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11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 13:05

Le 8 mai 2011, on pouvait lire sur le blog du télégramme:  

Le discours de Nicolas Sarkozy ce dimanche à Port-Louis dans le Morbihan a été perturbé par l'intervention d'un homme. Vladimir Bizet-Sefani, conseiller municipal de Lanester, a crié à plusieurs reprises : "Votre politique est une insulte aux valeurs de la résistance. C'est la mort de la liberté, de l'égalité et de la fraternité !". Jusqu'à l'intervention du service de sécurité. Une demi-douzaine de gardes du corps l'ont expulsé. Il a été conduit à la gendarmerie. L'élu local communiste revient devant notre caméra sur son action et ses conséquences.
 

Parmi les nombreuses réactions, Alain David a tenu à réagir aux commentaires précédents du blog du télégramme, dont certains justifiaient l'interpellation de l'élu de la République communiste irrévérencieux par la stigmatisation de l'héritage communiste, prétendument uniformément oppressif, par une mise au point qui justifie l'attitude de notre camarade de Lanester qui a eu le courage de démasquer la mascarade d'un président qui après avoir porté haut les valeurs du "Travail, famille, patrie", comme son adversaire Segolène  Royal d'ailleurs, pendant la campagne présidentielle de 2007,  multiplie les décrets et les lois liberticides, les discours et les pratiques stigmatisants (pour les Roms, les musulmans, les arabes, les pauvres) et xénophobes, les atteintes aux idéaux sociaux de la Résistance.   

 

 

niala
La démocratie c'est la liberté pour chacun de s'exprimer
Quel déchainement de haine chez certains parce qu'il s'agit d'un élu communiste !
Agiter fébrilement le stalinisme ou la Corée du Nord, c'est déployer un rideau de fumée pour masquer le fond du problème .
1-Oui les communistes français , comme tout groupe humain , se sont parfois trompés . MAIS ILS NE SE SONT JAMAIS TROMPES DE CAMP ! en particulier pendant l'occupation où ils ont payé un lourd tribut ... pendant que d'autres collaboraient sans états d'âme et/ou continuaient à faire des affaires .
2- Mais ce n'était pas , je crois , le sens de l'intervention de cet élu . Je l'ai comprise ainsi :
Quelqu'un qui , par la politique qu'il mène s'ingénie à démolir systématiquement non seulement toutes les avancées sociales et démocratiques du CNR mais aussi les fondements de notre république , peut -il moralement , légitimement transformer un hommage aux martyrs de la résistance en petite ( pour ne pas dire plus ) opération de récupération politicienne ? Doit-on le laisser faire dans un silence complice ?
Je suis d'accord avec la réponse qu'il a apporté à cette question .
Ajouté le 09 mai 2011 à 15h33

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 16:55

 

On en lit des choses intéressantes sur le site web du Figaro (on ne va tout de même pas acheter le journal... Bénéficier d'un abonnement d'essai de deux mois gratuit à La Croix: c'est faire déjà beaucoup de concession à l'ouverture d'esprit): en juillet 2010, on y apprenait ainsi qu'Ingrid Bettencourt, la femme qui faisait des chèques de 1 milliards d'euros pour témoigner de son amitié à un photographe mondain et dont le comptable versait 50000 euros en liquide par semaine aux amis de l'UMP ruinées par leurs campagnes électorales dispendieuses à l'américaine, a reçu en mars 2008 un chèque de 30 millions d'euros au titre du bouclier fiscal grâce à la sollicitude des services de l'Elysée qui ont remarqué qu'elle avait trop payée d'impôt précédemment. Rappelons, avec le journaliste du Figaro, que le feu le bouclier fiscal, promis par cet homme de parole qu'est Nicolas Sarkozy à la France du Fouquet's et des résidences de luxes de Neuilly, plafonnait les prélèvements (impôts divers, CSG et CRDS) de tout contribuable à la moitié de ses revenus: 47% des bénéficiaires redevables de l'ISF (les plus riches, par les agriculteurs qui paient l'ISF parce qu'ils ont des terres constructibles à l'île de Ré...) obtenaient 99% des sommes remboursées.

 

Un lecteur, gaulliste social peut-être, commentait l'information de manière laconique et brillante sur le blog du Figaro en citant un général qui manque cruellement à la droite actuelle pour lui rendre un peu de cervelle républicaine: « Les riches sont possédés par ce qu'ils possèdent, et ils n'ont qu'une seule patrie, leur argent ».

Comme pour confirmer ses dires, un de ses contradicteurs, au pseudonyme évocateur - « libéralissime » - et au cynisme assumé, lui répondait: « la lutte des classes, elle existe déjà: ce sont les rayures sur ma voiture; car elle a un gros défaut: elle est plus belle que celle des gens que je nourris avec mes impôts et charges. J'en ai assez de nourrir ceux qui me haïssent, je préfèrerais qu'ils me remercient ». Ce gros con impudique dit tout haut ce que beaucoup de propriétaires ventrus ou non pensent tout bas: « les assistés survivent à ma charge alors que je n'ai contracté aucune dette vis à vis d'eux, et encore... loin de me faire des courbettes, ils ont le culot de me rendre coupable de ma bonne fortune et, excités par les passions tristes du ressentiment et de l'envie, de propager des idées de redistribution sociale... Que la police éloigne de moi tous les envieux qui triment et qui puent et qu'on me laisse boire mon cognac en paix... ».

Un sage lecteur du blog du Figaro, conservateur intelligent soucieux de prévenir les désordres en rappelant qu'un excès d'injustice nuit à la conservation d'un ordre inégalitaire, commentait ainsi l'article: « La loi par nature est le reflet d'un fait social, elle l'encadre juridiquement ! En l'espèce elle encadre une situation socialement et moralement indécente : le rétrocession de près de 30 000 millions d'euros a une femme qui est capable d'en donner un milliard a un seul homme. Le morceau de papier qu'est la loi parlementaire (donc modifiable) se situerait-il au-dessus de toute moralité? N'oublions pas que l'indécence "des classes très aisées" et la pression fiscale sont à l'origine de beaucoup de révolution ! en particulier la nôtre en 1789... ».

 

Pourtant, après avoir allégé l'impôt sur les successions pour servir les rentiers, Nicolas Sarkozy aurait bien aimé supprimer l'Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), qui apportait jusqu'à présent 4 milliards d'euros aux caisses de l'État, mais la mesure était coûteuse en creusement des déficits électoraux et financiers. Qu'importe! Pour diminuer le nombre de ménages redevables de cet impôt, le gouvernement a choisi début avril 2011 la manière la plus simple et discrète: relever le plancher d'imposition de 800000 € à 1,3 million et ainsi exclure du dispositif 300000 ménages, la moitié des actuels assujettis à l'ISF. Les autres contribuables plus riches payant toujours l'ISF ne sont pas oubliés et le gouvernement de François Fillon s'occupe de conserver le soutien des beaux quartiers de l'ouest parisien au vaillant mais imprévisible petit poulain de l'oligarchie, Nicolas Sarkozy, en leur faisant, grâce à une refonte du barème de l'ISF qui compense les effets de la suppression du bouclier fiscal, un cadeau fiscal de 1,5 milliards d'euros.

Les taux d'imposition des plus riches sont revus clairement à la baisse. Les patrimoines compris entre 1,3 et 3 millions d'euros seront imposés à 0,25% tandis que les fortunes de plus de 3 millions d'euros seront soumises à un taux unique de 0,5% alors qu'auparavant le taux supérieur montait à 1,8% sur les patrimoines supérieurs à 16,8 millions d'euros.

 

Comme le disait au Nouvel Observateur l'économiste socialiste Liem Hoang Ngoc: « en France, plus on est riche, moins on paie! L'impôt est en train de devenir régressif, au mépris des principes républicains ». Le Canard enchaîné du mercredi 20 avril a ainsi révélé que Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, ne sera imposée qu'à la hauteur de 4% de ses revenus effectifs en 2012. Elle bénéficiera toujours l'an prochain du bouclier fiscal, calculé sur les revenus perçus deux ans auparavant, auquel s'ajoutera le bénéfice de la réforme de l'ISF: en conséquence, elle verra son impôt divisé par quatre. En 2010, elle payait 40 millions d'euros d'impôts au titre de l'impôt sur le revenu et de l'ISF. En 2012, elle paiera 10 millions d'euros...

 

A la rentrée 2011, Thomas Piketty, directeur d'études à l'EHESS et professeur d'économie à Paris a publié un petit essai très commenté par les médias, intitulé Pour une révolution fiscale. En réalité, ses analyses et ses propositions le situent moins dans une tradition révolutionnaire de remise en cause radicale de l'inégalité que dans une perspective sociale-démocrate de défense de la rémunération du travail (selon « le mérite ») plus que du capital et du patrimoine et d'efficacité de la progressivité de l'impôt. Piketty fait des constats intéressants: a) pour une bonne partie des contribuables, plus on monte dans l'échelle des revenus, plus le taux d'imposition moyen baisse, et, du fait de la multiplicité des niches et déductions fiscales, l'impôt sur le revenu, qui, grâce à sa progressivité, devrait être l'un des plus justes en théorie, rapporte 3 ou 4 fois moins en France que dans les pays européens qui nous entourent. A titre d'exemple, ces chiffres donnés par l'hebdomadaire Politis du 11 mars 2011:

 

 

 

Allemagne

France

Impôt moyen sur le revenu

20,70%

14,00%

Taux plancher

14,00%

5,50%

Taux maximum

45%

(+250000 €)

41%

(+70830€)

 

b) le système français de protection sociale repose beaucoup trop sur le travail et pas assez sur le patrimoine et le capital puisque ce sont des cotisations sociales prélevées sur les salaires qui financent l'assurance-maladie, les allocations familiales, le logement social, la formation professionnelle,...etc. Or, « les patrimoines ne se sont jamais aussi bien portés en France qu'aujourd'hui. Il faut remonter à la Belle Epoque, un siècle en arrière, dit Piketty dans un entretien du 26 janvier 2011 consultable sur le site web du Monde, pour retrouver des niveaux de patrimoine aussi élevés qu'aujourd'hui. Les revenus, en revanche, et en particulier les salaires, ont stagné au cours des 30 dernières années ».

La proposition phare de Thomas Piketty (reprise par le projet du PS pour 2012), qui ne pense pas qu'une augmentation de l'impôt sur les sociétés puisse se concevoir en dehors d'un cadre européen pour éviter le dumping fiscal entre États de l'Union, est la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, avec un impôt sur le revenu bénéficiant d'une large assiette et prélevé à la source comme l'actuelle CSG, tout en conservant une grande progressivité. Cette réforme s'accompagnerait d'une mise à plat de toutes les niches fiscales, qui peut avoir des effets pervers en matière d'encouragement aux pratiques d'économie d'énergie ou de défense du pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires.

 

Que proposait avant les derniers travaux de la plateforme pour un programme partagé pour 2012 le PCF en termes de redistribution des richesses et de réforme fiscale?

Le premier objectif est un nouveau partage de la richesse nationale visant à reconquérir la part des salaires dans la valeur ajoutée telle qu'elle était au début des années 1980. Cela représente d'environ 165 milliards d'euros chaque année (10 % de la valeur ajoutée). Ce déplacement s'opérera par la fiscalité, les cotisations patronales, les diverses mesures sociales (hausse du SMIC, des salaires, sécurisation des parcours de travail et de vie, baisse du temps de travail créatrice d'emplois, etc), le développement des activités qui entraînent une amélioration des rentrées fiscales et sociales. Quelques indications : 1 million de chômeurs en moins et 1% de croissance supplémentaire entraînent respectivement environ 9 et 3 milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires. Le PCF, dans ses documents programmatiques, propose aussi une refonte du barème de l'impôt sur le revenu avec 10 tranches et une remontée du taux marginal à 55%.
L'impôt sur les sociétés, devenu l'un des plus faibles d'Europe, sera revalorisé par la suppression d'effets d'assiette (zones franches), de régimes dérogatoires (bénéfice mondial consolidé), pour un rapport de 760 millions. Et par une modification des taux. Nous proposons aussi d'imposer plus fortement les bénéfices distribués ou placés sur les marchés financiers que ceux consacrés à l'amélioration de l'outil de travail, la recherche, l'emploi ou les salaires.
Les impôts sur la fortune ( élargissement de l'assiette : biens professionnels, œuvres d'art, part du patrimoine financier qui y échappe ; augmentation du taux pour les tranches supérieures) et sur le patrimoine (annulation des mesures telles que le relèvement du seuil d'imposition en matière de transmission du patrimoine) seront revus pour un rapport de 5 milliards.
Une négociation sera menée dans différents secteurs pour supprimer la TVA frappant les produits de base.

 

I.D

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 10:46

1) Repères historiques sur les politiques de l'immigration en France au vingtième siècle.

 

A lire le très riche essai d'histoire administrative et politique de Patrick Weil, La France et ses étrangers (Première édition: 1991), auquel nous emprunterons la plupart des données qui seront présentées ici, on mesure que la France est une terre d'immigration depuis longtemps bien que cette particularité ne soit pas due essentiellement à une générosité particulière du pays des droits de l'homme vis à vis des étrangers qui fuient la misère ou la persécution mais plutôt à son prestige de patrie de la révolution attirant les réfugiés politiques, à son passé colonial et aux besoins de son économie.

 

Une fort afflux d'immigrés dans les années 1920-1930

En 1930, la France est le pays du monde qui compte le plus fort taux d'étrangers: 515 pour 100000 habitants (7% environ de la population totale) contre 494 pour 100.000 aux Etats-Unis. Entre 1920 et 1930, on a observé un excédent de 1.150.000 entrées de travailleurs étrangers entre 1920 et 1930, venant principalement d'Italie, de Belgique, de Pologne (mineurs dans le nord), de Tchécoslovaquie, d'Espagne. Cette immigration est censée répondre aux besoins économiques du patronat français: elle est organisée principalement par des conventions signées entre des syndicats d'entreprises privées françaises, l'État français, et les États d'émigration. La loi du 11 août 1926 interdit ainsi l'emploi des étrangers en dehors des professions pour lesquelles ils ont obtenu une autorisation, de même que l'embauche de ces étrangers par un autre employeur que celui qui l'a fait venir.

 

Le tournant de la crise de 29 et de la montée du rejet de l'étranger.

Au début des années 30, avec la crise sociale mondiale consécutive au crack de 1929, on observe une montée du chômage et de la xénophobie. En 1932, des mesures de contingentement sont prises pour fixer des proportions maximales de travailleurs étrangers dans les entreprises privées industrielles ou commerciales: « français d'abord! » oblige... En 1934, sous un gouvernement de droite, la décision est prise de ne plus accorder de cartes de travail aux nouveaux migrants et les Français naturalisés sont interdits d'exercer des professions administratives ou juridiques tandis que les étrangers diplômés de médecine ne peuvent exercer en France. Les étrangers licenciés sont souvent expulsés de manière forcée, pratique à laquelle mettra fin le Front Populaire.

Après la chute du gouvernement de Léon Blum, le sous-secrétariat d'État à l'immigration revient à Philippe Serre et le nouveau maître à penser de la politique de l'immigration est son directeur de cabinet, Georges Mauco, auteur d'une thèse pionnière sur le rôle économique des étrangers en France. Ce technocrate, à qui l'immigration apparaît souhaitable pour des raisons démographico-politique (asseoir la puissance de la France sur le long terme suppose un afflux de jeunes travailleurs féconds relevant la natalité française) prône, plus de 60 ans avant le ministère Hortefeux, une politique de sélection préférentielle des immigrés selon des critères professionnels et de de races (certaines étant jugées moins « assimilables et utiles » que d'autres). Sous Vichy, Mauco évoluera vers des théories racistes pures et dures. En 1938, l'étranger a des obligations et des droits très différent du français de souche: il est tenu de prévenir les autorités à chaque changement de résidence et doit obtenir une autorisation administrative pour se marier. Il peut, quand il a été naturalisé français, se voir déchoir de sa nationalité française s'il commet des délits ou crimes susceptibles d'un an d'emprisonnement au moins. En 1939 et en 1940, toutefois, le gouvernement accélère le processus de naturalisation des travailleurs étrangers (770000 naturalisés en quelques mois, principalement des italiens) pour qu'ils participent activement à l'effort de guerre.

 

Vichy ou le racisme au pouvoir.

Avant guerre, il y avait 3 millions d'étrangers en France, qui étaient de plus en plus rejetés par une frange de la population, principalement les réfugiés politiques ayant été attirés par la tradition de terre d'accueil de la France ou simplement par sa proximité géographique: arméniens, russes blancs, juifs de langue yiddish d'Europe de l'est ou d'Allemagne, anti-fascistes allemands, républicains espagnols. Vichy est l'héritier des ligues d'extrême droite qui rendaient l'étranger responsable du chômage et de la dénaturation de la société française dès le début des années 30 et le produit de la haine contre les étrangers, qui grandira peut-être encore avec le traumatisme de la défaite. D'ailleurs, une des premières actions symboliques de Vichy est d'interdire en juillet 1940 le décret loi institué en avril 1939 créant un délit d'injure et de diffamation raciale. Le même mois, Vichy crée une commission pour la révision des naturalisations qui ont eu après 1927, partant du principe qu'on les a intégré trop facilement à des nationalités suspectes ou dangereuses pour le corps national: 15000 réfugiés dont 6300 juifs se verront retirer leur nationalité française par mesure de purification.

Le 3 octobre 1940, une loi interdit aux juifs d 'enseigner, d'exercer des postes à responsabilité dans la fonction publique, la magistrature, l'armée, ou d'exercer toute activité influente en matière culturelle (direction de journal, de radio). Dès avril 1941, sans qu'aucune contrainte allemande ne justifie ces décrets discriminatoires, les juifs peuvent avoir l'obligation de vendre leurs entreprises ou leurs commerces à prix bradé à des « aryens » et sont obligés de toute manière de faire administrer leurs biens par des « bons français ». A partir de 1942, la « solution finale » est bien sous-traitée par la police de Vichy , avec pour commencer des premières déportations de juifs « apatrides » en mai et juin 1942, et la tristement célèbre rafle du vélodrome d'hiver le 16 juillet 1942 (13000 juifs arrêtés par des gendarmes français à Paris et déportés à partir de Drancy): au total, 60000 à 65000 juifs résidant en France seront déportés, étrangers pour la plupart puisque sans doute 6000 ressortissants français de religion traditionnelle juive ont été déportés (sur une population de 300000 juifs, français ou non, résidant en France en 1940) et seuls 2800 sont revenus des camps de concentration (source: Robert Paxton, La France de Vichy. Points histoire, p.180). Les populations nomades ou sédentaires de manouches sont également victimes de déportations et d'odieuses politiques vexatoires de la part de l'Etat raciste de Vichy.

 

De la Libération au début des années 1970: une immigration de travail très importante dans le contexte de reconstruction et croissance forte des Trente Glorieuses.

 

Après guerre, il n'y a plus que 1,5 millions d'étrangers en France, du fait des naturalisations, des retours d'italiens, des exils forcés, des victimes de la guerre et des persécutions racistes de Vichy et de l'Allemagne nazie. Le général de Gaulle est de ceux qui estiment que la puissance française ne pourra se relever qu'avec un sursaut de la natalité qui implique un encouragement à la venue de familles étrangères. Les milieux d'affaires et les économistes plaident plutôt quant à eux pour une immigration motivée par des raisons économiques et non démographiques et réclament dans l'immédiate après-guerre la venue sur 5 ans de 1.500.000 jeunes travailleurs célibataires s'installant de manière temporaire en fonction des variations du marché du travail. Plusieurs experts, partisans de l'immigration démographiquement ou économiquement fondée, recommande une sélection ethnique et une répartition géographique planifiée des immigrants, comme beaucoup d'hommes politiques de droite aujourd'hui, mais finalement, la commission permanente du Conseil d'Etat présidée par René Cassin, le père de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 avec qui travaillait Stephane Hessel, proscrit toute volonté de contrôler l'origine ethnique et la répartition géographique des étrangers.

Entre 1945 et 1949, 67% de l'immigration en France est d'origine italienne, provenant principalement d'Italie du Sud. Entre 1949 et 1955, la lourdeur et l'inefficacité du système d'introduction freinent l'arrivée des travailleurs européens ou marocains et tunisiens au bénéfice des algériens qui circulent librement depuis qu'ils ont obtenu la citoyenneté française en septembre 1947. Le fait que le principal foyer d'immigration en France soit l'Algérie inquiète la classe politique dans un contexte de déclenchement des luttes de décolonisation et on simplifie donc en 1956 les procédures de régularisation de travailleurs étrangers arrivés en France par leurs propres moyens pour contrebalancer le poids démographique des algériens. Sous l'effet de cette mesure, l'immigration extra-nationale de travailleurs étrangers non saisonniers concerne 430.000 personnes entre 1956 et 1962 alors que l'augmentation de la main d'œuvre algérienne n'a pas dépassé dans le même temps 120.000 individus.

En 1964, 2 ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'opinion française et les hommes politiques sont de plus en plus hostiles à l'immigration algérienne et la France tente de ce fait d'imposer des contingentements à l'État algérien, tout en permettant aux entreprises d'aller « se servir » directement dans les villages misérables et les banlieues urbaines du Maroc et en Tunisie et en favorisant l'immigration yougoslave et turque grâce à des accords de main d'œuvre signés avec les États. Les douanes françaises, contrairement aux assurances données au pouvoir portugais, ont aussi pour consigne de laisser passer les Portugais fuyant les bas salaires, le chômage, la dictature et le service militaire et ces immigrants portugais sont très vite régularisés.

 

En 1974, la France compte 3,5 millions d'étrangers, dont 750.000 Portugais, presque autant d'Algériens, 500.000 Espagnols, 460.000 Italiens et 260.000 Marocains. Jusqu'au début des années 70, les moyens engagés par les pouvoirs publics pour loger les travailleurs immigrés et leurs familles sont dérisoires (en dehors des foyers sonacotra à loyer très doux destinés aux seuls travailleurs célibataires pour décourager les Algériens notamment de faire venir leurs familles en France) et, en 1967 encore, Pompidou s'oppose à la création d'une taxe pour le logement des immigrés en arguant du caractère « nomade » de cette population. Ce n'est que dans l'après 1968, grâce aux organisations d'extrême-gauche et aux syndicats, que la population va être sensibilisée aux conditions de vie indignes des immigrés. En 1970, après la mort de 5 maliens dans un taudis d'Aubervilliers, le gouvernement, attaqué dans la presse de gauche, décide enfin d'agir pour la résorption de l'habitat insalubre des immigrés et de faire disparaître les bidonvilles en 3 ou 4 ans. Cette action, note Patrick Weil dans son ouvrage, « tombe à point nommé » car les bidonvilles se situent sur des terrains devenus constructibles sur lesquels les promoteurs entendent investir. En 1970, 650000 travailleurs immigrés vivaient encore dans des bidonvilles ou des taudis.

En 1972, la pression des syndicats, des partis politiques de gauche et des associations de défense des droits des immigrés aboutit au vote de deux lois symboliquement importantes même si elles ne règlent pas la question de fond du logement des travailleurs étrangers: la loi du 27 juin qui autorise l'élection et l'éligibilité des étrangers en tant que membres des comités d'entreprise et délégués du personnel et la loi du 1er juillet 1972 qui fait du racisme un délit juridiquement condamnable. Dans le même temps, des restrictions importantes commencent à être posées contre l'immigration, que les pouvoirs publics veulent limiter contre l'avis et les intérêts du patronat afin de limiter dépense sociale, de ne pas bouleverser la structure de la population résidant en France et « l'identité » de la nation: les circulaires Marcellin-Fontanet interdisent le recours aux régularisations sauf exception et exigent que les employeurs désireux de recruter des salariés étrangers ne les recrutent pas eux-mêmes dans leurs pays d'origine mais déposent un demande dans un bureau de l'ANPE contrôlant les entrées et assurent le logement et la gestion du voyage des nouveaux employés. En 1973, des grèves de la faim de travailleurs immigrés irréguliers, soutenues par la CFDT et la CGT, ont lieu dans l'église Saint-Hippolyte de Paris pour réclamer des régularisations.

 

Avec le déclenchement de la crise économique mondiale consécutive au choc pétrolier, l'immigration de travail est stoppée en 1974 et le pouvoir de droite adopte une attitude de plus en plus dure et insensible vis à vis des immigrés.

 

Après l'élection de Valery Giscard d'Estaing, pour la première fois, un secrétariat d'état à l'immigration est créé, confié à André Postel-Vinay, preuve de la nouvelle importance que prend le sujet dans la conscience collective et des problèmes sociaux et politiques qu'il pose. « André Postel Vinay, qui pressent la crise structurelle et longue, génératrice de restructurations et de chômage, qu'inquiète la croissance démographique rapide du Tiers-Monde, et qui entend donner de meilleures conditions de vie aux immigrants déjà installés en France, plaide pour une interruption de l'entrée des migrants » (Patrick Weil). L'argument de l'incompatibilité entre l'ouverture des frontières et l'accès aux droits sociaux, à une vie décente, et à une intégration effective des immigrés en situation irrégulière travaillant depuis des années en France, commence à être invoqué pour restreindre l'immigration au nom de l'intérêt même des immigrés résidant en France.

A partir de 1974 donc, même si des permis de travail et de séjour continuent à être octroyés aux réfugiés et demandeurs d'asile (les boat people vietnamiens en 1975 par exemple), l'État décide d'interrompre l'immigration de travail, de suspendre l'immigration familiale en 1977 (même si, devant les vives protestations des partis politiques, des Églises et du conseil d'État, le nouveau secrétaire d'état à l'immigration, Lionel Stoléru, recule, et donne le droit aux familles des immigrés implantés pour leur travail depuis quelques années de séjourner en France, mais non d'y travailler), d'encourager ou de forcer les travailleurs immigrés à rentrer chez eux.

Ainsi, le premier ministre Raymond Barre décide d'incitations financières pour encourager les étrangers chômeurs à rentrer chez eux avec leurs familles après des années de bons et loyaux services dans les rangs des entreprises françaises... Les algériens, au nombre de 800000 en France, sont les cibles privilégiées de ce dispositif que le gouvernement cherche bientôt à durcir à négociant avec peine avec l'Algérie un accord qui pourrait l'autoriser à ne pas renouveler les cartes de travail et les titres de séjour des travailleurs algériens chômeurs. En 1979, le gouvernement poursuit dans son action pour faire partir les immigrés en se fixant des objectifs de 100000 retours annuels, toute nationalité confondue, dont la moitié seraient des retours forcés (le reste: principalement des départs en retraite dans les pays d'origine), notamment d'Algériens, par le biais du non renouvellement des titres de séjour. Les préfectures sont déjà invitées à respecter des quotas pour ne pas reconduire les titres de séjour des étrangers résidant en France sans prendre prioritairement en compte la situation personnelle des travailleurs. Ces reconduites forcées à la frontière, assorties de contingentements d'Algériens à refouler, amènent les syndicats à se mobiliser pour des travailleurs qui pendant des années, voire des décennies, ont contribué à la création de la richesse nationale, et qui sont ensuite refoulés comme des malpropres.

 

L'évolution de la politique d'immigration pendant les années Mitterrand.

 

Solidarité internationaliste avec le tiers monde et lutte contre l'exploitation sont des valeurs fondamentales de la gauche qui trouvent à s'incarner dans une politique de l'immigration en rupture complète avec celle de Giscard à partir de mai 1981. L'encouragement des travailleurs immigrés chômeurs et de leurs familles par l'aide financière au retour est supprimé. Les étrangers nés en France (pour lesquels n'a pas été fait de demande de naturalisation dans les délais prévus afin de ne pas perdre la nationalité d'origine) ou étant arrivés avant l'âge de 10 ans deviennent inexpulsables. Tout en renforçant les sanctions légales contre les employeurs irréguliers de travailleurs sans papier et contre les travailleurs sans papier eux-mêmes, la volonté de réparer symboliquement les dispositions inquisitrices et discriminatoires de Giscard vis à vis des immigrés conduit Mitterrand et son gouvernement à restaurer l'état de droit en régularisant massivement, en utilisant des critères très souples, les travailleurs « clandestins » (estimés entre 200000 et 300000 personnes) qui en feront la demande, avant de contrôler à nouveau les entrées de manière sourcilleuse.132000 clandestins, à 90% ayant un emploi, déclaré ou non, sont ainsi régularisés en 1981.

Par contre, la gauche n'honore pas sa promesse, celle de la quatre-vingtième des 110 propositions du candidat Mitterrand, d'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales après 5 ans de résidence en France. La logique de cette proposition était, écrit Patrick Weil, « celle du droit créance: puisque les étrangers paient des impôts locaux, ils ont le droit légitime de participer à la désignation des autorités publiques locales... Le droit de vote est conçu aussi comme une technique qui permettrait de répartir plus équitablement les ressources dont disposent les autorités locales; de leur côté, celles-ci traiteront avec plus de diligence des contribuables devenus électeurs ». Mais cette proposition est plutôt impopulaire et beaucoup de critiques se font entendre à gauche et à droite sur l'absence de caractère prioritaire de cette mesure (par rapport à la lutte contre l'immigration clandestine ou la défense des droits sociaux effectifs des immigrés), sur la rupture qu'elle introduit avec la tradition française d'identification de la nationalité et de la citoyenneté: sous l'influence de son secrétaire d'état aux immigrés, François Autain, Mitterrand décide d'ajourner cette mesure hautement symbolique mais très risquée électoralement.

En 1983, Georgina Dufoix hérite du dossier immigration et est chargée d'infléchir le discours et la politique sur l'immigration en mettant au premier plan la nécessité pour protéger l'emploi des français et éviter que ne se développement des sentiments anti-immigrés de lutter avec fermeté contre l'immigration clandestine et de mieux contrôler les flux d'immigrés. Des freins sont posés à l'immigration familiale, des facilités sont données pour le contrôle de la régularité du séjour des immigrés, une aide au retour dont le montant est négocié théoriquement avec les pays d'origine des immigrés est conçue, mais à l'exception du Sénégal, la plupart des États approchés, à l'instar du Maroc et de la Tunisie qui ont besoin de devises étrangères et connaissent déjà un très fort chômage, refusent de collaborer. En 1984, une loi importante est votée néanmoins, y compris par la droite, qui instaure un titre de séjour et de travail unique de 10 ans.

Dès juillet 1984, néanmoins, le nouveau premier ministre, Laurent Fabius, qui a pris la mesure de la montée des inquiétudes et des rejets que suscitait la forte présence immigrée dans certaines régions, décide de donner essentiellement des gages à cette opinion publique hostile à la présence étrangère: « il souhaite instaurer la reconduite administrative à la frontière et rétablir les contrôles d'identité. Il veut réformer la procédure d'accès au statut de réfugié, en soumettant la transmission des demandes d'asile de l'O.F.P.R.A à un agrément administratif. » (Patrick Weil). Fabius, soutenu par Georgina Dufoix, entend également limiter l'immigration par regroupement des familles. A cette époque de montée du FN, le PS a, avec plus ou moins d'opportunisme assumé, une sorte de double langage: d'un côté Mitterrand rappelle son attachement au droit de vote des étrangers aux élections locales en 1985 et parraine la naissance de SOS Racisme pour remobiliser à peu de frais la jeunesse sur l'enjeu symbolique de l'anti-racisme, quitte à renforcer un peu plus les processus de ressentiment à l'œuvre dans le vote FN (parler d'immigration de manière clivante pour le PS pouvait apparaître comme un moyen tactique d'affaiblir le RPR en renforçant l'audience du FN) ; de l'autre, à l'approche des législatives, Fabius affirme son accord avec Chirac sur la nécessité d'une politique d'immigration plus restrictive et ferme avec les irréguliers.

