Laïque et de gauche, l'association Ar Falz, Kerlann (l'instituteur d'origine morlaisienne Jean Delalande), les brestois Armand Keravel et Meavenn appuient le travail de Yann Sohier, n'en est pas moins nationaliste bretonne, dans le sillage d'Emile Masson, comme en témoigne le deuxième numéro du bulletin Ar Falz (février 1933) : « Ce principe que nous mettons en avant, le principe même des minorités nationales, indique que notre revendication est surtout d'ordre politique, sans cesser d'avoir la vérité pédagogique pour elle. C'est que nous considérons notre pays comme une nationalité : la Bretagne, le peuple breton, sont une individualité distincte parmi les autres nations, les autres peuples. Nous travaillons à la renaissance de sa vie nationale, à la création d'une civilisation, d'une culture bretonne moderne. Nous luttons donc pour que l'école de la Bretagne de demain soit l'école bretonne, c'est à dire l'école où l'on enseigne et parle le breton, car la langue bretonne est, et sera longtemps encore, la langue vernaculaire de la pensée en basse Bretagne ».
En même temps, l'utilisation de la langue bretonne, comme chez Emile Masson, est présentée comme un instrument de pénétration du socialisme dans le peuple, dans l'éditorial de Yann Sohier dans le premier numéro d'Ar Falz en janvier 1933:
« L'usage de la langue bretonne dans la propagande révolutionnaire doit se répandre en Bretagne, d'autant plus qu'elle est, cette langue, la bonne vieille clef d'or, la clef magique qui seule nous ouvre les chaumières et les cœurs (…). La propagande socialiste, qui n'atteint que les ouvriers de nos villes et néglige d'aller aux paysans, et surtout à la paysanne, se voue d'avance à un échec presque absolu.
(…) Si le Socialisme est autre chose pour nous qu'une pure doctrine économique, s'il est ce qu'il doit être : une poussée du cœur, une volonté de justice, il doit aller à ces simples, frapper aux portes des fermes, s'asseoir sur des bancs clos, devenir à son tour l'ami, la confiance et l'espoir de nos paysannes. Qu'il soit enseigné par elles aux gars et aux filles en sabots, qu'il ne se distingue du parler breton pas plus que le catholicisme ne s'en est distingué jusqu'ici, ; et qu'il devienne leur religion.
Il faut que le socialisme et la langue bretonne ne fassent en Bretagne qu'un corps et qu'une âme. Leur sort est lié, et celui de la race. Le Socialisme ne vaincra que s'il se propage par la langue du pays, et elle aura par lui un avenir plus radieux qu'elle eut jamais ».
Yann Sohier est surnommé « Yann Skolaer » (Jean le maître d'école): il est instituteur en pays gallo à Plourivo (Côtes-du-Nord).
En matière d'enseignement du breton, tout en rêvant d'un enseignement en immersion 100 % breton, défendait de manière pragmatique des objectifs d'introduction raisonnable du breton dans toutes les écoles publiques : « un jour de breton par semaine, ou au moins une heure ou deux, la possibilité d'enseigner le breton le jeudi, dans les locaux scolaires, mais en dehors des programmes officiels ». En revanche, Ar Falz milite contre la création des écoles maternelles, voyant un moyen d'assimilation et de destruction de l'usage du breton supplémentaire, car elle enlève les petits bretonnants de naissance à leur langue maternelle.
Quand Fouéré envoie les missionnaires de Ar Brezoneg er Skol convaincre les élus du Finistère de s'engager en faveur de l'enseignement du breton à l'école publique, Ar Falz avait déjà lancé une pétition « pour l'enseignement de la langue bretonne, contre l'oppression culturelle ». Mais le vœu de Yann Fouéré ne plaît pas aux instituteurs laïcs, souvent socialisants ou communisants d'Ar Falz, pas plus que les motivations des majorités municipales de droite qui l'approuvent dans le Haut-Léon. Yann Sohier se désole de ce qu'il juge être une forme de sectarisme de ses collègues dans une lettre à Yann Fouéré datée du 10 novembre 1934, citée par Sébastien Carney (Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), p. 260)
« Je ne suis pas de leur avis – bien que mes iodées restent profondément communistes et bretonnes. Je pensais que sur une question aussi précise et aussi neutre que l'entrée de la langue bretonne dans les programmes d'enseignement et dans les examens une union relative pouvait se faire et un large front unique se former. L'avis de mes camarades – influencés sans doute par une campagne socialiste montée contre l'action de Falz représenté comme réactionnaire et « subventionné par l'église » - est différent. Je me trouve donc en minorité et suivant la démocratie syndicale je me retire et abandonne la direction du bulletin. Cela je ne le fais pas de gaieté de cœur car les « incapables et les bavards » à qui je laisse le bulletin le conduiront sans doute à néant au moment où notre action s'étendait un peu et commençait à porter quelques fruits ».
Finalement, Sohier reprend la direction d'Ar Falz, percevant bien que les instituteurs sympathisants du mouvement, déjà parfois en situation difficile avec l’Éducation Nationale, étaient surtout intimidés par le discours d'une certaine presse de centre-gauche qui voyait la réaction cléricale dans toute action en faveur de la langue bretonne. La pétition d'Ar Falz continuera à circuler néanmoins jusqu'à la fin des années 1930. Elle sera signée notamment par Pierre Guéguin, le conseiller général et maire communiste de Concarneau (fusillé à Châteaubriant le 22 octobre 1941), Albert Le Bail, député radical-socialiste bigouden, François Tanguy-Prigent, député socialiste, Alain Signor, élu communiste finistérien (Georges Cadiou, Emsav. Dictionnaire critique, historique et biographique, édition Coop Breizh, p. 22).
Sohier meurt au mois de mars 1935, à trente-quatre ans, épuisé par le militantisme et par les problèmes financiers rencontrés par la revue, victime d'une septicémie contractée à la suite d'une plaie mal soignée. Assistent à son enterrement aussi bien Olier Mordrel, son ami et témoin de mariage à Tréguier en 1929 avec Anne Le Den, que l'abbé Perrot, dont on connaît les idées conservatrices et anti-communistes, et Marcel Cachin, le directeur de l'Humanité.
Le fait que Sohier, au moment de la crise du PAB et de la remise en cause de sa direction, ait fait le choix du PNB de Debauvais et Mordrel avant qu'ils s'apprête à aborder son virage fasciste, son amitié préservée avec Mordrel, ont de quoi désorienter et peuvent amener à s'interroger sur ce qu'aurait fait Sohier s'il avait vécu les années d'occupation.
Ancien membre du PAB, Armand Keravel, qui dirigeait Ar Falz en 1940, a suspendu l'existence de l'association et est entré en résistance de le réseau de Tanguy-Prigent, puis de devenir militant communiste après-guerre quand il remonte Ar Falz en 1945, puis du PSU et du PS. Mais les convictions nationalistes et les opportunités d'affirmation publique de la culture et de la langue bretonne, l'espoir d'une plus grande autonomie bretonne, ont poussé Yann Kerlann et Meavenn à participer à la collaboration. Kerlann, qui écrivait les articles d'Ar Falz sur l'histoire et les mathématiques en breton, et avait été désigné par Sohier avant sa mort comme son successeur, a été libéré de son camp de prisonnier en 1940 sur intervention de Mordrel et de Debauvais pour former une future armée bretonne alliée des Allemands.
Auparavant, il avait été en Allemagne avec Mordrel et Debauvais en juin 1940, assistant notamment à un meeting d'Hitler et à un défilé des Jeunesses Hitlériennes. Avec ceux-ci, l'avocat Le Helloco et le linguiste Roparz Hemon, il fit partie de ces dirigeants nationalistes bretons qui ont pu avec la bienveillance des autorités allemandes rassembler des prisonniers bretons sympathisants de la cause autonomiste ou indépendantiste pour constituer un embryon d'armée bretonne pouvant servir contre une éventuelle résistance de l'Etat français. Après avoir enseigné brièvement à Cleden Cap Sizun à son retour d'Allemagne, il ouvrit à l'automne 42 avec sa femme à Plestin la première école privée dont l'enseignement est entièrement en breton. Cette école était financée par l'hebdomadaire « L'heure bretonne » et la revue de Roparz Hémon, Arvor, puis, plus compromettant encore, grâce à Célestin Lainé, par une partie de la solde des 66 soldats du Bezen Perrot, qui avaient le statut de policiers allemands affectés au SD, renseignements militaires. D'ailleurs, pendant les deux ans d'existence de l'école bretonne de Plestin, les élèves seront tous ou presque des enfants de militants nationalistes bretons, dont plusieurs enfants de membres du Bezen Perrot engagés militairement au côté des Nazis. Françoise Morvan affirme d'ailleurs que Delalande aurait écrit la chanson qui servait d'hymne au Bezen Perrot.
Kerlann était un homme de gauche. Il écrivait pour War Sao, la Revue des « Bretons Emancipés », avait adapté pour elle l'Internationale en breton, écrit une gwerz sur Sébastien Le Balp, le chef des Bonnets Rouges.
Toutefois, il est clair que Yann Sohier, s'il était un fervent nationaliste attaché à l'unité de l'emsav, était tout sauf un partisan des théories de la supériorité raciale, de l'impérialisme fasciste, lui qui défendait à longueur de pages dans Ar Falz le droit à l'auto-détermination des peuples algérien, tunisien, marocain, malgache et d'Indochine, lui qui se disait membre de la Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale.
Peu avant sa mort, dans le 21e numéro de la revue Ar Falz paru en janvier 1935, il assimile le fascisme au colonialisme : « Bretonnistes, le fascisme nous menace. Le fascisme, c'est demain la prison pour tous les militants bretons (…), la mort inéluctable de notre nationalité. La cause du breton est solidaire de tous les peuples opprimés par l'impérialisme français. Aidez nos frères de couleur à retrouver leur liberté ».
Plus tôt, Sohier décrivait avec lucidité le paravent trompeur régionaliste d'une extrême-droite bretonne inspirée par le nazisme qu'il abhorrait: « Méfiez-vous des promesses vaguement régionalistes des fascistes qui rêvent d'un nouveau coup d'Etat ». Le fascisme, prophétisait Ar Falz, c'est avant dix ans la guerre inévitable. Ce pourquoi Ar Falz dénonce « le torchon jésuitique et fasciste » de Breiz da zont dont les outrances antisémites les renvoient à leur triste vérité de « petits papistes anti-juifs ».
L'attrait du nazisme
L'évolution fasciste et raciste de Mordrel venait d'assez loin, comme son intérêt pour la montée du nazisme, c'est d'ailleurs une des raisons qui avait causé le départ des militants historiques du PAB vers la Ligue Fédérale de Bretagne.
