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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 05:26

A lire, ce très bel et courageux éditorial de Michel Abescat, critique de Télérama et du Masque et la Plume (émission de France inter) dans le Télérama du 18 mai 2011:

 

 

 

Et si, au lieu de fêter le 10 mai 1981, la gauche passait à autre chose?

 

La limite du mythe.

 

    Que célébrait-on, en fait, le 10 mai dernier, à la télévision, à la radio, dans les journeaux? Les souvenirs anciens d'un soir de liesse, quand on chantait sous la pluie, place de la Bastille? Le formidable espoir qui s'est alors levé? Elle était jeune, la gauche, à l'époque. Et belle. Et joyeuse. Elle voulait y croire, les étoiles plein les yeux, comme deux gosses au matin de leur amour, pour filer la métaphore de la belle chanson d'Alex Beaupain qu"on écoutait en boucle, la semaine dernière: "Au départ au départ/ Tu sais c'est pour nous deux/ J'y croyais sans trop y croire/ Au départ c'est toujours mieux"*... 

Trente ans plus tard, elle sentait le vieil album et la photo jaunie, la fête du 10 mai. Un de ces albums poussiéreux que l'on feuillette, la mémoire trouée, quand les rêves depuis longtemps se sont noyés. Des images d'Epinal. Des souvenirs pieux. Le visage de Mitterrand qui apparaît à 20h sur les écrans de télévision, la mine deéfaite d'Elkabbach, le chapeau noir et l'écharpe rouge, le Panthéon, une rose à la main. Et la Bastille sous la pluie. 

    Au départ, c'est toujours mieux. Exit la guillotine et la Cour de sûreté de l'Etat, bonjour la cinquième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans, bienvenue au prix unique du livre et au doublement du budget de la Culture. On n'oublie pas, mais il y avait quelque chose de mortifère dans cette célébration, une nostalgie poisseuse, collée au passé comme un vieux bonbon à son papier doré. Comme si les promesses ne s'étaient pas envolées à force de compromis et de reniements, au nom d'un "réalisme" sans conviction ni ligne de force. La complaisance face aux puissances d'argent, la libéralisation de l'économie et la dérégulation des marchés financiers ouvrant la voie aux années fric, l'acceptation du chômage de masse et la rupture avec les classes populaires, Bernard Tapie érigé en icône de la réussite. Et Jacques Séguéla, qui considère aujourd'hui qu'on a raté sa vie quand on n'a pas de Rolex à 50 ans. Double langage entre le discours de gauche et le choix néolibéral de François Mitterrand, le suicide de Grossouvre, la mpaladie cachée du président et la débâcle aux législatives de 1993: 57 députés socialistes sur une assemblée qui comptait 577 sièges: "Et puis 21 avril/ Coup de tonerre, de canon/ Nos amours qui défilent/ Fin de cohabitation", comme le chante Beaupain avec infiniment de talent...

     C'est toujours le moi de mai, pourtant! Mais il est à réinventer. Le monde d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'il y a trente ans et il n'a rien à faire des reliques et de la nostalgie. Il s'agit de repenser (enfin!) le changement du capitalisme, l'encadrement de la finance toute-puissante, l'équilibre entre le capital et les salaires, l'Europe aveuglément libérale, la croissance et la compétitivité au regard des limites des ressources planétaires et écologiques. La gauche a besoin d'un nouveau départ. Et ce n'est ni à Jarnac ni à Château-Chinon qu'elle trouvera l'inspiration". Michel Abescat    

 

* Alex Beaupain, Pourquoi battait mon coeur, 1 CD Naïve.

 

 

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17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 06:15

Le vendredi 13 mai Le Télégramme publiait un article au titre accrocheur : Gauche. L’électorat ouvrier n’est plus la priorité ?  

 

Il s’agissait de rendre compte d’un essai de la Fondation Terra Nova qualifiée de « laboratoire d’idées de la gauche française » avec pour objectif « de nourrir la réflexion de la gauche pour les élections à venir et notamment la présidentielle 2012 ».

 

Sous la plume des deux rédacteurs dont Olivier Ferrand, président-fondateur de Terra Nova et « strauss-kahnien » éminent, on peut lire que

 

1 – les ouvriers, socle électoral traditionnel de la gauche ont tendance à déserter ce camp

 

2 – un nouvel électorat de la gauche est en voie de structuration : la France de demain

 

Face à cette « analyse » les auteurs produisent des « recommandations »

 

1 – la classe ouvrière n’est plus une priorité

2 – pour 2012 il faut privilégier les valeurs auxquelles est sensible « La France

de demain »

3  - les seniors constituent un « public difficilement atteignable »

 

L’article et l’essai appellent plusieurs remarques

 

  1. une fois de plus on confond Gauche et Parti Socialiste. Comme si la France était condamnée à un bipartisme Droite/PS avec un Front National qui sert de repoussoir pour assurer la victoire de l’un ou de l’autre au second tour. La pérennité du système étant ainsi assurée.

 

2 – Terra Nova est un « laboratoire d’idées » (un think tank comme disent ceux qui veulent paraître dans le coup) présenté comme proche de la gauche et où il semble que nombre de dirigeants socialistes puisent largement.

 

Comment comprendre alors les objectifs de cette « étude » où la seule préoccupation semble être « quelle stratégie pour gagner ? » pour ne pas dire « Quelle clientèle faut-il démarcher ? ». Sans se poser la question des raisons de la désaffection de l’électorat populaire. Sans envisager un seul moment que cet électorat puisse ne se retrouver ni dans les politiques passées, ni dans les propositions.

 

3 – Dans ces conditions comment s’étonner que 83 % des Français pensent que les dirigeants politiques ne se préoccupent pas de leurs problèmes ; que 56 % ne font confiance ni à la Droite, ni à la Gauche pour leur apporter des réponses ; que 55 % ne vont pas voter et qu’un nombre croissant d’électeurs envisagent de choisir le Front National ?

 

4 – Il est temps que cessent ces pratiques désespérantes qui s’ajoutent au discrédit personnel qui frappe nombre de dirigeants. Il faut de l’air !! Il faut que le peuple prenne la parole. C’est ce que veulent favoriser le PCF et le Front de Gauche en proposant à la population de devenir co-auteur d’un Programme Populaire Partagé.

 

Alain DAVID

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 06:45

Soyons honnête: la nouvelle de l'arrestation suite à une inculpation pour viol d'une femme de ménage de l'hôtel Sofitel de New-York de Dominique Strauss Khan ne m'a ni attristé, ni complètement surpris car on connaissait la réputation de DSK et des histoires de moeurs ou d'affairisme l'impliquant auraient pu être déterrées par l'UMP avec des conséquences plus graves encore pour la gauche à quelques semaines des présidentielles.  

 

Certes, si les faits allégués par cette dame à la police new-yorkaise se vérifient, ils sont extrêmement graves et déshonorent un peu la France  avec celui qu'elle avait proposé pour diriger le FMI. Un viol est un crime et la portée de celui-ci apparaît encore plus stupéfiante politiquement quand c'est un puissant sexagénaire infatué qui prétend exercer une forme de droit de cuissage sur une jeune femme... Le pouvoir, la pression et les honneurs qui l'accompagnent, exigent une maîtrise de soi mais attirent les hommes de demesure et peuvent rendre fou par eux-mêmes des gens équilibrés qu'ils vont griser : on en a peut-être ici une nouvelle illustration, même si on ne peut tout à fait écarter l'hypothèse, sinon d'une imposture ou d'une machination visant à accuser mensongèrement le président du FMI pour l'abattre ou lui extorquer de l'argent en justice, du moins d'un piège qui lui a été tendu et dans lequel il serait tombé benoîtement, ce qui minimiserait fort peu sa faute. 

 

En écoutant dans la journée d'hier les commentaires des journalistes et des hommes politiques après l'annonce de l'arrestation de DSK dans l'avion qui devait le ramener à Paris, je les ai trouvés dans l'ensemble curieusement indulgents et bienveillants pour un homme que l'on plaignait presque d'avoir sabordé lui-même son destin national supposé, quand on ne voyait pas là une de ces épreuves terribles auxquels les hommes politiques ont besoin de se frotter pour affirmer publiquement leur tempérament et devenir, en tant que "revenants qui ne meurent jamais", grâce à leur obstination, des présidentiables en puissance... Tout se passe comme si, dans le jeu des supputations électoralistes et des projections politiciennes qui excitent tout le landerneau politico-médiatique, les notions de morale privée et publique n'avaient plus guère d'importance.      

 

Quoiqu'il en soit, on voit mal désormais le président du FMI qui risque la prison ferme concourir pour la primaire socialiste et la présidentielle de 2012 et c'est une bonne chose à plusieurs titres.

 

Favori des sondages et chouchouté par les médias propageant l'idéologie libérale appartenant ou non à des grands patrons proches de lui (comme Lagardère, Rotschild...), capable de recueillir des voix de droite et du centre au second tour, Dominique Strauss Khan était présenté comme l'adversaire le plus dangeureux de Nicolas Sarkozy, et comme Martine Aubry semblait hésiter à prendre ses responsabilités en 2012, il apparaissait probable que les sympathisants socialistes le désignent à l'automne prochain comme le candidat du PS pour les présidentielles, de la même manière que les militants socialistes ont pu en 2007, en plaçant l'impératif de la victoire au-dessus de toute considération de cohérence politique et idéologique, désigner Ségolène Royal, une candidate fort peu taillée pour le rôle de président de gauche.

 

Or, Dominique Strauss-Khan a accepté le poste de dirigeant du FMI des mains de Sarkozy et en tant que patron du FMI, il a mis en oeuvre et justifié des pratiques qui consistaient à échanger des prêts à taux d'intérêt assez élevé consenti à des Etats endettés à cause des politiques néo-libérales qu'ils avaient engagé auparavant et de la financiarisation de l'économie (nourissant la spéculation immobilière comme les attaques spéculatives sur les dettes publiques), contre des plans d'hyper-austérité, de casse des services publics, des droits des salariés et de la protection sociale, qui empêchaient durablement à ces pays de relever la tête et de retrouver une croissance acceptable. Dès lors, quelle alternative véritable DSK pouvait-il représenter face à Sarkozy? Comme l'actuel président, il apparaissait comme le mandataire des dirigeants du CAC 40 avec lesquels il s'était rapproché dès 1991 en créant le club de l'Industrie, une sorte de cénacle de discussion des grands patrons et de la gauche social-libérale. Comme Nicolas Sarkozy, il affichait sans complexe sa bonne fortune de millionnaire conseillé par des très hauts dirigeants de Lagardère et son goût pour le "bling-bling": ryad à Marrackech, appartements luxieux à Washington et à Paris, place des Vosges, mercedes de luxe offert à Anne Saint-Clair pour son anniversaire, course folle en Porsche...  Certes, les dirigeants de la gauche non communiste ont rarement été d'origine populaire mais la défense de leur ambition politique, de l'Etat et des idées de justice sociale étaient pour eux un carburant suffisant, qui excluait, par conviction ou calcul d'ambition, toute idée d'enrichissement personnel par la politique et, un Blum, un Mendès-France un Mitterrand ne manifestaient pas cette avidité et cette fascination vulgaire pour les signes extérieurs de richesse: rappelons que quand il a perdu son poste de ministre, DSK a su profiter des largesses de ces amis les grands patrons, après celles de la MNEF, la mutuelle des étudiants, en servant de consultant fantôme ou en produisant des rapports grassement rémunérés pour des sociétés d'assurance ou d'autres grandes entrreprises privées pouvant passer des commandes avec l'Etat ou être intéressées par ses décisions de gouvernance économique.  

 

DSK est aussi celui qui, au sein du gouvernement Jospin, a plaidé pour que la loi sur les 35 heures qu'il avait conçu quelques années plus tôt s'accompagne de davantage de concessions sur la flexibilité au travail et la modération salariale. Celui qui endosse une partie de la responsabilité des plans de privatisation d'Airbus, d'Air France, de l'ouverture du capital de France Telecom, de l'acceptation de la mise en concurrence au niveau européen de la Poste et de la SNCF pour le frêt ferroviaire. C'est lui qui a remis au goût du jour la vieille lune d'une reconciliation du travail et des exigences de profitalité du capîtal en voulant développer et défiscaliser l'actionnariat salarié. C'est aussi à DSK que l'on doit la défiscalisation des stock-options et qui a contribué à rendre la fiscalité sur les revenus du capital et du patrimoine moins forte que l'impôt qui ponctionne les revenus du travail.

 

En dépit de l'activité débordante de la grosse machine médiatique à produire des présidents compatibles avec les intérêts de l'oligarchie, le peuple français aurait, je le pense, fini par se rendre compte que DSK ne pouvait en aucun cas représenter la gauche dans une conjoncture d'agressivité inédite du capitalisme financier et de mise en crise des sociétés et des Etats souverains par la finance internationale et la mondialisation libérale, telle que celle que nous connaissons depuis 2008.  Certes, sur le plan des libertés, du respect des principes républicains en matière de justice, de politique d'immigration, il aurait été un président bien moins dangeureux que Sarkozy, mais son élection, que j'estimais très improbable (à moins avis, la belle baudruche médiatique "du champion  des sondages" au sourire  carnassier ravageur se serait dégonflé à l'approche du premier tour, jusqu'à sans doute nous valoir un duel Marine Le Pen -  Nicolas Sarkozy au second tour de 2012)  aurait de toute manière contribuer à décrédibiliser davantage encore le PS et la gauche de gouvernement, à éloigner plus encore de la gauche les classes populaires, à renforcer le Front National aux élections suivantes. 

 

S'il aurait eu des chances de battre Sarkozy ou Marine Le Pen au second tour en prenant des voix de l'électorat du centre et à droite, il aurait eu aussi beaucoup de difficulté à avoir un bon report de voix chez les électeurs de la gauche de transformation sociale, qui n'auraient pu fonder des espoirs sur les options idéologiques et stratégiques des socialistes que sa candidature aurait représentés, à l'heure ou, dans d'autres pays européens comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce, des socialistes moins liés aux milieux d'affaires a priori se plient aux diktats des marchés, de la commission européenne et de l'Allemagne, et démollissent les droits sociaux des travailleurs et des citoyens.  Dès lors, même avec ce président nominalement à gauche, qui n'a pas craint de proposer que la Banque Centrale Européenne indépendante au service de la rente et du capital fixe le cadre des budgets nationaux, il aurait très compliqué pour le PCF et Front de Gauche de travailler avec les socialistes au Parlement et d'obtenir quoique ce soit d'eux.

 

D'ailleurs, dès 2002, Dominique Strauss-Khan, adepte des thèses de la mondialisation heureuse, avait théorisé dans un essai politique retentissant, dont s'inspire aujourd'hui le think tank Terra Nova et un de ses animateurs, Olivier Ferrand, le fait que le PS devait cesser de courir après les voix des classes populaires en défendant prioritairement leurs intérêts, puisque celles-ci n'avaient plus guère de conscience de classe, étaient censément devenues définitivement réactionnaires ou xénophobes, acquises à la droite ou à l'extrême droite, et qu'il devait se reconcentrer sur l'électorat des classes moyennes et supérieures, les professions intellectuelles, plus facilement acquis au PS, en défendant des propositions de baisse de la fiscalité pour les couches moyennes, en promouvant la culture et l'éducation, ainsi que des réformes sociétales symboliques, faisant progresser les droits individuels et le respect des différences, mais non les droits collectifs des salariés, des chômeurs et des précaires. Comment, sur la base de tels présupposés, croire que le PS  n'aurait pas, au nom d'une pseudo modernité et mise en accord des pratiques et des idées, enterré définitivement pour son compte des ambitions de transformation sociale, des idées de lutte des classes et de redistribution des richesses, sans lesquelles les catégories populaires ne voient plus aucune raison de voter à gauche?  

 

François Hollande et Martine Aubry ne représentent pas des choix politiques et économiques très éloignés de ceux de Dominique Strauss Khan, contrairement à Arnaud Montebourg par exemple qui plaide comme nous pour une VIème République et qui remet en question depuis 2005 (même s'il a soutenu la candidature Royal par opportunisme) les dogmes libre-échangistes et néo-libéraux qui président au fonctionnement de l'Union Européenne,  mais ils sont tout de même moins des incarnations de la trahison complète des idées socialistes de rupture avec l'ordre établi et la domination de l'argent. Leur sens de l'unité des socialistes et de la gauche, leur moralité et leur désintéressement personnels sont mieux avérés et ils ont déjà une expérience du dialogue avec les autres partis de gauche, avec lesquels ils savent qu'ils devront composer vraisemblablement au Parlement en cas de victoires aux présidentielles et avant cela, pour obtenir un bon report des voix de gauche (sans lesquels ils n'ont aucune chance de passer, contrairement à DSK) au second tour.  

 

Ismaël Dupont.

  

 

           

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 06:44

Mercredi 11 mai, France Inter organisait un débat sur le thème « Quelle place l’Europe tiendra-t-elle dans la campagne présidentielle ? »

 

Quatre députés européens français (UMP, PS, EELV, FN) ont donc courtoisement, à grand renfort de « cher collègue » (eh oui !! ), débattu du fonctionnement de l’Union européenne, de ses avantages et des modifications à lui apporter.

 

Suivant une règle désormais bien installée dans les médias, y compris malheureusement du service public, aucun élu du PCF ou du Front de Gauche n’avait été invité à participer à cette émission.

 

Un certain nombre de questions n’ont donc pas été abordées.

Par exemple :

 

1 – il y a deux ans responsables politiques de tous bords et médias n’avaient à la bouche que la nécessité de sortir de « la crise systémique » auquel le monde était confronté. Ce système, le capitalisme financier, est-il possible de le changer, de le dépasser en se contentant d’en corriger les effets ? N’est-il pas nécessaire, indispensable de s’en prendre à ses fondements ? Ne faut-il pas abandonner un système fondé sur la recherche exclusive d’un profit toujours jugé insuffisant fut-ce au détriment des conditions de vie des humains et de la planète elle-même ?

 

2 – au niveau européen, est-il possible de sortir de la dictature des marchés financiers et de revoir fondamentalement le fonctionnement et le rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE) pour la mettre au service des peuples européens ?

 

3 – n’est-il pas temps de développer aux niveaux européen et mondial des coopérations mutuellement avantageuses, de favoriser le co-développement, de mettre fin à l’exploitation et à la mise en concurrence systématique des peuples et des territoires ?

 

4 - y a-t-il dans notre pays et en Europe des forces politiques qui auront le courage d’aller dans ce sens ?

 

Face à ces jeux bien rodés des médias pour que les vraies questions ne soient pas posées, il faut que le peuple prenne la parole. C’est ce que propose le Front de Gauche non seulement pour s’opposer à la casse systématiquement mise en œuvre mais aussi (et surtout ?) pour co-élaborer les réponses pour maintenant et pour demain.



Alain DAVID

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 10:01

La France, sous l'impulsion de la gauche, avait fait un effort important d'éducation tout au long des années 1980, qui s'était notamment traduit par une démocratisation de l'accès au bac (environ 62 à 65% de bacheliers par génération depuis 1995, contre 30% en 1985), mais cet effort s'est interrompu au milieu des années 1990 avec le poids des prescriptions de désendettement et, chaque année, 150 000 jeunes sortent aujourd'hui sans qualification du système scolaire, tandis que les qualifications elles-mêmes se dévaluent, dans le niveau de savoir moyen qu'elles reflètent et dans leur capacité à servir de passeport pour le travail. Comme l'écrit Thierry Pech, l'éditorialiste du très bon hors série d'Alternatives économiques n°89 (printemps 2011) consacré au tableau de la société française: « si l'école s'est démocratisée, portant un nombre croissant d'élèves au niveau du baccalauréat et au-delà, elle reste marquée, beaucoup plus que dans d'autres pays développés, par l'influence qu'exercent les origines sociales et familiales des enfants. Cette situation est d'autant plus anxiogène que les titres scolaires acquis entre 15 et 25 ans déterminent très largement le destin des individus dans une société qui offre peu de deuxièmes chances. Ces diplômes sont plus décisifs que jamais pour s'insérer correctement sur le marché du travail. Du coup, la compétition sociale pour les meilleures places ne cesse de s'intensifier, jusques et y compris dans les choix résidentiels des familles qui, par leur souci d'optimiser leur situation et celle de leurs enfants dans la ville et sur le territoire, concourent à l'aggravation de la ségrégation entre des centres-ville cossus et des périphéries déshérités ».

 

L'investissement dans l'éducation n'est pourtant pas une dépense à fonds perdu: nécessaire pour asseoir la cohésion sociale et donner un minimum de réalité à l'idéal d'égalité des chances qui rend seul acceptable aux yeux de l'opinion l'inégalité des statuts et des revenus, nécessaire à la prospérité économique et à l'innovation technologique, à la vitalité de la culture, à l'émancipation des individus, à la formation à l'esprit critique et à la rationalité des citoyens, l'éducation devrait être la priorité de tout gouvernement qui se tourne vers l'avenir.

