Morlaix, c'était quand j'étais enfant la ville de mes grands-parents, résidant dans un immeuble de la rampe Saint Augustin, lui artisan peintre et petit patron à la fibre de gauche, laïque, dont le père était de sensibilité communiste et qui en avait gardé des principes d'honnêteté et la résolution rare de pas se payer davantage que ses employés. Nous partagions une commune passion pour le football et c'était la seule oreille attentive avec celles de mes frères pour écouter narrer les exploits du FC Nantes. Très sociable, délégué DDEN, il connaissait tout le monde, les édiles de gauche et de droite en particulier, et nous racontait un nombre d'anecdotes incroyable avec un joli sens de la narration. Mamie, née dans le quartier de la Madeleine où je vis maintenant, fille de cheminot, ne sortait guère de chez elle car elle était casanière mais elle illuminait par sa bienveillance et sa gentillesse. C'était aussi la ville de plusieurs oncles et tantes, de mes cousins, la ville où mon père venu de Saint Pol de Léon avait fait sa terminale à Tristan Corbière après avoir fui le Kreisker et vécu à 18-22 ans, à l'époque du combat pour Plogoff dans lequel il était très engagé, avec sa sensibilité écologiste de gauche. En m'y installant avec ma famille il y a six ans, venu de Normandie où l'Education Nationale m'avait envoyé travailler comme prof de philo à Mortain, j'ai redecouvert cette ville à l'intense poésie et à la beauté émouvante quand on la voit d'une hauteur, marchant dans les venelles, avec un ciel bleu lumineux délavé par les pluies de la nuit ou de la journée. Comme l'histoire me passionne, et en particulier l'histoire bretonne et le passé des lieux où je vis, j'ai voulu retracer pour mieux la connaître moi-même la quinzaine de siècles d'histoire de Morlaix. On parlera ici surtout de l'histoire politique, économique, militaire, religieuse, des grandes tendances, des figures marquantes, des notables, des évènements qui ont laissé une empreinte au moment où ils se sont produits et pour l'avenir. Mais nous faisons ce chemin à travers les siècles également pour retrouver un peu du cadre de vie et du quotidien des obscurs, et pour ce qui me concerne, de quelques uns de mes ascendants de la région, un tonnelier de Pleyber-Christ mort assommé par une barrique devant la Manu, une arrière arrière grand-mère Moisan asphyxiée au gaz de retour d'Indochine dans la rue du Mur, de papetiers de Plourin et Pleyber-Christ, de paysans du Léon: ces Jaffrès, Spagnol, Malgorn, Fouillard, Gorgeu, Huet, Rideler, Guenon qui vécurent à Plouvorn, Saint Martin, Taulé, au Cloître St Thégonnec au 18e siècle. L'histoire permet de ressusciter les morts et de vivre d'autres vies que la sienne. Elle est un voyage toujours recommencé, qui enflamme l'imagination. Elle donne de la hauteur, le sens du relatif, permet de prêter attention à la précarité des choses humaines, aux permanences et aux cycles, comme aux progrès irréfutables et irreversibles. Elle nourrit aussi la passion pour l'action en nous offrant des exemples de grandeur et en donnant de la profondeur d'héritage à une situation vis à vis de laquelle nous devons nous situer sans l'avoir choisie. Elle justifie l'effort d'être à la hauteur de sa tâche qui s'impose à nous. Je livre ici la première partie de mes notes, qui relèvent essentiellement d'un travail de compilation à partir de lectures auxquelles je dois tout, n'ayant pas fait de recherche personnelle dans les archives moi-même. J'espère que ce petit exposé de l'histoire de Morlaix ne comportera pas trop d'erreurs et sera de lecture agréable et instructive.
Ismaël Dupont
De la fondation de la ville à l'âge classique
Une histoire de Morlaix, première partie
Par Ismaël Dupont (compte rendu de lectures)
Naissance de la ville.
A l'époque romaine, Morlaix est probablement un petit castrum au croisement de voies de communication importantes. L'emplacement actuel de la ville se situe sur la voie romaine qui longe le nord de la Bretagne et relie Suindinum (Le Mans) à la pointe septentrionale du Finistère par Jublains, Corseul, Reginea (Erquy), Gesobrivate (Brest). Outre cette grande pénétrante, Morlaix donne accès à sept voies secondaires différentes, notamment celle conduisant à Quimper. La première fondation de la ville de Morlaix est aussi liée sans doute à la nécessité de franchir la rivière à guet, qui fixe l'habitat à l'époque romaine (Toute l'histoire de la Bretagne des Origines à nos jours, Skol Vreizh – p. 79-80).
La position de Morlaix présente des avantages stratégiques indéniables: « un vaste plateau couronné de forêts, dominant deux vallées et commandant l'extrémité intérieure d'un havre profond et sinueux, au confluent de deux rivières, au point aussi où les premières routes qui, suivant parallèlement la côte, franchissaient ces rivières » (Joachim Darsel, Histoire de Morlaix des origines à la Révolution – Le Bouquiniste, 1997).
Au début de son livre Bretagne d'hier. Morlaix, tome 1, l'érudite et historienne de Morlaix, Marthe Le Clech fait état des témoignages inégalement fiables que nous avons sur la fondation de la ville:
« Le Morlaisien Albert le Grand, le père de l'historiographie bretonne, dans son livre paru en 1636, « Vies, gestes, mort et miracles des Saints de la Bretagne Armorique » indique qu'à l'époque romaine le port s'appelait Hanterallen et l'oppidum Julia. » Seulement, Albert le Grand s'appuyait sur le témoignage d'un certain Conrad, censément archidiacre de Salsbury, aumônier du roi d'Angleterre Henri II Plantagenet et on se demande si l'écrit de celui-ci n'était pas une supercherie historique antidatée.
Marthe Le Clech nous apprend que « le premier document conservé où figure le nom de Morlaix est l'Acte de Fondation de Saint-Martin rédigé en latin. Le 12 mars 1128, le Vicomte Hervé de Léon fit don aux moines de Marmoutier d'une terre « juxta Castrum meum, quod vocatur Mons-Relaxus » (auprès de mon château-fort qui est appelé Morlaix). « Comment traduire Relaxus? … Là aussi les avis divergent. Faut-il traduire par Mont ample, vaste, large ou étendu? Mont découpé? La colline du Château s'étend effectivement en direction de Plourin ».
