André Chassaigne, ancien professeur et proviseur, a été découvert par le grand public avant de postuler à la candidature Front de Gauche pour les présidentielles 2012 après son remarquable score de 24% à la tête d'une liste Front de Gauche élargi à des Verts antilibéraux et au NPA au deuxième tour des élections régionales dans le Limousin. Il a aussi mené avec intelligence et efficacité la résistance parlementaire jusqu'à obtenir au printemps 2008 le vote d'une motion de procédure qui rend caduque le texte autorisant les cultures OGM en France.
Cet essai très documenté, écrit avec élégance, modestie et sens des réalités mêle à une réflexion de fond sur les enjeux de l'alimentation mondiale, de l'accès à l'eau, des transports et de l'habitat écologiques, de l'énergie et des biotechnologies, la chronique de ses années d'activité de parlementaire et le récit d'expérimentations locales d'un autre mode de développement.
Sa préoccupation pour les dégâts causés par nos modes de vie coûteux en ressources naturelles et polluants et le capitalisme mondialisé vient d'abord d'un sentiment d'appartenance à une terre dont notre vie tire sa beauté, mais qui ne saurait être réduite à un rôle purement instrumental, « sentiment des grandes forces cosmiques, l'eau, le vent, les grands chênes » que l'homme du sud-ouest qu'est André Chassaigne éprouve comme Jean Jaurès en son temps. Enfant d'une cité ouvrière et communiste depuis longue date, l'auteur a nénmoins longtemps conçu la nature comme ce qui devait être exploité, rentabilisé indéfiniment au service du progrès social et grâce au progrès technique mais, ses conversations avec des amis Yves Cochet (député Vert et ancien ministre de l'environnement) ou Jean Lassale (Modem), de même que ses propres travaux parlementaires quotidiens, l'ont amené à rééxaminer de manière critique « la culture productiviste » que le parti communiste partageait, au nom du développement humain, avec beaucoup d'autres composantes politiques. Cette évolution peut même le pousser à partager l'idée qu'il existe une harmonie dans les écosystèmes dans lesquels s'enracine toute vie que l'homme doit s'efforcer de ne pas saccager par la démesure de ses appétits et de ses passions, ce qui est sensible quand il reprend à son compte la parole aux résonances panthéistes retranscrite en 1854 du Chef indien Seattle:
« Ceci nous le savons: la terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la terre. Toutes les choses sont liées entre elles comme le sang est le lien entre les membres d'une même famille. Nous ne tissons pas la toile de la vie. Nous ne sommes qu'un fil dans la toile de la vie. Ce que nous faisons à la toile nous le faisons à nous-mêmes. Toutes les choses sont liées entre elles... »
Quelles sont les grandes idées, les analyses et les propositions les plus significatives mises en valeur cet ouvrage riche et stimulant?
I. Les principes qui doivent gouverner notre conciliation de l'ambition sociale et du souci écologiste (chapitre II).
1) Il ne faut pas se leurrer sur l'efficacité d'une « écologie apolitique » et toute écologie politique implique une remise en cause du modèle libéral et capitaliste dominant.
Pour exemple, « trier son papier, éteindre la lumière et fermer le robinet doivent devenir des mécanismes...mais reconnaissons, écrit A. Chassaigne, que l'impact sera minime si on ne fait pas bouger les politiques industrielles d'entreprises obsédées par l'appât du gain » (p. 17). L'idée qu'il peut et doit y avoir un consensus trans-partisan sur des réponses écologiques à l'épuisement des ressources naturelles et à la pollution est un mythe, A. Chassaigne n'hésite pas à l'affirmer, et un mythe qui sert objectivement les intérêts du système et des entreprises responsables de la crise écologique: Promue par des personnalités complices du libéralisme telles que Nicolas Hulot ou Yann-Arthus Bertrand, « cette écologie hors du politique fait le pain béni des adeptes d'un libéralisme sans limites. Pensez-donc, une écologie sur le seul terrain de la morale, qui n'implique pas de s'attaquer aux racines du problème (à savoir le système économique, les modes de production, les habitudes de consommation) pour au contraire faire peser toute la responsabilité environnementale sur l'individu, le citoyen, le consommateur acculé à relayer une pollution déjà produite bien loin en amont ».
2)Le capitalisme vert peut certes, guidé par la capacité des acteurs de l'économie à s'adapter à de nouvelles conjonctures pour maintenir leur taux de profit, créer des technologies écologiques innovantes, mais il ne saurait être la solution à privilégier face aux crises écologiques et il est absolument nécessaire que l'Etat lui aussi investisse dans la recherche et la mise en œuvre des nouvelles technologies écologiques.