 

Seulement, pour la droite, l'école est essentiellement ce qui présente un coût très lourd pour la société, coût qui doit être réduit sans toutefois manquer de reproduire les élites (autre nom des classes possédantes et dominantes dans le champ politique, économique, social, intellectuel) en les légitimant par le mérite scolaire et en permettant aux quelques enfants les plus doués des classes populaires une ascension sociale qui fera écran à la reproduction généralisée des statuts sociaux, et sans manquer non plus de rendre les jeunes employables, adaptés aux besoins du monde de l'entreprise et préparés à se soumettre à ses contraintes.

 

Que l'objectif du gouvernement n'est pas de doter chaque enfant d'un bagage culturel lui permettant d'avoir une intelligence du monde et une capacité à faire des choix de citoyens éclairés, rien ne le signale autant que le projet de Sarkozy d'augmenter d'un million le nombre d'apprentis placés très jeunes (dès 14 ans) sous la responsabilité d'un patron et ne bénéficiant plus de la formation théorique favorisant l'éveil de l'esprit critique et une poursuite d'étude ultérieure qui leur aurait permis d'être plus qualifiés et de revendiquer des emplois mieux rémunérés. Il s'agit peut-être de lutter contre la « sur-qualification » des jeunes qui, quand ils ne trouvent pas d'emplois à la mesure de leurs capacités et de leurs études, peut être un facteur de révolte sociale (comme on l'a vu au moment du CPE ou dans les révoltes arabes) et de renforcer le lien entre l'école et l'entreprise tout en se créant une réserve de travailleurs plus malléables et moins exigeants en termes de salaires.

 

Depuis 5 ans, la droite a supprimé en France 60 000 postes d'enseignants, ce qui lui a permis de récupérer 800 000 millions d'euros, dont 650 000 millions d'euros ont été réaffectés, non dans le remboursement de la dette, mais pour verser des heures supplémentaires défiscalisées et des primes individualisées conformément à l'engagement de campagne de Sarkozy « Travailler plus pour gagner plus! » dont l'effet pratique est de rendre tolérable les réformes à une minorité des enseignants et personnels de direction même si elles dégradent objectivement leurs conditions de travail dans la mesure où leur contrepartie est un gain de pouvoir d'achat pour certains. L'année scolaire à venir, 16 000 postes seront supprimés (même chiffre que l'an passé et parmi ces postes supprimés, 1 533 seulement concerneront l'enseignement privé, qui scolarise 18% des élèves en France et qui a déjà perdu 4 600 emplois entre 2008 et 2010, soit plus de 20% de moins d'emplois supprimés proportionnellement que dans les écoles publiques ), ce qui se traduira dans les établissements du second degré (collège et lycée) par des suppressions de filières, d'options, des effectifs surchargés, et dans le premier et le second degré, par la suppression de 3500 à 4000 classes.

 

L'école publique est une cible privilégiée des plans d'austérité visant à diminuer les impôts pour les plus favorisés et les entreprises, à réduire l'étendue du service public et à le faire fonctionner selon les règles de management concurrentielles et standardisantes de l'entreprise privée néo-libérale.

Cela se traduit par une plus grande difficulté des enseignants du premier et du second degré à bien vivre leur métier et à transmettre des compétences et des savoirs à des enfants fragilisés par la crise sociale touchant souvent leurs parents et appartenant à des générations globalement moins préparés à accepter la discipline scolaire.

Cela s'explique à cause du sentiment, partagé par les familles et les élèves, que la réussite scolaire n'est plus un levier suffisant de la réussite sociale et de l'ascenseur social et aussi du fait des transformations culturelles, sociales et économiques de la famille, de la perception de l'enfance et du rapport à l'autorité des adultes, de la consommation des mass médias- qui dévalorisent ou occultent la culture et la tradition- et des nouvelles technologies, de la propagation dans les sociétés capitalistes libérales du culte hédoniste de la consommation et de la valorisation de la suffisance égotiste et du narcissisme individualiste.

 

Comme le disait Christophe Hélou (membre du Conseil national du SNES) dans un colloque organisé par la CGT Education en 2010 dans le Morbihan sur le travail enseignant, « on est passé d'un modèle d'autorité basé sur l'injonction à un modèle basé sur la négociation. Avant, l'autorité allait de soi. Or, ce modèle s'éloigne; les nouveaux modèles forcent tous les acteurs à se justifier et le professeur doit justifier de tout. Cet approfondissement démocratique n'est pas évident...les savoirs et l'autorité sont de plus en plus critiqués par l'extérieur ».

Ainsi, les profs ont de plus en plus à faire un travail harassant d'intéressement préalable des élèves avant de pouvoir faire cours en les convainquant du sens et de l'utilité de ce qu'ils pourront apprendre et en les enrôlant dans une action d'apprentissage qui n'a plus de légitimité a priori pour eux. Cela produit souvent pour ceux qui n'y parviennent pas, ou pas toujours, des sentiments d'échec qui sont d'autant plus durs à avaler que la société, la hiérarchie et les élèves sont prompts en rendre responsable le seul prof et en profitent pour accroître la pression sur lui et que celui-ci est souvent seul pour les expliquer et les surmonter.

Autre cause structurelle du malaise enseignant: le travail enseignant déborde très largement sur le temps de la vie privée, la vie professionnelle et la vie privée étant d'autant plus difficiles à différencier que l'on ramène des frustrations et des colères liées à des sentiments d'échecs à la maison. « Alors que l'image sociale du métier est associée, peut-on lire dans le numéro hors-série de la très bonne revue Le Lien de la CGT de mars 2011 (consacré au dossier « Enseignants...de la souffrance professionnelle individuelle à la reconquête collective du métier! ») à l'idée d'un important temps libre, l'impression de courir en permanence après le temps revient pourtant de façon lancinante dans les entretiens et les discussions entre professeurs. La réalité professionnelle semble en fait ambivalente et l'avantage du temps « libre » se mue en inconvénient. Les enquêtes du Ministère ou celles d'origine syndicale convergent vers une estimation du travail hebdomadaire de 40 à 44 heures. Comme les deux sphères domestique et professionnelle communiquent, la moindre tension ou moment de suractivité dans une sphère a des effets immédiats dans l'autre. Le sentiment est alors celui d'une accumulation augmentant la pression globale ».

 

Des plans de suppressions de postes qui dégradent les conditions de travail enseignant découle également un creusement dramatique du gouffre entre la qualité des conditions d'enseignement suivant les séries, entre les établissements publics de centre-ville ou certains établissements privés où l'on continue à pratiquer un enseignement avec des hauts degrés d'exigence et entre d'autres établissements de secteur moins favorisés où les conditions de travail des enseignants et des élèves ne permettent d'une transmission de savoirs au rabais et, parallèlement, on observe une aggravation de l'inégalité des chances de réussite scolaire et sociale entre les enfants de familles aisées et culturellement bien dotées et les autres.

 

Dans L'Humanité des débats du 5 juin 2010, le sociologue Christian Laval décortiquait la politique de Sarkozy et des ministres de l'éducation nationale depuis 2007 en matière d'éducation: « Les réformes à tous les niveaux de l'enseignement sont enveloppées dans des argumentaires plus généreux les uns que les autres: elles viseraient à accroître la démocratisation, la liberté pédagogique, l'aide aux élèves les plus défavorisés, l'autonomie, etc .». Or, l'intérêt du document confidentiel envoyé aux recteurs d'académie par Sarkozy l'été dernier leur demandant de diminuer drastiquement les moyens humains « est de porter au jour la première des priorités, qui demeure la réduction du nombre des enseignants ».

En conséquence, pour Christian Laval: «il serait temps de cesser de croire à la « bonne volonté éducative » de ce gouvernement. Ce dernier cherche à « retourner » en sa faveur les courants les plus différents, réformateurs ou conservateurs, qui ont eu tendance à minimiser la question des moyens humains et des ressources financières au profit du « travailler autrement » pour les uns ou du « retour aux fondamentaux » pour les autres. Il faut bien comprendre que, pour le gouvernement, l'essentiel est ailleurs. Il relève d'une régulation concurrentielle de l'école et d'une emprise accrue de la « chaîne managériale » sur des enseignants transformés en exécutants taylorisés... La réduction des postes est un levier pour mieux assujettir les enseignants et transformer leur mission, leur statut, leur profession. Moins l'école ira bien, plus les familles seront mécontentes, et plus il sera possible de culpabiliser les enseignants, décrétés responsables des dysfonctionnements. Partant, il sera plus facile également de les « mettre sous tension » en alourdissant leur charge de travail et en leur imposant des formes plus fines et plus constantes de pouvoir et de contrôle sur leurs activités. Derrière la question des moyens, il y a la volonté de mettre en place des modes d'assujettissement dans le travail très comparables à ceux qui ont été diffusés dans les entreprises privées. C'est pourquoi, si l'on veut être cohérent, il ne suffit pas de dénoncer la suppression des postes, il faut aussi comprendre, pour mieux la combattre, la mutation managériale de l'école publique et les moyens qui sont employés aujourd'hui pour la mettre en place ».

 

Pour les enseignants, cette mutation managériale de l'école se traduit pour l'instant:

  • Par l'expérimentation d'un recrutement local (hors condition de concours et de mutation nationale ou régionale aux barèmes fixes) sur entretien personnalisé dans les établissements du second degré des zones sensibles rattachés au dispositif CLAIR. La limitation drastique des postes de fonctionnaires titulaires ouverts au concours génère aussi un recrutement local d'un nombre toujours plus grands de contractuels, certains ayant d'ailleurs des compétences disciplinaires et professionnelles (grâce au stage en école en deuxième année de Master profilé enseignement) intéressantes tout en ayant le mérite d'être davantage sous la coupe des chefs d'établissement tant qu'ils n'auront pas un concours de plus en plus difficile à avoir du fait du nombre réduit de place pour diminuer l'augmentation des titulaires de la fonction publique, malgré la persistance des besoins.
  • Par une mise en concurrence des établissements (et donc aussi des professeurs à l'intérieur de ces établissements, soumis à des impératifs d'efficacité, de résultats plus ou moins chiffrés) rendue possible par la suppression du caractère impératif de la carte scolaire, par le paiement à la prime des chefs d'établissement, par l'attribution de plus ou moins de moyens financiers et humains en fonction de la capacité des collèges et lycées à adhérer à des démarches « qualité » et à présenter des « indicateurs de performance » positifs (concernant les résultats au bac, la réduction des redoublements, la réussite des orientations...etc.), indicateurs de réussite que les collègues sont censés choisir eux-mêmes dans le projet d'établissement mais qui doivent s'intégrer à un cahier des charges déterminé au niveau du ministère et des rectorats d'académie en fonction de deux objectifs majeurs: réduire le budget de l'État, servir l'économie.
  • Cette mise en concurrence des établissements est aussi renforcée par une autonomie et un pouvoir accrus des chefs d'établissements qui ne se considèrent plus comme des pairs des professeurs mais comme des managers sensés arracher au privé les élèves en proposant aux parents les mêmes prestations, la même disponibilité des personnels pour les réunions avec les parents, l'aide individualisée, la même souplesse et le même niveau de communication publicitaire creuse que les établissements privés. Les chefs d'établissement doivent désormais gérer la pénurie en proposant certaines séries, filières, certaines options obligatoires et facultatives (langues vivantes et anciennes, cinéma, arts plastiques, musique, sports...) à l'exclusion d'autres, qui constitueront des produits d'appel amenant une certaine catégorie d'élèves à rejoindre leurs écoles. Ainsi, progressivement, le latin, le grec, les sections européennes, les options artistiques risquent de ne plus subsister que dans les collèges et lycées de centre ville là où l'on proposera ailleurs, dans des zones rurales ou urbaines plus défavorisées, davantage d'aide individualisée de rattrapage pour atteindre un niveau de base en maths ou en français par exemple. C'est clairement l'école à deux vitesses qui se dessine ainsi. Les chefs d'établissement ont également un rôle de plus en plus important dans la notation des enseignants, qui pour être de bons profs ne doivent pas se contenter de bien transmettre des savoirs, mais doivent montrer du zèle à appliquer les consignes de l'administration en matière de réunions périphériques, d'implication dans des projets vendeurs pour l'établissement, dans le travail de relation publique. Les relations personnelles entre les profs et les chefs d'établissement qui n'auront plus forcement de compétence pédagogique acquise par l'expérience de l'enseignement auront désormais de plus en plus d'influence dans la progression de carrière et la paye des premiers. Le salaire individualisé au mérite, déterminé par le chef d'établissement, est également inscrit dans l'agenda de l'UMP et aurait le mérite de diviser un peu plus les enseignants. Le rapport à la discipline à enseigner et à la qualité du savoir transmis est désormais mis au second plan, derrière la capacité à mettre au travail les élèves et à animer un groupe.

L'enseignant est conçu moins comme un passeur de savoirs que comme un animateur et quelqu'un qui donne aux élèves les outils de base de l'auto-formation (méthodes et compétences minimales en matière de lecture critique, de capacité à se documenter, à se servir des nouvelles technologies, à argumenter et communiquer), comme en témoigne le fait que les profs sont de plus en plus, et seront plus encore demain, recrutés pour enseigner deux ou trois disciplines et que ceux qui ont un concours associé à une discipline spécifique peuvent désormais être évalués par des inspecteurs d'académie rattachés à une autre discipline.

 

Les nouvelles technologies sont mis au service de la gestion et du contrôle des personnels sommés à de plus en plus de transparence et de communication en temps réel sur les évaluations et les choix pédagogiques avec les élèves, les parents, et la hiérarchie.

 

Parallèlement, de la maternelle au lycée, les enseignants sont amenés à évaluer de plus en plus constamment les élèves pour remplir les « livrets de compétence » ou autres items du « socle commun »: on ne note plus, relativement au niveau moyen d'une classe ou à ce que les meilleurs élèves pourraient restituer d'un cours, un degré de bonne restitution d'un savoir acquis et présenté à un instant T, mais des compétences techniques et comportementales, savoirs-faire et savoirs-être censés être utiles non seulement à l'école, mais aussi dans la vie et le monde de l'entreprise, qui sont supposés être acquis pour la vie. Pour les enseignants, de la maternelle au collège (pour l'instant), cette évaluation des compétences (définies originellement niveau par niveau sur un plan européen par l'OCDE) constitue une forme d'impérialisme de l'idéologie scolaire anglo-saxonne et d'acculturation par rapport au système d'enseignement et d'évaluation traditionnel de l'école républicaine (qui avait ses défauts mais avez le mérite de conserver une exigence théorique et de ne pas s'articuler à un utilitarisme économique), représente un travail de paperasse supplémentaire car les devoirs et les notes traditionnelles subsistent, et habituent les élèves à être constamment en situation d'être contrôlés et évalués, comme dans le monde de l'entreprise, pour se soumettre à des critères d'efficacité et de qualité. Par ailleurs, ces compétences à faire acquérir aux élèves sont standardisées pour faire croire que, face à une réalité rétive et complexe, celle de classes aux niveaux très hétérogènes où le goût du travail, les pré-requis culturels, et la maîtrise des connaissances de base sont très inégalement partagés, on peut rendre le travail plus simple et plus efficace grâce à un script ou un logiciel unique conçu par les experts, harmonisant les manières d'enseigner et permettant la comparaison chiffrée des résultats obtenus par les enseignants et les établissements, de manière à permettre l'intervention correctrice managériale, technicienne ou financière.

 

En conformité avec les directives de l'OCDE et de la stratégie européenne pour l'éducation de Lisbonne (mars 2000), l'école en France est de plus en plus conçue comme devant fonctionner comme une entreprise pour le service de l'entreprise et de la compétitivité de l'économie: le système éducatif français doit être harmonisé avec les systèmes éducatifs européens, non seulement sur la définition des diplômes universitaires, mais sur celle des finalités de l'enseignement: non plus transmettre des savoirs humanistes, scientifiques et techniques désintéressés (sans finalité pratique immédiate) mais doter l'élève d'une boîte à outils que chacun enrichira progressivement selon ses aptitudes afin d'être capable de se former lui-même tout au long de la vie et d'être durablement employable, en capacité de s'adapter aux évolutions du marché du travail.

 

L'élève est aussi censé avoir le droit à un enseignement différencié selon ses difficultés et on lui reconnaît un droit à choisir lui-même son cursus dans un enseignement de plus en plus « à la carte » en fonction de ses aptitudes. Les enseignants doivent intensifier leur travail pour mieux s'adapter à l'hétérogénéité des publics, se soumettre à des obligations de résultats, de satisfaction d'une « clientèle » (les élèves, les parents que le ministère et les chefs d'établissement cherchent de plus en plus à légitimer dans leur volonté d'interférer sur les choix pédagogiques et de juger de la qualité des enseignants, qualité exigée d'autant plus fermement que l'école est censée bien armer leurs enfants pour la compétition pour les meilleures places sociales) et devront de plus en plus être coachés selon des méthodes entrepreneuriales infantilisantes: estime de soi censée dépendre d'enquêtes de satisfaction (hiérarchie, élèves) et d'indices statistiques (résultats aux examens), entretiens individuels réguliers visant la remise en question et le management de soi-même (individu conçu comme une petite entreprise devant sans cesse innover pour s'adapter, satisfaire ses clients et ne pas décrocher vis à vis de la concurrence), salaire au mérite et rétribution de tout investissement bien vu par l'administration, précarisation des statuts...

 

Au-delà des plaisirs que l'on éprouve à voir le résultat de son travail dans l'amélioration des travaux des élèves ou dans leur compréhension nouvelle des choses qu'ils nous révèlent avec fierté, enseigner a toujours été difficile et parfois ingrat car les enfants expriment rarement spontanément leur gratitude ou leur satisfaction par rapport aux efforts déployés par l'enseignant pour les faire réussir, leur transmettre des savoirs et compenser leurs lacunes. Mais les enseignants vivent de plus en plus mal leur obligation de s'adapter à des réformes incessantes de leurs programmes, de leurs missions, de leurs temps de présence avec les élèves, à l'augmentation des effectifs en classe et aux transformations de la sociologie des élèves (de plus en plus critiques, chahuteurs, et difficiles à mettre au travail, sans compter que la limitation des redoublements, justifiée par des raisons plus ou moins bonne- la croyance en l'inefficacité du redoublement pour remettre en selle l'élève en difficulté dans la majeure partie des cas où le désir de faire des économies budgétaires en faisant sortir l'élève au plus vite du système éducatif) alors que dans le même temps, leur statut a été déprécié dans la société, et qu'ils sont de moins en moins nombreux en se sentir une vocation: moins de reconnaissance des enfants, des parents, de la hiérarchie, salaires assez faibles par rapport au niveau de qualification même s'ils les font appartenir aux classes moyennes au-dessus du besoin pouvant accéder facilement à la propriété, aux loisirs, aux vacances... Ils ont le sentiment que leur travail se vide de son sens, parce que les suppressions de poste, les réformes, et la nouvelle gouvernance managériale de l'école les amènent à contredire les valeurs de service public qui justifiaient leur volonté d'être enseignants (la volonté de compenser les inégalités sociales en apportant un bagage culturel émancipateur et les moyens de réussir socialement à tous, la transmission d'une tradition culturelle et de savoirs qui forgent l'humanité des hommes, la volonté de transmettre des valeurs de laïcité, de solidarité, d'exigence intellectuelle...). Ils ont de plus en plus souvent le sentiment de mal faire leur travail et d'être en situation d'échec avec les classes, échec qu'ils vivent le plus généralement dans la solitude en le ruminant de manière maladive dans des états de stress chronique jusqu'à l'épuisement moral et la dépression ou au « burnout » (le fait d'être subitement « cramé » après avoir été soumis sur une longue durée à trop de pression interne et externe), en cherchant à le corriger par un sur-travail pas toujours plus efficace ou en se protégeant au travers d'un désinvestissement, d'une distanciation, de discours de plus en plus cyniques sur les élèves, l'hypocrisie de l'institution ou l'incapacité à bien instruire dans les conditions actuelles.

 

La conséquence de ce travail enseignant malade du fait des évolutions sociales et politiques, c'est une fragilisation de la santé psychique et physique des enseignants, due non pas à des fragilités ou des inadaptations individuelles comme voudrait le faire croire l'administration en dissimulant sous un vernis de compassion victimaire ou de discours psychologique ou psychiatrique des relations de travail conflictuelles et dégradées (construction de la catégorie des « enseignants en difficulté » au niveau des administrations rectorales et envoi de brochures aux enseignants destinées à repérer les sujets atteints de troubles psycho-sociaux au bord de la rupture; parmi ces indices figure curieusement l'hyperactivité ou le sur-investissement dans le travail, ou encore l'attitude de critique systématique des réformes ou de refus d'implication dans les projets d'établissement: ainsi les rebelles aux transformations libérales de l'école qui ne supportent pas l'insupportable sont presque soupçonnés de relever du soin psychiatrique et d'être trop psychorigides pour être de bons enseignants...).