Morlaix appartient à ces villes bretonnes qui se développent « au fond des abers » comme Dinan, Lannion, Landerneau, Quimper, « correspondant au point extrême que les navires peuvent atteindre à marée haute. « C'est aussi le lieu où il devient possible de construire un premier pont, en raison du rétrécissement du lit des cours d'eau » (Bretagne une histoire, Louis Elégouet, CRDP de Bretagne). Du coup, c'est un passage obligé pour les échanges, qu'il devient avantageux de contrôler et de protéger pour la noblesse féodale.
C'est ainsi une ville qui se développe au pied d'un château comme Dinan, Auray, Fougères, Guérande, Guingamp, Hennebont, Pontivy, Vitré, etc.
Morlaix, c'est le Jarlot et le Queffleut qui forment de grandes vallées à l'abri des collines de Kernéguès, de Saint-Martin et de la Madeleine, et se rejoignent pour former le Dossen rejoignant la mer. « Trois collines? , écrit Robert Le Goff dans sa préface au livre d'Anne Guillou sur La manufacture des tabacs . La vieille chanson morlaisienne a simplifié le décor pour faciliter la rime. Disons plutôt trois grands plateaux séparés par le creusement du cheminement des eaux. Au nord-est, le Trégor, au sud-ouest, le Léon, et au sud tout court les monts d'Arrée qui commencent à s'élever dès la sortie de la ville ».
Une ville médiévale prospère exposée aux ravages de la guerre.
Une ville commerçante et religieuse passée sous la dépendance des ducs de Bretagne au XII e siècle
Ville « fluvio-maritime » (Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532), Morlaix bénéficie au Moyen-âge d'un arrière pays agricole assez riche qui fournira des céréales, du lin et du chanvre, des produits textiles manufacturés, du papier aux commerçants, lesquels font aussi vivre des prêteurs. Ce port de fond de ria peut aussi redistribuer des produits importés, au premier rang desquels le vin. La pêche à la morue, aux merlus, aux congres et la salaison des poissons doivent aussi constituer une ressource importante pour Morlaix dès l'époque médiévale.
A la fin du 12e siècle, Morlaix, dont s'empare le souverain Henri II Plantagenet en 1187, passe des mains des comtes de Léon au duc de Bretagne, d'ascendance capétienne.
Auparavant, en 1179, Geffroy Plantagenet avait confisqué le Léon au comte Guyomarc'h IV et la châtellerie de Morlaix-Lanmeur était revenu au domaine ducal. Guyomarc'h V, le successeur de Guyomarc'h IV, vicomte du Léon, parvint provisoirement à reprendre Morlaix avec l'appui de la population locale mais l'année suivante Henri II, roi d'Angleterre, assiégea Morlaix et malgré une résistance de neuf semaines contre l'anglais, la ville, réduite à la famine et bombardée par des engins lanceurs de pierre, dut se rendre. C'était le début d'une histoire tour à tour extrêmement conflictuelle puis riche d'échanges avec les Anglais, qui a fortement marqué le visage et l'évolution de la ville.
Joachim Darsel, dans son remarquable ouvrage sur l'histoire de Morlaix avant la révolution, décrit ce à quoi ressemblait la ville au XIII e siècle, quand elle passe sous l'autorité des ducs de Bretagne:
« Que représentait Morlaix à la fin du XIIIe siècle? Bien peu de chose sans doute. D'abord un amas de maisons tapies à l'ombre protectrice du château, puis côté Léon, un gros faubourg: celui de Bourret (Saint-Martin et la Villeneuve); deux autres, côté Tréguier, le Viniec (Créac'h Joly, les Ursulines) et Saint-Mélaine, tous séparés de la ville par des ponts; enfin trois prieurés: ceux de Saint-Mathieu, de Saint-Mélaine et de Saint-Martin, fondés par les vicomtes de Léon et accordés aux abbayes de Fineterre, de Rennes et de Marmoutiers » (p.19).
La ville compte alors depuis une époque récente un édifice religieux imposant: le couvent des Dominicains, dit couvent des Jacobins (l'ordre s'était placé sous la protection de Saint Jacques), avec la magnifique rosace de sa maîtresse vitre. Dominique Guzman, le fondateur de ce célèbre ordre mendiant, prédicateur castillan, était venu à Morlaix en 1213 et la ville fut appuyée pour accueillir ce couvent qui fut une école où ont fait leurs premières études des intellectuels renommés de l'époque comme le théologien Hervé Nedelec, docteur de l'Université de Paris, général de l'ordre des Dominicains qui canonisa Thomas d'Aquin et composa 250 ouvrages de théologie. Ce couvent des Jacobins reçut plus tard des hôtes de marques: la reine Anne (en 1516), Marie Stuart (en 1548), les parlementaires des Etats de Bretagne (en 1772).
L'autre grand bâtiment religieux de la ville, l'église Notre-Dame-du-Mur, « centre de la vie religieuse, commerciale et civile de la cité » (Joachim Darsel), est consacrée en 1295. «Cette même année, le duc transférait au Mur la Confrérie de la Trinité, primitivement établie à Saint-Mathieu. Cette confrérie, qui aurait été une union de prières établie entre les moines, le vicomte de Léon et certains particuliers, se transforma en compagnie de commerce. Elle groupa les marchands de toile et tisserands, car Morlaix, jusqu'au début du 19e siècle, fut gros centre de fabrication et d'exportation de toiles ». La confrérie devint particulièrement riche en délivrant des sceaux d'authentification pour la qualité des toiles, en prélevant des amendes sur les fabricants exposant des produits défectueux, et grâce aux dons de ces membres, les notables de la ville. Notre-Dame-du-Mur, qui a disparu du fait des conséquences du démantèlement des biens religieux sous la révolution, était doté d'un clocher, chef d'œuvre de l'art gothique et rival du Kreisker. L'église était haute de 85 mètres en tout, contre 77 mètres pour le kreisker, et comme elle était déjà construite à flanc de colline, sa tour servait de repère aux navigateurs entrant dans le port de Morlaix.
Dès le début du XIVe siècle, les marins de Morlaix commercent avec les ports de Normandie et des îles anglo-normandes, avec l'Angleterre et la Gironde. De nombreux bateaux bretons fréquentent le port de Bordeaux au début du XIVe siècle: ils viennent de Morlaix comme de Nantes, Saint-Malo, Audierne... Les marins de Morlaix transportent aussi des marchandises pour des négociants d'autres régions: « on voit par exemple des Morlaisiens transporter du vin de La Rochelle en Flandre pour le compte d'un marchand florentin » (Louis Elegouet, Bretagne une histoire). En 1463, Jean Calloët, un marin commerçant de Morlaix, voit sa caravelle descendant au sud de l'Espagne chargée de draps, de toiles, de froment, intercepté par des pirates du pays Basque, et toute sa marchandise confisquée (Bretagne une histoire, Louis Elegouet, p.106). En 1533, à Arnemuiden, un avant-port d'Anvers, 815 navires sur 995 enregistrés sont bretons... Les Bretons, et parmi eux, les Morlaisiens sont les grands rouliers de l'Europe occidentale, avec leurs bateaux à faible tonnage.