En août 1930, Mordrel écrit dans Breiz Atao dans un article intitulé « L'élite qu'on nous donne »: « Quand je pense que toute la culture française repose sur le mépris des « barbares » que nous sommes avec foi, puisque c'est du Nord aujourd'hui que nous viennent toutes les leçons utiles !». A cette époque, Mordrel connaît très certainement Rosenberg, le philosophe nazi qu'il rencontre en 1931 à Munich où il dit s'être rendu en tant que journaliste, dont on retrouve la pensée dans la réédition en 1932 de la brochure Le Nationalisme breton : aperçu doctrinal. Dans un chapitre intitulé « Le réveil nordique », il écrit ainsi : « Le nationalisme ne peut, dans la gamme des partis et des tendances, qu'indiquer une inclinaison de principe pour le retour des peuples du Nord à leurs traditions ethniques trop longtemps tenues en suspicion par la loi romaine et un dégoût profond du cosmopolitisme douteux par lequel les puissances anonymes cherchent à étendre toujours davantage leur domination ».
Sont ainsi pointés du doigt les juifs mais aussi tous les universalismes et les idéaux politiques fondés sur autre chose que la volonté de puissance de la race.
Ses prédispositions psychologiques, son héritage familial, et l'influence intellectuelle de l'avocat Philippe Lamour, venu de l'extrême-droite, du temps du PAB avait déjà orienté Mordrel vers une critique de la démocratie, du parlementarisme, une mystique de l'élitisme, de la violence et des hommes providentiels.
En 1932, Hitler se présente aux élections présidentielles en Allemagne. Le 30 janvier 1933, il est nommé chancelier du Reich.
Le 12 mars 1933, sous le pseudonyme Ap Calvez (le fils du Charpentier, le Christ-dieu lui-même!), fait paraître dans Breiz Atao un programme politique pour le mouvement breton intitulé SAGA, un sigle pour désigner Strollad ar Gelted Adsavet, c'est à dire le « Parti des Celtes Reveillés (littéralement : relevés) ». Mordrel se situe d'emblée dans une perspective révolutionnaire de prise de pouvoir violente exigeant de dire adieu aux routines et aux scrupules humanistes: « En face de la formidable révolution qui se prépare, aucune « réserve » n'est plus de mise, car demain nous serons mis brutalement en demeure d'agir et il faut que nous soyons prêts ».
En 1942, Mordrel définira SAGA comme « l'expression celtique du national-socialisme ».
En 1932, Mordrel était retourné en Allemagne, où il avait assisté certainement avec une certaine fascination aux parades du NSDAP.
De fait, son programme SAGA est dans une large mesure une adaptation bretonne du programme nazi.
En témoigne l'analyse comparative implacable qu'en fait Sébastien Carney :
« Dans ses grandes lignes, SAGA propose un projet global pour une Bretagne utopique et de la même manière que le NSDAP devait disparaître une fois son programme accompli, l'architecte prévoit le remplacement du PNB par SAGA et la suppression de ce dernier une fois l’œuvre parvenue à terme. Il y renoue avec une conception de l'Europe de fédérations se superposant les unes aux autres, de la commune au continent, en passant par la région, la nation, la famille de nations. Dans cette optique, comme le font les Allemands... il exige la révision des traités de 1919 et le réajustement des frontières. D'ailleurs, si les frontières bretonnes doivent être fixées aux limites de la Bretagne historique – on ne sait pas de la Bretagne de quel siècle il s'agit – Mordrel prévoit que « pourront se rallier par voie de plébiscite certaines régions limitrophes ». C'est une « Grande Bretagne » qu'il imagine, quand d'autres rêvent à une « Grande Allemagne » (article 1 du programme du NSDAP). Mieux, quand il exige la « restitution à la Bretagne d'une partie des richesses nationales françaises (…) en rapport avec le chiffre de sa population », il pense aux
encaisses d'or, œuvres d'art, équipements industriels et colonies. « Nous exigeons de la terre et des colonies pour nourrir notre peuple et résorber notre surpopulation » stipule l'article 3 du programme allemand.
Le régime politique imaginé par Mordrel est certes parlementaire, mais tout en prétendant se méfier de l'autoritarisme, il prévoit un exécutif indépendant doté d'un mandat à longue durée. Si la liberté de conscience et de religion est garantie, la liberté d'expression est sévèrement encadrée : toute conception contraire à la moralité bretonne sera réprimée. L'article 24 du programme allemand exige « la liberté au sein de l’État de toutes les confessions religieuses, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger son existence ou n'offensent pas le sentiment moral de la race germanique ». Dans les deux programmes, on prétend contrôler le financement de la presse. La jeunesse elle-même fait l'objet d'un traitement particulier : il s'agit clairement de créer un homme nouveau.
En matière sociale et économique, les emprunts au programme nazi sont aussi nombreux. Chacun fait du travail une obligation, prévoit la nationalisation des grandes entreprises, favorise la petite propriété et la petite entreprise, l'intéressement des travailleurs aux bénéfices, la fin de « l'esclavage de l'intérêt »... Mais sa révision du capitalisme doit également beaucoup aux travaux de Pierre Lucius, économiste très inspiré par l'Italie fasciste et la conception médiévale de son monde du travail. Mordrel envisage un corporatisme fondé sur la paysannerie et l'artisanat, voué à évoluer doucement vers une industrialisation limitée.
Dès 1920, les vingt-cinq points du NSDAP prévoyaient que « toute fonction publique, quelle que soit la nature, ne pût être tenue par des non citoyens» : il fallait être de sang allemand. SAGA envisage l'expulsion des indésirables ou inassimilables, la suppression des droits civiques des opposants ou deviants, l'exclusion des postes de la vie publique des étrangers, surtout des Latins et des gens de couleur. Seuls les Nordiques, auxquels fait directement référence le titre même du programme, sont tolérés. En 1933, les lecteurs de Breiz Atao comprennent bien ce qui se cache derrière les « inassimilables » que SAGA compte expulser. » (Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), p. 192-193).
Un antisémitisme décomplexé et traditionnel fait de clichés éculés hérités du XIXe siècle et de l'affaire Dreyfus pouvait déjà se manifestait ça et là chez certains rédacteurs dans Breiz Atao comme dans beaucoup de journaux de la presse française des années 20 mais à partir de 1932 il va devenir plus systématique et plus théorisé, le juif devenant, comme chez Barrès, l'incarnation d'une rationalité universaliste et du cosmopolitisme facteurs d'acculturation.
Ainsi le 10 novembre 1932, Mordrel, pourtant assez proche du poète quimperois Max Jacob avec qui il fait des virées de temps en temps, publie dans Breiz Atao l'article « Le Juif et « Notre Juif » » :
« Sur notre sol, le parfum des tribus du Nord s'est conservé pur, mêlé à celui des bruyères et des flots marins, sans aucun mélange ni relent de graisse de mouton.... L'idéal d'indépendance des Juifs à l'égard du milieu national où ils vivent leur décerne une extraordinaire liberté d'esprit à laquelle nous devons des grands savants et de grands artistes... Mais toute production intellectuelle juive renferme une perversion subtile qui, si nous en subissons l'influence, ferait bientôt de nous des étrangers et des renégats à notre tradition, des iconoclastes ».
Le juif est qualifié d'inassimilable, de facteur dissolvant de notre génie national, d'agent du déracinement et du jacobinisme : « Jacobin rime avec Youppin ».
La Bretagne fédérale qualifie SAGA de « Salade Armoricaine Garantie Authentique » concocté par « Ollier Ier » : « Aujourd'hui, Breiz Atao occupe une situation solide et groupe autour de lui des jeunes qui ne cachent pas leur sympathie au programme fasciste, développé dans les colonnes de leur organe sous l'étiquette SAGA. (…). Désormais, les gauches bretonnistes ont deux ennemis, l'impérialisme français et l'impérialisme breton. Le programme SAGA, la politique nationaliste bretonne sont marqués du signe de l'impérialisme et du fascisme. La croix gammée – est-ce un hasard – est restée leur emblème ». (M. Le Morvan et Ronan Klec'h, « Tour d'horizon », La Bretagne fédérale, n°18, 13 janvier 1934).
En avril 1933, le programme SAGA fait l'objet de discussions au sein de la section de Paris du PNB : on loue l'effort pour constituer un programme de transformation sociale positif allant au-delà de la seule défense de l'autonomie et des intérêts bretons mais on considère que certaines questions importantes restent dans le flou (quid des conditions de naturalisation, du parlement, des attributions de l'exécutif, de la législation familiale et de la justice), on critique la justification du colonialisme et on craint que SAGA par le caractère abrupt de beaucoup de ses formules ne crée de nouveaux ferments de division dans le Parti.
Lors d'une réunion des responsables du PNB le 2 septembre 1933 à Carhaix, Debauvais juge plus sage de prolonger le temps de réflexion sur SAGA. De fait, même si on ne le rejette pas formellement, on n'adopte pas le programme SAGA comme programme du PNB et préfère se replier sur l'Aperçu doctrinal rédigé par Mordrel en 1925, et republié en 1932.
Stur, un gouvernail qui conduit à tribord toute
En septembre 1934 paraît le premier numéro de Stur (« Gouvernail »), que son fondateur et directeur, Ollier Mordrel, veut élever au rang de « revue doctrinale officieuse » du PNB. Lancée par Breiz Atao, dont elle est dépendante au départ, la revue est vouée ensuite à faire son propre chemin, comme Gwalarn. Stur se veut une revue de réflexion et de théorie, propre à fonder intellectuellement l'agitation de Breiz Atao. Mordrel a en tête l'exemple d'autres revues intellectuelles dont il est un lecteur assidu comme Plans ou Esprit où l'on trouve des articles de fond, des critiques de livres, de cinéma, de théâtre, des poèmes. Il avait déjà projeté en 1927 d'en créer une avec Maurice Duhamel qui se serait appelée Gwerin, « peuple » : à l'époque cette revue était conçue dans son contenu dans un esprit plus démocratique.
Un comité provisoire de rédaction est constitué, des collaborateurs nombreux vont s'exprimer dans Stur : l'Alsacien Hermann Bickler, l'abbé Gantois, Célestin Lainé, Roger Hervé alias Glemarec, Yann Fouéré, Leon Millardet, et l'historien de Morlaix Joachim Darsel.
Sébastien Carney dans sa thèse sur le mouvement Breiz Atao a bien mis en évidence l'importance du rôle de Roger Hervé ( Glémarec) dans la construction de la théorie nazie de Stur. Cet intellectuel parfois surnommé « Docteur Nimbus » est né en 1904 au Havre de parents bretons et flamands, agrégé d'histoire-géographie depuis 1926 après avoir fait des études d'histoire à Rennes, et professeur des lycées à Brest avant de s'engager dans la poursuite de son cursus universitaire à Paris en rédigeant deux thèses sous la direction de Marcel Mauss, fournit une partie des références philosophiques de la revue et est pour beaucoup dans l'obsession d'un déclin de la culture nordique occidentale par le métissage et l'acculturation démocratique et moderne contre lequel les Bretons conscients de ce qui se joue dans l'histoire du monde devraient s'efforcer de lutter.
