Après avoir présenté les intervenants (Jean-Yves Guézenec et Alain Rebours) et la démarche de co-élaboration de notre programme dans le cadre de ces débats pour construire un programme partagé, celui-ci étant le troisième après ceux portant sur les services publics en janvier, puis la démocratie et les institutions en avril, Jean-Luc Le Calvez a rappelé que le maire, Agnès Le Brun, nous avait refusé sous des prétextes un peu douteux la salle de MAJ à la Boissière pour accueillir la réunion. Yves Abramovicz a fait remarqué qu'il était inacceptable qu'en nous imposant cette salle située au premier étage sans ascenseur, on accepte d'exclure d'emblée que des handicapés puissent assister à une réunion citoyenne. Hervé Penven (père) a rappelé ensuite que la salle du rez de chaussée prétendument réservée aux services techniques que la mairie nous a refusée trouvait en réalité couramment un usage pour des réunions de quartier. Christian, sympathisant du Front de Gauche, a donc émis la suggestion d'adresser un courrier au maire et à la presse émanant de toute l'assistance de cette réunion, et non pas seulement des trois organisations du Front de Gauche (PCF, GU, Pa rti de Gauche), qui serait signé par tous, et il s'est engagé à le rediger.
Exposé sur l'énergie de Jean-Yves Guézenec
(militant communiste des Côtes d'Armor, ancien ingénieur dans le nucléaire, membre de la commission nationale du PCF sur l'énergie).
On est à l'aube d'un changement de civilisation. La facilité d'utiliser le pétrole, qui a permis un étalement des villes, touche à sa fin. Autant on a observé une transition douce, dans une forme de continuité dans le transmission de relais entre le bois et le charbon, puis entre le charbon et le pétrole, la source d'énergie la plus archaïque continuant à chaque fois à être utilisée, autant l'épuisement des réserves d'énergie fossile annonce une transition dure. En effet, aujourd'hui, les énergies consommées dans le monde sont essentiellement d'origine fossile: pétrole: 34%; charbon: 27%; gaz:21%. L'électricité dans le monde ne provient elle-même qu'à 14% du nucléaire, 21% du gaz, 42% du charbon, 16% de l'hydraulique.
Or, il va falloir d'ici quelques années, du fait de l'augmentation de la population, multiplier par 2 ou par 3 la consommation mondiale. Il faudra plus d'énergie pour les transports, l'agriculture et la pêche. Parallèlement, la lutte contre le dérèglement climatique lancée dans les institutions internationales aux sommets de Rio, Kyoto, Copenhague, impose de limiter les émissions de gaz à effet de serre de 3 gigatonnes par an afin de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés. Si l'on y regarde de près, la mise en œuvre de cet objectif impose de ne pas délaisser mais au contraire de développer le nucléaire: par exemple, 1kwh 'électricité produit en Allemagne est source de 7 fois plus d'émission de CO2 qu'1 kwh produit en France.
Les énergies de substitution sans carbone sont le nucléaire, l'hydraulique, l'éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie.
Ne nous le cachons pas, le nucléaire est une industrie dangereuse: elle l'est d'abord du fait de son utilisation militaire, ensuite du fait du risque d'accidents graves sur les réacteurs dus pour Jean-Yves Guézéguel à Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima à des erreurs de conception sur les centrales et à une mauvaise organisation des autorités de sûreté que l'on peut éviter. Quant aux déchets nucléaires, pour JY Guézéguel, on surestime largement leurs dangers une fois enterrés: on devrait davantage parler à son sens des dangers des déchets de l'industrie chimique. Selon notre intervenant, la baisse des réserves d'uranium pourrait être conjurée et on pourrait produire quasiment pour 3000 ans d'électricité provenant du nucléaire si on mettait réellement en œuvre des réacteurs de la génération 4 (du type Superphénix, arrêté par le gouvernement Jospin) utilisant de l'uranium appauvri, résidu de l'activité des réacteurs classiques. J.Y Guézénec regrette qu'en ait arrêté de construire des centrales nucléaires pendant 15 ans, risquant ainsi de perdre un savoir-faire précieux. Il pense qu'à l'avenir, les pays développés ne pourront pas se passer de nucléaire et qu'il serait raisonnable de réserver le maximum d'énergie fossile aux pays pauvres.
