1) Repères historiques sur les politiques de l'immigration en France au vingtième siècle.
A lire le très riche essai d'histoire administrative et politique de Patrick Weil, La France et ses étrangers (Première édition: 1991), auquel nous emprunterons la plupart des données qui seront présentées ici, on mesure que la France est une terre d'immigration depuis longtemps bien que cette particularité ne soit pas due essentiellement à une générosité particulière du pays des droits de l'homme vis à vis des étrangers qui fuient la misère ou la persécution mais plutôt à son prestige de patrie de la révolution attirant les réfugiés politiques, à son passé colonial et aux besoins de son économie.
Une fort afflux d'immigrés dans les années 1920-1930
En 1930, la France est le pays du monde qui compte le plus fort taux d'étrangers: 515 pour 100000 habitants (7% environ de la population totale) contre 494 pour 100.000 aux Etats-Unis. Entre 1920 et 1930, on a observé un excédent de 1.150.000 entrées de travailleurs étrangers entre 1920 et 1930, venant principalement d'Italie, de Belgique, de Pologne (mineurs dans le nord), de Tchécoslovaquie, d'Espagne. Cette immigration est censée répondre aux besoins économiques du patronat français: elle est organisée principalement par des conventions signées entre des syndicats d'entreprises privées françaises, l'État français, et les États d'émigration. La loi du 11 août 1926 interdit ainsi l'emploi des étrangers en dehors des professions pour lesquelles ils ont obtenu une autorisation, de même que l'embauche de ces étrangers par un autre employeur que celui qui l'a fait venir.
Le tournant de la crise de 29 et de la montée du rejet de l'étranger.
Au début des années 30, avec la crise sociale mondiale consécutive au crack de 1929, on observe une montée du chômage et de la xénophobie. En 1932, des mesures de contingentement sont prises pour fixer des proportions maximales de travailleurs étrangers dans les entreprises privées industrielles ou commerciales: « français d'abord! » oblige... En 1934, sous un gouvernement de droite, la décision est prise de ne plus accorder de cartes de travail aux nouveaux migrants et les Français naturalisés sont interdits d'exercer des professions administratives ou juridiques tandis que les étrangers diplômés de médecine ne peuvent exercer en France. Les étrangers licenciés sont souvent expulsés de manière forcée, pratique à laquelle mettra fin le Front Populaire.
Après la chute du gouvernement de Léon Blum, le sous-secrétariat d'État à l'immigration revient à Philippe Serre et le nouveau maître à penser de la politique de l'immigration est son directeur de cabinet, Georges Mauco, auteur d'une thèse pionnière sur le rôle économique des étrangers en France. Ce technocrate, à qui l'immigration apparaît souhaitable pour des raisons démographico-politique (asseoir la puissance de la France sur le long terme suppose un afflux de jeunes travailleurs féconds relevant la natalité française) prône, plus de 60 ans avant le ministère Hortefeux, une politique de sélection préférentielle des immigrés selon des critères professionnels et de de races (certaines étant jugées moins « assimilables et utiles » que d'autres). Sous Vichy, Mauco évoluera vers des théories racistes pures et dures. En 1938, l'étranger a des obligations et des droits très différent du français de souche: il est tenu de prévenir les autorités à chaque changement de résidence et doit obtenir une autorisation administrative pour se marier. Il peut, quand il a été naturalisé français, se voir déchoir de sa nationalité française s'il commet des délits ou crimes susceptibles d'un an d'emprisonnement au moins. En 1939 et en 1940, toutefois, le gouvernement accélère le processus de naturalisation des travailleurs étrangers (770000 naturalisés en quelques mois, principalement des italiens) pour qu'ils participent activement à l'effort de guerre.
Vichy ou le racisme au pouvoir.
Avant guerre, il y avait 3 millions d'étrangers en France, qui étaient de plus en plus rejetés par une frange de la population, principalement les réfugiés politiques ayant été attirés par la tradition de terre d'accueil de la France ou simplement par sa proximité géographique: arméniens, russes blancs, juifs de langue yiddish d'Europe de l'est ou d'Allemagne, anti-fascistes allemands, républicains espagnols. Vichy est l'héritier des ligues d'extrême droite qui rendaient l'étranger responsable du chômage et de la dénaturation de la société française dès le début des années 30 et le produit de la haine contre les étrangers, qui grandira peut-être encore avec le traumatisme de la défaite. D'ailleurs, une des premières actions symboliques de Vichy est d'interdire en juillet 1940 le décret loi institué en avril 1939 créant un délit d'injure et de diffamation raciale. Le même mois, Vichy crée une commission pour la révision des naturalisations qui ont eu après 1927, partant du principe qu'on les a intégré trop facilement à des nationalités suspectes ou dangereuses pour le corps national: 15000 réfugiés dont 6300 juifs se verront retirer leur nationalité française par mesure de purification.
Le 3 octobre 1940, une loi interdit aux juifs d 'enseigner, d'exercer des postes à responsabilité dans la fonction publique, la magistrature, l'armée, ou d'exercer toute activité influente en matière culturelle (direction de journal, de radio). Dès avril 1941, sans qu'aucune contrainte allemande ne justifie ces décrets discriminatoires, les juifs peuvent avoir l'obligation de vendre leurs entreprises ou leurs commerces à prix bradé à des « aryens » et sont obligés de toute manière de faire administrer leurs biens par des « bons français ». A partir de 1942, la « solution finale » est bien sous-traitée par la police de Vichy , avec pour commencer des premières déportations de juifs « apatrides » en mai et juin 1942, et la tristement célèbre rafle du vélodrome d'hiver le 16 juillet 1942 (13000 juifs arrêtés par des gendarmes français à Paris et déportés à partir de Drancy): au total, 60000 à 65000 juifs résidant en France seront déportés, étrangers pour la plupart puisque sans doute 6000 ressortissants français de religion traditionnelle juive ont été déportés (sur une population de 300000 juifs, français ou non, résidant en France en 1940) et seuls 2800 sont revenus des camps de concentration (source: Robert Paxton, La France de Vichy. Points histoire, p.180). Les populations nomades ou sédentaires de manouches sont également victimes de déportations et d'odieuses politiques vexatoires de la part de l'Etat raciste de Vichy.
De la Libération au début des années 1970: une immigration de travail très importante dans le contexte de reconstruction et croissance forte des Trente Glorieuses.