On construit des nefs ducales dans des chantiers naval (au Dourduff probablement, mais aussi peut-être directement sur les quais) comme à Brest et Saint-Malo.
Une ville frondeuse: fin XIV e siècle, Morlaix dans la guerre de succession de Bretagne.
La guerre civile Blois-Monfort, dite guerre de succession de Bretagne, un épisode terrible de la guerre de Cent ans, va mettre provisoirement fin à cette prospérité naissante de Morlaix. Jean III le duc de Bretagne était mort sans laisser de testament: Jean de Montfort, son frère, disputa la succession à Jeanne, sa nièce, épouse de Charles de Blois, neveu du roi de France. La France prit parti pour Jeanne, le roi d'Angleterre pour Montfort. Morlaix pris le parti de Blois et lui demeura fidèle.
En 1363, Morlaix accueille Du Guesclin alors qu'il marche avec ses compagnies françaises sur la Cornouaille. L'année suivante Charles de Blois est tué à la bataille d'Auray. Le duc Jean de Montfort vient symboliquement marquer sa souveraineté sur Morlaix en 1366 et pour amadouer les bourgeois ayant préféré son rival, il pose la première pierre du portail de Notre-Dame du Mur. Mais quand la Bretagne se révolte contre Jean, Morlaix est une des premières villes à entrer dans l'insurrection. La garnison anglaise de 300 hommes, qui tenait la ville pour le nouveau du duc de Bretagne, est chassée avec l'aide des troupes de Du Guesclin. Mais quand Du Guesclin s'éloigne de Bretagne, le duc Jean de Monfort et les Anglais reconquièrent le terrain. Jean IV reprend la ville de Morlaix en 1374. Avant son entrée dans la ville, les bourgeois de Morlaix, craignant que la population fut massacrée et la ville payée, envoie au duc honni vingt-neuf hommes chargés de payer pour la ville, vingt-neuf bourgeois se sacrifiant pour éviter le pillage de la ville. Le duc les fait pendre à des gibets sur la Roche Coroller (actuellement venelle de la Roche). « En quittant Morlaix, Jean IV laisse une troupe anglaise de 800 hommes dont les cruautés poussèrent les Morlaisiens à une nouvelle révolte en 1376. Ils appelèrent les Français qui les aidèrent à exterminer la garnison » (Joachim Darsel, Histoire de Morlaix des origines à la Révolution). Mais le second traité de Guérande, en 1381, rend la ville de Morlaix au duc.
Vers 1375-1376, la fin de la guerre civile bretonne qui a duré en tout vingt ans a ruiné la province et ravagé Morlaix et sa région.
« A Saint Pol, la chapelle Notre-Dame du Kreisker a été totalement brûlée, le couvent des Carmes profané, et plusieurs années après, toutes les traces du passage des armées ne sont pas encore effacées. En 1431, les bourgeois se plaignent toujours d'avoir une cathédrale « choiste en ruine »... Les couvents des Dominicains de Morlaix, de Quimperlé sortent appauvris de la tourmente, dépouillés de leurs trésors et de leurs manuscrits précieux » (Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, p.126).
Villes et campagnes ont terriblement souffert des pillages comme des sièges, qui n'ont respecté ni églises ni abbayes et la marine marchande a sombré dans la tourmente de cette traduction régionale de la guerre de cent ans. Le sort de la région de Morlaix n'est pas différent de celui de l'ensemble de la Bretagne, à l'issue de cette guerre de succession de Bretagne qui a provoqué brigandages, mauvaises récoltes et disettes: la Bretagne, qui comptait 1,2 million d'habitants vers 1390 n'en contient plus qu'un million vers 1450.
A la fin du XIVe siècle, Morlaix compte un peu plus de 4000 habitants (comme Fougères, Guérande, Quimper, Vitré), derrière Vannes et Dinan (5000 habitants), Rennes (13000 habitants) et Nantes (14000 habitants). En dehors de l'enceinte fortifiée, la ville doit garder un aspect champêtre, avec des jardins, des prairies et des vignes.
XVe siècle: essor maritime et commercial de Morlaix
Au 15e siècle, Morlaix est donc une des 8 villes bretonnes qui comptent, même si, de manière générale, la population des villes bretonnes n'est pas très impressionnante par rapport à d'autres régions, les citadins ne représentant que 7% de la population bretonne. On apprend en lisant Marthe Le Clech (Bretagne d'hier, Morlaix tome 1) qu'elle compte en 1491 165 cabarets pour 4000 à 5000 habitants. Le commerce du textile, la fortune des armateurs génèrent un embellissement de la ville. Davantage de taxes indirectes et d'impôts rentrent: les recettes de la municipalité passent de 500 à 1000 livres à la fin du XV e siècle.
Aspect de la ville au XVe siècle.
En 1418, Vincent Ferrier, le futur St Vincent Ferrier, prêche pendant 15 jours à Morlaix du haut de la rue des fontaines, auprès de l'hôtel-dieu, avec sa voix forte que l'on entendait dit-on de la colline d'en face, près du château.
Au milieu du XVe siècle s'installe une nouvelle fondation pieuse à Morlaix, le monastère des Cordeliers, installé à l'emplacement de l'actuelle maison de retraite Saint-François, au milieu de la forêt de Cuburien, les moines Cordeliers faisant office de soignants pendant les épidémies.
L'enceinte fortifiée de Morlaix mesure un peu plus d'un kilomètre. Elle compte cinq portes avec pont-levis. La dernière, celle du Bourret (entrée de notre rue de Brest), fut détruite en 1854. Joachim Darsel explique que cette enceinte fortifiée « prend naissance au pied du château, s'accroche au roc qui domine le Queffleut (actuel chemin de l'hospice) et depuis le pont Bourret (entrée de la rue de Brest) suivait le cour de cette rivière (sous la place Emile Souvestre) prenait à droite vers la porte Notre-Dame (jusqu'à l'hôtel d'Europe), rejoignait le cours du Jarlot qu'elle remontait par la Tour d'Argent, la rue des Lavoirs puis remontait par le Dossen, et la porte Saint-Yves » (en haut de la rue du Mur) ».