 

Lors d'un colloque organisé cette semaine par la FSU à Rennes sur le thème « le travail, c'est la santé », le docteur Métraux, conseiller du recteur de l'académie de Rennes en matière de médecine professionnelle et coordinatrice des médecins rattachés à l'académie, nous a donné quelques chiffres alarmants sur la prise en charge de la santé des enseignants. Déjà, contrairement au secteur privé où les salariés ont une visite médicale obligatoire tous les deux ans, un enseignant, dont l'état de santé mentale et physique a tout de même de grandes répercussions sur le bien-être et la qualité de formation des élèves, ne peut bénéficier à la demande que d'une visite médicale payée par son employeur tous les 5 ans, et il n'y a dans l'académie de Rennes que 3 médecins (pour 57000 agents), dont un seul spécialisé dans la médecine du travail, pour faire face aux demandes éventuelles... Toute médecine préventive est de fait écartée pour les enseignants, du moins dans le cadre du travail (mais un ancien ministre de l'éducation a dit qu'ils n'en avaient pas besoin, ayant l'espérance de vie la plus forte de toutes les catégories professionnelles). Il s'avère que 56% des 1037 consultations effectuées par la médecins de l'académie (la moitié sur demande de l'administration après signalement, la moitié sur demande des enseignants) relèvent de la psychiatrie ou des troubles psychiques (dépression, burnout, symptômes de harcèlement) de moins en moins liés à l'alcool, 16% de la rhumatologie (troubles musculaires liés à l'exercice du métier ou le compliquant, entre autres), 20% sont liés à des demandes de renseignement concernant les droits (entre autres, pour un départ anticipé en retraite ou un mi-temps thérapeutique: ce qui signale aussi une montée des angoisses et des inquiétudes), et 7% à une incapacité à supporter un climat jugé délétère dans les établissements.

 

En revanche, les syndicats n'ont pas accès à des chiffres nationaux ou régionaux concernant l'évolution des arrêts de travail et des congés maladie dus au travail, voire des suicides dans le milieu enseignant. Le docteur Métraux nous a juste signalé qu'en raison notamment de l'intensification du travail liée aux nouvelles réformes et recommandations (aide individualisée, prise en charge particularisée des élèves en difficulté scolaire, augmentations des effectifs en classe et intégration d'élèves handicapés présentant parfois des profils difficilement gérables sans formation spécifique ou dangereux pour les autres élèves de psychotiques ou d'autistes), les enseignants du premier degré étaient de plus en plus nombreux à consulter pour des problèmes psychiques de plus en plus lourds dus au travail (avec souvent des traductions somatiques). Le fait que 45% des consultations soient le fait d'enseignants ayant entre 50 et 60 ans interroge également sur les conséquences déplorables de la réformes de l'âge de départ à la retraite et de la durée de cotisation pour les élèves et le milieu enseignant, et sur le manque de dispositifs adaptés permettant un aménagement des fins de carrière, difficiles pour des profs qui doivent surmonter la difficulté à se remotiver sans cesse pour parvenir à intéresser les élèves et à s'adapter à des publics qui changent en voyant l'écart culturel et générationnel qui les sépare des élèves se creuser. Privés de formation pratique digne de ce nom, livrés d'emblée sans expérience à un travail acharné pour intéresser des classes qu'ils ont 18h par semaine, et hantés par la perspective d'avoir à vivre en région parisienne ou lilloise et à composer avec les publics les plus difficiles l'année suivante, les jeunes stagiaires de l'éducation nationale, après avoir réussi des concours difficiles, sont également aussi souvent au bord de la rupture.

 

Comme l'a dit lors du même colloque de la FSU à Rennes le 10 mai 2011 le sociologue du travail Yves Clot qui a enquêté pendant 25 ans sur le comportement des salariés et la réception des évolutions managériales néo-libérales à La Poste, à la SNCF, à l'ANPE, et à l'école, « on est en mauvaise santé quand on ne peut pas prendre son travail à cœur. C'est l'action qui est thérapeutique... Un syndicalisme développé et transformé est un opérateur décisif pour promouvoir la santé des salariés. C'est l'impuissance, le fait de subir sans agir, et non les épreuves en elles-mêmes, qui fait mal. La souffrance est un des destins de la colère: quand on garde sa colère sur l'estomac, ça fait mal... De la colère sur ce qu'on fait à nos métiers. Pourtant, la colère est en soi un signe de santé, d'initiative, de résistance ». Si l'on suit Yves Clot, un des moyens pour les enseignants d'échapper à l'aliénation d'un travail privé de sens qui semble obéir à des logiques qu'ils réprouvent et ne pas rendre possible les effets qu'ils avaient attendu en s'engageant dans ce métier, c'est de combattre syndicalement et collectivement, sur un plan collectif, pour guérir le métier abîmé par le management néo-libéral qui le standardise, l'assujettit à des recommandations prédéfinies, normalisées, et lui fait perdre sa dimension de service du citoyen, de l'intérêt général, au profit d'une évaluation en termes de rentabilité, d'efficacité basé sur des critères discutables. Toutefois, avant cela, pour Yves Clot, les enseignants doivent d'abord et avant tout se réapproprier dans des collectifs de travail où l'on n'aura pas peur d'exprimer ses désaccords de fond, de se dire les choses, de justifier ses pratiques, de se poser la question du sens de leur travail et de ce que qu'est un travail de qualité. C'est parce qu'ils évitent de parler entre eux très concrètement de leur travail, des causes de leurs échecs et de leurs succès, que les enseignants ne peuvent s'unir que dans l'opposition défensive et conservatrice aux réformes du gouvernement sans lui opposer des projets alternatifs, pensés collectivement par les professionnels, sur la base d'une expérience partagée et non d'une idéologie, touchant les améliorations à apporter aux conditions d'enseignement et à la manière d'enseigner. Pour Yves Clot, le stress des enseignants ne vient pas, comme voudrait le faire croire l'administration, d'un sentiment d'inadaptation personnelle, d'incapacité à répondre aux exigences de l'institution, des élèves et de leurs parents, mais du constat que l'organisation n'a pas les moyens, du fait des évolutions sociologiques des élèves pris en charge et des réformes libérales de l'école, de répondre aux exigences de l'individu en termes de travail bien fait. Il faut renverser le problème de la santé des enseignants au travail et plutôt que de mettre en place, sur le modèle des dispositifs adoptés dans l'industrie (Renault) ou à France Télécom des dispositifs de signalement et de prise en charge des risques psycho-sociaux visant  « à aider les petits qui n'y parviennent pas » quitte à médicaliser la question sociale de l'aliénation au travail, il faut soigner le métier par le combat politique et syndical pour l'amélioration des conditions de travail collectives et par le développement de cet instrument de prévention majeur qu'est le collectif de travail chargé de réfléchir dans le débat contradictoire à ses modalités et ses finalités car c'est en s'attaquant à son métier, en le transformant, qu'on le défend.

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11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 13:05

Le 8 mai 2011, on pouvait lire sur le blog du télégramme:  

Le discours de Nicolas Sarkozy ce dimanche à Port-Louis dans le Morbihan a été perturbé par l'intervention d'un homme. Vladimir Bizet-Sefani, conseiller municipal de Lanester, a crié à plusieurs reprises : "Votre politique est une insulte aux valeurs de la résistance. C'est la mort de la liberté, de l'égalité et de la fraternité !". Jusqu'à l'intervention du service de sécurité. Une demi-douzaine de gardes du corps l'ont expulsé. Il a été conduit à la gendarmerie. L'élu local communiste revient devant notre caméra sur son action et ses conséquences.
 

Parmi les nombreuses réactions, Alain David a tenu à réagir aux commentaires précédents du blog du télégramme, dont certains justifiaient l'interpellation de l'élu de la République communiste irrévérencieux par la stigmatisation de l'héritage communiste, prétendument uniformément oppressif, par une mise au point qui justifie l'attitude de notre camarade de Lanester qui a eu le courage de démasquer la mascarade d'un président qui après avoir porté haut les valeurs du "Travail, famille, patrie", comme son adversaire Segolène  Royal d'ailleurs, pendant la campagne présidentielle de 2007,  multiplie les décrets et les lois liberticides, les discours et les pratiques stigmatisants (pour les Roms, les musulmans, les arabes, les pauvres) et xénophobes, les atteintes aux idéaux sociaux de la Résistance.   

 

 

niala
La démocratie c'est la liberté pour chacun de s'exprimer
Quel déchainement de haine chez certains parce qu'il s'agit d'un élu communiste !
Agiter fébrilement le stalinisme ou la Corée du Nord, c'est déployer un rideau de fumée pour masquer le fond du problème .
1-Oui les communistes français , comme tout groupe humain , se sont parfois trompés . MAIS ILS NE SE SONT JAMAIS TROMPES DE CAMP ! en particulier pendant l'occupation où ils ont payé un lourd tribut ... pendant que d'autres collaboraient sans états d'âme et/ou continuaient à faire des affaires .
2- Mais ce n'était pas , je crois , le sens de l'intervention de cet élu . Je l'ai comprise ainsi :
Quelqu'un qui , par la politique qu'il mène s'ingénie à démolir systématiquement non seulement toutes les avancées sociales et démocratiques du CNR mais aussi les fondements de notre république , peut -il moralement , légitimement transformer un hommage aux martyrs de la résistance en petite ( pour ne pas dire plus ) opération de récupération politicienne ? Doit-on le laisser faire dans un silence complice ?
Je suis d'accord avec la réponse qu'il a apporté à cette question .
Ajouté le 09 mai 2011 à 15h33

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 16:55

 

On en lit des choses intéressantes sur le site web du Figaro (on ne va tout de même pas acheter le journal... Bénéficier d'un abonnement d'essai de deux mois gratuit à La Croix: c'est faire déjà beaucoup de concession à l'ouverture d'esprit): en juillet 2010, on y apprenait ainsi qu'Ingrid Bettencourt, la femme qui faisait des chèques de 1 milliards d'euros pour témoigner de son amitié à un photographe mondain et dont le comptable versait 50000 euros en liquide par semaine aux amis de l'UMP ruinées par leurs campagnes électorales dispendieuses à l'américaine, a reçu en mars 2008 un chèque de 30 millions d'euros au titre du bouclier fiscal grâce à la sollicitude des services de l'Elysée qui ont remarqué qu'elle avait trop payée d'impôt précédemment. Rappelons, avec le journaliste du Figaro, que le feu le bouclier fiscal, promis par cet homme de parole qu'est Nicolas Sarkozy à la France du Fouquet's et des résidences de luxes de Neuilly, plafonnait les prélèvements (impôts divers, CSG et CRDS) de tout contribuable à la moitié de ses revenus: 47% des bénéficiaires redevables de l'ISF (les plus riches, par les agriculteurs qui paient l'ISF parce qu'ils ont des terres constructibles à l'île de Ré...) obtenaient 99% des sommes remboursées.

 

Un lecteur, gaulliste social peut-être, commentait l'information de manière laconique et brillante sur le blog du Figaro en citant un général qui manque cruellement à la droite actuelle pour lui rendre un peu de cervelle républicaine: « Les riches sont possédés par ce qu'ils possèdent, et ils n'ont qu'une seule patrie, leur argent ».

Comme pour confirmer ses dires, un de ses contradicteurs, au pseudonyme évocateur - « libéralissime » - et au cynisme assumé, lui répondait: « la lutte des classes, elle existe déjà: ce sont les rayures sur ma voiture; car elle a un gros défaut: elle est plus belle que celle des gens que je nourris avec mes impôts et charges. J'en ai assez de nourrir ceux qui me haïssent, je préfèrerais qu'ils me remercient ». Ce gros con impudique dit tout haut ce que beaucoup de propriétaires ventrus ou non pensent tout bas: « les assistés survivent à ma charge alors que je n'ai contracté aucune dette vis à vis d'eux, et encore... loin de me faire des courbettes, ils ont le culot de me rendre coupable de ma bonne fortune et, excités par les passions tristes du ressentiment et de l'envie, de propager des idées de redistribution sociale... Que la police éloigne de moi tous les envieux qui triment et qui puent et qu'on me laisse boire mon cognac en paix... ».

Un sage lecteur du blog du Figaro, conservateur intelligent soucieux de prévenir les désordres en rappelant qu'un excès d'injustice nuit à la conservation d'un ordre inégalitaire, commentait ainsi l'article: « La loi par nature est le reflet d'un fait social, elle l'encadre juridiquement ! En l'espèce elle encadre une situation socialement et moralement indécente : le rétrocession de près de 30 000 millions d'euros a une femme qui est capable d'en donner un milliard a un seul homme. Le morceau de papier qu'est la loi parlementaire (donc modifiable) se situerait-il au-dessus de toute moralité? N'oublions pas que l'indécence "des classes très aisées" et la pression fiscale sont à l'origine de beaucoup de révolution ! en particulier la nôtre en 1789... ».

 

Pourtant, après avoir allégé l'impôt sur les successions pour servir les rentiers, Nicolas Sarkozy aurait bien aimé supprimer l'Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), qui apportait jusqu'à présent 4 milliards d'euros aux caisses de l'État, mais la mesure était coûteuse en creusement des déficits électoraux et financiers. Qu'importe! Pour diminuer le nombre de ménages redevables de cet impôt, le gouvernement a choisi début avril 2011 la manière la plus simple et discrète: relever le plancher d'imposition de 800000 € à 1,3 million et ainsi exclure du dispositif 300000 ménages, la moitié des actuels assujettis à l'ISF. Les autres contribuables plus riches payant toujours l'ISF ne sont pas oubliés et le gouvernement de François Fillon s'occupe de conserver le soutien des beaux quartiers de l'ouest parisien au vaillant mais imprévisible petit poulain de l'oligarchie, Nicolas Sarkozy, en leur faisant, grâce à une refonte du barème de l'ISF qui compense les effets de la suppression du bouclier fiscal, un cadeau fiscal de 1,5 milliards d'euros.

Les taux d'imposition des plus riches sont revus clairement à la baisse. Les patrimoines compris entre 1,3 et 3 millions d'euros seront imposés à 0,25% tandis que les fortunes de plus de 3 millions d'euros seront soumises à un taux unique de 0,5% alors qu'auparavant le taux supérieur montait à 1,8% sur les patrimoines supérieurs à 16,8 millions d'euros.

 

Comme le disait au Nouvel Observateur l'économiste socialiste Liem Hoang Ngoc: « en France, plus on est riche, moins on paie! L'impôt est en train de devenir régressif, au mépris des principes républicains ». Le Canard enchaîné du mercredi 20 avril a ainsi révélé que Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, ne sera imposée qu'à la hauteur de 4% de ses revenus effectifs en 2012. Elle bénéficiera toujours l'an prochain du bouclier fiscal, calculé sur les revenus perçus deux ans auparavant, auquel s'ajoutera le bénéfice de la réforme de l'ISF: en conséquence, elle verra son impôt divisé par quatre. En 2010, elle payait 40 millions d'euros d'impôts au titre de l'impôt sur le revenu et de l'ISF. En 2012, elle paiera 10 millions d'euros...

 

A la rentrée 2011, Thomas Piketty, directeur d'études à l'EHESS et professeur d'économie à Paris a publié un petit essai très commenté par les médias, intitulé Pour une révolution fiscale. En réalité, ses analyses et ses propositions le situent moins dans une tradition révolutionnaire de remise en cause radicale de l'inégalité que dans une perspective sociale-démocrate de défense de la rémunération du travail (selon « le mérite ») plus que du capital et du patrimoine et d'efficacité de la progressivité de l'impôt. Piketty fait des constats intéressants: a) pour une bonne partie des contribuables, plus on monte dans l'échelle des revenus, plus le taux d'imposition moyen baisse, et, du fait de la multiplicité des niches et déductions fiscales, l'impôt sur le revenu, qui, grâce à sa progressivité, devrait être l'un des plus justes en théorie, rapporte 3 ou 4 fois moins en France que dans les pays européens qui nous entourent. A titre d'exemple, ces chiffres donnés par l'hebdomadaire Politis du 11 mars 2011:

 

 

 

Allemagne

France

Impôt moyen sur le revenu

20,70%

14,00%

Taux plancher

14,00%

5,50%

Taux maximum

45%

(+250000 €)

41%

(+70830€)

 

b) le système français de protection sociale repose beaucoup trop sur le travail et pas assez sur le patrimoine et le capital puisque ce sont des cotisations sociales prélevées sur les salaires qui financent l'assurance-maladie, les allocations familiales, le logement social, la formation professionnelle,...etc. Or, « les patrimoines ne se sont jamais aussi bien portés en France qu'aujourd'hui. Il faut remonter à la Belle Epoque, un siècle en arrière, dit Piketty dans un entretien du 26 janvier 2011 consultable sur le site web du Monde, pour retrouver des niveaux de patrimoine aussi élevés qu'aujourd'hui. Les revenus, en revanche, et en particulier les salaires, ont stagné au cours des 30 dernières années ».

La proposition phare de Thomas Piketty (reprise par le projet du PS pour 2012), qui ne pense pas qu'une augmentation de l'impôt sur les sociétés puisse se concevoir en dehors d'un cadre européen pour éviter le dumping fiscal entre États de l'Union, est la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, avec un impôt sur le revenu bénéficiant d'une large assiette et prélevé à la source comme l'actuelle CSG, tout en conservant une grande progressivité. Cette réforme s'accompagnerait d'une mise à plat de toutes les niches fiscales, qui peut avoir des effets pervers en matière d'encouragement aux pratiques d'économie d'énergie ou de défense du pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires.

 

Que proposait avant les derniers travaux de la plateforme pour un programme partagé pour 2012 le PCF en termes de redistribution des richesses et de réforme fiscale?

Le premier objectif est un nouveau partage de la richesse nationale visant à reconquérir la part des salaires dans la valeur ajoutée telle qu'elle était au début des années 1980. Cela représente d'environ 165 milliards d'euros chaque année (10 % de la valeur ajoutée). Ce déplacement s'opérera par la fiscalité, les cotisations patronales, les diverses mesures sociales (hausse du SMIC, des salaires, sécurisation des parcours de travail et de vie, baisse du temps de travail créatrice d'emplois, etc), le développement des activités qui entraînent une amélioration des rentrées fiscales et sociales. Quelques indications : 1 million de chômeurs en moins et 1% de croissance supplémentaire entraînent respectivement environ 9 et 3 milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires. Le PCF, dans ses documents programmatiques, propose aussi une refonte du barème de l'impôt sur le revenu avec 10 tranches et une remontée du taux marginal à 55%.
L'impôt sur les sociétés, devenu l'un des plus faibles d'Europe, sera revalorisé par la suppression d'effets d'assiette (zones franches), de régimes dérogatoires (bénéfice mondial consolidé), pour un rapport de 760 millions. Et par une modification des taux. Nous proposons aussi d'imposer plus fortement les bénéfices distribués ou placés sur les marchés financiers que ceux consacrés à l'amélioration de l'outil de travail, la recherche, l'emploi ou les salaires.
Les impôts sur la fortune ( élargissement de l'assiette : biens professionnels, œuvres d'art, part du patrimoine financier qui y échappe ; augmentation du taux pour les tranches supérieures) et sur le patrimoine (annulation des mesures telles que le relèvement du seuil d'imposition en matière de transmission du patrimoine) seront revus pour un rapport de 5 milliards.
Une négociation sera menée dans différents secteurs pour supprimer la TVA frappant les produits de base.

 

I.D

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 10:46

1) Repères historiques sur les politiques de l'immigration en France au vingtième siècle.

 

A lire le très riche essai d'histoire administrative et politique de Patrick Weil, La France et ses étrangers (Première édition: 1991), auquel nous emprunterons la plupart des données qui seront présentées ici, on mesure que la France est une terre d'immigration depuis longtemps bien que cette particularité ne soit pas due essentiellement à une générosité particulière du pays des droits de l'homme vis à vis des étrangers qui fuient la misère ou la persécution mais plutôt à son prestige de patrie de la révolution attirant les réfugiés politiques, à son passé colonial et aux besoins de son économie.

 

Une fort afflux d'immigrés dans les années 1920-1930

En 1930, la France est le pays du monde qui compte le plus fort taux d'étrangers: 515 pour 100000 habitants (7% environ de la population totale) contre 494 pour 100.000 aux Etats-Unis. Entre 1920 et 1930, on a observé un excédent de 1.150.000 entrées de travailleurs étrangers entre 1920 et 1930, venant principalement d'Italie, de Belgique, de Pologne (mineurs dans le nord), de Tchécoslovaquie, d'Espagne. Cette immigration est censée répondre aux besoins économiques du patronat français: elle est organisée principalement par des conventions signées entre des syndicats d'entreprises privées françaises, l'État français, et les États d'émigration. La loi du 11 août 1926 interdit ainsi l'emploi des étrangers en dehors des professions pour lesquelles ils ont obtenu une autorisation, de même que l'embauche de ces étrangers par un autre employeur que celui qui l'a fait venir.