Après guerre, il n'y a plus que 1,5 millions d'étrangers en France, du fait des naturalisations, des retours d'italiens, des exils forcés, des victimes de la guerre et des persécutions racistes de Vichy et de l'Allemagne nazie. Le général de Gaulle est de ceux qui estiment que la puissance française ne pourra se relever qu'avec un sursaut de la natalité qui implique un encouragement à la venue de familles étrangères. Les milieux d'affaires et les économistes plaident plutôt quant à eux pour une immigration motivée par des raisons économiques et non démographiques et réclament dans l'immédiate après-guerre la venue sur 5 ans de 1.500.000 jeunes travailleurs célibataires s'installant de manière temporaire en fonction des variations du marché du travail. Plusieurs experts, partisans de l'immigration démographiquement ou économiquement fondée, recommande une sélection ethnique et une répartition géographique planifiée des immigrants, comme beaucoup d'hommes politiques de droite aujourd'hui, mais finalement, la commission permanente du Conseil d'Etat présidée par René Cassin, le père de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 avec qui travaillait Stephane Hessel, proscrit toute volonté de contrôler l'origine ethnique et la répartition géographique des étrangers.
Entre 1945 et 1949, 67% de l'immigration en France est d'origine italienne, provenant principalement d'Italie du Sud. Entre 1949 et 1955, la lourdeur et l'inefficacité du système d'introduction freinent l'arrivée des travailleurs européens ou marocains et tunisiens au bénéfice des algériens qui circulent librement depuis qu'ils ont obtenu la citoyenneté française en septembre 1947. Le fait que le principal foyer d'immigration en France soit l'Algérie inquiète la classe politique dans un contexte de déclenchement des luttes de décolonisation et on simplifie donc en 1956 les procédures de régularisation de travailleurs étrangers arrivés en France par leurs propres moyens pour contrebalancer le poids démographique des algériens. Sous l'effet de cette mesure, l'immigration extra-nationale de travailleurs étrangers non saisonniers concerne 430.000 personnes entre 1956 et 1962 alors que l'augmentation de la main d'œuvre algérienne n'a pas dépassé dans le même temps 120.000 individus.
En 1964, 2 ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'opinion française et les hommes politiques sont de plus en plus hostiles à l'immigration algérienne et la France tente de ce fait d'imposer des contingentements à l'État algérien, tout en permettant aux entreprises d'aller « se servir » directement dans les villages misérables et les banlieues urbaines du Maroc et en Tunisie et en favorisant l'immigration yougoslave et turque grâce à des accords de main d'œuvre signés avec les États. Les douanes françaises, contrairement aux assurances données au pouvoir portugais, ont aussi pour consigne de laisser passer les Portugais fuyant les bas salaires, le chômage, la dictature et le service militaire et ces immigrants portugais sont très vite régularisés.
En 1974, la France compte 3,5 millions d'étrangers, dont 750.000 Portugais, presque autant d'Algériens, 500.000 Espagnols, 460.000 Italiens et 260.000 Marocains. Jusqu'au début des années 70, les moyens engagés par les pouvoirs publics pour loger les travailleurs immigrés et leurs familles sont dérisoires (en dehors des foyers sonacotra à loyer très doux destinés aux seuls travailleurs célibataires pour décourager les Algériens notamment de faire venir leurs familles en France) et, en 1967 encore, Pompidou s'oppose à la création d'une taxe pour le logement des immigrés en arguant du caractère « nomade » de cette population. Ce n'est que dans l'après 1968, grâce aux organisations d'extrême-gauche et aux syndicats, que la population va être sensibilisée aux conditions de vie indignes des immigrés. En 1970, après la mort de 5 maliens dans un taudis d'Aubervilliers, le gouvernement, attaqué dans la presse de gauche, décide enfin d'agir pour la résorption de l'habitat insalubre des immigrés et de faire disparaître les bidonvilles en 3 ou 4 ans. Cette action, note Patrick Weil dans son ouvrage, « tombe à point nommé » car les bidonvilles se situent sur des terrains devenus constructibles sur lesquels les promoteurs entendent investir. En 1970, 650000 travailleurs immigrés vivaient encore dans des bidonvilles ou des taudis.
En 1972, la pression des syndicats, des partis politiques de gauche et des associations de défense des droits des immigrés aboutit au vote de deux lois symboliquement importantes même si elles ne règlent pas la question de fond du logement des travailleurs étrangers: la loi du 27 juin qui autorise l'élection et l'éligibilité des étrangers en tant que membres des comités d'entreprise et délégués du personnel et la loi du 1er juillet 1972 qui fait du racisme un délit juridiquement condamnable. Dans le même temps, des restrictions importantes commencent à être posées contre l'immigration, que les pouvoirs publics veulent limiter contre l'avis et les intérêts du patronat afin de limiter dépense sociale, de ne pas bouleverser la structure de la population résidant en France et « l'identité » de la nation: les circulaires Marcellin-Fontanet interdisent le recours aux régularisations sauf exception et exigent que les employeurs désireux de recruter des salariés étrangers ne les recrutent pas eux-mêmes dans leurs pays d'origine mais déposent un demande dans un bureau de l'ANPE contrôlant les entrées et assurent le logement et la gestion du voyage des nouveaux employés. En 1973, des grèves de la faim de travailleurs immigrés irréguliers, soutenues par la CFDT et la CGT, ont lieu dans l'église Saint-Hippolyte de Paris pour réclamer des régularisations.
Avec le déclenchement de la crise économique mondiale consécutive au choc pétrolier, l'immigration de travail est stoppée en 1974 et le pouvoir de droite adopte une attitude de plus en plus dure et insensible vis à vis des immigrés.
Après l'élection de Valery Giscard d'Estaing, pour la première fois, un secrétariat d'état à l'immigration est créé, confié à André Postel-Vinay, preuve de la nouvelle importance que prend le sujet dans la conscience collective et des problèmes sociaux et politiques qu'il pose. « André Postel Vinay, qui pressent la crise structurelle et longue, génératrice de restructurations et de chômage, qu'inquiète la croissance démographique rapide du Tiers-Monde, et qui entend donner de meilleures conditions de vie aux immigrants déjà installés en France, plaide pour une interruption de l'entrée des migrants » (Patrick Weil). L'argument de l'incompatibilité entre l'ouverture des frontières et l'accès aux droits sociaux, à une vie décente, et à une intégration effective des immigrés en situation irrégulière travaillant depuis des années en France, commence à être invoqué pour restreindre l'immigration au nom de l'intérêt même des immigrés résidant en France.
