Première introduction au débat par Ismaël Dupont
Face à la crise sociale en Europe, en France et en Bretagne, quelles réponses politiques ?
La crise...
Faut-il parler de crise quand depuis la fin des années 1970, ce terme de « crise » sert à bâtir de la résignation et du renoncement face au recul des droits sociaux, au chômage, et à transformer une évolution du rapport de force entre le capital et le travail, liée à une mondialisation libérale qui est l'effet de choix politiques et économiques, en réalité naturelle fatale contre laquelle on ne pourrait rien mais qui nécessiterait toujours plus d'adaptations, c'est à dire de régressions sociales ?
La crise fait baisser les yeux, fait baisser la tête, décourage la revendication, la lutte sociale... Elle transforme les lions indomptables en moutons apeurés et désorientés...
On peut penser à l'émission d'inspiration reaganienne de Montand et Tapie, intitulée cyniquement « Vive la crise », qui cherchait à faire accepter des remises en cause du droit social et de l’État-providence au nom du dynamisme économique et de la défense des créateurs de richesse de la libre entreprise.
Si nous sommes au cœur d'une crise, ce n'est pas une crise de la production mais une crise du partage des richesses, au sens la société devient de plus en plus inégalitaire et violente pour les individus et les familles: les souffrances et les privations des plus modestes augmentent, le pouvoir d'achat et les conditions de vie du grand nombre régressent en France et Europe, où les jeunes peinent à avoir du travail, à avoir des contrats en rapport avec leurs qualifications, où le chômage touche de un sixième à un cinquième de la population active.
S'il y a crise et crise grave...
C'est aussi au sens où notre mode de vie collectif et notre mode de développement économique ne garantissent pas une pérennité de la nature, de notre environnement, et dégradent avec une gravité croissante la qualité des conditions de vie des hommes sur terre, avec le pillage et la raréfaction des ressources naturelles périssables, la pollution, le réchauffement climatique, les catastrophes causées par notre hubris et par les logiques d'ostentation, de consommation excessive et de libre-échange portées par le capitalisme.
C'est enfin au sens où beaucoup de gens autour de nous ont le sentiment de ne plus avoir grand chose à attendre du politique ou de l'action collective (syndicale ou autre) : du fait des renoncements et du sentiment d'impuissance et d'absence de crédibilité donné par les pouvoirs politiques démocratiques, à cause de décennies de défaites sociales, des logiques de division et de ressentiment portées par l'isolement et les nouvelles formes de domination au travail, par la concurrence, les souffrances sociales, le discours des mass médiasau service du capital qui passe leur temps à détourner la colère des gens vers des boucs-émissaires (immigrés, Roms, fonctionnaires, assistés, chômeurs, minorités...) plutôt que vers les vrais responsables et profiteurs d'un système qui les aliène. La progression des idées xénophobes et intolérantes de la droite et de l'extrême-droite est à la fois un effet et un levier de la prise de pouvoir du Capital.
Cette crise protéiforme (économique, sociale, politique, culturelle, environnementale) est donc moins une crise conjoncturelle, un événement soudain, pathologique, et imprévisible, qu'une évolution dramatique, dévastatrice, mais néanmoins normale d'un système capitaliste de plus en plus pur, dominateur, mondialisé et financiarisé, dont les logiques prennent l'ascendant dans tous les secteurs de la vie économique, sociale, politique, culturelle.
Le capitalisme met les sociétés en crise mais n'est pas en crise lui-même: il prospère plus que jamais à sa manière naturelle, violente et instable, en absorbant ses marges (les économies et les ressources des états les moins développés aux pouvoirs corrompus, les ressources naturelles, le vivant, la culture, la communication, les systèmes de protection sociale solidaire...) .
Il les met en crise... en produisant la destruction des emplois, des droits sociaux obtenus de haute lutte par les travailleurs (ses 60 dernières années) , en remplaçant partout des logiques de solidarité et de communauté par des logiques de concurrence et d'individualisme, en réduisant à presque rien la souveraineté des citoyens, bafouée quotidiennement par des hommes politiques et des institutions technocratiques internationales aux ordres de la finance et de la bourgeoisie.
En 2008 pourtant, l'éclatement spectaculaire de la bulle de l'économie spéculative (immobilière et assurancielle notamment) aux Etats-Unis et en Europe ont provoqué, le temps d'un gigantesque hold-up au cours desquels les Etats ont dévalisé les contribuables pour venir en aide aux banques et aux institutions financières, une prise de conscience et un espoir : on allait enfin réduire l'emprise des logiques spéculatives sur l'économie réelle, mettre les banques et la finance au pas, réguler le marché mondial, les mouvements de capitaux, réintroduire la souveraineté du politique sur l'économie...
Que nenni ? Ce fut un rideau de fumée. Six mois plus tard, les économistes mondains, d'argent et de pouvoir, comme Jacques Attali, reniaient leur reniement de Saint Pierre: ce n'était plus à cause de l'ultra-capitalisme, de la toute-puissance de la finance et des choix politiques libéraux qu'on était en crise, mais à cause de la dette et du manque de compétitivité, eux-mêmes créés par la trop grande « générosité » de notre système social et de nos salaires et protections collectives.
