Vendredi, 17 Avril, 2020 - L'Humanité
Ziad Medoukh: « Ce monde regarde mourir lentement nos prisonniers, qui ne cessent de souffrir »
Palestine. Les détenus palestiniens sont coincés entre le risque de contamination par le Covid-19 et les mesures atroces du service pénitentiaire de l’occupation, dénonce dans un texte pour l’Humanité le poète palestinien Ziad Medoukh depuis Gaza, tandis que s’ouvre, vendredi, la «journée des prisonniers» palestiniens.
Dans un contexte très particulier, les Palestiniens partout dans le monde commémorent ce 17 avril, comme chaque année, la Journée nationale du prisonnier palestinien, même de chez eux, confinés. Avec l’espoir de libérer tous ces détenus depuis des années.
Une commémoration très symbolique, sans manifestations, ni rassemblements, dans les villes palestiniennes et devant les sièges des organisations internationales dans les territoires palestiniens qui sont en train de lutter contre la propagation de l’épidémie du coronavirus, depuis le début du mois de mars 2020. Le peuple palestinien et avec lui les solidaires de bonne volonté rendent un vibrant hommage à tous les prisonniers palestiniens en souffrance permanente derrière les barreaux israéliens.
Tous les Palestiniens où qu’ils soient pensent à ces détenus qui continuent à vivre une situation alarmante et préoccupante, une situation dramatique, avec la torture, la violence physique et psychologique, la négligence médicale et les conditions carcérales inhumaines dans les prisons israéliennes.
Ces conditions qui se sont aggravées ces derniers jours avec le risque d’avoir une contamination rapide pour ces prisonniers, notamment après la découverte, début avril, de quatre personnes infectées par le coronavirus : un prisonnier palestinien libéré, un enquêteur israélien et deux détenus palestiniens dans la prison d’Ofer, près de Ramallah. Aucune mesure urgente n’a été prise par les autorités pénitentiaires israéliennes pour freiner la propagation de ce virus (aggravée par la surpopulation carcérale) dans cette prison ni dans aucune autre, pour protéger les 5 000 prisonniers palestiniens.
Dans ces prisons, leur situation se dégrade jour après jour, et les autorités israéliennes aggravent encore leurs souffrances par des mesures illégales et des provocations permanentes. Une mort lente les attend.
Surtout que, parmi ces prisonniers, se trouvent des personnes fragiles, susceptibles de céder plus facilement à l’épidémie comme les enfants, les femmes, les personnes âgées, les malades et les blessés. Sans oublier le surpeuplement, l’insalubrité et la mauvaise nutrition. Tout cela fait des prisons des lieux dangereux de reproduction du virus.
En plus, l’administration israélienne refuse l’entrée des produits sanitaires et de stérilisation, ainsi que des médicaments pour les détenus. Et cela, malgré l’appel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Croix-Rouge internationale aux autorités israéliennes, fin mars, afin d’intervenir pour isoler les prisonniers palestiniens, qui sont entassés par dizaines dans des cellules étroites et qui sont en contact direct entre eux au quotidien avec une possibilité de transmettre ce nouveau virus, et pour améliorer les dépistages et les conditions sanitaires des cinq mille prisonniers.
Au contraire, jour après jour, les prisonniers palestiniens sont exposés à une négligence médicale délibérée. Ils reçoivent leur traitement médical avec beaucoup de retard ; beaucoup de détenus très malades et très âgés sont sur la voie de mourir dans des prisons surpeuplées et privées de kits de dépistage. Il faut rappeler ici qu’en 2019, cinq prisonniers palestiniens sont morts en captivité, dont quatre à la suite d’une négligence médicale délibérée. Voilà comment cet État d’apartheid traite les malades palestiniens dans des geôles insupportables. Une mort lente et cruelle.
D’autant plus que – comme une punition collective, et pour mettre la pression sur ces prisonniers et sur leur famille – l’administration pénitentiaire israélienne a profité de cette situation sanitaire exceptionnelle pour suspendre les visites des familles et des avocats, ainsi que les appels vidéo. De plus, toutes les procédures devant les tribunaux militaires sont reportées indéfiniment, et cela depuis début mars dernier.