Dans un article intitulé « La route vers nous-mêmes » de la revue Stur n°13 d'avril-juin 1938, Roger Hervé, sous le pseudonyme de Katuvolkos, Roger Hervé précise comment selon lui le « racisme breton » est motivé culturellement comme antidote au matérialisme et au latinisme: « Nous voyons les dangers que fait courir au génie celtique l'envahissement de la civilisation mécanisée ; nous n'ignorons pas non plus quelle responsabilité ont les affairistes et intellectuels de race juive dans les développements catastrophiques de ses positions matérialistes. Mais il n'en est pas moins vrai que, sur le plan précis de la culture intellectuelle, c'est le latinisme qui reste le grand ennemi. C'est lui seul qui, depuis deux mille ans, a sapé puis étouffé la société celtique, ses arts, ses aspirations et ses manières de vivre. C'est lui qu'il faut éliminer avant d'espérer pouvoir nous retrouver et nous réaliser ».
Roger Hervé, qui écrira dans la revue néo-druidique et antisémite Nemeton pendant la guerre et collaborera à l'Institut celtique à partir de 1943, est fasciné, comme Olier Mordrel, par Le Déclin de l'Occident de Oswald Spengler, maître à penser de la révolution conservatrice.
Après guerre, Roger Hervé, nous apprend Sébastien Carney, est devenu conservateur du département cartes et plans à la Bibliothèque Nationale tout en conservant ses activités militantes. Sous le pseudonyme de Bernard Delasalle, il fait paraître ainsi Sauvegarde de l'Occident en 1948, où « il n'en finit pas de se désoler du déclin de l'occident, de la race blanche nordique supérieure et de l'effondrement du nazisme ». En 1983, il publie Actualité de la pensée d'Oswald Spengler.
Spengler (1880-1936), théoricien munichois empêché du fait de sa santé fragile de participer à la première guerre mondiale, revisite sur un mode critique, immanent et non universaliste, la philosophie de l'histoire de Hegel. Il considère que l'histoire universelle est le lieu d'affrontement et de substitution les unes aux autres de cultures qui sont des ensembles achevés, des unités insécables et non mélangeables sous peine de corruption accélérée, qui doivent chacune exprimer leur puissance et leur supériorité. Splengler différencie la notion de culture, qu'il perçoit comme une expression dans le temps de la nature, de la race, de l'ethnie, et la notion unitaire de civilisation, le progrès universel. Pour lui, résume admirablement Sébastien Carney, « toute culture connaît trois âges avant de disparaître. Elle est d'abord primitive, puis mature, puis décadente ; elle meurt enfin. Cela induit donc une conception cyclique de l'histoire et nie tout sens dont on puisse l'investir : il n'y a pas de continuité entre les cultures. En ce qui concerne la culture occidentale, Spengler distingue le Moyen Age, l'époque moderne et enfin l'époque contemporaine. La civilisation, apogée du processus, annonce la décadence. Au début du XXe siècle, elle peut s'apparenter à la technique, par laquelle l'homme se retourne contre sa nature. Surtout, elle a corrompu l'esprit « faustien » du Moyen Age, occidental et blanc. Pour lui, la race résulte du sentiment d'un destin commun, de l'idée de marcher dans le même sens, de partager le même être historique. C'est le sentiment vécu d'un « nous », qui naît de l'attachement à un sentiment contraignant, d'un mythe qui nécessite une mise en œuvre par une élite conquérante et créatrice, mais pas forcément son achèvement ». Splengler, poursuit Sébastien Carney, et c'est ce qui est important en terme de justification intellectuelle du nationalisme raciste, « conçoit l'histoire comme un champ clos où s'affrontent peuples et individus comme autant de prédateurs. Tout dans la vie procède de la lutte, la guerre est mère de toute chose et se confond avec la politique... La citadelle de la race blanche qu'est l'Allemagne, dont la renaissance est donc indispensable à l'Europe, doit abandonner sa culture moribonde et consacrer ses forces aux tâches expansives de civilisation. Ainsi, pour répondre à l'agression des peuples de couleur, l'Allemand doit réveiller le barbare, le guerrier en lui. Il en résulte un mépris pour les clercs et les savants, chez qui les caractères de la race sont moins marqués que chez le guerrier et le noble. Ces hommes du destin, ces « élus de la vie », représentants d'une « haute culture », c'est à dire d'une âme qui tend à se réaliser dans l'histoire, sont dans l'entre-deux guerres le self-made-man , le bâtisseur d'empires, le chef de guerre, l'homme d'affaires, le capitaine d'industrie. Cette élite, Spengler imagine la rassembler dans une loge nationaliste qui mènera la révolution par le haut.»
(Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948)- PUR, p. 337-338).
L'historien israélien Zeev Sternhell dans un de ses livres qui ont fait date, Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France juge que Spengler « est un des plus beaux fleurons du relativisme historique de notre siècle » qui « a contribué plus que quiconque rendre possible l'emprise du
nazisme » sur les milieux cultivés. En effet, chez Spengler, il n'y a plus de valeurs rationnelles et morales universelles en dehors de l'histoire, il n'y a que de la lutte pour l'existence des cultures qui sont l'expression du vouloir vivre et de la nature des peuples. Dès lors, tout ce qui renforce l'affirmation et la puissance d'une culture et d'une nation est permis.
Un autre collaborateur de Stur, l'abbé Jean-Marie Gantois (1904-1968), nationaliste flamand originaire de la Flandre française, vicaire à Lille à partir de 1932, est un proche de l'abbé Perrot. Fondateur de l'Union Flamande de France (Vlaamsch Verbond van Frankrijk ou VVF), directeur de la revue « Le Lion des Flandres », très proche idéologiquement de Breiz Atao, l'abbé Gantois publie sous pseudonyme en 1936 Le Règne de la Race, « ode au nazisme » (Sébastien Carney) très influencée par Rosenberg. Ce livre a eu une influence idéologique importance sur Célestin Lainé et sur Olier Mordrel. Jean-Marie Gantois se réclame nostalgique des manifestations d'un christianisme médiéval fort et conquérant d'inspirant nordique, de l'héritage des croisades. Dans Le Règne de la Race, Gantois cite un article de la mouvance de l'université de Louvain qui résume sa conciliation paradoxale du christianisme et du racisme le plus furieux :
« La doctrine du racisme est celle de la rédemption de la nature humaine par la conscience que celle-ci prend de sa volonté de devenir elle-même. Elle exprime la force de l'homme germain et nordique, type le plus parfait de l'humanité. Elle admire le Germain puissant et pur, se dressant
« freudrig wie ein Held zum Siegen... » (« joyeusement comme un héros à la victoire », citation du poème An die Freunde, de Freiedrich Schiller)
Le catholicisme, lui, est la religion du triomphe de la victoire. Nous ne méprisons pas la nature humaine : nous croyons certes qu'elle est affaiblie par le péché, mais aussi que, par la nouvelle naissance de la grâce, elle est rendue capable de former, dans le Christ, une race nouvelle et sans tache, prête au combat et sûre du succès » ( Chapitre 6 de Le Règne de la Race, cité par Sébastien Carney, p. 318 de Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948)).
Au début de la guerre, le VVF de l'abbé Gantois fut interdit par les autorités françaises. Et pour cause, en 1940, l'abbé Gantois écrivit à Hitler pour que la Flandre flamande soit rattachée au Reich germanique dont elle était ethniquement parente (lettre retrouvée à la préfecture de Lille à la Libération). Puis il participera à la création en 1943, à l'instar de Roparz Hémon et de son Institut Celtique, d'un Institut flamand à Lille.
Mordrel et Gantois ont échangé une correspondance avant-guerre et Lainé, qui a vécu à Loos près de Lille dans les années 1933-1934, a certainement rencontré l'abbé.
Sébastien Carney, après Mordrel lui-même, identifie une source intellectuelle peut-être encore plus importante de la mystique raciste nordique à laquelle Mordrel et Lainé adhèrent au début des années 1930, c'est Gérard Von Tevenar, qui fait connaître à ses amis bretons l'enseignement du gourou allemand Friedrich Hielscher, constructeur d'un néo-paganisme ésotérique à base de sublimation des racines de la culture nordique qui influencera fortement les hommes de la division SS de Lainé, l'Unité Perrot, à partir de la fin de l'année 1943. Friedrich Hielscher est un saxon né en 1902 qui s'engage dans les Corps francs nationalistes dans les années 20, puis à l'issue de ses études de droit se passionne pour Nietzsche, Hegel, Spengler, et devient ami avec Ernst Jünger. Lui aussi est hanté par la thématique de la décadence de l'Allemagne et la volonté de réaffirmer l'essence d'un peuple sain ayant foi en sa vocation spirituelle très distincte du judéo-christianisme, à base d'éthique héroïque et de culte panthéiste. Hielscher crée une véritable église à base de mysticisme, de rites d'initiation, et de délire élitiste. Von Tevenar en fait partie, et y entraîne très certainement Célestin
Lainé.
Arrêtons nous sur la figure de Gérard Von Tevenar, qui compta énormément, sinon pour Mordrel et Lainé comme l'a bien établi Sébastien Carney.
Gerhard Von Tevenar, né en 1912, très tôt orphelin d'un père noble prussien tué sur le front de l'ouest en 1917, est devenu grâce à des bourses d’État et son statut de pupille de la nation, un brillant juriste, devenant doctorant à 22 ans après avoir passé sa thèse sous la direction d'un universitaire nazi.
Dans les années 1934-1935, il voyage en Irlande, en Écosse, au Pays de Galles, en Bretagne, au Pays Basque et en Catalogne, en Belgique flamande, pour y étudier les problèmes des nationalités. Il se consacre à l'étude de la culture celte et des migrations germano-celtes. Dès 1935, les autorités françaises le reconnaissent comme un agent de renseignement et en effet il travaille depuis 1934 comme agent de l'Abwehr sous la direction du général Canaris.
Pour Mordrel qui l'admire énormément, c'est « le commis voyageur de la révolution ethnique » qui diffuse aux bretons et aux autres autonomistes de France l'espoir d'un démembrement de la France en cas de victoire allemande. « Cet idéaliste, ajoute Mordrel trente ans plus tard, nous parlait d'un empire mystique du Nord, qui renouvellerait contre le monde latin et anglo-saxon la vieille fraternité barbare ».
Le nordisme de Tevenar s'appuie moins sur un racisme biologique que sur un spiritualisme et une idée de la spécificité irréductible de la culture nordique par rapport au latinisme.
En 1937 il fonde avec le Dr Kurt Georg Haller la « Société allemande des études celtiques » que côtoient aussi Hans Otto Wagner, l'abonné le plus ancien de Breiz Atao, selon Mordrel, et Werner Best, et travaille sous cette couverture pour l'Abwerh II à tisser des liens avec les minorités nationales européennes en vue d'une guerre prochaine. Werner Best, membre du Parti nazi depuis 1923, membre de la SS, n'était rien moins que le chef du service juridique de la Gestapo à Berlin, puis, de 1936 à 1940, le chargé des affaires de sureté au ministère de l'intérieur.