Le faubourg Saint-Mathieu (rue haute, rue basse, rue des bouchers, place du March'Hallach...) est donc en dehors de l'enceinte principale même s'il est lui aussi protégé par des défenses et clos de portes fortifiées. Le prieuré de St Mélaine, au-dessus du centre-ville côté Tréguier, a aussi ses portes fortifiées :du côté de Créac'h Joly, l'ancienne rue du Collège; près des Ursulines dans le faubourg de Viniec; à l'entrée de la rue des Fontaines vers Sainte-Marthe (emplacement actuel du Carmel); la dernière, vers le Créhou, protégeait la venelle aux prêtres. Le faubourg de Saint-Martin a aussi ses fortifications et ses portes.
Le faubourg Saint-Martin (de la rue Villeneuve à la rue Longue) a lui aussi ses portes et ses défenses autonomes.
« Morlaix ne compte pas de places, en dehors de celle, exiguë, du Pavé (carrefour de la rue Carnot, au débouché des rues Notre-Dame et du Mur); ses ruelles sont étroites et sombres ». (Joachim Darsel).
Entre la ville close (qui commence à l'est de la rue Carnot) et le confluent du Jarlot et du Queffleut (mairie actuelle), c'est l'île Notre-Dame.
Le port arrive au-delà de l'île Notre-Dame jusqu'au niveau de l'actuelle place des otages, devant Saint Mélaine. L'église Saint-Mélaine, autrefois un modeste édifice placé sous la protection de l'abbaye Saint-Mélaine de Rennes, fut rebâtie à neuf à partir de 1489.
Les voies d'accès à Morlaix sont compliquées, difficilement praticables. On arrive depuis Rennes ou Paris dans la ville par la rue des Vignes, et on prend la route de Brest par la rue Villeneuve.
Morlaix compte aussi un ospital, à l'emplacement de l'actuelle Place de Viarmes. Celui-ci a disparu après le terrible incendie de 1731, qui a permis de créer la place actuelle, baptisée du nom de l'intendant de Bretagne de l'époque, et le nouvel hôpital a été construit en bas du complexe de l'actuel hôpital (rue de Brest). Cet ospital fondé au XIV e siècle tire sans doute son son origine, selon Joachim Darsel, d'une maladrerie fondée par les Templiers pour soigner la lèpre, à laquelle on annexa par la suite diverses dépendances agglomérées autour de la chapelle Sainte-Marthe. Un hôpital distinct s'installa rue des Fontaines (venelle avant la rue Sainte-Marthe en direction du Carmel) et place de Viarmes, en bordure du Jarlot, il devait aussi y avoir un hôtel-Dieu entretenant les pauvres.
Une ville de corsaires et de grands négociants: les Coatanlem
Au début du XVe siècle, les Anglais se livrent à la piraterie sur les côtes bretonnes. On arme alors à St Pol de Léon une flotte de 30 vaisseaux qui sous le commandement du morlaisien Jean de Penhoët, capitaine de Morlaix, rejoint et bat la flotte anglaise au large de Saint Mathieu. Après trois heures de combat, il ramène à Brest 40 vaisseaux ennemis.
La famille noble des Coatanlem participe aussi activement à Morlaix à l'armement et aux échanges commerciaux.
Daniel Appriou, dans Au coeur de Morlaix (Keltia graphic), raconte que Jean Coëtenlem, sieur de Keraudry en Plouézoc'h, né à Morlaix vers 1455, pirate en free lance, qui, après avoir essayé un refus auprès du duc de Bretagne, s'engage comme corsaire auprès du roi de France, pillant des bateaux marchands anglais (bien que l'Angleterre soit à l'époque l'alliée de la Bretagne) et espagnols entre Saint Mathieu et l'île de Bréhat avec sa nef amirale « La Cuiller ». « Jean Coatanlem assure la police de la Manche Occidentale dont il se fait un véritable fief. Les négociants de St Pol de Léon et de Morlaix lui verse un pourcentage sur la valeur des cargaisons qu'il convoie » (Joachim Darsel, opus cité – p.35). Pour se désennuyer de cette vie de « chien de garde », il attaque et pille de temps en temps des navires étrangers, anglais surtout. Les Anglais envoient trois vaisseaux de Bristol en finir avec le corsaire breton mais les hommes de Jean Coatanlem « taillent leurs ennemis en pièces, entrent même à Bristol, incendient la ville et emmènent prisonniers les principaux notables de l'endroit. C'était pousser un peu loin la plaisanterie et l'amour de la bagarre ». (Joachim Darsel). Le duc de Bretagne François II, qui a déjà reçu plusieurs plaintes de négociants anglais et espagnols, et qui est officiellement un allié de l'Angleterre, éloigne Jean de Coatanlem. Celui-ci se rendit alors avec toute sa flotte à Lisbonne où il succéda à Christophe Colomb comme amiral du roi du Portugal. En 1486, on le trouve aussi au service de René II de Lorraine, alors en guerre contre Charles VIII.
Son neveu, Nicolas de Coatanlem, « se fit une énorme fortune, mais par d'autres moyens, transportant jusqu'en Angleterre, Hollande ou en Espagne les toiles, vins et sels bretons. En 1492, Nicolas, refusant de voir la Bretagne s'associer de nouveau à la France, complota avec Maurice de René, capitaine de Morlaix. « Le but de cette conjuration était (…) de livrer la Bretagne à l'Angleterre » ; le complot échoua, les conjurés furent jugés et emprisonnés au Louvre.
Nicolas de Coatanlem était un grand patriote breton: pendant la guerre entre la Bretagne et la France, qui allait coûter l'indépendance de la Bretagne en 1488, il avait ravitaillé par deux fois, à ses risques et périls, la ville de Nantes assiégée par les Français en 1487. L'année suivante, il s'était battu courageusement à Saint-Aubin-du-Cormier, où la Bretagne perdit la guerre et sa liberté. C'est pour sortir la Bretagne d'une dépendance humiliante vis à vis de la France que Nicolas avait comploté. Sa grande fortune lui permet toutefois d'être pardonné par le successeur de Charles VIII, le premier époux d'Anne de Bretagne.
