Les éditoriaux de Ouest France se suivent et se ressemblent trop. Avant-hier, 27 août, François Regis Hutin, commentant dans un sens anti-redistributif la formule de Saint Exupéry "Jette leur du grain, ils se battront. Fais-les construire une cathédrale, ils s'uniront", propose à ces enfants irréfléchis et dissipés que seraient les français de se rassembler autour de la construction européenne et de la lutte contre le protectionnisme et cet idéal de "démondialisation" qu'il juge démagogique et contraire au sens de l'histoire (parce qu'il confond à dessein la réalité d'une accélération des contacts humains et commerciaux au niveau mondial induit par les progrès techniques et la mise en concurrence politiquement orchestrée des peuples et des systèmes sociaux pour le plus grand profit du capital au travers de la dérégulation des mouvements de capitaux). Sans cela, nous dit notre petit père des peuples centriste, en excitant des convoitises et des frustrations, notre société de consommation va produire dans nos sociétés riches une recrudescence des "pillages et de manifestations tournant à l'émeute". C'est un sacré tour de passe-passe digne d'un Cameron ou d'un Sarkozy que celui qui consiste à faire passer la révolte contre les inégalités et la brutalité policière, celle des jeunes londoniens cet été et celle des banlieues parisiennes en 2005, pour une révolte d'individualistes trop gâtés incapables de se sacrifier à des idéaux communs.
Aujourd'hui, 29 août, c'est Michel Urvoy qui cherche lui aussi à éteindre l'incendie de la révolte sociale qui couve en mettant en garde les socialistes contre un excès d'audace dans leurs promesses en matière sociale ou de service public: "une opposition susceptible de l'emporter ne peut pas délivrer n'importe quel message, n'importe quel excès de promesses, sans risquer de favoriser son adversaire pour défavoriser la confiance dans la France". Sous-entendu: si vous ne voulez pas que nous perdions notre triple A - ah, ah, ah!...- il faut bien oser dire aux français qu'il faudra se serrer la ceinture.
Cela tombe bien: comme le déplore Jean-Paul Piérot dans son éditorial de L'Humanité du jour, les leaders socialistes lors de leur université d'été de La Rochelle n'ont pas développé "d'idées fortes pour construire une victoire de la gauche solide et péréenne" mais se sont contenté de rodomontades et de petites phrases pour afficher leur différence et leur confiance dans la perspective de la compétition des Primaires, François Hollande dépassant sans doute les autres dans l'usage excessif du JE censé lui créer par la magie de l'égotisme une stature présidentielle et le mettre en phase avec la France profonde passionnée par les hommes providentiels sûrs de leur destin... En revanche, rappelle J.P Pierrot, "au moment où Nicolas Sarkozy agite le chiffon rouge de la dette pour réduire les dépenses utiles à la société, comprimer la consommation et étouffer la croissance, le Parti socialiste en reste à promouvoir une répartition plus équitable de sacrifices dans le cadre du retour aux 3% de déficits publics en 2013 ou 2014". L'invocation assumée par beaucoup de candidats à la primaire socialiste, Hollande et Aubry en tête, au "sérieux" nécessaire fait partie d'une pédagogie du renoncement appelé à légitimer la politique de rigueur qui suivrait une victoire en 2012 et à assurer cette victoire en pariant sur la généralisation chez les français de la conviction que nous sommes impuissants à changer les règles du jeu actuelles du capitalisme financier et mondialisé.
Tout en réaffirmant que notre objectif premier était de se débarasser de Sarkozy et de construire une majorité de gauche en 2012, Pierre Laurent a rappelé que le consentement des socialistes à l'austérité, qui cache une résignation plus grave encore au fonctionnement du capitalisme actuel, est inacceptable. Il a marqué sa différence à l'université d'été du PCF à Karellis (Savoie) en disant que dans la campagne pour 2012, "nous ne concourons pas pour le titre de meilleur gestionnaire de la crise, nous sommes candidats pour porter des solutions pour en sortir".
Cela passe par une définanciarisation effective de l'économie au travers d'une lutte effective contre les paradis fiscaux et d'une harmonisation fiscale européenne, d'une taxation des mouvements de capitaux et de la reprise du contrôle du mouvement des capitaux aux frontières de l'union européenne, d'une fiscalité plus lourde sur les riches, d'une séparation des banques de dépôt et d'investissement, d'un grand pôle financier public pour limiter la croissance de l'économie financière.
Cela suppose aussi une réforme des statuts de la Banque Centrale Européenne, qui devrait être placée sous le contrôle du Parlement européen et être autorisée à créer de la monnaie pour racheter les dettes des Etats et leur prêter à des taux d'intérêt très bas. Cela peut passer enfin par une annulation d'une partie de la dette des Etats européens, jugée illégitime (car produite pour moitié par les taux d'intérêt usuraires exigés par les banques depuis 30 ans), et une annulation des politiques dites de rigueur qui étouffent la croissance dans l'oeuf et se traduisent par la stagnation des salaires, le chômage, la baisse des prestations sociales et le délitement des services publics accessibles à tous.
Pour aller vers ces réformes structurelles qui rompraient avec les logiques de marchandisation et de socialisation des pertes privées, il est indispensable de renouer nous dit Pierre Laurent avec une "gauche de courage" qui engage le bras de fer avec les puissances financières afin de satisfaire les exigences légitimes de la population en termes d'emploi, de services publics, de protection sociale, de salaires. Pour cela, dès aujourd'hui, il faut tenter d'élever le niveau d'exigence et de combativité de notre population et non l'encourager au fatalisme et au renoncement au progrès social.