 

Le tournant de la crise de 29 et de la montée du rejet de l'étranger.

Au début des années 30, avec la crise sociale mondiale consécutive au crack de 1929, on observe une montée du chômage et de la xénophobie. En 1932, des mesures de contingentement sont prises pour fixer des proportions maximales de travailleurs étrangers dans les entreprises privées industrielles ou commerciales: « français d'abord! » oblige... En 1934, sous un gouvernement de droite, la décision est prise de ne plus accorder de cartes de travail aux nouveaux migrants et les Français naturalisés sont interdits d'exercer des professions administratives ou juridiques tandis que les étrangers diplômés de médecine ne peuvent exercer en France. Les étrangers licenciés sont souvent expulsés de manière forcée, pratique à laquelle mettra fin le Front Populaire.

Après la chute du gouvernement de Léon Blum, le sous-secrétariat d'État à l'immigration revient à Philippe Serre et le nouveau maître à penser de la politique de l'immigration est son directeur de cabinet, Georges Mauco, auteur d'une thèse pionnière sur le rôle économique des étrangers en France. Ce technocrate, à qui l'immigration apparaît souhaitable pour des raisons démographico-politique (asseoir la puissance de la France sur le long terme suppose un afflux de jeunes travailleurs féconds relevant la natalité française) prône, plus de 60 ans avant le ministère Hortefeux, une politique de sélection préférentielle des immigrés selon des critères professionnels et de de races (certaines étant jugées moins « assimilables et utiles » que d'autres). Sous Vichy, Mauco évoluera vers des théories racistes pures et dures. En 1938, l'étranger a des obligations et des droits très différent du français de souche: il est tenu de prévenir les autorités à chaque changement de résidence et doit obtenir une autorisation administrative pour se marier. Il peut, quand il a été naturalisé français, se voir déchoir de sa nationalité française s'il commet des délits ou crimes susceptibles d'un an d'emprisonnement au moins. En 1939 et en 1940, toutefois, le gouvernement accélère le processus de naturalisation des travailleurs étrangers (770000 naturalisés en quelques mois, principalement des italiens) pour qu'ils participent activement à l'effort de guerre.

 

Vichy ou le racisme au pouvoir.

Avant guerre, il y avait 3 millions d'étrangers en France, qui étaient de plus en plus rejetés par une frange de la population, principalement les réfugiés politiques ayant été attirés par la tradition de terre d'accueil de la France ou simplement par sa proximité géographique: arméniens, russes blancs, juifs de langue yiddish d'Europe de l'est ou d'Allemagne, anti-fascistes allemands, républicains espagnols. Vichy est l'héritier des ligues d'extrême droite qui rendaient l'étranger responsable du chômage et de la dénaturation de la société française dès le début des années 30 et le produit de la haine contre les étrangers, qui grandira peut-être encore avec le traumatisme de la défaite. D'ailleurs, une des premières actions symboliques de Vichy est d'interdire en juillet 1940 le décret loi institué en avril 1939 créant un délit d'injure et de diffamation raciale. Le même mois, Vichy crée une commission pour la révision des naturalisations qui ont eu après 1927, partant du principe qu'on les a intégré trop facilement à des nationalités suspectes ou dangereuses pour le corps national: 15000 réfugiés dont 6300 juifs se verront retirer leur nationalité française par mesure de purification.

Le 3 octobre 1940, une loi interdit aux juifs d 'enseigner, d'exercer des postes à responsabilité dans la fonction publique, la magistrature, l'armée, ou d'exercer toute activité influente en matière culturelle (direction de journal, de radio). Dès avril 1941, sans qu'aucune contrainte allemande ne justifie ces décrets discriminatoires, les juifs peuvent avoir l'obligation de vendre leurs entreprises ou leurs commerces à prix bradé à des « aryens » et sont obligés de toute manière de faire administrer leurs biens par des « bons français ». A partir de 1942, la « solution finale » est bien sous-traitée par la police de Vichy , avec pour commencer des premières déportations de juifs « apatrides » en mai et juin 1942, et la tristement célèbre rafle du vélodrome d'hiver le 16 juillet 1942 (13000 juifs arrêtés par des gendarmes français à Paris et déportés à partir de Drancy): au total, 60000 à 65000 juifs résidant en France seront déportés, étrangers pour la plupart puisque sans doute 6000 ressortissants français de religion traditionnelle juive ont été déportés (sur une population de 300000 juifs, français ou non, résidant en France en 1940) et seuls 2800 sont revenus des camps de concentration (source: Robert Paxton, La France de Vichy. Points histoire, p.180). Les populations nomades ou sédentaires de manouches sont également victimes de déportations et d'odieuses politiques vexatoires de la part de l'Etat raciste de Vichy.

 

De la Libération au début des années 1970: une immigration de travail très importante dans le contexte de reconstruction et croissance forte des Trente Glorieuses.

 

Après guerre, il n'y a plus que 1,5 millions d'étrangers en France, du fait des naturalisations, des retours d'italiens, des exils forcés, des victimes de la guerre et des persécutions racistes de Vichy et de l'Allemagne nazie. Le général de Gaulle est de ceux qui estiment que la puissance française ne pourra se relever qu'avec un sursaut de la natalité qui implique un encouragement à la venue de familles étrangères. Les milieux d'affaires et les économistes plaident plutôt quant à eux pour une immigration motivée par des raisons économiques et non démographiques et réclament dans l'immédiate après-guerre la venue sur 5 ans de 1.500.000 jeunes travailleurs célibataires s'installant de manière temporaire en fonction des variations du marché du travail. Plusieurs experts, partisans de l'immigration démographiquement ou économiquement fondée, recommande une sélection ethnique et une répartition géographique planifiée des immigrants, comme beaucoup d'hommes politiques de droite aujourd'hui, mais finalement, la commission permanente du Conseil d'Etat présidée par René Cassin, le père de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 avec qui travaillait Stephane Hessel, proscrit toute volonté de contrôler l'origine ethnique et la répartition géographique des étrangers.

Entre 1945 et 1949, 67% de l'immigration en France est d'origine italienne, provenant principalement d'Italie du Sud. Entre 1949 et 1955, la lourdeur et l'inefficacité du système d'introduction freinent l'arrivée des travailleurs européens ou marocains et tunisiens au bénéfice des algériens qui circulent librement depuis qu'ils ont obtenu la citoyenneté française en septembre 1947. Le fait que le principal foyer d'immigration en France soit l'Algérie inquiète la classe politique dans un contexte de déclenchement des luttes de décolonisation et on simplifie donc en 1956 les procédures de régularisation de travailleurs étrangers arrivés en France par leurs propres moyens pour contrebalancer le poids démographique des algériens. Sous l'effet de cette mesure, l'immigration extra-nationale de travailleurs étrangers non saisonniers concerne 430.000 personnes entre 1956 et 1962 alors que l'augmentation de la main d'œuvre algérienne n'a pas dépassé dans le même temps 120.000 individus.

En 1964, 2 ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'opinion française et les hommes politiques sont de plus en plus hostiles à l'immigration algérienne et la France tente de ce fait d'imposer des contingentements à l'État algérien, tout en permettant aux entreprises d'aller « se servir » directement dans les villages misérables et les banlieues urbaines du Maroc et en Tunisie et en favorisant l'immigration yougoslave et turque grâce à des accords de main d'œuvre signés avec les États. Les douanes françaises, contrairement aux assurances données au pouvoir portugais, ont aussi pour consigne de laisser passer les Portugais fuyant les bas salaires, le chômage, la dictature et le service militaire et ces immigrants portugais sont très vite régularisés.

 

En 1974, la France compte 3,5 millions d'étrangers, dont 750.000 Portugais, presque autant d'Algériens, 500.000 Espagnols, 460.000 Italiens et 260.000 Marocains. Jusqu'au début des années 70, les moyens engagés par les pouvoirs publics pour loger les travailleurs immigrés et leurs familles sont dérisoires (en dehors des foyers sonacotra à loyer très doux destinés aux seuls travailleurs célibataires pour décourager les Algériens notamment de faire venir leurs familles en France) et, en 1967 encore, Pompidou s'oppose à la création d'une taxe pour le logement des immigrés en arguant du caractère « nomade » de cette population. Ce n'est que dans l'après 1968, grâce aux organisations d'extrême-gauche et aux syndicats, que la population va être sensibilisée aux conditions de vie indignes des immigrés. En 1970, après la mort de 5 maliens dans un taudis d'Aubervilliers, le gouvernement, attaqué dans la presse de gauche, décide enfin d'agir pour la résorption de l'habitat insalubre des immigrés et de faire disparaître les bidonvilles en 3 ou 4 ans. Cette action, note Patrick Weil dans son ouvrage, « tombe à point nommé » car les bidonvilles se situent sur des terrains devenus constructibles sur lesquels les promoteurs entendent investir. En 1970, 650000 travailleurs immigrés vivaient encore dans des bidonvilles ou des taudis.

En 1972, la pression des syndicats, des partis politiques de gauche et des associations de défense des droits des immigrés aboutit au vote de deux lois symboliquement importantes même si elles ne règlent pas la question de fond du logement des travailleurs étrangers: la loi du 27 juin qui autorise l'élection et l'éligibilité des étrangers en tant que membres des comités d'entreprise et délégués du personnel et la loi du 1er juillet 1972 qui fait du racisme un délit juridiquement condamnable. Dans le même temps, des restrictions importantes commencent à être posées contre l'immigration, que les pouvoirs publics veulent limiter contre l'avis et les intérêts du patronat afin de limiter dépense sociale, de ne pas bouleverser la structure de la population résidant en France et « l'identité » de la nation: les circulaires Marcellin-Fontanet interdisent le recours aux régularisations sauf exception et exigent que les employeurs désireux de recruter des salariés étrangers ne les recrutent pas eux-mêmes dans leurs pays d'origine mais déposent un demande dans un bureau de l'ANPE contrôlant les entrées et assurent le logement et la gestion du voyage des nouveaux employés. En 1973, des grèves de la faim de travailleurs immigrés irréguliers, soutenues par la CFDT et la CGT, ont lieu dans l'église Saint-Hippolyte de Paris pour réclamer des régularisations.

 

Avec le déclenchement de la crise économique mondiale consécutive au choc pétrolier, l'immigration de travail est stoppée en 1974 et le pouvoir de droite adopte une attitude de plus en plus dure et insensible vis à vis des immigrés.

 

Après l'élection de Valery Giscard d'Estaing, pour la première fois, un secrétariat d'état à l'immigration est créé, confié à André Postel-Vinay, preuve de la nouvelle importance que prend le sujet dans la conscience collective et des problèmes sociaux et politiques qu'il pose. « André Postel Vinay, qui pressent la crise structurelle et longue, génératrice de restructurations et de chômage, qu'inquiète la croissance démographique rapide du Tiers-Monde, et qui entend donner de meilleures conditions de vie aux immigrants déjà installés en France, plaide pour une interruption de l'entrée des migrants » (Patrick Weil). L'argument de l'incompatibilité entre l'ouverture des frontières et l'accès aux droits sociaux, à une vie décente, et à une intégration effective des immigrés en situation irrégulière travaillant depuis des années en France, commence à être invoqué pour restreindre l'immigration au nom de l'intérêt même des immigrés résidant en France.

A partir de 1974 donc, même si des permis de travail et de séjour continuent à être octroyés aux réfugiés et demandeurs d'asile (les boat people vietnamiens en 1975 par exemple), l'État décide d'interrompre l'immigration de travail, de suspendre l'immigration familiale en 1977 (même si, devant les vives protestations des partis politiques, des Églises et du conseil d'État, le nouveau secrétaire d'état à l'immigration, Lionel Stoléru, recule, et donne le droit aux familles des immigrés implantés pour leur travail depuis quelques années de séjourner en France, mais non d'y travailler), d'encourager ou de forcer les travailleurs immigrés à rentrer chez eux.

Ainsi, le premier ministre Raymond Barre décide d'incitations financières pour encourager les étrangers chômeurs à rentrer chez eux avec leurs familles après des années de bons et loyaux services dans les rangs des entreprises françaises... Les algériens, au nombre de 800000 en France, sont les cibles privilégiées de ce dispositif que le gouvernement cherche bientôt à durcir à négociant avec peine avec l'Algérie un accord qui pourrait l'autoriser à ne pas renouveler les cartes de travail et les titres de séjour des travailleurs algériens chômeurs. En 1979, le gouvernement poursuit dans son action pour faire partir les immigrés en se fixant des objectifs de 100000 retours annuels, toute nationalité confondue, dont la moitié seraient des retours forcés (le reste: principalement des départs en retraite dans les pays d'origine), notamment d'Algériens, par le biais du non renouvellement des titres de séjour. Les préfectures sont déjà invitées à respecter des quotas pour ne pas reconduire les titres de séjour des étrangers résidant en France sans prendre prioritairement en compte la situation personnelle des travailleurs. Ces reconduites forcées à la frontière, assorties de contingentements d'Algériens à refouler, amènent les syndicats à se mobiliser pour des travailleurs qui pendant des années, voire des décennies, ont contribué à la création de la richesse nationale, et qui sont ensuite refoulés comme des malpropres.

 

L'évolution de la politique d'immigration pendant les années Mitterrand.

 

Solidarité internationaliste avec le tiers monde et lutte contre l'exploitation sont des valeurs fondamentales de la gauche qui trouvent à s'incarner dans une politique de l'immigration en rupture complète avec celle de Giscard à partir de mai 1981. L'encouragement des travailleurs immigrés chômeurs et de leurs familles par l'aide financière au retour est supprimé. Les étrangers nés en France (pour lesquels n'a pas été fait de demande de naturalisation dans les délais prévus afin de ne pas perdre la nationalité d'origine) ou étant arrivés avant l'âge de 10 ans deviennent inexpulsables. Tout en renforçant les sanctions légales contre les employeurs irréguliers de travailleurs sans papier et contre les travailleurs sans papier eux-mêmes, la volonté de réparer symboliquement les dispositions inquisitrices et discriminatoires de Giscard vis à vis des immigrés conduit Mitterrand et son gouvernement à restaurer l'état de droit en régularisant massivement, en utilisant des critères très souples, les travailleurs « clandestins » (estimés entre 200000 et 300000 personnes) qui en feront la demande, avant de contrôler à nouveau les entrées de manière sourcilleuse.132000 clandestins, à 90% ayant un emploi, déclaré ou non, sont ainsi régularisés en 1981.

Par contre, la gauche n'honore pas sa promesse, celle de la quatre-vingtième des 110 propositions du candidat Mitterrand, d'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales après 5 ans de résidence en France. La logique de cette proposition était, écrit Patrick Weil, « celle du droit créance: puisque les étrangers paient des impôts locaux, ils ont le droit légitime de participer à la désignation des autorités publiques locales... Le droit de vote est conçu aussi comme une technique qui permettrait de répartir plus équitablement les ressources dont disposent les autorités locales; de leur côté, celles-ci traiteront avec plus de diligence des contribuables devenus électeurs ». Mais cette proposition est plutôt impopulaire et beaucoup de critiques se font entendre à gauche et à droite sur l'absence de caractère prioritaire de cette mesure (par rapport à la lutte contre l'immigration clandestine ou la défense des droits sociaux effectifs des immigrés), sur la rupture qu'elle introduit avec la tradition française d'identification de la nationalité et de la citoyenneté: sous l'influence de son secrétaire d'état aux immigrés, François Autain, Mitterrand décide d'ajourner cette mesure hautement symbolique mais très risquée électoralement.

En 1983, Georgina Dufoix hérite du dossier immigration et est chargée d'infléchir le discours et la politique sur l'immigration en mettant au premier plan la nécessité pour protéger l'emploi des français et éviter que ne se développement des sentiments anti-immigrés de lutter avec fermeté contre l'immigration clandestine et de mieux contrôler les flux d'immigrés. Des freins sont posés à l'immigration familiale, des facilités sont données pour le contrôle de la régularité du séjour des immigrés, une aide au retour dont le montant est négocié théoriquement avec les pays d'origine des immigrés est conçue, mais à l'exception du Sénégal, la plupart des États approchés, à l'instar du Maroc et de la Tunisie qui ont besoin de devises étrangères et connaissent déjà un très fort chômage, refusent de collaborer. En 1984, une loi importante est votée néanmoins, y compris par la droite, qui instaure un titre de séjour et de travail unique de 10 ans.

Dès juillet 1984, néanmoins, le nouveau premier ministre, Laurent Fabius, qui a pris la mesure de la montée des inquiétudes et des rejets que suscitait la forte présence immigrée dans certaines régions, décide de donner essentiellement des gages à cette opinion publique hostile à la présence étrangère: « il souhaite instaurer la reconduite administrative à la frontière et rétablir les contrôles d'identité. Il veut réformer la procédure d'accès au statut de réfugié, en soumettant la transmission des demandes d'asile de l'O.F.P.R.A à un agrément administratif. » (Patrick Weil). Fabius, soutenu par Georgina Dufoix, entend également limiter l'immigration par regroupement des familles. A cette époque de montée du FN, le PS a, avec plus ou moins d'opportunisme assumé, une sorte de double langage: d'un côté Mitterrand rappelle son attachement au droit de vote des étrangers aux élections locales en 1985 et parraine la naissance de SOS Racisme pour remobiliser à peu de frais la jeunesse sur l'enjeu symbolique de l'anti-racisme, quitte à renforcer un peu plus les processus de ressentiment à l'œuvre dans le vote FN (parler d'immigration de manière clivante pour le PS pouvait apparaître comme un moyen tactique d'affaiblir le RPR en renforçant l'audience du FN) ; de l'autre, à l'approche des législatives, Fabius affirme son accord avec Chirac sur la nécessité d'une politique d'immigration plus restrictive et ferme avec les irréguliers.

 

En 1986, le Front National fait son entrée au Parlement à la faveur du scrutin proportionnel et la droite, qui retrouve la majorité à l'Assemblée Nationale, se décide avec son super flic ministre de l'intérieur Charles Pasqua, à donner un maximum de gages aux électeurs du FN afin de les récupérer dans leur escarcelle. Ainsi, Charles Pasqua entend multiplier les procédures de reconduite à la frontière, revenir sur la garantie du séjour en France accordée par les lois de 1981 et 1984 aux jeunes d'origine étrangère qui y ont été élevés. Ils souhaitent que les jeunes puissent, en cas d'atteinte à l'ordre public, être expulsés. Un texte adopté en Conseil des Ministres en juin 1986 propose également de permettre à la police de l'air et des frontières d'effectuer un premier tri entre les demandeurs d'asile avant que la demande ne soit examinée par l'O.F.P.R.A. Au nom du gouvernement de Chirac, Albin Chalandon propose une réforme du code de la nationalité qui supprime le caractère universel et automatique du droit du sol: l'enfant né en France devra désormais réclamer sa nationalité, et n'y aurait droit qu'en cas de non-condamnation antérieure... Des néo-cons comme Alain Finkielkraut applaudissent...

La ligue des droits de l'homme et les églises se mobilisent contre cette régression humanitaire et républicaine.

 

L'enracinement des idées xénophobes et du rejet de l'immigration.

 

En 1988, le FN obtient 14% des suffrages exprimées aux élections présidentielles et dès 1989, la question de la compatibilité de l'immigration maghrébine et du multiculturalisme avec l'identité nationale est soulevée dans un débat médiatique aux enjeux très largement surfaits sur le port du voile à l'école.

En 1991, le très républicain Valery Giscard d'Estaing illustre la radicalisation du discours de la droite de gouvernement sur l'immigration et les immigrés en vue d'un rapprochement avec le FN: « Après avoir en juillet préconisé un « quota zéro » pour l'immigration, il dénonce à la manière de Le Pen dans le Figaro Magazine « l'immigration-invasion ». Il propose également que la nationalité française ne puisse plus être attribuée par la naissance en France mais par la seule filiation sur le modèle de la loi allemande d'alors ». (Patrick Weil). Dans le même temps, les différents ministres socialistes qui se succèdent à l'intérieur adoptent des mesures restrictives: en 1990, on accélère le traitement des dossiers de demandeurs d'asile, avant de leur retirer le droit de travailler pendant l'examen de leurs dossiers.

 

Dès son retour au pouvoir en 1993, la droite fait voter des lois en contradiction avec les traditions démocratiques et républicaines, les lois Pasqua, et changer un article de la constitution pour imposer l'objectif de l'immigration zéro. Dans un entretien donné au Monde le 2 juin 1993, Pasqua déclarait ainsi: « La France ne veut plus être un pays d'immigration ». L'objectif assumé d'immigration zéro incite à des mesures inquisitrices contre la régularisation des étrangers par le mariage. L'illégalité du séjour avant le mariage empêche désormais la délivrance du titre de séjour après celui-ci et, pour lutter contre les prétendus « mariages arrangés », on va jusqu'à mettre souvent en cause le droit au séjour des nouveaux conjoints de Français. On repousse de 6 mois à 2 ans le délai nécessaire à l'obtention de la nationalité française pour un étranger qui se marie avec un français et on entérine le projet d'astreindre des enfants nés en France de parents étrangers à une déclaration d'intention préalable faite entre 16 et 21 ans pour devenir Français.