Deux mois plus tard, Nicolas Coatenlem était de retour à Morlaix où il reprenait son commerce de toiles. Les succès commerciaux hâtèrent sans nul doute son retour en grâce puisqu'en 1500 Louis XII et Anne de Bretagne ordonnaient au Morlaisien d'armer et d'avitailler la célèbre nef La Cordelière construite à Morlaix (au Dourduff). Elle coula tragiquement devant Brest après avoir soutenu le pape Alexandre VI contre les Turcs ». La Cordelière était un navire de six à sept cent tonneaux, à l'équipage breton, qui faisait la fierté de la région.
En août 1513, la Cordelière, commandée par Hervé de Porzmoguer, s'engage dans un combat avec les Anglais suite à une attaque de ceux-ci: poursuivie par plusieurs vaisseaux anglais, elle sombre aux larges de la pointe Saint Matthieu, entraînant dans l'abîme le navire anglais « Le Régent » accroché à son flanc. « Environ 650 Anglais et 500 Bretons et leur capitaine périrent », raconte Marthe Le Clech.
Dans le sillage de ce désastre, les pillages se multiplient sur les côtes. Nicolas Coatenlem mourut en 1519 au manoir de Penanru et fut enterré dans l'église des Jacobins à Morlaix » (Daniel Appriou, opus cité).
XVI e siècle: une période de violence et de vitalité commerciale
La reine Anne à Morlaix (1506)
Après s'être remariée à Louis XII, suite à la mort accidentelle de Charles VIII, la duchesse Anne, « gentille Reyne », fait son Tro Breizh et en 1506, elle est accueillie à Morlaix, logée au couvent des Dominicains, probablement parce que le château était en réparation. « La ville lui fit présent d'un petit navire d'or enrichi de pierreries et d'une hermine apprivoisée portant au cou un collier de perles » (Joachim Darsel). On organisa de mémorables fêtes avec des danses pour la Reine Anne. Le 23 septembre 1518, Morlaix reçut une autre visite royale, celle de François Ier, le mari de Claude de France, la fille d'Anne de Bretagne, dont le mariage scella définitivement le rattachement de la Bretagne à la France.
Le sac de Morlaix par les Anglais (1522)
Voulant punir les Morlaisiens après leur demi-échec de 1513 (la disparition du Régent avec la Cordelière) et les pertes infligées par Jean et Nicolas de Coatenlem, les Anglais décidèrent d'une expédition contre Morlaix. Après le sac, la ville, complètement ruinée, demeura dix ans dans la désolation.
Marthe Le Clech raconte cet épisode tragique: « Un traître, Latricle, lieutenant du capitaine de Morlaix, avertit les Anglais qui étaient en rade à bord de soixante navires, que les nobles de la ville étaient à une revue militaire à Guingamp et les bourgeois négociants à Noyal-Pontivy. A la faveur du crépuscule les Anglais remontèrent la rivière sur de légères embarcations mais les bûcherons qui travaillaient en face de Saint-François Cuburien firent tomber dans l'eau une dizaine d'arbres pour leur barrer le passage. Les pirates gagnèrent donc la ville à pied... Les maisons des plus riches bourgeois furent pillées et brûlées. Les archives de la ville disparurent dans l'incendie de l'habitation de Dominique Calloët, procureur de la ville (maire). Les églises furent pillées aussi et Notre-Dame du Mur devint en partie la proie des flammes. L'Histoire a gardé le souvenir de deux vaillants défenseurs, Jehan Piriou, recteur de Ploujean et chapelain de la collégiale du Mur, qui releva le pont-levis de la Porte Notre-Dame et abattit, armé d'un mousquet, bon nombre d'assaillants avant de succomber lui-même. Une chambrière (Suzanne Le Borgne?) du 18 Grand Rue, leva une vanne qui communiquait avec la rivière, remplit ainsi d'eau le sous-sol, puis souleva une trappe qui s'ouvrait sur la cave; quatre-vingts Anglais tombèrent dans le piège et se noyèrent. L'héroïne paya de sa vie sa témérité: elle fut défenestrée et s'écrasa Grand-Rue. A l'aube, des Anglais chargés de butin et de prisonniers rejoignirent leurs vaisseaux. Cependant (dit-on), six à sept cents ennemis avinés furent égorgés dans les bois du Styvel (Coatserho) par les troupes du comte de Laval accourues en hâte de Guingamp. Le sang anglais rougit les eaux d'une source située en contre-bas et appelée depuis « Fontaine aux Anglais » ». (Bretagne d'hier, Morlaix tome 1, p.10).
La construction du Château du Taureau (1540-1552)
De manière à se protéger de nouvelles attaques anglaises, les bourgeois morlaisiens demandèrent au gouverneur de Bretagne d'intervenir auprès du roi de France afin qu'ils puissent construire et armer à leur frais une forteresse à l'entrée de la rade. Le roi accepta que les impôts sur les vins déchargés au port soient affectés à l'entretien du fort et de sa milice. Les travaux de construction du château du Taureau commencèrent en 1542. En 1544, on y plaça un gouverneur morlaisien, Jean de Kermellec, et une garnison de 23 soldats. A partir de 1564, les maires de Morlaix devinrent de droit, leur année d'exercice révolue, capitaine du Taureau pour un an.
Cette puissante forteresse sécurisa le port de Morlaix et permit un regain d'activité pour le commerce.
Par la suite néanmoins, des conflits s'élevèrent entre les administrateurs de la cité morlaisienne et les gouverneurs du Taureau.
Cette capacité des bourgeois morlaisiens à construire et armer le château du Taureau témoigne de la prospérité commerciale retrouvée de la ville à cette époque. La guerre de succession de Bretagne est déjà loin, mais ce sont les ravages de la guerre de la Ligue qui s'approchent. Avant d'en parler, faisons un petit aparté sur les ressorts de la richesse commerçante de Morlaix.