La première rencontre de Gérard von Tevenar avec Olier Mordrel date de l'hiver 1934. Il se serait présenté au cabinet de l'architecte quimperois muni d'une recommandation d'amis nationalistes flamands. Très vite, Tevenar devient très proches des dirigeants du PNB, tout particulièrement de Mordrel et de Lainé. Il s'intéresse de très près aux revues nationalistes, à la culture bretonne, à la nouvelle littérature bretonne. Il utilise son influence pour permettre à Debauvais de se faire soigner à Aaran, en Suisse, en 1936, puis en Forêt Noire, l'année suivante.
A cette date, Debauvais devient clairement un agent de renseignement au service de l'Allemagne, chargé de l'espionnage maritime.
En 1934-1935-1936, plusieurs virements sont faits, venus d'Allemagne au mouvement breton, par l'intermédiaire notamment de Léon Millardet, installé à Dublin où il vend des pommes de terre. Breiz Atao et Stur sont ainsi financés directement par l'Allemagne nazie et Mordrel et Debauvais, rémunérés dans le dangereux voisin, se déplacent régulièrement en Allemagne pour y rencontrer Sanders ou Hans Otto Wagner.
En 1938, Tevenar, qui était le gourou de Lainé et Mordrel et exerçait sur eux, le premier surtout, une influence charismatique et physique véritable, est arrêté par la Gestapo pour homosexualité, sans que l'on sache bien si ce motif est ou non un prétexte pour interner celui qui est perçu comme un soutien à son ancien professeur juif déçu de sa chaire universitaire, Julius Pokorny, ou un résistant du Hielcher Kreis infiltrant la SS. On le relâcha six mois plus tard et il revint en Bretagne, mais sa situation n'était plus aussi assurée et il ne pouvait plus être un vrai point d'appui pour l'équipe de Mordrel et Lainé dans son rêve d'Etat breton. Affirmation de la parenté des Celtes et des Germains puisant à une même culture nordique à base de religion panthéiste et héroïque, anti-christianisme et anti-intellectualisme, obsession de la virilité, de la propreté corporelle, de la fraternité des armes sont des « idées » portées par Tevenar qui vont être abondamment célébrées dans Stur et qui vont marquer durablement Mordrel et Lainé.
Le démarrage de la revue « Stur » est assez lent : deux mois après son lancement, elle ne compte que 17 abonnés. Ils sont 58 au second numéro, une centaine au bout d'un an. Aux dires de Mordrel, elle comptera 300 abonnés en 1937, dont une cinquantaine de donateurs, ce qu'il considère comme un « succès surprenant ». Cette influence limitée et quasiment nulle de Stur sur la société bretonne n'empêche pas que les thèses de la revue ont sans doute contribué à la radicalisation d'une partie des militants du PNB et surtout ont servi de faire valoir auprès des autorités nazies pour Mordrel et son petit cercle qui rêvaient d'une alliance en vue de jouer un rôle politique en cas de victoire de l'Allemagne dans une guerre contre la France qu'ils jugeaient inéluctable.
Dans le premier numéro de Stur, Mordrel donne le ton avec la publication en français d'un discours de Goebbels sur l'art et la traduction en Breton d'un texte de Hitler. Jusqu'en 1939, Mordrel va se faire propagandiste et vulgarisateur de la pensée nazie. Dans les numéros 3 et 4 de Stur (janvier-avril 1935), Mordrel exprime les raisons de son adhésion au « fascisme » dans un article du même nom :
« Le fascisme a tout le prestige, à nos yeux, de l'enthousiasme révolutionnaire allié à la sagesse expérimentale. Il est jeunesse, force, renouveau (…) Pourquoi dissimuler l'attraction qu'exerce sur nous la nouvelle vie allemande, remplie à la fois de poésie de la communion avec la nature et de l'enivrement des aventures collectives ? Nous envions leurs jeunesses à l'idéal élevé, au patriotisme magnifique, qui ont su durcir leurs muscles et apprendre à souffrir. Leur spectacle nous délivre de celui d'une jeunesse moins saine, moins belle, avilie par l'obsession sexuelle. Nous admirons l'élan avec lequel les jeunes, là-bas, engagent tout leur être dans les associations et les camps de travail, où paysans, ouvriers, étudiants, bourgeois sont mêlés comme des frères devant une maigre soupe. Nous voudrions voir les jeunes Bretons engager comme eux leur vie privée au service de leur nationalité ».
Le postulat de ce base de ce racisme breton est l'inégalité des races, la programmation ethnique du caractère et du comportement, et le refus du mélange, du métissage. Ainsi, dans le numéro 10 de la revue Stur qui paraît au mois de juillet 1937, Mordrel fait paraître une étude sur le « Racisme breton » qui fit beaucoup de bruit et que Georges Cadiou dans L'hermine et la croix gammée a longuement cité avec nous comme document témoin de la fuite en avant nazie d'une partie du mouvement breton avant guerre, expliquant son comportement futur pendant l'occupation :
« La reconnaissance d'une race bretonne ne conduit à une politique raciste, c'est à dire n'entraîne la transformation du racisme spontané en racisme militant, conscient et doctrinal, que si l'on aime cette race et si on désire son relèvement et son épanouissement, que si, en outre, on est persuadé de sa supériorité et du danger que peut lui faire courir le métissage : on conçoit que, dans ce sens, les Bretons qui s'imaginent que « tous les hommes se valent », que « l'amour n'a pas de patrie » et autres sornettes libérales et françaises, soient anti-racistes. Nous renvoyons volontiers ces bretons égarés aux dévoyés qui gouvernent la France et qui considèrent comme un idéal démographique la naturalisation massive de tous les métèques de fraîche immigration ou la systématisation des unions coloniales. La solution au problème des races par la fusion de la métropole avec les Jaunes d'Indochine, les Arabes d'Algérie et les Noirs du Sénégal, est sans doute conforme à l'idéologie internationaliste en honneur, mais elle va directement à l'encontre de toute idée bretonne. Le mélange des sangs, qui est un acte de foi à Paris comme à Moscou, serait un crime contre la Bretagne...
D'ailleurs, la nature nous enseigne que si les métissages sont fréquents, ils ont quelque chose d'inférieur et d'instable. La reproduction des hybrides est toujours délicate, souvent impossible et les types purs réapparaissent invariablement au-delà de tous les croisements (lois de Mendel). Le sang nègre ou juif peut se manifester au-delà de deux générations, et les lois de l'hérédité sont telles qu'on peut trouver par exemple un individu breton de type et d'âme, dans une famille entièrement française, à l'exception d'une grand-mère ou d'un grand-père".
Il y a là sans doute un plaidoyer pro domo de Mordrel, mais qui concerne aussi bien d'autres militants nationalistes bretons, qui ont aussi des parents ou des grands-parents venant d'autres régions. Ou comment baser la nationalité sur l'origine ethnique sans exclure de la nationalité les plus fervents des nationalistes défendant une volonté de pureté raciale...
"Nous considérons donc, poursuit Mordrel, comme très important d'éviter les métissages en Bretagne et de rechercher systématiquement l'extension du type nordique non pas comme meilleur véhicule du génie national, qui est devenu la chose de tous les Bretons, mais comme symbole du celtisme et comme idéal esthétique.
Nous avons la conscience d'obéir au désir profond de la Création, recherchant la pureté et l'unité esthétique. Il nous importe peu qu'au nom de la « culture » certains s'élèvent contre notre amour d'une race bretonne purifiée. On n'aime la race que si on la sent. Les Suédois au corps d'albâtre qui s'unissent à des Africaines aux pattes de singe, les grands Hollandais d'un blond céleste qui ramènent des enfants moricauds des Indes Orientales, font la preuve qu'ils n'ont pas le sens de la race. Quand on l'a, on répugne à ces monstruosités bibliques. On se soumet librement à une discipline génésique et conjugale nécessaire à la santé de la race. On considère que le racisme qui a pour but la préservation de l'essence du peuple est aussi utile que la religion qui veille au salut des âmes individuelles et que l'Etat qui préside à l'administration du bien public... ».
Mordrel poursuit ce délire raciste en préconisant des mesures eugénistes en Bretagne : « refréner la reproduction des individus dégradés ou indésirables », « neutraliser les alcooliques et les dégénérés », construire artificiellement des couples pour viser la reproduction d'un type physique préféré par une sélection préliminaire : au hasard le « type nordique breton »...
L'élitisme, l'anti-démocratisme de principe, le culte du chef né qui connaît intuitivement ce qu'attendent et ce que peuvent les hommes qui l'entourent, qui modèle et anime « la masse inerte », du « peuple veule et malléable », ce peuple femme qui attend d'être forcée par son mâle, fait aussi partie du répertoire fasciste de Stur et d'Olier Mordrel. Ainsi, dans une méditation héroïque sur « Le chef » dans Stur (n°7 et 8, octobre 1936-janvier 1937), Mordrel écrit :
« Les destins des peuples appartiennent à un type d'hommes plus complet : le chef. Les révolutions d'hier ont été conduites par des philosophes et des économistes, toutes se sont soldées par un amoindrissement spirituel des sociétés. Le doctrinaire le plus intelligent de la terre est incapable de plier la diversité humaine au schéma issu de son cerveau : il ne connaît pas les ressorts intimes de l'homme ou, s'il les connaît, n'a pas le don de les intéresser à son ouvrage. Ce don, le chef seul, le chef à tous les degrés, le possède.
C'est son signe distinctif. Lui seul a le pouvoir de faire une « révolution » constructive parce qu'il saura entraîner et ordonner le peuple (…) Mais le peuple ne se détournera des flagorneurs pour suivre ses chefs prédestinés que s'il abandonne l'illusion de toute vertu de la masse. Il doit reconnaître avec sagesse que la masse est veule et sans savoir, que les hommes sont inégaux : il en
est dont le destin est d'obéir comme il en est dont la vocation est de mener ».
La théorie nazie professée par Mordrel implique aussi l'abandon de la lutte des classes au profit de la lutte des races pour l'existence et l'affirmation, l'opposition entre les « races barbares et pures » du Nord et les civilisations cosmopolites, usées et décadentes, du bassin méditerranéen, l'affirmation du pouvoir régénérateur de la violence et de la guerre, la valorisation de l'instinct, du sang qui crée des droits, la condamnation des Lumières, de la Renaissance, au profit d'une valorisation des temps du paganisme ou d'un Moyen âge héroïque et mythique qu'il faudrait faire ressurgir, la condamnation des valeurs humanitaires du christianisme au profit d'une morale de l'action efficace pour l'affirmation des dispositions et des types d'homme les plus élevés.
Dans le dixième numéro de Stur (juillet 1930), ouvrant une rubrique « Notre monde », Mordrel écrit ainsi :
« Au bord des mers grises, quelques foyers d'inspiration nouvelle s'allument, présage sûr du feu purificateur qui embrasera un jour les champs de notre vieille terre. Un nouveau monde mûrit, qui n'est pas le bien d'une nation d'hier, qui sera l’œuvre d'un choix de peuples que l'appel du sang et le sentiment de la nécessité rapprochent. Nous l'appelons Notre Monde.
Il n'y a rien de commun entre ce monde que nous préparons et quelques-unes des cités d'utopie, rêvées par des impuissants messianiques. Le Nord a eu trois fois sa grande époque. Il y a eu la ruée galate, la marée franque et normande, la culture gothique. Le monde civilisé, pendant mille ans, gardé par notre épée, bercé par nos chants, a été notre monde.