A partir de 1974 donc, même si des permis de travail et de séjour continuent à être octroyés aux réfugiés et demandeurs d'asile (les boat people vietnamiens en 1975 par exemple), l'État décide d'interrompre l'immigration de travail, de suspendre l'immigration familiale en 1977 (même si, devant les vives protestations des partis politiques, des Églises et du conseil d'État, le nouveau secrétaire d'état à l'immigration, Lionel Stoléru, recule, et donne le droit aux familles des immigrés implantés pour leur travail depuis quelques années de séjourner en France, mais non d'y travailler), d'encourager ou de forcer les travailleurs immigrés à rentrer chez eux.
Ainsi, le premier ministre Raymond Barre décide d'incitations financières pour encourager les étrangers chômeurs à rentrer chez eux avec leurs familles après des années de bons et loyaux services dans les rangs des entreprises françaises... Les algériens, au nombre de 800000 en France, sont les cibles privilégiées de ce dispositif que le gouvernement cherche bientôt à durcir à négociant avec peine avec l'Algérie un accord qui pourrait l'autoriser à ne pas renouveler les cartes de travail et les titres de séjour des travailleurs algériens chômeurs. En 1979, le gouvernement poursuit dans son action pour faire partir les immigrés en se fixant des objectifs de 100000 retours annuels, toute nationalité confondue, dont la moitié seraient des retours forcés (le reste: principalement des départs en retraite dans les pays d'origine), notamment d'Algériens, par le biais du non renouvellement des titres de séjour. Les préfectures sont déjà invitées à respecter des quotas pour ne pas reconduire les titres de séjour des étrangers résidant en France sans prendre prioritairement en compte la situation personnelle des travailleurs. Ces reconduites forcées à la frontière, assorties de contingentements d'Algériens à refouler, amènent les syndicats à se mobiliser pour des travailleurs qui pendant des années, voire des décennies, ont contribué à la création de la richesse nationale, et qui sont ensuite refoulés comme des malpropres.
L'évolution de la politique d'immigration pendant les années Mitterrand.
Solidarité internationaliste avec le tiers monde et lutte contre l'exploitation sont des valeurs fondamentales de la gauche qui trouvent à s'incarner dans une politique de l'immigration en rupture complète avec celle de Giscard à partir de mai 1981. L'encouragement des travailleurs immigrés chômeurs et de leurs familles par l'aide financière au retour est supprimé. Les étrangers nés en France (pour lesquels n'a pas été fait de demande de naturalisation dans les délais prévus afin de ne pas perdre la nationalité d'origine) ou étant arrivés avant l'âge de 10 ans deviennent inexpulsables. Tout en renforçant les sanctions légales contre les employeurs irréguliers de travailleurs sans papier et contre les travailleurs sans papier eux-mêmes, la volonté de réparer symboliquement les dispositions inquisitrices et discriminatoires de Giscard vis à vis des immigrés conduit Mitterrand et son gouvernement à restaurer l'état de droit en régularisant massivement, en utilisant des critères très souples, les travailleurs « clandestins » (estimés entre 200000 et 300000 personnes) qui en feront la demande, avant de contrôler à nouveau les entrées de manière sourcilleuse.132000 clandestins, à 90% ayant un emploi, déclaré ou non, sont ainsi régularisés en 1981.
Par contre, la gauche n'honore pas sa promesse, celle de la quatre-vingtième des 110 propositions du candidat Mitterrand, d'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales après 5 ans de résidence en France. La logique de cette proposition était, écrit Patrick Weil, « celle du droit créance: puisque les étrangers paient des impôts locaux, ils ont le droit légitime de participer à la désignation des autorités publiques locales... Le droit de vote est conçu aussi comme une technique qui permettrait de répartir plus équitablement les ressources dont disposent les autorités locales; de leur côté, celles-ci traiteront avec plus de diligence des contribuables devenus électeurs ». Mais cette proposition est plutôt impopulaire et beaucoup de critiques se font entendre à gauche et à droite sur l'absence de caractère prioritaire de cette mesure (par rapport à la lutte contre l'immigration clandestine ou la défense des droits sociaux effectifs des immigrés), sur la rupture qu'elle introduit avec la tradition française d'identification de la nationalité et de la citoyenneté: sous l'influence de son secrétaire d'état aux immigrés, François Autain, Mitterrand décide d'ajourner cette mesure hautement symbolique mais très risquée électoralement.
En 1983, Georgina Dufoix hérite du dossier immigration et est chargée d'infléchir le discours et la politique sur l'immigration en mettant au premier plan la nécessité pour protéger l'emploi des français et éviter que ne se développement des sentiments anti-immigrés de lutter avec fermeté contre l'immigration clandestine et de mieux contrôler les flux d'immigrés. Des freins sont posés à l'immigration familiale, des facilités sont données pour le contrôle de la régularité du séjour des immigrés, une aide au retour dont le montant est négocié théoriquement avec les pays d'origine des immigrés est conçue, mais à l'exception du Sénégal, la plupart des États approchés, à l'instar du Maroc et de la Tunisie qui ont besoin de devises étrangères et connaissent déjà un très fort chômage, refusent de collaborer. En 1984, une loi importante est votée néanmoins, y compris par la droite, qui instaure un titre de séjour et de travail unique de 10 ans.
Dès juillet 1984, néanmoins, le nouveau premier ministre, Laurent Fabius, qui a pris la mesure de la montée des inquiétudes et des rejets que suscitait la forte présence immigrée dans certaines régions, décide de donner essentiellement des gages à cette opinion publique hostile à la présence étrangère: « il souhaite instaurer la reconduite administrative à la frontière et rétablir les contrôles d'identité. Il veut réformer la procédure d'accès au statut de réfugié, en soumettant la transmission des demandes d'asile de l'O.F.P.R.A à un agrément administratif. » (Patrick Weil). Fabius, soutenu par Georgina Dufoix, entend également limiter l'immigration par regroupement des familles. A cette époque de montée du FN, le PS a, avec plus ou moins d'opportunisme assumé, une sorte de double langage: d'un côté Mitterrand rappelle son attachement au droit de vote des étrangers aux élections locales en 1985 et parraine la naissance de SOS Racisme pour remobiliser à peu de frais la jeunesse sur l'enjeu symbolique de l'anti-racisme, quitte à renforcer un peu plus les processus de ressentiment à l'œuvre dans le vote FN (parler d'immigration de manière clivante pour le PS pouvait apparaître comme un moyen tactique d'affaiblir le RPR en renforçant l'audience du FN) ; de l'autre, à l'approche des législatives, Fabius affirme son accord avec Chirac sur la nécessité d'une politique d'immigration plus restrictive et ferme avec les irréguliers.
