En avril 2007, Marie-George Buffet, malgré le grand crédit et l'estime dont elle jouissait dans toute une partie de l'électorat de gauche, n'obtenait que 1,93% au premier tour des élections présidentielles. C'était une énorme déception pour les communistes et tous les partisans d'une gauche anti-libérale, d'autant que l'on aurait pu penser que la désignation par les militants socialistes de Ségolène Royal, une candidate manquant d'envergure et de crédibilité, qui rompait avec toutes les traditions idéologiques de la gauche, aurait pu favoriser d'autres candidats de gauche. La décision majoritaire des communistes à l'hiver 2006 d'être représentés aux présidentielles par leur première secrétaire a eu ainsi de lourdes conséquences en cassant une dynamique de rassemblement, même si l'anti-communisme foncier d'une partie des écolos et d'autres organisations ou citoyens composant les collectifs anti-libéraux et plus largement les soupçons réciproques liés à des cultures politiques historiquement très différentes ont eu aussi leur part de responsabilité dans ce gâchis. La désillusion était d'autant plus grande que la victoire du NON au referendum du 29 mai 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen, suivie de l'énorme mobilisation et du triomphe du mouvement social anti-CPE, avaient mis les questions fondamentales d'une autre politique économique et sociale européenne et de la rupture avec le libéralisme au cœur du débat public. Pourtant, rien ne permet de savoir après coup si une autre candidature unitaire qui aurait fait consensus au sein des collectifs anti-libéraux (créés dans le sillage de la victoire référendaire de 2005 et de la lutte contre la directive Bolkelstein), que cela soit celle de Clémentine Autain, de Yves Salesse ou de José Bové, aurait permis d'accéder à des résultats beaucoup plus glorieux, car la LCR et Besancenot avaient d'emblée refuser de jouer collectif et le souvenir traumatisant du 21 avril 2002 a conduit beaucoup d'électeurs de gauche à voter PS au premier tour sans véritable conviction.
Toujours est-il que pour les communistes, la question de l'avenir d'un parti qui subissait un tel effondrement électoral se posait de manière aigüe et dramatique, malgré son bon réseau d'élus locaux, ses 130000 militants, et le respect qu'il inspirait toujours dans une partie de la population qui savait tous les acquis démocratiques et sociaux qu'elle lui devait. A l'automne 2008, avant le 34ème Congrès, les militants communistes ont eu des débats posant toutes les questions fondamentales sur l'avenir du parti qu'on peut résumer de manière un peu caricaturale ainsi: le transformer pour prendre en compte l'évolution de la société et des nouvelles formes de mobilisations ou revenir aux fondamentaux marxistes-léninistes, faire le choix du rassemblement ou du renforcement des fondamentaux, changer de nom, dissoudre le parti pour le fondre en une nouvelle structure plus large ou garder son ossature solide pour négocier des accords électoraux avec d'autres organisations sans disparaître en tant qu'entité autonome et perdre des militants et des sympathisants en route. Ils ont majoritairement choisi de conserver l'existence indépendante de leur parti et son nom, tout en optant pour la poursuite des stratégies de rassemblement avec les citoyens et les organisations de la gauche anti-libérale, mais sans s'enfermer dans une opposition au PS si frontale qu'elle nous empêcherait de gérer des collectivités locales ensemble et gréverait les chances de toute la gauche de prendre le pouvoir à la droite.
Fin 2008, à l'issu du congrès de Reims, Jean-Luc Mélenchon et quelques autres cadres du PS issus de sa tendance ont également fait le choix de quitter le parti socialiste pour créer le parti de Gauche (qui compte environ 8000 adhérents aujourd'hui), résolus à contribuer à l'organisation d'un pôle de gauche anti-libérale et républicaine combattive, et pourquoi pas à être les chevilles ouvrières de la création d'un parti du type Die Linke. En mars 2009, suite à la confirmation de la stratégie d'indépendance et d'intransigeance dans la posture radicale hostile à toute idée de participation gouvernementale de la LCR devenue NPA, Christian Picquet et son courant unitaire minoritaire (représentant aujourd'hui 1000 adhérents aujourd'hui) décident de quitter le NPA et de fonder la Gauche Unitaire, afin de créer avec les communistes et le parti de Gauche un rassemblement de gauche volontariste, le Front de Gauche, présent aux élections européennes de 2009 et ultérieurement.
Aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010, le Front de Gauche a obtenu en moyenne 6 à 8% des voix, sauf dans d'anciens bastions communistes où ses scores sont plus considérables. Il n'est pas encore parvenu à convaincre l'électorat de gauche peu politisé et l'électorat populaire abstentionniste qu'il incarnait une véritable alternative à la gestion libérale des socialistes mais il a enclenché une véritable dynamique et suscité beaucoup d'espoirs chez les acteurs du mouvement social, les syndicalistes, les ex-communistes, et tous les membres des petits partis et organisations de la gauche alternative, sociale et écologiste.
Même si dans plusieurs régions, les exécutifs communistes traînent des pieds pour jouer à fond la carte de cette stratégie d'indépendance vis à vis du PS du fait de positions réformistes assumées ou de l'influence des élus qui craignent de perdre leurs sièges et leur pouvoir d'action, cette option de l'unité dans une force électorale qui permet, en dépit de sa diversité, au PCF d'assumer beaucoup plus clairement que dans les 25 dernières années ses options égalitaristes, anti-capitalistes et anti-libérales, est largement plébiscitée par les militants communistes, qui qui y voient un moyen de renforcer l'influence de leurs idées sur les politiques publiques et les possibilités de changement réel.
Cette volonté de faire grandir le Front de Gauche et de l'élargir pour en faire un mouvement plus populaire où s'engageraient des citoyens non encartés est d'autant plus forte que depuis 2008, les responsables politiques socio-démocrates ou socio-libéraux européens ont montré toute l'étendue de leur impuissance et de leur docilité face aux diktats des marchés ruinant les systèmes de protection sociale, les droits acquis des travailleurs, et les services publics, tandis que le capitalisme mondialisé et financiarisé a fait la preuve de son incapacité structurelle à garantir la stabilité et le progrès social dans les pays développés. Seul le choix une reprise en main par les peuples de leur souveraineté et de leurs outils d'intervention économiques et sociaux pourra créer un espoir, une dynamique ascendante, qui nous fera échapper à la montée des peurs, des passions xénophobes et communautaristes qui font progresser l'extrême-droite et la droite-extrême partout en Europe.
C'est pourquoi les élections présidentielles de 2012 en France sont si décisives pour nous. Malgré le succès dans la bataille de l'opinion du mouvement syndical, citoyen et politique de défense des retraites, et l'extrême lassitude de l'opinion vis à vis des rodomontades stériles et de la vulgarité du style présidentiel de Nicolas Sarkozy, il n'est pas du tout certain que la gauche remporte cette élection, particulièrement si Dominique Strauss-Khan, le candidat de Sarkozy pour la présidence du FMI, affronte le président sortant sans pouvoir prétendre incarner une autre politique économique et sociale. Sans qu'il s'agisse de l'hypothèse la plus probable, surtout si une coalition de la droite anti-sarkozyste se forme pour soutenir un candidat sérieux (Villepin ou Bayrou), on pourrait même imaginer un duel Sarkozy - Marine Le Pen au second tour. Les électeurs de gauche en sont conscients et beaucoup croient qu'il pourrait être nécessaire une nouvelle fois de voter « utile » en votant PS au premier tour. Nous devons donc à mon sens proposer un candidat du Front de gauche qui ait immédiatement une envergure suffisante auprès des médias et des citoyens pour continuer à exister, à faire entendre sa différence et à faire pression sur les socialistes pour qu'ils prennent des engagements véritablement à gauche, pendant les 2 ou 3 mois que va durer la campagne des primaires qui aboutira à la désignation du candidat PS à l'automne prochain.
Suite à la conférence nationale du PCF les 4 et 5 juin qui fera la synthèse des remontées des démarches et réunions publiques organisées localement pour associer les citoyens à la construction d'un programme populaire et partagé, et qui décidera sans doute aussi d'une proposition de candidature, les militants communistes feront leur choix parmi les différents postulants à la candidature Front de Gauche les 6 et 11 juin 2011.
Jean-Luc Mélenchon, omniprésent dans les médias depuis le printemps dernier, n'a jamais caché son ambition de représenter le Front de Gauche aux présidentielles et après avoir été choisi comme le candidat privilégié du Parti de Gauche il y a quelques semaines, il s'est déclaré candidat pour le vote des communistes. Né en 1951, il est entré au PS en 1977, venant comme Jospin du courant trotskiste lambertiste. Pendant 30 ans au PS, quoique grand admirateur de François Mitterrand, il a animé son aile-gauche luttant contre la dérive libérale de la direction socialiste. Il a ainsi fondé le courant de la Gauche Socialiste avec Julien Dray en 1988, puis, après un passage remarqué au gouvernement comme ministre Jospin de l'enseignement professionnel, il a animé le courant Nouveau Monde avec Henri Emmanuelli après la défaite de 2002.