 

En 1986, le Front National fait son entrée au Parlement à la faveur du scrutin proportionnel et la droite, qui retrouve la majorité à l'Assemblée Nationale, se décide avec son super flic ministre de l'intérieur Charles Pasqua, à donner un maximum de gages aux électeurs du FN afin de les récupérer dans leur escarcelle. Ainsi, Charles Pasqua entend multiplier les procédures de reconduite à la frontière, revenir sur la garantie du séjour en France accordée par les lois de 1981 et 1984 aux jeunes d'origine étrangère qui y ont été élevés. Ils souhaitent que les jeunes puissent, en cas d'atteinte à l'ordre public, être expulsés. Un texte adopté en Conseil des Ministres en juin 1986 propose également de permettre à la police de l'air et des frontières d'effectuer un premier tri entre les demandeurs d'asile avant que la demande ne soit examinée par l'O.F.P.R.A. Au nom du gouvernement de Chirac, Albin Chalandon propose une réforme du code de la nationalité qui supprime le caractère universel et automatique du droit du sol: l'enfant né en France devra désormais réclamer sa nationalité, et n'y aurait droit qu'en cas de non-condamnation antérieure... Des néo-cons comme Alain Finkielkraut applaudissent...

La ligue des droits de l'homme et les églises se mobilisent contre cette régression humanitaire et républicaine.

 

L'enracinement des idées xénophobes et du rejet de l'immigration.

 

En 1988, le FN obtient 14% des suffrages exprimées aux élections présidentielles et dès 1989, la question de la compatibilité de l'immigration maghrébine et du multiculturalisme avec l'identité nationale est soulevée dans un débat médiatique aux enjeux très largement surfaits sur le port du voile à l'école.

En 1991, le très républicain Valery Giscard d'Estaing illustre la radicalisation du discours de la droite de gouvernement sur l'immigration et les immigrés en vue d'un rapprochement avec le FN: « Après avoir en juillet préconisé un « quota zéro » pour l'immigration, il dénonce à la manière de Le Pen dans le Figaro Magazine « l'immigration-invasion ». Il propose également que la nationalité française ne puisse plus être attribuée par la naissance en France mais par la seule filiation sur le modèle de la loi allemande d'alors ». (Patrick Weil). Dans le même temps, les différents ministres socialistes qui se succèdent à l'intérieur adoptent des mesures restrictives: en 1990, on accélère le traitement des dossiers de demandeurs d'asile, avant de leur retirer le droit de travailler pendant l'examen de leurs dossiers.

 

Dès son retour au pouvoir en 1993, la droite fait voter des lois en contradiction avec les traditions démocratiques et républicaines, les lois Pasqua, et changer un article de la constitution pour imposer l'objectif de l'immigration zéro. Dans un entretien donné au Monde le 2 juin 1993, Pasqua déclarait ainsi: « La France ne veut plus être un pays d'immigration ». L'objectif assumé d'immigration zéro incite à des mesures inquisitrices contre la régularisation des étrangers par le mariage. L'illégalité du séjour avant le mariage empêche désormais la délivrance du titre de séjour après celui-ci et, pour lutter contre les prétendus « mariages arrangés », on va jusqu'à mettre souvent en cause le droit au séjour des nouveaux conjoints de Français. On repousse de 6 mois à 2 ans le délai nécessaire à l'obtention de la nationalité française pour un étranger qui se marie avec un français et on entérine le projet d'astreindre des enfants nés en France de parents étrangers à une déclaration d'intention préalable faite entre 16 et 21 ans pour devenir Français.

 

En 1996, après une nouvelle progression du FN aux présidentielles (15,3% de suffrages obtenus en 1995), Debré, le ministre de l'intérieur du président Chirac, va chercher à compléter la panoplie répressive des lois Pasqua en se basant sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire très partiale présidée par M. Philibert sur les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. 46 mesures radicales sont préconisées, et parmi elles, certaines qui ne seront réellement mises en application que sous la présidence Sarkozy: prise d'empreinte systématique des visiteurs étrangers et fichage des personnes les hébergeant, remise en cause des droits aux soins d'urgence pour les étrangers en situation irrégulière, ou à l'éducation pour leurs enfants, possibilité d'expulser immédiatement les mineurs étrangers ayant commis un délit... Finalement, en novembre 1996, après l'expulsion musclée et impopulaire des 300 grévistes de la faim de l'église Saint Ambroise le 23 août 1996 (sans-papiers menacés d'expulsion qui pour beaucoup sont des parents d'enfants français, ont des conjoints français ou toute une famille vivant en France), Debré fait voter une loi qui complique considérablement la venue régulière des étrangers en France: toute personne désireuse d'entrer en France est considérée avec soupçon comme un fraudeur et un clandestin en puissance et le droit à l'aller-retour entre la France et le pays d'origine pour visiter sa famille ou le pays, faire des études ou quelques affaires est soumis à des restrictions et des démarches préalables plus que décourageantes.

 

La parenthèse Jospin.

 

Grâce à la loi Debré, Chirac espérait que les candidats UMP bénéficieraient d'un bon report de voix au second tour des électeurs du FN lors des élections législatives anticipées qu'il jugea opportun de convoquer après la crise du mouvement social de 1995 et du discrédit porté sur Juppé. Or, il les perd et le PS a inscrit dans son programme un retour décomplexé à une tradition plus libérale et républicaine en matière d'immigration: « Nous supprimerons les lois Pasqua-Debré. Nous rétablirons les droits fondamentaux au mariage, à la vie en famille et le droit d'asile, ainsi que le code de la nationalité dans sa vision républicaine ». De fait, la loi Chevènement de 1998 sur l'immigration apporte très vite des avancées significatives pour améliorer les conditions d'accueil des étrangers:

  • suppression des certificats d'hébergement exigés à un étranger cherchant à obtenir un visa pour entrer en France.

  • réduction à un an du délai de séjour exigé pour procéder à un regroupement familial

  • à 18 ans, le jeune né en France redevient français automatiquement, sauf s'il exprime le désir contraire. Il peut anticiper cette acquisition par une déclaration volontaire possible dès l'âge de 10 ans.

     

Parallèlement, tout en refusant le principe de régularisation collective systématique, le gouvernement Jospin régularise une partie importante (87000) des 135.000 étrangers qui avaient fait une demande, en se basant sur les critères de l'ancienneté de la présence sur le territoire et du travail en France, et sur la force des attachements familiaux et personnels en France. Chevènement se montre par contre inflexible sur la célérité de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière ou dont les demandes de régularisation ont été rejetées.

 

La stratégie de séduction de l'électorat du FN de la droite conduit à légitimer et à mettre en place des politiques d'immigration de plus en plus répressives, stigmatisantes et contraires au droit de l'homme depuis 2002.

 

Le 26 novembre 2003, après la réélection de Chirac opposé à Le Pen au second tour, la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité modifie à nouveau le statut des étrangers en subordonnant la délivrance de la carte de résident à un critère d’intégration. Elle renforce également la lutte contre l’immigration clandestine. Pour de nombreuses associations, ce durcissement de la législation se fait au détriment des droits fondamentaux des étrangers (mauvais traitements, décès, état déplorable des centres de rétention et des zones d’attente, etc.), qui sont traités comme des criminels par l’administration, alors qu’ils sont dans de nombreux cas mis en situation irrégulière par un refus de cette même administration de régulariser leur situation ou de renouveler leurs titres de séjour. Pendant ce temps, l’immigration est traitée de plus en plus au niveau de l'Union Européenne qui adopte ainsi en 2003 une directive sur le regroupement familial et tente d’harmoniser les politiques d'immigration des pays membres. Au niveau de la société civile, les politiques de plus en plus répressives suscitent l'indignation d'une partie de l'opinion. En 2004, le Réseau Education Sans Frontière (RESF) s'oppose à ce qu'il qualifie de « rafles » dans les écoles d'enfants en séjour irrégulier ou des parents sans-papiers de ces enfants.

 

En juillet 2006, la loi relative à l'immigration et à l'intégration, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy porte de 12 à 19 mois le délai au terme duquel un étranger en séjour régulier en France peut solliciter un regroupement pour les membres de sa famille proche. Cette loi renoue avec une justification utilitariste par les intérêts de l'économie française d'une immigration de travail ciblée par avance en autorisant le recours à de la main d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974. Cette mesure est limitée à quelques professions telles que l’hôtellerie-restauration, la construction et les travaux publics, les travaux saisonniers, les professions commerciales. La loi met en place la carte de séjour « compétence et talents ». C'est l’« immigration choisie » des travailleurs saisonniers et qualifiés que Sarkozy oppose à l'immigration subie des familles pouilleuses qui veulent rejoindre des parents travaillant en France, des régularisations automatiques d'enfants nés en France d'étrangers clandestins, des faux demandeurs d'asile qui fuient en réalité l'insécurité de la misère. La France, en 2007, étudie une loi visant à restreindre l'immigration afin d'appliquer la volonté politique du président de la République, d'avoir une « immigration choisie ». Cette loi est accompagnée d'un amendement concernant la maîtrise de la langue française susceptible de créer des difficultés aux migrants et aux couples mixtes, en très forte augmentation depuis les années 80 du fait notamment de la plus forte propension des français à voyager et de la mondialisation, pour le meilleur et pour le pire, des échanges matrimoniaux et sexuels.

 

Depuis quelques années, des accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ont conditionné l'aide au développement à la prise de mesures par les États du Sud visant à restreindre l'émigration. La Tunisie, pays à qui l'on sous-traitait la réclusion des candidats à l'immigration en France, était ainsi un des pays les plus aidés par l'Agence Française de Développement, même s'il était bien plus riche que d'autres en Afrique.

 

A partir de l'été 2010, les discours de Nicolas Sarkozy, des responsables de l'UMP et de la garde rapprochée du président ont franchi un cap dans la récupération abjecte des leitmotivs de l'extrême-droite en identifiant origine ethnique et dangerosité ou délinquance, en dissociant le droit à la libre circulation des Européens dans l'espace Schengen de l'acceptation des Roms qui, n'est-ce pas, ne le sont pas tout à fait, en enfermant les enfants de parents étrangers dans une identité ethnique ou culturelle substantielle qui les rend suspects de ne pouvoir jamais s'assimiler, adhérer aux valeurs nationales, en stigmatisant les populations arabes et africaines sous couvert d'opposer l'Islam intransigeant aux valeurs laïques et démocratiques.

 

2) Printemps des peuples dans le monde arabe, hiver du repli xénophobe en France et en Europe.

 

Les dictatures d'Afrique du Nord, véritables chiens de garde de l'Europe rémunérés en complaisance devant les morsures qu'elles infligeaient à leurs peuples, avaient beaucoup d'avantage pour les gouvernements de droite européens, en particulier celui de repousser de manière musclée une grande partie des candidats à l'immigration en Europe venus d'Afrique, d'Asie et de leurs propres territoires. Depuis 2004, l'Europe a cherché à externaliser la gestion des flux migratoires, et les camps de rétention ont fleuri dans les pays limitrophes (on se souvient de la répression de la révolte de Ceuta et Mellila), le Maroc cessant d'être une plaque tournante de l'immigration, et de plus en plus de réfugiés africains étant renvoyés dans le désert saharien après avoir été dûment racketés, battus, ou violés par les trafiquants et les « forces de l'ordre » corrompues des pays du Maghreb.

Avec les bouleversements politiques et sociaux en Tunisie et en Libye et l'inefficacité nouvelle des États policiers, évidemment, les vannes s'ouvrent. Des milliers de candidats à un avenir meilleur en Europe - Somaliens, Erythréens, Libyens, Tunisiens- affluent au large de la Sicile et de Lampedusa, créant, selon la métaphore catastrophiste et réifiante du si sensible Silvio Berlusconi, « un véritable tsunami humain » (tout aussi humaniste, Claude Guéant a dit qu'il faudrait que la France se protège contre « cette vague d'immigration »)... au risque mourir en mer, comme au moins 4200 candidats à l'immigration cherchant à passer d'Afrique du Nord ou du Sénégal à Malte, en Italie, en Espagne, aux Canaries depuis 2003. Le mercredi 6 avril 2011, 150 personnes ont disparu dans un naufrage au large de Lampedusa. Mais, dans le discours des dirigeants européens à cette heure de progression généralisée des idées d'extrême-droite, il n'y a plus aucune place pour le chagrin et la pitié.

 

Ces immigrés qui parviennent jusqu'aux côtes siciliennes ne veulent pas tous vivre en Italie et, même si ses intentions sont nationalistes et relèvent de la revanche économique et politique, car il était peu intéressé par une intervention militaire en Libye, le gouvernement italien a raison sur le fond de dire qu'on ne peut pas renvoyer (cela pose surtout pour lui des problèmes techniques plutôt que moraux) de manière expéditive ces immigrés (qui pour la plupart sont des réfugiés économiques voulant assurer la survie de leur famille et un avenir meilleur pour eux et pour certains sont des réfugiés politiques risquant gros à leur retour) et que tous les pays européens, et pas seulement ceux du rivage méditerranéen, doivent participer au règlement de cette situation de crise humanitaire d'urgence. La commission européenne le 11 avril a donné raison à la France contre l'Italie d'avoir immobilisé les trains qui devaient conduire des immigrés tunisiens à qui les italiens avaient donné des permis de séjour temporaires (plus de 25000 en ont bénéficié) leur permettant théoriquement de circuler librement dans l'espace Schengen pendant quelques mois. Pour ne pas fâcher la France, l'Allemagne, et d'autres États européens encore où la xénophobie gagne du terrain depuis des années à la faveur de la crise sociale et identitaire que traversent ces sociétés et qui sont hostiles à « tout partage du fardeau » de l'immigration, elle n'a pas craint de violer le principe de la libre circulation des personnes avec des papiers en règle dans l'espace de l'Union Européenne.

En décembre 2008 déjà, le Parlement européen décidait d'ériger l'Europe en forteresse repoussant « sans sentimentalisme irresponsable » « la misère du monde » tandis qu'elle instaurait une carte bleue permettant entrée facilitée et libre circulation pour les travailleurs hautement qualifiés. Une de ses résolutions invitait les 27 États membres « à considérer le défi des migrations au travers d'une approche globale qui fasse avancer avec la même énergie le renforcement des contrôles aux frontières de l'Union, la lutte contre l'immigration clandestine, le retour dans leurs pays d'origine des étrangers en situation irrégulière... ». Une directive retour, dite « directive de la honte » par ses opposants, adoptée par le Parlement européen, suivait cette résolution qui permettait de placer en détention des étrangers en attente d'éloignement, y compris des mineurs, pour des durées allant jusqu'à 18 mois et d'interdire l'accès au territoire des expulsés pendant 5 ans.

 

Autre signe d'un durcissement des politiques d'immigration: à la mi-avril 2011, le Haut Conseil à l'Intégration créé par la droite recommandait, allant ainsi dans le sens des intentions de Claude Guéant, de restreindre encore l'immigration légale par la voie du mariage, devenue « la première porte d'entrée en France » puisque 50000 français désirent chaque année accueillir leur conjoint étranger. Or, les mariages de français avec des étrangers sont de plus en plus suspectés d'être des mariages blancs, font à ce titre l'objet de procédures de vérification policière et de refus de célébration de plus en plus systématiques, n'ouvrent droit à la naturalisation qu'après de nombreuses années, et peuvent s'accompagner d'expulsion du conjoint étranger en cas de divorce ou de séparation. Parallèlement, nous apprenions que malgré l'augmentation du nombre de demande d'asile, la France n'attribuait des permis de séjour qu'à un cinquième des demandeurs d'asile. Parallèlement, alors que l'immigration professionnelle légale ne concernait que 23650 personnes pour l'ensemble de la France, Claude Guéant entend réduire encore cette immigration de travail en mettant en avant le poids du chômage en France (9,6% aujourd'hui suivant les chiffres officiels, nettement sous-évalués). Les milieux économiques, par l'intermédiaire de la patronne du Medef, Laurence Parisot, ont immédiatement réagi en déclarant que « c'est très dangereux, un pays qui se ferme ». L'essayiste ultra-libéral et homme d'influence proche de Sarkozy Alain Minc surenchérissait: « on ne peut pas promouvoir une économie de l'offre inspirée de l'Allemagne...et prétendre à l'immigration zéro ».

 

La droite, prise entre deux logiques contradictoires face à l'immigration.

 

Cette volonté de mettre un terme à l'immigration de travail rompt avec la politique utilitariste qu'avait esquissée Sarkozy en 2007, celle d'une « immigration choisie »: il y a les bons immigrés, ceux qui sont européens et qualifiés pour des métiers pour lesquels le patronat manque de main d'œuvre ou ceux qui viennent de la bourgeoisie des pays du sud et qui, étant très diplômés, peuvent créer de la richesse en France et il y a les mauvais, les crève-la-faim qui cherchent à manger quelques miettes du festin occidental, les africains, arabes ou musulmans « inassimilables »... Il faut donc rendre extraordinairement compliqués le regroupement familial (par des vérifications inquisitrices des liens de parenté, des conditions de ressources, de compétences linguistiques et d'employabilité), les mariages mixtes, la naturalisation des résidents d'origine étrangère, et l'accueil des demandeurs d'asile et décourager l'immigration clandestine en excluant au maximum les régularisations inspirées par des motivations humanitaires et en médiatisant à outrance les expulsions pour que la France qui s'inquiète de perdre son âme avec cet afflux des miséreux du monde aux comportements si exotiques soit rassurée en voyant un gouvernement à poigne qui ne fait pas dans le sentiment ni le laxisme.

On le voit, si l'on veut exprimer les choses de manière un peu caricaturale, on peut dire que la droite est partagée essentiellement entre deux logiques sur la question de l'immigration.

 

a) Celle qui consiste à la limiter au maximum au nom de la défense d'une identité nationale identifiée, sinon à une race, du moins à une culture essentialisée et son histoire. Selon cette logique, hostile à la conception civique de la nation qu'Ernest Renan avait théorisé au XIXème siècle et qui consistait à dire qu'un peuple ne se définissait pas par le partage d'une origine ethnique ou culturelle mais par l'adhésion à un projet et des valeurs communes, plus proche de l'idéologie germanique du droit du sang que de l'idée républicaine du droit du sol, on ne peut avoir un type racial maghrébin, africain, asiatique, slave, être musulman, et être complètement français, même si on a la citoyenneté française parce que l'on est né en France. Quand la droite propose de retirer la citoyenneté française à des criminels ou à des extrémistes musulmans (imposant le port du voile intégral à leur femme par exemple) qui ont des parents étrangers ou ont été naturalisés alors qu'ils sont nés à l'étranger, elle le justifie en faisant comprendre à son électorat et celui de l'extrême-droite qu'avoir le privilège de devenir français, « cela se mérite », que cela implique d'adopter un comportement civique exemplaire, de s'acculturer pour adhérer pleinement aux valeurs fondatrices de la République ou de la culture française, et de s'intégrer socialement. Par là, elle fait semblant de dire qu'on peut parfaitement être un bon français de couleur à condition d'adhérer pleinement à une forme de contrat social qui définit les droits et les devoirs du citoyen: mais en réalité, cette condition, elle ne l'impose qu'aux « demi-citoyens » qui doivent faire leur preuve parce qu'ils ont des parents étrangers ou qui ont été étrangers. Or, d'un point de vue républicain, il n'y a aucune différence ou discrimination à établir entre les citoyens: on est citoyen ou on l'est pas, et tout le monde s'acquitter des obligations morales et juridiques du citoyen sans qu'une catégorie de citoyens soient spécialement sanctionnée dans le cas contraire en raison de ses origines. Il n'y a aucune raison de penser que les français d'origine étrangère doivent être plus exemplaires que les autres. Certains commentateurs politiques paraissent vouloir atténuer la gravité de ces lois ou décrets discriminatoires de la France en disant qu'ils ne se justifient pas par une véritable xénophobie ou un véritable racisme des dirigeants de droite mais par une volonté de faire barrage au Front National qui représente le diable en faisant revenir son électorat au camp républicain. Au-delà même de l'échec sur le moyen terme de cette stratégie de siphonage des voix du Front national qu'ont démontré les dernières cantonales de mars 2011 et les récents sondages annonçant Marine Le Pen en tête du premier tour des présidentielles de 2012, on peut remarquer que les parlementaires et les hommes politiques de droite, même s'il était vrai qu'ils ne faisaient au départ qu'adopter une stratégie électoraliste, se sont distingué au fil du temps par des déclarations franchement racistes et qu'ils ne peuvent prétendre quoiqu'il en soit combattre Le Pen et les siens en appliquant l'essentiel de leur programme et en légitimant son discours catastrophiste sur les méfaits de l'immigration par leurs actes.

 

b) Une autre logique plus pragmatique, utilitariste et libérale a parfois prévalu à droite sur les questions d'immigration, même si elle semble partiellement abandonnée aujourd'hui au profit d'une volonté, soit de faire monter le Front National pour éliminer les socialistes du deuxième tour des présidentielles, soit de tenter de récupérer ses voix, sinon au premier tour, du moins au second tour des présidentielles et des législatives, soit de mettre une nouvelle fois, comme en 2002 et en 2007, les thèmes de la sécurité et du danger de l'immigration et de l'Islam (pour la préservation de l'identité nationale, des valeurs collectives démocratiques et l'harmonie du vivre ensemble) afin d'affaiblir la gauche en détournant l'attention de difficultés économiques et d'injustices sociales qui dénoncent la nocivité des politiques libérales menées au profit des milieux financiers et des hauts revenus. Cette logique que défend le Medef, mais qui qui est aussi promue par des libéraux comme Strauss-Khan ou Cohn-Bendit et a aussi été portée par les travaillistes de Tony Blair (entre 1999 et 2009, la Grande Bretagne a accueilli plus de 2,2 millions d'immigrés en plus) ou les sociaux-démocrates allemands derrière Schröder à la fin des années 90 et au début des années 2000, consiste à ouvrir plus largement les frontières à l'immigration sur des critères économiques essentiellement, en cherchant à attirer les cerveaux étrangers qui nous donneront une plus-value dans la compétition internationale, mais aussi à disposer d'une main d'œuvre abondante, qualifiée ou non, dans les secteurs manquant de main d'œuvre notamment pour pourvoir aux besoins du patronat et qu'il soit possible d'y écraser les salaires, afin de faire pression sur les droits sociaux ou les « avantages acquis » de tous les salariés. En 1963, déjà, Georges Pompidou déclarait: « L'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».

Le reproche qui est fait au patronat de faire venir et d'utiliser les immigrés plus facilement exploitables comme ils n'ont rien à perdre afin de lutter contre les revendications sociales et les acquis sociaux des travailleurs ne date pas d'hier, et a été longtemps et parfois violemment formulé par des syndicalistes et des militants politiques de gauche au XIXème siècle et au XXème siècle. Toutefois, dans la deuxième moitié du XXème siècle, les syndicats, la gauche et les communistes ont surtout défendu les droits des travailleurs immigrés: leur droit à des rémunérations décentes, à la protection sociale, à la régularisation quand ils contribuent à la richesse nationale par leur travail et paient des impôts, au rapprochement familial et au logement décent... voire au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales.

 

 

3)Sur quels principes appuyer une politique réellement de gauche vis à vis des immigrés?

 

Ce qui doit nous importer de manière prioritaire, c'est l'impératif de solidarité humaine et la considération pour les personnes.

 

Nous sommes essentiellement hommes et c'est le hasard qui nous a fait naître dans tel ou tel territoire. Il est compréhensible que nous ayons des affinités privilégiés avec nos compatriotes, notre culture, et légitime que nous soyons prioritairement soucieux en tant que citoyens de la qualité de vie des gens qui votent avec nous et sur lesquels nos décisions collectives ont des répercussions: à savoir nos concitoyens. Néanmoins, il est immoral de contraindre à des conditions de vie indécentes des travailleurs et des familles entières qui vivent dans la clandestinité par crainte des expulsions, de refouler en les condamnant à la misère, au désespoir et à la mort, des immigrés qui ont tout sacrifié avec leur famille pour économiser suffisamment afin de gagner l'Europe pour pouvoir y travailler et épargner pour s'assurer un avenir meilleur, à eux et leurs familles. Il est inacceptable de ne pas accueillir des immigrés qui demandent l'asile parce qu'ils sont menacés dans leurs pays d'origine par des guerres civiles, des régimes ou des sociétés d'oppression, de ne pas reconnaître aux étrangers qui travaillent en France dans des conditions légales le droit de vivre au côté de leurs épouses, de leurs enfants, ou aux français de faire venir en France leurs conjoints étrangers.

Au nom de la realpolitik, des intérêts de la cohésion sociale en France menacée par les inquiétudes grandissantes que suscitent l'immigration et les difficultés de la vie dans les quartiers populaires à forte proportion de population étrangère, nous n'avons pas le droit de condamner au désespoir des milliers de vies humaines par des expulsions ou un refus de la prise en considération de critères d'humanité pour les régularisations de sans-papiers. Une des manières d'alimenter la progression des idées xénophobes est de replier le drapeau humaniste et internationaliste de la gauche en acceptant de laisser s'imposer l'idée que l'immigration est essentiellement un problème, qu'il faut gérer dans un esprit de responsabilité identifié à une attitude de fermeté.

Bien sûr, on nous répète à satiété la trop fameuse formule de Rocard « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et c'est vrai... mais toute la misère du monde ne se presse pas à nos portes, et elle affluerait encore moins si on exploitait moins les pays du Sud, si on ne soutenait pas leurs régimes corrompus et autoritaires qui préservent les intérêts de nos multinationales et si on ne leur imposait pas pour réduire leurs dettes des plans d'hyper-austérité et de casse du secteur public appauvrissant la population. En tant qu'hommes susceptibles de compassion et qui reconnaissons notre semblable dans tout autre homme, souffrant ou non, nous n'avons pas le droit d'être indifférents aux centaines de milliers de détresses individuelles bien réelles que génèrent des politiques de lutte contre l'immigration illégale et de quasi fermeture des frontières.

Une politique de l'immigration doit d'abord être inspirée par des sentiments d'humanité mis en œuvre de manière réaliste: il ne s'agit pas d'ouvrir complètement nos frontières mais de régulariser les immigrés clandestins qui travaillent ou vivent en France depuis longtemps, qui ont fait des efforts d'intégration et qui y ont des attaches familiales qui les enracinent et les rendent indispensables à leurs proches, de reconnaître effectivement le droit d'asile, d'admettre complètement la légitimité des mariages mixtes et de l'immigration par regroupement familial, de permettre à des étudiants étrangers ou à des travailleurs qui pourraient trouver des emplois en France dans des secteurs ayant besoin de main d'œuvre d'obtenir des visas et des permis de séjour régulièrement depuis leurs pays d'origine, principalement quand ceux-ci sont francophones, de permettre aux étrangers des pays du Sud d'obtenir des visas de touristes pour découvrir notre pays et notre culture, ou de retrouver leurs familles dans leurs cadres de vie.

 

En second lieu, il faut que tous ceux qui travaillent en France puissent s'intégrer et aient accès à une égalité de droits sociaux et politiques.

 

De 200000 à 400000 sans-papiers vivent en France et la plupart des adultes travaillent pour des patrons qui abusent de leurs positions de faiblesse en les surexploitant, notamment dans le secteur du bâtiment, de la restauration, des services à la personne, du textile. Cette immigration irrégulière apporte des bénéfices à la France. Ces travailleurs sans-papiers verseraient chaque année dans les caisses de l'État 1,5 millions d'euros pour les retraites et l'Assedic (l'Humanité, 27 avril 2010). Il est normal de mieux protéger leurs droits de ces salariés en les régularisant, ce qui contribuera aussi à empêcher qu'ils représentent une concurrence déloyale tirant les salaires vers le bas pour les travailleurs français. Un point de vue purement utilitariste sur l'immigration permet de constater que les immigrés actifs remplissent des besoins sociaux, qu'ils permettent au solde démographique d'être positif et concourent ainsi à l'équilibre du système des retraites par répartition. Cette contribution des immigrés à la richesse nationale n'est pas que d'ordre strictement matériel et économique: elle se traduit aussi en terme de dynamisme et de créativité de notre culture. De manière générale, les échanges culturels et la confrontation à l'altérité nous enrichissent, rendent notre vie plus excitante et notre intelligence du monde plus profonde. Une bonne partie de la vitalité culturelle de la France, aujourd'hui comme au XXème siècle, lui vient des expressions artistiques et existentielles de ses immigrés, du croisement des traditions qui stimule l'invention. Si aujourd'hui les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, ont des centres d'excellence intellectuelle et de création culturelle extrêmement actifs, c'est en raison de leur politique d'accueil des étudiants et travailleurs étrangers, politique à laquelle la France a partiellement renoncé malgré son passé de puissance coloniale et ces outils de rayonnement culturel que constituent l'importance de la francophonie et le prestige de son histoire.

 

La troisième priorité d'une politique d'immigration de gauche doit être de maintenir la cohésion du corps social et préserver le niveau de protection sociale dans la société.

 

Cet objectif interdit qu'on pratique une politique purement humanitaire et permissive d'ouverture des frontières et d'acceptation sans conditions de l'expression des diversités culturelles. Elle exige que les immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants, ne soient pas parqués dans des ghettos de pauvreté sans mixité sociale et ethnique. C'est d'abord une politique sociale ambitieuse luttant contre les inégalités, la précarité, la ségrégation géographique, les discriminations au travail, l'échec scolaire des enfants des classes populaires, qui permettra aux jeunes issus de l'immigration de s'intégrer socialement et d'être acceptés par l'ensemble de la société. Cette ambition suppose aussi de cesser de stigmatiser systématiquement des populations d'origine étrangères en faisant croire que leur culture les rend quasiment inassimilables, incapables d'adhérer aux valeurs fondatrices de notre république, et expliquent leur propension à la délinquance, à l'incivilité, voire à l'échec scolaire et la paresse. Les causes du repli intégriste ou traditionaliste musulman, de la violence des jeunes d'origine étrangère, phénomènes qui ont tendance à être grossis artificiellement par les médias pour alimenter le besoin de sécurité et le vote de droite,  sont avant tout de l'ordre du sentiment de l'exclusion sociale. Ceci dit, il est normal que la majorité de la population, en fonction de la culture politique et sociale traditionnelle dominante, définisse pour tous les résidents du pays des règles de vie collectives intangibles qui permettent la vie en commun, en particulier quand elles ont une valeur universelle et permettent le respect des libertés individuelles et la cohabitation pacifique des particularismes culturels et des traditions religieuses, comme les règles de la laïcité.

Les traditions libérales et multiculturalistes anglo-saxonnes qui admettent la totale expression des particularismes culturels dans l'espace public et le communautarisme paraissent contradictoires avec l'idée républicaine qui consiste à fabriquer du commun par l'émancipation des individus, personnes rationnelles capables de s'auto-déterminer, vis à vis des tutelles traditionnelles (église, famille, culture locale et coutumes ancestrales) et l'adhésion à des valeurs communes comme la liberté individuelle, l'égalité, la tolérance.

 

Le souci du dynamisme de notre société et de notre économie, de notre rayonnement international doit également conduire à relégitimer l'immigration.

 

La commission des Finances du Sénat a évalué au début de l'année 2010 le coût des expulsions de sans papiers pratiquées depuis l'accession à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy à 415 millions d'euros, soit 21000 euros par personne reconduite. Encore que ce montant, précisaient les sénateurs, « ne prend pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l'aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux ». (L'Humanité, 27 avril 2010). Au Royaume-Uni, une étude publiée par la London School of Economics, qui peut difficilement être soupçonnée de gauchisme, concluait que la régularisation des 618000 migrants vivant en situation irrégulière sur le territoire britannique rapporterait 4,6 millions d'euros aux caisses de l'État (mais elle menacerait sans doute certains intérêts économiques...).