En 1986, le Front National fait son entrée au Parlement à la faveur du scrutin proportionnel et la droite, qui retrouve la majorité à l'Assemblée Nationale, se décide avec son super flic ministre de l'intérieur Charles Pasqua, à donner un maximum de gages aux électeurs du FN afin de les récupérer dans leur escarcelle. Ainsi, Charles Pasqua entend multiplier les procédures de reconduite à la frontière, revenir sur la garantie du séjour en France accordée par les lois de 1981 et 1984 aux jeunes d'origine étrangère qui y ont été élevés. Ils souhaitent que les jeunes puissent, en cas d'atteinte à l'ordre public, être expulsés. Un texte adopté en Conseil des Ministres en juin 1986 propose également de permettre à la police de l'air et des frontières d'effectuer un premier tri entre les demandeurs d'asile avant que la demande ne soit examinée par l'O.F.P.R.A. Au nom du gouvernement de Chirac, Albin Chalandon propose une réforme du code de la nationalité qui supprime le caractère universel et automatique du droit du sol: l'enfant né en France devra désormais réclamer sa nationalité, et n'y aurait droit qu'en cas de non-condamnation antérieure... Des néo-cons comme Alain Finkielkraut applaudissent...
La ligue des droits de l'homme et les églises se mobilisent contre cette régression humanitaire et républicaine.
L'enracinement des idées xénophobes et du rejet de l'immigration.
En 1988, le FN obtient 14% des suffrages exprimées aux élections présidentielles et dès 1989, la question de la compatibilité de l'immigration maghrébine et du multiculturalisme avec l'identité nationale est soulevée dans un débat médiatique aux enjeux très largement surfaits sur le port du voile à l'école.
En 1991, le très républicain Valery Giscard d'Estaing illustre la radicalisation du discours de la droite de gouvernement sur l'immigration et les immigrés en vue d'un rapprochement avec le FN: « Après avoir en juillet préconisé un « quota zéro » pour l'immigration, il dénonce à la manière de Le Pen dans le Figaro Magazine « l'immigration-invasion ». Il propose également que la nationalité française ne puisse plus être attribuée par la naissance en France mais par la seule filiation sur le modèle de la loi allemande d'alors ». (Patrick Weil). Dans le même temps, les différents ministres socialistes qui se succèdent à l'intérieur adoptent des mesures restrictives: en 1990, on accélère le traitement des dossiers de demandeurs d'asile, avant de leur retirer le droit de travailler pendant l'examen de leurs dossiers.
Dès son retour au pouvoir en 1993, la droite fait voter des lois en contradiction avec les traditions démocratiques et républicaines, les lois Pasqua, et changer un article de la constitution pour imposer l'objectif de l'immigration zéro. Dans un entretien donné au Monde le 2 juin 1993, Pasqua déclarait ainsi: « La France ne veut plus être un pays d'immigration ». L'objectif assumé d'immigration zéro incite à des mesures inquisitrices contre la régularisation des étrangers par le mariage. L'illégalité du séjour avant le mariage empêche désormais la délivrance du titre de séjour après celui-ci et, pour lutter contre les prétendus « mariages arrangés », on va jusqu'à mettre souvent en cause le droit au séjour des nouveaux conjoints de Français. On repousse de 6 mois à 2 ans le délai nécessaire à l'obtention de la nationalité française pour un étranger qui se marie avec un français et on entérine le projet d'astreindre des enfants nés en France de parents étrangers à une déclaration d'intention préalable faite entre 16 et 21 ans pour devenir Français.
En 1996, après une nouvelle progression du FN aux présidentielles (15,3% de suffrages obtenus en 1995), Debré, le ministre de l'intérieur du président Chirac, va chercher à compléter la panoplie répressive des lois Pasqua en se basant sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire très partiale présidée par M. Philibert sur les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. 46 mesures radicales sont préconisées, et parmi elles, certaines qui ne seront réellement mises en application que sous la présidence Sarkozy: prise d'empreinte systématique des visiteurs étrangers et fichage des personnes les hébergeant, remise en cause des droits aux soins d'urgence pour les étrangers en situation irrégulière, ou à l'éducation pour leurs enfants, possibilité d'expulser immédiatement les mineurs étrangers ayant commis un délit... Finalement, en novembre 1996, après l'expulsion musclée et impopulaire des 300 grévistes de la faim de l'église Saint Ambroise le 23 août 1996 (sans-papiers menacés d'expulsion qui pour beaucoup sont des parents d'enfants français, ont des conjoints français ou toute une famille vivant en France), Debré fait voter une loi qui complique considérablement la venue régulière des étrangers en France: toute personne désireuse d'entrer en France est considérée avec soupçon comme un fraudeur et un clandestin en puissance et le droit à l'aller-retour entre la France et le pays d'origine pour visiter sa famille ou le pays, faire des études ou quelques affaires est soumis à des restrictions et des démarches préalables plus que décourageantes.
La parenthèse Jospin.
Grâce à la loi Debré, Chirac espérait que les candidats UMP bénéficieraient d'un bon report de voix au second tour des électeurs du FN lors des élections législatives anticipées qu'il jugea opportun de convoquer après la crise du mouvement social de 1995 et du discrédit porté sur Juppé. Or, il les perd et le PS a inscrit dans son programme un retour décomplexé à une tradition plus libérale et républicaine en matière d'immigration: « Nous supprimerons les lois Pasqua-Debré. Nous rétablirons les droits fondamentaux au mariage, à la vie en famille et le droit d'asile, ainsi que le code de la nationalité dans sa vision républicaine ». De fait, la loi Chevènement de 1998 sur l'immigration apporte très vite des avancées significatives pour améliorer les conditions d'accueil des étrangers:
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suppression des certificats d'hébergement exigés à un étranger cherchant à obtenir un visa pour entrer en France.
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réduction à un an du délai de séjour exigé pour procéder à un regroupement familial
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à 18 ans, le jeune né en France redevient français automatiquement, sauf s'il exprime le désir contraire. Il peut anticiper cette acquisition par une déclaration volontaire possible dès l'âge de 10 ans.
Parallèlement, tout en refusant le principe de régularisation collective systématique, le gouvernement Jospin régularise une partie importante (87000) des 135.000 étrangers qui avaient fait une demande, en se basant sur les critères de l'ancienneté de la présence sur le territoire et du travail en France, et sur la force des attachements familiaux et personnels en France. Chevènement se montre par contre inflexible sur la célérité de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière ou dont les demandes de régularisation ont été rejetées.
La stratégie de séduction de l'électorat du FN de la droite conduit à légitimer et à mettre en place des politiques d'immigration de plus en plus répressives, stigmatisantes et contraires au droit de l'homme depuis 2002.