Morlaix a le monopole de la commercialisation à l'international des toiles de lin (les crées) du Léon, exportées en Angleterre, en Hollande, en Espagne, et dans le Nouveau Monde. La production léonarde de toile fine de lin représente 10000 kilomètres de toile par an. Le dynamisme de Morlaix et de l'arrière-pays léonard, celui des enclos paroissiaux, entre la fin du XVe siècle et le XVIe siècle, est lié à l'essor de l'industrie toilière. La Bretagne bénéficie de conditions favorables pour la culture et le travail du chanvre et du lin: un climat humide favorable à la pousse et à leur préparation, blanchissage et tissage. « A partir de la fin du XVe siècle, la demande de toiles augmente considérablement. En Europe d'abord, où un progrès certain du niveau de vie permet l'achat par des couches de plus en plus larges de la population, de toiles de lin pour fabriquer des chemises, des nappes, des serviettes. Le développement des échanges commerciaux nécessite l'utilisation croissante de toiles de chanvre pour les voiles de bateaux et pour l'emballage de marchandises de toutes sortes, qui voyages sous forme de balles, ballots ou fardeaux... Surtout un marché nouveau et riche d'avenir apparaît au-delà des mers à la suite des Grandes Découvertes, dans les colonies portugaises et surtout espagnoles en Amérique. Les colons européens réclament des toiles de lin blanches, légères et fraîches à la peau qui jouent dans les climats tropicaux le rôle que joueront plus tard les toiles de coton... Le Léon est la patrie de la manufacture des créés. D'après une hypothèse, le terme crée viendrait du breton kriz « chemise ». Leur longueur est uniformément de 100 aunes, environ 122 mètres. La fabrique s'est étendue progressivement, à partir de Saint-Pol-de-Léon, Landerneau et surtout Morlaix, dans presque tout le Léon, de la côte nord de Sizun-Commana-Plounéour Menez, qu'elle n'a jamais dépassé, au sud, à la frontière avec l'évéché de Tréguier, à l'est jusqu'à une ligne Brest-Lesneven à l'ouest » (Toute l'histoire de la Bretagne des origines à nos jours, Skol Vreizh, p. 342). L'apogée de la fabrique des crées se situe à la fin du XVIIe siècle, avec 80 à 90000 pièces, contre 20 à 25000 vers 1580.
Cet enrichissement par le commerce de la toile nourrit la floraison de l'art religieux dans tout le Léon et à Morlaix. Morlaix à des ateliers d'artistes sculpteurs et bâtisseurs prestigieux comme celui de Jacques Lespagnol. Les paroisses s'enrichissent avec l'activité artisanale et commerciale. A Saint-Mathieu, paroisse de Morlaix, les recettes passent de 128 livres en moyenne à 1530 à 1549 livres pour la période 1570-1590, ce qui lui permet de se lancer dans la construction de son grand clocher.
La construction du clocher de Saint-Mathieu, entamée en 1548, ne sera achevée qu'en 1699. La tour Saint-Mathieu est une belle manifestation de l'art de la Renaissance en Bretagne.
Les artisans bâtisseurs (tailleurs de pierre, maîtres d'œuvre, charpentiers) de Morlaix travaillent aussi des assemblées paroissiales des bourgs toiliers voisins, du Léon principalement.
La croissance de l'activité commerciale et des richesses à Morlaix fait venir des bourgeois de Haute-Bretagne, de Normandie, du Bordelais d'autres provinces françaises et des Irlandais qui feront souche à Morlaix. A Morlaix, l'élément immigré ou importé tient des places de commandement. « Sur 32 maires qui se succèdent à Morlaix de 1706 à 1789, 22, soit plus des deux tiers, portent un patronyme français » (Louis Elégoët, « Les Juloded sous l'Ancien Régime », dans Elites et notables de Bretagne de l'Ancien Régime à nos jours, Presse de l'UBO).
Des nobles suspendent provisoirement leurs privilèges d'exemption d'impôts et leur statut de remparts armés de la société – comme la coutume bretonne les y autorise – pour s'installer dans le commerce et construisent à l'imitation des manoirs de campagne des maisons à lanterne. Laissons Joachim Darsel les décrire avec précision: « Une maison à lanterne est en réalité un édifice de deux maisons séparées par une cour vitrée. La première de ces maisons prend jour sur la rue, la deuxième sur la cour, et toutes deux prennent des vues secondaires sur la pièce du milieu qui forme une cour vitrée. Un escalier à vis, très richement décoré de boiseries sculptées, situé à l'angle de la pièce vitrée et de la partie donnant sur la rue, dessert toutes les pièces de devant. A chaque palier d'arrivée, une sorte de balcon en bois finement mouluré, accoté au mur mitoyen, donne accès aux pièces de derrière correspondantes. Ces balcons, superposés par étage, forment ce qui est appelé ... les ponts d'allée. Surplombant la grande pièce centrale, ils forment une espèce de galerie d'un aspect très original... Notre vieille cité possède encore une bonne douzaine (sinon plus) de ces maisons à lanterne: les plus connues en sont: celle dite de la « Reine Anne », l'hôtel du Lion d'or, le N°9 de la Grand'Rue, etc... »
Cette prospérité morlaisienne qui s'affirme fortement autour des années 1540 va à nouveau être remise en cause par la guerre, en l'occurrence celle de la Ligue.
Morlaix à la fin des guerres de religion, sous la domination de la Ligue.
Morlaix a abrité un court moment une des églises réformées parmi les plus anciennes de Bretagne; En 1538, un dénommé Alain Guézennec arracha une hostie des mains d'un prêtre officiant en l'église Saint-Melaine. Quelques temps après, il fut brûlé vif dans le carrefour en face de l'église. Mis à part cela, on n'a pas de témoignages d'affrontements entre protestants et catholiques dans la région, la communauté protestante ayant été trop rapidement démantelée.
En revanche, au moment de la prise de pouvoir d'Henri IV, Morlaix va être rattaché à la Ligue par le duc de Mercoeur, successeur des Guise, et son allié, Alexandre de Kergariou, seigneur de Ploujean. La ligue commande Morlaix à partir de 1583 avec des mercenaires espagnols qui se comportent comme des brigands. Joachim Darsel raconte que sous la domination de la Ligue, se donnant le titre de « Sainte Union », la ville était dirigée par « une sorte de tripot » (installé officiellement au couvent des Jacobins mais tenant réunion dans les cabarets) et constitué par « des prêtres, des gens de guerres, des juges, des commerçants, que régentait un farouche ligueur, l'archidiacre du Pou-Castel ». Ce beau monde fait ripaille, écoute les dénonciations de suspects, ordonne les pendaisons.
