Cent ans d'engagements communistes en Finistère: Jean-Marie Le Guen (1911-1980)
Jean-Marie Le Guen est le père de nos camarades Marie-Hélène Le Guen (PCF Morlaix), de Eliane Lejeune (PCF Morlaix), récemment décédée, et de Fernande Guéguen (PCF Brest), et de Annie Le Guen (ancienne élue communiste à Huelgoat, sous le mandat de Robert Cleuziou).
Ce n'est pas un hasard si beaucoup des enfants de Jean-Marie Le Guen ont eu des engagements communistes...
C'était le combat de sa vie.
Tout un symbole: il est décédé à 69 ans d'une crise cardiaque à Brest, le 13 décembre 1980, à l'occasion d'un meeting de Georges Marchais, alors qu'il était au côté de ses filles et de son fils et qu'il s'indignait contre des anti-communistes (ou militants anti-nucléaires) qui étaient venus railler le candidat aux présidentielles du PCF à la fête de l'Unité.
Mouloudji et Bernard Lavilliers étaient invités, on pouvait manger des frites et du kig-ar-farz pour la traditionnelle Fête de l'unité, la grande fête régionale du PCF à l'époque.
Et des manifestants anti-nucléaires s'étaient invités reprochant le soutien de Marchais à la centrale nucléaire de Plogoff...
Marie-Hélène nous en parle encore avec beaucoup d'émotion, elle qui avait 24 ans à l'époque.
Son père avait déjà eu trois crises cardiaques mais elle n'imaginait pas que ce moment de fête et d'espoir avec Georges Marchais, dont la popularité dans le peuple était très forte à cette époque, et que beaucoup de communistes pensaient en mesure de dépasser F. Mitterrand pour atteindre le second tour des Présidentielles, puisse se terminer ainsi.
Jean-Marie Le Guen, son père était un personnage, conteur et bretonnant hors pair, c'était le parrain et l'ami du conteur de Huelgoat Jean-Marie Le Scraigne (1920-2016).
1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 63/ Jean-Marie Le Scraigne (1920-2016)
Ce dernier lui devait sans doute une partie de ses histoires et de sa passion du conte et du breton comme moyen d'expression et de création d'histoires...
Jean-Marie Le Guen est né le 3 novembre 1911 dans le Haut-Léon, à Lampaul-Guimiliau.
Ses parents sont venus tenir une ferme sur Locmaria-Berrien, au village Le Helaz, puis sur Berrien. C'est là qu'il a rencontré sa femme et la mère de ses enfants, Soazig Quemener (née en 1918, mariage en 1939).
Il a été brièvement clerc de notaire, puis il est devenu cultivateur à Berrien.
Il a adhéré au PCF en 1931 et est entré dans la cellule d'Huelgoat en 1934.
Il militait surtout en milieu rural avant même son adhésion au Parti, note Eugène Kerbaul.
Il fut candidat communiste aux législatives de 1936 dans la circonscription de Chateaulin 2 - regroupant les cantons de Huelgoat, Carhaix, Châteauneuf du Faou - réalisant 6,34% des voix (778 voix, 4e et dernière position, derrière Pierre Lohéac, Hippolyte Masson, Guillaume Jaffrennou).
Lors de ces élections, il arriva en tête dans les communes de Berrien, Huelgoat, Scrignac, les campagnes rouges de l'Arrée, avant même les épisodes tragiques et glorieux de la Résistance populaire à l'Occupation nazie.
Il avait fait campagne, note Eugène Kerbaul dans la notice qu'il lui consacre dans son dictionnaire du mouvement ouvrier et résistant finistérien "1918-1945: 1640 militants du Finistère. Dictionnaire biographique de militants ouvriers du Finistère élargi à des combattants de mouvements de la Résistance, complétés en 1986 et 1988", en se disant "Breton de race et de langue", ce que le journal régional du Parti avait repris et ce qui fut pour beaucoup dans son succès dans les trois communes... et dans les autres où il avait eu à parler breton à des auditeurs ruraux qui aimaient que l'on s'exprimât devant eux dans leur langue de tous les jours.
"Le breton parlé de Jean-Marie Le Guen, poursuit Eugène Kerbaul, était un des meilleurs qui fut utilisé alors aux tribunes des réunions publiques".