Le 26 novembre 2003, après la réélection de Chirac opposé à Le Pen au second tour, la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité modifie à nouveau le statut des étrangers en subordonnant la délivrance de la carte de résident à un critère d’intégration. Elle renforce également la lutte contre l’immigration clandestine. Pour de nombreuses associations, ce durcissement de la législation se fait au détriment des droits fondamentaux des étrangers (mauvais traitements, décès, état déplorable des centres de rétention et des zones d’attente, etc.), qui sont traités comme des criminels par l’administration, alors qu’ils sont dans de nombreux cas mis en situation irrégulière par un refus de cette même administration de régulariser leur situation ou de renouveler leurs titres de séjour. Pendant ce temps, l’immigration est traitée de plus en plus au niveau de l'Union Européenne qui adopte ainsi en 2003 une directive sur le regroupement familial et tente d’harmoniser les politiques d'immigration des pays membres. Au niveau de la société civile, les politiques de plus en plus répressives suscitent l'indignation d'une partie de l'opinion. En 2004, le Réseau Education Sans Frontière (RESF) s'oppose à ce qu'il qualifie de « rafles » dans les écoles d'enfants en séjour irrégulier ou des parents sans-papiers de ces enfants.
En juillet 2006, la loi relative à l'immigration et à l'intégration, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy porte de 12 à 19 mois le délai au terme duquel un étranger en séjour régulier en France peut solliciter un regroupement pour les membres de sa famille proche. Cette loi renoue avec une justification utilitariste par les intérêts de l'économie française d'une immigration de travail ciblée par avance en autorisant le recours à de la main d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974. Cette mesure est limitée à quelques professions telles que l’hôtellerie-restauration, la construction et les travaux publics, les travaux saisonniers, les professions commerciales. La loi met en place la carte de séjour « compétence et talents ». C'est l’« immigration choisie » des travailleurs saisonniers et qualifiés que Sarkozy oppose à l'immigration subie des familles pouilleuses qui veulent rejoindre des parents travaillant en France, des régularisations automatiques d'enfants nés en France d'étrangers clandestins, des faux demandeurs d'asile qui fuient en réalité l'insécurité de la misère. La France, en 2007, étudie une loi visant à restreindre l'immigration afin d'appliquer la volonté politique du président de la République, d'avoir une « immigration choisie ». Cette loi est accompagnée d'un amendement concernant la maîtrise de la langue française susceptible de créer des difficultés aux migrants et aux couples mixtes, en très forte augmentation depuis les années 80 du fait notamment de la plus forte propension des français à voyager et de la mondialisation, pour le meilleur et pour le pire, des échanges matrimoniaux et sexuels.
Depuis quelques années, des accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ont conditionné l'aide au développement à la prise de mesures par les États du Sud visant à restreindre l'émigration. La Tunisie, pays à qui l'on sous-traitait la réclusion des candidats à l'immigration en France, était ainsi un des pays les plus aidés par l'Agence Française de Développement, même s'il était bien plus riche que d'autres en Afrique.
A partir de l'été 2010, les discours de Nicolas Sarkozy, des responsables de l'UMP et de la garde rapprochée du président ont franchi un cap dans la récupération abjecte des leitmotivs de l'extrême-droite en identifiant origine ethnique et dangerosité ou délinquance, en dissociant le droit à la libre circulation des Européens dans l'espace Schengen de l'acceptation des Roms qui, n'est-ce pas, ne le sont pas tout à fait, en enfermant les enfants de parents étrangers dans une identité ethnique ou culturelle substantielle qui les rend suspects de ne pouvoir jamais s'assimiler, adhérer aux valeurs nationales, en stigmatisant les populations arabes et africaines sous couvert d'opposer l'Islam intransigeant aux valeurs laïques et démocratiques.
2) Printemps des peuples dans le monde arabe, hiver du repli xénophobe en France et en Europe.
Les dictatures d'Afrique du Nord, véritables chiens de garde de l'Europe rémunérés en complaisance devant les morsures qu'elles infligeaient à leurs peuples, avaient beaucoup d'avantage pour les gouvernements de droite européens, en particulier celui de repousser de manière musclée une grande partie des candidats à l'immigration en Europe venus d'Afrique, d'Asie et de leurs propres territoires. Depuis 2004, l'Europe a cherché à externaliser la gestion des flux migratoires, et les camps de rétention ont fleuri dans les pays limitrophes (on se souvient de la répression de la révolte de Ceuta et Mellila), le Maroc cessant d'être une plaque tournante de l'immigration, et de plus en plus de réfugiés africains étant renvoyés dans le désert saharien après avoir été dûment racketés, battus, ou violés par les trafiquants et les « forces de l'ordre » corrompues des pays du Maghreb.
Avec les bouleversements politiques et sociaux en Tunisie et en Libye et l'inefficacité nouvelle des États policiers, évidemment, les vannes s'ouvrent. Des milliers de candidats à un avenir meilleur en Europe - Somaliens, Erythréens, Libyens, Tunisiens- affluent au large de la Sicile et de Lampedusa, créant, selon la métaphore catastrophiste et réifiante du si sensible Silvio Berlusconi, « un véritable tsunami humain » (tout aussi humaniste, Claude Guéant a dit qu'il faudrait que la France se protège contre « cette vague d'immigration »)... au risque mourir en mer, comme au moins 4200 candidats à l'immigration cherchant à passer d'Afrique du Nord ou du Sénégal à Malte, en Italie, en Espagne, aux Canaries depuis 2003. Le mercredi 6 avril 2011, 150 personnes ont disparu dans un naufrage au large de Lampedusa. Mais, dans le discours des dirigeants européens à cette heure de progression généralisée des idées d'extrême-droite, il n'y a plus aucune place pour le chagrin et la pitié.
