de les conforter dans leurs intuitions.

Des rémunérations opaques et arbitraires

Ces péripéties mi-burlesques mi-indécentes donnent aussi à voir comment fonctionnent le plus souvent ces autorités indépendantes qui le sont essentiellement par leur nom.

D’abord, le premier critère de nomination des responsables de ces commissions n’est précisément pas l’indépendance dont ils pourraient faire preuve dans leur fonction. C’est fréquemment la règle du copinage politique qui prévaut, les présidences des autorités indépendantes étant conçues comme des « fromages » pour d’anciens proches du pouvoir.

C’est ainsi que Chantal Jouanno, en sa qualité d’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, a hérité de cette sinécure de la CNDP, avec à la clef une rémunération hallucinante que la fonction ne justifie pas. C’est ainsi encore qu’Olivier Schrameck, ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, a hérité sous le quinquennat de François Hollande de la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

S’il ne s’agissait que de « fromages » offerts à d’anciens obligés du régime, venant compléter les retraites dorées que le pouvoir peut offrir au Conseil économique, social et environnemental à quelques syndicalistes complaisants, le mal serait limité. Le plus grave, c’est que ce système de nomination par le chef de l’État a le plus souvent une contrepartie : celui qui est promu de la sorte à la tête d’une autorité indépendante peut naturellement être enclin de rendre en retour des services à ce même chef de l’État, auquel il doit sa fonction, si remarquablement rémunérée.

En clair, dans une démocratie véritable, imagerait-on normal qu’une ex-ministre sarkozyste, qui a milité si longtemps à l’UMP, préside une autorité indépendante ? Jugerait-on sain qu’un haut fonctionnaire, qui a si longtemps servi le pouvoir socialiste, ait la charge de la régulation de l’audiovisuel, en sa qualité de président d’une autorité réputée indépendante ? Avec le cas d’Olivier Schrameck à la tête du CSA, on dispose d’une réponse très documentée : le patron de l’instance de régulation de l’audiovisuel a fait très exactement ce que François Hollande attendait de lui, par exemple lors de la désignation de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions, laquelle était précisément la candidate choisie en cachette par l’Élysée (lire ici).

En d’autres temps, il y a eu un autre précédent célèbre : celui de Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de 2003 à 2008. Porté par Jacques Chirac à la tête de cette autre autorité administrative indépendante dont le rôle est majeur dans la vie financière du pays, il s’est toujours comporté selon les rites du régime : en fidèle obligé du Palais. Il a ainsi longtemps cumulé cette fonction avec celle de président de l’association des petites pièces jaunes, créée par Bernadette Chirac.

Ce système politique a un effet majeur sur leur fonctionnement. Il suffit de comparer les fonctionnements respectifs de l’AMF française, et de son homologue américaine, la Securities and Exchange Commission. Dans la culture politique américaine, où les contre-pouvoirs ont un rôle important, la SEC a un rôle majeur, de régulation des marchés financiers, mais aussi de sanction. Dans la tradition présidentialiste française, où un seul homme décide de tout, l’AMF (et avant elle, son ancêtre la COB) s’est toujours distinguée en régulant les marchés financiers, mais en se gardant le plus souvent d’user de son pouvoir de sanction (lire ici). Ou alors en sanctionnant les petits acteurs du marché, jamais les gros ayant leurs entrées à l’Élysée. Ainsi de grandes affaires de délits d’initiés n’ont-elles jamais eu dans le passé les suites qu’elles auraient mérité.

Dans ce système de capitalisme de connivence, où tout procède de l’Élysée, les obligés du Palais ont donc l’assurance d’être bien traités. Avec des rémunérations souvent très importantes, même si le citoyen ordinaire n’a aucun moyen véritable de savoir quels sont les critères d’attribution, et si elles sont donc plus ou moins méritées. Aucun moyen, pour la bonne raison que c’est le fait du Prince : selon ce qu’aura décidé le secrétaire général de l’Élysée ou le directeur de cabinet du premier ministre, la rémunération du président d’une autorité indépendante pourra varier sur une échelle de 1 à 10, sans que l’on sache pourquoi. En certaines circonstances, c’est à l’évidence la charge de travail qui en est à l’origine, comme l'a observé un rapport récent de la Cour des comptes (pdf, 1 B) ; en d’autres circonstances, on est enclin à penser que c’est à la gueule du client.