Une partie des bourgeois de la ville ne supporte plus les Ligueurs et décide de trahir le gouverneur en proposant la capitulation au maréchal d'Aumont, envoyé par Henri IV pour combattre la Ligue, et qui stationne auprès de Lanmeur avec ses troupes. Aumont pénètre avec 3000 soldats dans la ville le 25 août 1594 avec la complicité de bourgeois morlaisiens au petit matin et les Ligueurs, surpris, sont forcés de se réfugier à l'intérieur du château avec 60 gentilhommes et 500 soldats. Pendant 24 jours, reclus sans vivres dans un château assiégé et bombardé en parmanence, Rosempoul résista avec ses hommes au maréchal d'Aumont. Chez les assiégés bombardées par des pièces d'artillerie installées sur la plate-forme du clocher du Mur, puis sur celle de St Mathieu, on mangeait chevaux, chiens, chats, rats et souris. Mais voyant que Mercoeur et les espagnols, installés aux environs de Plourin, refusaient de s'engager ensemble dans la bataille contre les troupes loyalistes du maréchal d'Aumont suite à un différend touchant le pillage ou non de la ville reconquise, Rosampul offrit sa reddition. La démolition du Château puis décidée quelques années après par le maréchal d'Aumont et les habitants de Morlaix qui ne voulaient plus supporter les lourds frais de réparation et d'entretien. Les pierres qui en provinrent servirent en partie à la construction du premier hôtel de ville, place de l'Éperon, commencée en 1610 (l'hôtel de ville actuel date de l'époque de Louis Philippe).
Au XVII e, Morlaix résiste plutôt bien au déclin de la Bretagne
Morlaix après les guerres de la Ligue: des années difficiles
« A l'issue des guerres de la Ligue, la ville de Morlaix, toute pantelante, n'aspirait qu'à se rétablir dans le calme. Hélas! le bilan de luttes intestines allait se faire longuement et lourdement sentir. Les campagnes dévastées et livrées au pillage ne nourrissent plus les paysans qui, réduits à la famine, meurent comme des mouches, où se réfugient dans les villes pour s'y nourrir des détritus des citadins. Les cochons abandonnés errent nos nos rues fétides et font office de boueux. En 1600, on permet aux pauvres de l'hôpital de les arrêter et de les ramener au profit de leur établissement. Les remparts sont en ruines; leurs fosses envahis par la vase » (Joachim Darsel. Opus cité, p.66).
Autre calamité, la peste produit aussi des pertes nombreuses chez les Morlaisiens: après avoir déjà fait irruption au siècle précédent en 1564, 1566, 1568, 1593, elle décime à nouveau Morlaix en 1631 et en 1640... Les malades sont alors pris en charge par les Recollets de Cuburien (emplacement de la maison de retraite Saint-François, sur la route de Locquénolé) qui ont remplacé les Cordeliers en 1622.
La guerre de trente ans va continuer à aggraver les souffrances du peuple et le climat d'insécurité et d'agitation. Joachim Darsel en fait bien part en évoquant un épisode de trouble et le jugement alarmiste d'un contemporain:
« Les 16 et 17 août 1639, une violente émeute éclate dans le faubourg de la Villeneuve au sujet de la perception des deniers communs. La milice bourgeoise, incapable de la réprimer, est suppléée par la noblesse des environs et les principaux bourgeois de la ville. Les responsables du mouvement furent arrêtés et sévèrement punis; mais la sédition fermenta jusqu'à l'arrivée des compagnies irlandaises qui vinrent contenir le peuple et soutenir la perception des droits de la ville.
Vers le milieu du siècle, l'anarchie la plus complète règne à Morlaix, selon certain factum paru en 1654 qui désigne nommément les officiers de la ville comme fauteurs de désordres et voies de fait exercées contre de nombreux particuliers. Ainsi, à l'issue de toute guerre civile, se règlent – avec intérêt, hélas! - les vieux comptes de sang... « Toute la ville est tenue en sujétion; l'on y affronte, l'on attaque, l'on bat, l'on vole, l'on y tue le monde hardiment et sans crainte, s'étant fait de sept à huit ans derniers tant de meurtres et de crimes capitaux qui n'ont été suivis d'aucune punition, qu'il semble qu'il n'y a plus à présent aucune loi qui défende les meurtres et les voleurs ».
Louis XIV et Colbert affaiblissent la Bretagne: la révolte des Bonnets Rouges
Les auteurs de La Bretagne Province (1532-1789) – Histoire de la Bretagne et des pays celtiques tome 3 (Skol Vreizh, 1980) montrent comment la Bretagne s'est globalement appauvrie sous le règne de Louis XIV.
La création de nouveaux impôts indirects (taxes sur le papier timbré, le tabac, la vaisselle d'étain) que la Bretagne doit fournir pour financer la guerre de Hollande à partir de 1670 va être à l'origine de la révolte du Papier timbré, qui se traduit d'abord en avril 1675 par des émeutes dans les villes de Rennes, Dinan, Nantes, Lamballe, Dol, Guingamp, liées au mécontentement anti-fiscal puis par des révoltes contre l'exploitation seigneuriale et le clergé dans les campagnes de Cornouaille, du Pays Bigouden, et du Poher (pays de Carhaix). On tue des nobles, on humilie des recteurs et des agents du fisc. « Pillages et destructions de châteaux, molestages et parfois exécutions (une douzaine) se succèdent à Briec, Chateaulin, Combrit, Douarnenez, Pont L'Abbé, Ploemeur, Plounéour, Gourin et dans les environs de Carhaix... Dans un second temps, la révolte s'organise, les paysans légifèrent, à la suite d'assemblées générales où prédominent désormais les beaux parleurs, les écrivains de village, c'est à dire les paysans aisés. Socialement plus modérés, ils rédigent d'assez nombreux textes où l'on trouve une revendication moyenne, commune à la majorité. Ce sont des programmes, soit des plaintes où l'on critique l'impôt, la justice, les droits seigneuriaux, qui évoquent avec un siècle d'avance les cahiers de doléance de 1789 ». Dans de nombreuses communautés villageoises du sud Finistère, les droits féodaux sont abolis. A la mi-juillet, la région de Carhaix s'embrase, avec notamment le pillage du presbytère de Commana et l'attaque du château de Kergoat, non loin de Scaër. Des milliers de révoltés du Poher se reconnaissent comme chef le notaire royal Sébastien Le Balp mais tentent en vain de prendre le port de Morlaix. Selon la Gazette d'Amsterdam, toujours bien informée, apeurés par cette révolte égalitariste paysanne, « les Anglais qui étaient à Morlaix commencent à trousser bagage pour se retirer ailleurs avec leurs effets » (Toute l'histoire de la Bretagne des origines à nos jours, Skol Vreizh -2013).
La mort de Le Balp, le 3 septembre 1675, marque la fin de la révolte en centre-Bretagne.