 

En 1996, après une nouvelle progression du FN aux présidentielles (15,3% de suffrages obtenus en 1995), Debré, le ministre de l'intérieur du président Chirac, va chercher à compléter la panoplie répressive des lois Pasqua en se basant sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire très partiale présidée par M. Philibert sur les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. 46 mesures radicales sont préconisées, et parmi elles, certaines qui ne seront réellement mises en application que sous la présidence Sarkozy: prise d'empreinte systématique des visiteurs étrangers et fichage des personnes les hébergeant, remise en cause des droits aux soins d'urgence pour les étrangers en situation irrégulière, ou à l'éducation pour leurs enfants, possibilité d'expulser immédiatement les mineurs étrangers ayant commis un délit... Finalement, en novembre 1996, après l'expulsion musclée et impopulaire des 300 grévistes de la faim de l'église Saint Ambroise le 23 août 1996 (sans-papiers menacés d'expulsion qui pour beaucoup sont des parents d'enfants français, ont des conjoints français ou toute une famille vivant en France), Debré fait voter une loi qui complique considérablement la venue régulière des étrangers en France: toute personne désireuse d'entrer en France est considérée avec soupçon comme un fraudeur et un clandestin en puissance et le droit à l'aller-retour entre la France et le pays d'origine pour visiter sa famille ou le pays, faire des études ou quelques affaires est soumis à des restrictions et des démarches préalables plus que décourageantes.

 

La parenthèse Jospin.

 

Grâce à la loi Debré, Chirac espérait que les candidats UMP bénéficieraient d'un bon report de voix au second tour des électeurs du FN lors des élections législatives anticipées qu'il jugea opportun de convoquer après la crise du mouvement social de 1995 et du discrédit porté sur Juppé. Or, il les perd et le PS a inscrit dans son programme un retour décomplexé à une tradition plus libérale et républicaine en matière d'immigration: « Nous supprimerons les lois Pasqua-Debré. Nous rétablirons les droits fondamentaux au mariage, à la vie en famille et le droit d'asile, ainsi que le code de la nationalité dans sa vision républicaine ». De fait, la loi Chevènement de 1998 sur l'immigration apporte très vite des avancées significatives pour améliorer les conditions d'accueil des étrangers:

  • suppression des certificats d'hébergement exigés à un étranger cherchant à obtenir un visa pour entrer en France.

  • réduction à un an du délai de séjour exigé pour procéder à un regroupement familial

  • à 18 ans, le jeune né en France redevient français automatiquement, sauf s'il exprime le désir contraire. Il peut anticiper cette acquisition par une déclaration volontaire possible dès l'âge de 10 ans.

     

Parallèlement, tout en refusant le principe de régularisation collective systématique, le gouvernement Jospin régularise une partie importante (87000) des 135.000 étrangers qui avaient fait une demande, en se basant sur les critères de l'ancienneté de la présence sur le territoire et du travail en France, et sur la force des attachements familiaux et personnels en France. Chevènement se montre par contre inflexible sur la célérité de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière ou dont les demandes de régularisation ont été rejetées.

 

La stratégie de séduction de l'électorat du FN de la droite conduit à légitimer et à mettre en place des politiques d'immigration de plus en plus répressives, stigmatisantes et contraires au droit de l'homme depuis 2002.

 

Le 26 novembre 2003, après la réélection de Chirac opposé à Le Pen au second tour, la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité modifie à nouveau le statut des étrangers en subordonnant la délivrance de la carte de résident à un critère d’intégration. Elle renforce également la lutte contre l’immigration clandestine. Pour de nombreuses associations, ce durcissement de la législation se fait au détriment des droits fondamentaux des étrangers (mauvais traitements, décès, état déplorable des centres de rétention et des zones d’attente, etc.), qui sont traités comme des criminels par l’administration, alors qu’ils sont dans de nombreux cas mis en situation irrégulière par un refus de cette même administration de régulariser leur situation ou de renouveler leurs titres de séjour. Pendant ce temps, l’immigration est traitée de plus en plus au niveau de l'Union Européenne qui adopte ainsi en 2003 une directive sur le regroupement familial et tente d’harmoniser les politiques d'immigration des pays membres. Au niveau de la société civile, les politiques de plus en plus répressives suscitent l'indignation d'une partie de l'opinion. En 2004, le Réseau Education Sans Frontière (RESF) s'oppose à ce qu'il qualifie de « rafles » dans les écoles d'enfants en séjour irrégulier ou des parents sans-papiers de ces enfants.

 

En juillet 2006, la loi relative à l'immigration et à l'intégration, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy porte de 12 à 19 mois le délai au terme duquel un étranger en séjour régulier en France peut solliciter un regroupement pour les membres de sa famille proche. Cette loi renoue avec une justification utilitariste par les intérêts de l'économie française d'une immigration de travail ciblée par avance en autorisant le recours à de la main d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974. Cette mesure est limitée à quelques professions telles que l’hôtellerie-restauration, la construction et les travaux publics, les travaux saisonniers, les professions commerciales. La loi met en place la carte de séjour « compétence et talents ». C'est l’« immigration choisie » des travailleurs saisonniers et qualifiés que Sarkozy oppose à l'immigration subie des familles pouilleuses qui veulent rejoindre des parents travaillant en France, des régularisations automatiques d'enfants nés en France d'étrangers clandestins, des faux demandeurs d'asile qui fuient en réalité l'insécurité de la misère. La France, en 2007, étudie une loi visant à restreindre l'immigration afin d'appliquer la volonté politique du président de la République, d'avoir une « immigration choisie ». Cette loi est accompagnée d'un amendement concernant la maîtrise de la langue française susceptible de créer des difficultés aux migrants et aux couples mixtes, en très forte augmentation depuis les années 80 du fait notamment de la plus forte propension des français à voyager et de la mondialisation, pour le meilleur et pour le pire, des échanges matrimoniaux et sexuels.

 

Depuis quelques années, des accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ont conditionné l'aide au développement à la prise de mesures par les États du Sud visant à restreindre l'émigration. La Tunisie, pays à qui l'on sous-traitait la réclusion des candidats à l'immigration en France, était ainsi un des pays les plus aidés par l'Agence Française de Développement, même s'il était bien plus riche que d'autres en Afrique.

 

A partir de l'été 2010, les discours de Nicolas Sarkozy, des responsables de l'UMP et de la garde rapprochée du président ont franchi un cap dans la récupération abjecte des leitmotivs de l'extrême-droite en identifiant origine ethnique et dangerosité ou délinquance, en dissociant le droit à la libre circulation des Européens dans l'espace Schengen de l'acceptation des Roms qui, n'est-ce pas, ne le sont pas tout à fait, en enfermant les enfants de parents étrangers dans une identité ethnique ou culturelle substantielle qui les rend suspects de ne pouvoir jamais s'assimiler, adhérer aux valeurs nationales, en stigmatisant les populations arabes et africaines sous couvert d'opposer l'Islam intransigeant aux valeurs laïques et démocratiques.

 

2) Printemps des peuples dans le monde arabe, hiver du repli xénophobe en France et en Europe.

 

Les dictatures d'Afrique du Nord, véritables chiens de garde de l'Europe rémunérés en complaisance devant les morsures qu'elles infligeaient à leurs peuples, avaient beaucoup d'avantage pour les gouvernements de droite européens, en particulier celui de repousser de manière musclée une grande partie des candidats à l'immigration en Europe venus d'Afrique, d'Asie et de leurs propres territoires. Depuis 2004, l'Europe a cherché à externaliser la gestion des flux migratoires, et les camps de rétention ont fleuri dans les pays limitrophes (on se souvient de la répression de la révolte de Ceuta et Mellila), le Maroc cessant d'être une plaque tournante de l'immigration, et de plus en plus de réfugiés africains étant renvoyés dans le désert saharien après avoir été dûment racketés, battus, ou violés par les trafiquants et les « forces de l'ordre » corrompues des pays du Maghreb.

Avec les bouleversements politiques et sociaux en Tunisie et en Libye et l'inefficacité nouvelle des États policiers, évidemment, les vannes s'ouvrent. Des milliers de candidats à un avenir meilleur en Europe - Somaliens, Erythréens, Libyens, Tunisiens- affluent au large de la Sicile et de Lampedusa, créant, selon la métaphore catastrophiste et réifiante du si sensible Silvio Berlusconi, « un véritable tsunami humain » (tout aussi humaniste, Claude Guéant a dit qu'il faudrait que la France se protège contre « cette vague d'immigration »)... au risque mourir en mer, comme au moins 4200 candidats à l'immigration cherchant à passer d'Afrique du Nord ou du Sénégal à Malte, en Italie, en Espagne, aux Canaries depuis 2003. Le mercredi 6 avril 2011, 150 personnes ont disparu dans un naufrage au large de Lampedusa. Mais, dans le discours des dirigeants européens à cette heure de progression généralisée des idées d'extrême-droite, il n'y a plus aucune place pour le chagrin et la pitié.

 

Ces immigrés qui parviennent jusqu'aux côtes siciliennes ne veulent pas tous vivre en Italie et, même si ses intentions sont nationalistes et relèvent de la revanche économique et politique, car il était peu intéressé par une intervention militaire en Libye, le gouvernement italien a raison sur le fond de dire qu'on ne peut pas renvoyer (cela pose surtout pour lui des problèmes techniques plutôt que moraux) de manière expéditive ces immigrés (qui pour la plupart sont des réfugiés économiques voulant assurer la survie de leur famille et un avenir meilleur pour eux et pour certains sont des réfugiés politiques risquant gros à leur retour) et que tous les pays européens, et pas seulement ceux du rivage méditerranéen, doivent participer au règlement de cette situation de crise humanitaire d'urgence. La commission européenne le 11 avril a donné raison à la France contre l'Italie d'avoir immobilisé les trains qui devaient conduire des immigrés tunisiens à qui les italiens avaient donné des permis de séjour temporaires (plus de 25000 en ont bénéficié) leur permettant théoriquement de circuler librement dans l'espace Schengen pendant quelques mois. Pour ne pas fâcher la France, l'Allemagne, et d'autres États européens encore où la xénophobie gagne du terrain depuis des années à la faveur de la crise sociale et identitaire que traversent ces sociétés et qui sont hostiles à « tout partage du fardeau » de l'immigration, elle n'a pas craint de violer le principe de la libre circulation des personnes avec des papiers en règle dans l'espace de l'Union Européenne.

En décembre 2008 déjà, le Parlement européen décidait d'ériger l'Europe en forteresse repoussant « sans sentimentalisme irresponsable » « la misère du monde » tandis qu'elle instaurait une carte bleue permettant entrée facilitée et libre circulation pour les travailleurs hautement qualifiés. Une de ses résolutions invitait les 27 États membres « à considérer le défi des migrations au travers d'une approche globale qui fasse avancer avec la même énergie le renforcement des contrôles aux frontières de l'Union, la lutte contre l'immigration clandestine, le retour dans leurs pays d'origine des étrangers en situation irrégulière... ». Une directive retour, dite « directive de la honte » par ses opposants, adoptée par le Parlement européen, suivait cette résolution qui permettait de placer en détention des étrangers en attente d'éloignement, y compris des mineurs, pour des durées allant jusqu'à 18 mois et d'interdire l'accès au territoire des expulsés pendant 5 ans.

 

Autre signe d'un durcissement des politiques d'immigration: à la mi-avril 2011, le Haut Conseil à l'Intégration créé par la droite recommandait, allant ainsi dans le sens des intentions de Claude Guéant, de restreindre encore l'immigration légale par la voie du mariage, devenue « la première porte d'entrée en France » puisque 50000 français désirent chaque année accueillir leur conjoint étranger. Or, les mariages de français avec des étrangers sont de plus en plus suspectés d'être des mariages blancs, font à ce titre l'objet de procédures de vérification policière et de refus de célébration de plus en plus systématiques, n'ouvrent droit à la naturalisation qu'après de nombreuses années, et peuvent s'accompagner d'expulsion du conjoint étranger en cas de divorce ou de séparation. Parallèlement, nous apprenions que malgré l'augmentation du nombre de demande d'asile, la France n'attribuait des permis de séjour qu'à un cinquième des demandeurs d'asile. Parallèlement, alors que l'immigration professionnelle légale ne concernait que 23650 personnes pour l'ensemble de la France, Claude Guéant entend réduire encore cette immigration de travail en mettant en avant le poids du chômage en France (9,6% aujourd'hui suivant les chiffres officiels, nettement sous-évalués). Les milieux économiques, par l'intermédiaire de la patronne du Medef, Laurence Parisot, ont immédiatement réagi en déclarant que « c'est très dangereux, un pays qui se ferme ». L'essayiste ultra-libéral et homme d'influence proche de Sarkozy Alain Minc surenchérissait: « on ne peut pas promouvoir une économie de l'offre inspirée de l'Allemagne...et prétendre à l'immigration zéro ».

 

La droite, prise entre deux logiques contradictoires face à l'immigration.

 

Cette volonté de mettre un terme à l'immigration de travail rompt avec la politique utilitariste qu'avait esquissée Sarkozy en 2007, celle d'une « immigration choisie »: il y a les bons immigrés, ceux qui sont européens et qualifiés pour des métiers pour lesquels le patronat manque de main d'œuvre ou ceux qui viennent de la bourgeoisie des pays du sud et qui, étant très diplômés, peuvent créer de la richesse en France et il y a les mauvais, les crève-la-faim qui cherchent à manger quelques miettes du festin occidental, les africains, arabes ou musulmans « inassimilables »... Il faut donc rendre extraordinairement compliqués le regroupement familial (par des vérifications inquisitrices des liens de parenté, des conditions de ressources, de compétences linguistiques et d'employabilité), les mariages mixtes, la naturalisation des résidents d'origine étrangère, et l'accueil des demandeurs d'asile et décourager l'immigration clandestine en excluant au maximum les régularisations inspirées par des motivations humanitaires et en médiatisant à outrance les expulsions pour que la France qui s'inquiète de perdre son âme avec cet afflux des miséreux du monde aux comportements si exotiques soit rassurée en voyant un gouvernement à poigne qui ne fait pas dans le sentiment ni le laxisme.

On le voit, si l'on veut exprimer les choses de manière un peu caricaturale, on peut dire que la droite est partagée essentiellement entre deux logiques sur la question de l'immigration.

 

a) Celle qui consiste à la limiter au maximum au nom de la défense d'une identité nationale identifiée, sinon à une race, du moins à une culture essentialisée et son histoire. Selon cette logique, hostile à la conception civique de la nation qu'Ernest Renan avait théorisé au XIXème siècle et qui consistait à dire qu'un peuple ne se définissait pas par le partage d'une origine ethnique ou culturelle mais par l'adhésion à un projet et des valeurs communes, plus proche de l'idéologie germanique du droit du sang que de l'idée républicaine du droit du sol, on ne peut avoir un type racial maghrébin, africain, asiatique, slave, être musulman, et être complètement français, même si on a la citoyenneté française parce que l'on est né en France. Quand la droite propose de retirer la citoyenneté française à des criminels ou à des extrémistes musulmans (imposant le port du voile intégral à leur femme par exemple) qui ont des parents étrangers ou ont été naturalisés alors qu'ils sont nés à l'étranger, elle le justifie en faisant comprendre à son électorat et celui de l'extrême-droite qu'avoir le privilège de devenir français, « cela se mérite », que cela implique d'adopter un comportement civique exemplaire, de s'acculturer pour adhérer pleinement aux valeurs fondatrices de la République ou de la culture française, et de s'intégrer socialement. Par là, elle fait semblant de dire qu'on peut parfaitement être un bon français de couleur à condition d'adhérer pleinement à une forme de contrat social qui définit les droits et les devoirs du citoyen: mais en réalité, cette condition, elle ne l'impose qu'aux « demi-citoyens » qui doivent faire leur preuve parce qu'ils ont des parents étrangers ou qui ont été étrangers. Or, d'un point de vue républicain, il n'y a aucune différence ou discrimination à établir entre les citoyens: on est citoyen ou on l'est pas, et tout le monde s'acquitter des obligations morales et juridiques du citoyen sans qu'une catégorie de citoyens soient spécialement sanctionnée dans le cas contraire en raison de ses origines. Il n'y a aucune raison de penser que les français d'origine étrangère doivent être plus exemplaires que les autres. Certains commentateurs politiques paraissent vouloir atténuer la gravité de ces lois ou décrets discriminatoires de la France en disant qu'ils ne se justifient pas par une véritable xénophobie ou un véritable racisme des dirigeants de droite mais par une volonté de faire barrage au Front National qui représente le diable en faisant revenir son électorat au camp républicain. Au-delà même de l'échec sur le moyen terme de cette stratégie de siphonage des voix du Front national qu'ont démontré les dernières cantonales de mars 2011 et les récents sondages annonçant Marine Le Pen en tête du premier tour des présidentielles de 2012, on peut remarquer que les parlementaires et les hommes politiques de droite, même s'il était vrai qu'ils ne faisaient au départ qu'adopter une stratégie électoraliste, se sont distingué au fil du temps par des déclarations franchement racistes et qu'ils ne peuvent prétendre quoiqu'il en soit combattre Le Pen et les siens en appliquant l'essentiel de leur programme et en légitimant son discours catastrophiste sur les méfaits de l'immigration par leurs actes.

 

b) Une autre logique plus pragmatique, utilitariste et libérale a parfois prévalu à droite sur les questions d'immigration, même si elle semble partiellement abandonnée aujourd'hui au profit d'une volonté, soit de faire monter le Front National pour éliminer les socialistes du deuxième tour des présidentielles, soit de tenter de récupérer ses voix, sinon au premier tour, du moins au second tour des présidentielles et des législatives, soit de mettre une nouvelle fois, comme en 2002 et en 2007, les thèmes de la sécurité et du danger de l'immigration et de l'Islam (pour la préservation de l'identité nationale, des valeurs collectives démocratiques et l'harmonie du vivre ensemble) afin d'affaiblir la gauche en détournant l'attention de difficultés économiques et d'injustices sociales qui dénoncent la nocivité des politiques libérales menées au profit des milieux financiers et des hauts revenus. Cette logique que défend le Medef, mais qui qui est aussi promue par des libéraux comme Strauss-Khan ou Cohn-Bendit et a aussi été portée par les travaillistes de Tony Blair (entre 1999 et 2009, la Grande Bretagne a accueilli plus de 2,2 millions d'immigrés en plus) ou les sociaux-démocrates allemands derrière Schröder à la fin des années 90 et au début des années 2000, consiste à ouvrir plus largement les frontières à l'immigration sur des critères économiques essentiellement, en cherchant à attirer les cerveaux étrangers qui nous donneront une plus-value dans la compétition internationale, mais aussi à disposer d'une main d'œuvre abondante, qualifiée ou non, dans les secteurs manquant de main d'œuvre notamment pour pourvoir aux besoins du patronat et qu'il soit possible d'y écraser les salaires, afin de faire pression sur les droits sociaux ou les « avantages acquis » de tous les salariés. En 1963, déjà, Georges Pompidou déclarait: « L'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».

Le reproche qui est fait au patronat de faire venir et d'utiliser les immigrés plus facilement exploitables comme ils n'ont rien à perdre afin de lutter contre les revendications sociales et les acquis sociaux des travailleurs ne date pas d'hier, et a été longtemps et parfois violemment formulé par des syndicalistes et des militants politiques de gauche au XIXème siècle et au XXème siècle. Toutefois, dans la deuxième moitié du XXème siècle, les syndicats, la gauche et les communistes ont surtout défendu les droits des travailleurs immigrés: leur droit à des rémunérations décentes, à la protection sociale, à la régularisation quand ils contribuent à la richesse nationale par leur travail et paient des impôts, au rapprochement familial et au logement décent... voire au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales.

 

 

3)Sur quels principes appuyer une politique réellement de gauche vis à vis des immigrés?

 

Ce qui doit nous importer de manière prioritaire, c'est l'impératif de solidarité humaine et la considération pour les personnes.