Les autres énergies décarbonées alternatives au nucléaire présentent aussi certains inconvénients et ne peuvent se substituer totalement aux énergies fossiles. Le problème de l'éolien, c'est son intermittence. Les variations de puissance peuvent être très rapides. L'éolien peut mettre en cause la stabilité du réseau. J.Y Jézéguel regrette également l'espèce de « bulle spéculative » qui s'est créé avec les déductions fiscales et le rachat par EDF à prix surévalué de l'énergie émanant du photovoltaïque. La géothermie exigerait une mutualisation des puits et ne serait pas non plus sans dommage sur l'environnement car on fracture la roche.
Le problème de l'énergie nous place en face de chantiers économico-politiques:
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créer un pôle public de l'énergie.
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Quelles actions pour réduire les gaz à effet de serre? Résister à l'engouement pour le gaz?
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Abrogation de la loi NOME qui impose à EDF de céder à bas prix l'énergie qu'elle produit à des opérateurs privés qui lui font concurrence et revendent l'électricité plus cher.
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Créer un statut plus sécurisé pour les travailleurs du nucléaire.
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Créer une traçabilité du carbone en Europe.
Alain Rebours (militant de la Gauche Unitaire du pays de Morlaix).
Je pense qu'au fond le débat sur « Quel type d'énergie? » pose au préalable la question de savoir quel type de société, quels types de conditions de production et de consommation nous voulons.
S'il ne nous reste que 30 ans de pétrole, les réserves d'uranium extractibles si le nucléaire tend à se développement en remplacement des énergies fossiles n'iront elles pas au-delà de 20 ans. La question qu'on doit se poser quand on a un débat sur l'énergie, c'est pas: quel type d'énergie? Mais: quel type de croissance, quel type de société voulons-nous?
Le débat est rendu difficile pour plusieurs raisons. D'abord, il n'y a pas de transparence sur ces questions qui impliquent l'existence de lobbies, d'intérêts financiers puissants. Les experts ne sont pas hors idéologie, hors pression des acteurs privés: leur indépendance est en général toute relative. L'énergie est un secteur où l'on utilise le secret au nom de l'intérêt national, de la compétition industrielle, de la question militaire.
Un des enjeux essentiels de la question de l'énergie, c'est la possibilité du débat démocratique. Or, quelles sont nos propositions communes, les propositions du Front de Gauche? Quelle politique mettrions-nous collectivement en œuvre si nous étions appelés à gouverner en 2012?
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Il y a d'abord l'exigence d'une maîtrise publique du secteur de l'énergie dans la mesure où le système capitaliste et les logiques de marché servent des intérêts privés et non l'intérêt général. Cette maîtrise publique de l'énergie implique une renationalisation d'EDF, de GDF, d'Areva et de Total, condition pour mettre ces entreprises sous pilotage citoyen et démocratique, et une planification impliquant cadres contraignants et investissements de l'État pour entreprendre une conversion écologique.
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Ensuite, nous créerons les conditions pour qu'ait lieu un grand débat public national sur la politique énergétique en France: quel type de croissance voulons-nous? Quel effort allons nous faire pour trouver des alternatives aux énergies fossiles et carbonées et comment allons-nous réduire nos consommations d'énergie? Faut-il faire le virage d'une sortie progressive du nucléaire? En France, il faut constater que depuis les années 50, on a tout miser sur le nucléaire et que si on ne dispose pas de technologie et d'ingénieurs pour les énergies renouvelables, ce qui nous oblige à importer le photovoltaïque de Chine, l'éolien d'Allemagne, c'est parce que les investissements considérables effectués dans la filière nucléaire ont bridé la recherche sur les énergies renouvelables. Il faut également explorer la piste très intéressante de la geothermie profonde, ce qui est particulièrement valable en région parisienne.
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Il y a bien sûr une nécessité absolue de réduire la consommation d'énergie, mais il faut faire attention à ne pas pénaliser les plus pauvres, aujourd'hui très touchés par exemple par l'augmentation des prix du gaz et du carburant. Il faut définir une sorte de « code de conduite », de « registre des usages identiques » luttant en priorité contre les gaspillages ostentatoires d'énergie par les riches et facilitant la consommation d'énergie pour satisfaire les vrais besoins.
