"Quelque chose dans le mouvement, on dirait, vous rend la vie plus légère"
Louis Guilloux, La confrontation
Puissions-nous enfin rêver un peu moins de fin du monde que de lendemains qui chantent.
Les voeux de la nouvelle année sont traditionnellement une occasion de renouveler et de réaffirmer l'amitié ou la sympathie, d'afficher ses bonnes intentions, ses souhaits altruistes, de souhaiter le bonheur des gens que l'on aime, du genre humain, la fin des souffrances pour les peuples martyrisés par la guerre, les pauvres, les malades, les tourmentés.
Ce rituel des voeux de nouvelle année, surtout quand ils sont publics, s'apparente souvent à une prière votive englobant toute la société humaine, et plus particulièrement nos amis et nos proches.
Il s'agit de rêver, ou de feindre de le faire pour témoigner d'une empathie plus ou moins vecue ou déclamatoire, la résolution impossible des contradictions, l'harmonie retrouvée, le contentement universel: cette rêverie millénariste touche quelque chose de profond en nous, une conscience morale qui est assez forte pour souhaiter le bien d'autrui, compatir et s'affliger de ses souffrances, particulièrement quand elles sont d'origine humaines et évitables, mais pas toujours suffisamment vigoureuse et intraitable pour réaliser que nous devons d'abord et avant tout nous intéresser à ce sur quoi nous avons une prise, ce que nous pouvons transformer positivement par nos efforts. Non plus espérer et souhaiter, mais vouloir, authentiquement et de manière consistante.
Comme je reste un peu croyant et attaché à la pensée magique par le sentiment, je fais comme tout le monde et j'appelle de mes voeux le miracle pour qu'il procure sans exclusion ni privilège à tous ceux dont la destinée ne m'est pas indifférente, et plus encore à ceux que j'aime et que j'apprécie, les copains, les camarades du Parti Communiste et du Front de Gauche, aux lecteurs bienveillants du Chiffon Rouge, à mes concitoyens, mes frères humains, beaucoup de joie et d'enrichissement personnel, le moins possible de chagrins et de peines, même si parfois ils nous font grandir et nous révèlent à nous-mêmes.
Mais surtout, je voudrais que l'année 2013 soit productive et créatrice parce que nous en aurons pris soin, parce que nous aurons été attentifs à reconnaître et saisir ses opportunités.
En bon stoïciens, cessons d'espérer un salut qui nous viendrait de l'extérieur, de maudire les circonstances et l'époque, de regretter les occasions perdues du passé ou de craindre l'avenir, de nous décourager devant les difficultés du temps, la bêtise ou l'absence de conscience de bon nombre de nos contemporains. Commençons par régler notre conduite avant de prétendre régir le monde. Mais, plutôt que de cultiver notre jardin pour y goûter une sérénité inentamée, et même si comme dit Montaigne c'est un fait que "la meilleure chose du monde c'est de savoir être à soi", agissons, agissons, agissons!
Car nous ne ouvons dormir tranquille et goûter notre petit plaisir personnel en voyant l'Europe se dé-civiliser et sombrer peu à peu dans la barbarie du capitalisme sans contre-pouvoirs et le retour de l'oligarchie, dans les eaux fangeuses du racisme et du populisme autoritaire. Car nous ne pouvons accepter l'horizon de régression sociale permanente qu'on nous propose en cherchant à nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre issue car c'est la crise qui nous étrangle et le déclin qui nous guette. Quelle crise? Sinon celle dans laquelle nous plonge structurellement le système capitaliste financiarisé pour accroître la rentabilité du capital. Les richesses créées ont-elles jamais aussi grandes et si mal réparties?