Ces immigrés qui parviennent jusqu'aux côtes siciliennes ne veulent pas tous vivre en Italie et, même si ses intentions sont nationalistes et relèvent de la revanche économique et politique, car il était peu intéressé par une intervention militaire en Libye, le gouvernement italien a raison sur le fond de dire qu'on ne peut pas renvoyer (cela pose surtout pour lui des problèmes techniques plutôt que moraux) de manière expéditive ces immigrés (qui pour la plupart sont des réfugiés économiques voulant assurer la survie de leur famille et un avenir meilleur pour eux et pour certains sont des réfugiés politiques risquant gros à leur retour) et que tous les pays européens, et pas seulement ceux du rivage méditerranéen, doivent participer au règlement de cette situation de crise humanitaire d'urgence. La commission européenne le 11 avril a donné raison à la France contre l'Italie d'avoir immobilisé les trains qui devaient conduire des immigrés tunisiens à qui les italiens avaient donné des permis de séjour temporaires (plus de 25000 en ont bénéficié) leur permettant théoriquement de circuler librement dans l'espace Schengen pendant quelques mois. Pour ne pas fâcher la France, l'Allemagne, et d'autres États européens encore où la xénophobie gagne du terrain depuis des années à la faveur de la crise sociale et identitaire que traversent ces sociétés et qui sont hostiles à « tout partage du fardeau » de l'immigration, elle n'a pas craint de violer le principe de la libre circulation des personnes avec des papiers en règle dans l'espace de l'Union Européenne.
En décembre 2008 déjà, le Parlement européen décidait d'ériger l'Europe en forteresse repoussant « sans sentimentalisme irresponsable » « la misère du monde » tandis qu'elle instaurait une carte bleue permettant entrée facilitée et libre circulation pour les travailleurs hautement qualifiés. Une de ses résolutions invitait les 27 États membres « à considérer le défi des migrations au travers d'une approche globale qui fasse avancer avec la même énergie le renforcement des contrôles aux frontières de l'Union, la lutte contre l'immigration clandestine, le retour dans leurs pays d'origine des étrangers en situation irrégulière... ». Une directive retour, dite « directive de la honte » par ses opposants, adoptée par le Parlement européen, suivait cette résolution qui permettait de placer en détention des étrangers en attente d'éloignement, y compris des mineurs, pour des durées allant jusqu'à 18 mois et d'interdire l'accès au territoire des expulsés pendant 5 ans.
Autre signe d'un durcissement des politiques d'immigration: à la mi-avril 2011, le Haut Conseil à l'Intégration créé par la droite recommandait, allant ainsi dans le sens des intentions de Claude Guéant, de restreindre encore l'immigration légale par la voie du mariage, devenue « la première porte d'entrée en France » puisque 50000 français désirent chaque année accueillir leur conjoint étranger. Or, les mariages de français avec des étrangers sont de plus en plus suspectés d'être des mariages blancs, font à ce titre l'objet de procédures de vérification policière et de refus de célébration de plus en plus systématiques, n'ouvrent droit à la naturalisation qu'après de nombreuses années, et peuvent s'accompagner d'expulsion du conjoint étranger en cas de divorce ou de séparation. Parallèlement, nous apprenions que malgré l'augmentation du nombre de demande d'asile, la France n'attribuait des permis de séjour qu'à un cinquième des demandeurs d'asile. Parallèlement, alors que l'immigration professionnelle légale ne concernait que 23650 personnes pour l'ensemble de la France, Claude Guéant entend réduire encore cette immigration de travail en mettant en avant le poids du chômage en France (9,6% aujourd'hui suivant les chiffres officiels, nettement sous-évalués). Les milieux économiques, par l'intermédiaire de la patronne du Medef, Laurence Parisot, ont immédiatement réagi en déclarant que « c'est très dangereux, un pays qui se ferme ». L'essayiste ultra-libéral et homme d'influence proche de Sarkozy Alain Minc surenchérissait: « on ne peut pas promouvoir une économie de l'offre inspirée de l'Allemagne...et prétendre à l'immigration zéro ».
La droite, prise entre deux logiques contradictoires face à l'immigration.
Cette volonté de mettre un terme à l'immigration de travail rompt avec la politique utilitariste qu'avait esquissée Sarkozy en 2007, celle d'une « immigration choisie »: il y a les bons immigrés, ceux qui sont européens et qualifiés pour des métiers pour lesquels le patronat manque de main d'œuvre ou ceux qui viennent de la bourgeoisie des pays du sud et qui, étant très diplômés, peuvent créer de la richesse en France et il y a les mauvais, les crève-la-faim qui cherchent à manger quelques miettes du festin occidental, les africains, arabes ou musulmans « inassimilables »... Il faut donc rendre extraordinairement compliqués le regroupement familial (par des vérifications inquisitrices des liens de parenté, des conditions de ressources, de compétences linguistiques et d'employabilité), les mariages mixtes, la naturalisation des résidents d'origine étrangère, et l'accueil des demandeurs d'asile et décourager l'immigration clandestine en excluant au maximum les régularisations inspirées par des motivations humanitaires et en médiatisant à outrance les expulsions pour que la France qui s'inquiète de perdre son âme avec cet afflux des miséreux du monde aux comportements si exotiques soit rassurée en voyant un gouvernement à poigne qui ne fait pas dans le sentiment ni le laxisme.
On le voit, si l'on veut exprimer les choses de manière un peu caricaturale, on peut dire que la droite est partagée essentiellement entre deux logiques sur la question de l'immigration.
a) Celle qui consiste à la limiter au maximum au nom de la défense d'une identité nationale identifiée, sinon à une race, du moins à une culture essentialisée et son histoire. Selon cette logique, hostile à la conception civique de la nation qu'Ernest Renan avait théorisé au XIXème siècle et qui consistait à dire qu'un peuple ne se définissait pas par le partage d'une origine ethnique ou culturelle mais par l'adhésion à un projet et des valeurs communes, plus proche de l'idéologie germanique du droit du sang que de l'idée républicaine du droit du sol, on ne peut avoir un type racial maghrébin, africain, asiatique, slave, être musulman, et être complètement français, même si on a la citoyenneté française parce que l'on est né en France. Quand la droite propose de retirer la citoyenneté française à des criminels ou à des extrémistes musulmans (imposant le port du voile intégral à leur femme par exemple) qui ont des parents étrangers ou ont été naturalisés alors qu'ils sont nés à l'étranger, elle le justifie en faisant comprendre à son électorat et celui de l'extrême-droite qu'avoir le privilège de devenir français, « cela se mérite », que cela implique d'adopter un comportement civique exemplaire, de s'acculturer pour adhérer pleinement aux valeurs fondatrices de la République ou de la culture française, et de s'intégrer socialement. Par là, elle fait semblant de dire qu'on peut parfaitement être un bon français de couleur à condition d'adhérer pleinement à une forme de contrat social qui définit les droits et les devoirs du citoyen: mais en réalité, cette condition, elle ne l'impose qu'aux « demi-citoyens » qui doivent faire leur preuve parce qu'ils ont des parents étrangers ou qui ont été étrangers. Or, d'un point de vue républicain, il n'y a aucune différence ou discrimination à établir entre les citoyens: on est citoyen ou on l'est pas, et tout le monde s'acquitter des obligations morales et juridiques du citoyen sans qu'une catégorie de citoyens soient spécialement sanctionnée dans le cas contraire en raison de ses origines. Il n'y a aucune raison de penser que les français d'origine étrangère doivent être plus exemplaires que les autres. Certains commentateurs politiques paraissent vouloir atténuer la gravité de ces lois ou décrets discriminatoires de la France en disant qu'ils ne se justifient pas par une véritable xénophobie ou un véritable racisme des dirigeants de droite mais par une volonté de faire barrage au Front National qui représente le diable en faisant revenir son électorat au camp républicain. Au-delà même de l'échec sur le moyen terme de cette stratégie de siphonage des voix du Front national qu'ont démontré les dernières cantonales de mars 2011 et les récents sondages annonçant Marine Le Pen en tête du premier tour des présidentielles de 2012, on peut remarquer que les parlementaires et les hommes politiques de droite, même s'il était vrai qu'ils ne faisaient au départ qu'adopter une stratégie électoraliste, se sont distingué au fil du temps par des déclarations franchement racistes et qu'ils ne peuvent prétendre quoiqu'il en soit combattre Le Pen et les siens en appliquant l'essentiel de leur programme et en légitimant son discours catastrophiste sur les méfaits de l'immigration par leurs actes.