Très longtemps, dans la tradition d’opacité que cultive la haute fonction publique française, le détail de ces rémunérations n’était pas même connu. Depuis peu, ce n’est plus le cas, modeste progrès. Et la publicité qui est faite sur ces rémunérations permet de mieux mesurer leur caractère arbitraire.

C’est dans un document publié en annexe du projet de loi de finances pour 2019 – un « jaune », comme on dit dans le jargon parlementaire – que l’on peut trouver les données les plus importantes sur ces 26 autorités administratives françaises. Voici, ci-dessous, ce « rapport sur les autorités administratives et publiques indépendantes » :

Le mauvais exemple vient du sommet de l’État

Pour parvenir à faire une comparaison, il suffit de parcourir ce document en collectant toutes les rémunérations des présidents de ces autorités, telles qu’elles sont prévues pour l’année 2019 – et on parvient à cette vision d’ensemble, que résume l’infographie ci-dessous reconstituée par Mediapart.

On constate de très importantes disparités, puisque les rémunérations brutes annuelles s’échelonnent de 18 000 euros pour Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de la très fantomatique Autorité de régulation de la distribution de la presse, jusqu’à 238 973 euros pour Robert Ophèle, le président de l’AMF et par ailleurs beau-père du secrétaire d’État Julien Denormandie (lire ici).

Mais une autre constatation saute aux yeux, c’est que globalement, dans leur immense majorité, ces rémunérations sont très importantes, se situant presque toutes dans une fourchette comprise entre 150 000 et 238 000 euros. Sans que l’on puisse comprendre les raisons des variations. C’est ainsi que Jacques Toubon, qui fait un remarquable travail en qualité de Défenseur des droits, doit percevoir en 2019 la somme de 155 919 euros alors que le très effacé président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, Charles Coppolani, doit empocher 195 000 euros. Pourquoi cette différence ? Aucune explication. Le bon vouloir du Prince…

Encore faut-il souligner que cet arbitraire, qui découle de la culture néo-monarchique ou bonapartiste française, pollue tout le fonctionnement de la vie publique. Pour l’établir, arrêtons-nous sur un autre cas, celui de François Logerot, qui apparaît aussi dans notre infographie, en sa qualité de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, poste doté d’une rémunération brute annuelle de 86 185 euros.

La somme, ici, est plus modeste que pour d’autres, mais l’arbitraire va, dans ce cas, se loger ailleurs : le président de cette autorité est en fonctions depuis 2005, et son mandat, le troisième consécutif, est d’une durée de cinq ans, et prendra fin en 2020. Comment une telle situation d’inamovibilité est-elle possible, alors que le président de l’AMF dispose d’un mandat de cinq ans non renouvelable ; le Défenseur des droits, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV) et le président du CSA d’un mandat de six ans non renouvelables ?

Au-delà des différences de rémunérations, on peut donc aussi s’interroger à bon droit sur cette différence de traitement. Pourquoi un mandat de cinq à six ans non renouvelables dans la plupart des cas – ce qui est une garantie d’indépendance pour la fonction ? Et pourquoi quinze ans de mandat pour François Logerot, qui par surcroît cumule sa rémunération avec sa retraite de premier président de la Cour des comptes, qui lui est versée depuis juillet 2004 ?

N’en déplaise à l’ex-magistrat financier, qui tout au long de sa carrière a multiplié les leçons de bonne gestion, y compris en matière de rémunération, il s’est mis aujourd’hui avec ce cumul de rémunérations publiques, dont il jouit depuis quinze ans, en situation d’en recevoir aujourd’hui ! Et l’on ne peut s’empêcher de nourrir un soupçon à l’égard de la puissance publique qui organise de telles situations : si elle offre de telles prébendes, proches de la rente à vie, à quelques personnalités, n’est-ce pas parce qu’elle attend d’eux qu’elles aient l’échine souple ?