La dette, qui a été multipliée par deux en France à cause des conséquences récessives de la crise financière, qui est structurellement liée aux politiques d'allègement d'impôts pour les riches et les entreprises, et à la nécessité pour l'Etat d'emprunter auprès des banques privées, est devenue une arme de propagande brandie contre la défense et l'amélioration des services publics et des droits sociaux, et pour faire accepter le recul des solidarités.
En France, la population s'est tout de même rendu compte, comme elle l'a montré notamment en 2010 à l'occasion de la réforme des retraites, qu'il y avait maldonne, qu'on tentait de lui faire prendre des vessies pour des lanternes.
Grâce au Front de Gauche, la campagne présidentielle de 2012 s'est joué essentiellement sur le thème de l'égalité, de la justice sociale, de la lutte contre la toute-puissance de la finance et les dérives oligarchiques.
Même si nous savons que notre projet dans cette élection était le seul susceptible d'ouvrir un espoir de sortie de la crise sociale et européenne actuelle, nous avons pu percevoir en même temps, que même si nos idées et analyses étaient en résonance avec les préoccupations et l'expérience des citoyens, il nous reste beaucoup de chemin à faire pour convaincre qu'on était en capacité, nous, de faire bouger les choses dans le bon sens.
Les gens ont choisi en préférant Hollande et le PS à Mélenchon et le Front de gauche le moindre mal contre la plus haute espérance. Ils avaient aussi des doutes sur la faisabilité de nos (re)conquêtes sociales et politiques au vu des contraintes institutionnelles européennes, et surtout des contraintes économiques internationales liées à la mondialisation.
Le système est mauvais et on en souffre, chacun s'en accorde, mais peut-on réellement en changer ou le changer ? Là, les gens sont davantage dans le doute. En même temps, le sens de la résistance sociale s'est perdu chez beaucoup, du fait des nouveaux modes d'organisation du travail.
Car pour la population, force est de reconnaître qu'il y a peu de contre-modèles, plus de système alternatif aux contours clairs proposé par l'histoire ou une théorie mobilisant les masses.
Un an et demi après l'élection présidentielle on a le sentiment de n'avoir pas progressé d'un poil, pire d'avoir régressé.
Car le gouvernement socialiste, loin d'offrir des perspectives de progrès social et de mettre en mouvement la population pour conquérir des droits, mène une politique néo-libérale de soumission à la doxa capitaliste de Bruxelles et au service du monde de l'entreprise et de la finance. Cette politique jette des millions d'électeurs dans la désespérance, le dégoût de la politique, et aussi dans les bras du Front National.
En même temps, l'échec des sociaux-démocrates était attendu du côté du Front de Gauche: on savait beaucoup de responsables socialistes très proches du monde de l'argent, convertis au social-libéralisme, et, sans remise en cause globale des logiques du système, sans tentative pour installer un autre rapport de force vis à vis des pouvoirs financiers à base de mobilisation populaire, de rupture avec les traités libéraux de l'UE, de rétablissement de l'égalité par la loi et l'impôt, la gauche d'accommodement se condamne à l'impuissance et à la défaite. Dans ce monde du capitalisme mondialisé, la social-démocratie est un projet dépassé : il n'y a plus vraiment de moyen terme entre une politique pro-capitaliste et une politique de rupture et d'affrontement avec les logiques du capitalisme.
On en est là ! La droite et l'extrême-droite s'offrent même le luxe de reprendre à leur compte la rhétorique et les symboles de la révolution ou de l'insurrection populaire pour défendre les patrons, le droit de polluer librement, une conception de la famille et de la société réactionnaire.
Cela nous donne une transition toute trouvée avec les luttes sociales en Bretagne autour des fermetures d'activités et des suppressions de postes qui se succèdent dramatiquement dans l'agro-alimentaire.
Depuis plusieurs mois, les salariés de l'agro-alimentaire qui font face à la destruction programmée de leurs emplois, se battent courageusement pour garder l'activité, convaincre de sa pérennité possible, en travaillant avec les politiques de tous bords, les paysans, les patrons, mais aussi en affrontant clairement leurs employeurs ingrats qui les sacrifient sans état d'âme après les avoir exploité pendant des années pour tirer la plus-value.
L'urgence est à la sécurisation de ces emplois en Bretagne. Le gouvernement doit s'engager plus qu'il ne le fait. Il ne doit pas céder devant les forces de marché, alimenter le laisser-faire, livrer l'agriculture et l'agro-alimentaire breton à la concurrence très faussée au niveau mondial.
En même temps, il y a devant nous le vaste chantier de la réorientation du modèle agricole et agro-alimentaire breton, pour produire une alimentation de qualité pour tous, destinée prioritairement au marché national, s'affranchissant des logiques ultra-productivistes tout en continuant à créer de l'emploi.