Mélenchon est un des plus brillants orateurs de la gauche, doté d'une culture historique et idéologique profonde et d'un sens de la répartie et de la formule qui fait des malheurs dans les débats. Il est capable, plus que beaucoup d'autres, de s'adresser au peuple par son style direct et sa capacité à s'éloigner des formules convenues et du politiquement correct. En même temps, son agressivité, qui tient pour partie d'une stratégie tribunitienne et médiatique, et pour partie de son caractère irascible et intransigeant, est un atout autant qu'un handicap, car si elle lui vaut d'être un bon client pour les médias, sa parole étant attendue et n'ennuyant pas, elle le fait passer pour un petit tyran potentiel et quelqu'un d'assez peu sympathique, ce qui peut nous aliéner les votes de beaucoup de gens qui seraient susceptibles de partager beaucoup de nos idées et nos analyses mais qui se reconnaîtront davantage dans un candidat plus policé , humble et cordial (comme Eva Joly?). Même si elle peut apparaître moins importantes que certaines rigidités jacobines sectaires sur la question régionale ou les invectives contre les critiques unanimes des régimes chinois ou russes inspirés par la sensibilité démocratique et humanitaire, cette question du tempérament et des emportements n'est pas anecdotique pour moi car la gauche se vit aussi à travers une certaine pratique des relations humaines, respectueuse, tolérante et fraternelle. Mélenchon peut aussi agacer et inquiéter les communistes par sa tendance à se mettre en avant et à jouer à plein la personnalisation plutôt que le programme ou le rassemblement qui donne du poids à sa parole et par les privilèges dont il jouit quand il s'agit d'accéder aux sunlights des plateaux télé, des émissions de variété, des journaux télévisés, là où Pierre Laurent ou André Chassaigne ont le plus grand mal à exister médiatiquement. L'autoritarisme et la mise en avant d'un chef charismatique qui accompagnent l'image (sinon la réalité) du personnage Mélenchon et du Parti de Gauche s'accordent mal également avec notre tradition de rejet du présidentialisme, si destructeur pour notre vie démocratique.
En même temps, il est évident que si nous voulons mettre en place de nouvelles institutions avec plus de démocratie directe, plus de démocratie à l'intérieur des entreprises, un parlementarisme rénové avec des élections à la proportionnelle, et une récupération de notre souveraineté économique et sociale face à l'Europe libérale, il nous faudra un candidat capable de l'emporter ou de peser significativement grâce à ses qualités personnelles et sa personnalité aux présidentielles. Pour ma part, je pense, mais je peux bien sûr me tromper, n'étant pas devin, que Mélenchon est le seul candidat à la candidature Front de Gauche qui ait des chances de faire plus de 8 ou 10% aux présidentielles et de créer ainsi une dynamique pour gagner des sièges de députés sur une ligne politique clairement à gauche dans la foulée, en passant devant les socialistes dans beaucoup de circonscriptions, ce qui permettrait de rendre une éventuelle majorité de gauche dépendante du soutien de nos parlementaires. De plus, à mon sens, un bon score du Front de Gauche en 2012 serait de nature à renforcer la combativité sociale des salariés et pourrait les amener à se montrer très exigeants vis à vis d'un éventuel gouvernement socialiste dont il est difficile d'attendre une politique sociale ambitieuse spontanée.