Avec François Logerot, le soupçon avait même déclenché au printemps dernier une très vive polémique. On se souvient en effet qu’en juin 2018, Le Parisien avait révélé que l’inamovible président de la commission des comptes de campagne avait bénéficié d’un décret en date du 30 mai précédent, majorant sa rémunération de 57 %. De 4 574 euros par mois, cette rémunération était ainsi passée à 7 182, ce à quoi était venue s’ajouter une indemnité annuelle de 9 500 euros bruts, avec effet rétroactif au 1er janvier 2018.

À l’époque, on avait donc vite fait les comptes. Près de 8 000 euros de rémunération publique par mois, cumulés à une retraite de près de 6 500 euros par mois comme ancien premier président de la Cour des comptes, cela fait au total une rémunération globale d’un peu moins de 15 000 euros par mois, pour un ex-haut fonctionnaire à la retraite, bénéficiant d’une situation d’inamovibilité.

De telles prébendes, déjà scandaleuses en soi, ont pris d’autant plus de relief que François Logerot a été très vivement critiqué à la même époque pour la façon dont il présidait cette commission, qui joue un rôle décisif dans la vie électorale française et dont l’impartialité devrait être garantie (lire notre article ici). En bref, une instance de contrôle aussi importante pour la vie publique française saurait-elle être confiée à la même personne aussi longtemps, avec des hausses de rémunération à la discrétion de l’Élysée ?

Poser la question, c’est y répondre : par quelque côté que l’on aborde ces autorités administratives et publiques, on y trouve la confirmation de l’anorexie démocratique française. L’État de droit fonctionne mal ou même dysfonctionne gravement, du fait de cette culture présidentialiste.

Le mauvais exemple vient d’ailleurs du sommet de l’État. Lorsque l’on regarde la rémunération du chef de l’État sur notre infographie, on peut en effet être induit en erreur. Avec une rémunération globale proche de 180 000 euros bruts annuels, le chef de l’État semble se retrouver dans la moyenne des rémunérations des présidents des autorités administratives indépendantes. Il faut toutefois nuancer ce constat. Car dans le cas du président de la République, comme du premier ministre, la somme correspond à… de l’argent de poche. Blanchi, nourri, hébergé, transporté aux frais de la République, le chef de l’État et le premier ministre jouissent d’une situation qui peut difficilement être comparée à celles d’autres personnages de la sphère publique.

En revanche, un chef de l’État à la retraite bénéficie d’une situation de passe-droit qui dépasse l’entendement. Les présidents de  la République bénéficient ainsi d’une retraite à taux plein, pour seulement cinq années d’exercice, équivalente à celle d’un conseiller d’État en service ordinaire, soit 6 220,96 euros par mois. Et cet avantage est octroyé dès 60 ans (au lieu des 62 ans exigés pour les fonctionnaires voulant partir à la retraite) et sans condition de durée de cotisation : en clair, un chef de l'État empoche cette retraite pour cinq ans de fonctions, alors qu'un fonctionnaire devra afficher 41,5 années de cotisations pour prétendre à une retraite à taux plein.

Les passe-droits sont même encore plus spectaculaires que cela, puisque cette retraite de président de la République peut être cumulée avec les autres droits à la retraite accumulés par le bénéficiaire avant qu'il n'accède à l’Élysée. Dans le cas de François Hollande, sa retraite est donc au total de près de 15 000 euros nets par mois, compte tenu de sa retraite d’ancien président de la République (5 184 euros nets), cumulée à sa retraite d’ancien député de la Corrèze (6 208 euros nets), sa retraite d’ancien conseiller-maître à la Cour des comptes (3 473 euros nets) et celle d’ancien conseiller général de la Corrèze (235 euros). Et ses rémunérations totales approcheraient 27 000 euros s'il siégeait en plus au Conseil constitutionnel.

C’est dire si dans les sommets du pouvoir, et dans la très haute fonction publique, on dispose d’avantages innombrables qui sont incompréhensibles pour le commun des mortels. Et c’est dire aussi à quel point cet étalage de largesses et de passe-droits, que confirme au grand jour l’affaire Jouanno, risque d’attiser encore un peu plus la colère des gilets jaunes. Alors que l’ambition de ce débat était au contraire de l’apaiser.