La répression de cette révolte des révoltes des Bonnets Rouges à partir d'août 1675 est féroce. « Les troupes de Colbert vivent sur le pays (600 hommes en Cornouaille), arrêtent, torturent, et exécutent publiquement les meneurs, envoient aux galères les paysans-soldats. A Quimper, Carhaix, Pontivy, Hennebont, il y a beaucoup de pendaisons. Plus tard, 20000 dragons séjournent tout l'hiver en Bretagne, pillant les villages rebelles comme en un pays ennemi conquis ».
Le recul de l'exportation de toiles à la fin du XVII e siècle
Outre les conséquences de l'augmentation du prélèvement royal et seigneurial alors que l'activité économique ne progresse pas et les effets démographiques et sociaux de la répression de la révolte des Bonnets Rouges, et du fait que des milliers de soldats vivent sur le pays, la prospérité économique bretonne est victime de la politique économique de Colbert de restriction des importations pour développer la draperie française en taxant les draps étrangers.
Depuis le 15e siècle, l'achat des draps constitue la contrepartie des ventes bretonnes, surtout de toiles, à l'Angleterre, le commerce breton étant largement bénéficiaire dans ses échanges avec l'Angleterre (vente d'eau de vie, de toile, de papier...). Les guerres (de la Ligue d'Augsbourg de 1689 à 1697, puis de la succession d'Espagne de 1702 à 1713) interompent par ailleurs le trafic commercial entre la Bretagne et l'Angleterre. « Entretemps, les Anglais ont fait appel aux toiles hollandaises et allemandes et surtout, ont développé des « fabriques » de toiles en Irlande qui produit aussi du chanvre et du lin ».
Le déclin du « roulage breton » qui fait péricliter beaucoup des 130 ports bretons s'explique par le protectionnisme économique de Colbert en même temps que par les innovations techniques des armateurs étrangers: les Hollandais construisent ainsi des navires d'un tonnage trois fois plus élevé que ceux des Bretons qui ne pourraient de toute manière pas les absorber dans leurs ports de fonds de ria. Au XVII e siècle, pendant que Roscoff se spécialise dans un trafic original et lucratif de contrebande (thé et eau de vie) avec l'Angleterre, Morlaix reste tout de même des trois premiers ports bretons, avec Nantes et Saint-Malo, et devant, mais plus pour longtemps, les jeunes ports de Lorient et de Brest. Il exporte des productions de son arrière-pays (blé, miel, papier, toiles: des crées assez grossières qui sont vendues aux paysans d'Espagne) et y redistribue des produits importés (vin, fer, épices). Morlaix continue aussi à importer des draps anglais du Devon et d'Exeter pour une valeur de 1 million de livres au XVII e siècle. « Marchands de Morlaix et d'Exeter échangent mutuellement leurs fils qui viennent apprendre dans le pays voisin « l'art de la marchandise » et la langue, c'est à dire à Morlaix, à la fois le français et le breton. On aurait compté ainsi jusqu'à 600 commissionnaires anglais à Morlaix vers 1660. Après 1640, Londres devient le principal débouché des toiles bretonnes... Le papier accompagne assez régulièrement les cargaisons de toiles vers l'Angleterre, mais la valeur de ce trafic n'atteint que 10% de celui des toiles. La Hollande en a également acheté mais ce marché est presque complètement perdu à la fin du XVIIe siècle » (Toute l'histoire de la Bretagne des origines à nos jours, Skol Vreizh, 2013 – p. 333).
« En 1600, l'évêché du Léon fabrique 20000 pièces de toile et en 1680 80 000, ce qui correspond à une longueur de près de 10000 kilomètres. A cette époque, le Léon est la deuxième région textile de France après celle de Rouen …Le début des années 1680 marque l'apogée de la manufacture toilière léonarde. A partir de cette époque, sa production commence à reculer. Ce déclin est entraîné par la politique mercantiliste de Colbert. Cherchant à vendre le plus possible de toiles à l'étranger tout en y achetant le moins possible, ce ministre de Louis XIV provoque la fermeture progressive du marché des toiles du Léon. Dès lors, les crées ne se vendent quasiment plus que dans la péninsule ibérique, notamment en Espagne. En 1788, leur production est tombée à 20500 pièces ». (Louis Elégoët, article dans Elites et notables en Bretagne de l'Ancien Régime à nos jours).
Ainsi, dès 1730, le morlaisien de Boisbilly adressait pour les Etats de Bretagne une requête alarmiste au roi Louis XV: « La ville de Morlaix d'où il sortait autrefois près de 300 vaisseaux par an pour l'Europe, l'Espagne, le Portugal, le Levant, l'Angleterre, la Hollande, le Nord, la pêche de Terre-Neuve, envoye à peine aujourd'hui 6 vaisseaux en Espagne, et tous les autres commerces sont interdits, perdus ou diminués ».
En effet, en 1660, l' « Acte de Navigation » voté par le Parlement britannique édicte en faveur de la marine anglaise un régime protectionniste prohibitif qui va générer une perte de la clientèle anglaise des toiles morlaisiennes. C'est pourquoi Joachim Darsel avance que « malgré le succès de quelques rares familles, le commerce de Morlaix se trouve à la fin du XVII e siècle en très nette décadence », notamment pour ce qui est des toiles à voile, les Anglais s'approvisionnant désormais chez eux ou en Irlande. « Celle-ci est due à des causes multiples: d'abord aux guerres continuelles qui avaient interrompu les relations commerciales; à la ruine des escadres navales qui eut pour conséquence la disparition de notre flotte marchande; enfin aux innombrables offices créés par le Roi au paiement desquels la bourgeoisie et les corporations épuisèrent leurs dernières ressources. De 1690 à 1711, la ville de Morlaix eut à débourser environ 120 000 livres pour achat et réunion de charges nouvelles; quelques années avant la Révolution, elle payait encore 3000 livres d'intérêts pour une partie de cette somme qu'elle avait dû emprunter ».
A Morlaix, l'industrie de la toile est contrôlée par la confrérie de la Trinité, rattachée à l'église du Mur. Celle-ci attribue les certifications, et jusqu'au XVI e siècle saisit les toiles défectueuses et limite l'accès à la profession. C'est ensuite le corps municipal qui assure ces fonctions. Le marché de la toile se pratique en particulier au XVIème siècle dans les magasins-fabriques de la rue Longue de Bourret, et devant elle, au croisement de l'actuelle rue de Brest et de la rue Gambetta. Au XVII e siècle, le commerce de la toile se fait à l'hôtel de ville. Au début du XVIIIe siècle, le tissage devient l'apanage des campagnes et les négociants morlaisiens ne jouent plus qu'un rôle d'intermédiaires.
Morlaix, novembre 2013