 

Nous sommes essentiellement hommes et c'est le hasard qui nous a fait naître dans tel ou tel territoire. Il est compréhensible que nous ayons des affinités privilégiés avec nos compatriotes, notre culture, et légitime que nous soyons prioritairement soucieux en tant que citoyens de la qualité de vie des gens qui votent avec nous et sur lesquels nos décisions collectives ont des répercussions: à savoir nos concitoyens. Néanmoins, il est immoral de contraindre à des conditions de vie indécentes des travailleurs et des familles entières qui vivent dans la clandestinité par crainte des expulsions, de refouler en les condamnant à la misère, au désespoir et à la mort, des immigrés qui ont tout sacrifié avec leur famille pour économiser suffisamment afin de gagner l'Europe pour pouvoir y travailler et épargner pour s'assurer un avenir meilleur, à eux et leurs familles. Il est inacceptable de ne pas accueillir des immigrés qui demandent l'asile parce qu'ils sont menacés dans leurs pays d'origine par des guerres civiles, des régimes ou des sociétés d'oppression, de ne pas reconnaître aux étrangers qui travaillent en France dans des conditions légales le droit de vivre au côté de leurs épouses, de leurs enfants, ou aux français de faire venir en France leurs conjoints étrangers.

Au nom de la realpolitik, des intérêts de la cohésion sociale en France menacée par les inquiétudes grandissantes que suscitent l'immigration et les difficultés de la vie dans les quartiers populaires à forte proportion de population étrangère, nous n'avons pas le droit de condamner au désespoir des milliers de vies humaines par des expulsions ou un refus de la prise en considération de critères d'humanité pour les régularisations de sans-papiers. Une des manières d'alimenter la progression des idées xénophobes est de replier le drapeau humaniste et internationaliste de la gauche en acceptant de laisser s'imposer l'idée que l'immigration est essentiellement un problème, qu'il faut gérer dans un esprit de responsabilité identifié à une attitude de fermeté.

Bien sûr, on nous répète à satiété la trop fameuse formule de Rocard « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et c'est vrai... mais toute la misère du monde ne se presse pas à nos portes, et elle affluerait encore moins si on exploitait moins les pays du Sud, si on ne soutenait pas leurs régimes corrompus et autoritaires qui préservent les intérêts de nos multinationales et si on ne leur imposait pas pour réduire leurs dettes des plans d'hyper-austérité et de casse du secteur public appauvrissant la population. En tant qu'hommes susceptibles de compassion et qui reconnaissons notre semblable dans tout autre homme, souffrant ou non, nous n'avons pas le droit d'être indifférents aux centaines de milliers de détresses individuelles bien réelles que génèrent des politiques de lutte contre l'immigration illégale et de quasi fermeture des frontières.

Une politique de l'immigration doit d'abord être inspirée par des sentiments d'humanité mis en œuvre de manière réaliste: il ne s'agit pas d'ouvrir complètement nos frontières mais de régulariser les immigrés clandestins qui travaillent ou vivent en France depuis longtemps, qui ont fait des efforts d'intégration et qui y ont des attaches familiales qui les enracinent et les rendent indispensables à leurs proches, de reconnaître effectivement le droit d'asile, d'admettre complètement la légitimité des mariages mixtes et de l'immigration par regroupement familial, de permettre à des étudiants étrangers ou à des travailleurs qui pourraient trouver des emplois en France dans des secteurs ayant besoin de main d'œuvre d'obtenir des visas et des permis de séjour régulièrement depuis leurs pays d'origine, principalement quand ceux-ci sont francophones, de permettre aux étrangers des pays du Sud d'obtenir des visas de touristes pour découvrir notre pays et notre culture, ou de retrouver leurs familles dans leurs cadres de vie.

 

En second lieu, il faut que tous ceux qui travaillent en France puissent s'intégrer et aient accès à une égalité de droits sociaux et politiques.

 

De 200000 à 400000 sans-papiers vivent en France et la plupart des adultes travaillent pour des patrons qui abusent de leurs positions de faiblesse en les surexploitant, notamment dans le secteur du bâtiment, de la restauration, des services à la personne, du textile. Cette immigration irrégulière apporte des bénéfices à la France. Ces travailleurs sans-papiers verseraient chaque année dans les caisses de l'État 1,5 millions d'euros pour les retraites et l'Assedic (l'Humanité, 27 avril 2010). Il est normal de mieux protéger leurs droits de ces salariés en les régularisant, ce qui contribuera aussi à empêcher qu'ils représentent une concurrence déloyale tirant les salaires vers le bas pour les travailleurs français. Un point de vue purement utilitariste sur l'immigration permet de constater que les immigrés actifs remplissent des besoins sociaux, qu'ils permettent au solde démographique d'être positif et concourent ainsi à l'équilibre du système des retraites par répartition. Cette contribution des immigrés à la richesse nationale n'est pas que d'ordre strictement matériel et économique: elle se traduit aussi en terme de dynamisme et de créativité de notre culture. De manière générale, les échanges culturels et la confrontation à l'altérité nous enrichissent, rendent notre vie plus excitante et notre intelligence du monde plus profonde. Une bonne partie de la vitalité culturelle de la France, aujourd'hui comme au XXème siècle, lui vient des expressions artistiques et existentielles de ses immigrés, du croisement des traditions qui stimule l'invention. Si aujourd'hui les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, ont des centres d'excellence intellectuelle et de création culturelle extrêmement actifs, c'est en raison de leur politique d'accueil des étudiants et travailleurs étrangers, politique à laquelle la France a partiellement renoncé malgré son passé de puissance coloniale et ces outils de rayonnement culturel que constituent l'importance de la francophonie et le prestige de son histoire.

 

La troisième priorité d'une politique d'immigration de gauche doit être de maintenir la cohésion du corps social et préserver le niveau de protection sociale dans la société.

 

Cet objectif interdit qu'on pratique une politique purement humanitaire et permissive d'ouverture des frontières et d'acceptation sans conditions de l'expression des diversités culturelles. Elle exige que les immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants, ne soient pas parqués dans des ghettos de pauvreté sans mixité sociale et ethnique. C'est d'abord une politique sociale ambitieuse luttant contre les inégalités, la précarité, la ségrégation géographique, les discriminations au travail, l'échec scolaire des enfants des classes populaires, qui permettra aux jeunes issus de l'immigration de s'intégrer socialement et d'être acceptés par l'ensemble de la société. Cette ambition suppose aussi de cesser de stigmatiser systématiquement des populations d'origine étrangères en faisant croire que leur culture les rend quasiment inassimilables, incapables d'adhérer aux valeurs fondatrices de notre république, et expliquent leur propension à la délinquance, à l'incivilité, voire à l'échec scolaire et la paresse. Les causes du repli intégriste ou traditionaliste musulman, de la violence des jeunes d'origine étrangère, phénomènes qui ont tendance à être grossis artificiellement par les médias pour alimenter le besoin de sécurité et le vote de droite,  sont avant tout de l'ordre du sentiment de l'exclusion sociale. Ceci dit, il est normal que la majorité de la population, en fonction de la culture politique et sociale traditionnelle dominante, définisse pour tous les résidents du pays des règles de vie collectives intangibles qui permettent la vie en commun, en particulier quand elles ont une valeur universelle et permettent le respect des libertés individuelles et la cohabitation pacifique des particularismes culturels et des traditions religieuses, comme les règles de la laïcité.

Les traditions libérales et multiculturalistes anglo-saxonnes qui admettent la totale expression des particularismes culturels dans l'espace public et le communautarisme paraissent contradictoires avec l'idée républicaine qui consiste à fabriquer du commun par l'émancipation des individus, personnes rationnelles capables de s'auto-déterminer, vis à vis des tutelles traditionnelles (église, famille, culture locale et coutumes ancestrales) et l'adhésion à des valeurs communes comme la liberté individuelle, l'égalité, la tolérance.

 

Le souci du dynamisme de notre société et de notre économie, de notre rayonnement international doit également conduire à relégitimer l'immigration.

 

La commission des Finances du Sénat a évalué au début de l'année 2010 le coût des expulsions de sans papiers pratiquées depuis l'accession à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy à 415 millions d'euros, soit 21000 euros par personne reconduite. Encore que ce montant, précisaient les sénateurs, « ne prend pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l'aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux ». (L'Humanité, 27 avril 2010). Au Royaume-Uni, une étude publiée par la London School of Economics, qui peut difficilement être soupçonnée de gauchisme, concluait que la régularisation des 618000 migrants vivant en situation irrégulière sur le territoire britannique rapporterait 4,6 millions d'euros aux caisses de l'État (mais elle menacerait sans doute certains intérêts économiques...).

Comme le disait le sociologue Eric Fassin à un journaliste de L'Humanité dans le numéro précédemment cité, il faut cesser d'opposer une politique de fermeté vis à vis de l'immigration inspirée par le réalisme économique et une politique d'ouverture inspirée par l'idéalisme moral: le cœur et la raison s'accordent pour refuser les expulsions massives de clandestins, associ

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 09:46

 

Après une lecture soporifique et peu pédagogique du bilan financier de l'année 2010 par l'adjoint aux finances Jean Fleury qui a consisté en un exercice feutré d'auto-félicitation (dette de la ville en baisse de 25% par rapport en 2007, s'élevant tout de même toujours à plus de 15 millions d'euros, section d'investissement qui dégage un solde positif de 1700000 euros, excédent basculé dans le fonds de roulement...), Gwenegan Bui a ouvert les hostilités pour présenter les interrogations et les critiques du groupe d'opposition PS:

« La présentation du compte administratif est un moment important, un moment de vérité. Entre 2009 et 2010, la ville dégage 4,570 millions d'excédent budgétaire si l'on fait le différentiel entre les dépenses et les recettes. Cela veut que cette année, la ville se constitue une cagnotte de 1,7 millions d'euros. Même si on pouvait estimer de garder une épargne de précaution de 700000 euros avec cela, on fait encore pas mal de choses avec un million... Or, à chaque échéance budgétaire, on voit que votre politique se résume à diminuer les investissements et à augmenter les impôts. De plus, à chaque conseil municipal, vous nous dîtes que la ville est en grave difficulté financière et on vote avec vous pour plus de justice dans l'attribution des aides et la répartition des moyens communautaires: or, si à la fin de l'année on revient les poches pleines, comment justifier cet appel larmoyant à la solidarité communautaire?... En 2007, vous avez voté une augmentation de taxes et d'impôts locaux de 1,4 millions d'euros supplémentaires demandés aux morlaisiens jusqu'en 2011, visant notamment à compenser la baisse de 700000 euros de dotation l'État. Vous rendez-vous compte du poids de votre politique pour les classes moyennes? Par ailleurs, avez-vous fait le bilan financier de la fermeture des deux écoles en début de mandat? Quel en a été le bénéfice réel? Y avait-il une urgence cette année à augmenter les tarifs des piscines et du musée des Jacobins sous couvert de « dynamiser les services » comme vous le dites pudiquement. La question que je me pose, c'est: qu'allez-vous faire de ces 1,7 millions d'excédent budgétaire? »

 

Sylvain Espitalier (PS) a complété, dans un discours que l'on ne peut qu'approuver dans ses grandes lignes, le réquisitoire de Gwenagan Bui fondé sur une critique de la politique d'austérité dure aux classes moyennes et sans vision de long terme de la droite morlaisienne: « Les déséquilibres structurels de la communauté de la Baie de Morlaix ne sont pas réglés. Il est temps de desserrer l'étau qui enserre les associations, les personnels, les ménages. De reprendre le fil des investissements d'avenir.

Ainsi, tandis que les associations sont toutes touchées par la crise économique, le désengagement des partenaires (Etat, Région, Conseils généraux, DRAC...), il faut rappeler que vous avez réduit de 15% en début de mandat les subventions aux associations, ce qui se traduit notamment par 310.000 euros retirées aux associations culturelles. Nous revendiquons une ligne de crédit supllémentaire de 100000 euros pour les associations morlaisiennes. Par ailleurs, au Garage, en Cuisine Centrale, les services de fonctionnent pas correctement car ils sont en sous-effectifs. Il faut embaucher et revaloriser les salaires des agents qui perdent beaucoup dans la réforme des retraites. Votre politique se traduit aussi par une augmentation de la fiscalité très lourde pour les classes moyennes, avec en plus des tarifs très élevés qui pèsent sur les familles qui ont des enfants scolarisés dans le premier degré pour les garderies, la restauration scolaire. Les tarifications publiques ont augmenté très fortement. Or, il faut prendre en compte les difficultés des ménages confrontés à la crise économique et sociale et ne pas engraisser la ville inutilement au terme de politique de rigueur implacable sauf s'il s'agit de financer des investissements d'avenir. Une salle de sport en 3 ans, même si nous nous félicitons qu'elle ait pu voir le jour car c'était un projet populaire et consensuel, cela fait un peu court.

Il y avait un projet d'avenir qui vous tendait les bras, c'était celui du pôle gare, où vous auriez pu notamment installé un équipement de type socio-culturel ou centre social qui aurait pu s'accompagner d'une aide de l'État et de la communauté. Or, à aucun moment, vous n'avez su travailler avec Morlaix Communauté en partenariat pour construire ce pôle gare d'avenir ».

 

Michel Le Saint pour le groupe Idées s'est dit en accord avec les critiques des deux orateurs de l'opposition précédents, insistant sur le manque de projet pour la ville de la majorité de droite, en dehors bien sûr de celui de faire des économies (ce qui lui avait semblé également nécessaire en 2007, rapella t-il, car il était en accord avec Agnès Le Brun pour critiquer la mauvaise gestion financière de la précédente municipalité et s'inquiéter des conséquences de l'ampleur de la dette) : « La hausse des impôts vous a donné des marges de manœuvre substantielle qui auraient pu vous permettre d'investir. Pour l'instant, en dehors de la salle de sport, vous n'avez mené à bien aucun projet d'envergure. Vous dites ne pas être inquiète pour l'avenir de Morlaix. Est-ce que cela traduit un électro-encéphalogramme assez plat?... Il aurait possible d'investir sur des postes générateurs d'économie (faire des économies d'eau au stade, des économies d'électricité dans les bâtiments publics...). Mais vous n'avez accepté de financer aucune étude de prospective financière concernant les économies d'énergie. Il aurait été possible aussi de faire des investissements générateurs de recettes (pôle gare, ascenseur panoramique arrimé au viaduc...), ce que vous n'avez pas fait. Être un bon gestionnaire, c'est faire des études prospectives, et cette qualité là, vous ne l'avez pas ».

 

Agnès Le Brun s'est défendue contre ces reproches en se justifiant sur vigueur de sa politique prioritaire de désendettement et en accusant ses adversaires politiques de sombrer dans la facilité d'un discours du déclin en parlant de l'avenir de Morlaix après le départ du Festival des Arts dans la Rue et de la scène nationale du Théâtre. On notera aussi que le maire de Morlaix se disculpe curieusement de ne pouvoir venir en aide efficacement à une forte proportion de la population morlaisienne en situation de précarité en disant que c'est là le lot de beaucoup de villes bretonnes et que Morlaix n'est pas une exception en ce domaine.

N'est-ce pas là reconnaître que la droite au pouvoir en France depuis 2002 n'a fait qu'aggraver la situation des classes moyennes et populaires en diminuant les impôts pour les plus riches et les grandes sociétés privées, en facilitant le recours aux heures supplémentaires non revalorisées, aux contrats précaires, aux bas salaires exonérés de cotisations patronales, en fragilisant la protection sociale (allocations chômage, dé-remboursements de la sécurité sociale, mise en crise des aides à la perte d'autonomie) et les services publics? N'est-ce pas surtout admettre que l'idéologie libérale qu'Agnès Le Brun défend au Parlement européen comme dans les instances nationales de l'UMP est responsable des conséquences sociales calamiteuses de cette politique européenne de suppression des entraves aux mouvements des capitaux, aux délocalisations, à la spéculation financière, et d'offensive générale contre les droits des salariés et les droits sociaux des citoyens pour servir les intérêts des milieux financiers? Elle est facile la pirouette des élus de droite qui s'exonère de leur impuissance à remédier aux difficultés sociales très fortes des territoires qu'ils administrent en mettant en avant la météo qui tout le monde le voit bien est à la crise... sauf qu'il ne s'agit pas d'un phénomène climatique naturel ou même d'une conséquence d'un processus de mondialisation et d'affaiblissement des réserves d'énergie et de matières premières irréversible, mais bien de la conséquence de choix politiques qui ont consisté à dessaisir les peuples de leurs instruments de souveraineté économique et de politique sociale au profit du pouvoir de la finance.

Mais laissons la parole au maire de Morlaix, dont l'emphase, le sens du paradoxe et de la formule publicitaire confinent parfois, comme chez son mentor, le président de la République, au grand guignol ne masqueront pas en tout cas les insuffisances et les dégâts d'une politique de retrait de l'investissement public et du service public au nom d'un objectif général de la dépense publique dans un contexte de crise sociale majeure qui est parfaitement assumé au-delà du vernis compassionnel sur les difficultés des morlaisiens et des services de la ville: « A entendre les conseils municipaux de l'opposition, on pourrait croire qu'on peut être dans le même temps  gras et moribond. Vous passez votre temps dire que la ville meurt et maintenant, il paraît qu'il existe une cagnotte... Mais c'est un projet d'ambition que de vouloir se désendetter. Le projet que nous avons, c'est de nous autoriser à avoir des projets. Nous sommes sur la voie du désendettement. Ce n'est pas très glamour de se désendetter... Mais ce sont ces mesures là qui permettent d'envisager à nouveau des projets d'envergure. Admettez en toute honnêteté que nous avons hérité d'une situation financière catastrophique. Nous avons assumé cet héritage plutôt que de faire l'autruche en continuant à dépenser sans compter et en se disant « Après nous, le déluge... ». Nous avons assumé cet héritage et notre satisfaction, c'est le retour à un équilibre financier... Oui nous sommes gestionnaires, c'est à dire réalistes, clairvoyants et ambitieux. Nous sommes aussi frustrés. Oui, certains services de la ville souffrent, sont en difficulté. Je vous souhaite un jour, vous, élus d'opposition, d'être frustrés de la même manière que nous en face des difficultés à améliorer les choses aussi vite que vous le voudriez. Quand on est en position d'acteur, c'est un positionnement formidable qui oblige à prendre des décisions, à mouiller le maillot, à faire des paris, à apprendre de ses erreurs. Et à être optimiste... Or, quand j'entends cette déploration systématique de votre part, cela m'agace... Bien sûr, il y a à Morlaix beaucoup de chômage, de précarité, de gens qui souffrent. Mais les étrangers de passage nous envient de vivre dans cette ville où il paraît si bon vivre, qui a tant d'atouts? Mais c'est un curieux aspect du tempérament morlaisien de porter un regard si négatif sur cette ville. Mais chaque année de nombreux commerces nouveaux ouvrent leurs portes... Vous dites que nous n'aidons pas les associations qui souffrent... Mais pourquoi voudriez-vous que les associations souffrent moins que les entreprises qui ont elles aussi du mal à payer leurs salariés? L'équité, qui n'est pas l'égalité, c'est la défense de l'intérêt général et la défense des administrés dans leur totalité. Quand nous avons fermé deux écoles en début de mandat, nous voyions la réalité en face, planifions les suppressions de poste dans l'éducation nationale (et cette année, le Finistère doit bien rendre 40 postes dans le premier degré) car la rigueur nécessaire s'applique partout. Dès lors, il fallait anticiper et restructurer pour consolider les positions de la plupart des écoles. Lorsque tout le monde souffre, lorsque tout le monde fait des efforts, pourquoi voudriez-vous que nous fassions exception?... Vous m'avez sans doute trouvé un peu lyrique mais nous sommes à mi-mandats et je voulais montré que nous avons réalisé des projets, et pas seulement la salle omnisports, même si c'est un excellent équipement, et surtout que nous avons fourni un vrai effort de désendettement ».

 

Michel Le Saint n'eut guère de mal ensuite à mettre à confronter le discours du maire de Morlaix à ses responsabilités en tant que responsable politique de l'UMP défendant, sur le plan local comme national, une politique inégalitaire et de casse des services publics:

« Il y a des choses que vous avez dites qu'on ne peut pas laisser passer. Quand vous dites que tout le monde souffre. Non, ce n'est pas vrai, les banquiers se portent très bien. Quand nous disons que les morlaisiens souffrent, ce n'est pas nous qui le disons, ce sont les chiffres. On se demande si vous habitez à Morlaix... Et vous n'êtes pas sans avoir une responsabilité directe dans cette situation de pauvreté alarmante puisque vous avez augmenté la pression fiscale sur les plus défavorisés en baissant le taux d'abattement. Par ailleurs, où est le bilan financier des suppressions des écoles de Troudousten et Emile Zola que nous vous avons demandé? La maison de quartier, qui demande du personnel payé par la mairie contrairement à ce que vous avez prétendu initialement, n'était qu'une compensation vis à vis de la suppression des écoles. Il y a un paradoxe d'ailleurs à faire de cette fermeture d'école un moyen de parer les conséquences négatives des récupérations de poste dans l'éducation nationale, qui se traduisent à Morlaix par la suppression d'un poste à Jean Jaurès, pour des effectifs prévisionnels constants l'an prochain par rapport à cette année. En effet, on est dans un contexte où les regroupements d'école permettent d'accélérer la suppression des postes.