L'accélération de la création des inégalités et de la suppression des garanties sociales collectives par ce capitalisme prédateur du 21e siècle fidèlement servi par les thuriféraires du réalisme, de la bonne gouvernance, d'adaptation à la mondialisation et du libéralisme est dans une certaine mesure une chance à saisir. Le système manifeste à plein sa nocivité intrinsèque, son incapacité à assurer le progrès humain, transformant tout en marchandise et en occasion de profit. Il n'est donc plus temps de se fatiguer en combats défensifs contre les conséquences: il est maintenant possible de proposer des alternatives globales et de le mettre en cause dans son principe.
Pour cela, ayons de l'audace, de la générosité, de la combativité.
Soyons conscients de notre responsabilité vis à vis du monde que nous contribuons à créer pour nos contemporains et dont nous ferons hériter nos enfants.
Arrêtons d'être défaitistes par prétention à l'extra-lucidité ou habitude des désillusions.
L'heure est extrêmement grave: saccage de la planète, des cultures, des solidarités, par le désordre capitaliste mondial; développement incroyable des inégalités et casse des acquis sociaux de la seconde moitié du vingtième siècle; dérives oligarchiques des démocraties libérales; progression des idéologies racistes et de l'extrême-droite; transformation de l'Union Européenne et de la social-démocratie européenne en serviteurs zélés des intérêts du capitalisme financier.
Il est parfois décourageant de tenter de propager la bonne parole et de chercher à mobiliser les énergies pour remonter la pente quand on a le sentiment de se heurter à la surdité désabusée et à la croyance en son impuissance du plus grand nombre, bien conditionné par la peur du lendemain et les outils de domination et d'endoctrinement idéologiques du capital (médias et discours publics, principes de management, division du travail ...).
Mais nos aînés se sont souvent battus avec succès dans des conditions d'apparence tout aussi désespérées et plus dangereuses pour eux.
Ils ont cru au pouvoir du volontarisme humain, ont fait le pari osé de la rationalité de l'histoire par delà la folie humaine et/ou de la sagesse des hommes par delà le tragique de l'histoire. Celle-ci ne pouvait faire triompher toujours l'obscurantisme, les privilèges exhorbitants des uns et la misère de la multitude ou le fascisme brutal, en humiliant les aspirations et dispositions pleinement humaines.
Même sans optimisme inconsidéré, un être conscient avec un minimum d'exigence et de cohérence morale doit donner sens à sa vie en ne ménageant pas sa peine pour rendre la société meilleure, en commençant par agir tel qu'il voudrait que les autres agissent.
Faisons en sorte que nos actes portent toujours l'image d'un monde en devenir, celui dans lequel on respirerait le mieux.
Ne soyons pas trop tendres et consensuels: sachons que notre idéal de société égalitaire, pleinement démocratique, basée sur la coopération, la mise en commun des moyens du développement personnel et social, et l'attention à la préservation de notre éco-système, a des ennemis irreductibles qui sont désignés par leurs intérêts, leurs préjugés ou leurs passions.
N'économisons pas nos efforts de réflexion, personnels et collectifs, pour imaginer ce que pourrait être une société de demain habitable, à l'échelle locale, nationale et planétaire, en étant attentifs à tous les germes de devenir souhaitable déjà contenus dans la réalité présente, et ils sont nombreux, car l'idéal est souvent bien plus proche et bien mieux expérimenté qu'on le croit: seulement, il faut aussi parfois être attentif aux prodigieux acquis de l'histoire trivialisés par l'habitude (la sécurité sociale par exemple, le salaire socialisé), aux "petites choses" et aux "micro-initiatives" pour le voir.
Soyons rassembleurs: évitons le sectarisme, parlons à tous, nourrissons-nous en gardant notre cap et notre esprit critique de cultures politiques auxquelles nous ne sommes pas habitués.
Soyons capables d'indiquer, non pas seulement un idéal, mais aussi un but atteignable qui vale la peine que l'on fasse quelques sacrifices pour lui, qui mobilise l'énergie par la beauté de sa représentation.