Comme le disait le sociologue Eric Fassin à un journaliste de L'Humanité dans le numéro précédemment cité, il faut cesser d'opposer une politique de fermeté vis à vis de l'immigration inspirée par le réalisme économique et une politique d'ouverture inspirée par l'idéalisme moral: le cœur et la raison s'accordent pour refuser les expulsions massives de clandestins, associ

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 09:46

 

Après une lecture soporifique et peu pédagogique du bilan financier de l'année 2010 par l'adjoint aux finances Jean Fleury qui a consisté en un exercice feutré d'auto-félicitation (dette de la ville en baisse de 25% par rapport en 2007, s'élevant tout de même toujours à plus de 15 millions d'euros, section d'investissement qui dégage un solde positif de 1700000 euros, excédent basculé dans le fonds de roulement...), Gwenegan Bui a ouvert les hostilités pour présenter les interrogations et les critiques du groupe d'opposition PS:

« La présentation du compte administratif est un moment important, un moment de vérité. Entre 2009 et 2010, la ville dégage 4,570 millions d'excédent budgétaire si l'on fait le différentiel entre les dépenses et les recettes. Cela veut que cette année, la ville se constitue une cagnotte de 1,7 millions d'euros. Même si on pouvait estimer de garder une épargne de précaution de 700000 euros avec cela, on fait encore pas mal de choses avec un million... Or, à chaque échéance budgétaire, on voit que votre politique se résume à diminuer les investissements et à augmenter les impôts. De plus, à chaque conseil municipal, vous nous dîtes que la ville est en grave difficulté financière et on vote avec vous pour plus de justice dans l'attribution des aides et la répartition des moyens communautaires: or, si à la fin de l'année on revient les poches pleines, comment justifier cet appel larmoyant à la solidarité communautaire?... En 2007, vous avez voté une augmentation de taxes et d'impôts locaux de 1,4 millions d'euros supplémentaires demandés aux morlaisiens jusqu'en 2011, visant notamment à compenser la baisse de 700000 euros de dotation l'État. Vous rendez-vous compte du poids de votre politique pour les classes moyennes? Par ailleurs, avez-vous fait le bilan financier de la fermeture des deux écoles en début de mandat? Quel en a été le bénéfice réel? Y avait-il une urgence cette année à augmenter les tarifs des piscines et du musée des Jacobins sous couvert de « dynamiser les services » comme vous le dites pudiquement. La question que je me pose, c'est: qu'allez-vous faire de ces 1,7 millions d'excédent budgétaire? »

 

Sylvain Espitalier (PS) a complété, dans un discours que l'on ne peut qu'approuver dans ses grandes lignes, le réquisitoire de Gwenagan Bui fondé sur une critique de la politique d'austérité dure aux classes moyennes et sans vision de long terme de la droite morlaisienne: « Les déséquilibres structurels de la communauté de la Baie de Morlaix ne sont pas réglés. Il est temps de desserrer l'étau qui enserre les associations, les personnels, les ménages. De reprendre le fil des investissements d'avenir.

Ainsi, tandis que les associations sont toutes touchées par la crise économique, le désengagement des partenaires (Etat, Région, Conseils généraux, DRAC...), il faut rappeler que vous avez réduit de 15% en début de mandat les subventions aux associations, ce qui se traduit notamment par 310.000 euros retirées aux associations culturelles. Nous revendiquons une ligne de crédit supllémentaire de 100000 euros pour les associations morlaisiennes. Par ailleurs, au Garage, en Cuisine Centrale, les services de fonctionnent pas correctement car ils sont en sous-effectifs. Il faut embaucher et revaloriser les salaires des agents qui perdent beaucoup dans la réforme des retraites. Votre politique se traduit aussi par une augmentation de la fiscalité très lourde pour les classes moyennes, avec en plus des tarifs très élevés qui pèsent sur les familles qui ont des enfants scolarisés dans le premier degré pour les garderies, la restauration scolaire. Les tarifications publiques ont augmenté très fortement. Or, il faut prendre en compte les difficultés des ménages confrontés à la crise économique et sociale et ne pas engraisser la ville inutilement au terme de politique de rigueur implacable sauf s'il s'agit de financer des investissements d'avenir. Une salle de sport en 3 ans, même si nous nous félicitons qu'elle ait pu voir le jour car c'était un projet populaire et consensuel, cela fait un peu court.

Il y avait un projet d'avenir qui vous tendait les bras, c'était celui du pôle gare, où vous auriez pu notamment installé un équipement de type socio-culturel ou centre social qui aurait pu s'accompagner d'une aide de l'État et de la communauté. Or, à aucun moment, vous n'avez su travailler avec Morlaix Communauté en partenariat pour construire ce pôle gare d'avenir ».

 

Michel Le Saint pour le groupe Idées s'est dit en accord avec les critiques des deux orateurs de l'opposition précédents, insistant sur le manque de projet pour la ville de la majorité de droite, en dehors bien sûr de celui de faire des économies (ce qui lui avait semblé également nécessaire en 2007, rapella t-il, car il était en accord avec Agnès Le Brun pour critiquer la mauvaise gestion financière de la précédente municipalité et s'inquiéter des conséquences de l'ampleur de la dette) : « La hausse des impôts vous a donné des marges de manœuvre substantielle qui auraient pu vous permettre d'investir. Pour l'instant, en dehors de la salle de sport, vous n'avez mené à bien aucun projet d'envergure. Vous dites ne pas être inquiète pour l'avenir de Morlaix. Est-ce que cela traduit un électro-encéphalogramme assez plat?... Il aurait possible d'investir sur des postes générateurs d'économie (faire des économies d'eau au stade, des économies d'électricité dans les bâtiments publics...). Mais vous n'avez accepté de financer aucune étude de prospective financière concernant les économies d'énergie. Il aurait été possible aussi de faire des investissements générateurs de recettes (pôle gare, ascenseur panoramique arrimé au viaduc...), ce que vous n'avez pas fait. Être un bon gestionnaire, c'est faire des études prospectives, et cette qualité là, vous ne l'avez pas ».

 

Agnès Le Brun s'est défendue contre ces reproches en se justifiant sur vigueur de sa politique prioritaire de désendettement et en accusant ses adversaires politiques de sombrer dans la facilité d'un discours du déclin en parlant de l'avenir de Morlaix après le départ du Festival des Arts dans la Rue et de la scène nationale du Théâtre. On notera aussi que le maire de Morlaix se disculpe curieusement de ne pouvoir venir en aide efficacement à une forte proportion de la population morlaisienne en situation de précarité en disant que c'est là le lot de beaucoup de villes bretonnes et que Morlaix n'est pas une exception en ce domaine.

N'est-ce pas là reconnaître que la droite au pouvoir en France depuis 2002 n'a fait qu'aggraver la situation des classes moyennes et populaires en diminuant les impôts pour les plus riches et les grandes sociétés privées, en facilitant le recours aux heures supplémentaires non revalorisées, aux contrats précaires, aux bas salaires exonérés de cotisations patronales, en fragilisant la protection sociale (allocations chômage, dé-remboursements de la sécurité sociale, mise en crise des aides à la perte d'autonomie) et les services publics? N'est-ce pas surtout admettre que l'idéologie libérale qu'Agnès Le Brun défend au Parlement européen comme dans les instances nationales de l'UMP est responsable des conséquences sociales calamiteuses de cette politique européenne de suppression des entraves aux mouvements des capitaux, aux délocalisations, à la spéculation financière, et d'offensive générale contre les droits des salariés et les droits sociaux des citoyens pour servir les intérêts des milieux financiers? Elle est facile la pirouette des élus de droite qui s'exonère de leur impuissance à remédier aux difficultés sociales très fortes des territoires qu'ils administrent en mettant en avant la météo qui tout le monde le voit bien est à la crise... sauf qu'il ne s'agit pas d'un phénomène climatique naturel ou même d'une conséquence d'un processus de mondialisation et d'affaiblissement des réserves d'énergie et de matières premières irréversible, mais bien de la conséquence de choix politiques qui ont consisté à dessaisir les peuples de leurs instruments de souveraineté économique et de politique sociale au profit du pouvoir de la finance.

Mais laissons la parole au maire de Morlaix, dont l'emphase, le sens du paradoxe et de la formule publicitaire confinent parfois, comme chez son mentor, le président de la République, au grand guignol ne masqueront pas en tout cas les insuffisances et les dégâts d'une politique de retrait de l'investissement public et du service public au nom d'un objectif général de la dépense publique dans un contexte de crise sociale majeure qui est parfaitement assumé au-delà du vernis compassionnel sur les difficultés des morlaisiens et des services de la ville: « A entendre les conseils municipaux de l'opposition, on pourrait croire qu'on peut être dans le même temps  gras et moribond. Vous passez votre temps dire que la ville meurt et maintenant, il paraît qu'il existe une cagnotte... Mais c'est un projet d'ambition que de vouloir se désendetter. Le projet que nous avons, c'est de nous autoriser à avoir des projets. Nous sommes sur la voie du désendettement. Ce n'est pas très glamour de se désendetter... Mais ce sont ces mesures là qui permettent d'envisager à nouveau des projets d'envergure. Admettez en toute honnêteté que nous avons hérité d'une situation financière catastrophique. Nous avons assumé cet héritage plutôt que de faire l'autruche en continuant à dépenser sans compter et en se disant « Après nous, le déluge... ». Nous avons assumé cet héritage et notre satisfaction, c'est le retour à un équilibre financier... Oui nous sommes gestionnaires, c'est à dire réalistes, clairvoyants et ambitieux. Nous sommes aussi frustrés. Oui, certains services de la ville souffrent, sont en difficulté. Je vous souhaite un jour, vous, élus d'opposition, d'être frustrés de la même manière que nous en face des difficultés à améliorer les choses aussi vite que vous le voudriez. Quand on est en position d'acteur, c'est un positionnement formidable qui oblige à prendre des décisions, à mouiller le maillot, à faire des paris, à apprendre de ses erreurs. Et à être optimiste... Or, quand j'entends cette déploration systématique de votre part, cela m'agace... Bien sûr, il y a à Morlaix beaucoup de chômage, de précarité, de gens qui souffrent. Mais les étrangers de passage nous envient de vivre dans cette ville où il paraît si bon vivre, qui a tant d'atouts? Mais c'est un curieux aspect du tempérament morlaisien de porter un regard si négatif sur cette ville. Mais chaque année de nombreux commerces nouveaux ouvrent leurs portes... Vous dites que nous n'aidons pas les associations qui souffrent... Mais pourquoi voudriez-vous que les associations souffrent moins que les entreprises qui ont elles aussi du mal à payer leurs salariés? L'équité, qui n'est pas l'égalité, c'est la défense de l'intérêt général et la défense des administrés dans leur totalité. Quand nous avons fermé deux écoles en début de mandat, nous voyions la réalité en face, planifions les suppressions de poste dans l'éducation nationale (et cette année, le Finistère doit bien rendre 40 postes dans le premier degré) car la rigueur nécessaire s'applique partout. Dès lors, il fallait anticiper et restructurer pour consolider les positions de la plupart des écoles. Lorsque tout le monde souffre, lorsque tout le monde fait des efforts, pourquoi voudriez-vous que nous fassions exception?... Vous m'avez sans doute trouvé un peu lyrique mais nous sommes à mi-mandats et je voulais montré que nous avons réalisé des projets, et pas seulement la salle omnisports, même si c'est un excellent équipement, et surtout que nous avons fourni un vrai effort de désendettement ».

 

Michel Le Saint n'eut guère de mal ensuite à mettre à confronter le discours du maire de Morlaix à ses responsabilités en tant que responsable politique de l'UMP défendant, sur le plan local comme national, une politique inégalitaire et de casse des services publics:

« Il y a des choses que vous avez dites qu'on ne peut pas laisser passer. Quand vous dites que tout le monde souffre. Non, ce n'est pas vrai, les banquiers se portent très bien. Quand nous disons que les morlaisiens souffrent, ce n'est pas nous qui le disons, ce sont les chiffres. On se demande si vous habitez à Morlaix... Et vous n'êtes pas sans avoir une responsabilité directe dans cette situation de pauvreté alarmante puisque vous avez augmenté la pression fiscale sur les plus défavorisés en baissant le taux d'abattement. Par ailleurs, où est le bilan financier des suppressions des écoles de Troudousten et Emile Zola que nous vous avons demandé? La maison de quartier, qui demande du personnel payé par la mairie contrairement à ce que vous avez prétendu initialement, n'était qu'une compensation vis à vis de la suppression des écoles. Il y a un paradoxe d'ailleurs à faire de cette fermeture d'école un moyen de parer les conséquences négatives des récupérations de poste dans l'éducation nationale, qui se traduisent à Morlaix par la suppression d'un poste à Jean Jaurès, pour des effectifs prévisionnels constants l'an prochain par rapport à cette année. En effet, on est dans un contexte où les regroupements d'école permettent d'accélérer la suppression des postes.

 

Sylvain Espitalier, avant de remettre en cause la délégation de service public pour le stationnement payant un peu plus tard, enfonce le clou: « Il y a bien longtemps que les socialistes ne disent plus que Morlaix se meurt...Ce sont les morlaisiens qui sont dans la difficulté. Vous nous dîtes: c'est la rigueur, mais on va essayer qu'elle ne nous touche pas trop. Mais, concernant les écoles, soit vous défendez la politique du gouvernement de récupération des postes, soit vous défendez les postes: il y a une hypocrisie à prendre faire les deux. Vous avez ouvert la maison de quartier parce qu'après la fermeture de 2 écoles, il fallait forcément un équipement pour maintenir le lien social sur la Vierge noire... Il y a semble t-il chez vous une obsession de la dette. Or la dette peut être considérée comme un pôle d'investissement pour investir sur l'avenir. Cela a été le cas du pôle petite enfance financé en fin de mandat précédent qui donne aujourd'hui pleine satisfaction ».

 

Blanche Magarinos pour le groupe Idées a ensuite accentué des idées qui avaient déjà été évoquées tout en insistant sur les conséquences perverses de la pression fiscale à Morlaix qui fait fuir les classes moyennes et supérieures, et s'alimente elle-même en contribuant à la réduction de la proportion de ménages imposables dans la ville, et donc également au nécessaire relèvement des impôts pour faire face aux dépenses incontournables: « Il n'y a aucune fierté à avoir à dégager sur la ville de Morlaix un excédent de 1,7 millions d'euros alors que les morlaisiens sont étranglés par la pression fiscale. La cour des comptes avait déjà remarqué que la pression fiscale était beaucoup plus importante à Morlaix que dans les communes avoisinantes, ce qui contribuait au dépérissement de la ville, et vous ne faites qu'accentuer ce processus pervers. De manière générale, il faut rappeler que le budget présenté par les municipalités n'est absolument pas le reflet des communes et des habitants. Vous vous êtes depuis le début de votre mandat engagée dans une politique de l'autruche. Il n'y a pas lieu de se réjouir tant que cela. De plus, je me demande où est-ce qu'on en est dans les économies d'énergie et le développement du bio dans les cantines ».

 

Sylvain Espitalier s'est aussi étonné que l'on prétende rebasculer sous forme de 25000 euros de subventions complémentaires à l'association qui gère le théâtre une partie des 32000 euros d'indemnités de maire à laquelle a renoncé Agnès Le Brun cette année parce que la loi lui interdisait de cumuler ses indemnités d'élue au-delà de 8231 € et qu'elle reçoit déjà des indemnités d'élu au Parlement européen comme s'il s'agissait d'une faveur et comme d'un acte de générosité privée. : « La ville de Morlaix ne s'est pas vue contrainte de réduire de 200000 euros la subvention au théâtre, comme vous le prétendez dans des documents officiels. Elle a fait le choix de cette décision. Les 25000 euros que vous reversez au théâtre sont le produit de l'isolement dans lequel vous vous êtes mis en renonçant à la subvention complémentaire des partenaires ». Cette aide complémentaire est d'ailleurs parfaitement insuffisante, comme l'exprime Jean-Philippe Bapceres (Idées), que le maire approuve. Enfin, touchant toujours la politique culturelle, Michel Le Saint dénonce l'inanité de la mesure d'économie de bout de chandelle qui consiste à faire payer l'entrée du musée des Jacobins aux morlaisiens, alors qu'elle était gratuite jusque là: « les morlaisiens doivent s'acquitter d'un tarif de 4 euros pour rentrer au musée. Quand on dépense beaucoup d'argent pour avoir un musée digne de ce nom, il est dommage de décourager les morlaisiens d'y aller, d'autant que les recettes qui peuvent être attendues de cette entrée payante seront dérisoires par rapport au coût du musée ».

 

 

En fin de conseil municipal, Michel Le Saint a lu une motion rédigée par lui et lue au préalable à une réunion du collectif eau publique Morlaix-Saint Martin des Champs pour que le conseil municipal demande au SIVOM d'engager une procédure d'enquête judiciaire pour expliquer le curieux décalage entre le prix très bas au m3 proposé par Véolia au SIVOM dans sa nouvelle proposition de contrat en 2011 pour gérer les 8 ou 12 années suivantes la distribution et l'assainissement de l'eau et les bilans financiers des 20 dernières années, curieusement en déficit 18 fois sur 20. Les élus de gauche (4 élus du groupe Idées, 4 élus du PS) votent pour la motion et comme les élus de droite refusent de participer au vote, ne relevant pas selon eux du conseil municipal, la motion est adoptée contre toute attente.

 

La motion déposée par le groupe Idées et votée par le Conseil Municipal de Morlaix:

 

"Opportunité d'un dépôt de plainte contre Véolia Ouest.

Lors du dernier comité syndical, ayant pour objet l'examen de la délibération sur le futur mode de gestion de l'eau et de l'assainissement, le Président du Sivom a indiqué que lesq offres émanant des sociétés privées, dont celle de Véolia Ouest, l'actuel délégataire, conduisaient à un prix de l'eau au m3 inférieur d'au moins un euro par rapport au prix actuel.

Or, pendant les vingt années passées, Véolia a connu 18 exercices déficitaires (eau+ assainissement) et son déficit global sur l'ensemble du contrat avoisine les 2,5 millions d'euros. Il est évidemment aberrant qu'une entreprise en déficit chronique propose de baisser ses tarifs dans de telles proportions (un euro de mois sur le prix du m3 revient pratiquement à diviser par deux la part fermière!).

Cette incompatibilité entre l'offre tarifaire actuelle et les comptes antèrieurs signifie que cette entreprise a présenté à la collectivité des comptes truqués pendant près de 20 ans, ou qu'elle affiche aujourd'hui des prix de dumping, pratique illégale consistant à vendre en dessous du coût de production afin d'évincer la concurrence, les deux options n'étant pas exclusives l'une de l'autr. 

En conséquence, le conseil municipal de Morlaix, réuni le 14/04/2011:

- s'insurge contre la présentation de comptes systématiquement déficitaires par la société Véolia Ouest, délégataire de son service d'eau et d'assainissement, présentation qui a faussé l'appréciation des élus sur la gestion du contrat en cours, notamment lors de la phase de renégociation du contrat à mi-parcours et qui contrevient à l'obligation de transparence et de sincérité qui incombe à tout délégataire d'une mission de service public  

 - demande au Président du Sivom de faire étudier par un conseil juridique indépendant l'opportunité de saisir la justice civile et/ou pénale afin d'obtenir la condamnation de Véolia Ouest et/ou de ses dirigeants pour présentation de comptes truqués, et de recouvrer tout ou partie des sommes indûment perçues par cette société au détriment des usagers des services publics."

 

Compte-rendu réalisé par Ismaël Dupont.  

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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 09:32

Deuxième partie de l'article sur le socialisme français entre 1880 et la scission du congrès de Tours.

Jaures

Introduction.

 

En 1905, les socialistes, après s'être divisés à partir de 1898 et de l'Affaire Dreyfus sur la question de la participation gouvernementale et de l'alliance républicaine contre la réaction nationaliste, catholique traditionaliste et antisémite, se rassemblent en un parti unique, la SFIO, qui se fixe comme orientation, dans le cadre des orientations de l'Internationale, de ne pas se compromettre dans des alliances gouvernementales avec les radicaux et de fortifier la conscience de classe des travailleurs en ne transigeant rien sur l'analyse marxiste des questions politiques et sociales en terme de lutte des classes et sur l'objectif d'une révolution sociale collectiviste préparée par l'ascension électorale des socialistes et par l'évolution interne du capitalisme, mais supposant aussi l'accord sur le principe de la légitimité de l'usage temporaire de la contrainte et de la violence dans un contexte révolutionnaire. Au-delà de ces orientations programmatiques relevant du marxisme orthodoxe, le parti socialiste gagne du terrain dans les couches populaires et les classes moyennes des villes et des campagnes en défendant avec constance la laïcité, la démocratisation de la vie publique, les intérêts de la paix et un programme de réformes sociales susceptibles d'améliorer ici et maintenant, sans attendre le grand soir de la révolution prolétarienne, les conditions d'existence de la majorité en créant un impôt redistributif et en inventant une première forme de protection sociale (retraites, assurance invalidité...) basée sur la solidarité. Jaurès, républicain idéaliste et « marxiste sans orthodoxie », qui a néanmoins conscience qu'il n'y a à son époque « qu'un pouvoir vraiment organisé, celui de l'argent » (20 mars 1910, Revue de l'enseignement primaire), incarne cette conciliation entre une volonté d'agir au quotidien dans les institutions pour conquérir des améliorations, même modestes, des conditions de vie des travailleurs et de la vie démocratique, et le souci de renforcer la conscience de classe du prolétariat pour le rendre capable de s'émanciper. Car la principale œuvre des socialistes entre les années 1880 et 1914 a été surtout de rompre avec l'aliénation des classes populaires en leur donnant le sentiment de leurs intérêts communs, la conscience de l'exploitation dont elles étaient victime et l'idée d'une voie d'émancipation possible, éloignée des pièges du ressentiment xénophobe ou de la fièvre unanimiste nationaliste.

En 1911, dans une page émouvante de L'Armée Nouvelle, Jaurès se souvient ainsi de l'étonnement et l'accès de désespoir, cette sorte d' « épouvante sociale », dans lesquels l'a plongé la découverte de la foule parisienne trente ans plus tôt, à son arrivée à Normale Supérieure: « Je me demandai...comment tous ces êtres acceptaient l'inégale répartition des biens et des maux.(...). Je ne leur voyais pas de chaînes aux mains et aux pieds, et je me disais: par quel prodige subissent-ils tout ce qui est? Je ne voyais pas bien: la chaîne était au cœur, mais une chaîne dont le cœur lui-même ne sentait pas le fardeau. La pensée était liée, mais d'un lien qu'elle ne connaissait pas ». Le but et de l'œuvre des socialistes et de Jaurès a donc été de tenter de libérer les français de leurs chaînes intellectuelles morales, de leurs aliénations, en leur donnant le sentiment de leur dignité, en expliquant ce qui les dressait les uns contre les autres et contre les autres nations ou minorités. « Les vrais croyants, disait Jaurès, sont ceux qui veulent abolir l'exploitation de l'homme par l'homme, les haines aussi, de race à race, de nation à nation ».

Néanmoins, si des compromis sur des projets de réforme sont trouvés avec les radicaux et si des habitudes de discipline républicaine avec désistement au second tour permettent à la gauche de rester forte à la Chambre jusqu'en 1914, le manque d'homogénéité idéologique de la mouvance radicale, l'opportunisme d'une grande partie de ses élus et leurs liens avec le monde des affaires et de la petite bourgeoisie hostile aux rouges et à l'impôt, fait que ces projets sociaux peinent à aboutir. Produite par le système capitaliste, la compétition économique, coloniale et géostratégique des puissances européennes, dirigent quant à elle les peuples vers un carnage que Jaurès pressentait probable et a tout fait pour éviter.

 

1) L'alliance avec les radicaux et la séparation de l'église et de l'Etat.

 

Depuis 1902, les parlementaires socialistes soutiennent majoritairement le gouvernement radical d'Emile Combes, originaire du Tarn comme Jaurès, médecin franc-maçon qui a reçu sa première formation intellectuelle au séminaire. Le combat pour la laïcité et contre la réaction catholique et nationaliste anti-dreyfusarde est le socle de cette coalition du Bloc des gauches. A la suite de la loi sur les associations du 1er juillet 1901, la majorité parlementaire composite qui soutient Combes va approuver des décrets qui, à l'été 1902, ordonnent la fermeture d'établissements scolaires gérés par des congrégations religieuses. Ceux-ci recrutaient environ 40% des élèves du second degré vers 1900, principalement dans la bourgeoisie riche, le milieu des commerçants et des hauts fonctionnaires.

Le camp laïque est assez divisé sur la signification à donner au combat pour la laïcité, ses objectifs et ses limites. Les socialistes Viviani, Vaillant, Maurice Allard, héritiers de l'anticléricalisme intransigeant de Proudhon et Blanqui, sont partisans, avec beaucoup de radicaux libres-penseurs, d'un « athéisme de combat » cherchant à éradiquer la religion perçue essentiellement comme une mystification aliénante et une force sociale obscurantiste détournant les citoyens de la rationalité et de l'émancipation. Ceux-ci sont pour un monopole public de l'enseignement. D'autres, comme Jaurès ou même Combes et Ferdinand Buisson, deux dirigeants radicaux francs-maçons tout en étant favorables à la suppression des congrégations en tant qu'institutions d'enseignement, acceptent, au nom de la tolérance à la diversité, que des moines ou des prêtres puissent, sans leurs habits, en tant que personnes privées, disposer du droit d'enseignement.

Le projet de séparation entre l'église et l'État n'est au départ pas perçu par tous les laïques comme une nécessité. Combes y voit un avantage qui est de priver l'Église des ressources publiques mais aussi un inconvénient qui est d'amplifier l'autonomie d'action des catholiques tout en les rendant plus dépendants encore de la papauté. Toutefois, comme la déchristianisation est déjà un processus que chacun peut voir à l'œuvre, les liens privilégiés entre l'État et le clergé catholique que le concordat napoléonien avait fixés deviennent difficiles à justifier au nom de la raison d'état ou du vieux gallicanisme qui veut que le pouvoir civil national contrôle le pouvoir religieux sur lequel s'exerce la pression des intérêts du Vatican. Par ailleurs, en 1904, l'accession au trône pontifical de Pie X, particulièrement hostile à toute concession de l'Église vis à vis de la sécularisation des lois et des mœurs et de la pensée autonome, et favorable à une politique de rechristianisation agressive, fait paraître l'option de la séparation plus impérative.

Dès le 10 avril 1904, Jaurès pose le problème avec limpidité:

 

« L'État n'est ni catholique, ni protestant, ni déiste, ni athée, l'État est laïque. Il reconnaît à tout homme, quelle que soit sa religion ou son irréligion le même droit à la liberté. Dès lors, aucun groupe de croyants ne peut exercer sur lui, État, une influence privilégiée. C'est dire que l'État doit être séparé de toutes les églises ».

 

Jaurès soutient ainsi la loi du 7 juillet 1904 qui interdit l'enseignement aux congrégations. L'école de doit pas être un lieu d'endoctrinement religieux ou de critique d'un savoir scientifique ou historique contredisant les dogmes des églises.

La laïcité se définit d'abord, non simplement comme la simple neutralité de l'État vis à vis des cultes et des opinions idéologiques, mais comme « l'acte de foi dans l'efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable » (discours de Jaurès à la Chambre le 14 janvier 1910). La laïcité implique pour Jaurès, comme l'écrit Jean-Pierre Rioux, « l'encouragement à penser hardiment à tout propos, sur tous les sujets accessibles à la raison, sans œillères ni routines ». Il faut donc donner à chaque esprit humain tous les moyens de développer son esprit critique et sa réflexion, ce qui passe par une transmission de connaissances impartiale dépourvue de visées d'enrégimentement, fût-il républicain, patriote ou spiritualiste plutôt que chrétien. Quand il compare dans l'Histoire socialiste de la Révolution française les projets d'instruction publique obligatoire, laïque et gratuite, de la Constituante révolutionnaire, celui de Talleyrand-Périgord, l'évêque défroqué d'Autain, et de Condorcet, Jaurès préfère le second, basé sur l'instruction désintéressée visant à affranchir l'homme, à faire progresser la science et à développer l'esprit critique et la curiosité de l'individu, plutôt que le premier, d'inspiration plus jacobine et idéologique, visant à éduquer en inculquant à l'enfant les valeurs et les habitudes intellectuelles qui seront nécessaires à la vie militaire, civique, et économique d'une nation républicaine. De la même manière, Jaurès n'exclut pas l'idée d'un enseignement du fait religieux à l'école, d'une diffusion des connaissances historiques (dans le cadre d'une histoire des idées et non d'une évangélisation ou d'une catéchèse bien entendu) sur le « messianisme juif » en particulier. Quoique violemment opposé aux pratiques réactionnaires de l'église et partisan de l'absolue liberté intellectuelle, Jaurès n'est pas personnellement matérialiste et athée: dans sa thèse de philosophie soutenue en 1892, il soutenait une forme de panthéisme contradictoire avec la croyance en un Dieu personnel, affirmant la présence d'une force divine agissant dans la nature et dans l'élan des consciences humaines tendues l'idéal et le retour à l'unité de l'harmonie sociale. Pour lui, les religions ne représentent pas seulement l' « opium du peuple », elles ne sont pas simplement des idéologies illusoires instrumentalisées par les classes sociales possédantes pour endormir et consoler les masses exploitées. Elles s'appuient sur des pensées morales et philosophiques révolutionnaires en leur temps et traduisent le besoin atemporel de l'esprit de donner sens à sa condition en interprétant le mystère de l'origine de la vie, de l'univers, de la fécondité de la nature, de la joie. Loin d'être le fossoyeur de la vie religieuse, le progrès des sciences fera naître de nouvelles questions en nous révélant la complexité des phénomènes de la vie et de la matière. Ce que l'on peut attendre d'un affranchissement social des hommes par la révolution collectiviste qui rendrait leur rapports plus fraternels et harmonieux, et libéreraient les intelligences des servitudes du travail exploité, c'est d'abord et avant tout, selon Jaurès, qui a une vision eschatologique et religieuse de l'avenir, l'avènement d'une « interprétation idéaliste du monde » (discours de janvier 1910 à la Chambre faisant le bilan de la suppression de l'enseignement congrégationiste). Par ailleurs, pour Jaurès, il n'y a pas d'antagonisme essentiel, indépassable, entre la foi religieuse, l'existence des églises, et le développement de la pensée autonome, l'essor du monde moderne fondé sur les valeurs de liberté individuelle et de rationalité. Les chrétiens ont déjà fait la preuve par le passé de leur capacité d'adapter, non sans phase de crises et de replis, la nature de leur foi et de leurs pratiques religieuses aux évolutions sociales et intellectuelles de la culture.

Pendant l'hiver1904-1905, Jaurès travaille avec Aristide Briand sur un projet de loi de séparation de l'église et de l'État à vocation consensuelle, inspiré d'une laïcité ouverte et d'un libéralisme garantissant tout à la fois la neutralité de l'État, le respect des religions et des courants de pensée athées, agnostiques ou spiritualistes, et celui de la liberté individuelle et du droit à l'autonomie intellectuelle de chacun. Ils ne veulent pas faire de cette loi un instrument de lutte contre l'Église ou la papauté, voire de sortie du religieux. Promulguée le 11 décembre 1905, la loi déclare que la République française « assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne subventionne, ni ne salarie aucun culte » mais, pour donner aux croyants l'assurance que les associations cultuelles chargées de la gestion des biens des églises et de la dévotion ne seront pas une machine de guerre contre les religions, l'article 4 de la loi respecte la spécificité de la hiérarchie et de la discipline de chaque église, lui garantissant une autonomie absolue en empêchant tout schisme ou dissidence. Les associations cultuelles locales devront donc se conformer aux règles générales de l'organisation du culte. Cette loi liquide donc le gallicanisme (et donc également celui qui inspirait la constitution civile du clergé des révolutionnaires de 1791): « elle donne la certitude que nul obstacle de l'État ne s'interposera entre Rome et l'Église de France ». Le projet Combes qui lui faisait concurrence, soutenu par les sociétés franc-maçonnes, s'inscrivait lui davantage dans une perspective de contrôle étatique des religions et Clémenceau a dénoncé violemment à la Chambre dans cette loi de modération la « coalition monstrueuse et antirépublicaine sous la férule de Jaurès et le goupillon de M.de Mun » (leader de la droite sociale et catholique), traitant Jaurès de « bourgeois de Calais » (ouvrant les portes à l'ennemi, catholique et non plus anglais...), puis de « révolutionnaire en peau de lapin » capitulant devant l'autorité du pape. Pourtant, cette loi rendait plus précaire la vie matérielle des prêtres en rompant leur statut de salariés de l'État ayant un rôle d'utilité publique et compliquait ainsi leur recrutement. Elle donnait aussi une importance nouvelle aux laïques par rapport à la hiérarchie religieuse puisque ceux-ci étaient appelés à participer à la gestion des biens et la vie matérielle des cultes et des desservants. Cette loi avait ainsi surtout le mérite de faciliter l'adaptation de l'Église au monde moderne et son acceptation progressive des valeurs fondamentales de la République.