 

Sylvain Espitalier, avant de remettre en cause la délégation de service public pour le stationnement payant un peu plus tard, enfonce le clou: « Il y a bien longtemps que les socialistes ne disent plus que Morlaix se meurt...Ce sont les morlaisiens qui sont dans la difficulté. Vous nous dîtes: c'est la rigueur, mais on va essayer qu'elle ne nous touche pas trop. Mais, concernant les écoles, soit vous défendez la politique du gouvernement de récupération des postes, soit vous défendez les postes: il y a une hypocrisie à prendre faire les deux. Vous avez ouvert la maison de quartier parce qu'après la fermeture de 2 écoles, il fallait forcément un équipement pour maintenir le lien social sur la Vierge noire... Il y a semble t-il chez vous une obsession de la dette. Or la dette peut être considérée comme un pôle d'investissement pour investir sur l'avenir. Cela a été le cas du pôle petite enfance financé en fin de mandat précédent qui donne aujourd'hui pleine satisfaction ».

 

Blanche Magarinos pour le groupe Idées a ensuite accentué des idées qui avaient déjà été évoquées tout en insistant sur les conséquences perverses de la pression fiscale à Morlaix qui fait fuir les classes moyennes et supérieures, et s'alimente elle-même en contribuant à la réduction de la proportion de ménages imposables dans la ville, et donc également au nécessaire relèvement des impôts pour faire face aux dépenses incontournables: « Il n'y a aucune fierté à avoir à dégager sur la ville de Morlaix un excédent de 1,7 millions d'euros alors que les morlaisiens sont étranglés par la pression fiscale. La cour des comptes avait déjà remarqué que la pression fiscale était beaucoup plus importante à Morlaix que dans les communes avoisinantes, ce qui contribuait au dépérissement de la ville, et vous ne faites qu'accentuer ce processus pervers. De manière générale, il faut rappeler que le budget présenté par les municipalités n'est absolument pas le reflet des communes et des habitants. Vous vous êtes depuis le début de votre mandat engagée dans une politique de l'autruche. Il n'y a pas lieu de se réjouir tant que cela. De plus, je me demande où est-ce qu'on en est dans les économies d'énergie et le développement du bio dans les cantines ».

 

Sylvain Espitalier s'est aussi étonné que l'on prétende rebasculer sous forme de 25000 euros de subventions complémentaires à l'association qui gère le théâtre une partie des 32000 euros d'indemnités de maire à laquelle a renoncé Agnès Le Brun cette année parce que la loi lui interdisait de cumuler ses indemnités d'élue au-delà de 8231 € et qu'elle reçoit déjà des indemnités d'élu au Parlement européen comme s'il s'agissait d'une faveur et comme d'un acte de générosité privée. : « La ville de Morlaix ne s'est pas vue contrainte de réduire de 200000 euros la subvention au théâtre, comme vous le prétendez dans des documents officiels. Elle a fait le choix de cette décision. Les 25000 euros que vous reversez au théâtre sont le produit de l'isolement dans lequel vous vous êtes mis en renonçant à la subvention complémentaire des partenaires ». Cette aide complémentaire est d'ailleurs parfaitement insuffisante, comme l'exprime Jean-Philippe Bapceres (Idées), que le maire approuve. Enfin, touchant toujours la politique culturelle, Michel Le Saint dénonce l'inanité de la mesure d'économie de bout de chandelle qui consiste à faire payer l'entrée du musée des Jacobins aux morlaisiens, alors qu'elle était gratuite jusque là: « les morlaisiens doivent s'acquitter d'un tarif de 4 euros pour rentrer au musée. Quand on dépense beaucoup d'argent pour avoir un musée digne de ce nom, il est dommage de décourager les morlaisiens d'y aller, d'autant que les recettes qui peuvent être attendues de cette entrée payante seront dérisoires par rapport au coût du musée ».

 

 

En fin de conseil municipal, Michel Le Saint a lu une motion rédigée par lui et lue au préalable à une réunion du collectif eau publique Morlaix-Saint Martin des Champs pour que le conseil municipal demande au SIVOM d'engager une procédure d'enquête judiciaire pour expliquer le curieux décalage entre le prix très bas au m3 proposé par Véolia au SIVOM dans sa nouvelle proposition de contrat en 2011 pour gérer les 8 ou 12 années suivantes la distribution et l'assainissement de l'eau et les bilans financiers des 20 dernières années, curieusement en déficit 18 fois sur 20. Les élus de gauche (4 élus du groupe Idées, 4 élus du PS) votent pour la motion et comme les élus de droite refusent de participer au vote, ne relevant pas selon eux du conseil municipal, la motion est adoptée contre toute attente.

 

La motion déposée par le groupe Idées et votée par le Conseil Municipal de Morlaix:

 

"Opportunité d'un dépôt de plainte contre Véolia Ouest.

Lors du dernier comité syndical, ayant pour objet l'examen de la délibération sur le futur mode de gestion de l'eau et de l'assainissement, le Président du Sivom a indiqué que lesq offres émanant des sociétés privées, dont celle de Véolia Ouest, l'actuel délégataire, conduisaient à un prix de l'eau au m3 inférieur d'au moins un euro par rapport au prix actuel.

Or, pendant les vingt années passées, Véolia a connu 18 exercices déficitaires (eau+ assainissement) et son déficit global sur l'ensemble du contrat avoisine les 2,5 millions d'euros. Il est évidemment aberrant qu'une entreprise en déficit chronique propose de baisser ses tarifs dans de telles proportions (un euro de mois sur le prix du m3 revient pratiquement à diviser par deux la part fermière!).

Cette incompatibilité entre l'offre tarifaire actuelle et les comptes antèrieurs signifie que cette entreprise a présenté à la collectivité des comptes truqués pendant près de 20 ans, ou qu'elle affiche aujourd'hui des prix de dumping, pratique illégale consistant à vendre en dessous du coût de production afin d'évincer la concurrence, les deux options n'étant pas exclusives l'une de l'autr. 

En conséquence, le conseil municipal de Morlaix, réuni le 14/04/2011:

- s'insurge contre la présentation de comptes systématiquement déficitaires par la société Véolia Ouest, délégataire de son service d'eau et d'assainissement, présentation qui a faussé l'appréciation des élus sur la gestion du contrat en cours, notamment lors de la phase de renégociation du contrat à mi-parcours et qui contrevient à l'obligation de transparence et de sincérité qui incombe à tout délégataire d'une mission de service public  

 - demande au Président du Sivom de faire étudier par un conseil juridique indépendant l'opportunité de saisir la justice civile et/ou pénale afin d'obtenir la condamnation de Véolia Ouest et/ou de ses dirigeants pour présentation de comptes truqués, et de recouvrer tout ou partie des sommes indûment perçues par cette société au détriment des usagers des services publics."

 

Compte-rendu réalisé par Ismaël Dupont.  

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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 09:32

Deuxième partie de l'article sur le socialisme français entre 1880 et la scission du congrès de Tours.

Jaures

Introduction.

 

En 1905, les socialistes, après s'être divisés à partir de 1898 et de l'Affaire Dreyfus sur la question de la participation gouvernementale et de l'alliance républicaine contre la réaction nationaliste, catholique traditionaliste et antisémite, se rassemblent en un parti unique, la SFIO, qui se fixe comme orientation, dans le cadre des orientations de l'Internationale, de ne pas se compromettre dans des alliances gouvernementales avec les radicaux et de fortifier la conscience de classe des travailleurs en ne transigeant rien sur l'analyse marxiste des questions politiques et sociales en terme de lutte des classes et sur l'objectif d'une révolution sociale collectiviste préparée par l'ascension électorale des socialistes et par l'évolution interne du capitalisme, mais supposant aussi l'accord sur le principe de la légitimité de l'usage temporaire de la contrainte et de la violence dans un contexte révolutionnaire. Au-delà de ces orientations programmatiques relevant du marxisme orthodoxe, le parti socialiste gagne du terrain dans les couches populaires et les classes moyennes des villes et des campagnes en défendant avec constance la laïcité, la démocratisation de la vie publique, les intérêts de la paix et un programme de réformes sociales susceptibles d'améliorer ici et maintenant, sans attendre le grand soir de la révolution prolétarienne, les conditions d'existence de la majorité en créant un impôt redistributif et en inventant une première forme de protection sociale (retraites, assurance invalidité...) basée sur la solidarité. Jaurès, républicain idéaliste et « marxiste sans orthodoxie », qui a néanmoins conscience qu'il n'y a à son époque « qu'un pouvoir vraiment organisé, celui de l'argent » (20 mars 1910, Revue de l'enseignement primaire), incarne cette conciliation entre une volonté d'agir au quotidien dans les institutions pour conquérir des améliorations, même modestes, des conditions de vie des travailleurs et de la vie démocratique, et le souci de renforcer la conscience de classe du prolétariat pour le rendre capable de s'émanciper. Car la principale œuvre des socialistes entre les années 1880 et 1914 a été surtout de rompre avec l'aliénation des classes populaires en leur donnant le sentiment de leurs intérêts communs, la conscience de l'exploitation dont elles étaient victime et l'idée d'une voie d'émancipation possible, éloignée des pièges du ressentiment xénophobe ou de la fièvre unanimiste nationaliste.

En 1911, dans une page émouvante de L'Armée Nouvelle, Jaurès se souvient ainsi de l'étonnement et l'accès de désespoir, cette sorte d' « épouvante sociale », dans lesquels l'a plongé la découverte de la foule parisienne trente ans plus tôt, à son arrivée à Normale Supérieure: « Je me demandai...comment tous ces êtres acceptaient l'inégale répartition des biens et des maux.(...). Je ne leur voyais pas de chaînes aux mains et aux pieds, et je me disais: par quel prodige subissent-ils tout ce qui est? Je ne voyais pas bien: la chaîne était au cœur, mais une chaîne dont le cœur lui-même ne sentait pas le fardeau. La pensée était liée, mais d'un lien qu'elle ne connaissait pas ». Le but et de l'œuvre des socialistes et de Jaurès a donc été de tenter de libérer les français de leurs chaînes intellectuelles morales, de leurs aliénations, en leur donnant le sentiment de leur dignité, en expliquant ce qui les dressait les uns contre les autres et contre les autres nations ou minorités. « Les vrais croyants, disait Jaurès, sont ceux qui veulent abolir l'exploitation de l'homme par l'homme, les haines aussi, de race à race, de nation à nation ».

Néanmoins, si des compromis sur des projets de réforme sont trouvés avec les radicaux et si des habitudes de discipline républicaine avec désistement au second tour permettent à la gauche de rester forte à la Chambre jusqu'en 1914, le manque d'homogénéité idéologique de la mouvance radicale, l'opportunisme d'une grande partie de ses élus et leurs liens avec le monde des affaires et de la petite bourgeoisie hostile aux rouges et à l'impôt, fait que ces projets sociaux peinent à aboutir. Produite par le système capitaliste, la compétition économique, coloniale et géostratégique des puissances européennes, dirigent quant à elle les peuples vers un carnage que Jaurès pressentait probable et a tout fait pour éviter.

 

1) L'alliance avec les radicaux et la séparation de l'église et de l'Etat.

 

Depuis 1902, les parlementaires socialistes soutiennent majoritairement le gouvernement radical d'Emile Combes, originaire du Tarn comme Jaurès, médecin franc-maçon qui a reçu sa première formation intellectuelle au séminaire. Le combat pour la laïcité et contre la réaction catholique et nationaliste anti-dreyfusarde est le socle de cette coalition du Bloc des gauches. A la suite de la loi sur les associations du 1er juillet 1901, la majorité parlementaire composite qui soutient Combes va approuver des décrets qui, à l'été 1902, ordonnent la fermeture d'établissements scolaires gérés par des congrégations religieuses. Ceux-ci recrutaient environ 40% des élèves du second degré vers 1900, principalement dans la bourgeoisie riche, le milieu des commerçants et des hauts fonctionnaires.

Le camp laïque est assez divisé sur la signification à donner au combat pour la laïcité, ses objectifs et ses limites. Les socialistes Viviani, Vaillant, Maurice Allard, héritiers de l'anticléricalisme intransigeant de Proudhon et Blanqui, sont partisans, avec beaucoup de radicaux libres-penseurs, d'un « athéisme de combat » cherchant à éradiquer la religion perçue essentiellement comme une mystification aliénante et une force sociale obscurantiste détournant les citoyens de la rationalité et de l'émancipation. Ceux-ci sont pour un monopole public de l'enseignement. D'autres, comme Jaurès ou même Combes et Ferdinand Buisson, deux dirigeants radicaux francs-maçons tout en étant favorables à la suppression des congrégations en tant qu'institutions d'enseignement, acceptent, au nom de la tolérance à la diversité, que des moines ou des prêtres puissent, sans leurs habits, en tant que personnes privées, disposer du droit d'enseignement.

Le projet de séparation entre l'église et l'État n'est au départ pas perçu par tous les laïques comme une nécessité. Combes y voit un avantage qui est de priver l'Église des ressources publiques mais aussi un inconvénient qui est d'amplifier l'autonomie d'action des catholiques tout en les rendant plus dépendants encore de la papauté. Toutefois, comme la déchristianisation est déjà un processus que chacun peut voir à l'œuvre, les liens privilégiés entre l'État et le clergé catholique que le concordat napoléonien avait fixés deviennent difficiles à justifier au nom de la raison d'état ou du vieux gallicanisme qui veut que le pouvoir civil national contrôle le pouvoir religieux sur lequel s'exerce la pression des intérêts du Vatican. Par ailleurs, en 1904, l'accession au trône pontifical de Pie X, particulièrement hostile à toute concession de l'Église vis à vis de la sécularisation des lois et des mœurs et de la pensée autonome, et favorable à une politique de rechristianisation agressive, fait paraître l'option de la séparation plus impérative.

Dès le 10 avril 1904, Jaurès pose le problème avec limpidité:

 

« L'État n'est ni catholique, ni protestant, ni déiste, ni athée, l'État est laïque. Il reconnaît à tout homme, quelle que soit sa religion ou son irréligion le même droit à la liberté. Dès lors, aucun groupe de croyants ne peut exercer sur lui, État, une influence privilégiée. C'est dire que l'État doit être séparé de toutes les églises ».

 

Jaurès soutient ainsi la loi du 7 juillet 1904 qui interdit l'enseignement aux congrégations. L'école de doit pas être un lieu d'endoctrinement religieux ou de critique d'un savoir scientifique ou historique contredisant les dogmes des églises.

La laïcité se définit d'abord, non simplement comme la simple neutralité de l'État vis à vis des cultes et des opinions idéologiques, mais comme « l'acte de foi dans l'efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable » (discours de Jaurès à la Chambre le 14 janvier 1910). La laïcité implique pour Jaurès, comme l'écrit Jean-Pierre Rioux, « l'encouragement à penser hardiment à tout propos, sur tous les sujets accessibles à la raison, sans œillères ni routines ». Il faut donc donner à chaque esprit humain tous les moyens de développer son esprit critique et sa réflexion, ce qui passe par une transmission de connaissances impartiale dépourvue de visées d'enrégimentement, fût-il républicain, patriote ou spiritualiste plutôt que chrétien. Quand il compare dans l'Histoire socialiste de la Révolution française les projets d'instruction publique obligatoire, laïque et gratuite, de la Constituante révolutionnaire, celui de Talleyrand-Périgord, l'évêque défroqué d'Autain, et de Condorcet, Jaurès préfère le second, basé sur l'instruction désintéressée visant à affranchir l'homme, à faire progresser la science et à développer l'esprit critique et la curiosité de l'individu, plutôt que le premier, d'inspiration plus jacobine et idéologique, visant à éduquer en inculquant à l'enfant les valeurs et les habitudes intellectuelles qui seront nécessaires à la vie militaire, civique, et économique d'une nation républicaine. De la même manière, Jaurès n'exclut pas l'idée d'un enseignement du fait religieux à l'école, d'une diffusion des connaissances historiques (dans le cadre d'une histoire des idées et non d'une évangélisation ou d'une catéchèse bien entendu) sur le « messianisme juif » en particulier. Quoique violemment opposé aux pratiques réactionnaires de l'église et partisan de l'absolue liberté intellectuelle, Jaurès n'est pas personnellement matérialiste et athée: dans sa thèse de philosophie soutenue en 1892, il soutenait une forme de panthéisme contradictoire avec la croyance en un Dieu personnel, affirmant la présence d'une force divine agissant dans la nature et dans l'élan des consciences humaines tendues l'idéal et le retour à l'unité de l'harmonie sociale. Pour lui, les religions ne représentent pas seulement l' « opium du peuple », elles ne sont pas simplement des idéologies illusoires instrumentalisées par les classes sociales possédantes pour endormir et consoler les masses exploitées. Elles s'appuient sur des pensées morales et philosophiques révolutionnaires en leur temps et traduisent le besoin atemporel de l'esprit de donner sens à sa condition en interprétant le mystère de l'origine de la vie, de l'univers, de la fécondité de la nature, de la joie. Loin d'être le fossoyeur de la vie religieuse, le progrès des sciences fera naître de nouvelles questions en nous révélant la complexité des phénomènes de la vie et de la matière. Ce que l'on peut attendre d'un affranchissement social des hommes par la révolution collectiviste qui rendrait leur rapports plus fraternels et harmonieux, et libéreraient les intelligences des servitudes du travail exploité, c'est d'abord et avant tout, selon Jaurès, qui a une vision eschatologique et religieuse de l'avenir, l'avènement d'une « interprétation idéaliste du monde » (discours de janvier 1910 à la Chambre faisant le bilan de la suppression de l'enseignement congrégationiste). Par ailleurs, pour Jaurès, il n'y a pas d'antagonisme essentiel, indépassable, entre la foi religieuse, l'existence des églises, et le développement de la pensée autonome, l'essor du monde moderne fondé sur les valeurs de liberté individuelle et de rationalité. Les chrétiens ont déjà fait la preuve par le passé de leur capacité d'adapter, non sans phase de crises et de replis, la nature de leur foi et de leurs pratiques religieuses aux évolutions sociales et intellectuelles de la culture.

Pendant l'hiver1904-1905, Jaurès travaille avec Aristide Briand sur un projet de loi de séparation de l'église et de l'État à vocation consensuelle, inspiré d'une laïcité ouverte et d'un libéralisme garantissant tout à la fois la neutralité de l'État, le respect des religions et des courants de pensée athées, agnostiques ou spiritualistes, et celui de la liberté individuelle et du droit à l'autonomie intellectuelle de chacun. Ils ne veulent pas faire de cette loi un instrument de lutte contre l'Église ou la papauté, voire de sortie du religieux. Promulguée le 11 décembre 1905, la loi déclare que la République française « assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne subventionne, ni ne salarie aucun culte » mais, pour donner aux croyants l'assurance que les associations cultuelles chargées de la gestion des biens des églises et de la dévotion ne seront pas une machine de guerre contre les religions, l'article 4 de la loi respecte la spécificité de la hiérarchie et de la discipline de chaque église, lui garantissant une autonomie absolue en empêchant tout schisme ou dissidence. Les associations cultuelles locales devront donc se conformer aux règles générales de l'organisation du culte. Cette loi liquide donc le gallicanisme (et donc également celui qui inspirait la constitution civile du clergé des révolutionnaires de 1791): « elle donne la certitude que nul obstacle de l'État ne s'interposera entre Rome et l'Église de France ». Le projet Combes qui lui faisait concurrence, soutenu par les sociétés franc-maçonnes, s'inscrivait lui davantage dans une perspective de contrôle étatique des religions et Clémenceau a dénoncé violemment à la Chambre dans cette loi de modération la « coalition monstrueuse et antirépublicaine sous la férule de Jaurès et le goupillon de M.de Mun » (leader de la droite sociale et catholique), traitant Jaurès de « bourgeois de Calais » (ouvrant les portes à l'ennemi, catholique et non plus anglais...), puis de « révolutionnaire en peau de lapin » capitulant devant l'autorité du pape. Pourtant, cette loi rendait plus précaire la vie matérielle des prêtres en rompant leur statut de salariés de l'État ayant un rôle d'utilité publique et compliquait ainsi leur recrutement. Elle donnait aussi une importance nouvelle aux laïques par rapport à la hiérarchie religieuse puisque ceux-ci étaient appelés à participer à la gestion des biens et la vie matérielle des cultes et des desservants. Cette loi avait ainsi surtout le mérite de faciliter l'adaptation de l'Église au monde moderne et son acceptation progressive des valeurs fondamentales de la République.

 

2)La difficile conquête des droits sociaux.

 

Pour Jaurès, la séparation était nécessaire pour couronner l'œuvre républicaine de laïcisation. Elle portait en germe la pénétration des idées socialistes dans les classes populaires grâce à une généralisation de l'enseignement rationnel et la perte d'influence de l'église sur les masses. Elle était également nécessaire pour que dans la classe politique comme dans la population, les passions entourant la question religieuse ne servent plus de dérivatifs commodes aux urgences de la question sociale. Être de gauche, contrairement à ce que pensaient beaucoup de radicaux, ne pouvait se limiter à « bouffer du curé ». La séparation de l'église et de l'État devait donc permettre donc de réorienter l'attention des républicains sur les nécessaires réformes sociales à accomplir.