Des trois autres candidats possibles, seul André Chassaigne me semble vraiment une alternative sérieuse. En effet, André Gérin, maire PCF de Vénissieux pendant 24 ans et député du Rhône, me paraît être quelqu'un de difficilement conciliable avec les aspirations des électeurs de gauche d'aujourd'hui. C'est un communiste orthodoxe, partisan d'une ligne identitaire fondamentaliste refusant la réévaluation critique de l'expérience communiste et du marxisme-léninisme. Pour lui qui déclare contre toute évidence ne pas vouloir « servir d'alibi pour Mélenchon qui roule pour le parti communiste », il est impensable que les communistes ne présentent pas de candidat issu de leur parti. Le Front de Gauche à son sens « perpétue une démarche étriquée, périmée, au vu de ces 30 dernières années qui ont conduit à l'échec de la gauche plurielle et du gouvernement Jospin de 1997 à 2002 ». Son objectif est apparemment de régénérer le PCF, mais... avec quelle force militante, quelles bases électorales, si il ne propose qu'un retour aux crédos des années 70? André Gérin, confronté dans sa commune populaire à la progression des comportements délinquants et islamistes, a également tenté de contrer la progression du Front national et de l'insécurité en épousant des thèses jusque là avancées par la droite: celui de l'immigration déstabilisatrice et du péril islamiste menaçant la République. Le très droitier député UMP Eric Raoult a préfacé son livre sur les « Ghettos de la République » et il a également piloté avec lui une mission d'information parlementaire sur le port du voile intégral recommandant de transformer en délit le port de la burqa dans l'espace public. Si on peut discuter de l'opportunité de cette interdiction pour lutter contre le communautarisme, faire respecter l'égalité homme-femme et la laïcité, il reste qu'elle aura contribuer à alimenter les fantasmes sur un Islam et une communauté musulmane difficilement assimilable et menaçant notre identité, renforçant ainsi la stratégie de récupération de l'électorat FN de l'UMP, alors que le port du voile intégral reste une attitude très minoritaire en France, de même que l'intégrisme religieux musulman.
L'autre communiste orthodoxe dont on pressent la candidature, Maxime Gremetz, même s'il dispose d'une solide popularité dans la Somme en tant qu'ancien métallurgiste et bête politique increvable (élu député pour la première fois en 1978 et réélu sans l'investiture Front de Gauche et contre un candidat Front de Gauche en juin 2007) en révolte ouverte contre l'appareil et le politiquement correct de gauche, ne me semble guère avoir le profil pour être le candidat rassembleur dont nous avons besoin, d'autant que, comme George Frêche à qui il ressemble par certains côtés, il paraît colérique et sujet à des débordements douteux.
Reste André Chassaigne, député du Puy de Lôme depuis 2002 qui a accompli un très bon travail d'élu de terrain enraciné dans les problématiques de la ruralité ainsi qu'un excellent travail de parlementaire parvenant à convaincre au-delà de son propre camp, notamment sur les questions de défense de l'environnement. L'homme est réfléchi, rassembleur car peu sectaire. Ses convictions humanistes et communistes sont incontestables et il a fait la preuve de sa capacité à conduire une liste composée d'une grande variété de forces politiques, dont le NPA aux élections régionales dans le Limousin et en Auvergne, où il a obtenu les meilleures scores du Front de Gauche en 2010 et l'a imposé comme la troisième force politique locale, ce qui est riche d'espoirs pour la suite.
Certes, le Massif Central dont venait le candidat communiste de 1988, André Lajoinie, avait une tradition communiste mais cet électorat avait fondu depuis le milieu des années 80 et c'est tout le mérite de cette stratégie de rassemblement large et de la popularité personnelle de Chassaigne d'être parvenu à le retrouver et à l'étendre. Chassaigne peut donc séduire au-delà des communistes convaincus par la rondeur de son caractère, sa prise en compte des problématiques contemporaines incontournables qui s'imposent à la gauche (l'altermondialisme, la remise en cause du productivisme et de la croissance et la défense de l'environnement). Mais il a le handicap d'être encore trop peu connu du grand public et je ne suis pas sûr que les médias l'aident à surmonter ce handicap très vite, au cours de la primaire socialiste, si nous le désignons candidat du Front de Gauche. Or, seul un candidat Front de Gauche qui, aux yeux de l'opinion publique, pourra faire un score significatif aux présidentielles et peser réellement dans le paysage politique, pourra nous éviter, me semble t-il, un report massif de votes utiles vers le PS. Il faut faire peur à l'establishment et constituer une force électorale potentielle pour attirer les électeurs et notamment ceux qui sont tentés par l'abstention ou le vote contestataire . A ce titre, je pense qu'il est moins aventureux de désigner Mélenchon plutôt que Chassaigne, d'autant que si Mélenchon n'était pas désigné par les communistes, beaucoup de commentateurs diront que les communistes ont fait preuve de frilosité, de repli identitaire comme en 2007, et Mélenchon, par dépit, ne ferait probablement rien pour les démentir et jouer collectif. Toutes ces analyses sont personnelles et ne reflètent peut-être pas le point de vue majoritaire de la section, mais elles ont pour but de susciter la réflexion et le débat sur la question de la désignation de notre candidat, qui est pour moi au moins aussi importante que le travail sur le contenu de nos propositions, et elle appelle d'autres contributions en réponse.
Ismaël Dupont.