Un temps fatal est venu où nous avons cru qu'il fallait cesser d'être nous-mêmes pour devenir plus parfaits et plus riches de vie. Nous voyons maintenant notre erreur. Un à un, chacun de nos peuples, qui a conservé la flamme ancienne au fond de soi, reprend conscience de ses normes et de son destin. Le vieux Nord, qui connaît son adversaire et n'a plus rien à apprendre, se prépare à la lutte ».
L'Allemagne attire les nationalistes bretons fascistes qui entourent Mordrel en tant que « coéquipier » dans « la lutte contre la domination du latinisme » : « Le pays qui était le berceau de la conscience nordique, écrit-il dans Breiz Atao, et qui contrairement à la France, avait reconnu la valeur et la mission des bases ethniques pour une renaissance culturelle, pouvait en être un d'une exceptionnelle efficacité. Plusieurs de nos étudiants allèrent suivre des cours dans les universités allemandes, et nous en revinrent les tempes rases et bottés jusqu'au genou. Nous n'inaugurions pas. Les Celtes ont toujours eu des amis en Allemagne, où les passionnés de l'antiquité germanique savent que leurs lointains ancêtres et les Gaulois étaient considérés par les Anciens comme un seul grand peuple du Nord » (Olier Mordrel, Breiz Atao, édition Alain Moreau, p. 212).
Les outrances nazies et le mythe d'une renaissance néo-païenne nordique propagés par Mordrel et par Stur ne sont pas du goût de tout le monde dans le PNB. Si Debauvais soutient idéologiquement Mordrel malgré des relations personnelles en dents de scie, Raymond Delaporte qui incarne une voie conservatrice, chrétienne, et d'abord préoccupée par le combat pour la défense et l'affirmation de la culture bretonnante, de l'Emsav, est en désaccord avec cette espèce d'acculturation du mouvement nationaliste breton sous l'influence du nazisme allemand. Il quitte Breiz Atao en 1937 après avoir été désavoué par Debauvais dans sa prise de distance vis à vis de Stur, propageant selon lui une « idéologie dangereuse » et ne pouvant pas revendiquer le rôle de revue doctrinale du Mouvement breton. Delaporte est de surcroît en litige financier avec Debauvais qui est incapable de lui rembourser les nombreux prêts consentis par la famille Delaporte. Raymond Delaporte crée alors une nouvelle revue, War-du ar Pal (« marcher vers le but ») dont le nom est inspiré par une citation de Youenn Drezen, qui vise à concurrencer Stur dans un état d'esprit plus modéré et conservateur, moins politique aussi, et à favoriser « la renaissance de l'esprit breton » à partir de l'étude de ses manifestations réelles.
C'est en effet que dans son évolution idéologique Mordrel s'éloigne de plus en plus du cœur du combat régionaliste et en vient même à reconnaître une vision très méprisante et condescendante des bretons réels et de la culture bretonne. Ainsi, dans ses articles sur « l'essence de la Bretagne » publiés entre le début 1935 et juillet 1937 dans Stur, Mordrel exprime son rapport très ambigu à la Bretagne et aux bretons. Pour lui, le Breton correspondant à son essence n'est qu'un homme nouveau à construire, un horizon. « Nous avons, écrit Mordrel dans Stur, une chétive littérature, une musique primitive, des arts plastiques naissants, une promesse d'architecture et une éthique nationale qui se cherche. Mais ce léger héritage nous inspire néanmoins une vision originale du monde qui sera la mère de toutes les activités d'esprit dans un style qui nous sera propre ». Le peuple breton est « vaincu », « en déroute », « en décadence » : c'est contre le tempérament, la nature et la culture abâtardie des bretons réels que doit se construire la Bretagne nouvelle. En 1939, Mordrel soutient même que la Bretagne « s'est vidée de sa substance et de son âme, ELLE A RENONCE A ETRE UNE NATION D'HOMMES BLANCS ».
Marche vers la guerre, activisme et dissensions au sein du mouvement breton
Après les attentats de Rennes et d'Ingrandes, pour pouvoir s'organiser dans la clandestinité contre les mouchards, la répression policière, et les nouvelles mouvances rivales qui gravitent autour de l'Emsav, Célestin Lainé, Fransez Debauvais, Olier Mordrel, Bob Le Helloco, et Raymond Delaporte qui y représente le mouvement breton catholique du Bleun Brug, créent à St Quai Portrieux le Kuzul Meur, un grand conseil secret du mouvement breton qui prend aussi des décisions stratégiques en amont des réunions du PNB.
En 1936, le Gwenn ha Du se rappelle à l'attention de l'opinion et des autorités en commençant par envoyer en février des lettres de menace au ministre de l'Education nationale, à plusieurs personnalités et aux journaux, donnant un mois aux autorités pour organiser l'enseignement du breton dans les établissements scolaires de la Bretagne bretonnante. Breiz Atao officiellement réprouve cette menace d'actions violentes qui pourraient braquer la classe politique contre les projets d'enseignement du breton qui ont la faveur d'un nombre croissant de communes, grâce à l'action de Fouéré et de l'association Ar Brezoneg er Skol. Fouéré lui-même publie dans l'Ouest-Eclair une condamnation de ces menaces d'attentats en insistant sur le légalisme et la loyauté de l'association tout en en profitant pour faire la promotion de ses objectifs. Delaporte et Fouéré, au moins, considèrent sincèrement comme inopportun cet ultimatum public de Gwenn ha Du.
Le Kuzul Meur a donc probablement été ignoré en tant que lieu de décision car Lainé organise avec ses hommes de main, dont André Geffroy et Bob Le Helloco, des incendies dans les préfectures de Quimper, St Brieuc, Rennes et Nantes en avril 1936. Ces attentats sont sur le plan matériel un échec, à supposé qu'ils aient visé de faire des gros dégâts, car les dommages sont minimes : un peu de parquet et de papiers brûlés, des fenêtres cassés.
A la suite de ces attentats, toutefois, la presse produit plusieurs articles et enquêtes sur le mouvement nationaliste breton, dont l'enquête sensationnaliste et alarmiste du point de vue de la plupart des lecteurs de Morvan Lebesque dans Détective « Pâques terroristes en Bretagne ». Ce dossier laisse entendre que le danger insurrectionnel en Bretagne est réel, que le séparatisme est bien installé, même s'il est minoritaire, et qu'il est sous influence nazie. Debauvais est même qualifié par l'ancien militant ultra de Breiz da Zont de « Führer du séparatisme breton ».
Bayer du Kern, ancien soldat de Gwenn ha Du qui vient de créer avec Raffig Tullou la revue druidique Kad, alors soldat au Mans, est arrêté. Lainé est convoqué dans un commissariat lillois puis relâché, mais comme Bayer le désigne comme son recruteur à Gwenn ha Du, Lainé est de nouveau arrêté. A Angers, il est confronté à Bayer du Kern qui se ravise et dit que ce n'est pas son recruteur, même si ce dernier lui a été présenté sous le nom de Lainé. Lainé est à nouveau libéré et va entamer une période militaire au 10e régiment d'artillerie de Rennes. Bientôt, d'autres témoignages vont viser Lainé, celui de Le Diberder notamment, et Lainé est réinterrogé puis finalement, faute de preuve, relâché à nouveau.
Les attentats suscitent beaucoup de tension dans le PNB, de questionnements chez les sympathisants nationalistes, notamment les partisans de l'action légale, mais aussi ceux qui les jugent ratés du point de vue des objectifs. Paul Gaignet, alors rédacteur du bulletin interne du PNB, An Hevoud, créé en janvier 1936, résume ces interrogations par une formule saisissante : « Je ne sais pas si le bon peuple de Bretagne a compris ces histoires de préfectures qui flambent sans flamber mais je sais qu'il est des membres du PNB qui n'ont rien compris du tout »( Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré, une mystique nationale (1901-1948), p. 306).
Debauvais, lui, défend publiquement le commanditaire des attentats et présente Lainé comme un « chef né ». Mordrel supporte mal que Debauvais célèbre un militant qu'il croyait contrôler et qui commence à lui faire ombrage. Mordrel égratigne à ce moment Lainé dans Breiz Atao en mettant en avant la contradiction qu'il y a à être fier d'être officier français quand on est nationaliste breton. Par ailleurs, par écrit, Mordrel rapproche dangereusement Lainé de Gwenn ha Du dont il raille les méthodes.
En 1936, les attentats ne bénéficient pas à l'audience de Breiz Atao autant qu'en 1932 : le tirage n'a quasiment pas augmenté, 3500 exemplaires contre 3000 exemplaires quatre ans auparavant, et avec 700 abonnés et 500 numéros environ vendus à l'unité, 1200 numéros en moyenne s'écoulerait à chaque fois, selon une lettre du Comité directeur de Breiz Atao du 30 juin 1936.
Ces attentats nuisent à l'efficacité de Ar Brezoneg er Skol et à la progression de l'engagement des communes pour l'enseignement du breton.
La militarisation du mouvement national fasciste breton franchit un pas supplémentaire quand Lainé crée, alors qu'il a été licencié de l'usine Kuhlmann de Loos et sous influence probablement de Tevenar, le Kadervenn, le « sillon de combat », un groupe d'entraînement paramilitaire qui vise à former l'embryon de la future « armée bretonne » (Lu Vrezhon). Dans Breiz Atao, précisant en creux qu'ils ont presque tous continué leur carrière pendant l'occupation dans la collaboration armée, Mordrel, annonçant que « tous, sauf deux, ont été lourdement condamnés durant l 'épuration, dont trois à mort » cite les noms d'une partie des membres du Kardervenn : Emmanuel Le Bars, Pierre Bernier, Jacques Bruchet, Yves Casteret, Armand Couère, Foucray, Bernard Fournier, André Geffroy, Yann Gervais, Armand Girard, Yann Gourlet, Patrick Guérin, Hemeury, Alan Heussaf, Yann Jadé, Ange Luec, Lan Louarn, Mabinog, Pierre Mesnard, Michel Noury, Ange Péresse (Olier Mordrel, Breiz Atao, édition Alain Moreau, p. 223).
Sébastien Carney note que la création de cette organisation paramilitaire n'avait rien d'anodine car les Croix de feu s'étaient fait dissoutes l'année précédente. C'était toutefois une vieille idée. Au début des années 1930, Meavenn, nous apprend Sébastien Carney, « ne ménageait pas ses efforts pour animer les Sparfelled Breiz, tout en faisant dans Breiz Atao la promotion des milices flamandes... ou des SA allemandes ».
Le premier Bagad-Stourm apparaît à Rennes en décembre 1935. Avant même sa constitution, Mordrel avaient composé des marches militaires nationalistes : « Le front levé » et « Gwerz Yann ar Gevel ».
En quoi consiste les entraînements du Kardervenn : on marche en cadence en file indienne, on apprend à utiliser des codes secrets, à faire des gardes de nuit, des campements, à maîtriser la cartographie, la cuisine. Le Kadervenn de Lainé suit une instruction de guérilla dans les Monts d'arrée et les landes de Lanvaux dans le plus grand secret.