Même le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), seule structure autorisée à communiquer directement avec les prisonniers palestiniens et à leur rendre visite, n’a pas la possibilité de faire entrer les produits d’hygiène et d’assainissement adéquats dans la cantine de la prison, nécessaires dans ces conditions particulières.
Autre aspect dramatique, les forces d’occupation israéliennes continuent à arrêter des Palestiniens en Cisjordanie occupée et à Jérusalem, même en pleine période de pandémie. Parmi eux des enfants. Et cela, malgré l’appel de l’ONG Defence for Children International afin que les autorités israéliennes prennent des mesures immédiates pour libérer tous les enfants palestiniens détenus dans les prisons et les centres de détention israéliens à cause de l’épidémie du Covid-19, et pour sauver leur vie en accord avec le droit international.
Selon l’association al-Dhamir qui s’occupe des prisonniers palestiniens, l’armée israélienne a arrêté 96 Palestiniens entre le 10 mars et le15 avril 2020. Parmi eux, 14 enfants et 5 femmes.
Ces arrestations arbitraires augmentent le nombre de prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. Plusieurs milliers se retrouvent dans de petites cellules, sans accès à des sanitaires propres et privés. De tels traitements augmentent les risques et l’exposition à des conditions non hygiéniques dans lesquelles le virus Covid-19 prospère.
Oui, plus de cinq mille Palestiniens sont toujours détenus dans les différentes prisons israéliennes. Selon les derniers chiffres du Club du prisonnier palestinien – Al-Asir Club –, début avril 2020, il y a actuellement 5 123 détenus et, parmi eux, 43 femmes, 210 enfants de moins de 18 ans, 5 députés, 27 journalistes, 500 prisonniers malades dont 40 très gravement, 130 prisonniers âgés de plus de 60 ans, 443 prisonniers qui sont condamnés à perpétuité une ou plusieurs fois, 152 prisonniers qui sont en prison depuis plus de vingt ans, et 25 arrêtés avant les accords d’Oslo en 1994. Parmi eux, deux sont en prison depuis trente ans, dont le plus ancien prisonnier palestinien Karim Younis, en prison depuis trente-sept ans, considéré comme le doyen des prisonniers palestiniens.
Quarante-trois femmes courageuses et déterminées sont toujours prisonnières, parmi elles, 16 mères de famille, 4 en détention administrative illégale, 8 blessées, et 2 journalistes.
Phénomène très particulier cette année : les 12 prisonniers palestiniens libérés entre le 15 mars et 14 avril 2020 après la fin de leur peine n’ont pas eu cet accueil attendu par leurs famille, proches et voisins dans leur ville respective, ni de rassemblements de joie et de fête, cela à cause des mesures préventives face à l’épidémie du coronavirus. Or, la sortie de n’importe quel prisonnier est considérée comme fête nationale en Palestine. Cette fois, ces prisonniers libérés ont été mis directement en quarantaine, sans voir leur famille. Il y avait parmi eux des personnes ayant passé dix-huit ans dans les prisons, terrible ! Mais l’espoir reste intact pour libérer tous nos prisonniers, nos héros et nos résistants.
Par milliers, les Palestiniens, résistants, activistes, députés, hommes politiques, militants, engagés, combattants ou simples civils, hommes, femmes ou enfants, croupissent dans les prisons israéliennes en toute illégalité au regard du droit international.
Nos prisonniers avec leur résistance remarquable continuent de donner une leçon de courage et de détermination, pas seulement aux forces d’occupation israélienne, mais au monde entier. Ils sont un exemple de patience et de persévérance, de volonté et d’attachement à la justice. Ils sont nos héros, ils sont notre dignité, ils sont notre espoir ! Ils sont libres malgré l’isolement. Eux, les militants d’un idéal. Ils sont les prisonniers de la liberté !
Malgré la cruauté de l’occupant, le silence complice de cette communauté internationale officielle, l’absence de pressions de la part des organisations des droits de l’homme, et le silence des médias qui occultent leurs souffrances, le combat de nos prisonniers continue jusqu’à la liberté, et pour la justice.