 
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10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 06:06
CAC 40: au bonheur du capital - par Martine Orange, Médiapart
CAC 40: au bonheur du capital
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En 2018, les groupes du CAC 40 ont versé 57,8 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit la moitié de leurs profits. Ces sommes ne se retrouvent pas dans le financement de l’économie, malgré ce qu’avait assuré le gouvernement lors de sa réforme sur le capital. La théorie du ruissellement disait pourtant le contraire.

 

Cela devait tout changer. Lorsque le gouvernement français avait présenté à l’été 2017 sa réforme de la fiscalité sur le capital, la suppression de l’ISF (impôt sur la fortune), l’instauration de la « flat tax » sur les revenus du capital, il avait justifié toutes ces mesures au nom du financement de l’économie. La libération du capital devait permettre de relancer la machine économique, les investissements, l’innovation, les emplois. Au terme d’un an de mise en œuvre de ces réformes, les premiers chiffres commencent à tomber. Comme l’avait dit le gouvernement, cela ruisselle, cela ruisselle même abondamment. Mais pour une seule catégorie : les détenteurs de capitaux.

En 2018, les groupes du CAC 40 ont décidé de distribuer la somme record de 57,9 milliards d’euros à leurs actionnaires, selon l’étude annuelle de la revue financière Vernimmen publiée par Les Échos. Il faut remonter à l’année 2007 pour retrouver de tels sommets.

« Les géants du CAC 40 ont enfin tourné la page de la crise financière », se réjouit le journal Les Échos. Et c’est bien comme cela que les grands groupes justifient les rémunérations toujours plus élevées versées aux actionnaires. Il faut savoir récompenser les valeureux détenteurs de capitaux, preneurs de risque. Alors que leurs bénéfices en net ont progressé en moyenne de 18 % en 2017, il était normal, selon eux, d’associer leurs actionnaires à ces résultats : les rémunérations versées aux actionnaires ont augmenté de 12 % sur un an.

Pas un des groupes du CAC 40 n’a manqué à l’appel de la distribution à leurs actionnaires. Tous ont versé des dividendes, atteignant parfois des niveaux records : 10,8 milliards d’euros pour Total, 4,8 milliards pour Sanofi, 3,8 milliards pour BNP Paribas, 1,8 milliard pour Société générale, qui malgré une chute de près de 30 % de son résultat net a tenu à maintenir son niveau passé de distribution. Car, bien que sous-capitalisées comme le prouvent les tests de résistance de la Banque centrale européenne, les banques françaises préfèrent distribuer largement leurs réserves à leurs actionnaires, persuadées que ceux-ci ne manqueront pas de répondre à leur appel, si elles se retrouvent un jour en difficulté. La démonstration de cette croyance au moment de la crise financière de 2008 n’a pas été patente.

Trois groupes seulement ont réduit leur distribution en 2017 : Carrefour, Engie et TechnipFMC. Mais ils n’y ont pas renoncé, malgré leurs difficultés. Alors que Carrefour, en perte, a lancé un plan de départ de 2 300 personnes en 2018, le groupe de distribution a tenu à continuer de rémunérer ses actionnaires. Une partie d'entre eux ont choisi d’être payés sous forme de dividende en actions mais 157 millions ont tout de même été distribués aux actionnaires. Dans le même temps, Carrefour a touché plus de 300 millions d’euros au titre du CICE.

De même Engie, en plein brouillard stratégique, a peut-être réduit son dividende de 10 %, mais le groupe poursuit sa politique généreuse à l’égard de ses actionnaires lancée depuis la privatisation de GDF : année après année, il distribue plus que ses bénéfices et se décapitalise. Quant à TechnipFMC, la fusion se révèle aussi calamiteuse qu’annoncé. Le groupe a vu son résultat fondre de 33 % en un an, mais a souhaité quand même maintenir un dividende. Quant à son dirigeant, Doug Pferdehirt, il est un des mieux payés du CAC 40 : il a touché 11 millions d’euros en 2017.

Tous ces chiffres et exemples illustrent le décalage qui s’est instauré entre les multinationales, le monde financier et l’économie réelle. Car au moment où les résultats nets du CAC 40 augmentent en moyenne de 18 %, la croissance en France a été de 2,4 %, la croissance mondiale de 3,7 %.