 

2)La difficile conquête des droits sociaux.

 

Pour Jaurès, la séparation était nécessaire pour couronner l'œuvre républicaine de laïcisation. Elle portait en germe la pénétration des idées socialistes dans les classes populaires grâce à une généralisation de l'enseignement rationnel et la perte d'influence de l'église sur les masses. Elle était également nécessaire pour que dans la classe politique comme dans la population, les passions entourant la question religieuse ne servent plus de dérivatifs commodes aux urgences de la question sociale. Être de gauche, contrairement à ce que pensaient beaucoup de radicaux, ne pouvait se limiter à « bouffer du curé ». La séparation de l'église et de l'État devait donc permettre donc de réorienter l'attention des républicains sur les nécessaires réformes sociales à accomplir.

Toutefois, après 1905, les relations des socialistes avec les radicaux seront beaucoup plus orageuses que dans l'intermède ouvert par l'affaire Dreyfus à partir de 1898.

Il y a plusieurs explications à cela. 1) L'Internationale a condamné clairement en 1904 les déviations réformistes et « social-démocrates » avant l'heure des socialismes européens, la participation des socialistes et leur solidarité avec des gouvernements bourgeois au profit du rappel des objectifs collectivistes et révolutionnaires et de la stratégie incontournable de renforcement de la lutte des classes. De ce fait, la SFIO créée au printemps 1905, renoncera à la participation gouvernementale, à la stratégie de Bloc républicain et au vote du budget général de gouvernements bourgeois (cela lui sera d'autant plus facile que les radicaux n'auront pas besoin des voix des parlementaires socialistes pour rester en place) 2) Les radicaux constituent une mouvance politique divisée mais beaucoup cherchent à promouvoir des objectifs de paix sociale, nient l'existence de classes sociales aux intérêts séparés et contradictoires au profit d'une attention prioritaire à la liberté individuelle, sont des adversaires d'un impôt trop rigoureux et des solutions collectivistes, défendent l'ordre social pour la tranquillité des petits propriétaires et des milieux d'affaire dont ils sont très proches, ce qui se traduit aussi par un rejet violent des critiques du système de prédation coloniale par les socialistes 3) Les conflits sociaux dans l'industrie et la fonction publique se multiplient dans les années 1904-1909 et les radicaux au pouvoir réagissent souvent par la fermeté intransigeante et la répression tandis que la petite bourgeoisie qui représente leur clientèle électorale prend peur. 4) Malgré des programmes électoraux de réformes sociales assez audacieux soutenus par les socialistes, les radicaux, la faute en incombe en partie aux institutions de la IIIème République et au mode de scrutin, ne sont pas unifiés en un parti au cadre idéologique cohérent et contraignant et beaucoup d'entre eux, opportunistes pratiquant le clientélisme, sont très sensibles aux intérêts des milieux d'affaire et pratiquent l'obstruction parlementaire avec la droite.

 

En 1906, le contexte est pourtant favorable pour la mise en œuvre d'avancées sociales.

En mai 1906, Jaurès affirme dans La Dépêche que « c'est la démocratie républicaine toute entière qui a triomphé » lors des législatives. La Chambre comporte désormais 400 républicains de gauche sur 580 députés, dont 54 parlementaires soutenus par la SFIO et 18 socialistes indépendants ayant rompu avec les objectifs de l'Internationale. Avec les socialistes, les radicaux-socialistes et les radicaux de gauche partagent un programme de réformes immédiates ambitieux: « cet ensemble de 250 députés ont comme programme l'impôt général et progressif sur le revenu déclaré et l'accentuation de l'impôt successoral afin de dégrever la démocratie des petits propriétaires paysans (affectés par les taxes sur le foncier), des petits commerçants et des ouvriers, et de créer un surcroît de ressources pour les œuvres de solidarité sociale: l'assurance sociale étendue à tous les risques; la limitation progressive de la journée de travail et la nationalisation des grands monopoles capitalistes, tout d'abord des chemins de fer et des mines » (article de Jaurès au lendemain de la victoire électorale de la gauche, dans La Dépêche du Midi du 31 mai 1906).

On le voit, même si beaucoup de radicaux sont contre une progressivité de l'impôt au nom d'une égalité formelle et de la reconnaissance du mérite des entrepreneurs et s'ils cherchent à présenter l'obligation de déclarer ces sources de revenus comme une mesure d'inquisition contraire au respect de la vie privée et au secret nécessaire au monde des affaires, il y a déjà dans ce programme une forme de démocratisation significative de la vie sociale et économique, avec notamment un projet de sécurité sociale (incluant tous les « risques »: accident, vieillesse, maladie) basé sur la solidarité et financé par la cotisation patronale et l'impôt redistributif.

Jaurès ne prétend pourtant pas que la mise en œuvre de ce programme pourrait contenter pleinement les socialistes, ni que ceux-ci entendent s'inscrire dans un cadre purement réformiste, renonçant à la révolution sociale, au dépassement du capitalisme. « Nous démontrerons aussi sans cesse au prolétariat ouvrier et paysan, écrit-il dans La Dépêche le 6 novembre 1906, que le programme radical et socialiste, excellent pour accroître la liberté et la force de la classe ouvrière, ne peut cependant l'affranchir; que même appliqué intégralement et à moins de s'élargir enfin au collectivisme, il laissera subsister le privilège de la propriété capitaliste d'où dérivent tous les désordres de la société, les incohérences de la production, l'oppression et l'exploitation des travailleurs ». Ce programme n'est qu'une étape vers l'émancipation véritable des travailleurs, mais il est susceptible d'augmenter leur bien-être et leur capacité d'organisation et de revendication. Jaurès s'oppose à Marx qui voit dans l'aggravation du niveau d'agressivité du capitalisme et la paupérisation universelle des salariés le facteur révolutionnaire privilégié porté par le mouvement naturel et inéluctable du capitalisme. Tirant des conclusions de son analyse de la grande Révolution française, Jaurès écrit ainsi: « Pour qu'une révolution éclate, il faut que les classes inférieures souffrent d'un terrible malaise ou d'une grande oppression. Mais il faut aussi qu'elles aient un commencement de force et par conséquent d'espoir » (Histoire socialiste de la Révolution Française, tome 1). Rien de ce qui dans le réformisme social porté par le parlementarisme renforce le niveau d'organisation et de bien-être du prolétariat ne saurait donc contredire l'objectif d'une transformation radicale du mode de production et de propriété capitaliste.

Si le contexte est favorable pour des progrès sociaux, c'est aussi et surtout que les travailleurs sont à l'offensive depuis plusieurs mois pour réclamer des augmentations de salaire, plus de loisirs, plus de respect des droits syndicaux et de leur dignité, voire même plus de contrôle sur la politique de leurs entreprises. Madeleine Rebérioux fait part de cet impressionnant niveau de revendication et de conflictualité sociale La République Radicale?. Ainsi, entre 1904 et 1907, on compte des centaines de milliers de grévistes chaque année. 4 millions de journées chômées lors de 1026 grèves en 1904 concernant 271097 grévistes. 438000 grévistes en 1906 faisant en moyenne grève pendant 19 jours. « La France gréviste s'agrandit: aux départements du Nord où règnent la sombre mine et le textile impulsif, à la région lyonnaise...s'ajoutent de nouvelles zones: la Bretagne avec les grèves spectaculaires de Fougères, de Hennebont et l'agitation violente de Brest, la Lorraine du fer et de la fonte ». Madeleine Rebérioux rappelle ainsi qu'aux Forges d'Hennebont, d'avril à août 1906, 1800 ouvriers héroïques ont fait grève pendant 115 jours, se nourrissant de crabes pêchés à marée basse et de pain distribué au compte-goutte. 48% des grèves de 1906 font gerbe autour du 1er mai (la tradition du 1er mai remonte à 1890 et les travailleurs français ont eu une part importante dans la consécration de cette journée internationale de lutte pour le respect et la rémunération des travailleurs) pour lequel la CGT, qui atteindra son pic d'avant-guerre de 350.000 adhérents en 1908, a affiché le mot d'ordre unitaire de la journée de 8 heures.

Cette intense activité de lutte sociale va aussi concerner la fonction publique puisque la syndicalisation, d'abord interdite, fait des progrès en 1905-1907, notamment chez les postiers et les instituteurs, dont beaucoup vont être révoqués pour s'être arrogé un droit de grève que l'État ne leur reconnaissait pas. Elle n'est en tout cas pas étrangère à la naissance en 1906 d'un Ministère du Travail et de la Prévoyance et à la loi rendant obligatoire le repos hebdomadaire votée le 13 juillet 1906. Mais, de manière générale, Clemenceau, élu pour la première fois à 65 ans président du conseil en octobre 1906 après avoir été un ministre de l'intérieur inflexible et prompt à déplacer la troupe et organiser des complots pour les grévistes lors des conflits du printemps, ne va pas démériter son titre de « premier flic de France », organisant la répression et l'intransigeance face aux grèves de l'industrie, de la fonction publique, des viticulteurs du Midi. En mars 1907, il remet en cause le droit de grève au nom d'un prétendu « droit de vie de la société »  en mobilisant des soldats du génie pour remplacer des ouvriers électriciens grévistes de Paris. Les assassinats d'ouvriers se multiplient: 2 morts et 10 blessés à Draveil en juin 1908, 4 morts et des centaines de blessés à Villeneuve-Saint-Georges le 30 juillet 1908. Clemenceau fait aussi arrêter des dirigeants syndicalistes, voire socialistes: licenciements et révocations, poursuites judiciaires, amendes, lourdes peines de prison se multiplient contre les acteurs des mouvements sociaux. La CGT parle d'un Dictateur, de « l'empereur des mouchards », d'un « gouvernements d'assassins »... C'est dire que cet ancien républicain sous l'Empire et sympathisant de la Commune, maire de Belleville, adversaire redouté des opportunistes des débuts de la IIIème République et anti-clérical et dreyfusard militant, a aussi un visage beaucoup moins à gauche: impliqué dans le scandale de Panama, polémiquant avec des arguments de bas étage et des formules assassines contre le socialisme de Jaurès à la Chambre en 1906, et défenseur sans état d'âme de l'ordre social inégalitaire, puis du nationalisme militariste... Pas étonnant qu'aujourd'hui des néo-conservateurs comme Max Gallo ou Sarkozy en fassent un modèle...

Sa forte capacité de mobilisation, associée aux manques de débouchés en termes d'avancées sociales des grèves qu'elle organise, radicalise la CGT. Même si sa Charte d'Amiens d'octobre 1906 impliquait son indépendance vis à vis des mouvements politiques, y compris du mouvement libertaire, elle tend à se raidir dans une « bonne conscience minoritaire » (M. Rebérioux) et sur un mot d'ordre de grève général révolutionnaire et d'action directe indifférente aux petites avancées sociales obtenues par voie parlementaire. Aux yeux de beaucoup de ses membres influents proches de la tradition du syndicalisme-révolutionnaire, ce sont les militants conscients qui font l'histoire et non les masses moutonnières bonnes à voter. Son organisation interne privilégie les petites fédérations professionnelles les plus révolutionnaires et partisanes de l'agitation permanente (dockers, ouvriers des arsenaux, bâtiment, métallurgie) au détriment des plus grosses fédérations de l'industrie, du livre, du textile, des chemins de fer. Un fort mouvement anti-étatiste (l'État est présenté comme essentiellement répressif, patron de choc, et voleur, tortionnaire dans les colonies et son armée) s'y généralise, ce qui rend compliqués les rapports avec une SFIO qui est bien forcée de pratiquer des accords de compromis avec les radicaux tout en gardant son indépendance pour faire avancer des réformes politiques qui améliorent concrètement la vie des classes populaires.

 

3) Deux réformes sociales emblématiques: l'impôt progressif sur le revenu et la loi sur les retraites ouvrières.

 

Ce maximalisme de la CGT et cette méfiance fondamentale vis à vis d'un État qui sait trop bien défendre les intérêts industriels et réprimer les mouvements sociaux se traduit dans la campagne que mène une partie des cadres de la CGT contre la loi de compromis sur les retraites ouvrières et paysannes, issue pourtant de 20 années de travail législatif et qui sera votée le 31 mars 1910 (avec le soutien de Jaurès et de 25 députés socialistes tandis que 27 s'y opposent avec Guesde et que Vaillant et ses amis s'abstiennent). Cette loi qui était au programme des socialistes et des radicaux en 1906 définit un minimum-vieillesse garanti pour tous et l'inscription obligatoire des ouvriers à des caisses de retraite par répartition financées aussi par l'impôt et la cotisation patronale. Elle garantit, dans sa première version soutenue par les socialistes, une pension équivalent à 40% du salaire pour les ouvriers qui utilisent leur droit à partir en retraite à 60 ans, tandis que les travailleurs qui ont des emplois pénibles ou usants peuvent partir à 55 ans. Pour Jaurès, cette réforme est certes imparfaite (dans la mesure où la part contributive de l'État financée par l'impôt redistributif est faible, et donc également les pensions garanties) parce qu'elle résulte d'un compromis avec la bourgeoisie mais il est faux de propager l'idée, comme certains à la CGT, que l'État cherche à avoir un bas de laine où aller puiser en cas de besoin pour voler les travailleurs. La CGT assimile aussi les prélèvements assurantiels liés à la loi sur les retraites ouvrières et pausannes (ROP) à une baisse pure et simple des salaires et à une menace de bureaucratisation à l'allemande des syndicats qui seraient charger de gérer ces caisses de retraite, ce qui menacerait de les embourgeoiser et de tarir le niveau de lutte et de revendication sociale.

Cette réforme est surtout une victoire de principe qui permettra aux salariés d'expérimenter à petite échelle une société de solidarité et de créer des outils pour la réaliser. Dès février 1906, Jaurès écrit ainsi dans La Dépêche: « L'entrée du principe de l'assurance sociale dans nos lois aura de vastes répercussions. Pour faire face aux dépenses nécessaires de solidarité sociale, à l'assurance contre la maladie, contre l'invalidité partielle et contre le décès aussi bien que la vieillesse, il faudra réformer tout notre système fiscal...L'assurance sociale, en débarrassant le prolétariat des angoisses de l'extrême misère, lui donnera plus de forces, plus d'élan, plus de sérénité aussi pour la revendication réglée et hardie d'un nouvel ordre de société, d'une forme nouvelle de société et de travail ».

Là où les opposants à cette loi sur les retraites ouvrières avaient sans doute raison, c'est quand ils estimaient que beaucoup de ses partisans, dans la mouvance radicale, avaient à l'idée de pacifier à bon compte les rapports entre les classes. Aristide Briand, venue des rangs socialistes, et les groupes d'intellectuels qui s'inspirent de lui à la droite de la CGT ou dans la revue « La démocratie sociale » peuvent ainsi rêver un temps d'une forme de travaillisme à la française substituant au conflit social l'entente entre le capital et le travail grâce à des pratiques patronales accordant plus de droits aux salariés. Une des idées avancées par cette mouvance politique avant-gardiste remettant en cause l'idée d'une contradiction structurelle entre les intérêts des classes sociales à l'intérieur du capitalisme est celle de l'actionnariat ouvrier censé donné dans l'entreprise pouvoir de contrôle égal au travail et au capital. Toutefois, le patronat ne s'est nullement intéressé à ces velléités de réformes social-démocrates portées par des techniciens du social proches de Briand et le choix systématique fait par ce dernier de la répression des mouvements sociaux a achevé de discréditer cette orientation vers le rééquilibrage technicien et pacificateur des rapports entre classe à l'intérieur du capitalisme. Jaurès trouvait en particulier que la participation des salariés à l'intérieur des entreprises était un gadget dérisoire.

En 1910, Jaurès n'a pas de mots assez durs pour dénoncer le choix de Briand, son ancien ami, de mater durement, par des licenciements, des arrestations arbitraires, des emprisonnements et des réquisitions contre les 60000 cheminots courageusement engagés dans un mouvement de grève générale surprise à l'automne 1910... Répression invoquée en invoquant des actes de sabotage et autres complots anarchistes pour discréditer l'action collective en écartant l'idée d'imposer toute solution négociée aux deux Compagnies privées du rail, que les radicaux se refusent à nationaliser!

 

« Que l'homme (Aristide Briand, dans une autre vie) qui a fait la théorie et précisé la pratique de la grève générale révolutionnaire conduise maintenant la répression, c'est un des spectacles que peuvent seuls donner les régimes en décadence, et ce sera pour la bourgeoisie française, ce sera pour la bourgeoisie européenne, épanouie d'admirations devant l'audace des reniements, une honte ineffaçable... » (Jaurès, le 26 octobre 1910 dans La dépêche). Briand, que Jaurès qualifie franchement de traître opportuniste, et sa majorité radicale, dans le sillage de cette criminalisation des cheminots grévistes (certains sont même passés devant le conseil de guerre), veulent systématiser la réquisition sous peine de condamnation à 6 mois d'emprisonnement des mineurs et des cheminots et remettre en question le droit de grève lui-même au nom de l'intérêt des usagers et de la nation: on transforme ainsi ces travailleurs en « esclaves publics » de compagnie privée que l'on se refuse à nationaliser par complaisance avec les milieux d'affaires, remarque Jaurès quelques jours plus tard: « la République devient une geôle et une sorte de servage est rétablie au profit des compagnies... » (le 6 décembre 1910).

 

Jaurès avait pourtant voulu croire à la bonne foi réformatrice d'une partie des radicaux en 1906 et, en 1908, il s'était battu à la Chambre pour défendre le projet d'impôt progressif sur le revenu, socialement modéré, que Joseph Caillaux, nouveau radical venant du monde financier, était en train de construire. Ce projet répartissait les revenus imposables en 7 catégories et prévoyait un impôt complémentaire, dont le taux était progressif, et qui pouvait frapper des classes moyennes supérieures tels que des enseignants agrégés, des médecins, des rentiers. Finalement, de 1908 à 1913, ce projet d'impôt sur le revenu sera bloqué par le Sénat et il n'entrera en vigueur qu'en juin 1914 pour faire avaler la pilule de la loi des trois ans de service militaire et peut-être aussi financer la guerre qui se prépare, alors que Caillaux est depuis des semaines au centre du scandale du meurtre de Calmette, le directeur du Figaro, assassiné par sa femme, Henriette Caillaux, indignée par la violente campagne de presse faisant feu de tout bois (accusation d'intelligence avec l'ennemi, de corruption, d'infidélités conjugales, de pacifisme anti-patriotique justifié par l'égoïsme des banquiers) pour abattre son « traître » de mari.

 

4) Le combat pour plus de démocratie.

 

Une des raisons qui explique les blocages des projets de réformes sociales de la IIIème République est le poids des institutions qui donnent la part belle à la censure du Sénat et le système électoral qui favorise l'indépendance des élus vis à vis des engagements nationaux des partis politiques, leurs retournements d'alliance opportunistes à la Chambre et leur perméabilité aux groupes de pression économiques. Percevant bien que les élections à scrutin uninominal à deux tours par circonscription favorisent les jeux des personnes au détriment des affrontements de projets de société, des clivages idéologiques clairement formulés, et qu'elles favorisent les clientèles de notables locaux et privent du droit à une représentation efficace et significative les partis minoritaires, les socialistes se battent pour l'élection législative à la proportionnelle, en 1909-1910 tout particulièrement.

Ainsi, Jaurès défend vigoureusement la possibilité pour les électeurs de marquer leur niveau d'adhésion à des doctrines nettement délimitées grâce à une mise en avant des enjeux nationaux plutôt que locaux et des idées plutôt que des personnes. Le scrutin de liste à la proportionnelle implique à son sens l'existence d'un véritable contrat entre, d'un côté, des partis, contrôlant vraiment leurs candidats et les désignant au terme de débats de fond à l'interne, et, d'un autre côté, les électeurs, sur la base d'un programme contraignant ouvrant des mandats impératifs. Mais beaucoup de radicaux ont intérêt à continuer à se faire élire dans le flou des propositions grâce à leurs petites combines et leurs politiques de clientélisme. Briand lui-même avait dénoncé dans son discours de Périgueux d'octobre 1909 « les petites mares stagnantes de l'arrondissement » avant de déclarer que le pays devait réfléchir et déplaça à la Chambre les 50 voix nécessaires au rejet du projet.

La volonté de démocratiser le régime se traduit aussi chez Jaurès par une défense publique des droits politiques et sociaux du deuxième sexe, s'opposant ainsi à l'attitude de défiance d'une grande partie des hommes de gauche qui estiment les femmes trop vulnérables à l'influence de la religion. Dans un article de la Dépêche datant du 10 janvier 1907, Jaurès met en avant, pour défendre le projet de loi socialiste d'accès au droit de vote des femmes, le fait que de plus en plus de femmes travaillent, sont éduquées et se distinguent dans le domaine scientifique, qu'elles vivent des contraintes sociales et ont une aspiration à une amélioration de leur condition qui justifie, avec leur contribution décisive au fonctionnement de la vie sociale, leur aptitude à peser politiquement. De plus, les femmes seraient pour lui moins « va t-en guerre » si elles disposaient du droit de vote et pourraient davantage peser pour un arbitrage international des conflits. Les femmes restent très peu représentées toutefois dans la galaxie politique et syndicale socialiste: 2000 femmes tout au plus dans le parti en 1912, et une seule femme avec un poste à responsabilité à la SFIO: Madeleine Pelletier, médecin des asiles et féministe (cf. Madeleine Rebérioux, La République radicale?).

 

 

Ismaël Dupont

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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 06:59

Jean Jaurès à la tribune par J.veber

 

5) La critique du colonialisme.

 

Depuis 1900, l'entreprise coloniale ne suscite plus autant de polémiques en France et au Parlement que dans les années 1880 où elle était considérée comme dispendieuse pour la nation et contradictoire avec l'objectif d'une revanche ou d'une protection contre l'ennemi allemand, et majoritairement, les français voient dans la colonisation une entreprise profitable à la puissance économique et politique de la France et aux intérêts des indigènes à qui elle apporte prétendument la civilisation. Il faut dire que la grande presse capitaliste et les expositions universelles et coloniales se donnent beaucoup de mal pour imposer ces idées par leur propagande... Les parlementaires radicaux sont souvent très proches des milieux d'affaires et de la haute administration agissant dans les colonies et les parlementaires de droite s'inquiètent surtout de ne pas faire croître le coût du maintien de l'ordre et du développement économique pour la nation.

Certains socialistes, mais pas tous, dénoncent l'entreprise coloniale non pas tant comme illégitime en elle-même (en vertu d'un droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ou d'une égale dignité des cultures) mais comme dangereuse pour la paix et les droits des travailleurs occidentaux, représentative d'un système économique pervers, et injuste dans son application.

En 1898, au moment où, pendant l'affaire Dreyfus, la haine contre les juifs prend des proportions inquiétantes en Algérie, fédérant d'ailleurs dans une alliance contre nature une partie des arabes musulmans et des colons d'origine européenne, Jaurès ne craint pas de l'expliquer par les expropriations des terres des paysans arabes, en partie par des financiers juifs, en partie par d'autres intérêts financiers et l'administration, ainsi que par le régime de faveur discriminant dont bénéficient les juifs algériens grâce au décret Crémieux qui leur accorde la citoyenneté française là où les arabes musulmans en sont jugés indignes. Dans un article datant du 29 janvier 1898 publié dans La Dépêche, Jaurès regrette ainsi qu'on ait « dérobé sa civilisation à l'algérien », alors que la « haute culture musulmane » aurait méritée d'être fécondée par la science européenne plutôt que méprisée. Lors de son seul voyage hors de l'Europe en dehors de la tournée de conférences de trois mois qu'il a réalisé en Amérique Latine à l'été 1911 pour lever des fonds pour le journal L'Humanité, Jaurès fait un voyage en Algérie en 1895, invité par Viviani, lui-même pied noir, qui a modifié sa façon de percevoir la réalité coloniale et il est même devenu plus tard par ses lectures un admirateur d'Abd-el-Kader, le chef de l'insurrection nationaliste algérienne. Cette expérience l'amène à regretter que l'on tienne les 3 millions d'algériens dans la sujétion économique et sociale en les expropriant de leurs terres par des vols légaux et qu'on leur refuse des droits politiques, dont le droit de vote, que l'on accorde aux juifs. Mais Jaurès ne réclame pas vraiment l'indépendance ou le droit à l'auto-détermination pour les Algériens mais plutôt le bénéfice de ces droits sociaux et politiques qui sont l'œuvre de la civilisation de la France révolutionnaire et républicaine: l'émancipation sociale et politique des Algériens, inconcevable dans l' « exploitation patriarcale des grands chefs traditionnels » indigènes, pourra se faire « sous la noble tutelle de la France » à condition qu'elle rompe avec son égoïsme et ses préjugés raciaux à courte vue. « Je suis sûr, dit-il courageusement à la Chambre le 19 février 1898, que si la France voulait et savait apparaître comme le peuple de la justice, en accordant aux Arabes le droit de vote, elle ne pourrait qu'agrandir sans péril la puissance et le rayonnement de la France elle-même ». Un peu plus tôt, en mai 1896, Jaurès écrivait dans La Petite République que la colonisation n'est pas forcément exclusive d'une « sollicitude constante pour les races opprimées », qu'elle peut être porteuse de progrès pour les peuples qui y sont soumis.

 

Progressivement néanmoins, Jaurès, grâce à son ouverture d'esprit exceptionnelle et sa curiosité pour les autres cultures, va évoluer vers une reconnaissance de la pluralité des voies de civilisation incarnées par les différentes cultures et leur égale communication avec un universel humain qui ne saurait être identifié de manière restrictive avec la culture démocratique et rationaliste de l'Europe post-révolutionnaire. Il s'éloignera ainsi d'un universalisme républicain qui justifie le colonialisme au nom de notre devoir d'apporter la civilisation identifiée au projet émancipateur de la République et du rationalisme à des peuples arriérés.

Sans aller jusqu'à juger néfaste que la France cherche à exercer une influence culturelle, économique et politique au Maghreb, Jaurès défend ainsi en 1911 l'indépendance de plus en plus confisquée du Maroc et la souveraineté de son sultan menacée par les stratégies de pénétration tour à tour concurrentes et concertées des consortiums financiers et industriels allemands et français. L'aliénation des droits économiques et sociaux des peuples du sud par des entreprises capitalistes et des colons qui pillent leurs ressources, leurs terres, et exploitent leurs mains d'œuvre, paraît à Jaurès être un ressort autrement plus puissant de la colonisation que le projet philanthropique ou politique civilisateur prétendu et la rend inacceptable.

Pour exemple, Jaurès s'est engagé personnellement en 1908 et 1912 pour faire condamner un homme d'affaire d'origine grec naturalisé en 1901, Basilio Couitéas, qui après avoir collecté les impôts pour le compte du bey s'était spécialisé dans l'exploitation d'immenses domaines agricoles qu'il faisait arracher aux indigènes entre Sousse et Kairouan: à cette occasion, Jaurès est parvenu à faire rendre justice partiellement aux tribus arabes et surtout à dénoncer publiquement les lobbies pro-coloniaux et affairistes bien installés chez les radicaux, et même dans les milieux franc-maçons ou à la Ligue des droits de l'homme.

Le taux de profit des compagnies coloniales qui ne procèdent à aucun auto-investissement mais se gorgent d'une économie de traite et de pillage, se situe, entre 1903 et 1911, à des niveaux très élevés: entre 25% et 38% selon Madeleine Rebérioux. Spoliations bénies par les administrations et les parlementaires coloniaux, contraintes coloniales, exploitations intensives des ressources naturelles, expliquent ces profits fastueux.

Le plus grave, c'est que la diplomatie française se met au service des intérêts des groupes financiers et industriels, risquant d'envenimer nos relations avec l'Allemagne et de déclencher des guerres coloniales. Ainsi, utilisant une technique que l'Angleterre avait expérimentée avec le pacha d'Egypte, l'État radical fait tout pour encourager le sultan du Maroc à s'endetter à travers des dépenses somptuaires au bénéfice des industries européennes, profitant ensuite de sa position de faiblesse pour lui proposer, à l'initiative d'un consortium placé sous la direction de Paribas, un emprunt ruineux pour le Maroc qui sera signé le 12 juin 1904. Emprunt qui marque le progrès vers l'installation progressive d'un protectorat sur le Maroc impliquant des partenariats commerciaux obligatoires et extraordinairement avantageux avec les milieux d'affaires français. Or, l'Allemagne, qui avait aussi des intérêts depuis quelques années au Maroc, menace clairement la France par l'intermédiaire du discours de Fréderic II à Tanger le 31 mars 1905. Elle cherche l'appui de la Russie tsariste pour dénoncer la politique coloniale agressive de la France mais celle-ci, qui était liée à la France par un traité d'alliance et un emprunt finançant ses dettes très importantes, le lui refuse. L'Allemagne se résigne alors à participer à la conférence internationale d'Algésiras en 1906 qui donne à la France des droits particuliers au Maroc et admet que la Banque d'Etat qui y sera créée en 1907 soit placée sous le contrôle de Paribas. En février 1909 toutefois, les gouvernements allemands et les français signent un accord de collaboration économique pour piller le Maroc mais, quand le ministère radical Monis fait occuper Fès en avril 1911 (pour mater la révolte des tribus Berbères du Riff qui s'en prennent à un Sultan étranglé financièrement qui cherche à s'en sortir en accablant d'impôts son peuple) en violation flagrante de l'acte d'Algésiras, l'Allemagne réagit en envoyant le 1er juillet à Agadir une canonnière symbolique ayant valeur d'ultimatum. Les deux pays, au bord de la guerre, s'en sortent par une nouvelle réconciliation d'intérêts effectuée sur le dos de l'Afrique: l'Allemagne accepte d'avance le protectorat français et obtient en échange une part importante du Congo, entre le Cameroun et le Congo belge.

Jaurès analyse ainsi le 31 mars 1911, avant la prise de Fez, cette entreprise de désorganisation et d'affaiblissement de l'autorité du Sultan du Maroc qui vise à créer un climat d'anarchie et de révolte propice à l'annexion pure et simple, programmée par un plan secret franco-espagnol de 1904:

 

« c'est délibérément que les coloniaux ont mené le Maroc à l'état d'anarchie. C'est délibérément qu'ils ont ruiné le sultan, qu'ils lui ont imposé des combinaisons financières qui lui retirent toutes ressources. Il n'a plus ni le produit des douanes, ni les droits des ports, ni le revenu des domaines, ni le produit du monopole du tabac et l'Espagne, marchant sur nos pas, a mis hypothèque sur la plus grande partie du produit domanial futur des mines non encore concédées...Et le sultan, réduit à vivre au jour le jour des maigres avances de la Banque d'Etat, condamné à subir le pillage international des ressources marocaines, a perdu à la fois le prestige et les moyens d'action. Il a été réduit à imposer à des tribus jusque là exonérées de lourdes charges. Le mécontentement a grandi. Les attaques des tribus contre Fez se sont multipliées: et, au moment où j'écris, le sultan est obligé de faire lui-même le coup de feu, des jardins de son palais, pour repousser les Berbères révoltés. S'il sombre, ce sera l'anarchie totale. Et alors se posera la grave question du traité secret, du déplorable traité secret de 1904 qui prévoit le partage du Maroc entre la France et l'Espagne au cas où le pouvoir du sultan tomberait en dissolution » (Jaurès, La dépêche).