André Chassaigne s'indigne comme Mélenchon du nouveau marché de la pollution carbone qui est en train d'être créé lors d'accords internationaux sur l'environnement et qui implique la création de véritables bourses de permis à polluer car si la pollution a un prix fixé par le marché comme cela existe au niveau européen dans le Système Communautaire d'Echange de Quotas d'Emissions Carbone (SCEQE), cette pollution acquiert également une légitimité. De plus, « dans ce nouveau champ du libre-échange, qui pourra interdire d'accumuler, de stocker, de vendre, de faire de l'argent sur cette pollution? » (p.26). La pollution pourrait alors devenir source de profit en elle-même. Par ailleurs si des technologies vertes telles que de nouvelles voitures moins polluantes ou plus économes de carburants engendrent une surconsommation, elles ne résoudront en rien les problèmes environnementaux. Les solutions techniques peu coûteuses au niveau de la réorientation de nos modes de vie ne peuvent suffire s'il n'y a pas dans les esprits et les lois une remise en question globale de nos modes de développement et de consommation.
3)Promouvoir une forme de décroissance est une nécessité rationnelle à condition de ne pas abandonner l'objectif d'émancipation humaine et de ne pas diaboliser le progrès technique et l'activité transformatrice de l' homme en général.
Sachant que le bien-être n'augmente pas mécaniquement avec la consommation de biens matériels et que les modes de vie des occidentaux modernes exigeraient 5 terres pour trouver un équilibre tant ils sont dispendieux en énergies et en ressources naturelles, on ne peut faire l'impasse d'une réflexion sérieuse sur la théorie de la décroissance. En effet, comme A. Chassaigne la caractérise bien, « bien que non unifiée, elle est la critique la plus radicale qui soit du productivisme. Elle prône une réduction du volume de l'activité économique mondiale pour rendre celle-ci écologiquement tenable, et une réorganisation de la production et de la consommation pour répondre non pas à des exigences de profit, mais aux besoins des êtres humains. C'est une critique qui va bien au-delà de l'économie: elle dénonce un système qui déshumanise en poussant à la consommation, qui détruit l'homme comme la nature, en le forçant à aller vers toujours plus, encore plus de possessions matérielles. La théorie de la décroissance déconstruit un idéal de progrès qui serait une marche mécaniquement bénéfique des sciences et des technologies, et elle construit en contrepoint un mouvement collectif de responsabilité envers notre planète » (p.29).
II. Le besoin de régulation et d'investissement étatique pour faire face aux grands défis écologiques.
1)La gestion de l'eau.
« En France, hormis quelques exceptions, la desserte en eau potable est assurée dans de bonnes conditions sous le contrôle des collectivités locales. Mais si la loi fait obligation aux communes de gérer les services d'eau, ils sont délégués à des entreprises privées dans 71% des cas, représentant 45 millions d'habitants » (p.58). Or, l'eau est un bien commun qui devrait échapper à toute logique de marchandisation. Mais, comme elle est rare dans beaucoup de partie du monde et souvent impropre à la consommation à l'état brut, elle nécessite partout dans le monde pour être rendue potable des travaux d'assainissement et de recyclage qui requièrent des technologies coûteuses. Pour l'instant, seules les multinationales de l'eau se positionnent dans l'innovation technologique du fait du retrait des Etats de la gestion de ces secteurs et par carence de la recherche publique. Or, elles le font avec des objectifs exclusifs de rentabilité alors qu'il s'agit de satisfaire des besoins fondamentaux des hommes en leur garantissant une eau de qualité en quantité suffisante. Il est nécessaire donc de ne pas laisser aux multinationales de l'eau telles que Véolia ou Suez-Lyonnaise des eaux qui en France emploient jusqu'à 33000 salariés l'exclusivité de la maîtrise des techniques de traitement et d'assainissement des eaux.
2)La question de l'énergie.