Nos prisonniers défient l’occupation ! Ils résistent, existent et persistent ! Ils se révoltent et organisent des grèves de la faim et des actions de protestation. L’arrestation, la détention et le jugement de nos 5 000 prisonniers retenus jusqu’à présent dans 20 prisons israéliennes sont illégitimes, car ils sont les prisonniers de la liberté, ce sont les prisonniers de la dignité.
Parmi ces prisonniers, des dizaines souffrent de maladie grave, leur vie est en danger à cause de la négligence médicale des autorités israéliennes qui veulent faire pression sur eux pour qu’ils cessent leur combat. Selon le Comité des prisonniers palestiniens, 34 détenus souffrent d’une maladie grave comme le cancer, la paralysie, l’immunité très faible, des difficultés respiratoires, un accident vasculaire et cérébral, une infection du sang, de l’hypertension, du diabète, de troubles des fonctions cardiaques, d’épilepsie, de leucémie, d’une tumeur cérébrale, de maladie nerveuse et d’autres maladies chroniques graves.
Parmi ces prisonniers, des dizaines sont enfermés dans les prisons israéliennes depuis des décennies. Leur seul crime a été d’avoir résisté face à l’occupation illégale. Parmi ces prisonniers, plus de 600 personnes sous détention administrative illégale sans jugement, ni procès.
En 2020, nos prisonniers vont poursuivre leur mobilisation et leur lutte comme chaque année afin de faire entendre leur voix, pour améliorer les conditions de leur détention et mettre la pression sur les autorités israéliennes. Une action soutenue par toute une population qui considère la cause des prisonniers comme la première cause.
Le combat de nos prisonniers pour la liberté est suivi en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, et dans les territoires de 1948 par des milliers de Palestiniens qui organisent partout des actions de soutien à ces prisonniers dans leur résistance quotidienne.
Malgré quelques initiatives courageuses et appréciées prises dans certains pays par des militants de bonne volonté et des associations de la société civile, en solidarité avec les prisonniers palestiniens, via des campagnes, des appels, des pétitions et des actions – même virtuelles cette année vu le contexte actuel –, on peut observer le profond silence des médias, des intellectuels, des partis politiques, des organisations des droits de l’homme, et celui des gouvernements d’un monde qui se dit libre et démocratique, mais qui n’arrive pas à bouger et à réagir devant une telle injustice.
Malgré la cruauté de l’occupant et le silence du « monde libre », le combat de nos prisonniers continue jusqu’à la liberté et pour la justice.
Et en ce temps de risque de contamination, ils poursuivent leur lutte légitime
Honte à l’occupation et à toutes ces mesures atroces dirigées contre eux.
Honte au monde dit libre qui ne bouge pas pour arrêter leurs souffrances.
Ce monde regarde mourir lentement nos prisonniers qui ne cessent de souffrir.
Souffriront-ils encore longtemps ?
Où sont donc les organisations des droits de l’homme ?
Où est donc le monde libre ?
Ne voit-il pas ? N’entend-il pas ?
Quand y aura-t-il une réelle pression sur les autorités israéliennes d’occupation ?
Le cri des ventres vides de nos prisonniers sera-t-il entendu ?
Jusqu’à quand cette injustice ?
Vive le combat légitime de nos prisonniers pour la liberté et pour la vie.
Vive la solidarité internationale avec nos prisonniers palestiniens et avec notre cause de justice.
Une seule évidence : la lutte continue. Les prisonniers palestiniens vont développer davantage les actions pacifiques et de mobilisation individuelle et collective à la fin de cette nouvelle épreuve afin de faire entendre leur voix. La voix des opprimés, mais la voix légitime de ces résistants contre toutes les mesures atroces de l’occupant jusqu’à la liberté.
En attendant, derrière ces prisonniers et ces héros, tout notre peuple poursuivra le combat, jusqu’à la conquête de ses droits légitimes et jusqu’à la sortie du dernier détenu des prisons et des cachots israéliens.
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