En 1937, Jean-Marie Le Guen a l'honneur d'être sollicité pour aller se former à l’École Nationale du PCF à Montreuil, signe que l'on voit en lui un cadre régional en devenir.
Sous l'Occupation allemande, il diffuse des tracts et publications du PCF et du Front National de Libération de la France et intègre les FTP.
Beaucoup de ses amis meurent, dénoncés par des miliciens, arrêtés par l'occupant, déportés, torturés, fusillés. Certains étaient très jeunes, réfractaires du STO. Quand Jean-Marie Le Guen évoquait cette période, il était toujours blessé et peiné.
Jean-Marie Le Guen s'engage dans la résistance armée même s'il était amputé de trois doigts suite à des travaux agricoles qu'il avait fait étant enfant à Locmaria-Berrien pour défricher la lande avec une machine qu'il avait manipulé imprudemment.
Cela lui a d'ailleurs valu une exemption de service militaire.
Mais cela ne l'a pas empêché de combattre et de diriger des opérations de combat contre l'ennemi avec bravoure et efficacité.
Le 24 avril 1947, il est cité à l'Ordre de la Brigade n°42 par le Général de Division Préaud, commandant de la IIIe Région Militaire:
"Jean-Marie Le Guen, des Forces Françaises de l'Intérieur du Finistère
Chef de section d'un cran et d'un courage remarquables.
A pris part à des nombreux engagements, notamment à l'attaque d'un convoi allemand le 28 juillet 1944 à Scrignac, où 3 camions furent détruits et 85 hommes mis hors de combat*, et aux combats de la Libération du 4 et du 5 août à Plouigneau et du 8 août à Plougastel-Daoulas.
Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre"
* A Scrignac, le 12 septembre 1943, l'Abbé nationaliste breton Jean-Marie Perrot accusé de Collaboration avec l'ennemi, est exécuté, sans doute par un jeune résistant communiste, sur une décision jointe de la Résistance, la France Libre et les FTP.
Voici ce qu'on peut lire dans wikipédia sur cette période d'une violence inouïe à Scrignac pendant la Guerre:
"Le 19 juillet 1944, une rafle commise par le kommando de Landerneau provoque l'arrestation de trois personnes de Scrignac, qui sont torturées. Entre le 18 et le 30 juillet 1944, les violences se succèdent à Scrignac. En représailles à la suite de l'assassinat de l'abbé Perrot, le bourg tout entier est mis au pillage ; terrorisés, les habitants s'enfuient. Les soldats allemands, aidés de membres du Bezen Perrot dirigés par Michel Chevillotte se servent dans les maisons, incendient l'école, la mairie, ainsi qu'un hameau de la commune, et multiplient les rafles, les arrestations et les tortures. Le 18 juillet 1944, lors d'un parachutage d'armes dans la région de Scrignac, un groupe de 13 jeunes gens est arrêté et deux d'entre eux, Robert Guinier et Pierre Le Hénaff, sont transférés par les Allemands à Pontivy; leurs corps n'ont jamais été retrouvés. Les corps des frères P. et V. Poher, demeurant à Plévin et arrêtés à Bourbriac, sont découverts à Scrignac le 20 juillet 1944, puis ceux de François Kervœlen et Édouard Guillou, exécutés le 30 juillet 1944. Le 29 juillet 1944, l'aviation alliée bombarde le bourg à la demande de la Jedburgh Team Hilary, l'objectif visé étant les deux écoles publiques où logeait l'armée allemande et le presbytère où logeaient les miliciens de la Bezen Perrot. La résistance locale s'était opposée en vain à ce bombardement qui fit vingt-trois victimes civiles parmi la population malgré le bouche à oreille qui avait annoncé le bombardement, mais seulement deux victimes parmi les militaires allemands, la plupart de ceux-ci étant partis en opération ; les miliciens demeurés sur place furent indemnes. "
Jean-Marie Le Guen a lui-même échappé de justesse à l'arrestation pendant l'occupation. Sa maison a été fouillée alors qu'il avait un pistolet dans son buffet.
Après la guerre, Jean-Marie Le Guen reste agriculteur quelques années, puis devient cantonnier municipal à Huelgoat, avant de devenir jardinier, employé notamment de la Centrale de Brennilis.