Lainé, lieutenant de réserve dans l'artillerie, reprend des techniques inspirées de sa pratique militaire comme de ses lectures irlandaises, notamment My fight for Irish freedom, de Dan Breen, que Hervé Le Helloco traduit à sa demande à français afin de le proposer aux membres du Kadervenn comme bréviaire. Surtout, on apprend à exécuter sans poser de question, à célébrer la force, la discipline corporelle, la tenue, et à obéir aveuglement à son chef, Célestin Lainé lui-même, de plus en plus inspiré et mégalomaniaque. Le Kardevenn de 1939 inspire à Lainé ces réflexions :
« L'absence de discussion stérile, la discipline volontairement consentie, l'ordre et l'activité remarquables qui ont régné sur un tel nombre de bretons de 14 à 38 ans m'ont conduit pour la première fois à réviser mon appréciation sur mes compatriotes. Pour la première fois, j'ai eu l'impression que la Bretagne disposait de soldats en communauté cohérente et non pas seulement de cinq ou six chevaliers d'honneur dispersés dans une foule de rêveurs incapables, de bruyants discoureurs, de maniaques du scrupule, d'imbéciles anarchiques. Pour la première fois j'ai vu dans notre patrie un élément certain de puissance constructive, et je n'hésite pas à dire que ce Kardervenn Kadoudal est à mes yeux l’événement le plus important de toute l'histoire bretonne depuis cent trente ans. Ceux qui ne voudront pas voir les choses ainsi seront forcés de s'en apercevoir par la suite. Aussi les participants de ce K.D. sont-ils assurés d'avoir auprès de moi la priorité de considération sur les autres pour l'avenir » (C. Lainé, « Kadervenn Kadoudal », Breiz Atao, n°334, 30 juillet 1939 – cité par Sébastien Carney dans Breiz Atao ! p. 346-347).
Le 8 mai 1938, une petite troupe de militants nationalistes emmenée par le Kadervenn de Lainé et les Bagadou Stourm qui défilent au son de la bombarde et des cornemuses écossaises se rassemble sur le lieu de la défaite des armées bretonnes à Saint Aubin du Cormier où le pélerinage des autonomistes avait été interdit en 1936 et 1937. On y prête serment en breton devant Célestin Lainé. Voici les paroles du serment de St Aubin, évoquant les serments prêtés à Hitler par les soldats et fonctionnaires allemands à la même époque, retranscrites dans Breiz Atao le 15 mai 1938 et traduites en français par Sébastien Carney :
« Devant Dieu, voici mon serment :
En souvenir des Bretons violents et sans peur,
Qui sont morts ici,
Il y a maintenant quatre cent cinquante ans ;
Pour que se relève la Bretagne, ma patrie
Fière et forte,
Saine et libre ;
Je jure :
D'avoir une vie droite et digne,
De consacrer à ma race :
Un corps aguerri,
Un cœur sans peur,
Une âme d'acier,
Je jure :
D'être un soldat fidèle,
D'accomplir les tâches qui me sont données,
D'obéir sans tergiverser à mon chef,
D'être constamment prêt,
A donner ma vie quand il le faudra,
Pour la Bretagne,
A jamais ».
Sur le champ de bataille, Sébastien Carney précise que deux discours sont prononcés. Mordrel fait une leçon d'histoire et insiste sur les fautes des aînés, Lainé, en rupture avec ce qui vient d'être dit, se projette dans l'avenir d'une nation bretonne en armes renaissant de ses cendres :
« Camarades,
En ce lieu où furent vaincus autrefois nos pères, ce n'est pas le deuil qui germe en mon esprit. Ma Croyance en notre victoire future est si fortement ancrée en moi, tellement instaurée en moi, que je ne puis être ému par l’événement d'autrefois. J'ai beau faire, je ne puis percevoir les milliers de corps morts qui sont allongés ici. Je ne vois que des individualités actuelles debout, et à travers elles le soleil de la victoire se lever, le rayonnement de votre superbe et de votre pouvoir, qui est aussi ma superbe et mon pouvoir, et que nous appelons la superbe et le pouvoir des Bretons ».
Ab Arzel, « Ret eo d'eomp trec'hi », Breiz Atao, n°302, 15 mai 1938 – traduit du breton par Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré, une mystique nationale (1901-1948), p. 350
Lainé prend à ce moment un ascendant formidable sur les militants les plus radicaux du mouvement nationaliste breton, et Mordrel ne peut qu'en prendre hommage, d'autant que Debauvais le présente comme l'espoir et le futur chef du mouvement, et que Lainé cherche à exercer un pouvoir exclusif sur les hommes en cherchant à les éloigner de Mordrel. Ainsi, Patrick Guérin, qui rejoint le Kadervenn en 1938, écrit dans une lettre à Mordrel des années plus tard : « Célestin voyait d'un mauvais œil la concurrence que tu lui faisais en gardant autour de toi des militants tels que Le Hir, Le Rest, qu'il aurait préférait voir chez lui (…) Célestin te décrivait plumitif et bavard, tandis qu'il se présentait à nous comme le seigneur de la guerre. Certes, Guy (Vissault de Coëtlogon) et moi ne manquions pas de nous inquiéter de ces élucubrations et visions peu compatibles avec le rôle qu'il avait à jouer. Mais nous n'avions pas le choix, nous voulions nous battre et c'était le seul chef qui s'était offert ».
La police voit clair dans le nouveau statut de leader charismatique, voire de nouveau guru, de Célestin Lainé, comme en témoigne un rapport du 12 juin 1938 cité par Sébastien Carney : « Pour l'action directe, le grand chef est le lieutenant d'artillerie de réserve Lainé, ingénieur diplômé de l’École Centrale, lequel par sa persuasion a pris un ascendant considérable sur son équipe. Les membres prêtent serment devant Lainé de ne jamais trahir et d'envisager jusqu'au sacrifice de leur vie pour l'honneur de la Bretagne ».
C'est que Célestin Lainé, lui-même possédé par sa vocation mystique, dans la nouvelle crise de leadership que traverse le PNB, va apparaître comme de plus en plus comme le chef pur, implacable et prédestiné prêt à servir la cause jusqu'au bout, surtout après son arrestation suite à l'affaire des barbouillages et la publicité de son procès dans les milieux autonomistes.
En début d'année 1937, Debauvais est dans un sanatorium en Forêt-Noire, puis en convalescence à Freibourg. Mordrel s'occupe de la rédaction de Breiz Atao tandis que Raymond Delaporte est chargé du Parti. Raymond Delaporte prendra que Debauvais l'avait placé là dans l'idée d'empêcher Mordrel de se servir dans la caisse.
A partir du Congrès de Carhaix qui réunit trente-six délégués les 12 et 13 août 1937, même si quelqu'un comme Delaporte se met en retrait du PNB, ce dernier s'engage néanmoins nettement sur une ligne pro-allemande qui était déjà depuis longtemps celle de Stur.
Après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne le 12 mars 1938, Breiz Atao affirme que « l'union de l'Autriche et de l'Allemagne est dans la nature des choses ». A propos de la crise des Sudètes, la revue du PNB avance : « On ne peut reprocher au peuple allemand le droit de disposer de lui-même et de se réunir à ses frères allemands ».
A partir de février, le parti nationaliste breton intensifie sa propagande et lance une vaste opération d'inscriptions sur les murs des édifices publics de Bretagne : « Gwenn ha Du », « La Bretagne aux Bretons », « La France est foutue », « A bas la guerre pour les tchèques », « Contre la guerre impérialiste », « Les Français dehors » etc. Carhaix, Landerneau, Lesneven, Plabennec, Gouesnou et Rennes sont touchés.
Ces slogans ne sont pas toujours compris : ainsi Mordrel raconte dans Breiz Atao que devant un des chefs d'oeuvre de son cousin Bricler « Les Français dehors ! », un paysan du pays gallo près d'Etables lui aurait demandé : « Où c'est-i' qu'i veut qu'on va ? ». Cette anecdote traduit à la fois l'isolement des nationalistes face à un peuple breton qui ne remet pas du tout en cause son appartenance à la France et l'espèce de mépris pour le peuple qui habite un certain nombre de ces nationalistes bourgeois et cultivés.
C'est que Lainé, après le non-lieu prononcé le 31 décembre 1937 dans l'affaire de l'attentat d'Ingrandes, n'est plus sous la menace d'un jugement en cour d'assise et prend reprendre du service. L'exemple de l'activiste flamand Florimont en Belgique qui lance une série de barbouillages sur les panneaux de signalisation francophones est là pour inspirer Gwenn ha Du et le PNB.
Au mois d'avril, un nouveau slogan apparaît sur les murs des villes bretonnes « la France aux Juifs, la Bretagne aux Bretons ». Ce slogan antisémite est une récupération du propos du ministre de l'intérieur Marx Dornoy qui devant les propos anti-juifs de la droite à l'Assemblée, tenus notamment par le député du Morbihan Paul Ihuel, s'était exclamé : « Bande de salauds.
Et d'abord un Juif vaut bien un Breton ! », ce qui avait donné lieu à une suspension de séance et à des bagarres. L'antisémitisme de Breiz Atao devient alors de plus en plus systématiquement affirmé.
Au printemps, la police arrête une équipe militante en train de couvrir les murs de Saint Brieuc de slogans, parmi eux se trouvaient Péresse, Armand Couère, Jean Gervais, Casteret. Les militants jettent les pots de peinture sur les policiers avant de s'enfuir mais Gervais est arrêté. Le lendemain, des policiers arrêtent Péresse, Lainé, Caoussin et Geffroy au siège de Breiz Atao.
Le morbihannais de Bubry, issu d'une famille d'éleveurs, Ange Peresse, dix-huit ans, est passé à tabac au poste. Il en gardera une haine tenace pour les « français » et sera un des pires tortionnaires de l'unité SS de Lainé Bezen Perrot pendant la guerre. Un peu après son arrestation, il ira faire un stage dans les écoles SS en Allemagne avec Guy Vissault de Coëtlogon. A partir des aveux de Péresse, on arrête Couère, qui parle à son tour, ce qui permet de remonter à Debauvais et Geffroy,
chez qui lors des perquisitions on trouve 55kg de papillons et d'affiches.
Debauvais en attendant a fui à Bruxelles, où il est hébergé par le nationaliste du PNB Fred Moyse, avant de rejoindre l'Allemagne à nouveau.
La livraison du 29 mai de Breiz Atao est toute entière consacrée à l'affaire de ce « conflit franco-breton » auquel le mouvement nationaliste veut donner le maximum de publicité.
Le 22 juin a lieu le procès des activistes qui va se transformer en procès de Célestin Lainé. Sébastien Carney raconte que cent cinquante militants environ se sont massés devant le palais de justice de Rennes mais peu d'entre eux peuvent accéder à la salle d'audience.
