Lundi dernier, 26 mars 2012, j'ai assisté au Conseil Communautaire au côté des cinq ou six indignés de Morlaix décidés à observer - avant de rédiger un rapport public de diagnostic citoyen envoyé aux intéressés - le fonctionnement de cette assemblée d'élus désignés au suffrage indirect qui gère des sommes d'argent extrêmement importantes et prend des décisions lourdes de conséquences pour nos territoires dans un contexte où les rapports de force et le donnant-donnant se substituent peut-être trop souvent à des décisions et des débats portant sur l'intérêt général des habitants des 28 communes qui composent l'agglomération.
J'ai été choqué lors de ce conseil communautaire par l'attitude irrespectueuse et monarchique d'Yvon Hervé, qui avait déjà éclaté au grand jour en 2010 lors du départ du Fourneau et des Arts dans la Rue et de la gestion des revendications des agents techniques de Morlaix Communauté, et par l'absence de prise en compte et de prise au sérieux de la parole des élus qui soulèvent des interrogations ou ne pensent pas "comme il faut".
Les élus qui ne sont pas tous à l'origine des décisions dans le bureau exécutif et les commissions ont pourtant souvent un souci de travailler les dossiers pour honorer les responsabilités que la population et leurs pairs des conseils municipaux leur ont confiées et ils ont le droit et le devoir de poser de se poser des questions et de les soulever publiquement: le conseil communautaire n'a pas à se transformer en simple caisse d'enregistrement.
Heureusement, lundi, des élus de Plourin (Jean-Pierre Prigent, Jacques Brigant), de Plounéour Menez, des membres du groupe Idées (Michel Le Saint, Christine Prigent, Jean-François Huon) et du Front de Gauche (Martine Carn) furent là pour mettre un peu d'interrogation, de critique et de mise en perspective politique dans des propositions de décision présentées comme nécessaires techniquement et devant passer comme des lettres à la poste, sinon ce conseil communautaire n'aurait paru qu'une chambre d'enregistrement.
Jacques Brigant de Plourin a ainsi mis en avant au moment du vote du budget primitif qu'il était important pour Morlaix Communauté d'être une communauté d'investissement et d'agir sur les postes qui ramènent des retours de recettes fiscales tel que l'économie, l'habitat, ce qui implique des investissements fonciers conséquents. Il a affirmé que sur le pays de Morlaix, il y avait un déficit d'hébergement touristique de qualité (à part le camping de Carantec): selon lui la communauté doit être moteur pour agir sur ce secteur de développement. L'élu a aussi rappelé que la commune de Plourin (du moins la majorité municipale) était attachée à la voie de contournement sud-est.
Un élu de Plounéour Menez a dit qu'il s'opposait aux 440000 € de dotation au budget annexe pour la régie du port du Diben. Il a aussi fait part d'un manque de lien entre les conseils municipaux et les délibérations du conseil communautaire et, symboliquement, les élus de Plounéour ont décidé de soumettre à l'approbation de leur conseil municipal le budget de Morlaix Communauté. Depuis le conseil municipal de Plounéour Menez a rejeté à l'unanimité (moins 2 refus de vote) la dotation pour le port du Diben.
Michel Le Saint, qui n'a pas voté le budget, a regretté qu'il n'y ait pas eu en début de mandature un diagnostic partagé sur le territoire, la fiscalité, l'économie, le social, l'environnement. Selon lui, les politiques proposées au niveau de Morlaix-Communauté ne prennent pas assez en compte le problème de la précarité: la question de la gratuité doit être posée au niveau des transports et la précarité énergétique doit égaloement être prise en compte. Le développement des activités ne doit pas accentuer les déséquilibres et les inégalités entre territoires selon lui et contredire le soutien à la démocratisation de la culture, au financement du secteur petite enfance, de la cohésion sociale. Il a rappelé qu'il aurait été pour mettre en place un système d'abattement qui rende les taxes de Morlaix-Communauté plus redistributives. Par rapport au méthaniseur de Guerlesquin installé pour le profit d'une entreprise privée et d'agriculteurs avec des fonds publics, M. Le Saint s'est étonné que l'on achète des terrains à la famille Tilly pour installer une structure qui profitera à Tilly.