 

La lutte que mènent les Marocains en 1911 contre la conquête française conduit finalement Jaurès à penser que les peuples colonisés, lorsqu'ils témoignent d'une indéniable conscience nationale, ont droit au respect de leur indépendance (discours à la Chambre du 16 juin 1911) et le 1er juillet 1912, les socialistes votent contre le traité établissant le protectorat sur le Maroc.

la cannonière allemande SMS Panther dirigée sur Agadir 

Pour Jaurès comme pour Engels, Rosa Luxemburg ou Lénine, la course des puissances européennes à la colonisation des pays du Sud ou de l'Orient traduit un besoin de nouveaux débouchés pour la production industrielle et les contradictions d'un système capitaliste occidental qui augmente les profits des actionnaires en exploitant des salariés qui ont dès lors de grande peine à consommer les produits de leur travail sur un marché intérieur. La colonisation est dangereuse pour la société du pays colonisateur dans la mesure où elle maintient la possibilité d'une économie d'exportation, de profits capitalistes sans partage des richesses et sans développement, alors même qu'elle augmente les tensions et prépare la guerre des impérialismes capitalistes concurrents:

 

« les nations devraient comprendre qu'au lieu de dépenser un effort immense à conquérir quelques clients lointains, il vaudrait mieux produire pour elles-mêmes. Le jour où la capacité de consommation et d'achat des classes ouvrières serait accrue, les producteurs trouveraient sur les marchés nationaux de l'Europe des débouchés bien plus vastes que ceux qu'ils tentent d'ouvrir au loin à coups de canon. Le véritable acheteur, c'est le peuple. C'est lui qui, par sa masse, constitue dès aujourd'hui le client le plus sérieux; que serait-ce le jour où, par une plus équitable répartition de la richesse sociale, il pourrait se hausser à des habitudes de vie, c'est à dire à des dépenses plus élevées...La fièvre colonisatrice est une maladie; c'est l'effet d'un organisme mal équilibré, qui ne peut faire un emploi normal de ses énergies et de ses forces de production. Le vrai moyen de la guérir et de permettre aux nations de produire largement pour elles-mêmes, c'est la justice sociale » (4 avril 1907, Jaurès dans La Dépêche).

 

Si la pression sur les salaires des producteurs et la tendance à la surproduction qui créent un besoin de colonies pour trouver des débouchés et des ressources nouvelles à exploiter est liée à la logique interne du capitalisme et si ce même capitalisme conduit à des stratégies diplomatiques aventureuses qui conduisent à la guerre à force d'exaspération des concurrences économiques, alors le fait colonial est un des lieux privilégiés qui confirme la fameuse tirade maintes fois citée de Jaurès à la Chambre le 7 mars 1895 contre le capitalisme fauteur de guerres:

 

« Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est en état d'apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage. Messieurs, il n'y a qu'un moyen d'abolir enfin la guerre entre les peuples, c'est d'abolir la guerre entre les individus, c'est d'abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c'est de substituer à la lutte universelle pour la vie, qui aboutit à la lutte universelle des champs de bataille, un régime de concorde sociale et d'unité ».

 

6) Concilier patriotisme, internationalisme et combat pour la paix.

 

Cette tirade associant capitalisme et menace de guerre permanente était précédée d'un argumentaire où Jaurès explicitait ce rapport afin d'expliquer en quoi les socialistes ne pouvaient voter le budget de la Guerre:

 

« Tant que, dans chaque nation, une classe restreinte d'hommes possédera les grands moyens de production et d'échange, tant qu'elle possédera ainsi et gouvernera les autres hommes...tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu'elle domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée...; tant que cette classe privilégiée, pour se préserver contre tous les sursauts de la masse s'appuiera ou sur les grandes dynasties militaires ou sur certaines armées de métier...; tant que cela sera, toujours cette guerre politique économique, et sociale des classes entre elles, des individus entre eux, dans chaque nation, suscitera les guerres armées entre les peuples ».

 

Jaurès ne sera pas toujours aussi tranché pour faire du système capitaliste une force de guerre puisqu'à l'été 1914, il veut croire, comme Kautsky et beaucoup d'économistes libéraux, que l'intrication des capitalismes européens, l'internationalisation du capital et l'enchevêtrement des intérêts liés aux échanges marchands peuvent donner quelques chances à une paix fondée sur les intérêts économiques des bourgeoisies européennes. Ainsi, il écrit dans L'Humanité le 20 juillet 1914 comme pour se donner des motifs rationnels d'espérer: «le capitalisme, en ce qu'il a de plus sain, de plus fécond, de plus universel, a intérêt à apaiser et prévenir les conflits ».  

 

Mais si le capitalisme met en danger la paix internationale, c'est aussi et surtout parce que les capitalistes doivent choyer l'institution militaire pour qu'elle les préserve contre les révoltes populaires, c'est encore parce que les milieux d'affaires, dans un certain sens, ont tout intérêt à entretenir la fièvre nationaliste qui crée l'illusion d'une communauté idéale transcendant les contradictions d'intérêts entre classes, qui nourrit de rêve et remplit d'orgueil les petits et les humbles à l'énoncé des faits de gloire de l'armée de la nation, qui détourne l'attention des problèmes sociaux...Le patriotisme peut ainsi être considéré comme une autre forme d'opium du peuple, une religion de sortie de la religion adaptée à l'âge de la démocratie qui entretient d'illusions unanimistes un peuple exploité et constitue un instrument idéologique d'exploitation au service d'une bourgeoisie qui est parallèlement de plus en plus prompte à s'allier financièrement avec ses consœurs étrangères.

 

C'est le point de vue de Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste: « Les ouvriers n'ont pas de patrie ». Cette formule radicale que Jaurès qualifie de « boutade » dans L'Armée Nouvelle (1910) est justifiée théoriquement et pratiquement: comme le capital n'a pas de patrie et que sa domination est mondiale, comme il n'y a aucun sens à sacraliser un territoire et l'État qui le garantit, qui n'est rien d'autre qu'un instrument de domination de classe, la stratégie révolutionnaire des représentants du monde du travail doit être coordonnée internationalement et soumettre à la critique les lubies patriotiques qui désamorcent une lutte des classes qu'il faut au contraire pousser à l'exaspération en faisant en sorte que les prolétaires se reconnaissent subjectivement comme unis par des intérêts communs de prolétaires et non de français, d'anglais ou d'allemands...

Cette négation comme illusion et simple instrument d'exploitation de l'idée de patrie au nom d'un internationalisme prolétarien rejoint aussi le point de vue de Gustave Hervé, futur rallié à l'union sacrée et pétainiste (à qui l'on doit le « notre patrie, c'est notre classe »), le directeur de la Guerre sociale (revue d'extrême-gauche lancée en 1906 et bientôt tirée à 50000 exemplaires, autant que L'Humanité) et de son courant, très influent à la CGT qui a ratifié une ligne anti-patriotique au congrès d'Amiens en 1906, davantage inspiré toutefois par l'idéologie libertaire et l'anti-militarisme. La CGT, minoritaire sur cette ligne dans le syndicalisme européen, prônera ainsi jusqu'en 1914 avant que Jouhaux ne se rallie à l'Union Sacrée après l'assassinat de Jaurès, non la défense de la nation menaçant d'être démantelée, mais la grève générale révolutionnaire en cas de guerre. Néanmoins,Victor Griffuehles, dirigeant de la CGT de 1901 à 1909, est sceptique sur la capacité des socialistes et syndicalistes français, plus pacifistes que beaucoup de leurs homologues européens, à opposer des mots d'ordre anti-militaristes aux allemands notamment. Pour lui, comme le rapporte Romain Ducoulombier dans son livre La naissance du parti communiste en France paru en 2010, « toute action de la social-démocratie allemande est compromise par la bureaucratisation de ses personnels et par son intégration à l'État social impérial. Les allemands, écrit-il en octobre 1905, « n'osent pas s'engager à fond dans la lutte quotidienne, parce qu'ils craignent (autant que le gouvernement allemand) de compromettre leur propre organisation et leurs puissantes mutualités » ». (p.36).

 

A l'inverse de la ligne majoritaire à la CGT, comme la majorité sans doute des dirigeants socialistes, Jaurès se montre partisan d'un patriotisme civique héritier de la Révolution française et de l'idée républicaine: bénéficier de droits politiques, être éduqué et pris en charge par une nation qui met au cœur de son projet émancipateur la liberté, l'égalité, la fraternité, nous donne le devoir de la défendre quand elle est menacée.

Ce que Jaurès ce supporte pas, c'est le militarisme, la suppression de l'état de droit et de l'esprit démocratique dans l'armée, son noyautage par une aristocratie d'argent et de tradition réactionnaire. Son but, inspiré de la révolution française et des soldats de l'an II, est de réintégrer l'armée dans la nation, de transformer le recrutement des officiers et de les placer sous le contrôle du vote des soldats, de rapprocher l'armée de la société civile en créant, sur les ruines d'une armée de métier figée dans ses habitudes hautaines et sa différence, des milices civiles effectuant régulièrement des périodes d'entraînements et de service militaire, et encore de casser les tribunaux d'exception militaires.

Jaurès est un homme des conciliations inaccoutumées qui entend concilier « le patriotisme le plus fervent et l'internationalisme le plus généreux », ce dernier consistant surtout en son sens en l'idéal d'une fédération de nations autonomes vivant en paix sous l'arbitrage d'un droit international (Jaurès a été un des promoteurs de l'idéal qui a donné naissance à la SDN en 1919 grâce au président américain Wilson notamment) et dans le refus de la realpolitik et de la politique de puissance (Jaurès réclame ainsi que le gouvernement français intervienne pour dénoncer les exactions contre les Arméniens en Turquie, malgré les intérêts du capitalisme français dans l'Empire Ottoman).

Son patriotisme est basé sur plusieurs traditions. La patrie à laquelle nous appartenons, ce n'est pas seulement la terre des ancêtres, mais la nation républicaine en rupture avec une histoire faite de servitudes et d'inégalités sanctifiées par la tradition et la religion. La défense de la patrie de la Révolution et des droits de l'homme est présentée, dans L'Histoire socialiste de la révolution française notamment (que Jaurès rédige en 1898-1899 après sa défaite aux législatives à Carmaux), comme une cause à valeur universelle, un moyen de défense de la liberté. Pour Jaurès, la seule guerre que les socialistes puissent envisager de soutenir est donc une guerre défensive de sauvegarde de la République. Jaurès se démarque de l'outrance de la formule de Marx et Engels « les ouvriers n'ont pas de patrie » en affirmant qu' « on ne peut donner un sens à la formule qu'en disant qu'elle a été écrite à une époque où partout en Europe, en Angleterre et en France comme en Allemagne, la classe ouvrière était exclue du droit de suffrage, frappée d'incapacité politique et rejetée par la bourgeoisie elle-même hors de la cité » (L'armée nouvelle, chapitre 10).

Toutefois, pour Jaurès, Marx et Engels ont eu tort de séparer l'émancipation sociale et l'idée nationale: ce que revendiquent les prolétaires au milieu des années 1850, c'est l'accès à la dignité pleine de citoyens, la reconnaissance de leur appartenance de plein droit à la nation qui ne va pas sans l'attribution de droits sociaux et un minimum d'égalité sociale sans laquelle le corps civique n'a plus aucune forme d'unité et qui est induite dans l'accès des masses laborieuses au suffrage universel. « L'indifférence prétendue du prolétariat pour la patrie, poursuit Jaurès au chapitre 10 de L'Armée nouvelle, était le pire des contresens à une époque où partout les peuples aspiraient à la fois à l'indépendance nationale et à la liberté politique, condition de l'évolution prolétarienne ». Il n'y a donc pas à opposer revendication civique et lutte des classes puisque le combat du peuple pour l'appartenance pleine et entière à la nation a été pour le prolétariat un moment de la prise de conscience d'intérêts de classe communs et d'une force autonome, ce que démontre notamment l'épisode sans-culotte de la Révolution française.

 

Jaurès considère que l'attachement à la patrie est un sentiment parfaitement légitime, quasi universel, y compris et même surtout dans les classes populaires (Jaurès reprendrait volontiers à son compte la formule d'historien Michelet: « En nationalité, c'est tout comme en géologie, la chaleur est en bas »), qui a des effets politiques puissants que Marx et Engels ont eu le tort de sous-estimer: l'ignorance ou la sous-estimation du fait identitaire ou national s'avère d'ailleurs, à l'aune des expériences historiques d'échec ou de dénaturation des projets de révolution marxiste, comme une des principales faiblesses de la pensée marxienne...

Le patriotisme est également un sentiment qui s'appuie sur une détermination réelle des habitudes de sentiment, de pensée et d'action individuelles et collectives, par l'histoire et la culture des différents peuples, lesquels continuent à vivre en chacun de nous et à créer des comportements communs et des solidarités spontanées au-delà des différences de classes. Ainsi, Jaurès écrit dans L'Armée nouvelle que la patrie tient pour ainsi dire à la « physiologie de l'homme »:

 

« A l'intérieur d'un même groupement régi par les mêmes institutions, exerçant contre les gouvernements voisins une action commune, il y a forcément chez les individus, même des classes les plus opposées ou des castes les plus distantes, un fonds indivisible d'impressions, d'images, de souvenirs, d'émotions. L'âme individuelle soupçonne à peine tout ce qui entre en elle de vie sociale, par les oreilles et par les yeux, par les habitudes collectives, par la communauté du langage, du travail et des fêtes, par les tours de pensée et ces passions communs à tous les individus d'un même groupe que les influences multiples de la nature et de l'histoire, du climat, de la religion, de la guerre et de l'art ont façonné ».

 

Cette adhésion affective à la patrie prend d'ailleurs racine dans un terroir bien particulier, une culture locale spécifique, et Jaurès, malgré son admiration pour la Convention, n'a jamais été de ces jacobins qui au nom de la sécheresse d'un idéal d'unification rationnelle sous la bannière d'une langue et de principes administratifs et idéologiques communs, méprisaient les identités régionales comme des archaïsmes: il a eu le goût du terroir et lisait d'ailleurs avec passion de la littérature occitane, langue qu'il parlait avec les paysans de la région de Carmaux. La force de l'adhésion patriotique puise d'abord, et Jaurès n'a jamais contredi Barrès qu'il estimait sur ce point, dans un amour charnel et irrationnel de la terre de l'enfance et de la culture des « anciens » qui a bercé cette enfance. C'est le patriotisme tranquille, nullement guerrier et xénophobe par nature, du paysan et de l'homme du peuple auquel se rattache aussi Jaurès, l'opposant de manière caricaturale (non sans peut-être reprendre sans le vouloir un préjugé antisémite) à l'absence de patriotisme ou au cosmopolitisme structurel du financier: « La propriété du paysan est un morceau de sa vie: elle a porté son berceau, elle est voisine du cimetière où dorment ses aïeux, où il dormira à son tour; et du figuier qui ombrage sa porte, il aperçoit le cyprès qui abritera son dernier sommeil. Sa propriété est un fragment de la patrie immédiate, de la patrie locale, un raccourci de la grande patrie. De l'actionnaire à sa propriété inconnue, tous ces liens sont brisés. Il ne sait pas en quel point de la patrie jaillit pour lui la source des dividendes, et c'est souvent de la terre étrangère que cette source jaillit. Que de valeurs étrangères sont mêlées dans le portefeuille capitaliste aux valeurs nationales, sans qu'aucun goût du terroir permette de les discerner » (Jaurès, 1901: Études socialistes. Cahiers de la Quinzaine).

 

Toutes ces considérations amènent Jaurès à s'opposer à toute attitude de défaitisme révolutionnaire, attitude qui, avant d'avoir été théorisée par Lénine, était la réponse à une guerre des États impérialistes et capitalistes que semblait aussi préconiser la mouvance anti-militariste de la CGT et Gustave Hervé: refuser de défendre la patrie en cas de déclaration de guerre et chercher à profiter de cette situation confuse fragilisant les institutions pour mener une révolution afin de subvertir les bases de la société. « La vérité est, écrit Jaurès, que partout où il y a des patries, c'est à dire des groupes historiques ayant conscience de leur continuité et de leur unité, toute atteinte à la liberté et à l'intégrité de ces patries est un attentat contre la civilisation, une rechute en barbarie ».

 

Cependant, en 1904, la défaite des troupes russes face aux japonais avait montré que la guerre et la défaite militaire pouvaient entraîner des bouleversements sociaux considérables (révolution russe de 1905) et accélérer le mouvement de destruction des bases inégalitaires de la société. Toutefois, dans un discours à la Chambre datant de juin 1905, Jaurès écrit que même si la guerre contient des potentialités révolutionnaires dont le prolétariat ne s'interdira pas de se saisir si la bourgeoisie l'envoie au feu pour servir ses intérêts, elle est plus probablement encore une remise cause durable de la civilisation et les socialistes doivent tout faire pour empêcher qu'elle advienne dans des conditions de développement technique et d'ententes internationales qui la rendraient infiniment destructrice et non la considérer comme un mal nécessaire à exploiter:

 

« Nous n'avons pas, nous socialistes, la peur de la guerre. Si elle éclate, nous saurons regarder les évènements en face, pour les faire tourner de notre mieux à l'indépendance des nations, à la liberté des peuples, à l'affranchissement des prolétaires. Le révolutionnaire se résigne aux souffrances des hommes quand elles sont la condition nécessaire d'un grand progrès humain, quand, par là, les opprimés et les exploités se relèvent et se libèrent. Mais maintenant, mais dans l'Europe d'aujourd'hui, ce n'est pas par les voies de la guerre internationale que l'œuvre de liberté et de justice s'accomplira et que les griefs de peuple à peuple seront redressés ».

 

Et Jaurès poursuit son discours en devinant avec un curieux sens de la prémonition, neuf ans avant le déclenchement de la grande Guerre, douze ans avant la révolution bolchevik russe, quatorze ans avant la répression de la révolution spartakiste et une vingtaine d'années avant la montée du fascisme en Italie et en Allemagne annonçant les carnages plus effroyables encore de la seconde guerre mondiale, ce que pourraient être les suites d'une guerre européenne prochaine:

« D'une guerre européenne peut jaillir la révolution, et les classes dirigeantes feront bien d'y songer; mais il peut en sortir aussi, pour une longue période, des crises de contre-révolution, de réaction furieuse, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux, une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de représailles et de servitudes. Et nous, nous ne voulons pas jouer à ce jeu de hasard barbare, nous ne voulons pas exposer, sur ce coup de dé sanglant, la certitude d'émancipation progressive des prolétaires, la certitude de juste autonomie que réserve à tous les peuples, à tous les fragments de peuple, au-dessus des partages et des démembrements, la pleine victoire de la démocratie socialiste européenne...Car cette guerre irait contre la démocratie, elle irait contre le prolétariat, elle irait contre le droit des nations...».

 

Si l'on analyse ce discours de Jaurès, on s'aperçoit qu'il met trois finalités au centre du combat des socialistes, au regard desquels le combat pour la paix apparaît comme une condition essentielle: l'émancipation sociale des prolétaires, l'universalisation de la démocratie et le droit à l'auto-détermination et à l'autonomie politique des peuples.

 

Au-delà même de ces considérations, la Paix reste pour Jaurès une valeur primordiale, un impératif moral absolu, une condition de l'humanité préservée et développée de l'homme, qui n'a pas besoin d'être justifiée par autre chose qu'elle-même. Autant qu'un patriote républicain, Jaurès se situe sur un plan idéaliste inspiré par le christianisme et par le tolstoïsme ou du kantisme envisageant ces pis-allers que sont la paix armée nécessitant une défense nationale, un rapport de force construit, et des litiges réglés par des arbitrages internationaux, comme une simple étape transitoire qui doit conduire au règne des fins (pour reprendre une expression du grand philosophe et moraliste allemand du XVIIIème siècle, Emmanuel Kant, dont Jaurès était familier) de la paix définitive, qu'il faut croire possible pour ne pas désespérer de l'homme. Cette paix véritable sous l'égide d'un droit international accepté universellement exigerait une révolution culturelle et un perfectionnement moral qui peuvent paraître relever des doux rêves d'un utopiste mais Jaurès ne craint pas dire, échappant une nouvelle fois à une réduction des enjeux politiques à un prisme économique: « la race humaine ne sera sauvée que par une immense révolution morale » (l'Humanité, 11 mai 1913).

 

 

 

mur des Fédérés 1913 Vaillant Jaurès

 

Sur quels terrains s'effectue le combat de Jaurès pour la paix entre 1905 et 1914?

 

a) Il y a d'abord dans ses rapports aux hommes politiques, ses discours à la Chambre et dans ses articles de l'Humanité un décryptage critique permanent des actes de la diplomatie française, une dénonciation publique des entreprises qui pourraient nuire à la précaire paix franco-allemande et une interpellation régulière des ministres avec cette même finalité, ainsi que tout un travail pour se rapprocher des radicaux influents qui, comme Joseph Caillaux, veulent sincèrement la paix.

Ainsi, Jaurès s'oppose vivement à l'alliance de la France avec la Russie tsariste qui est perçue comme une intention belliqueuse par les Allemands et sera finalement responsable de la contagion du contentieux entre les russes et l'Autriche au sujet de l'assassinat de l'archiduc François Ferdinand par un nationaliste serbe. Jaurès soutient d'ailleurs la légitimité de l'influence turque dans les Balkans, lieu de rencontre des civilisations, contre la politique pro-slave belliqueuse des russes. Il condamne comme un facteur de déstabilisation la concurrence forcenée que se livre en Afrique du Nord et dans l'Empire Ottoman pour pénétrer les marchés et conquérir les marchés de modernisation des infrastructures les capitalismes français et allemands servis par des gouvernements mandatés par les milieux financiers. Le prolétariat est la vraie force nationale qui doit contraindre tout gouvernement belliqueux à renoncer à ses desseins guerriers au nom de la défense de la stabilité des institutions de la République et de la liberté comme au nom de l'humanité. On peut donc envisager pour Jaurès un droit d'insurrection contre les gouvernements qui voudraient mobiliser suite à une politique aventureuse et impérialiste sans avoir donné toutes ses chances à la paix, et Jaurès rappelle publiquement ce droit à l'insurrection des prolétaires contre la forfaiture d'une guerre évitable pour intimider les gouvernements qui se succèdent au début des années 1900.

Cela vaut au leader socialiste de faire l'objet d'une véritable haine dans les milieux nationalistes, dont son assassinat le 31 juillet 1914 par un nationaliste de l'ultra-droite détraqué, Raoul Villain, sera la conséquence. Lisons, parmi des centaines d'autres accusations de trahison et appels au meurtre contre Jaurès, ces tristes mots de Charles Péguy, le poète et pamphlétaire de talent, l'ancien protégé de Jaurès et dirigeant des étudiants socialistes dreyfusards converti récemment au patriotisme catholique: « Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès. Nous ne laisserons pas derrière nous ces traîtres nous poignarder dans le dos ». Dès le 23 juillet 1914, en point d'orgue, l'écrivain et journaliste d'extrême-droite Léon Daudet a signé noir sur blanc un « Tuer Jaurès! » dans L'Action française tandis que Maurras donne du « Herr Jaurès » quand il parle du tribun socialiste. Raoul Villain (qui sera acquitté le 29 mars 1919 sous la majorité de droite nationaliste de « la chambre bleu horizon ») écrit à son frère le 10 août 1914, emprisonné à la prison de la santé suite au meurtre de Jaurès: « J'ai abattu le porte-drapeau, le grand traître de l'époque de la loi de Trois ans, la grande gueule qui couvrait tous les appels de l'Alsace-Lorraine. Je l'ai puni » (Jean Jaurès, Jean-Pierre Rioux, Perrin, p. 254).

 

b)Il y a l'action au sein des congrès de la seconde Internationale ouvrière, à Stuttgart en août 1907 et à Copenhague en septembre 1910, pour mobiliser les socialistes européens sur le principe du refus du vote des crédits de guerre et de l'organisation d'une grève générale transnationale et concertée en cas de déclenchement de la guerre. Depuis 1905, Jaurès est la voix de la SFIO avec Vaillant, le vieux communard, au Bureau de l'Internationale Socialiste (BSI). Le caractère simultané et concerté de l'action internationale contre la guerre est présenté par lui comme une nécessité pour contraindre les gouvernements à la négociation et les faire abandonner leurs projets belliqueux. Le Parti Socialiste se refusera donc à prendre des engagements unilatéraux, si le socialisme allemand choisit d'accepter la conscription et de voter les crédits de guerre... En septembre 1910, à Copenhague, est votée la motion Keir-Hardie-Vaillant qui prévoit la possibilité de grèves générales coordonnées dans les pays s'apprêtant à rentrer en guerre les uns contre les autres.

En 1912, dans une atmosphère d'émotion collective contagieuse et de solennité dramatique qu'Aragon a magnifié dans son magnifique roman Les cloches de Bâle, six mille militants de l'Internationale vibrent avec Jaurès lorsqu'il présente aux délégués la résolution qui « déclare la guerre à la guerre » dont il est un des auteurs et qu'il les appelle à empêcher l'extension de la guerre des Balkans par le mécanisme diabolique des alliances européennes et qu'il invoque l'inscription en latin qui ornait la cloche de l'écrivain romantique allemand Schiller:

« Vicos voco, j'appelle les vivants; Mortuos plango, je pleure les morts; Fulgura frango, je briserai les foudres de la guerre... ».

 

A l'intérieur des rangs socialistes, on observe beaucoup de scepticisme sur la volonté réelle dont pourrait faire preuve, le moment venu, la social-démocratie allemande pour s'opposer à la guerre. Ainsi, l'historien Romain Ducoulombier rapporte qu' « à la fin de 1912, alors même que les socialistes français et allemands s'apprêtent à s'accorder sur un manifeste de désarmement, le socialiste Charles Andler, brillant universitaire germanophone et fin connaisseur de Marx, publie dans L'Action nationale un article sur les progrès du socialisme impérialiste en Allemagne dont la teneur provoque bientôt une violente polémique. « Je crois les socialistes allemands très patriotes, écrit-il...La philosophie industrialiste les domine. Or, il n'y a pas de défaite salutaire pour un État industriel ». Dans une réplique d'une agressivité inaccoutumée, publiée par L'Humanité le 4 mars 1913, Jaurès l'accuse d'être un « faussaire »... Si Jaurès assène de si fortes critiques à Andler, c'est qu'en effet son attitude disqualifie par avance toute action internationale contre la guerre ». De fait, l'évènement allait confirmer les craintes d'une partie des socialistes français puisque, début août 1914, à la grande indignation de Rosa Luxemburg qui avait été emprisonnée en février 1914 pour incitation de militaires à la désobéissance, tous les députés du SPD au Reichstag votent les crédits de guerre.

 

c)Il y a enfin la bataille contre la loi des Trois ans. Le 6 mars 1913, Briand présente à la Chambre le projet de loi faisant passer la durée du service militaire de 2 à 3 ans, alors que les radicaux étaient parvenus avec l'appui des socialistes à la faire passer de 3 à 2 ans en 1905. Jaurès présente ce projet de loi comme « un crime contre la République et contre la France » qui menace la paix en donnant des signes de volonté belliqueuse aux Allemands et au peuple français et et qui affaiblit la défense nationale. Jaurès présente un contre-projet à la Chambre les 17-18 juin où il reprend les propositions de création d'une armée populaire démocratique développées dans L'Armée nouvelle. La SFIO et la CGT, y compris sa tendance syndicaliste-révolutionnaire, décident de taire leurs différences d'appréciation sur les principes de la défense nationale et de la grève révolutionnaire en cas de guerre pour lutter ensemble contre la loi des 3 ans en organisant une campagne de sensibilisation et des meetings dans toute la France: Jouhaux, le secrétaire national de la CGT, vient au grand meeting du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913 où Jaurès parle devant 150000 personnes. Les radicaux, de leur côté, se dotent d'un nouveau leader, Caillaux, hostile comme les socialistes à la loi des 3 ans. La loi est néanmoins votée grâce à une coalition du centre-gauche nationaliste conduit par Briand et Clémenceau, du centre-droit dirigé par Poincaré et de la droite et l'extrême droite.

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7) La fin d'un monde.

 

Est-ce l'effet du rejet populaire de la loi des trois ans? Aux élections législatives de mai 1914, les nationalistes reculent et la coalition radicale de droite militariste de Barthou et Briand aussi. Le grand vainqueur, c'est la SFIO, parti qui compte désormais 72000 adhérents (à titre de comparaison, le parti socialiste comptait 44000 adhérents en 1906, 63000 en 1912, soit une progression continue assez remarquable, même si les bataillons restent légèrement garnis comparés au mastodonte de la social-démocratie allemande) et est parvenu à séduire sur son programme de conquête sociale et de défense de la paix un million et demi d'électeurs, ce qui lui permet d'étendre son influence dans les campagnes et de remporter 103 sièges à la Chambre, un record. Les « radicaux unifiés » du parti dont Caillaux a été élu président ont 136 sièges tandis que les « radicaux et républicains de gauche » en plus de 100 sièges. Les désistements entre socialistes et radicaux ont utilement joué. On a même vu s'esquisser une forme de « programme commun » pour la réforme fiscale et contre la loi des trois ans. Le président Poincaré, après un court intermède peu concluant de gouvernement Ribot, nomme président du conseil Viviani, qui malgré sa dérive continue à droite vers le centre-gauche garde la sympathie de quelques socialistes, dont Jaurès. Cette victoire électorale pleine d'espoir va toutefois se révéler un leurre.

Le 28 juin 1914, l'archiduc François Ferdinand est assassiné à Sarajevo, sanq que cela inquiète vraiment dans les premiers jours les médias et les opinions occidentales.

« Jaurès, tout en prenant la parole le 7 juillet contre les crédits demandés pour le voyage de Poincaré en Russie, ne semble pas obsédé par le risque de guerre », écrit Madeleine Rebérioux (Jean Jaurès, l'époque et l'Histoire, ouvrage édité par le Musée National Jean Jaurès à Castres. p. 126). Il déploie son énergie surtout pour empêcher le Sénat et la Chambre de dénaturer le projet d'impôt sur le revenu en exemptant notamment la rente de la réforme fiscale: « Il n'y a plus d'impôt sur le revenu », s'écrie t-il à la Chambre le 15 juillet 1914.

En juillet 1914, la presse est quant à elle surtout occupée par la couverture du procès d'Henriette Caillaux qui a tué d'un coup de révolver le directeur du Figaro, Calmette, qui menait depuis plusieurs semaines une campagne très dure contre son mari, divulguant les liaisons amoureuses du leader radical et l'accusant d'avoir mené des tractations secrètes et intéressées avec l'Allemagne au moment de la crise marocaine de 1911.

Joseph Caillaux dépose au procès de sa femme 

La dernière semaine de la vie de Jaurès commence le 25 juillet quand il apprend l'ultimatum autrichien. A Vaise, le soir même, dans son dernier grand discours, il évoque la responsabilité de tous les pays, de tous les peuples dans le massacre dont il entrevoit l'horreur:

 

Discours de Vaise: « Je veux vous dire ce soir que jamais nous n'avons été, que jamais depuis quarante ans, l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! Citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demi-heure, entre l'Autriche et la Serbie signifie nécessairement qu'une guerre entre l'Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l'Autriche que le conflit s'étendra nécessairement au reste de l'Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes, à l'heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l'Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu'ils pourront tenter....Chaque peuple paraît à travers les rues de l'Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l'incendie...La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l'Autriche ont contribué à créer l'état de choses horrible où nous sommes. L'Europe se débat comme dans un cauchemar. Et bien! Citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du désastre qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne. Vous avez vu la guerre des Balkans, une armée presque entière a succombé...une armé est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille. Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe: ce ne serait plus comme dans les Balkans, une armée de 300000 hommes, mais quatre, mais cinq et six armées de 2.000.000 d'hommes. Quel désastre, quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis... Quoiqu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères et que tous les prolétaires, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, et nous, demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar... ».

 

Ce discours de Jaurès montre que contrairement à la plupart des responsables politiques français qui se sont résigné à la guerre ou l'ont voulu, et contrairement aussi à beaucoup de ses camarades qui se sont rallié à l'Union Sacrée, Jaurès sentait que la guerre imminente serait mondiale, ferait des millions de morts, et durerait longtemps, avec des conséquences humaines et sociales effroyables. Il montre aussi qu'à la veille de la guerre probable, Jaurès appelle les socialistes français à ne pas s'en rendre complices, à refuser leur soutien et sans doute aussi leur mobilisation au gouvernement, en même temps, mais sans que la première chose soit explicitement conditionnée par la seconde, qu'il appelle tous les travailleurs socialistes européens des pays belligérants à préférer la solidarité humaine et prolétarienne internationale aux devoirs légaux et patriotiques en faisant tout ce qu'ils peuvent pour empêcher que cette guerre se déclenche.