Chassaigne rappelle qu'en France c'est la maîtrise par la nation de la production énergétique à travers EDF qui a permis d'atteindre l'auto-suffisance en développant un parc de production nucléaire (75,2% des sources d'électricité en 2009) et hydroélectrique (11,9% en 2009). Or, au nom de la prise en charge de la filière par le privé recommandée au niveau européen et acceptée par nos responsables politiques, on organise la désorganisation, multiplie les recours à la sous-traitance, accroît les risques environnementaux. Le dernier avatar de cette logique ultra-libérale de l'union européenne est la loi NOME (Nouvelle Organisation des Marchés de l'Electricité) qui impose à EDF de mettre à disposition des opérateurs privés tels que GDF Suez 25% de sa production d'électricité d'origine nucléaire en leur permettant de faire des profits sur le dos des usagers et des contribuables, ce que le député du Havre Daniel Paul a dénoncé dans un débat houleux à l'Assemblée Nationale. En réalité, on est en train de privatiser le produit de 60 ans d'investissements publics qui ont eu des retentissements sur les factures passées des usagers. Il n'est pas sûr non plus que l'Etat maintienne son monopole à EDF pour gérer et créer des centrales nucléaires, GDF Suez s'étant déjà positionnée sur cette question. Même s'il ne pense pas que l'on puisse rapidement faire du nucléaire une source d'énergie secondaire, Chassaigne rappelle qu'à niveau de consommation inchangée, on ne disposerait que de 30 années d'uranium récupérables en dessous de 80 dollars le kilo et que l'accès à cette ressource peut être rapidement l'objet de conflits internationaux d'ampleur. Par rapport aux besoins qui s'expriment à l'échelle du monde (dessalement de l'eau de mer), compte tenu du changement climatique accéléré par les émissions de carbone et du déclin inévitable des productions mondiales de pétrole et de gaz naturel, il est néanmoins impensable de sortir du nucléaire à moyen terme, même s'il ne faut pas négliger les dangers liés à de possibles accidents et à la durée de dangerosité très longue des déchets.
Ce qu'il faut travailler essentiellement, c'est l'économie d'énergie dans l'habitat et les secteurs d'activité économique et la production d'énergie à partir de l'utilisation de déchets et de ressources inépuisables. Au chapitre 6, Chassaigne discute ainsi des avantages et des inconvénients de l'incinération des déchets qui fait si peur aux riverains, puis met en avant l'émergence de bâtiments pouvant produire leurs propres énergies.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre passe aussi par une promotion du fret ferroviaire pour les transports de marchandises et d'un transport collectif accessible à tous par sa desserte du territoire et ses tarifs. Or, la privatisation et l'ouverture à la concurrence du fret et du transport de voyageurs, la gestion comme une entreprise privée de la SNCF qui sont les conséquences des dogmes néo-libéraux promus au niveau de l'UE rendent ces objectifs d'intérêt général fort difficiles à atteindre (chapitre 9).
3) La question de l'alimentation.
Aujourd'hui, si 1 humain sur 6 est sous-alimenté, cela est largement dû à l'application universelle des politiques libérales et au lobbying efficaces des grands groupes agro-alimentaires, notamment ceux spécialisés dans les « agrocarburants, ce pétrole vert qui creuse les ventres ». Deux principes essentiels doivent guider les accords internationaux en matière de gestion ressources alimentaires: la souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire. L'application de ces principes suppose une relocalisation des productions, la suppression du primat des monocultures d'exportation. Or, les industries agro-alimentaires et la grande distribution tendent de plus en plus à délocaliser les productions qui nécessitent de la main d'œuvre.
Au chapitre 7, Chassaigne cite ainsi un exemple édifiant donné par Gerard Le Puill: « En surgelés, une poêlée de légumes bien de chez nous avec le logo de Bonduelle peut provenir d'une demi-douzaine de pays. Les choux-fleurs arrivent de Pologne, car leur prix de revient est inférieur à 30% à celui des choux-fleurs bretons. Les choux brocolis viennent du Guatemala, les poivrons de Turquie, les asperges du Pérou, les haricots verts du Kenya, les petits pois et les champignons de Chine...»
Et la même dérive est à l'œuvre pour les produits carnés: les ministres de l'agriculture européens décidaient ainsi de multiplier par 5 en mai 2009 les volumes d'importation ouverts au bœuf américain qui est élevé avec des exigences sanitaires bien moins fortes. Actuellement, après avoir sabordé la paysannerie des états du Tiers Monde en forçant ces derniers à supprimer leur protectionnisme pour accueillir des produits européens à bas coût subventionnés par la PAC, l'UE est en train de sacrifier l'agriculture européenne au sein de l'OMC pour ouvrir de nouveaux débouchés, notamment à l'industrie aéronautique, à l'automobile, aux services. La protection des marchés intérieurs est essentielle pour garantir une agriculture à la fois productive et garante du maintien de la fertilité des sols, d'un environnement sain, et du maintien de l'emploi rural.
En conclusion de cette présentation des thèses d'André Chassaigne, on peut citer un beau paragraphe qui nuance un peu l'adhésion au respect quasi religieux de la terre nourricière du chef indien Seattle invoquée en introduction et qui combat ceux qui s'en tiennent à une simple dénonciation morale et anti-humaniste de l'agression de l'environnement naturel: « Il nous faut briser l'image d'Epinal d'une nature indemne de toute intervention humaine, d'une nature « naturalisée »...Car ce n'est pas l'homme qui tue la nature, ce sont les rapports des hommes entre eux qui lui nuisent gravement ». (p.163).
Compte-rendu réalisé par Ismaël Dupont le 21/01/2011