Dans son discours de vendredi dernier, Pierre Laurent a aussi dénoncé « l’été des grands mensonges », s'en prenant au discours dominant sur l'action des marchés. Pour lui, « il ne s’agit pas d’une main invisible mais d’un ensemble d’acteurs identifiés : des grands groupes capitalistes, des grandes banques, des institutions financières, des fortunes colossales amassées grâce au dumping social… ». De même, il a dénoncé « les mensonges sur la non-responsabilité des gouvernements dans la crise » et ceux entourant le plan d’austérité. « Il aura pour conséquence, une récession durable. » a-t-il martelé. La veille, Pierre Laurent avait participé à l’envahissement des locaux de l’agence de notation Standard & Poor’s, désignant ainsi la nécessité d'engager l'épreuve de force avec le capital: « il faut combattre le chantage des marchés, inverser la vapeur, en fermant la chaudière de la finance et en alimentant celle de la relance sociale». Pierre Laurent a également appelé en vue des législatives et des présidentielle à la constitution dans les entreprises et les quartiers « d’assemblées citoyennes ». « Nous voulons être la nouvelle voie à gauche et donner confiance à tous ceux qui veulent arracher la page du sarkozysme et qui aujourd’hui doutent » a-t-il lancé, avant de céder la parole au candidat du Front de gauche pour l’élection présidentielle.
Devant les communistes, Jean-Luc Mélenchon l’a réaffirmé : « désormais je ne dis plus "je" mais "nous" et je me demande à chaque instant si vous êtes d’accord. » Pour lui, la France peut être un moteur du changement en Europe et dans le Monde : « notre pays n’est pas la cinquième roue du carrosse, c’est la cinquième puissance mondiale. » Critiquant le capitalisme vert et les candidats socialistes qui « avalent tout rond la règle absurde des 3% de déficit donnant ainsi la victoire idéologique aux sarkozysme », Jean-Luc Mélenchon a affiché sa sérénité : « La saison des tempêtes est revenue mais nous avons un outil pour y faire face, c’est le Front de gauche »
Tout au long du week-end, les 500 participants de l'université d'été des Karellis, haut lieu du tourisme social dans les Alpes, ont enchaîné les débats sur les défis posés par la crise: "Quelle politique économique pour un vrai changement?", "Quelle fiscalité pour demain?", "Faut-il achever l'euro?", "La crise, le peuple et la politique, enquête sur l'opinion" avec le sociologue Michel Simon, "Quelle assise sociale pour la gauche?", "Comment battre le FN de Marine Le Pen?"
La couverture de l'université d'été du PCF à Karellis par ALTERNATIVE TV:
Et aussi, un bref reportage télévisé (TV8 Montblanc) sur l'université d'été du PCF:
http://lejt.tv8montblanc.com/L-universite-d-ete-du-PCF_v2655.html
Il y a eu ces derniers jours dans les médias une polémique lancée sur le choix du PCF et du Parti de Gauche d'organiser leurs universités d'été séparement, choix qui traduirait selon les commentateurs les difficultés et l'inachèvement de l'union incarnée par le Front de Gauche. Même si on peut regretter en effet que nos universités d'été aient été organisées le même week-end, ce qui interdisait aux militants de participer aux débats ouverts aux sympathisants et autres militants de gauche de l'université d'été du partenaire, il n'y a rien d'anormal à ce que chaque parti conserve une force de réflexion et de renouvellement des propositions autonome, et Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, en assistant respectivement aux universités d'été du PCF et du Parti de Gauche, ont bien montré que nous avions des objectifs partagés et un combat à mener en commun au niveau du Front de Gauche, même si chaque composante du Front de Gauche gardait son indépendance et sa spécificité. A l'université du Parti de Gauche, il y avait des personnalités communistes et des intellectuels de la gauche critique qui témoignent là aussi d'une volonté d'ouverture et de rassemblement de la gauche anti-libérale. On peut lire ainsi sur un site d'information: "Sur la liste des invités au stage grenoblois, on remarque des personnalités des médias (Edwy Plenel de Mediapart, Denis Sieffert de Politis...), des militants associatifs (Jean-Baptiste Eyraud du DAL, quelques économistes dont Jacques Généreux (IEP de Paris, ex-PS) et Yves Dimicolli (commission économie du PCF), de nombreux syndicalistes, des militants tunisiens et marocains... et des communistes, des élus, des militants mais aussi certains dirigeants, telle Marie-Pierre Vieu, ou d’anciens, comme Roger Martelli et Patrice Cohen-Seat".
Lors de cette université d'été du parti de gauche dans la banlieue de Grenoble, Jean-Luc Mélenchon a violemment attaqué le favori des sondages pour les primaires socialistes, François Hollande, en lui reprochant le "cynisme" qui consiste à plaider depuis des mois pour la rigueur et les sacrifices nécessaires tout en prétendant engager un rapport de force avec les pouvoirs financiers et préparer le chemin pour le relèvement de la France et l'insertion de la jeunesse.
On peut regretter qu'il ait choisi de cibler prioritairement un candidat dans ses critiques alors que c'est tout le projet et la stratégie du PS qui compromet l'alliance à gauche et le véritable changement en 2012. On ne peut par ailleurs qu'approuver sa proposition de grand débat élargi à toutes les forces de gauche, du PS au NPA, pour clarifier les divergences et les convergences sur les moyens du changement pour 2012 et de la sortie de la crise économique et sociale, le but étant aussi de mettre au premier plan des médias les diagnostics sur les causes de la crise et les projets plus que la politique-spectacle et les rivalités d'ambitions.