Et Jaurès d'interpeller le gouvernement français pour qu'il sollicite un arbitrage international et enraye la pente fatale du mécanisme des alliances entre la France et la Russie d'un côté, l'Autriche et l'Allemagne de l'autre, mais il ne croit plus forcément qu'il sera entendu.

Le 28 juillet, jour de l'acquittement de Mme Caillaux bien défendue par l'avocat dreyfusard Labori, l'Autriche déclare la guerre à la Serbie.

Le 29 au soir, quand Jaurès prend la parole à un grand meeting à Bruxelles, il garde encore un espoir, s'exclamant même « Atila trébuche », pensant que l'état de tension peut se prolonger encore quelques semaines, sans que la guerre soit déclarée immédiatement. C'est pourquoi, de retour à Paris le soir, il demande à la délégation de la CGT qu'il reçoit dans les locaux de l'Humanité de reculer la manifestation monstre contre la guerre qu'ils avaient prévu le 2 août au 9 août, date d'ouverture à Paris du congrès de l'Internationale, afin d'y voir plus clair.

Le 30, le tsar, apprenant que l'artillerie austro-hongroise a bombardé Belgrade, ordonne la mobilisation de l'armée russe. Le 31, le gouvernement allemand décrète « l'état de danger de guerre » et le soir même Villain abat Jaurès au café du Croissant, près du siège de l'Humanité dans le quartier du Sentier, de deux coups de révolver.

Dès le 4 août, l'union sacrée se manifeste autour du cercueil de Jaurès dont la mort est interprétée comme le martyre qui scelle l'alliance de tous les républicains pour défendre la paassassinat de Jean Jaurèstrie en danger.

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Ismaël Dupont.

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 15:21

Vous trouverez ci-dessous le rapport présenté par Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, lors du Conseil national du PCF des 8 et 9 avril 2011.

 

Nous sommes réunis aujourd'hui pour un Conseil national de grande importance. Les décisions que nous avons à prendre vont beaucoup compter comme nous le savons tous. Elles sont très souvent ramenées à la seule question de notre choix de candidature pour l'élection présidentielle. Ce choix essentiel sera au cœur de nos décisions puisque nous ouvrons aujourd'hui le processus qui doit nous mener jusqu'à la conférence nationale de juin. Je veux toutefois dire d'emblée, et je m'efforcerai de le montrer dans le rapport, que l'enjeu déborde largement cette question. Elles s'inscrivent en effet dans une situation politique à proprement parler exceptionnelle. Pour mener ce débat, soyons attentifs à ce que nous disent les communistes. Leurs exigences sont claires. Ils souhaitent un débat respectueux dont nous sortions unis, quelles que soient les décisions prises. Ils souhaitent aussi disposer en connaissance de cause de tous les éléments nécessaires à leur prise de position, y compris de l’avis motivé de leur direction.

Transparence et esprit de responsabilité, voilà ce qui animera donc l’esprit de mon rapport.

 

LA SITUATION POLITIQUE A LA LUMIERE DES ELECTIONS CANTONALES

 

Au lendemain des élections cantonales, je veux commencer par adresser toutes mes félicitations aux communistes, à tous les candidat-e-s qui portaient les couleurs du Front de gauche, à tous nos élu-e-s, singulièrement les nouveaux. L'abstention était orchestrée par le pouvoir dans ces élections, nos militants ont sauvé l'honneur de la démocratie, en menant une remarquable campagne de terrain à l'opposé du boycott officiel. Cela a payé. Bravo à toutes et tous. Bravo à tous nos camarades. La signification de l'abstention La moitié du pays était appelée aux urnes. C'est pourtant l'abstention qui a constitué l’événement des premier et second tours de ces cantonales. Nous sommes devant le niveau d’abstention le plus haut à des cantonales depuis la Libération. Avec une progression de +19,59% par rapport au scrutin 2004, nous sommes même confrontés au plus fort accroissement de l’abstention entre deux élections strictement comparables, de l’histoire de la Cinquième République. J'ai souligné l'importance du travail de proximité des militants et candidats du Front de gauche et des communistes en particulier. Les résultats sont là : 78% des électeurs de Marie George Buffet au 1er tour des présidentielles de 2007, selon les enquêtes sorties des urnes, 68% de ceux du Front de gauche aux Régionales 2010 et 62% des sympathisants communistes ont voté aux cantonales. C’est chez eux qu’on trouve le moins d’abstentionnistes. Autre fait notable, il n’y a pas eu de sursaut de participation au second tour alors que se sont tenus plus de 400 duels Gauche/FN ou Droite/FN.

Le black-out du pouvoir et des médias a joué, mais à l'évidence, le phénomène est plus profond. A l’exception des présidentielles où la tendance est plutôt à la hausse de la participation, tous les autres scrutins, y compris les élections locales, sont affectés par une tendance lourde et accélérée à l’accroissement de l’abstention. Le fossé entre les attentes populaires et les réponses apportées par les politiques mises en œuvre ne cesse de s'accroître. La confiance des citoyens dans la capacité de leurs élus à régler leurs problèmes concrets se dégrade, dans un contexte où beaucoup se sentent abandonnés par l’Etat et les institutions.

Ce reproche d’impuissance se conjugue souvent avec une extension des pratiques clientélistes. Un nombre croissant de nos concitoyens ne se reconnaît plus dans la vie politique. Ce fait majeur ne peut être interprété en même temps comme un désintérêt massif pour la chose publique. Plus de sept millions de personnes ont participé activement au mouvement des retraites, il y a quelques mois seulement. Les évènements internationaux, de la Tunisie à la catastrophe du Japon, suscitent de profonds débats populaires. Et si les opérations du pouvoir sur l'identité nationale ou la laïcité suscitent tant de remous et de rejet, c'est parce qu'une majorité du pays n'y retrouve pas les valeurs du vivre ensemble auxquelles elle reste attachée. En vérité, nos concitoyens sont en recherche de nouveaux repères, d'un nouveau récit collectif ou national dans lesquels se projeter. Les frustrations politiques sont d'autant plus grandes que la crise avive les urgences sociales, et que la puissance des résistances aiguise les attentes de changement. Notre pays peut se désespérer. Il est aussi disponible pour le meilleur. Cette contradiction, confirmée par le reste des résultats, est un enjeu central pour les mois à venir. Le rejet de l'UMP de Nicolas Sarkozy L’UMP et les candidats divers droite ont dans ce contexte obtenu des résultats en fort recul par rapport à 2004, respectivement 16,97% et 9,32% en 2011, alors qu'ils atteignaient en 2004, 20,95% pour l’UMP et 11,36% pour les divers droite. Bien qu’amorti en particulier en termes de sièges par l’implantation de certains notables et par les duels Droite/FN, ce recul est général. Dans les cantons les plus populaires, il entraîne une marginalisation politique de l’UMP qui est éliminée dès le 1er tour. Ce reflux de la droite est d’autant plus significatif que les cantonales de 2004 avaient déjà été catastrophiques pour l’UMP et ses alliés. Il s’inscrit dans une tendance lourde amorcée aux municipales de 2008, confirmée aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010.

Derrière ces résultats des cantonales, se confirme le rejet massif de la politique de Nicolas Sarkozy. Il est désormais profond et durable, atteignant même une partie de l'électorat de la droite. Il confirme la rupture entre Nicolas Sarkzoy et de larges couches du monde salarié qu'a constitué, comme nous l'avions analysé, le mouvement des retraites. « Sa première grande défaite politique depuis le début du quinquennat » avions-nous dit. Il est d'autant plus significatif qu'il se confirme au terme d’une séquence active du pouvoir pour reprendre l'initiative. Qui se souvient aujourd'hui du choc que devait constituer le remaniement de novembre? Quant à la tentative de rééditer la captation des thèmes lepénistes comme en 2007, elle ne nourrit cette fois que Marine Le Pen et le FN, et déchire le pouvoir en son sein. Il ne semble pourtant pas que le clan sarkozyste envisage de corriger le tir. Jean-François Copé sur la laïcité, Claude Guéant sur les musulmans poussent les feux de la provocation. Jusqu'où et pourquoi ? Toutes les hypothèses sont à envisager: d'une stratégie d'apprentis sorciers prêts à instrumentaliser le FN pour tenter de sortir gagnants pour la présidentielle du chaos politique ainsi créé, jusqu'à la tentation d'alliances à l'italienne avec une extrême-droite banalisée. Les dangers sont multiples. La vigilance et la mobilisation sont à coup sûr de mise. Nous ne devons rien laisser passer. C'est une ligne de pente extrêmement dangereuse d'un pouvoir aux abois, mais probablement prêt à tout pour sauver son pouvoir et les intérêts nationaux et internationaux des puissants qu'il sert. Oui, tout, jusqu'à la guerre comme on le voit avec l'engagement brutal de la France en Libye et en Côte d'Ivoire. La poussée du FN : inquiétante et résistible

Dans ces conditions, il convient évidemment de prendre au sérieux la poussée du FN. Au-delà de ces scores électoraux, tout se passe comme si un mouvement de cristallisation s'était opéré en quelques mois sous le triple effet d'une aggravation forte de la crise sociale, du contre-coup du vote de la loi sur les retraites et de la banalisation du FN à la faveur de l'élection de Marine Le Pen à sa tête. Dans ces élections cantonales, le FN progresse de près de 3% passant de 12,13% en 2004 à 15,06% alors qu’il se présentait dans 388 de moins qu’en 2004. S'il n'obtient que 2 élus, 35 départements ont accordé au FN plus de 20%, et il dépasse la barre des 15% dans 67 départements. Si le parti d’extrême droite garde sa géographie électorale traditionnelle, il mord maintenant chez les ruraux et dans les zones d’habitation des classes moyennes dans la grande périphérie des métropoles urbaines. Il mord également de manière significative sur l’électorat populaire de droite, et dans les zones de désindustrialisation, il attire à lui dans des proportions non négligeables des électeurs de faibles cultures partisanes ainsi que certains anciens abstentionnistes, voire certains électeurs d’extrême gauche en perdition. Il serait illusoire et dangereux de ramener la progression du FN au seul siphonnage, bien réel, des voix de l’UMP. Le FN puise de plus en plus d’électeurs parmi le nombre croissant de Français qui ne se réclament ni de la gauche, ni de la droite. Comme en Italie, aux Pays-Bas et dans d’autres pays d’Europe, le parti d’extrême droite a engagé sa mue populiste devenant capable d’attirer les suffrages d’une classe moyenne inquiète pour son avenir face à la mondialisation, en perte de repères politiques et étant ainsi de moins en moins sensible aux arguments anti-fascistes traditionnels. Plusieurs leçons doivent être tirées sans attendre.

Le combat des valeurs, pour l'égalité des droits et le refus des xénophobies doit être mené avec une vigueur renouvelée car nous savons qu'en période de crise bien des digues peuvent lâcher. Nous dirons toujours non à la banalisation du racisme, partout et en toutes circonstances. Cela ne peut toutefois suffire. C'est d'abord à un travail de terrain, d'argumentation dans la proximité, de solidarité concrète dans la lutte face à la violence du système capitaliste que cette situation nous appelle. Dans les entreprises, comme dans les quartiers. Le masque social dont fait mine de s'affubler le Front national doit être arraché, argument contre argument, en étant au plus près des salariés durement frappés par la crise. Les promesses sociales vont fleurir comme jamais dans les discours du FN. Mais qui doit payer ? La « préférence nationale » répond systématiquement le FN de manière totalement illusoire et démagogique, en montrant du doigt les immigrés pour exonérer la responsabilité des prélèvements financiers capitalistes sur les richesses créées par l'ensemble des salariés. C'est une énorme supercherie. Ce que le FN cache aux travailleurs, ce sont les réels profiteurs du système, les actionnaires, ce qui touche les dividendes, et autres tireurs de ficelles patronaux du dumping social mondialisé. Non, la richesse de notre travail ne s'envole pas vers l'île de la misère de Lampedusa. Elle tombe dans les coffre-forts des îles Caïman, et autres paradis et niches fiscales, tous taillés sur mesure pour le capital. A nous de lever ce voile et de désigner les vrais responsables de la crise. Au fond, nous le savons, le seul moyen de faire reculer durablement le FN est de construire les voies d'une alternative politique de gauche crédible, et c'est évidemment là que le bât blesse encore très fort. PS : des résultats satisfaisants sans élan Le rapport global Gauche/Droite a évolué favorablement dans ces élections cantonales par rapport au premier tour de 2004, la gauche devient majoritaire avec 50,45% des exprimés contre 48,18 % pour la droite. Dans ce résultat global, le PS qui avait atteint en 2004 le score de 26,25% des suffrages exprimés, plafonne à 24,94%. Cette érosion s’explique d’abord par le très haut niveau d’influence atteint en 2004, et aussi par une baisse de 2% du nombre de candidats y compris du fait des accords PS-EELV. Dans certains cantons, une partie de l’électorat du PS a été captée par EELV, ou par le Front de Gauche, comme en Seine St Denis, dans les Hautes Pyrénées, dans la Haute Garonne ou la Haute Vienne par exemple. Au total, le PS, le PRG et les DVG passent de 1013 sortant à 1003 conseillers généraux soit un solde négatif de 10 conseillers généraux. Le PS et la gauche gagnent les Conseils généraux des Pyrénées Atlantiques, et le Jura. Il perd le Val d’Oise. EELV : loin de leurs espérances EEVL passe de 4,1% en 2004 à 8,22% des exprimés. Cette nette progression s’explique en grande partie par une forte augmentation du nombre de candidats par rapport à 2004. EELV couvre aujourd'hui 60% des cantons métropolitains contre 36,51% en 2004. EELV voit son nombre de conseillers généraux passer de 12 sortants à 27 élus au soir du 2e tour. Les candidatures uniques EEVL-PS ont certes permis de booster le score des écologistes mais sans créer de dynamique électorale, le résultat des candidats uniques EEVL-PS étant généralement égal ou inférieur à l’addition des scores du PS et des Verts en 2004. De plus, cette stratégie se traduit essentiellement par une perte sèche pour le PS et n’apporte rien à la gauche : sur les 27 élus, 8 étaient sortants et 14 sont gagnés sur la gauche dont 11 sur le PS. FDG et Parti communiste : des résultats convaincants et encourageants

Dans ce contexte difficile, après les européennes de 2009, et dans une moindre mesure les régionales de 2010, le Front de gauche continue à progresser. Ce progrès est notable dans les deux tours. Il a été très largement apprécié par les communistes. Les candidats du Front de gauche obtiennent nationalement quasiment 9%, 8,92% exactement, contre 7,79% pour le PCF et ses soutiens en 2004, soit une progression de +1,13%. Cette progression touche 70 départements métropolitains sur 95 avec une très forte capacité de rassemblement des conseillers généraux communistes sortants, même si les dynamiques sont inégales. Sur les seuls cantons où il y avait un candidat du Front de Gauche, le score atteint est de 11%. Sur les 1254 cantons où un communiste représentait le FDG en 2011 et le PCF en 2004, les scores sont de 10,58% contre 9,44% soit une progression de +1,36% des exprimés. Il faut évidemment souligner dans ce résultat global, les résultats de nos camarades de l’Allier emmenés par le président communiste du département Jean-Paul Dufregne, qui renforcent leur majorité départementale, et évidemment ceux du Val-de-Marne, qui avec Christian Favier, remportent une victoire d’autant plus nette et éclatante qu’une opération concertée PS-EELV s’était clairement donnée l’objectif d’un basculement de majorité. Il faut ajouter une mention particulière pour nos résultats en Seine-Saint-Denis qui confirment nos possibilités de reconquête. Nous pouvons tous, je crois, féliciter les camarades de ces départements, dont l’écho des résultats a évidemment une dimension nationale. Dans l’ensemble, le Front de Gauche fait une percée relative chez les 18/24 ans avec 12% des votes, dans les professions intermédiaires avec 14% et dans une moindre mesure chez les ouvriers avec 11%. Le Front de Gauche est dans ces élections la seconde force à gauche devant Europe Ecologie Les Verts (EELV) et retrouve presque les scores du PCF de 1998. Il obtient 118 élus en France métropolitaine, 113 communistes et apparentés et 5 PG. Sur les 37 duels de second tour contre le FN, le Front Gauche en a gagné 36. C’est face au Front de gauche qu’en moyenne les progressions du FN entre les deux tours ont été les plus faibles. Les communistes et apparentés ont gagné 17 élus et en ont perdu 8 soit un solde positif de 9. C’est la première fois depuis 1998 que nous progressons en nombre d’élus aux cantonales. Le Parti de Gauche, dans des conditions difficiles puisque ses sortants avaient été élus comme candidats PS en 2004, reste stable en sièges. Il en a perdu 3 mais en a gagné 3. L’analyse de ces bons résultats est à poursuivre dans chaque fédération. Je fais juste trois remarques supplémentaires. Le travail de terrain a été décisif. Il confirme que le militantisme de proximité et l’ancrage territorial du PCF, pas seulement dans les cantons sortants, sont des atouts de premier plan pour la dynamique générale du Front de gauche. Deuxièmement, la tendance nationale de ces résultats confirme l’effet Front de gauche qui crée une dynamique de rassemblement indéniable. Enfin, les signes très clairs de rassemblement que nous avons donnés au soir du premier tour ont amplifié cette dynamique en faveur de nos candidats présents au second tour. Le gain de certains élus, dans des rapports de force de premier tour parfois improbables, est de ce point de vue significatif, notamment face à des élus PS ou EELV qui s’étaient maintenus contre nous. L’ensemble de ces remarques détaillées nous donne des indications précieuses sur les évolutions politiques en cours. Elles ne peuvent toutefois, compte tenu du niveau de l’abstention, conduire à des projections hâtives sur les futures échéances politiques. Elles dressent un tableau des enjeux dont les grands traits sont clairs : notre pays est plongé dans une crise et une instabilité politiques inédites, qui appellent des réponses alternatives fortes à gauche. Faute de cela, les risques de dérive droitière, voire d’extrême-droite, sont sérieux. En vérité, pour bien prendre la mesure des défis de la période, il faut absolument élargir notre champ de vision et comprendre que nous vivons à bien des égards une période politique à proprement parler exceptionnelle.

 

UNE SITUATION POLITIQUE EXCEPTIONNELLE

 

La crise financière mondiale de 2008 a ouvert une période historique nouvelle. Nous avions alors souligné le caractère global et systémique de cette crise. Tout ce qui se passe depuis nous fait mesurer l'ampleur des bouleversements en cours. La contradiction entre la domination des logiques capitalistes sur la planète tout entière et la nouveauté des besoins humains et écologiques qui s'affirment en butant toujours plus sur le système s'aiguisent à vitesse accélérée. Le monde change sous nos yeux. Pour le pire comme pour le meilleur.

Et dans notre pays aussi, tout est possible dans un sens comme dans l'autre. La France en danger: ça ne peut plus durer. En 2008, face à la crise, un an et demi après son élection, Nicolas Sarkozy promettait de révolutionner le capitalisme. Depuis, sa politique, monarchique et antisociale, n'a fait qu'enfoncer le pays et fragiliser l'économie nationale en sacrifiant la production des richesses aux intérêts du capitalisme financier. Le cynisme de l'argent est aux commandes, indifférent aux drames humains et écologiques qu'il engendre.

La vie sociale, l'investissement dans le travail de millions de nos concitoyens sont bafoués. Ils voient leur existence basculer ou en passe de l'être, vivent dans le stress, l'inquiétude de l'avenir ou du chômage. L'emploi industriel est cassé - 700.000 emplois perdus en dix ans - et l'emploi public est massacré, faisant craindre pour l'avenir du pays lui-même et de sa jeunesse. De la Fondation Abbé-Pierre aux études de l'INSEE, toutes les enquêtes qualitatives confirment un sentiment de régression sociale devenu massivement tangible. 2,9 à 3,5 millions de femmes et d'hommes vivent dans des logements indignes ou sont sans-abris. Des salariés chaque jour plus nombreux accumulent les emplois précaires et se tuent à la tâche pour survivre. 25% de la population renoncent aux soins médicaux dont ils ont besoin. Des millions ne pensent plus qu' à boucler la fin du mois avec 750 euros mensuels quand des patrons licencieurs et spéculateurs empochent 150 fois plus, quand actionnaires et traders se partagent la plus grosse part du gâteau des 83 milliards d'euros de profits du CAC 40. Près d'un tiers des revenus des foyers français, à peine empochés, partent chaque mois directement dans le paiement du loyer et des charges. Comment s'étonner alors devant l'envolée des prix qu'un salarié écrive dans un de nos cahiers citoyens: ne parlez plus de pouvoir d'achat mais de pouvoir « de vivre ».

Cette société de plus en plus insupportable, qui n'offre plus d'avenir lisible, cette explosion des inégalités et de la mal-vie qui s'accompagne d'une brutalité et d'un cynisme arrogant de la part du président, de sa majorité et du Medef, provoquent des réactions de plus en plus vives et aussi de plus en plus contradictoires . La lutte des classes plus forte que jamais réapparaît dans les consciences; la révolte cohabite avec le sentiment d'impuissance. Qu'ils soient cadres ou jeunes travailleurs précaires, 87% des Français déclarent dans une enquête que, pour éviter les destructions d'emplois, il serait acceptable d'abaisser le niveau de rentabilité des entreprises exigées par les actionnaires, mais seuls 38% estiment cette perspective réaliste.

Le système est mis en accusation, sans que les responsabilités soient clairement identifiées. La crise du système et la politique de Nicolas Sarkozy mettent à nu dans les consciences les dangers encourus par le pays tout entier. C'est la France, la République dans ses fondements qui semblent mises en danger. La RGPP, l'asphyxie budgétaire et la réforme des collectivités territoriales, les lois liberticides et anti-jeunes, la déstabilisation de l'école, des services de santé, l'attaque contre la laïcité ... rien de ce qui est stable ou susceptible de faire socle et appui pour le peuple n'est épargné.

Tout espoir individuel ou collectif de progresser semble fragilisé. Ce sentiment de déclin heurte de plein fouet les valeurs persistantes du vivre ensemble, de la solidarité, de l'égalité que le pouvoir n'a décidément pas réussi à extirper des tréfonds de notre société. Notre peuple souffre mais n'a pas renoncé à l'espoir. Même le Front national cherche à capter ces valeurs, pour tenter d'incarner un nouveau destin collectif pour les « Français », qui n'est qu'un masque de la « préférence nationale ». Désormais, dans tous les sondages, Nicolas Sarkozy est donné battu en 2012. Ce n'était encore pas le cas, il faut le souligner, à l'automne au sortir du mouvement sur les retraites. Aujourd'hui, c'est le « tout sauf lui » qui domine. Le pouvoir l'a compris. Il s'acharne pour cela à diviser, à opposer, à cultiver la peur et le repli, à disqualifier toute résistance, à étouffer dans l'œuf tout espoir de changement. Face à lui, les résistances continuent d'être massives et multiformes. Du mouvement social contre la réforme des retraites aux rassemblements du 2 avril dernier pour la défense des hôpitaux publics, toutes les luttes sociales et salariales qui ne cessent depuis janvier 2010 de Dunkerque à Marseille en sont la manifestation.« Ça ne peut plus durer ainsi » est l' idée qui grandit et qui s'impose progressivement à tous qu'elle porte d'ailleurs en elle l'envie d'agir ou le poids du désespoir. Qu'adviendra-t-il de cette exaspération et de cette exigence populaire de changement?

Tel est exactement l'enjeu de l'année à venir.

 

Le Pacte pour l'Euro + : un coup de force qui accélère la crise.

 

Dans l'Europe toute entière, le choc des aspirations populaires et des politiques capitalistes de crise prend des proportions inégalées. Après la Grèce, l'Islande, l'Irlande, c'est au tour du Portugal de déclarer faillite, en vérité, de sombrer sous les coups des stratégies libérales ultra-spéculatives. Et quelle est la réponse apportée par les gouvernements de l'Union sous l'impulsion d'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy? Le pacte de l'euro +, une machine de guerre contre les travailleurs, les services publics et la souveraineté des Etats. Avec ce Pacte, un cap gravissime a été franchi en catimini au dernier conseil européen des 24 et 25 mars derniers.

Ce pacte institutionnalise et étend les politiques d'hyper-austérité à tous les pays membres. Il impose autoritairement à chaque État européen d'engager des réformes calquées sur les politiques d'ajustement structurel du FMI et d'en rendre compte annuellement. Au nom de la compétitivité, il est ordonné à chaque Etat de baisser encore les coûts salariaux dans le privé comme dans le public. Au nom de l'emploi, il leur est ordonné de « favoriser la flexisécurité », autrement dit, la maxi-précarité qui touche déjà 40% des actifs en Europe, et de transférer la fiscalité sur le capital vers la consommation : c'est le retour de la TVA sociale. Il ordonne d'augmenter l'âge du départ en retraite partout. Enfin, chaque Etat doit inscrire dans sa loi fondamentale la règle d'or du « frein à l'endettement », autrement dit la réduction drastique et programmée de toutes les dépenses publiques.

Cette régression sociale généralisée à l'échelle européenne s'accompagne d'un recul démocratique sans précédent: les parlements nationaux et la souveraineté budgétaire des peuples sont bâillonnés, tandis que consigne est donnée de réviser à la baisse droits syndicaux et processus de négociation sociale. En tant que Président du PGE, j'ai lancé un appel aux forces démocratiques et sociales, le 12 mars dernier à Athènes, à la construction de fronts de résistances contre ce pacte. Dans ce cadre, et avec nos partenaires du Front de gauche, nous proposons de tenir à Paris début mai un grand meeting de lutte et de propositions – en même temps que le débat à l'Assemblée nationale sur la réforme constitutionnelle – pour révéler et alerter – comme l'a entrepris L'Humanité – sur le contenu de ce pacte et pour lancer un appel à la mobilisation en France. Compte tenu du rejet sans appel par le mouvement syndical et la CES de ce Pacte, nous ne serons pas seuls dans ce combat.

Les mobilisations contre l'austérité se déploient partout en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Angleterre à nouveau où le 26 mars s'est déroulée une manifestation d'une ampleur qui ne s'était pas vue depuis Thatcher, à Budapest demain avec l'euro-manifestation syndicale. Les impasses capitalistes éclatent partout France, Europe... mais c'est partout le monde qui craque sous les contradictions. Et chaque fois, les impasses du système capitaliste révèlent son incapacité à prendre la mesure des changements qui frappent à la porte du monde. La crise monétaire et financière mondiale? Après la crise de 2008, on allait voir ce qu'on allait voir au G8 et G20 sur la refonte du système monétaire international. L'enfoncement est patent. Nous serons donc des mobilisations et contre-sommets que la coalition nommée « Les peuples d'abord, pas la finance » va organiser en France lors des réunions des G8 et G20, dès le 21 mai prochain au Havre, et à Cannes en novembre. La catastrophe au Japon? Que devient le grand débat politique énergétique agité dans l'urgence et dans l'émotion à des fins électorales? A quand la mise à plat des choix énergétiques, nucléaire et autres, le questionnement des stratégies de rentabilité et de privatisation, le débat sur la maîtrise publique, la programmation de la transition écologique énergétique mondiale? Le débat passionnant que nous avons tenu le 29 mars dans ces murs reste à ce jour la première et la seule initiative de confrontation publique. A nous donc de poursuivre et de relever le défi.

 

Les révolutions arabes.

 

Le gouvernement français s'est particulièrement distingué et déshonoré. Le développement de mouvements populaires et de luttes sociales dans un monde arabe en révolution constitue un fait majeur. De la Tunisie au Yémen, de l'Égypte à la Syrie en passant par Barheïn, dans des contextes politiques et sociaux très différents, l'aspiration à l'exigence démocratique, la demande de justice sociale et le besoin de souveraineté s'affirment partout avec une grande force. Ces bouleversements témoignent des limites atteintes par des régimes complètement dépassés par les évolutions du monde, incapables de répondre aux attentes des peuples et de la jeunesse, sinon par la répression, la censure et la fermeture. C'est une grande bataille qui s'est ainsi engagée.

Après les changements intervenus en Amérique latine, les bouleversements du monde arabe - véritable basculement de l'histoire pour tous ces peuples- indiquent à quel point le monde bouge, à quel point le mépris des libertés, les politiques néo-libérales et les plans d'ajustement structurels, les rapports néo-coloniaux, les dominations... tout cela est contesté et peut mobiliser pour s'en libérer. Voilà ce que nous disent ces peuples qui surmontent les peurs et qui se rassemblent dans des luttes pour de vrais changements politiques et sociaux. La Libye, la Côte d'Ivoire? L'hypocrisie de la politique française et des puissances dites « occcidentales » éclate au grand jour. Leur politique interventionniste et militaire à géométrie variable se pare de déclarations sur le devoir de protection des peuples en danger mais ne visent qu' à défendre leurs intérêts et ceux des multinationales. On voit bien que l'Administration américaine a pesé de tout son poids pour sauver l'essentiel des intérêts américains et occidentaux dans une région stratégique comme la Libye. On mesure bien ce que Nicolas Sarkozy voulait signifier en disant que la France devait se réinsérer dans la « famille occidentale » : réintégration complète dans l'OTAN; intégration dans les zones de guerre américaines avec un renforcement des troupes françaises en Afghanistan et installation d'une base militaire dans le Golfe persique, en face de l'Iran. Alors que notre pays pourrait jouer un rôle positif au plan international en favorisant le traitement politique et diplomatique des conflits, en faisant la promotion de la coopération et du désarmement, Sarkozy fait de la France une nation guerrière présente en Afghanistan, en Libye et, maintenant, en Côte d'Ivoire. Voilà le monde dans lequel nous vivons et qui inquiète tant nos concitoyens. Voilà le monde qui appelle tant de changements et qui paraît à beaucoup d'entre eux qui ne le supportent plus si difficile à changer. Voilà le monde dont pourtant tant d'hommes et de femmes dans notre pays aspirent à s'émanciper.

 

LE DEFI DE L’ALTERNATIVE AU POUVOIR DE NICOLAS SARKOZY

 

Nous sommes bien là au cœur de la question politique du moment. Notre pays est en souffrance, il aspire au changement pour vivre mieux, vite, et pour retrouver le goût de l'avenir et d'un destin collectif. Il est plus que jamais en équilibre instable: défiant à l'égard de la politique mais pas résigné face aux inégalités; cherchant à avancer mais doutant de lui-même et de sa force; enclin à combattre mais enfermé dans un paysage politique qui ne lui donne pas envie. Voyons les obstacles mais surtout ne perdons pas de vue l'essentiel : la recherche persistante et multiforme d'une alternative de progrès continue de mobiliser dans les formes les plus diverses, mais de manière récurrente des millions et des millions de nos concitoyens. Comment ouvrir le chemin de cette alternative avec nos concitoyens ? C'est à cela qu'il convient de consacrer toute notre énergie et notre créativité politique.

Pourquoi la gauche ne crée pas d'élan suffisant à un an d'une élection présidentielle qui s'apprête à précipiter le débat politique, pourquoi la gauche ne semble pas susciter l'élan que le rejet du pouvoir sarkozyste pourrait nourrir à son égard? Tout simplement parce que la gauche n'apparaît pas en mesure de remplir deux conditions qui paraissent incontournables aux Français. 1) porter un projet de changement qui semble réellement capable de changer la vie; 2) s'unir sur ce projet pour être suffisamment forts et gagner.