Sur la question du nucléaire, les forces du Front de Gauche sont divisées et ont trouvé le compromis du débat public suivi d'une consultation du peuple. Quand le précédent intervenant dit qu'on a eu tort d'arrêter Superphénix, cela m'apparaît absolument faux: en 12 ans, on a englouti 9,7 milliards dans ce projet, sans résultats probants. Il faut tout de même donner quelques arguments sur le nucléaire, qui sont une des raisons d'être de mon engagement en politique qui a commencé par la lutte contre les installations ou pour le démantèlement des réacteurs.
D'abord, on dit que le nucléaire serait une énergie propre. C'est valable si on met de côté les mines, les diffusions ordinaires de radioactivité autour des réacteurs, les déchets... Les mines d'uranium situées en Australie et au Canada principalement...
Elles sont hautement polluantes. Au Niger, rappellent deux intervenants anti-nucléaire dans la salle, les accords imposés par de Gaulle comme contrepartie à la décolonisation prévoyaient la possibilité pour la France d'acheter son uranium à très bas coût: résultat, en 50 ans d'extraction, plus de 20 milliards d'euros de manque à gagner pour ce pays qui est un des plus pauvres de la planète. Les communistes, qui se disent défenseurs de la solidarité internationale et du Tiers Monde, opposants au néo-colonialisme, devraient aussi prendre en compte cette réalité de la brutalité des rapports économiques internationaux sur laquelle est assise l'industrie nucléaire.
Ceux à quoi Yves Abramovitcz répond que ce ne sont pas les communistes qui ont extrait cet uranium et que c'est là leur faire un mauvais procès.
Alain Rebours rappelle ensuite qu'on ne sait que faire des déchets nucléaires. Jusqu'à présent, on les enterre dans des fûts à 600 mètres sous terre. Or, il faut 170000 ans pour que le plutonium perde sa radioactivité et il n'y a pas d'autre façon de produire du nucléaire que de produire ces déchets là. Longtemps, les partisans du nucléaire ont placé toute leur confiance dans le progrès de la science en disant que pour l'instant, on ne savait pas faire, mais qu'immanquablement demain, on trouverait le truc qui résoudrait tous les problèmes... Mais le peut-être ne remplace pas une politique de prévention des risques.
Quant au risque de catastrophe nucléaire, il est d'une nature incomparable à celui de la catastrophe industrielle (telle AZF)... Pensons aux 800000 liquidateurs contaminés de Tchernobyl: 30 malades simplement selon l'AIEA... Pensons aux enfants nées avec malformation de Tchernobyl, ajoute Nicole Rizzoni.
Enfin, le développement du nucléaire civil est indissolublement lié à celui du nucléaire militaire: l'investissement dans le nucléaire militaire en France depuis les années 50 a représenté 230 milliards d'euros. Pensons à tout ce qu'on aurait pu faire avec cet argent... Aujourd'hui, 60% du fonds européen pour l'énergie est consacré au nucléaire. Ce n'est pas sérieux.
Hubert Peneau (Parti de Gauche) fait remarquer que le projet ITER dont le coût avait été sous-évalué est aujourd'hui évalué à 5 milliards d'euros supplémentaires.
Alain David: Il ne faut pas réduire cette question de l'énergie à un débat pour ou contre le nucléaire. Le problème de l'énergie est assez complexe pour qu'on évite les «il y a qu'à » et les « il faudrait que »....
La première urgence, c'est la réduction des gaz à effet de serre. La deuxième, c'est de trouver une réponse à des besoins en énergie qui croissent dans le monde du fait de l'augmentation de la population. C'est vrai que dans les sociétés développées, on peut faire des économies d'énergie, mais dans l'ensemble du monde, il y a beaucoup de besoins sociaux non satisfaits qui exige des productions nouvelles d'énergie. En troisième lieu, il faut s'interroger sur les moyens de trouver des alternatives aux énergies fossiles, fortement productrices de gaz à effet de serre et en voie d'extinction. Et il ne faut pas promouvoir n'importe quel type d'alternative, comme ces carburants de substitution que sont les agro-carburants et qui impliquent, pour produire de l'huile de palme ou de colza, déforestation et destruction de l'agriculture vivrière. Il y a une nécessité de trouver des équilibres. Il existe des substituts au pétrole qui produisent aussi des gaz à effet de serre. L'éolien et le solaire produisent une électricité qui ne se stocke pas. Ces sources d'énergie peuvent être utiles pour les heures de pointe mais elles posent un problème de continuité de la production. Le nucléaire a la contrainte inverse: une fois que cela produit, cela ne peut pas s'arrêter de produire, et il faut savoir que faire de l'électricité... Il nous faut donc un débat avec des experts libres, autant qu'ils puissent l'être, mais aussi un débat démocratique. Il ne faut toutefois pas évacuer la question de la critique du fonctionnement du capitalisme dans cette question de l'énergie et des défis environnementaux qu'elle soulève. Yves Cochet répondait il y a 15 jours à Morlaix à une de mes questions: le problème fondamental pour arriver à une sobriété énergétique et à un mode de vie durable, ce n'est pas le capitalisme mais le productivisme et vous êtes sur ce point (il le disait en croyant que j'étais socialiste) sur la même ligne que la droite, que l'UMP...