 

La rémunération du capital suit le même chemin. Dans une époque où le taux de l’argent est à zéro, les actionnaires parviennent à dégager des rendements de 4 à plus de 10 %. En comparaison, le salaire réel net moyen a progressé de 1,2 % la même année en France, donnant à voir une nouvelle fois le creusement incessant des inégalités.

Comme si cette situation n’était pas assez critique, les grands groupes, qui bénéficient déjà d’une fiscalité très allégée grâce à leur implantation mondiale et l’optimisation fiscale – le taux moyen réel de l’impôt sur les sociétés est de 14 % pour le CAC 40 –, ont contesté la surtaxe de 3 % sur les bénéfices redistribués instaurée à partir de 2015. Le Conseil constitutionnel, plaçant désormais sa doctrine sur la liberté d’entreprendre par-dessus tout le reste, s’est empressé de leur donner raison et a déclaré cette surtaxe « inconstitutionnelle ». L’État a fait diligence pour rembourser les acomptes perçus qui ont naturellement été redistribués aux vaillants actionnaires.

Rachat d’actions, la négation de l’entreprise capitaliste

Mais à en croire Pascal Quiry, co-auteur de l’étude de Vernimmen, il ne faut pas raisonner comme cela. « Le versement d'un dividende ne vous enrichit pas plus que le retrait de billets à un distributeur ne vous enrichit ! Vous avez simplement transformé en liquide une partie de votre patrimoine », assure-t-il. Bref, pour lui, les dividendes ne relèvent plus d’une rémunération du capital mais juste de la transformation d’un patrimoine en liquidité. Même les économistes les plus hardis du néolibéralisme n’avaient pas osé se lancer dans un tel argumentaire.

Cette réécriture – tout comme le tweet du Medef insistant sur le fait que le niveau des dividendes est revenu seulement aujourd’hui à celui de 2007 – ne peut être due à une maladresse. Tout cela s’apparente plutôt à une volonté de cacher une vérité dérangeante, de surtout détourner les yeux sur le creusement des inégalités, sur la rente de plus en plus élevée prélevée par les plus fortunés.

 

Au-delà des montants en jeu, il faut bien réaliser le taux de distribution que les grands groupes sont prêts à consentir pour rémunérer le capital. Alors qu’ils distribuaient environ un tiers de leurs profits au début des années 2000, ils n’ont cessé d’augmenter leur niveau de distribution d’année en année, passant à 40 %, puis 42 %, puis 48 %. En 2018, le taux de distribution a atteint un seuil symbolique : 50 %.

C’était un des arguments pour justifier la réforme sur la fiscalité du capital. Les entreprises françaises expliquaient alors qu’elles étaient obligées de consentir une rémunération élevée du capital, afin de compenser la fiscalité « pénalisante » française et rester dans les « standards » mondiaux. Depuis un an, tous les « obstacles » fiscaux sont censés avoir disparu. Mais rien n’a changé dans les politiques des groupes du CAC 40 : ils restent les champions mondiaux de la rémunération des actionnaires.

En 2018, nos « champions » ont cassé tous les compteurs. Car non seulement ils ont versé de généreux dividendes, mais ils ont aussi, à l’instar des groupes américains, plongé dans les « délices » des rachats d’actions. Près de la moitié du CAC 40 a mis en œuvre cette politique. Ils ont dépensé plus de 10 milliards d’euros dans ces rachats de titres. Une négation de l’entreprise capitalistique, comme le rappellent de nombreux économistes d’entreprise.

Même si dans la comptabilité publique, ces sommes sont considérées comme des investissements, ces rachats ne servent à rien, hormis améliorer leur cours de bourse et la rémunération des dirigeants. Pour de nombreux observateurs, cela revient à jeter de l’argent par les fenêtres : un simple coup de tabac boursier peut suffire à effacer tous les milliards dépensés pour soutenir un titre.