L'élu de Plourin membre de la commission Transports, Jean-Pierre Prigent, a affirmé son opposition à la gratuité des transports (la mobilité n'a pas de prix mais à un coût supporté par tous les citoyens imposables) tout en demandant que l'on augmente les dessertes et la régularité des bus. Là n'est pas notre avis: s'il faut évidemment pour des raisons environnementales et de solidarité sociale et inter-générationnelle augmenter de manière importante les possibilités de prendre des bus ou des mini-bus communautaires réguliers et desservant une pluralité de communes - Morlaix Communauté doit également réfléchir à une tarification sociale et incitative qui pourrait aller jusqu'à la gratuité. JP Prigent a ensuite fait une rapide allusion il me semble à la question de la DSP dans les transports.
C'est alors qu'Yvon Hervé s'est emporté: "Toutes ces longues prises de parole, c'est lourd. Il va falloir accélérer, il est déjà 23h... Il y a beaucoup trop de temps morts, de répétitions, de relances, qui rendent la multiplication des délibérations du conseil communautaire impossibles".
La menace a été clairement agitée: en cas d'obstruction persistante des "mauvais esprits" ou des opposants obstinés à soulever "des problèmes" sur chaque question, il faudrait régler toujours plus de questions en comité restreint, c'est à dire en bureau exécutif entre maires et vice-présidents. Yvon Hervé s'est presque félicité au passage de la réforme des collectivités territoriales qui pourrait réduire le nombre d'élus communautaires si elle n'est pas abrogée.
Jean-François Huon et Martine Carn, du collectif citoyen Front de Gauche, ont répliqué en demandant le droit de proposer, le droit d'être respectés dans leurs prises de parole pour des conseillers municipaux qui faisaient l'effort de venir au Conseil Communautaire sans faire parti de la commission exécutive et qui devraient pouvoir travailler et faire vivre le débat sans se contenter de voter docilement et sans commentaire ni demande de renseignements complémentaires les décisions du bureau exécutif. Martine Carn s'est insurgée contre la propension aux remises en place suffisantes et aux brimades d'Yvon Hervé: "La parole est peut-être monopolisée par certains mais c'est normal que l'on demande des éclaircissements. Moi je le dis aujourd'hui. Je n'ose plus intervenir. Ce n'est pas normal!".
Ensuite, a eu lieu le vote des subventions aux associations pour la jeunesse, l'insertion sociale et la culture, lors duquel Jean-François Huon a remarqué que la subvention aux Restos du coeur n'était pas tout à fait à la hauteur de l'augmentation des besoins (+17% de bénéficiaires cette année, diminution des dons lors de la collecte organisée il y a 15 jours) tandis que Michel Le Saint regrettait lui que la subvention allouée à La Baie des Livres, l'association organisant un salon du livre jeunesse en décembre prochain à Saint Martin des Champs ne soit que de 3000€ malgré l'ambition du projet et ses retombées possibles en termes d'activités scolaires, de démocratisation de la culture, d'image de la région à l'extérieur. La demande de subvention était de 10000€.
Christine Prigent (Idées) a pour finir lu un argumentaire co-signé par 5 élus pour demander aux élus communautaires d'autoriser une consultation de la population sur l'opportunité ou non de retenir le projet de port à flot du Diben approuvé majoritairement par les élus le 27 février dernier. Voici ce texte qui me parait formuler une exigence de démocratie légitime en demandant une consultation de tous les citoyens de l'agglomération en même temps que des réserves qui me paraissent justifiées sur le bien-fondé économique, social et environnemental du projet.
En même temps, ce texte a peut-être le tort de préjuger de la réponse qu'il faudra donner et qui serait donnée à cette consultation, de ne pas poser préalablement la question de la nécessité ou non d'un port sur la côte tregoroise et de ne pas parler des alternatives possibles éventuelles au projet de port à flot présenté par Morlaix Communauté.
Demande de consultation pour le port du Diben signée par 5 élus: Christine Prigent Michel Le Saint, Jean-François Huon, Jean-Philippe Bapceres, Martine Carn.