Michel Le Saint (EELV, groupe Idées):
Quelques remarques inspirées par les propos qui précèdent:
- Contrairement à ce que le premier intervenant a soutenu à l'aide d'une diapo représentant une courbe de corrélation, le niveau de consommation d'électricité n'est pas la cause de l'élévation de l'espérance de vie: il ne faut pas confondre corrélation et cause.
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Certes, EDF est une entreprise publique mais il faut voir comment elle se comporte à l'étranger, avec quelles pratiques d'agressivité capitaliste pour prendre des marchés.
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On ne soulignera jamais assez le lien indissociable entre le nucléaire civil et le nucléaire démocratique.
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Ce n'est pas le statut public d'une entreprise qui garantit son fonctionnement démocratique.
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L'estimation du coût du nucléaire en France est très largement sous-estimé: on ne prend pas en compte le coût des catastrophes possibles (non couvertes par les assurances), le coût de démantèlement des centrales nucléaires. Le nucléaire paraît peu cher mais c'est parce qu'on dissimule les coûts.
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L'urgence pour nous, c'est la sobriété énergétique.
Jean-Yves Guézénec: c'est vrai qu'il n'y a pas de truc pour réduire les déchets nucléaires. Mais leur toxicité décroît dans le temps. Les déchets ultimes: on les enterre dans des conditions de sécurité satisfaisante. Les déchets radioactifs sont bien conditionnés: ils ne posent pas véritablement de problème technique mais un problème d'acceptation du public. Moi, j'ai davantage peur des déchets chimiques, mais on en parle très peu. Par rapport à la quantité d'uranium limitée, je réitère mes propos: la solution, c'était les surgénérateurs du type Phénix et Superphénix qui pouvait nous permettre de produire de l'électricité pendant des milliers d'années encore.
Un intervenant venant de Lannion (impliqué dans l'association Energicop de Bretagne): à EDF, GDF/Suez, qui sont des grosses entreprises: on ne fait pas grand chose pour les énergies renouvelables. Ce sont des petites et moyennes entreprises qui font du renouvelable. Comment concilier le soutien à ces petites entreprises dynamiques et innovantes qui préparent une reconversion industrielle vers une consommation et une production d'énergie plus durable avec les investissements nécessaires à la renationalisation des mastodontes de l'énergie que vous appelez de vos vœux (EDF, GDF Suez, Areva...).
Alain Rebours: Quand on dit un pôle public, cela va avec des injonctions politiques, un contrôle citoyen pour veiller à ce que ces grandes entreprises soient gérées dans l'intérêt du plus grand nombre. Cela implique une politique industrielle que la France a abandonné depuis 25 ans en confiant, suivant les politiques néo-libérales définies au niveau de l'UE, au marché le soin de s'auto-réguler pour la production des biens et de l'énergie, les politiques d'acquisition et de vente, de concentration industrielle, et en délaissant les outils d'intervention économique qu'il avait avec les grandes entreprises publics à monopole. Ceci-ci, même s'il faut travailler sur le contrôle des entreprises par les salariés, l'auto-gestion dans l'entreprise, la société n'est pas prête pour multiplier les soviets et il faut continuer à soutenir la vitalité du secteur des petites et moyennes entreprises. En revanche, des renationalisations sans politique industrielle définie politiquement ne changeront pas grand chose à la prise en compte des défis énergétiques et environnementaux.