Soyons ambitieux, révolutionnaires: n'épuisons pas nos capacités de réflexion, d'attention et d'initiative dans les batailles électorales ou dans des combats défensifs contre les forces du capital et de la réaction. Gardons à l'esprit que nous voulons transformer véritablement cette société, et nous pas simplement l'aménager, et essayons de préciser collectivement le terme, le chemin et les moyens de cette transformation nécessaire. C'est notamment la réflexion que nous devons avoir lors de la préparation du 36 ème congrès du PCF.
Ne dénonçons pas uniquement les conséquences du système capitaliste: mettons en évidence les causes, ne renonçons pas à transformer radicalement ce système qui met en crise toutes les sociétés et l'identité humaine elle-même et qui, on le voit chaque jour davantage, est de plus en plus incompatible avec des politiques progressistes et la conservation ou l'extension des acquis civilisationnels de la démocratie avancée portée par les forces de gauche depuis plus d'un siècle.
Continuons à travailler à crédibiliser l'alternative au social-libéralisme ou à l'ultra-libéralisme en fédérant toujours plus de citoyens, de militants et mêmes d'organisations politiques attachés à la transformation sociale et écologique et à la lutte contre les logiques capitalistes. Le Front de Gauche compte déjà neuf organisations différentes, et des dizaines de milliers de militants et sympathisants très concernés et motivés n'appartenant pas à un parti politique. C'est le creuset du renouveau d'une gauche de combat et de progrès humain en France.
C'est un lieu d'innovation, d'expérimentation pour le travail politique collectif et la seule force politique vraiment capable de remettre en cause les logiques capitalistes et libérales en France, en reprenant le flambeau d'une gauche d'émancipation et de lutte des classes.
Le Front de Gauche doit encore grandir et devenir plus populaire. Il le pourra notamment si des mouvements sociaux importants se mettent en branle pour dénoncer la dictature du libéralisme, des actionnaires et des puissances financières, pour contraindre le gouvernement à tenir compte enfin des intérêts des salariés et des classes populaires, ce à quoi nous devons travailler en étant sans complaisance face à un gouvernement qui perpétue et légitime dans les grandes lignes les "recettes" économiques inefficaces pour lutter contre le chômage, la précarité et les déficits de la droite.
Faisons en sorte que cette année 2013 soit une année de luttes d'ampleur qui enraillent la spirale de regression sociale, mettent la pression sur le président Hollande et le gouvernement, sur le patronat, pour tourner le dos au renforcement de l'exploitation (sous couvert de recherche de compétitivité), à la casse des services publics et de la protection sociale, à une austérité qui aggrave la déprime économique et le chômage.
A Morlaix et, autant que possible, dans les communes de la circonscription , montrons l'utilité du Parti Communiste et du Front de Gauche pour impliquer la population dans l'élaboration des décisions locales, pour faire des politiques municipales des instruments d'expérimentation démocratique et sociale et de lutte contre les inégalités, des pôles de résistance à l'austérité et à la dérive technocratique et oligarchique portée par des réformes territoriales qui cassent la démocratie de proximité.
Ne négligeons pas non plus les combats internationaux de grande ampleur: pour les progrès du droit et des normes contraignantes écologiques; pour le droit des réfugiés et des immigrés; contre la dictature des marchés portée par le FMI ou l'OMC; pour la paix, contre le nucléaire militaire et l'inflation des budgets de la défense; pour la souveraineté alimentaire et contre le libre-échange agressif; contre l'impérialisme américain ou "occidental" et pour un monde de coopération entre les peuples respectueux de leur droit à l'auto-détermination; enfin pour le soutien aux peuples en lutte contre la tyrannie (en Syrie notamment) ou le colonialisme armé (en Palestine).
Ce monde nous appartient et nos vies valent plus que leurs privilèges et leurs bonnes affaires.
"La liberté n'est qu'un vain fantôme quand une classe d'homme peut affamer l'autre impunément"
(Jacques Roux, le Cordelier du parti des "Enragés")
Prenons-le pouvoir!
Meilleurs voeux pour 2013.
Bloavezh Mat 2013.
Ismaël Dupont.