Lainé entre dans la salle en faisant le salut nazi. A la première question du président, il répond en breton et refusera tout au long du procès de s'exprimer en français, se contentant de faire lire en français des déclarations par son avocat, ce dernier expliquant que c'est « pour attirer l'attention sur la manière dont notre langue bretonne est traitée en Bretagne, dans notre pays, du fait de la domination et des lois françaises ». Lainé s'inspire en cela de nationalistes gallois passés pour sabotage devant la justice anglaise.
L'abbé Perrot accepte avec un courage manifeste de défendre Lainé comme témoin à décharge, ce qui montre en passant qu'il était un nationaliste pur et dur, nullement hostile aux accents raciaux, nordistes et fascistes du PNB de Lainé, Debauvais et Mordrel, même si peu avant il s'était exprimé pour prendre la défense des autonomistes du pays basque avec son secrétaire Herri Caoussin contre les massacres des troupes de Franco. L'abbé Jean-Marie Perrot fait forte impression avec son discours, restitué par Sébastien Carney à partir de son brouillon:
« Quelques uns de ces jeunes hommes et en particulier M. Célestin Lainé, sont mes fils spirituels. Ils ont longuement lu ma revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne). Ils ont suivi mes congrès du Bleun Brug (Fleur de bruyère). Ils ont voulu travailler à la renaissance d'une Bretagne (bretonne)? Et je les en ai félicités. Car si les individus peuvent donner leur démission, aucun peuple ne doit le faire.
Je ne leur ai jamais conseillé la violence car l’Église aux enseignements de laquelle je veux toujours me conformer, me le défend. Mais je leur ai conseillé la résistance, une résistance délibérée, tenance aux lois injustes qui oppriment notre nationalité.
Vous n'avez pas idée, ici en Haute-Bretagne, de la réaction qui se produit sur le petit breton lorsqu'il arrive à l'école qui n'est que française. A cinquante ans de distance j'entends encore cette phrase qui me fut dite par un vieil oncle qui me conduisait à une école de ville de Basse-Bretagne : Ici et maintenant tu ne parleras plus breton, c'est défendu.
L'enfant a un droit naturel d'être enseigné dans sa sa langue maternelle. Pourquoi mettre l'enfant dans une situation inférieure parce qu'il ne sait que le breton ? Pourquoi jeter le discrédit sur le mot autonomie ? Qu'y a t-il de déshonorant pour les Bretons à demander l'autonomie dans le cadre de la France ? » (Cité par Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), p. 354).
Lainé dans la déclaration lue par son avocat Me Sorgniard, un ancien camarade de lycée, dit son combat contre la francisation, justifie l'action illégale, prend toute la responsabilité des dégradations, et termine par d'ultimes paroles de provocation vis à vis de la justice : « Je ne demande rien car plus sévèrement je serai frappé, mieux je préparerai l’événement qui va se produire dans quelques années et qu'il n'est plus au pouvoir de personne d'empêcher : l'avènement d'une république bretonne des Bretons. Vive la Bretagne libre ! ».
Lainé écope finalement de trois mois ferme, les autres de deux, à l'exception de Péresse, à qui sa jeunesse vaut une peine de un mois avec sursis. Debauvais seul, non présent, est condamné à six mois ferme par contumace. Les juges ont évité de prononcer le verdict d'un procès politique, se contentant de juger de banales dégradations sur du bien public, contrairement aux souhaits des nationalistes qui voulaient se victimiser et manifester la violence de l’État jacobin.
Suite à ses actions d'éclat au tribunal, Lainé devient plus que jamais la vedette du milieu nationaliste.
De leur côté, les fédéralistes, qui ont pris le parti du Front Populaire en 1936 et plus généralement du combat anti-fasciste, notamment en se positionnant contre les ligues factieuses en 1934 et le coup d’État de Franco en Espagne, et en appelant à la constitution de comités anti-fascistes localement, reconnaissent qu'ils sont en perte de terrain et que la dynamique au sein de l'emsav est plutôt du côté des nationalistes du PNB. Ce n'est pas un parti militant et structuré, doté d'une activité quotidienne, comme l'est le PNB à la veille de la seconde guerre mondiale, qui compte aux dires de Mordrel environ cinq cent membres, dont cent militants actifs et fiables, selon ses critères. Ce n'est plus qu'un réseau d'individus qui se connaissent et ont des engagements sociaux et politiques divers tout en gardant de fortes convictions bretonnes.
Ils publient au cours de l'été 1938 un manifeste, sorte de « testament politique » selon la formule heureuse de Georges Cadiou, signé par Yves Gestalen, Morvan Marchal, Francis Bayer du Kern, Rafig Tullou, Per Goulven, tous anciens membres du PNB et anciens collaborateurs de Breiz Atao:
« Nous réclamons le droit absolu, Républicains, Radicaux, Socialistes, Communistes, Libertaires, de lutter pour une société meilleure dans notre cadre le plus cher, dans notre pays, dans notre nation, la Bretagne. La pensée des racistes bretons semble singulièrement dangereuse pour la figure du futur État breton. Un pays aussi varié que le nôtre ne saura s'accommoder d'un État fondé sur le principe unitaire, ni au nom de la race aryenne, ni au nom d'une confession déterminée, ni au nom d'un celtisme imposé de commande. Le national-socialisme allemand nie également l'importance et les droits de la personne humaine. Le régime soviétique russe, établi à la suite d'une admirable révolution, s'il constitue un immense progrès sur les États dictatoriaux, n'en possède pas moins jusqu'ici, par la toute puissance d'un seul parti et surtout d'un seul homme, un caractère relativement anti-humain. Il reste cependant, ce que nous espérons, essentiellement perfectible, et sa mystique est moins impitoyable que celle des autres États autoritaires. Contre une idéologie de racisme breton, il existe une tradition bretonne authentique et millénaire. Nous revendiquons la destruction de l'Etat français à forme centraliste, son remplacement par une fédération française de communautés à base communale, fondée sur le fait ethnique et national, la fédération internationale des États fédératifs, la destruction du capitalisme désordonné et inhumain. Nous nous déclarons toujours partisans d'un Front uni des gauches bretonnes tel que nous l'envisagions déjà en 1933 dans La Bretagne Fédérale, sous le titre « Front rouge ». Nous formons des vœux pour sa réalisation et son action en Bretagne, face aux formations fascisantes du Parti National Breton ».
L'activisme des hommes de Lainé coupe l'herbe sous le pied aux Fédéralistes dont la déclaration solennelle fait beaucoup moins de bruit que les actions spectaculaires et les ennuis de justice du PNB, ce que Marchal constate désabusé dans une lettre à Raffig Tulou du 25 août 1938 que Mordrel cite dans Breiz Atao : « Je suis pas mal découragé par l'accueil fait à la Déclaration. C'est au fond un échec … Les barbouillages de B.A et ce qui s'en est suivi ont complètement annihilé l'effet que nous escomptions de notre initiative. J'ai donc proposé à Ryck (Ryckaert) une petite réunion gueuletonnatoire où, après avoir fait le point, nous déclarons close notre entreprise. La lecture de B.A aujourd'hui en m'apprenant que Coarer and co ont rejoint les rangs de la bande à Mordrel achève de me persuader que la sagesse consiste à regagner nos fauteuils et à ne pas nous en lever de si tôt ».
Les fédéralistes assistent impuissants à l'arrivée de la guerre et du fascisme.
Alors que le conflit européen menace de commencer avec l'annexion des sudètes, Lainé jubile d'avance et rêve à voix haute face à Mordrel. Nous sommes en septembre 1938 : « Dans un délai prévisible, il n'y aura plus de France, peut-être un vague tronçon d’État dans le centre, capitale Clermont-Ferrand. Nous devons être sur les rangs pour prendre notre part des dépouilles de la bête. La frontière du Reich suivra la Seine, Paris sera détruit. Il n'en restera pas pierre sur pierre. Nous devons reprendre la politique de nos rois, occuper tout le massif Armoricain et tenir une frontière commune avec le Reich sur la Dive. Au sud, nous devons contrôler les côtes jusqu'à la Gironde ».
En septembre 1938, 16 500 affiches sont imprimées par le PNB avec le slogan « Pas de guerre pour les Tchèques » Elles procèdent non pas d'un pacifisme de principe comme celui des fédéralistes, mais d'un sentiment pro-allemand. 200 de ces affiches sont collées.
Une information judiciaire est ouverte contre Mordrel et Debauvais.
En application du décret-loi de Daladier créant un délit d'opinion en matière d'intégrité nationale, le 16 octobre 1938, Debauvais et Mordrel sont inculpés en tant que dirigeants du PNB pour atteinte à l'intégrité du territoire.
Mordrel fuit en Belgique, en laissant des instructions à Ronan Caoussin pour ne pas publier tout de suite de nouveau numéro de Breiz Atao pour éviter de nouvelles arrestations. Seulement, pendant son absence, Lainé et ses fidèles composent seuls un nouveau numéro de Breiz Atao. Quand il revient en Bretagne, Mordrel voit qu'on cherche à le mettre à l'écart et recompose la maquette en ménageant son rival et en partageant avec lui les colonnes de Breiz Atao. Debauvais lui reproche le retard de parution du journal et sa décision unilatérale d'en différer la parution, prenant ainsi le parti de Lainé.
Le 25 octobre, Debauvais, cherchant à nouveau le procès exemplaire qui servira la publicité de la cause bretonne se constitue prisonnier. Dans une première comparution, il écope de quatre mois fermes. Mais le 14 décembre, Mordrel et Debauvais sont jugés en correctionnelle. Mordrel annonce dans Breiz Atao « le procès de la nationalité bretonne ». (11 décembre 1938). Auparavant, se référant aux accords de Munich, dont se félicite l'équipe de Breiz Atao, il écrit bravache dans Breiz Atao : « Nous allons voir comment le gouvernement de M. Daladier, après avoir donné la liberté à trois millions d'Allemands Sudètes, va traiter les interprètes de trois millions de Bretons armoricains » (Breiz atao n°313, 19 octobre 1938, « Vers un beau procès »)
Lainé s'arrange dans la publicité qu'il donne de l'événement auprès des militants pour mettre le chef breton Debauvais en vedette plutôt que Mordrel.