Ismaël Dupont: Dans le programme partagé du Front de Gauche, dont nous disposons maintenant d'une version assez complète et dense mais qui sera encore enrichie par co-élaboration avec les citoyens d'ici 2012, à l'intérieur par exemple de comités législatifs, il est également dit que la conversion écologique de l'économie s'opérera grâce à des investissements de l'État dans des plans de travaux pour réduire la consommation d'énergie des bâtiments qu'il possède (habitats collectifs, équipements publics) et les rendre plus auto-suffisants en décentralisant au maximum la production d'énergie. C'est donc en tant que client que l'État servira le dynamisme des petites et moyennes entreprises du secteur du développement durable. Ensuite, nous prévoyons aussi d'ouvrir de nouvelles formations et d'investir dans la recherche pour développer en France des technologies innovantes pour aller vers plus de sobriété dans la consommation d'énergie et plus de diversification des sources d'énergie. Un autre pilier de notre projet en matière de réduction de consommation d'énergie et de prise en compte de la raréfaction des énergies fossiles qui va à l'encontre des dogmes libre-échangistes et de la mondialisation libérale construire en particulier au niveau de l'Europe, c'est la relocalisation de l'économie pour réduire les transports de marchandises inutiles, ce qui est valable aussi bien pour l'agriculture que l'industrie, et ce qui implique qu'on continue à produire de l'énergie en quantité suffisante sur notre territoire.
Intervenant membre d'un collectif anti-nucléaire et de promotion de la simplicité volontaire:
Je suis d'accord avec le deuxième intervenant (Alain Rebours) pour dire que le modèle énergétique conditionne largement un type de société. En France, depuis 45, en ce qui concerne la partie électricité, on s'est jeté à corps perdu dans l'électronucléaire, et on a exporté cette technologie a tour de bras en étant également responsable de ce fait de la prolifération du nucléaire militaire. Les émissions de gaz à effet de serre deviennent un argument pour développer le nucléaire: mais les vrais responsables de ces émissions sont 60 ans de productivisme, de consumérisme, de gaspillage, qui sont inséparables de la promotion de l'industrie nucléaire en France comme du tout pétrole partout dans le monde. Aujourd'hui, je pense que le seul comportement responsable, c'est de revenir aux vélos, aux logements isolés et chauffés de manière écologique, mais je ne suis pas dupe, pendant que je trime sur mon vélo dans les Monts d'Arrés, il y a des Rafales de la base de Landivisiau qui filent au-dessus de mois, déversant des quantités incroyables de CO2 dans l'atmosphère. C'est pourquoi il faut changer les comportements individuels, mais aussi les structures sociales. L'armée, c'est la plus grosse productrice de gabegie en termes énergétiques. C'est tout un modèle de société qu'il faut revoir, basé sur la dilapidation de l'énergie. Quant à l'État, on ne peut pas dire qu'il fasse de très grands efforts pour isoler et équiper ses bâtiments publics, ses HLM pour qu'ils consomment moins d'énergie. Or, plus on isole, moins on gaspille. La solution: simplicité volontaire, diversification dans la production énergétique, relocalisation des activités.
Yves Abramovitcz: Je suis d'accord avec la fin de l'intervention précédante pour dire qu'il faut rompre la proximité unissant le capital et la tête de l'État. L'agressivité d'EDF dans la recherche de parts de marché vient de ce qu'on a contraint cette entreprise à se comporter comme une entreprise privée et à faire cette politique au service de ses actionnaires plus que des citoyens, ses usagers. Pensons à tous les réseaux installés par cette entreprise cédés à des entreprises concurrentes. EDF se comporte maintenant comme une entreprise privée comme une autre: recherche continuelle de marchés, concurrence, tarifs différenciés. Idem pour Gaz de France: il faut replacer le débat sur l'énergie et l'absence de prise en compte suffisante des défis de la raréfaction des énergies fossiles, des émissions de gaz à effet de serre, dans le contexte de la privatisation du patrimoine national et de la casse du service public. J'aurais aussi eu des choses à dire sur le nucléaire, mais il ne faut pas non plus réduire la question de l'énergie à cet enjeu et je ne veux pas continuer à envenimer un débat où chacun reste sur sa position.