En somme, la gauche n'apparaît pas capable de s'unir sur la politique de changement attendue par les Français qui la désirent. Ainsi, la situation à gauche à l'issue du mouvement sur les retraites a-t-elle laissé un goût amer à de nombreux salariés. Satisfaits de la présence de la gauche dans les manifestations, beaucoup ont douté jusqu'au bout de la fermeté des engagements du PS et entendu ses ambiguités sur la portée effective du droit à la retraite à 60 ans. La présentation par Martine Aubry du programme du PS le 5 avril dernier est-elle en mesure de changer ce sentiment? « Le ton d'ensemble des propositions socialistes est sans doute le plus à gauche que le PS ait produit depuis 1981 », a-t-on entendu chez certains commentateurs. Des mesures utiles figurent effectivement au rang des priorités annoncées pour 2012, mais bien timides dans l'ensemble. Et surtout la faiblesse structurelle demeure : aucune remise en cause sérieuse sur l'Europe, rien de fort sur la répartition des richesses, ni sur la fiscalité du capital, aucune inversion de tendance sur le financement de la protection sociale, pas trace par exemple de la cotisation des revenus financiers que nous proposons. Des fragilités majeures qui risquent de réduire bien vite à peau de chagrin les bonnes intentions affichées. Si l'on ajoute à cela les incertitudes créées par l'issue de la primaire socialiste, cela fait décidément beaucoup de doute à dissiper. Quant à Europe-Ecologie Les Verts, là aussi l'incertitude des primaires est totale, sans compter qu'entre Eva Joly et Nicolas Hulot, on a effectivement bien à distinguer lequel des deux est le plus à gauche, ou le moins comme l'on voudra.

 

L'espoir du Front de gauche

 

Pour qui souhaite ouvrir un nouvel espoir, le Front de gauche apparaît bel et bien dans ces conditions comme la meilleure chance de relancer la gauche. Car pour nous, la force du Front de gauche est plus que jamais de lier indissociablement l'ambition d'un projet alternatif et celle du rassemblement. Le Front de gauche, disions-nous en janvier, « c'est pour nous l'espace de coopération de toutes celles et ceux qui veulent construire le nouveau projet alternatif que devrait porter la gauche ». Nous nous adressons, dit le texte du 31 mars, « à tous les électeurs de gauche, mais aussi à toutes celles et ceux qui s'abstiennent, celles et ceux qui ne croient plus en l'action politique pour reconstruire avec nous un nouvel espoir ». Rien ne changera en 2012 sans qu'une dynamique politique ne se construise, non pas autour d'une femme ou d'un homme, mais autour d'objectifs, de propositions politiques qui permettent réellement le changement et qui soient consciemment partagés par un maximum de nos concitoyens. J'ai répondu à des journalistes qui me demandaient de choisir un candidat « mon candidat, c'est le Front de gauche ». Ce n'est pas qu'une boutade. Ce que nous construisons, c'est un rassemblement unitaire, c'est une démarche partagée.

Ce que nous voulons faire grandir, ce dont nous voulons créer les conditions, c'est un Front large d'idées et d'actions porté par une dynamique sociale et populaire, et porté jusque dans les urnes, au point de peser réellement sur les choix d'une future majorité de gauche. Comment atteindre cet objectif dans la bataille qui nous attend? Je veux dire à ce propos un mot de l'obstacle présidentiel qui se dresse devant nous. L'obstacle présidentiel Pour atteindre nos objectifs politiques, l'élection présidentielle est effectivement un obstacle à plusieurs titres. Certes, elle va mobiliser le débat politique national, et l'effervescence qu'elle suscite peut être un puissant levier de débat. Il serait donc stupide de ne pas mener cette bataille et de ne pas affronter l'obstacle. Mais autant réfléchir à la manière dont il se présente. Conçue sur le principe du ralliement autour de deux pôles, avec une personnalisation à l'extrême des enjeux, portée par un marketing politique qui se renforce présidentielle après présidentielle, l'élection présidentielle favorise les candidatures présentées comme qualifiables pour le second tour. Ainsi, toute la machine est biaisée d'entrée de jeu. Alors que plus d'un an nous sépare du scrutin, tout est d'ores et déjà fait en ce sens par la majorité présidentielle et par d'autres forces politiques pour imposer aux Françaises et aux Français un scénario à trois avec l'UMP et le PS en première ligne et le Front national en épouvantail, voire en embuscade. Mesurons qu'alors qu'aucun candidat ou presque n'est à l'heure actuelle officiellement désigné, tous les enjeux sont déjà personnalisés à l'extrême. L'opération Borloo lancée hier soir en est une nouvelle démonstration éclatante, et cela va durer quelques semaines, tout comme sur la candidature de Nicolas Hulot, alors que personne ne sait s'ils seront candidats au final. Soyons certains que le feuilleton présidentiel sera entretenu avec soin ces prochains mois.

La stratégie de Nicolas Sarkozy pour échapper à la sanction populaire et conserver le pouvoir est limpide. Il consacre désormais tous ses efforts à la conversion populiste et xénophobe de la droite pour conserver une assisse électorale au cœur de la crise capitaliste et il n'hésite pas à parier sur la capacité nouvelle de l'extrême droite à avancer masquée sur le terrain social afin d'affaiblir une gauche dont une partie des forces n'a pas le courage des transformations nécessaires pour ouvrir une alternative. En face, certains n'hésitent pas à relancer régulièrement le thème de la candidature unique de la gauche pour faire face aux dangers, et c'est une question qui comptera dans les prochains mois. Une fausse solution qui loin de combattre le scénario conçu à droite risquerait de l'alimenter encore. Si nous refusons cette voie, c'est justement parce que nous considérons que la suivre produirait l'effet exactement inverse de l'intention affichée en fermant la porte à toute possibilité de changement à gauche du centre de gravité des réponses politiques. Mais se donner des chances de franchir l'obstacle implique d'en tirer des conclusions sur la campagne à mener.

Nous devons aller à l'élection présidentielle avec comme premier objectif d'imposer un débat politique sur le projet et de construire en permanence du rassemblement pour faire gagner ce projet. C'est une immense bataille politique qui nous attend. Je veux dire ici que nous ne pouvons pas nous permettre dans cette situation de nous enfermer nous-mêmes dans une logique présidentialiste en résumant l'enjeu à un choix de candidatures, à un match entre André Chassaigne et Jean-Luc Mélenchon. Nous ne pourrons desserrer l'étau présidentialiste que si nous parvenons à créer une dynamique populaire de très grande ampleur comme ce que nous avons su faire àd'autres moments, par exemple à l'image de celle construite avec notre peuple en 2005. Le Front de gauche sera un atout indispensable dans cette bataille pour ouvrir en grand le chemin de l'espoir qu'il a initié et faire que des centaines de milliers de Français-es décident de l'emprunter. Avec nos partenaires, nous devons penser et déployer dans le pays une campagne qui rompe avec la pratique du pouvoir politique et qui dans sa forme même renverse le rapport institutionnel actuel : une campagne qui préfigure dans ses formes une République de citoyens associés capables de penser ensemble de nouvelles avancées sociales, économiques, écologiques et démocratiques et qui contribue à la construction d'un projet de gauche pour sortir de la crise.

 

NOS DECISIONS POUR 2012

 

Comment mettre en œuvre cette ambition politique dans le contexte des échéances 2012 ? C'est là-dessus que doit porter l'essentiel de notre débat car c'est moins, me semble-t-il, le choix du Front de gauche que sa conception, les conditions de sa réussite ainsi que la place du PCF en son sein à l'occasion de ces échéances qui font discussion chez beaucoup de communistes.

Le débat se focalise très vite sur la seule question du choix de candidature à l’élection présidentielle. Je vais donner mon avis sur la façon d'aborder cette question. Mais je veux d’abord vous dire ce que je considère aujourd'hui être les deux conditions de la réussite, des conditions qui dépassent largement la question de la candidature à la présidentielle. La première est, et elle n’est pas acquise à cette heure, que se conclut entre toutes les forces actuelles du Front de gauche un accord à la hauteur des défis posés par la situation politique actuelle, un accord de qualité qui permette à chacune, et toutes ensemble, de s’engager pleinement dans la bataille, où chacun soit respecté et où le Parti communiste tienne, sans esprit d'hégémonie, toute la place qui lui est due. Dès janvier, nous disposions d'un mandat clair en ce sens. Je pense d'ailleurs que l'Adresse aux communistes adoptée lors de notre conseil national de janvier doit être partie intégrante de la réflexion qu'engagent les communistes aujourd'hui. Nous avions indiqué dans cette déclaration que des candidatures communes à l’élection présidentielle et législatives n'auraient de sens que si elles s'inscrivaient dans un contrat politique commun qui porte tout à la fois sur l'ambition politique que nous nous fixions en 2012, sur le programme partagé, sur le dispositif collectif de campagne, sur l'élection présidentielle comme sur les élections législatives. Nous y avons travaillé depuis. Je veux vous dire clairement où nous en sommes.

Le 31 mars, nous avons acté avec nos partenaires un texte portant sur notre ambition politique. Ce texte est une des pièces de l'accord global que nous recherchons. Il est conforme à notre mandat de janvier, aux grandes exigences politiques qui sont les nôtres, notamment sur les questions clés que constituent pour nous l'ambition de rassemblement majoritaire sur une politique de changement, le rôle de l'intervention populaire et la nécessité de l'élargissement citoyen du Front de gauche, le double enjeu de transformation et de rassemblement à gauche, la conception d'une campagne qui récuse le présidentialisme à outrance, la nécessité de mener de front les campagnes présidentielle et législatives. Il précise également ce que pourrait être le cadre collectif de campagne, avec notamment des temps de parole partagés à l'image du rassemblement qui est le nôtre. Un travail est également engagé sur le programme partagé qui n'est pas abouti à ce jour. La préparation et la tenue de nos forums nationaux, ce qui nous remonte des forums et des cahiers citoyens, le travail de nos commissions alimentent ce processus. Vous aurez, entre les mains, à l'issue de mon rapport, le dernier document de travail que Francis Parny, qui conduit pour nous ces discussions, a adressé mercredi à nos partenaires. C'est une synthèse qui intègre les propositions de nos partenaires avec lesquelles nous sommes d'accord. Mais les discussions continuent, et chacun convient qu'il reste pas mal de travail. Le document dont vous disposez doit permettre, en étant communiqué aux adhérents dans vos fédérations, un large retour des communistes et de nombreuses améliorations. Nous visons plus la pertinence, la force de nos propositions que leur exhaustivité. La discussion se poursuit également sur les législatives.

Notre ambition commune, réaffirmée au cours de nos rencontres, est d'aller dans toutes les circonscriptions métropolitaines vers des candidatures communes du Front de gauche, présentées et soutenues par nos trois partis et par tous les soutiens que notre dynamique de rassemblement permettra de fédérer dans les circonscriptions. Nous conduisons ces discussions, sous la responsabilité de Marie-George Buffet et de notre secteur Elections, en lien avec les secrétaires fédéraux et les secrétaires des comités régionaux avec une triple exigence. La première, partagée par nos deux partenaires, vise à reconduire les circonscriptions sortantes dans l' équilibre actuel. La seconde nous conduit à demander de conduire le combat comme titulaires dans des circonscriptions où nous sommes en situation de reconquête, ou les mieux placés pour les conquérir, compte tenu notamment de fortes positions électives ou municipales au cœur de ces circonscriptions. La troisième, enfin, concernant le reste des circonscriptions, c'est-à-dire la plus grande partie d'entre elles, porte sur les critères de désignation des candidatures. La diversité de notre rassemblement doit être respectée, la force et l'implantation des différentes forces aussi, ce qui vaut évidemment à nos yeux pour le PCF, qui est dans de très nombreuses circonscriptions un atout essentiel de conquête et de rassemblement. Chaque force aspire à disposer d'élus et de moyens. C'est légitime. Mais cela ne sera possible qu'à la condition de créer une dynamique de progrès sur le terrain. Nos exigences n'ont rien d'exorbitantes, elles sont un gage de dynamique collective. La discussion sur tous ces points est actuellement en cours avec nos partenaires. Elle doivent se poursuivre en intensifiant les échanges avec les fédérations, avec les communistes dans les circonscriptions. La discussion sur nos ambitions législatives est partie intégrante des choix que nous voulons arrêter en juin sur les échéances 2012 . Le débat sur les candidatures doit lui aussi être ouvert, en plaçant la parité des candidatures titulaires ainsi que l'ouverture au monde du travail et aux forces citoyennes engagées à nos côtés au cœur de nos objectifs.

La deuxième condition de la réalisation de notre ambition politique est que le Parti communiste investisse pleinement la démarche du Front de gauche, encore plus qu'il ne l'a fait jusqu'à aujourd'hui, avec toute l’énergie, l’esprit d’initiative et de rassemblement dont il est capable, comme viennent encore de le montrer les cantonales, après la bataille des retraites et bien d’autres avant. Nous devons ambitionner une campagne du Front de gauche 2012 qui mette au cœur du débat politique les choix de la future majorité législative pour battre la droite et l'extrême droite et sortir la France de la crise. Je veux affirmer qu'en aucun cas il s'agirait de « présidentialiser » les législatives comme le craignent parfois des camarades à juste titre, mais tout l'inverse. Nous pouvons mener une campagne qui s'appuie sur des centaines de candidat-es qui portent l'objectif d'ouvrir les portes du pouvoir au peuple pour en faire l'acteur du changement : 1200 voix pour porter nos objectifs de transformation sociale et exprimer la diversité et la force collective de notre rassemblement et subvertir la présidentialisation de la vie politique. Nous pourrons ainsi, comme nous venons de le faire aux élections cantonales, ancrer une démarche populaire et citoyenne au plus près des populations et des territoires, et ouvrir un chemin concret d'alternative à l'échelle du pays quand tout va être fait pour transformer les citoyens en supporters du spectacle présidentiel. Des millions de nos concitoyens peuvent entendre cet appel si nous déployons avec suffisamment d'énergie notre démarche. Nous pouvons construire des fronts d'une ampleur inédite autour des aspirations populaires. Je pense d'abord aux grandes urgences sociales, à la lutte contre la précarité, pour le logement, l'école, la santé, et en particulier au pouvoir d'achat. Il est aujourd'hui crucial de faire grandir un front contre la vie chère pour changer concrètement la vie du peuple français. L'envolée des prix des matières premières et l'augmentation des tarifs de l'essence, du gaz, de l'électricité ont des conséquences très graves pour le quotidien des Françaises et des Français. Quand on a un revenu de 750 euros mensuels comme c'est le cas de millions de personnes dans notre pays, ces augmentations signifient le basculement de la précarité à la pauvreté. Au regard des immenses richesses créées par le travail de ces citoyens et aspirées par la finance, c'est inacceptable et injuste. Multiplions les initiatives dans les semaines et mois qui viennent pour rendre incontournable à gauche des propositions pour changer cette situation. Portons la nécessite de mesures immédiates. Pourquoi pas des marches contre la vie chère exigeant le blocage des prix des produits de premières nécessité et de l'énergie ou encore une augmentation générale des salaires financée par l'argent aujourd'hui gaspillé sur les marchés financiers.

Montrons le besoin essentiel de changer l'utilisation de l'argent en créant un pôle public bancaire qui place la création monétaire au service des besoins humains. Je pense aussi au besoin de grandes réformes sans lesquelles le changement sera impossible, renouveau industriel et technologique, réorientation européenne, construction d'une 6ème République, planification écologique... Il devient impératif pour atteindre ces objectifs politiques que le Front de gauche trouve les moyens de mobiliser l'engagement citoyen d'une part croissante des forces vives du pays à travers des assemblées citoyennes ou sous toute autre forme : en construisant des maintenant des dynamiques de débats, d'ateliers, d'actions, de mobilisations au plus près des territoires. Nous pourrions par exemple créer des ateliers législatifs pour élaborer avec les citoyens dans les circonscriptions, à partir de leurs préoccupations, des propositions de lois qui répondent aux attentes populaires et bien évidemment mobiliser autour des propositions déjà portées par nos députés, celle pour interdire les licenciements boursiers, celle pour le financement du droit à la retraite à 60 ans ou encore celle plus récente qui définit un ambitieux programme d'urgence pour le logement. Voilà quelques propositions qui pourraient être au cœur de notre ambition pour les échéances de 2012.

 

C'est avec cette ambition de déploiement populaire du Front de gauche que je veux à présent aborder la question de la candidature à l'élection présidentielle. Quatre candidatures sont soumises à notre débat. Deux, issues de notre parti, sont en désaccord affirmé avec le choix d'une stratégie de Front de gauche. Celle d'André Gerin, député et membre du Conseil national, défend le principe d'une candidature du PCF à l'élection présidentielle sur la base du programme qu'il a présenté dans une brochure intitulée « Redonnons ses couleurs à la France ». Celle d'Emmanuel Dang Tran, également membre du CN, revendique une candidature « contre l'alliance avec la social-démocratie, l'adhésion à l'Union européenne du capital, et l'effacement du PCF ». Tous deux, bien mieux que je ne pourrais le faire, s'exprimeront au cours de nos travaux sur le sens de leur candidature. Deux autres candidatures, l'une issue de notre Parti, celle d'André Chassaigne, député et membre de notre Conseil national, l'autre issue du Parti de gauche, celle de Jean-Luc-Mélenchon, député européen et co-président de ce parti, se sont déclarées disponibles pour représenter la candidature du Front de gauche. Toutes ces candidatures doivent être examinées par les communistes d'ici le choix de la conférence nationale. Compte tenu de l'engagement très majoritaire de nos adhérents dans la stratégie du Front de gauche, l'essentiel de la discussion des communistes, comme j'ai pu le constater dans les fédérations où je me suis rendu, porte déjà sur le choix entre ces deux dernières candidatures. André a répondu, depuis sa déclaration de candidature à la fête de l'Humanité, à de très nombreuses invitations dans les fédérations. De nombreux communistes ont apprécié la démarche qu'il porte. Je pense qu'il s'exprimera lui aussi au cours de nos travaux. La candidature de Jean-Luc Mélenchon, soutenue par la direction du PG et depuis dimanche dernier celle de la Gauche unitaire, a été présentée au lendemain de notre appel à candidatures fin janvier. Ces deux fortes personnalités se sont imposées dans le débat national. Mais je crois que chacun s'accordera à dire que notre choix ne peut être guidé par le soutien à une personnalité. L'élection présidentielle n'est pas au Parti communiste, au Front de gauche une affaire d'aventure personnelle.

Notre choix doit être un choix politique. Nous voulons un accord d'ensemble dont la candidature à la présidentielle est un élément. Nous voulons que cet accord crée les meilleures conditions de déploiement du Front de gauche. Nous savons qu'en l'état aucune de ces deux candidatures à elle seule ne clôt l'accord d'ensemble. Chacun a des pas à faire et tout le monde entend être respecté. Qu'est-ce qui doit motiver dans ces conditions le choix des communistes? Nos ambitions politiques dans la période, avec les enjeux que j'ai exposés. A partir de là, selon moi deux critères doivent prévaloir. D'abord, une volonté : aboutir à un accord qui permette à la dynamique que nous avons initiée de franchir une étape décisive en 2012. Cela exigera, nous le savons, notre engagement total, mais cela en vaut la peine pour les raisons que j'ai données précédemment. Ensuite, une exigence claire: le choix d'une candidature sera pour nous, a fortiori si elle n'est pas issue du PCF, conditionné à la conclusion d'un accord d'ensemble satisfaisant nos objectifs politiques et respectant la force et la qualité de l'implantation territoriale législative du PCF. C'est essentiel pour obtenir demain le maximum de député-es communistes dans l'intérêt des populations. Les communistes demandent le temps nécessaire à l'évaluation de ce choix et à la finalisation d'un tel accord. Ils ont raison et nous avons huit semaines d'ici la conférence nationale pour le faire, éléments du débat en main. Ils ne souhaitent pas que le CN conclut ce débat qui ne fait que commencer. Mais beaucoup demandent également que la direction nationale donne son avis, non pas sous la forme d'un ultimatum, mais par souci de transparence démocratique. Ils veulent décider en connaissance de cause. C'est justifié. J'estime donc de ma responsabilité de livrer aujourd'hui mon opinion. Je me suis tenu au calendrier fixé en commun. J'ai progressivement construit mon opinion à partir des avancées concrètes permises par le Front de Gauche, de l'analyse des échéances électorales abordées dans ce cadre et tous les échanges que j'ai eu avec les communistes et nos partenaires. J'ai beaucoup évalué la situation contrairement à ce que j'entends ici ou là et je considère encore aujourd'hui que les potentiels comme les risques de l'un ou l'autre de ces choix doivent être pesés avec sérieux jusqu'à la conférence nationale.

En les ayant pesés, je pense que la candidature de Jean-Luc Mélenchon peut être envisagée par notre parti dans le cadre d'un accord d'ensemble avec nos partenaires, un accord qui garantisse le respect d'engagements collectifs à la hauteur des enjeux de la situation politique inédite que nous vivons, la diversité de notre rassemblement et la place majeure de notre parti. L'investissement par les communistes de la démarche engagée sera en tout état de cause selon moi la clé de la réussite. Je crois que notre histoire militante commune témoigne, jusque dans nos combats politiques récents, de notre capacité à faire de la diversité d'un rassemblement sur des objectifs politiques ambitieux une force pour déployer une dynamique populaire de grande ampleur qui permette de faire avancer nos objectifs. Je veux dire aussi à tous les communistes que cette décision mérite le débat. Elle est, à l'étape actuelle de ma réflexion, celle qui me paraît être la plus susceptible de nous permettre de franchir un cap dans nos objectifs. Chacun, chacune d'entre nous ici et tous les communistes devront donner leur opinion, instruire cet enjeu et prendre leur propre décision. Et quand les communistes auront fait leur choix au mois de juin prochain, nous devrons toutes et tous être rassemblés dans l'action pour le porter. Concernant la place et l'avenir du parti, je crois d'ailleurs sincèrement que ceux qui espèrent et regardent du côté du PCF ne comprendraient pas l'échec du rassemblement. A l'inverse, j'ai la conviction que notre parti sortira gagnant d'une séquence où il aura tout fait pour permettre l'essor du Front de gauche. Des camarades, je le sais, craignent notre effacement. Je les comprends et je prends au sérieux cette crainte. Certains ajoutent qu'ils ont parfois été heurtés par certaines déclarations de Jean-Luc Mélenchon. Cela doit être entendu car il en va de l'efficacité collective du Front de gauche. Je veux faire deux remarques à ce propos. La parole du PCF doit être respectée, et c'est de notre responsabilité comme direction nationale. Elle est utile au rayonnement d'un Front de gauche qui, nous le savons, est et sera traversé de débats. Et, comme je l'ai déjà fait, dans les derniers mois, sur le populisme, le débat énergétique, l'appel au rassemblement entre les deux tours des cantonales, je n'hésiterais pas à faire entendre la voix du PCF chaque fois que nous le jugerons nécessaire. Mais je le ferais toujours avec l'esprit qui nous anime: mettre notre liberté de parole au service du progrès de notre rassemblement. Autonomie et unité sont les deux faces de notre démarche. La seconde remarque porte sur les médias. L'absence persistante de la présence des dirigeants communistes, non pas dans tous les médias, mais dans la plupart des émissions télévisuelles de grande audience et dans la totalité des grandes émissions politiques radiophoniques du week-end est une anomalie démocratique. L'invitation de Jean-Luc Mélenchon, avancée par les chaînes en question pour justifier cette discrimination, n'est pas une explication convaincante, elle n'est pas recevable. Pourquoi le Front de gauche, rassemblement divers, subirait-il un traitement univoque quand EELV, le PS, et que dire de la droite, voient leurs représentants défiler les uns après les autres? Comment justifier cette interdiction d'antenne de fait dans ces grandes émissions au lendemain des résultats des élections cantonales? La démocratie en souffre, et la dynamique collective du Front de gauche aussi. Nous porterons donc avec force cette bataille sur nos temps de parole. Voilà, chers camarades, dans quel esprit nous devrions selon moi aller au débat. Je le répète. Je n'assène pas une vérité. J'exprime un avis. Le débat doit se poursuivre en examinant jusqu'au bout les poss

ibilités, en écoutant les arguments échangés, pour enrichir la mise en pratique de la décision qui sera prise par la majorité. Je suis convaincu que nous saurons conduire ensemble ce débat dans le respect mutuel. C'est en tous cas ma volonté. Je livre mon opinion en toute sincérité, en toute transparence, avec le souci de l'avenir de notre pays et de notre parti. La décision que nous avons à prendre est importante. Chacun-e devra en tout état de cause respecter la décision finale prise par la conférence nationale. Je veux terminer en disant un mot de sa préparation. Le processus de décisions Au lendemain de ce Conseil National, nous allons entrer dans la période où le débat va se déployer dans tout le parti. Notre responsabilité première de direction nationale est de veiller à ce que tous les communistes puissent participer, soient informé-e-s des questions à traiter, connaissent le calendrier que nous nous sommes donné pour prendre nos décisions. Qu'ils - elles- aient tous les éléments en main pour exercer leur souveraineté et faire leur choix. Pour cela, les huit semaines disponibles, dix jusqu'à la consultation finale, doivent être utilisées à plein. Très vite des assemblées générales de communistes pourraient se tenir pour rendre compte du Conseil National. Ces assemblées gagneront à se tenir sous les formes et les dimensions qui permettront la participation du maximum d'adhérent-e-s: assemblées de section, de territoires, etc... Nous aurons sûrement intérêt à nous enrichir de la réflexion avec d'autres, de croiser nos opinions avec celles d'amis ou proches intéressés au développement et à la dynamique du Front de Gauche, ou de concitoyens attentifs aux enjeux de 2012. Une attention particulière sera portée aux camarades dont nous savons, quelle qu'en soit la raison, qu'ils ne participent pas régulièrement – voire pas du tout aux réunions du parti - . La priorité sera de les rencontrer de discuter avec eux pour les inciter à participer à l'échange collectif, ou en tout cas recueillir, d'une manière ou d'une autre leur opinion. Tout ce qui sera dit par les communistes devra être consigné dans des procès verbaux transmis à la direction nationale. Les quinze jours qui précéderont immédiatement la conférence nationale pourront être consacrés à une mise en commun départementale des discussions dans les sections ou les territoires. Chaque fédération décidera là aussi de la forme la plus efficace que pourra prendre cette mise en commun: certaines ont programmé des conférences ou congrès départementaux: elles l'ont fait pour pouvoir prendre des décisions, comme le renouvellement de leur direction, seules possibles dans le cadre d'un congrès. Toutes les fédérations ne sont pas bien sûr dans ce cas et attendront le prochain congrès du parti dont la conférence nationale pourrait confirmer la tenue à la fin de l'année 2012. Les fédérations devront veiller à envoyer des délégations à la conférence nationale représentatives de la diversité de leurs débats, sur la base d'une proposition de représentation conforme à nos statuts que vous proposera dans la discussion Jacques Chabalier. Nous visons 800 délégué-e-s. Je rappelle que la conférence nationale des 3, 4 et 5 juin, après débat, élaborera le bulletin de vote comportant la proposition de candidature pour l'élection présidentielle qui sera soumis au vote des adhérents. Les adhérents se prononceront en toute souveraineté les 16, 17 et 18 juin sur cette proposition. Si l'un des camarades, dont nous avons enregistré la proposition de candidature à l'issue de l'appel à candidatures que nous avons ouvert en janvier et qui se clôt aujourd'hui, ne souhaitait pas se conformer au choix majoritaire de la conférence nationale et maintenait sa candidature pour qu'elle soit proposée aux suffrages des adhérents, les communistes en seront saisis et pourront se prononcer en ayant connaissance bien sûr du choix majoritaire de la conférence nationale . Voilà, chers camarades, nous avons devant nous dix semaines de débats et d'actions intenses. Je crois qu'après la belle campagne des élections cantonales que nous venons de vivre, nous pouvons les aborder avec confiance."

 

Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, Paris, le 8 avril 2011

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8 avril 2011 5 08 /04 /avril /2011 06:52

Parti Communiste Français

Section du Pays de Morlaix

 

Dans le cadre de l’engagement du collectif "un bateau pour gaza" est organisée,  samedi matin  9 avril 11h une conférence de presse au port de Morlaix sur le bateau "vent d'ouest" qui collabore avec le collectif et qui va  monter le drapeau palestinien en haut du mat (tout ça samedi matin en live pour la presse ).

 A l’occasion de cette conférence de presse sera annoncé le fest noz du 22 avril (Salle des fêtes de St Thégonnec), lu un texte de Mme Hessel (femme de Stéphane) qui a accepté d'être la marraine du bateau , on parlera aussi de la campagne nationale " un bateau français pour Gaza".

 
Le collectif souhaite que tous ceux qui le peuvent viennent samedi à 11 h : « ce serait bien qu'on soit un peu nombreux ....... pour créer l'événement sur Morlaix ».

un bateau pour Gaza port de Morlaixun drapeau pour Gaza...à Morlaix

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 06:58

 

Première partie d'un article de remémoration: "Du combat pour l'unité socialiste à la scission du congrès de Tours et à la naissance du PCF".  

 

1) De la marginalité aux crises de la croissance politique, exigeant le positionnement de forces révolutionnaires face aux institutions de la République.  

 

a) Un mouvement socialiste à reconstruire après la tragédie de la Commune.

Comme l'écrit Louis Mexandeau dans son introduction à Le discours des deux méthodes: Jean Jaurès et Jules Guesde (éditions Le passager clandestin): « à la différence des grandes social-démocraties la (re)naissance socialiste après la Tragédie de la Commune de Paris s'était faite sous le signe de l'émiettement. Le poids de l'histoire, la personnalité des hommes avaient contribué à cette « chapellisation » qui étonnait les partis étrangers ».

A la suite de l'échec sanglant de la Commune en mai 1871, beaucoup de militants vont être déportés, contraints à l'exil, et dans les premières années de la décennie 1870, le combat qui primera, y compris pour les militants d'extrême gauche, sera celui de la consolidation de la République face au cléricalisme et au danger de restauration monarchique. L'historien Pierre Lévêque, dans l'article sur « La Gauche et l'idée révolutionnaire au XIXème siècle » publié dans le livre collectif dirigé par Gilles Candar et Jean-Jacques Becker, L'histoire des gauches en France: l'héritage du XIXème siècle (La découverte), écrit ainsi: « Pour beaucoup, le drame de 1871 a condamné définitivement la stratégie insurrectionnelle, et leur option légaliste sera confirmée par les solides garanties apportées en 1881 aux libertés de réunion et de presse, en 1884 à la liberté syndicale ».

Dans les congrès ouvriers de Paris et de Lyon en 1876 et 1878, la constatation du droit de propriété et de l'inégalité sociale prend des formes plutôt proudhoniennes mettant l'accent moins sur la conquête du pouvoir politique pour imposer verticalement la transformation sociale que sur l'auto-organisation spontanée des travailleurs en chambres syndicales et coopératives de production.

 

Mais en octobre 1879 est créé à Marseille un parti ouvrier d'inspiration collectiviste et marxisante, d'abord dirigé par Jules Guesde (1845-1922), ancien anarchiste récemment converti au marxisme et qui cherche depuis 1877 à propager ses idées dans le journal qu'il crée avec Gabriel Deville (1854-1940) et où collabore Paul Lafargue, L'Egalité. Rappelons que l'autorité intellectuelle de Marx commence seulement depuis peu à se faire sentir en France. En 1873, Pierre Larousse lui consacre un article plutôt favorable dans son Grand dictionnaire universel du XIXème siècle et en 1872 est publié le premier livre du Capital. En revanche, il faudra attendre 1885 pour voir la première version intégrale du Manifeste du parti communiste publiée en français, traduite par Laura Lafargue, fille de Marx et compagne de Lafargue.

Au congrès de Saint Etienne en septembre 1882, Guesde est mis en minorité, ce qui entraîne son départ de son parti, sa création du POF (Parti Ouvrier Français) et la formation en opposition par Paul Brousse et Gaston Allemane de la Fédération des travailleurs socialistes de France.

« Celle-ci, écrit Pierre Lévêque, maintient un objectif maximaliste (la libération du prolétariat par la collectivisation des moyens de production et d'échange), mais entend abandonner le tout à la fois qui aboutit au rien du tout » et parvenir au but par une série d'étapes successives: il faut conquérir les municipalités qui confieront les services publics (eau, gaz, transports en commun...) à des associations ouvrières, éduquer ainsi les travailleurs à la gestion, établir enfin, par la voie du suffrage universel, la République sociale qui prendra en main les grandes industries, les chemins de fer et les banques ».