b) Une autre logique plus pragmatique, utilitariste et libérale a parfois prévalu à droite sur les questions d'immigration, même si elle semble partiellement abandonnée aujourd'hui au profit d'une volonté, soit de faire monter le Front National pour éliminer les socialistes du deuxième tour des présidentielles, soit de tenter de récupérer ses voix, sinon au premier tour, du moins au second tour des présidentielles et des législatives, soit de mettre une nouvelle fois, comme en 2002 et en 2007, les thèmes de la sécurité et du danger de l'immigration et de l'Islam (pour la préservation de l'identité nationale, des valeurs collectives démocratiques et l'harmonie du vivre ensemble) afin d'affaiblir la gauche en détournant l'attention de difficultés économiques et d'injustices sociales qui dénoncent la nocivité des politiques libérales menées au profit des milieux financiers et des hauts revenus. Cette logique que défend le Medef, mais qui qui est aussi promue par des libéraux comme Strauss-Khan ou Cohn-Bendit et a aussi été portée par les travaillistes de Tony Blair (entre 1999 et 2009, la Grande Bretagne a accueilli plus de 2,2 millions d'immigrés en plus) ou les sociaux-démocrates allemands derrière Schröder à la fin des années 90 et au début des années 2000, consiste à ouvrir plus largement les frontières à l'immigration sur des critères économiques essentiellement, en cherchant à attirer les cerveaux étrangers qui nous donneront une plus-value dans la compétition internationale, mais aussi à disposer d'une main d'œuvre abondante, qualifiée ou non, dans les secteurs manquant de main d'œuvre notamment pour pourvoir aux besoins du patronat et qu'il soit possible d'y écraser les salaires, afin de faire pression sur les droits sociaux ou les « avantages acquis » de tous les salariés. En 1963, déjà, Georges Pompidou déclarait: « L'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».
Le reproche qui est fait au patronat de faire venir et d'utiliser les immigrés plus facilement exploitables comme ils n'ont rien à perdre afin de lutter contre les revendications sociales et les acquis sociaux des travailleurs ne date pas d'hier, et a été longtemps et parfois violemment formulé par des syndicalistes et des militants politiques de gauche au XIXème siècle et au XXème siècle. Toutefois, dans la deuxième moitié du XXème siècle, les syndicats, la gauche et les communistes ont surtout défendu les droits des travailleurs immigrés: leur droit à des rémunérations décentes, à la protection sociale, à la régularisation quand ils contribuent à la richesse nationale par leur travail et paient des impôts, au rapprochement familial et au logement décent... voire au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales.
3)Sur quels principes appuyer une politique réellement de gauche vis à vis des immigrés?
Ce qui doit nous importer de manière prioritaire, c'est l'impératif de solidarité humaine et la considération pour les personnes.
Nous sommes essentiellement hommes et c'est le hasard qui nous a fait naître dans tel ou tel territoire. Il est compréhensible que nous ayons des affinités privilégiés avec nos compatriotes, notre culture, et légitime que nous soyons prioritairement soucieux en tant que citoyens de la qualité de vie des gens qui votent avec nous et sur lesquels nos décisions collectives ont des répercussions: à savoir nos concitoyens. Néanmoins, il est immoral de contraindre à des conditions de vie indécentes des travailleurs et des familles entières qui vivent dans la clandestinité par crainte des expulsions, de refouler en les condamnant à la misère, au désespoir et à la mort, des immigrés qui ont tout sacrifié avec leur famille pour économiser suffisamment afin de gagner l'Europe pour pouvoir y travailler et épargner pour s'assurer un avenir meilleur, à eux et leurs familles. Il est inacceptable de ne pas accueillir des immigrés qui demandent l'asile parce qu'ils sont menacés dans leurs pays d'origine par des guerres civiles, des régimes ou des sociétés d'oppression, de ne pas reconnaître aux étrangers qui travaillent en France dans des conditions légales le droit de vivre au côté de leurs épouses, de leurs enfants, ou aux français de faire venir en France leurs conjoints étrangers.
Au nom de la realpolitik, des intérêts de la cohésion sociale en France menacée par les inquiétudes grandissantes que suscitent l'immigration et les difficultés de la vie dans les quartiers populaires à forte proportion de population étrangère, nous n'avons pas le droit de condamner au désespoir des milliers de vies humaines par des expulsions ou un refus de la prise en considération de critères d'humanité pour les régularisations de sans-papiers. Une des manières d'alimenter la progression des idées xénophobes est de replier le drapeau humaniste et internationaliste de la gauche en acceptant de laisser s'imposer l'idée que l'immigration est essentiellement un problème, qu'il faut gérer dans un esprit de responsabilité identifié à une attitude de fermeté.
Bien sûr, on nous répète à satiété la trop fameuse formule de Rocard « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et c'est vrai... mais toute la misère du monde ne se presse pas à nos portes, et elle affluerait encore moins si on exploitait moins les pays du Sud, si on ne soutenait pas leurs régimes corrompus et autoritaires qui préservent les intérêts de nos multinationales et si on ne leur imposait pas pour réduire leurs dettes des plans d'hyper-austérité et de casse du secteur public appauvrissant la population. En tant qu'hommes susceptibles de compassion et qui reconnaissons notre semblable dans tout autre homme, souffrant ou non, nous n'avons pas le droit d'être indifférents aux centaines de milliers de détresses individuelles bien réelles que génèrent des politiques de lutte contre l'immigration illégale et de quasi fermeture des frontières.