Alors que leur taux d’investissement est bas, que leur niveau d’innovation stagne, que la productivité régresse partout, les groupes du CAC 40 n’ont-ils pas d’autre usage à faire de leurs profits ? Défricher de nouveaux domaines, inventer de nouveaux produits, moderniser les équipements, passer à la robotique et l’intelligence artificielle, augmenter leurs salariés, établir des relations plus constructives avec leurs sous-traitants plutôt que les pressurer tant et plus par exemple ? Dans tous ces domaines, les groupes du CAC 40 affichent des retards alarmants, se contentant trop souvent de vivre de leurs rentes de situation sans préparer l'avenir.

« Les rachats d'actions sont une façon de rendre du cash de façon discrétionnaire et transitoire », dit Pascal Quiry. Selon la théorie néolibérale, les entreprises qui ont du capital inutilisé doivent le reverser. Le marché saura mieux l’utiliser pour financer d’autres projets. Entre la suppression de l’ISF, la « flat tax » sur les revenus du capital, les distributions sans précédent des groupes du CAC 40, il a été redonné beaucoup d’argent en 2018 aux détenteurs de capitaux. Tout cet argent aurait donc dû normalement se retrouver dans d’autres investissements porteurs, comme l’assurent les défenseurs du néolibéralisme, comme l’a soutenu le gouvernement lors de sa réforme de la fiscalité sur le capital.

Problème : rien ne se passe comme prévu. Une fois de plus, la réalité met au défi le dogme. Jamais les introductions en bourse, les augmentations de capital, c’est-à-dire les canaux classiques pour assurer le financement des entreprises, ont été aussi peu nombreuses.

Mais les effets contre-productifs vont bien au-delà. Comme l’ISF a été supprimé, les plus fortunés se sont détournés des fonds de soutien aux PME, qui leur permettaient auparavant de défiscaliser les revenus investis. Tous les gérants notent une forte baisse de la collecte depuis le début 2018. Aucun chiffre global n’est encore disponible. Plus démoralisant et scandaleux encore : les plus riches n’ayant désormais plus aucune incitation fiscale, ils ont aussi supprimé les dons aux associations. La baisse serait de 10 % sur l’année 2018, selon France Générosités, qui regroupe 93 associations.

Ce qu’avaient prévu nombre d’économistes, accusés d’être de mauvaise foi au moment de la réforme de la fiscalité sur le capital, se réalise. Les capitaux redistribués par les grands groupes, libérés de la contrainte fiscale, ne se retrouvent pas pour financer l’économie mais tournent en circuit fermé dans la sphère financière. L’argent faisant de l’argent sur de l’argent. La théorie du ruissellement disait pourtant le contraire.

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9 janvier 2019 3 09 /01 /janvier /2019 13:45
Il est temps de fermer la cagnotte du CAC 40 (Fabien Roussel, PCF )

Il est temps de fermer la cagnotte du CAC 40 (Fabien Roussel - PCF)

 

Les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 12,8% les dividendes et les rachats d'actions en 2018, versant 57,4 milliards d'euros à leurs actionnaires. Cette “générosité” atteint ainsi un montant record sur les 15 dernières années.

Quelle injure, alors que le peuple est dans la rue et réclame plus de partage des richesses, une réelle hausse du SMIC, davantage de pouvoir d'achat et de meilleurs services publics.

Les multinationales françaises ont ainsi retrouvé leurs marges d’avant 2008 et continuent de distribuer l’essentiel de leurs bénéfices aux actionnaires. Elles n'ont donc pas besoin des aides publiques (CICE, CIR...) et ont largement les moyens d'augmenter les salaires, notamment les plus bas.

Les député-e-s communistes ont par ailleurs déposé hier une proposition de loi visant à prélever à la source les bénéfices des multinationales qui transfèrent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. LVMH, Kering, BNP, Société Générale, toutes ces multinationales continuent d'avoir des pratiques d'optimisation fiscale, au même titre que les GAFA.

Le Gouvernement doit se donner les moyens politiques d’inverser cette tendance mortifère et de mettre fin à ces pratiques : taxer les dividendes à la hauteur des enjeux, encadrer la rémunération des actionnaires, favoriser l’investissement et revaloriser les salaires.

Nous avons besoin d'une vraie société du partage et d’une juste répartition des richesses.

Il est grand temps de fermer la cagnotte du CAC 40 !

 

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord,

Paris, le 9 janvier 2019.

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