Ismaël Dupont: Pour compléter l'intervention d'Yves, on peut dire aussi que la nouvelle gouvernance libérale de la SNCF (liée à l'obligation d'auto-financement et à son fonctionnement comme une entreprise privée) comme la fin du monopole public et l'ouverture à la concurrence dans le domaine du transport de marchandise et bientôt de voyageurs pèsent lourd dans la difficulté à développer un grand service public de transport en commun à bon marché et surtout de transport de marchandises suffisamment développé pour constituer une alternative au tout camion. Ainsi, alors que la SNCF avait commencé à construire puis abandonné il y a quelques années une plateforme de fret ferroviaire pour exporter les légumes du Léon à St Martin des Champs, c'est aujourd'hui une entreprise privée à capitaux allemands soutenue par la SICA, la très puissante coopérative léonarde, Combiwest, qui a soufflé à la filiale de la SNCF, Novatrans, cette activité de fret ferroviaire. Les politiques libérales menées au niveau de l'UE par les conseils des ministres et la commission ont une très lourde responsabilité dans la persistance de transports de marchandises basés sur le tout camion.
Hubert Peneau: Pour comprendre la virilité du débat de ce soir, il faut comprendre que ce qui a fédéré et créé les mouvements écologistes en France a été d'abord, dans les années 70, le combat contre le nucléaire. Le nucléaire est un gouffre financier et son coût est systématiquement sous-estimé tant l'industrie est opaque: on est passé de 5 à 15 milliards pour le projet ITER, de 3 à 5 milliards pour l'EPR de Flammanville dans le Cotentin. Il y a clairement incompatibilité entre une filière nucléaire très consommatrice d'argent et le développement d'énergies renouvelables alternative et de la recherche de technologies nouvelles pour économiser l'énergie. Ceci dit, je ne suis par contre la production d'électricité: je suis menuisier et toutes mes machines fonctionnent à l'électricité, et c'est très bien comme ça. Il faut aussi recentrer le débat sur les énergies fossiles, qui constituent 83% de la consommation d'énergie: il va bien falloir s'en passer. Comment économiser d'emblée? J'apporterais quelques idées au débat: d'abord si un gouvernement Front de Gauche arrivait au pouvoir en 2012, il pourrait limiter considérablement le survol du territoire par le transport aérien, en limitant l'usage pour des raisons médicales, scientifiques, diplomatiques... On a de très bonnes routes, des transports ferroviaires, des ports en France: pourquoi ne pas s'en servir? On pourrait aussi interdire les grands prix automobiles en France...
Nicole Rizzoni:Il est faux de dire que l'industrie nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre: elle en est émet pour extraire l'uranium, pour le transporter vers les centrales, le transporter pour le retraitement. On dit que le nucléaire favorise notre indépendance énergétique mais il n'y a pas pire dépendance que le nucléaire: on se conduit comme d'odieux colonisateurs au Niger, il faut le savoir. Parlons aussi du coût du démantèlement des centrales nucléaires: à Brennilis, on en a pas encore fini, loin de là - la centrale continue de tourner car on ne sait pas l'arrêter- et on a déjà englouti plus des sommes folles et des années de travail. Parlons aussi des territoires qui sont balayés de la carte, des milliers de personnes contaminés par les accidents, des enfants qui naissent difformes... A supposé même qu'il n'y ait sur une génération, avant qu'il n'y ait plus d'uranium, 3 ou 4 nouveaux accidents nucléaires dans le monde. Est-on prêt à courir ce risque de rendre invivable toute une partie de notre planète? Pour se passer de nucléaire et d'une trop grosse production d'énergie polluante, la solution, c'est la sobriété, la simplicité volontaire: il faut en finir avec la démesure. Quand on a une maison maintenant, elle est presque 10 fois plus grande qu'après-guerre. Ce n'est pas raisonnable.
Jean-Luc Le Calvez: EDF est malmené en tant que service public: l'entreprise n'est plus considérée que comme une source de profit. 70% de ses profits considérables cette année sont redistribués aux actionnaires. La création d'un pôle énergétique public aboutirait à ne pas mettre de côté l'investissement dans la diversification énergétique et les économies d'énergie. Par exemple, combien de canaux, en Bretagne et ailleurs, sont aujourd'hui abandonnés, alors que le transoprt fluvial pourrait être une alternative au routier? La France a un parc nucléaire très important, dont on est devenu dépendant. C'est sûr qu'il faut chercher à diversifier. Mais, la Bretagne, par exemple, est entièrement dépendante l'hiver de la centrale thermique de Cordemais, des centrales nucléaires de Chinon et de Flammanville: sans nucléaire, on se demande comment on pourrait faire.
Compte-rendu réalisé par Ismaël Dupont.
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