Une politique de l'immigration doit d'abord être inspirée par des sentiments d'humanité mis en œuvre de manière réaliste: il ne s'agit pas d'ouvrir complètement nos frontières mais de régulariser les immigrés clandestins qui travaillent ou vivent en France depuis longtemps, qui ont fait des efforts d'intégration et qui y ont des attaches familiales qui les enracinent et les rendent indispensables à leurs proches, de reconnaître effectivement le droit d'asile, d'admettre complètement la légitimité des mariages mixtes et de l'immigration par regroupement familial, de permettre à des étudiants étrangers ou à des travailleurs qui pourraient trouver des emplois en France dans des secteurs ayant besoin de main d'œuvre d'obtenir des visas et des permis de séjour régulièrement depuis leurs pays d'origine, principalement quand ceux-ci sont francophones, de permettre aux étrangers des pays du Sud d'obtenir des visas de touristes pour découvrir notre pays et notre culture, ou de retrouver leurs familles dans leurs cadres de vie.
En second lieu, il faut que tous ceux qui travaillent en France puissent s'intégrer et aient accès à une égalité de droits sociaux et politiques.
De 200000 à 400000 sans-papiers vivent en France et la plupart des adultes travaillent pour des patrons qui abusent de leurs positions de faiblesse en les surexploitant, notamment dans le secteur du bâtiment, de la restauration, des services à la personne, du textile. Cette immigration irrégulière apporte des bénéfices à la France. Ces travailleurs sans-papiers verseraient chaque année dans les caisses de l'État 1,5 millions d'euros pour les retraites et l'Assedic (l'Humanité, 27 avril 2010). Il est normal de mieux protéger leurs droits de ces salariés en les régularisant, ce qui contribuera aussi à empêcher qu'ils représentent une concurrence déloyale tirant les salaires vers le bas pour les travailleurs français. Un point de vue purement utilitariste sur l'immigration permet de constater que les immigrés actifs remplissent des besoins sociaux, qu'ils permettent au solde démographique d'être positif et concourent ainsi à l'équilibre du système des retraites par répartition. Cette contribution des immigrés à la richesse nationale n'est pas que d'ordre strictement matériel et économique: elle se traduit aussi en terme de dynamisme et de créativité de notre culture. De manière générale, les échanges culturels et la confrontation à l'altérité nous enrichissent, rendent notre vie plus excitante et notre intelligence du monde plus profonde. Une bonne partie de la vitalité culturelle de la France, aujourd'hui comme au XXème siècle, lui vient des expressions artistiques et existentielles de ses immigrés, du croisement des traditions qui stimule l'invention. Si aujourd'hui les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, ont des centres d'excellence intellectuelle et de création culturelle extrêmement actifs, c'est en raison de leur politique d'accueil des étudiants et travailleurs étrangers, politique à laquelle la France a partiellement renoncé malgré son passé de puissance coloniale et ces outils de rayonnement culturel que constituent l'importance de la francophonie et le prestige de son histoire.
La troisième priorité d'une politique d'immigration de gauche doit être de maintenir la cohésion du corps social et préserver le niveau de protection sociale dans la société.
Cet objectif interdit qu'on pratique une politique purement humanitaire et permissive d'ouverture des frontières et d'acceptation sans conditions de l'expression des diversités culturelles. Elle exige que les immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants, ne soient pas parqués dans des ghettos de pauvreté sans mixité sociale et ethnique. C'est d'abord une politique sociale ambitieuse luttant contre les inégalités, la précarité, la ségrégation géographique, les discriminations au travail, l'échec scolaire des enfants des classes populaires, qui permettra aux jeunes issus de l'immigration de s'intégrer socialement et d'être acceptés par l'ensemble de la société. Cette ambition suppose aussi de cesser de stigmatiser systématiquement des populations d'origine étrangères en faisant croire que leur culture les rend quasiment inassimilables, incapables d'adhérer aux valeurs fondatrices de notre république, et expliquent leur propension à la délinquance, à l'incivilité, voire à l'échec scolaire et la paresse. Les causes du repli intégriste ou traditionaliste musulman, de la violence des jeunes d'origine étrangère, phénomènes qui ont tendance à être grossis artificiellement par les médias pour alimenter le besoin de sécurité et le vote de droite, sont avant tout de l'ordre du sentiment de l'exclusion sociale. Ceci dit, il est normal que la majorité de la population, en fonction de la culture politique et sociale traditionnelle dominante, définisse pour tous les résidents du pays des règles de vie collectives intangibles qui permettent la vie en commun, en particulier quand elles ont une valeur universelle et permettent le respect des libertés individuelles et la cohabitation pacifique des particularismes culturels et des traditions religieuses, comme les règles de la laïcité.
Les traditions libérales et multiculturalistes anglo-saxonnes qui admettent la totale expression des particularismes culturels dans l'espace public et le communautarisme paraissent contradictoires avec l'idée républicaine qui consiste à fabriquer du commun par l'émancipation des individus, personnes rationnelles capables de s'auto-déterminer, vis à vis des tutelles traditionnelles (église, famille, culture locale et coutumes ancestrales) et l'adhésion à des valeurs communes comme la liberté individuelle, l'égalité, la tolérance.
Le souci du dynamisme de notre société et de notre économie, de notre rayonnement international doit également conduire à relégitimer l'immigration.
La commission des Finances du Sénat a évalué au début de l'année 2010 le coût des expulsions de sans papiers pratiquées depuis l'accession à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy à 415 millions d'euros, soit 21000 euros par personne reconduite. Encore que ce montant, précisaient les sénateurs, « ne prend pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l'aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux ». (L'Humanité, 27 avril 2010). Au Royaume-Uni, une étude publiée par la London School of Economics, qui peut difficilement être soupçonnée de gauchisme, concluait que la régularisation des 618000 migrants vivant en situation irrégulière sur le territoire britannique rapporterait 4,6 millions d'euros aux caisses de l'État (mais elle menacerait sans doute certains intérêts économiques...).
Comme le disait le sociologue Eric Fassin à un journaliste de L'Humanité dans le numéro précédemment cité, il faut cesser d'opposer une politique de fermeté vis à vis de l'immigration inspirée par le réalisme économique et une politique d'ouverture inspirée par l'idéalisme moral: le cœur et la raison s'accordent pour refuser les expulsions massives de clandestins, associ