Le Conseil de Communauté a approuvé le 7 février 2011 le programme d'aménagement du port du Diben à Plougasnou par 50 voix pour. 30 élus ont voté contre ou se sont abstenus.Ce projet est aujourd'hui évalué à 23,5 millions d'€, sans compter les dépenses connexes mentionnées dans la délibération mais non chiffrées par le bureau d'études, estimées il y a quelques mois par le vice Président en charge du projet à 6 millions d'€. Au total, le coût du projet avoisinera (ou dépassera, en cas de "mauvaise surprise" dans l'extraction du gabbro) 30 millions d'€. Déduction faite des financements extérieurs, il restera au minimum un coût d'investissement de 20 millions d'€ à charge de Morlaix Communauté, à financer par un emprunt à long terme. Dans l'attente de ces financements, la communauté devra également porter pendant deux ou trois ans un emprunt relais de 10 millions d'€. Au total, ce sont donc bien 30 millions d'€ qu'il faudra emprunter, ce qui fera passer la dette de Morlaix communauté par ménage d'un peu moins de 50 € aujourd'hui à plus de 500 €. Les recettes de fonctionnement du port ne permettront évidemment pas de rembourser le capital de cet emprunt. Le budget général sera donc mis à contribution pour équilibrer le budget du port, pour un montant annuel compris entre 1 et 1,5 million d'€.
En pleine crise économique, financière, sociale, énergétique...la décision a été prise d'engager la collectivité dans cette dépense au détriment d'actions massives en direction des économies d'énergie, bien plus créatrices d'emplois et bénéfiques à l'ensemble de la population.
Considérant l'ampleur du projet, son incidence à long terme et le fait qu'il n'a jamais été soumis aux citoyens contribuables de l'ensemble du territoire communautaire, nous demandons à Monsieur le Président de Morlaix Communauté d'organiser très rapidement un référendum, afin de demander l'avis de la population sur cette question. Si un référendum ayant valeur décisionnelle n'est pas possible légalement, une consultation de la population est néanmoins éminemment souhaitable ; le résultat d'une telle consultation ne sera pas juridiquement contraignant pour la communauté, mais il n'en sera pas moins fort éclairant pour les élus.
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Yvon Hervé a balayé d'un revers de main cette demande de consultation de la population, en faisant croire à tort que l'élection au suffrage indirect de sa majorité au conseil communautaire s'était faite sur un contrat programmatique avec la population comprenant la réalisation du port du Diben. "Non, non, non, on ne va pas se proncer ce soir sur un problème de consultation de la population, a t-il dit d'un ton péremptoire. Il est hors de question d'y recourir". "Aujourd'hui, nous sommes chacun sait dans une saison d'élection, chacun pourra compter ses forces sur l'agglomération et savoir ce qu'il représente" a t-il encore asséné pour clore le débat.
Guy Pouliquen, l'élu en charge de dossier Port du Diben, a mis en avant des arguments légaux, à savoir qu'un projet de consultation exigeait soit d'être demandé par un maire ou un président de la République - et le référendum avait alors une valeur décisionnelle - soit d'être porté par 20% des électeurs inscrits, et approuvé par les élus communautaires, ceux-ci pouvant ensuite se réserver le droit de ne pas suivre l'avis dominant émanant de la consultation. Il a affirmé que beaucoup d'habitants de Plougasnou voyaient d'un bon oeil ce projet de port à flot et que l'on trouverait toujours du côté des écologistes des anti-tout - anti-économie, anti-développement - alors que le défi était de marier en juste noce économie et écologie. Pour certains, "on ne pourrait pas même faire un hôpital s'il y avait un arbre à couper"...
C'est sur ces paroles de haute tenue que s'est terminé ce conseil communautaire qui a manifesté de manière éclatante l'arrogance de quelques barons locaux, y compris issus des rangs de la gauche (PS) et toute l'étendue des progrès qu'il faudrait réaliser pour rendre plus démocratique, et moins basée sur la délégation de pouvoir absolue, cette institution. Les citoyens devraient davantage se préoccuper d'assister à ces assemblées pour entretenir un climat moins consensuel et réintroduire un peu de débat politique au milieu des enjeux de pouvoir et de copinage.
Ismaël Dupont
Ouest France, Mardi 27 mars 2012