 Paul Brousse lui-même est l'auteur du néologisme « marxisme » à consonance péjorative qui apparaît dans un pamphlet paru en 1882, Le Marxisme dans l'Internationale, dans lequel il dénonce la social-démocratie allemande et son « appendice » en France, le guesdisme, qui, en mettant l'accent sur le déterminisme économique dans lequel prend sens le combat politique, en dépréciant la démocratie parlementaire et en cherchant à imposer la prééminence d'un parti pensé comme le cerveau de la classe ouvrière sur le mouvement syndical, s'oppose aussi bien à la tradition française de valorisation proudhonienne de l'organisation spontanée des travailleurs qu'à l'adhésion aux valeurs républicaines à titre d'héritage révolutionnaire à conserver.

Si cette fédération « possibiliste » s'affaiblit par la suite, elle sera relayée dans les années 1890 par une partie des socialistes indépendants, dont Alexandre Millerand, député de la Seine et directeur du quotidien La Petite République. Celui-ci exprimera clairement son point de vue légaliste et partisan de réformes progressives appelées par des objectifs révolutionnaires au banquet de Saint Mandé le 30 mai 1896. Citons encore Pierre Lévêque qui décrit ce fameux programme de Saint Mandé, nouveau bréviaire du socialisme réformiste (volume cité, p.311): « Le but final, réaffirmé, est d' « assurer à chaque être, au sein de la société, le développement intégral de sa personnalité », le moyen préconisé est bien le passage d'un mode de production à un autre (« la substitution nécessaire et progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste »); il s'opérera grâce à l'intervention de l'Etat, mais de façon graduée, à mesure que les différentes branches de l'économie « deviennent mûres pour cette appropriation collective »: processus de longue durée et non mutation brusque. Surtout, cette révolution sociale, étalée dans le temps, s'opérera dans le respect de la légalité: la « conquête des pouvoirs publics » se fera « par le suffrage universel », à l'exclusion de la violence, de la grève générale, de l'insurrection.

 

b) 1892: les socialistes deviennent une puissance électorale et s'enracinent dans la vie politique française. 

 

En 1892, les socialistes ont des résultats très encourageants aux municipales, qui réhabilitent, même au regard du POF marxiste, la légalité républicaine. Le journal Le Socialiste qui a succédé à l'Egalité pour servir de tribune au POF, ne craint pas ainsi de déclarer le 21 août 1892: « Réformes et révolution, loin de se contredire, se complètent donc et nous sommes réformistes, parce ce que révolutionnaires ».

 

C'est aussi en 1892, alors que la grève de Carmaux (16 août-3 novembre 1892) lui a montré comment un patron héritier, maître de la mine, le marquis de Solages, pouvait grâce à son pouvoir social et son pouvoir politique s'asseoir sur le suffrage universel en limogeant Calvignac, le mineur syndicaliste devenu maire, que Jean Jaurès est devenu pleinement socialiste.

Il avait été élu député à 26 ans en 1885 et avait appartenu jusqu'à sa défaite aux législatives de 1889 au courant des républicains de gauche, manifestant déjà une vive préoccupation pour la question sociale. Ainsi, en 1886, il cosigna une proposition de loi pour mettre en place des caisses ouvrières de retraite basées sur la coopération et la prévoyance et des caisses de secours pour pallier aux décès ou aux accidents de travail . En 1886 toujours, il s'intéressa au problème de la sécurité des mineurs et assista au congrès de leur syndicat. En février 1892, après s'être mis à la lecture de Marx et de Lassale sous l'influence du bibliothécaire de l'Ecole Normale Supérieure, le très influent et charismatique Lucien Herr, il soutenait sa thèse de doctorat écrite en latin sur « Les origines du socialisme allemand » qu'il faisait remonter à Luther, Kant et Fichte, et enfin, le 27 mars 1892, il discutait toute une nuit avec Jules Guesde à Toulouse, nuit qui l'a peut-être définitivement convaincu de la justesse des analyses et des voies d'émancipation socialistes.

 

A partir de 1893, les socialistes, sans parvenir à former un même parti, parviennent néanmoins à se montrer relativement solidaires au Parlement avec leur cinquantaine de députés pour faire face à la poussée réactionnaire et nationaliste qui menaçait la République et pour faire pression sur les radicaux afin qu'ils mettent en œuvre des réformes sociales.

 

c) 1898-1899: La crise du débat sur la participation ministérielle et sur l'implication aux côtés des forces politiques bourgeoises dans l'affaire Dreyfus et la défense républicaine.  

 

Toutefois, quand Alexandre Millerand entre dans le gouvernement du radical Waldeck Rousseau en 1899 avec l'approbation des « possibilistes », l'entente socialiste est fortement mise à mal.

Jaurès défend la participation gouvernementale comme moyen de défendre les idéaux républicains fondamentaux (laïcité, pouvoir des représentants du peuple sur l'armée et démocratisation de celle-ci, impartialité de la justice) menacés par les forces de la réaction nationaliste, cléricale et antisémite déchaînées contre les partisans de Dreyfus. Guesde, qui était pourtant outré par l'antisémitisme et la mauvaise foi manifestés par l'armée au cours de l'affaire Dreyfus (qui commence avec la condamnation à la dégradation et au bagne très médiatisée et passionnée pour haute trahison du capitaine juif en décembre 1894 et est relancée au moment du procès à huis clos et de la relaxe du vrai espion, Esterhazy, dénoncés par le célèbre J'accuse d'Emile Zola dans le L'Aurore du 13 janvier 1898) voit dans cette participation gouvernementale un risque d'embourgeoisement des cadres socialistes et de démobilisation des militants ainsi qu'un détournement par rapport au but essentiel qui reste la transformation révolutionnaire des rapports de propriété et de production.

Dans une lettre datée du 28 juillet 1899 au leader de la social-démocratie allemande, Wilhelm Liebknecht, père du compagnon de Rosa Luxemburg lors de la révolution spartakiste, Karl Liebknecht, Lafargue revient sur les conséquences de l'erreur stratégique et humaine de Jules Guesde qui, en plaidant pour l'abstention et la non-intervention, dans le combat acharné qui opposait les républicains dreyfusards et les anti-dreyfusards antisémites ou partisans de la vieille droite catholique, nationaliste et autoritaire, a mis sur le devant de la scène des leaders socialistes plus réformistes, Millerand et Jaurès, alimentant ainsi la dérive opportuniste des cadres socialistes:

« La crise que traverse le socialisme en France était fatale, mais grâce à l'absurde et inconcevable conduite de Guesde et de Vaillant dans l'affaire Dreyfus, nous sommes placés dans une situation difficile pour nous défendre...Depuis que le socialisme est devenu en France une force électorale, il a été envahi à la suite de Jaurès et de Millerand par une quantité d'universitaires et de radicaux, en quête d'électeurs et de places. L'affaire Dreyfus et notre inaction dans la circonstance leur ont donné une énorme popularité...J'ai à plusieurs reprises demandé à Guesde et à nos amis d'intervenir dans l'affaire Dreyfus; sans prendre parti pour ou contre D., il y avait une des belles occasions de faire campagne contre le militarisme, le nationalisme et le cléricalisme. Jaurès aurait été obligé de modifier sa campagne, excellente selon moi, mais par trop personnelle, et au lieu de le voir recueillir aujourd'hui tout le mérite du triomphe contre l'Etat-major, nous l'aurions partagé avec lui...Cependant, je ne désespère pas. Nous sortirons de la crise divisés en deux camps-les arrivistes ministériels et les socialistes révolutionnaires. Je ne sais pas si nous serons en minorité au congrès; mais il ne se passera pas beaucoup de temps avant que nous ayons reconquis notre influence et notre prestige grâce aux avortements politiques des ministériels et aux compétitions de personne parmi eux ». (Paul Lafargue, Paresse et Révolution. Ecrits 1880-1911. Tallandier, p. 325).

 

A la veille du congrès de Japy, après l'entrée d'Alexandre Millerand au gouvernement, guesdistes et vaillantistes se fendent d'une déclaration intransigeante le 14 juillet 1899: « Le Parti socialiste, parti de classe, ne saurait être ou devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel. Il n'a pas à partager le pouvoir avec la bourgeoisie, dans les mains de laquelle l'Etat ne peut être qu'un instrument de conservation et d'oppression sociales. Sa mission est de le lui arracher, pour en faire l'instrument de la libération et de la révolution sociale » (cité dans Jean Jaurès de l'historien Jean-Pierre Rioux. Editions Perrin, p.172).

 

d) les différentes tendances du socialisme au tournant du siècle.

 

Les partis révolutionnaires, dont:

  - le parti socialiste de France d'Edouard Vaillant, héritier de la tradition blanquiste.

  - le POF (Parti Ouvrier Français) des marxistes orthodoxes regroupés derrière Jules Guesde et Paul Lafargue qui pensent que la collaboration avec les partis bourgeois (les radicaux) par le soutien parlementaire ou la participation gouvernementale justifiée au nom des valeurs républicaines et de la mise en œuvre de réformes graduelles améliorant la condition ouvrière risque de briser la combativité ouvrière, d'embourgeoiser les cadres socialistes et de mettre en avant une illusoire communauté d'intérêt entre les classes au détriment d'un approfondissement de la lutte des classes.

Jules Guesde, lors du discours où il donnait la répartie à Jaurès qui avait exposé les principes de sa stratégie à la salle de l'hippodrome de Lille en octobre1900, résumait ainsi son point de vue: « malheur à nous si nous nous laissons arrêter le long de la route, attendant comme une aumône les prétendues réformes que l'intérêt même de la bourgeoisie est quelque fois de jeter à l'appétit de la foule et qui ne sont et ne peuvent être que des trompe-la-faim... La Révolution qui nous incombe n'est possible que dans la mesure où vous resterez vous-mêmes, classe contre classe, ne connaissant pas et ne voulant pas connaître les divisions qui peuvent exister dans le monde capitaliste ».

 

Une constellation plus réformiste (ou évolutionniste) et républicaine regroupée dans le « Parti Socialiste Français » dont le leader est Jaurès.

Cette tendance est diverse entre:

    - les partisans des maires socialistes du sud de la France et les socialistes indépendants tels que Millerand et Viviani venus du radicalisme de gauche et qui seront appelés à vite se désolidariser en partie par opportunisme des idées de révolution ouvrière socialiste. 

   - les héritiers du socialisme « possibiliste » de Paul Brousse, partisans des réformes graduées.

   - les partisans de la synthèse jaurésienne entre la critique marxiste du capitalisme et de sa force d'aliénation, l'idéal d'une émancipation de toute l'humanité par la suppression des structures de l'économie capitaliste, et l'acceptation d'un chemin progressif et démocratique menant à cette émancipation qui suppose aussi la conservation des acquis républicains promus par les héritiers de la révolution bourgeoise de 1789.

   

 

e) le positionnement de Jaurès: garder des objectifs de transformation radicale des structures économiques sans dédaigner les conquêtes sociales et démocratiques partielles obtenues par la lutte sociale ou parlementaire.

 

Depuis 1892-1893, sa rencontre avec Guesde et son soutien actif aux mineurs grévistes de Carmaux en conflit avec le marquis de Solages, Jaurès est marxiste au sens où il partage l'objectif d'une révolution sociale caractérisée par l'appropriation collective des moyens de production pour émanciper l'homme et rompre avec les exploitations, et aussi au sens où il fait, lui aussi, de la lutte des classes le moteur essentiel de l'histoire tout en considérant que la classe ouvrière a un rôle messianique dans l'émancipation de l'humanité toute entière.

Néanmoins, contrairement au courant de l'anarcho-syndicalisme assez fort chez les anciens de la Commune et les militants syndicaux, Jaurès considère que la grève générale insurrectionnelle et l'auto-organisation ouvrière ne sont pas des voies d'émancipation suffisantes. Le suffrage universel et l'action dans les institutions (Parlement, municipalités) peuvent permettre aux prolétaires d'améliorer leurs conditions de vie, de conquérir progressivement dignité, autonomie et capacité d'auto-organisation, ce qui leur permettra d'acquérir les capacités de transformer à moyen terme radicalement les structures de la société capitaliste.

A cet égard, Jaurès est aussi plus enthousiaste que les guesdistes pour célébrer comme porteuses d'espoirs les créations de coopératives ouvrières ou agricoles qui créent ici et maintenant des expériences locales alternatives par rapport à la loi de la compétition capitaliste. Pour lui, contrairement aux guesdistes et aux blanquistes, la société capitaliste ne peut être abattue par un coup de force politique ou même une victoire électorale grâce à l'action décidée d'une avant-garde du mouvement ouvrier: son dépassement exige l'apprentissage de l'auto-gestion par les travailleurs à travers l'administration de caisses de retraites et de protection sociale, de coopératives de travail et de consommation.

Au Congrès de Toulouse de 1908, il dira ainsi: « Non, ce n'est ni par un coup de main, ni même par un coup de majorité que nous ferons surgir l'ordre nouveau. (…). (Le prolétariat)...n'a pas l'enfantillage de penser qu'un coup d'insurrection suffira à constituer, à organiser un régime nouveau. Au lendemain de l'insurrection, l'ordre capitaliste subsisterait et le prolétariat, victorieux en apparence, serait impuissant à utiliser et à organiser sa victoire, s'il ne s'était préparé à la prendre en main par le développement d'institutions de tout ordre, syndicales ou coopératives, conformes à son idée, conformes à son esprit, et s'il n'avait graduellement réalisé, par une série d'efforts et d'institutions, sa marche collectiviste et commencé l'apprentissage de la question sociale ».

Pour Jaurès, il est ridicule comme le font une partie des socialistes et des membres de la CGT accrochés à une posture révolutionnaire misant sur l'exaspération des tensions de classe et le refus du compromis, de dédaigner les réformes sociales partielles obtenues grâce à des accords parlementaires avec des républicains non socialistes, telles les lois sur les accidents de travail, les retraites ouvrières, ou l'impôt sur le revenu: en émancipant concrètement mais partiellement les ouvriers, elles ne les feront pas accepter l'ordre inégalitaire dominant mais elles les rendront au contraire plus conscients de leurs pouvoirs et plus combattifs. « Je n'ai jamais dit, poursuit Jaurès dans son Discours de Toulouse du 17 octobre 1908, nous n'avons jamais dit que chacune de ces réformes suffise à abolir, à détruire l'exploitation capitaliste. Nous disons, nous maintenons qu'elles ajoutent à la force de sécurité et de bien-être, d'organisation, de combat, de revendication de la classe ouvrière... ».

Un autre sujet d'opposition entre Jaurès et Guesde était la place qu'ils entendaient chacun assigner à la défense des valeurs démocratiques et républicaines (droits de l'homme, libertés individuelles, combat pour la laïcité de l'Etat et de l'école) dans le combat des socialistes. Pour Jaurès, le socialisme était un universalisme et le garant non seulement d'un combat social mais aussi d'un projet moral. Guesde, tout en abhorrant l'antisémitisme et en croyant Dreyfus innocent, pensait qu'il ne fallait pas disperser l'énergie des socialistes en se battant au côté de la grande bourgeoisie radicale et dreyfusarde pour faire reconnaître l'innocence de Dreyfus, lutter contre l'arbitraire de l'armée ou le pouvoir de l'Eglise. Jaurès considérait lui que la classe ouvrière, ayant « charge de civilisation », n'avait pas seulement pour mission de préparer son propre avènement dans un combat strictement ouvriériste orienté seulement vers des questions économiques et sociales mais de défendre ce qu'il y a de bon dans la civilisation léguée par la bourgeoisie (règles et libertés démocratiques, règles de justice et droits du justiciable, tradition laïque) afin d'émanciper tous les hommes et de construire une société de liberté, de justice et de raison. Voilà comment Jaurès justifiait dans un article de La Petite République sa volonté d'impliquer les socialistes dans le combat pour Dreyfus en décembre 1897:

 

« Il semblerait que le prolétariat dût se désintéresser des évènements qui se développent. Mais il n'en est rien. Car d'abord, la classe ouvrière n'a pas seulement pour mission de préparer son propre avènement et un ordre social plus juste. Elle doit encore, en attendant l'heure inévitable de la Révolution sociale, sauvegarder tout ce qu'il y a de bon et de noble dans le patrimoine humain. Or, le plus bel effort de la civilisation humaine a été d'assurer à tous les accusés quels qu'ils soient, si vils, si méprisables qu'on les suppose, les garanties nécessaires. Quand l'arbitraire du juge monte, l'humanité baisse...C'est la classe ouvrière maintenant qui a charge de civilisation ».

 

En juin 1898, alors qu'il est battu aux élections législatives sans doute du fait de ses positions pro-dreyfusardes non partagées par une parti de l'électorat de gauche influencé par les positions anti-dreyfusardes du rédacteur en chef de La Dépêche, radical, Jaurès tente de s'investir davantage dans l'organisation interne des socialistes et d'imposer aux leaders historiques des différentes sectes socialistes l'unité. C'est le fameux meeting de Tivoli-Vaux-Hall qui se solde par un échec. Les « vieilles » organisations acceptent de coordonner leurs actions devant le péril anti-républicain, mais non de fusionner. Selon l'historienne communiste et spécialiste de Jaurès disparue il y a quelques années, Madeleine Rebérioux, Jaurès aurait voulu créer « un parti mixte sur le modèle belge, un parti ou les syndicats et les coopératives seraient admis comme des groupes politiques: ainsi serait assurée la présence de la chaleur ouvrière et déjoué le risque politicien ». Mais à la veille de 1900, la CGT s'est déjà détourné des sectes socialistes et du socialisme parlementaire dont la sociologie est déjà peu ouvrière et s'apprête « à explorer une autre voie, celle du syndicalisme révolutionnaire » (M. Rebérioux, Jaurès, la parole et l'acte. Découvertes Gallimard, p.73).

 

2)La réalisation sous la contrainte de la seconde Internationale de l'unité socialiste en 1905.

 

a) Premières années du XXème siècle: les socialistes attirent 10% de l'électorat en France mais sont profondément divisés.

Dans la période 1900-1903, les conflits entre socialistes autour de la question du combat pour la république, de la participation ministérielle et du soutien aux gouvernements radicaux sont très rudes. En octobre 1900 à l'hippodrome de Lille, en aparté du débat entre Jules Guesde et Jaurès sur « Les deux méthodes », en cinglant polémiste Paul Lafargue traite Jaurès de « bateleur de foire » et ironise en disant que « tous les ouvriers auront la poule au pot quand il aura son portefeuille » de ministre. Le camp réformiste et républicain de la mouvance socialiste dirigé par Jaurès est très divisé en 1900-1901 car la politique de Waldeck-Rousseau et de Millerand est loin d'être satisfaisante socialement tandis qu'en face, Guesde et Vaillant unissent leurs forces dans un Parti socialiste de France, unité révolutionnaire (PDSF), dont le lancement le 3 novembre 1901 est soutenu par la venue de la brillante passionaria Rosa Luxemburg.

A l'été 1901, Jaurès est victime d'une campagne de presse et de meetings très violente menée contre lui par des socialistes révolutionnaires d'inspiration communarde et des radicaux anti-cléricaux sous prétexte qu'il a accepté que sa fille Madeleine fasse sa première communion. Mais, aux élections d'avril 1902, Jaurès retrouve, après sa défaite aux législatives de 1898 qui lui a permis d'écrire sa monumentale Histoire socialiste de la révolution française, son siège de député. Guesde est battu à Roubaix.

Pour la première fois, les candidats socialistes, malgré leur désunion, ont séduit plus de 10% des votants et comptent 47 députés (dont 36 « ministériels » réformistes). Les radicaux et radicaux-socialistes, alliés aux socialistes « ministériels » et au centre, sont les grands vainqueurs.

 

 

b) Des combats parlementaires exemplaires des socialistes.

 

De 1902 à 1904, Jaurès et ses partisans socialistes « ministérialistes » soutiennent les lois sur les associations, la suppression de l'enseignement des congrégations religieuses, et promeuvent une grande loi sur la séparation de l'Eglise et l'Etat en modérant même les outrances anti-cléricales de certains radicaux. En revanche, sur la question coloniale, la législation sociale dont les terribles grèves de textile à Lille et Armentières à l'automne 1903 ont montré les insuffisances, l'alliance avec la Russie du tsar qui augmente les risques de guerre européenne, l'allongement du service militaire, Jaurès bataille contre les radicaux.

 

c) le diktat de la seconde Internationale pour réaliser l'unité socialiste dans la condamnation du réformisme parlementaire et de la stratégie de collaboration de classe.  

 

Au Congrès de la seconde Internationale à Dresde en septembre 1903, les tendances révisionnistes du socialisme incarnées notamment par Bernstein avaient été violemment rejetées, celles-ci tendant, selon les termes de la déclaration finale, « à changer la tactique éprouvée et glorieuse basée sur la lutte de classe et remplacer la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie par une politique de concessions à l'ordre établi ».

Le congrès d'Amsterdam organisé l'année suivante en août 1904 confortait également la stratégie guesdiste de refus du soutien actif au gouvernement radical et de la collaboration de classe pour la promotion des valeurs républicaines.

A Amsterdam, Jaurès a soutenu dans un discours flamboyant et érudit étayé de nombreux exemples historiques que les socialistes étaient fidèles à une tradition révolutionnaire bien française, celle de Babeuf, Blanqui, Louis Blanc, des communards, dont ils étaient les héritiers tout autant et même plus que du marxisme allemand quand ils défendaient « au nom même des intérêts de classe le régime républicain et la liberté républicaine ». Face à un Jaurès excédé par les formules théoriques intransigeantes contre toute forme de compromis avec la République bourgeoise d'une social-démocratie allemande sans expérience d'action sur la société car elle composait avec un pouvoir autoritaire ne lui laissant que le refuge de la posture de contestation radicale, Jules Guesde va se faire l'avocat d'une différence de nature radicale entre la révolution bourgeoise de 1789 et 1793 qui a fait naître les idéaux républicains et la révolution socialiste, déterminée en sa nécessité non par la force d'un idéalisme philanthropique et égalitariste parcourant l'histoire, mais par l'évolution mécanique des rapports de production économique. « Votre erreur est fondamentale, dit-il à Jaurès à Amsterdam. Vous rattachez le socialisme à la République et à la Révolution française. Nous, nous disons que le socialisme est le résultat de phénomènes purement économiques, et cette conception essentielle est en opposition irréductible avec la vôtre. Vous faites de la République le chapitre premier ou la préface du socialisme. Si cela était vrai pour la France, ce serait vrai pour tous les autres pays... » (cité par Jean-Pierre Rioux dans sa biographie de Jaurès, p.184).

 

Tout en recommandant, influencée par la numériquement très forte social-démocratie allemande de Bebel et Liebknecht (plus conciliant avec Jaurès), aux socialistes français de renoncer à leur tactique de participation ministérielle et de front républicain, la IIème Internationale exigeait aussi des socialistes à Amsterdam qu'ils se regroupent dans un grand parti unifié.

L'unité des socialistes avait été l'ambition passionnée de Jaurès depuis 1893 mais c'est finalement indépendamment de ses efforts, au moment où il est le plus violemment chahuté par les socialistes partisans d'une posture révolutionnaire de stricte lutte des classes, qu'elle va voir le jour.  

 

3) les débuts de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO) née le 24 avril 1905.

 

a) D'abord désavoué et exclu de la direction politique du parti , Jaurès conquiert peu un peu un leadership incontesté par sa capacité à harmoniser les contraires.

 

Jaurès, vaincu, est évincé de la nouvelle Commission administrative permanente (CAP) qu'animeront Guesde et Vaillant.

Le journal qu'il a lancé le 18 avril 1904, L'Humanité, trop peu prolétarien par son exigence et son ouverture aux combats républicains et aux auteurs intellectuels bourgeois, cède la place au journal Le Socialiste comme organe officiel et unique du parti. Les socialistes de droite les plus engagés dans la co-gestion du pays avec les radicaux, Millerand, Viviani, Briand, Paul-Boncour, Painlevé, quittent la SFIO naissante, qui réussit tout de même à garder 51 députés aux législatives de 1906. Lors de ce congrès du Globe en 1905, les orientations jauressistes paraissent battues sur toute la ligne: plus de syndicats, plus de coopératives dans les sections unifiées, refus du « ministérialisme ».

Toutefois, à partir de 1905, la capacité de Jaurès à saisir les nouveaux mouvements d'opinion, son charisme, son art de la synthèse et son souci d'unifier les socialistes derrière des combats qu'ils peuvent mener efficacement vont faire du tribun le leader incontournable de la SFIO.

 

b) Le congrès de Toulouse en 1908 et le parti de « l'évolution révolutionnaire ».

 

Le congrès de Toulouse d'octobre 1908 marque l'apogée de l'influence jaurésienne sur le parti.

Déjà depuis la création de L'Humanité en 1904, qui était au départ perçu comme le journal de la frange réformiste et républicaine, voire bourgeoise, des socialistes, le journal de Jaurès s'est ouvert de plus en plus à la diversité des tendances du mouvement socialiste, en laissant une tribune aux syndicalistes-révolutionnaires de la CGT, aux mutualistes et coopérateurs post-proudhoniens, et même à des guesdistes tels que Paul Lafargue. Parallèlement, Jaurès s'était rapproché de l'extrême-gauche des socialistes et de l'anarcho-syndicalisme en défendant lors de ses procès l'instituteur iconoclaste, anti-militariste et anti-patriote Gustave Hervé, tout en précisant qu'il ne partageait pas les outrances idéologiques du directeur du brûlot hebdomadaire La guerre sociale. 

Le tribun socialiste avait aussi refusé de récuser la Charte d'Amiens que la CGT adoptait en 1906 pour assurer son indépendance par rapport au parti socialiste marxiste par rapport aux choix de ses buts et de ses stratégies contrairement à la majorité guesdiste qui privilégiait la position de surplomb du Parti par rapport au syndicat. Or, la CGT était devenue une sorte de second parti socialiste, comptant bien plus de militants, en compétition avec une SFIO trop peu ouvrière.

Jean-Pierre Rioux, dans son Jean Jaurès (p.190), raconte les trois journées du congrès de Toulouse: « les « droitiers » ont raillé les insurrectionnels. Lafargue a soutenu sans rire que le repos du dimanche et le droit à la retraite ne changerait rien au rapport de classe: « Est-ce que la loi Grammont interdisant au charretier de frapper ses chevaux a eu pour résultat de diminuer le pouvoir du maître sur son cheval? »... Vaillant a déploré les stériles luttes de tendances et s'est rapproché de Jaurès, mais, Lagardelle, frais débarqué du syndicalisme révolutionnaire, a vanté au contraire le Grand Soir et ses nouveaux « blanquistes » si impatients ». Et voilà que la voix de Jaurès se fait entendre proposant sa « réforme totale » et son « évolution révolutionnaire » comme horizon de l'action socialiste unitaire. Il s'agit de rester ferme sur l'ambition socialiste, la suppression de la propriété capitaliste, le « travail souverain devenu maître de tous les moyens de production et d'échange », de ne pas s'interdire de prendre le pouvoir et de le conserver provisoirement par la force pour organiser politiquement la révolution sociale une fois que les ouvriers y seront prêts grâce à un effort d'éducation et d'organisation. Il même temps, il ne faudra pas pour autant renier le développement ici et maintenant de coopératives, d'associations ouvrières de toutes sortes, et pas non plus déprécier l'engagement dans l'action parlementaire si elle peut instaurer déjà des fragments de société socialiste (comme avec les retraites basées sur des cotisations mutualisés ou l'impôt progressif sur le revenu finançant de vastes services publics) et améliorer les conditions de vie des travailleurs et, en leur permettant de dépasser le souci de la subsistance et de la sécurité professionnelle, les rendre plus exigeants: « Ce que j'ai dit, affirme Jaurès dans son discours de Toulouse du 18 octobre 1908, c'est que chaque réforme, une fois réalisée, donnait à la classe ouvrière plus de force pour en revendiquer et en réaliser d'autres, et que chaque réforme, une fois réalisée, ébranlait des intérêts nouveaux, suscitait des questions nouvelles et obligeait par la même les pouvoirs publics, sous la pression du prolétariat toujours en éveil, à adopter des réformes nouvelles ».

 Dès lors, comment ne pas voir que les coopératives de production qui protègent les producteurs contre les appétits des marchands, l'action parlementaire et syndicale pour les hausses de salaire, l'augmentation du temps libre, la mise en place d'une première forme d'assurance sociale avec des caisses de solidarité pour faire face à la vieillesse, à l'accident de travail, à la maladie, rendent le prolétariat « plus heureux, plus libre, par conséquent plus exigeant et plus capable d'accomplir l'entière révolution de propriété, terme de l'effort socialiste »?

Jaurès est vivement applaudi et sa motion est adoptée à l'unanimité moins une voix par les délégués socialistes. La motion finale indique que le Parti socialiste « rappelle sans cesse au prolétariat, par sa propagande, qu'il ne trouvera le salut et l'entière libération que dans le régime collectiviste ou communiste; il porte cette propagande dans tous les milieux pour susciter partout l'esprit de revendication et de combat. Il amène la classe ouvrière à un effort quotidien, à une action continue pour améliorer ses conditions de vie, de travail et de lutte, pour conquérir des garanties nouvelles, de nouveaux moyens d'action, précisément parce qu'elle n'est pas arrêtée dans sa revendication incessante par le droit, périmé à ses yeux, de la propriété capitaliste et bourgeoise ». Une formule non dépourvue d'ambiguïtés et de désillusions futures résume tout: « Parce que le Parti socialiste est un parti essentiellement révolutionnaire, il est le parti le plus réellement réformiste ».

Le « réformisme révolutionnaire » de Jaurès, distinct du marxisme orthodoxe des socialistes allemands comme du révisionnisme de Berstein qui abandonne l'idéal révolutionnaire et la lutte des classes au profit d'un idéal technocratique de gestion de l'Etat social, « paraît compatible avec la forte intégration, ressentie par Jaurès comme par la majorité des militants, du socialisme français dans la République, elle-même héritière de 1789, et qui doit être défendue contre les forces du passé et leurs entreprises autoritaires ou retrogrades » (Pierre Lévêque, opus cité. p.314).

 

Ismaël Dupont.

 

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 19:28

 

Sans véritable surprise mais avec colère, nous avons appris cette semaine que l'application locale de la politique sarkozyste de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et de fragilisation du service public d'éducation se traduirait l'année prochaine par la planification de la suppression d'un poste d'enseignant à l'école Jean Jaurès. La droite a bien évidemment attendu que soient passées les élections cantonales pour annoncer des cartes scolaires désastreuses (prévoyant la suppression de 40 postes à l'école élémentaire dans le Finistère à la rentrée 2011) qui sont la conséquence de saignées budgétaires détériorant les conditions d'enseignement et remettant en question l'égalité des chances.

Mettre en difficulté les instituteurs de l'école Jean Jaurès est d'autant plus injuste qu'ils ont fait des gros efforts cette année pour accueillir dans les meilleures conditions les élèves de l'école Corentin Caër en réfection et qu'ils enseignent chaque année à des enfants qui, n'étant pas issus de milieux favorisés, ont d'autant plus besoin d'effectifs en classe suffisamment légers pour permettre des apprentissages différenciés.

Pourquoi serait-il scandaleux qu'une société riche comme la France assure dans une école des effectifs de 23 élèves par classe en moyenne? Comment comprendre que l'éducation nationale s'accommode de la suppression du droit effectif à la scolarisation en maternelle à partir de 2 ans, alors qu'il est prouvé qu'elle favorise la réussite scolaire des enfants issus de milieux peu dotés culturellement et socialement? Ou alors qu'elle tolère des effectifs de 35 enfants en petite section, comme cela semble devoir advenir à l'école Jean Jaurès l'an prochain? La section communiste du pays de Morlaix soutient les enseignants, les parents, et les personnels de l'école Jean Jaurès dans leur combat contre cette aberration et affirme sa solidarité avec les instituteurs grévistes du lundi 4 avril.

Elle soutient également le combat des parents d'élève et des enseignants de de l'école Robert Desnos de Pleyber-Christ contre la suppression de poste annoncée qui va surcharger les classes de maternelle.

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