Toutefois, après 1905, les relations des socialistes avec les radicaux seront beaucoup plus orageuses que dans l'intermède ouvert par l'affaire Dreyfus à partir de 1898.

Il y a plusieurs explications à cela. 1) L'Internationale a condamné clairement en 1904 les déviations réformistes et « social-démocrates » avant l'heure des socialismes européens, la participation des socialistes et leur solidarité avec des gouvernements bourgeois au profit du rappel des objectifs collectivistes et révolutionnaires et de la stratégie incontournable de renforcement de la lutte des classes. De ce fait, la SFIO créée au printemps 1905, renoncera à la participation gouvernementale, à la stratégie de Bloc républicain et au vote du budget général de gouvernements bourgeois (cela lui sera d'autant plus facile que les radicaux n'auront pas besoin des voix des parlementaires socialistes pour rester en place) 2) Les radicaux constituent une mouvance politique divisée mais beaucoup cherchent à promouvoir des objectifs de paix sociale, nient l'existence de classes sociales aux intérêts séparés et contradictoires au profit d'une attention prioritaire à la liberté individuelle, sont des adversaires d'un impôt trop rigoureux et des solutions collectivistes, défendent l'ordre social pour la tranquillité des petits propriétaires et des milieux d'affaire dont ils sont très proches, ce qui se traduit aussi par un rejet violent des critiques du système de prédation coloniale par les socialistes 3) Les conflits sociaux dans l'industrie et la fonction publique se multiplient dans les années 1904-1909 et les radicaux au pouvoir réagissent souvent par la fermeté intransigeante et la répression tandis que la petite bourgeoisie qui représente leur clientèle électorale prend peur. 4) Malgré des programmes électoraux de réformes sociales assez audacieux soutenus par les socialistes, les radicaux, la faute en incombe en partie aux institutions de la IIIème République et au mode de scrutin, ne sont pas unifiés en un parti au cadre idéologique cohérent et contraignant et beaucoup d'entre eux, opportunistes pratiquant le clientélisme, sont très sensibles aux intérêts des milieux d'affaire et pratiquent l'obstruction parlementaire avec la droite.

 

En 1906, le contexte est pourtant favorable pour la mise en œuvre d'avancées sociales.

En mai 1906, Jaurès affirme dans La Dépêche que « c'est la démocratie républicaine toute entière qui a triomphé » lors des législatives. La Chambre comporte désormais 400 républicains de gauche sur 580 députés, dont 54 parlementaires soutenus par la SFIO et 18 socialistes indépendants ayant rompu avec les objectifs de l'Internationale. Avec les socialistes, les radicaux-socialistes et les radicaux de gauche partagent un programme de réformes immédiates ambitieux: « cet ensemble de 250 députés ont comme programme l'impôt général et progressif sur le revenu déclaré et l'accentuation de l'impôt successoral afin de dégrever la démocratie des petits propriétaires paysans (affectés par les taxes sur le foncier), des petits commerçants et des ouvriers, et de créer un surcroît de ressources pour les œuvres de solidarité sociale: l'assurance sociale étendue à tous les risques; la limitation progressive de la journée de travail et la nationalisation des grands monopoles capitalistes, tout d'abord des chemins de fer et des mines » (article de Jaurès au lendemain de la victoire électorale de la gauche, dans La Dépêche du Midi du 31 mai 1906).

On le voit, même si beaucoup de radicaux sont contre une progressivité de l'impôt au nom d'une égalité formelle et de la reconnaissance du mérite des entrepreneurs et s'ils cherchent à présenter l'obligation de déclarer ces sources de revenus comme une mesure d'inquisition contraire au respect de la vie privée et au secret nécessaire au monde des affaires, il y a déjà dans ce programme une forme de démocratisation significative de la vie sociale et économique, avec notamment un projet de sécurité sociale (incluant tous les « risques »: accident, vieillesse, maladie) basé sur la solidarité et financé par la cotisation patronale et l'impôt redistributif.

Jaurès ne prétend pourtant pas que la mise en œuvre de ce programme pourrait contenter pleinement les socialistes, ni que ceux-ci entendent s'inscrire dans un cadre purement réformiste, renonçant à la révolution sociale, au dépassement du capitalisme. « Nous démontrerons aussi sans cesse au prolétariat ouvrier et paysan, écrit-il dans La Dépêche le 6 novembre 1906, que le programme radical et socialiste, excellent pour accroître la liberté et la force de la classe ouvrière, ne peut cependant l'affranchir; que même appliqué intégralement et à moins de s'élargir enfin au collectivisme, il laissera subsister le privilège de la propriété capitaliste d'où dérivent tous les désordres de la société, les incohérences de la production, l'oppression et l'exploitation des travailleurs ». Ce programme n'est qu'une étape vers l'émancipation véritable des travailleurs, mais il est susceptible d'augmenter leur bien-être et leur capacité d'organisation et de revendication. Jaurès s'oppose à Marx qui voit dans l'aggravation du niveau d'agressivité du capitalisme et la paupérisation universelle des salariés le facteur révolutionnaire privilégié porté par le mouvement naturel et inéluctable du capitalisme. Tirant des conclusions de son analyse de la grande Révolution française, Jaurès écrit ainsi: « Pour qu'une révolution éclate, il faut que les classes inférieures souffrent d'un terrible malaise ou d'une grande oppression. Mais il faut aussi qu'elles aient un commencement de force et par conséquent d'espoir » (Histoire socialiste de la Révolution Française, tome 1). Rien de ce qui dans le réformisme social porté par le parlementarisme renforce le niveau d'organisation et de bien-être du prolétariat ne saurait donc contredire l'objectif d'une transformation radicale du mode de production et de propriété capitaliste.

Si le contexte est favorable pour des progrès sociaux, c'est aussi et surtout que les travailleurs sont à l'offensive depuis plusieurs mois pour réclamer des augmentations de salaire, plus de loisirs, plus de respect des droits syndicaux et de leur dignité, voire même plus de contrôle sur la politique de leurs entreprises. Madeleine Rebérioux fait part de cet impressionnant niveau de revendication et de conflictualité sociale La République Radicale?. Ainsi, entre 1904 et 1907, on compte des centaines de milliers de grévistes chaque année. 4 millions de journées chômées lors de 1026 grèves en 1904 concernant 271097 grévistes. 438000 grévistes en 1906 faisant en moyenne grève pendant 19 jours. « La France gréviste s'agrandit: aux départements du Nord où règnent la sombre mine et le textile impulsif, à la région lyonnaise...s'ajoutent de nouvelles zones: la Bretagne avec les grèves spectaculaires de Fougères, de Hennebont et l'agitation violente de Brest, la Lorraine du fer et de la fonte ». Madeleine Rebérioux rappelle ainsi qu'aux Forges d'Hennebont, d'avril à août 1906, 1800 ouvriers héroïques ont fait grève pendant 115 jours, se nourrissant de crabes pêchés à marée basse et de pain distribué au compte-goutte. 48% des grèves de 1906 font gerbe autour du 1er mai (la tradition du 1er mai remonte à 1890 et les travailleurs français ont eu une part importante dans la consécration de cette journée internationale de lutte pour le respect et la rémunération des travailleurs) pour lequel la CGT, qui atteindra son pic d'avant-guerre de 350.000 adhérents en 1908, a affiché le mot d'ordre unitaire de la journée de 8 heures.

Cette intense activité de lutte sociale va aussi concerner la fonction publique puisque la syndicalisation, d'abord interdite, fait des progrès en 1905-1907, notamment chez les postiers et les instituteurs, dont beaucoup vont être révoqués pour s'être arrogé un droit de grève que l'État ne leur reconnaissait pas. Elle n'est en tout cas pas étrangère à la naissance en 1906 d'un Ministère du Travail et de la Prévoyance et à la loi rendant obligatoire le repos hebdomadaire votée le 13 juillet 1906. Mais, de manière générale, Clemenceau, élu pour la première fois à 65 ans président du conseil en octobre 1906 après avoir été un ministre de l'intérieur inflexible et prompt à déplacer la troupe et organiser des complots pour les grévistes lors des conflits du printemps, ne va pas démériter son titre de « premier flic de France », organisant la répression et l'intransigeance face aux grèves de l'industrie, de la fonction publique, des viticulteurs du Midi. En mars 1907, il remet en cause le droit de grève au nom d'un prétendu « droit de vie de la société »  en mobilisant des soldats du génie pour remplacer des ouvriers électriciens grévistes de Paris. Les assassinats d'ouvriers se multiplient: 2 morts et 10 blessés à Draveil en juin 1908, 4 morts et des centaines de blessés à Villeneuve-Saint-Georges le 30 juillet 1908. Clemenceau fait aussi arrêter des dirigeants syndicalistes, voire socialistes: licenciements et révocations, poursuites judiciaires, amendes, lourdes peines de prison se multiplient contre les acteurs des mouvements sociaux. La CGT parle d'un Dictateur, de « l'empereur des mouchards », d'un « gouvernements d'assassins »... C'est dire que cet ancien républicain sous l'Empire et sympathisant de la Commune, maire de Belleville, adversaire redouté des opportunistes des débuts de la IIIème République et anti-clérical et dreyfusard militant, a aussi un visage beaucoup moins à gauche: impliqué dans le scandale de Panama, polémiquant avec des arguments de bas étage et des formules assassines contre le socialisme de Jaurès à la Chambre en 1906, et défenseur sans état d'âme de l'ordre social inégalitaire, puis du nationalisme militariste... Pas étonnant qu'aujourd'hui des néo-conservateurs comme Max Gallo ou Sarkozy en fassent un modèle...

Sa forte capacité de mobilisation, associée aux manques de débouchés en termes d'avancées sociales des grèves qu'elle organise, radicalise la CGT. Même si sa Charte d'Amiens d'octobre 1906 impliquait son indépendance vis à vis des mouvements politiques, y compris du mouvement libertaire, elle tend à se raidir dans une « bonne conscience minoritaire » (M. Rebérioux) et sur un mot d'ordre de grève général révolutionnaire et d'action directe indifférente aux petites avancées sociales obtenues par voie parlementaire. Aux yeux de beaucoup de ses membres influents proches de la tradition du syndicalisme-révolutionnaire, ce sont les militants conscients qui font l'histoire et non les masses moutonnières bonnes à voter. Son organisation interne privilégie les petites fédérations professionnelles les plus révolutionnaires et partisanes de l'agitation permanente (dockers, ouvriers des arsenaux, bâtiment, métallurgie) au détriment des plus grosses fédérations de l'industrie, du livre, du textile, des chemins de fer. Un fort mouvement anti-étatiste (l'État est présenté comme essentiellement répressif, patron de choc, et voleur, tortionnaire dans les colonies et son armée) s'y généralise, ce qui rend compliqués les rapports avec une SFIO qui est bien forcée de pratiquer des accords de compromis avec les radicaux tout en gardant son indépendance pour faire avancer des réformes politiques qui améliorent concrètement la vie des classes populaires.

 

3) Deux réformes sociales emblématiques: l'impôt progressif sur le revenu et la loi sur les retraites ouvrières.

 

Ce maximalisme de la CGT et cette méfiance fondamentale vis à vis d'un État qui sait trop bien défendre les intérêts industriels et réprimer les mouvements sociaux se traduit dans la campagne que mène une partie des cadres de la CGT contre la loi de compromis sur les retraites ouvrières et paysannes, issue pourtant de 20 années de travail législatif et qui sera votée le 31 mars 1910 (avec le soutien de Jaurès et de 25 députés socialistes tandis que 27 s'y opposent avec Guesde et que Vaillant et ses amis s'abstiennent). Cette loi qui était au programme des socialistes et des radicaux en 1906 définit un minimum-vieillesse garanti pour tous et l'inscription obligatoire des ouvriers à des caisses de retraite par répartition financées aussi par l'impôt et la cotisation patronale. Elle garantit, dans sa première version soutenue par les socialistes, une pension équivalent à 40% du salaire pour les ouvriers qui utilisent leur droit à partir en retraite à 60 ans, tandis que les travailleurs qui ont des emplois pénibles ou usants peuvent partir à 55 ans. Pour Jaurès, cette réforme est certes imparfaite (dans la mesure où la part contributive de l'État financée par l'impôt redistributif est faible, et donc également les pensions garanties) parce qu'elle résulte d'un compromis avec la bourgeoisie mais il est faux de propager l'idée, comme certains à la CGT, que l'État cherche à avoir un bas de laine où aller puiser en cas de besoin pour voler les travailleurs. La CGT assimile aussi les prélèvements assurantiels liés à la loi sur les retraites ouvrières et pausannes (ROP) à une baisse pure et simple des salaires et à une menace de bureaucratisation à l'allemande des syndicats qui seraient charger de gérer ces caisses de retraite, ce qui menacerait de les embourgeoiser et de tarir le niveau de lutte et de revendication sociale.

Cette réforme est surtout une victoire de principe qui permettra aux salariés d'expérimenter à petite échelle une société de solidarité et de créer des outils pour la réaliser. Dès février 1906, Jaurès écrit ainsi dans La Dépêche: « L'entrée du principe de l'assurance sociale dans nos lois aura de vastes répercussions. Pour faire face aux dépenses nécessaires de solidarité sociale, à l'assurance contre la maladie, contre l'invalidité partielle et contre le décès aussi bien que la vieillesse, il faudra réformer tout notre système fiscal...L'assurance sociale, en débarrassant le prolétariat des angoisses de l'extrême misère, lui donnera plus de forces, plus d'élan, plus de sérénité aussi pour la revendication réglée et hardie d'un nouvel ordre de société, d'une forme nouvelle de société et de travail ».

Là où les opposants à cette loi sur les retraites ouvrières avaient sans doute raison, c'est quand ils estimaient que beaucoup de ses partisans, dans la mouvance radicale, avaient à l'idée de pacifier à bon compte les rapports entre les classes. Aristide Briand, venue des rangs socialistes, et les groupes d'intellectuels qui s'inspirent de lui à la droite de la CGT ou dans la revue « La démocratie sociale » peuvent ainsi rêver un temps d'une forme de travaillisme à la française substituant au conflit social l'entente entre le capital et le travail grâce à des pratiques patronales accordant plus de droits aux salariés. Une des idées avancées par cette mouvance politique avant-gardiste remettant en cause l'idée d'une contradiction structurelle entre les intérêts des classes sociales à l'intérieur du capitalisme est celle de l'actionnariat ouvrier censé donné dans l'entreprise pouvoir de contrôle égal au travail et au capital. Toutefois, le patronat ne s'est nullement intéressé à ces velléités de réformes social-démocrates portées par des techniciens du social proches de Briand et le choix systématique fait par ce dernier de la répression des mouvements sociaux a achevé de discréditer cette orientation vers le rééquilibrage technicien et pacificateur des rapports entre classe à l'intérieur du capitalisme. Jaurès trouvait en particulier que la participation des salariés à l'intérieur des entreprises était un gadget dérisoire.

En 1910, Jaurès n'a pas de mots assez durs pour dénoncer le choix de Briand, son ancien ami, de mater durement, par des licenciements, des arrestations arbitraires, des emprisonnements et des réquisitions contre les 60000 cheminots courageusement engagés dans un mouvement de grève générale surprise à l'automne 1910... Répression invoquée en invoquant des actes de sabotage et autres complots anarchistes pour discréditer l'action collective en écartant l'idée d'imposer toute solution négociée aux deux Compagnies privées du rail, que les radicaux se refusent à nationaliser!

 

« Que l'homme (Aristide Briand, dans une autre vie) qui a fait la théorie et précisé la pratique de la grève générale révolutionnaire conduise maintenant la répression, c'est un des spectacles que peuvent seuls donner les régimes en décadence, et ce sera pour la bourgeoisie française, ce sera pour la bourgeoisie européenne, épanouie d'admirations devant l'audace des reniements, une honte ineffaçable... » (Jaurès, le 26 octobre 1910 dans La dépêche). Briand, que Jaurès qualifie franchement de traître opportuniste, et sa majorité radicale, dans le sillage de cette criminalisation des cheminots grévistes (certains sont même passés devant le conseil de guerre), veulent systématiser la réquisition sous peine de condamnation à 6 mois d'emprisonnement des mineurs et des cheminots et remettre en question le droit de grève lui-même au nom de l'intérêt des usagers et de la nation: on transforme ainsi ces travailleurs en « esclaves publics » de compagnie privée que l'on se refuse à nationaliser par complaisance avec les milieux d'affaires, remarque Jaurès quelques jours plus tard: « la République devient une geôle et une sorte de servage est rétablie au profit des compagnies... » (le 6 décembre 1910).

 

Jaurès avait pourtant voulu croire à la bonne foi réformatrice d'une partie des radicaux en 1906 et, en 1908, il s'était battu à la Chambre pour défendre le projet d'impôt progressif sur le revenu, socialement modéré, que Joseph Caillaux, nouveau radical venant du monde financier, était en train de construire. Ce projet répartissait les revenus imposables en 7 catégories et prévoyait un impôt complémentaire, dont le taux était progressif, et qui pouvait frapper des classes moyennes supérieures tels que des enseignants agrégés, des médecins, des rentiers. Finalement, de 1908 à 1913, ce projet d'impôt sur le revenu sera bloqué par le Sénat et il n'entrera en vigueur qu'en juin 1914 pour faire avaler la pilule de la loi des trois ans de service militaire et peut-être aussi financer la guerre qui se prépare, alors que Caillaux est depuis des semaines au centre du scandale du meurtre de Calmette, le directeur du Figaro, assassiné par sa femme, Henriette Caillaux, indignée par la violente campagne de presse faisant feu de tout bois (accusation d'intelligence avec l'ennemi, de corruption, d'infidélités conjugales, de pacifisme anti-patriotique justifié par l'égoïsme des banquiers) pour abattre son « traître » de mari.

 

4) Le combat pour plus de démocratie.

 

Une des raisons qui explique les blocages des projets de réformes sociales de la IIIème République est le poids des institutions qui donnent la part belle à la censure du Sénat et le système électoral qui favorise l'indépendance des élus vis à vis des engagements nationaux des partis politiques, leurs retournements d'alliance opportunistes à la Chambre et leur perméabilité aux groupes de pression économiques. Percevant bien que les élections à scrutin uninominal à deux tours par circonscription favorisent les jeux des personnes au détriment des affrontements de projets de société, des clivages idéologiques clairement formulés, et qu'elles favorisent les clientèles de notables locaux et privent du droit à une représentation efficace et significative les partis minoritaires, les socialistes se battent pour l'élection législative à la proportionnelle, en 1909-1910 tout particulièrement.

Ainsi, Jaurès défend vigoureusement la possibilité pour les électeurs de marquer leur niveau d'adhésion à des doctrines nettement délimitées grâce à une mise en avant des enjeux nationaux plutôt que locaux et des idées plutôt que des personnes. Le scrutin de liste à la proportionnelle implique à son sens l'existence d'un véritable contrat entre, d'un côté, des partis, contrôlant vraiment leurs candidats et les désignant au terme de débats de fond à l'interne, et, d'un autre côté, les électeurs, sur la base d'un programme contraignant ouvrant des mandats impératifs. Mais beaucoup de radicaux ont intérêt à continuer à se faire élire dans le flou des propositions grâce à leurs petites combines et leurs politiques de clientélisme. Briand lui-même avait dénoncé dans son discours de Périgueux d'octobre 1909 « les petites mares stagnantes de l'arrondissement » avant de déclarer que le pays devait réfléchir et déplaça à la Chambre les 50 voix nécessaires au rejet du projet.

La volonté de démocratiser le régime se traduit aussi chez Jaurès par une défense publique des droits politiques et sociaux du deuxième sexe, s'opposant ainsi à l'attitude de défiance d'une grande partie des hommes de gauche qui estiment les femmes trop vulnérables à l'influence de la religion. Dans un article de la Dépêche datant du 10 janvier 1907, Jaurès met en avant, pour défendre le projet de loi socialiste d'accès au droit de vote des femmes, le fait que de plus en plus de femmes travaillent, sont éduquées et se distinguent dans le domaine scientifique, qu'elles vivent des contraintes sociales et ont une aspiration à une amélioration de leur condition qui justifie, avec leur contribution décisive au fonctionnement de la vie sociale, leur aptitude à peser politiquement. De plus, les femmes seraient pour lui moins « va t-en guerre » si elles disposaient du droit de vote et pourraient davantage peser pour un arbitrage international des conflits. Les femmes restent très peu représentées toutefois dans la galaxie politique et syndicale socialiste: 2000 femmes tout au plus dans le parti en 1912, et une seule femme avec un poste à responsabilité à la SFIO: Madeleine Pelletier, médecin des asiles et féministe (cf. Madeleine Rebérioux, La République radicale?).

 

 

Ismaël Dupont

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