Sébastien Carney fait le récit de ce deuxième procès de l'autonomisme breton en six mois :
« Le jour de l'audience, Mordrel affirme : « Il y a vingt ans que j'attends ce jour ». Puis il revendique sa responsabilité dans les faits incriminés et fait un résumé des thèmes qui l'animent depuis tant d'années : le séparatisme qui est le but de sa vie, sa volonté de sauver la Bretagne de l'agonie ; la France perdue et vaincue d'avance, minée par le métissage. Au président, il affirme : « Si les français veulent se faire « négrifier », c'est leur affaire, mais pas nous ». Me Perdriel-Vaissière, ancien de l'Action Française, aborde le procès sous un angle politique. Qu'ont fait ses clients sinon pointer du doigt les problèmes que connaît la France ? Refusant la guerre, ne se sont-ils pas fait les porte-parole de la majorité des Français ? Se battant au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ne se réfèrent-ils pas aux Lumières et aux principes de la civilisation française ? D'ailleurs, affirme t-il, la France s'est battue « pour toutes les nationalités opprimées, pour qu'elles jouissent de la liberté ; partout où il y a un nez crochu, où il y a un front crépelé se disant opprimé ». De façon pernicieuse, Perdriel-Vaissière, mais aussi Me Jaigu avec qui il partage la défense, laissent libre cours à leur antisémitisme : qu'est devenue la France depuis 1936, le « bulgare Blum » et son équipe au « nom bien breton : Rosenfeld, Bloch, Ziromsky » ? Qu'ont fait les politiciens de la victoire de 1918 ? Mordrel et Debauvais ne posent ni plus ni moins que ces questions, affirme la défense. Au lieu de les enfermer et d'en faire des martyrs, il serait au contraire salutaire pour la patrie de les écouter, assure Perdriel-Vaissière. Il faut croire que les juges ne l'ont pas entendu de cette oreille : le 17, ils condamnent Debauvais à un an ferme, Mordrel, un an avec sursis, les deux à 11 000 francs d'amende chacun » ( Sébastien Carney, Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948) – p. 359-360).
En représailles, Gwenn ha Du met à exécution un projet d'attentat qui avait été planifié depuis un moment par le Kuzul Meur, Mordrel ayant volé alors qu'il était à l'armée comme réserviste les explosifs : le Monument de la Fédération bretonne-angevine, datant de la Révolution et rappelant l'adhésion à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, explose à Pontivy.
Début février 1939, Debauvais et Mordrel sont à nouveau jugés, lors d'un procès en appel où le verdict est confirmé. Le 27 février, Gwenn ha Du venge le mouvement breton en s'attaquant une nouvelle fois à la préfecture de Quimper.
La police est aux abois. Elle a connaissance, comme le prouve un rapport de dix-huit pages émis par l'Inspection générale des services de police administrative établi en mars 1938, des voyages en Allemagne de Debauvais, Mordrel, Lainé, Vissault de Coëtlogon, Péresse, du lien des trois premiers avec les agents allemands Wagner et Tevenar. Elle considère comme suspect le fait que l'accélération de la parution de Stur en 1937 corresponde à un discours de plus en plus pro-allemand, comme s'il s'agissait d'un retour sur services rendus. Elle s'intéresse de près notamment à l'article de Célestin Lainé « Nos deux bases : Irlande et prusse » où ce dernier à une double tâche pour renordiser la Bretagne : « Cultiver en nous l'esprit héroïque du celtisme : regardons le matin vers l'Irlande. Cultiver les vertus germaniques de continuité et discipline : regardons le soir vers la Prusse » (Stur n°9, avril 1937). La police perçoit aussi que la revue de géo-stratégie européenne défendant les droits des minorités nationales Peuples et frontières, dirigée par Fred Moyse et animée par Yann Fouéré à partir de la fin 1937, à laquelle contribuent aussi Hermann Bickler pour l'Alsace et l'abbé Gantois pour la Flandre, n'est nullement hostile au nazisme ni à la perspective d'une recomposition de l'Europe centrale sur la base des velléités impérialistes allemandes, et s'adresse davantage, avec ses 72 abonnés directs seulement, pour la plupart des militants nationalistes bretons, à un public européen, allemand, belge, néerlandais, tchèque notamment, à qui les numéros sont envoyés gratuitement, comme s'il s'agissait de donner des gages sur la volonté des peuples aux cultures minoritaires par rapport à une recomposition possible de l'Europe.
Mordrel est surveillé dans l'hôtel de Cancale où il passe une partie de l'été 1939 avec sa famille. La police observe les allers-venues de militants et d'étrangers, les innombrables lettres qu'il reçoit ou écrit lui-même chaque jour, souvent de l'étranger et à l'étranger.
L'affaire du Gwalarn
Voir « Le Gwalarn à Locquirec », Sébastien Carney – dans les mélanges Jean-Christophe Cassard, Historien de la Bretagne – Skol Vreizh, 2014 – p. 86
Il est établi aujourd'hui qu'un accord a été trouvé courant 1938 entre Lainé, Debauvais et Marwede, major de l'Abwerh II à Berlin. En cas de déclaration de guerre, l'Allemagne livrera des armes et des explosifs aux autonomistes bretons en échange d'un effort pour saboter les transports et communications pouvant à la mobilisation. Invité à Berlin par le faux étudiant et vrai agent de renseignement en service commandé, Gerhard von Tevenar, Lainé avait d'abord essuyé un refus auprès de l'Abwerh en 1937 quand il avait tenté de négocier l'envoi d'armes et d'explosifs aux nationalistes bretons. Depuis, la perspective de l'invasion a sans doute débloqué une promesse d'aide allemande. Dès l'été 38, les hommes de Lainé sont en région parisienne pour repérer les points de sabotage possibles sur le chemin de fer. De son côté, par l'intermédiaire de Fred Moyse et de l'Irlande, Debauvais reçoit 100 000 francs en livre sterling afin que le PNB puisse organiser une propagande de masse pour perturber la mobilisation.
En Bretagne, le débarquement d'armes est organisé en juin 1939. Hervé dit « Bob » Le Helloco, avocat stagiaire inscrit au barreau de Quimper, bat le rappel de membres choisis du Kadervenn à qui il propose une mission importante et dangereuse pour le mois d'août. Le 26 juillet, se retrouvent à Morlaix plusieurs hommes de Lainé : André Geffroy, éleveur de moutons à Locquirec, Guy Vissault de Coëtlogon, alors élève de l’École des hautes études en sciences sociales, Alain Louarn, instituteur à Quimper, Jacques Bruchet, élève architecte à Paris, Patrick Guérin, qui vient de détruire la statue de Bécassine au musée Grévin à Paris, Ange Péresse et Bob Le Helloco. Le Helloco récupère son côtre côtier, le Gwalarn, au port de Roscoff et la petite troupe d'autonomistes gagne Guernesey. Les jeunes autonomistes qui jouent au touriste à Jersey ne sont guère prudents : l'un deux en tout cas écrit le signe IRA sur les toilettes publiques et dès le lendemain la presse fait part de « l'évènement » et de la venue d'enquêteurs de Scotland Yard. Plus grave, poursuit Sébastien Carney dans son passionnant récit « Le Gwalarn à Locquirec », Vissault de Coëtlogon, ivre, fait une chute de cinq mètres au port, de retour à Roscoff. On lui signifie son congé.
Le 5 août, Le Helloco annonce enfin l'objectif de la mission : retrouver un cargo allemand dans la Manche pour récupérer du matériel. Lainé est dans le cargo qui a appareillé de Hambourg à destination de Vigo dans la nuit du 2 au 3 août. Le côtre est repéré et on transborde des caisses et barriques de 50kg à 80kg chacune mais au milieu de la manœuvre une caisse tombe à l'eau. Comme il fait nuit, Lainé, qui monte à bord du Gwalarn, décide de laisser dériver le bateau jusqu'au jour dans l'espoir de retrouver la caisse tombée à l'eau. Peine perdue...
Le soir, le « Gwalarn » arrive à proximité de la plage des sables blancs à Locquirec, mouillant à l'abri du cap de Beg-an-Fry. Geffroy arrive enfin avec quelques hommes. A défaut de canot dans le Gwalarn, Le Helloco nage jusqu'à Geffroy et ils conviennent d'un débarquement de nuit sur la grève des Sables-Blancs où Geffroy a installé des tentes pour lui, Louarn, Vissault. On débarque les caisses et barriques du Gwalarn échoué à une dizaine de mètres du rivage et elles sont conduites dans plusieurs voitures vers une villa louée par Jacques de Quelen à Perros-Guirec.
La marée n'étant pas favorable, l'équipage ne parvient pas à déséchouer le Gwalarn et, prévenu par des témoins, le syndic maritime vient visiter l'équipage le 9 août, puis, prévenus par eux, les gendarmes de Lanmeur et les douaniers qui remarquent des traces de pas et de cercles laissés par les barriques sur la plage. Le 9 août, le Gwalarn ne peut toujours pas repartir car on est en période de mortes eaux.
Or, entre-temps, un pêcheur de Jersey retrouve la caisse qui était tombée du cargo et qui contenait des tracts et des affiches disant que les Bretons ne se feraient pas tuer pour la Pologne.
L'Ouest-Eclair et La Dépêche de Brest et de l'Ouest en font part le 11 août. Lainé peu rassuré par le manque de discrétion de ses hommes dont certains se font connaître comme autonomistes, Geffroy étant déjà identifié comme tel par la population locale, ordonne la dispersion. Le Gwalarn est saisi par la police et Le Helloco, son propriétaire, arrêté, comme très vite Vissault et Louarn.
Bruchet se réfugie chez l'abbé Perrot à Scrignac puis chez l'abbé Le Saout, à Saint Goazec, où il retrouve Geffroy, Lainé et Péresse.
Mordrel dénonce un complot de l'Etat pour salir le mouvement breton et le criminaliser dans Breiz Atao le 27 août 1939. Il ne voit pas le lien entre le bateau échoué et la caisse retrouvée. Mais cette ultime livraison de Breiz Atao avant la mobilisation sera saisie et personne ne la lira.
Mordrel et Debauvais, conscients que l'affaire du Gwalarn les rend de plus en plus suspect de trahison et d'intelligence avec l'ennemi, prennent la fuite vers l'Allemagne le 29 août. Le 1er septembre 1939, alors que les troupes allemandes envahissent la Pologne, le gouvernement français décrète la mobilisation générale.
Sébastien Carney résume l'issue de cette opération du Gwalarn :
« la mobilisation a lieu sans encombre : en guise de sabotage, un jeune homme aurait mimé la pose d'une charge d'explosifs en urinant sur une pile de pont de la gare de triage de Rennes. Une partie des hommes du KD est en prison, et Lainé, influencé en cela par Von Tevenar, ne croit pas en la guerre. Il endosse son uniforme de lieutenant de réserve et ordonne à ses hommes de rejoindre leurs régiments respectifs. Les tracts et les armes n'auront servi à rien. Celles-ci sont d'ailleurs confisquées par les Allemands en 1941, suite aux débordements commis par la troupe que Lainé s'évertue à entraîner au manoir de Kerriou, à Gouézec, sous le nom de « Service Spécial ». De fait, cette livraison d'armes et de tracts a été un fiasco sur toute la ligne, si ce n'est qu'elle a permis de constater le bon fonctionnement du réseau de soutien. C'est dans cette dimension humaine que les protagonistes de l'affaire ont vu son succès, leur exploit individuel, et leur propre victoire ».
Célestin Lainé, dont l'attitude complètement contraire aux objectifs initiaux de l'opération Gwalarn a toutefois laissé ses hommes dans la consternation, est arrêté le 28 octobre 1939 pour « atteinte à la sûreté de l'Etat ». Il est jugé à huis clos puis condamné à cinq ans de prison à la centrale de Clairvaux. C'est finalement l'avance foudroyante de l'armée allemande qui l'en délivrera : Lainé réussit à s'enfuir de la prison de Clairvaux avec d'autres détenus le 14 juin 1939 à la faveur d'un bombardement allemand.