Il compose des poèmes et des balades en breton, telle "une chanson des betteraves" (Son ar Boetrabez), une narration truculente sur la ramasse des betterave en Picardie dans l'Oise par les jeunes paysans bretons des Monts d'Arrée, ou encore cette "Chanson du Maquis".
Jean-Marie Le Guen avait beaucoup d'humour. C'était un homme très ouvert et parlait avec tout le monde, y compris les curés. Il lisait beaucoup et s'intéressait à tout.
Son ar Maki
Er bloaz naontek kant pevar ha daou-ugent
Da debarket an Angliched d'ar c'hwec'h ar miz even
Ar re gentaň debarket a oa Kanadianed
Paotred an « Amerik du Nord » ‘zo soudarded kalet
Ar pempzekteiz gentaň, oa bet stard ar barti
Keot e oant ‘tebarkaň traoù war kotoù an Normandi
Me ho ped tudoù yaouank, pe re a gar ar Fraňs
D’en em angaji raktal ebarzh troupoù ar resistaňs
Pe re a zo pevar bloaz ‘zo kuzet ‘barzh ar c’hoajoù
Soatret o deus kalz a wad ‘vid difenn ar vro
Bremaň ‘zo pevar bloaz ‘zo pa oamp en em formi
Kuzet e kreiz ar c’hoajoù, vijemp aňvet « Maki »
Taolet ha distaolet eus an eil koat d’egile
Evit chom kozi dalc’hmat e danjer hor buhez
Bez’ a oa eneb deomp toud arme ar boched
Ha kalz a Fraňsijen aňvet ar milisianet
Ar re eus ouzhomp a vij’ taped e vije torturet
Evit tennaň diganto anoioù kamaraded
Nag ar boan nag an dortur na rae deomp kaoseal
Gwelloc’h gavemp soufr’ hon foan ‘vid gwerzhaň ar re all
Jean Korr ar milisian braz a oa bet tigouezhet
Da zebriň gant ur c’hamarad du-man e gar Skrignag
Med ar c’hamarad-se n’oa ket braz skolajet
Da Ziwall diouzh Fransijen n’o ket bet prevenet
An deiz-se Jean Korr ‘n doa lakeet lac’had pemp kamarad
Rapartiet diouzh ar c’hentaň group oa bet formet e Skrignag
Ha pevar gamarad all ‘n deus galloud tond d’ar ger
En ur lampad diouzh an treň du-se kichen Langeais
N’eus ket c’hoaz a gwall pell’zo oa aretet Jean Korr
O tond eus Landevenneg pa oa treuziň ar mor
Bet e bet e tre daouorn tud e ker Landerne
A zigase dezhaň da zoňj ar maleurioù ‘n doa graet
N’eus ket kalz e barzh ar Fraňs a zo gouest da gompren
Ar maleurioù o deus graet lod eus ar fraňsijen
Da betek lakkad war o c’hein gwiskamant ar boched
Ha dond da lakaad an tan war beizanted Skrignag
Eürusamant e Kergiz oa formet ur maki
En ur feurm tost ha Bont-Lemezhek oa groat dezho rekuli
Nav oto bennak o oa leun a vilisianed
Ma oa komaňset ar gombat na pebezh kriadeg
D’an daou du eus ‘n hent braz friz’ a rae an tennoù
Kalz a vilisianed o doa kavet o maro
Abao an devezh-se war beizanted Skrignag
Oa ket bet lakeed an tan gant ar vilisianed
Ar son-mân ‘zo kompozet gant un den a raeson
En deus kombated ar boched eus kreiz e galon
Maget eo mesk ar brug, tost da vro ar merienn
E chom eo bet barzh an Helaz e Lokmaria-Berrien
Ar son-maň a zo bet kompozet gant
Jean-Mar’ ar Gwenn eus an Uhelgoad
(chom en amzer-se e Lokmaria)
Traduction:
En l'an 1944
Les Anglais avaient débarqué le 6 juin
Les premiers débarqués étaient Canadiens
Les gars d'Amérique du Nord sont des soldats costauds
Les 15 premiers jours la partie avait été serrée
Tandis qu'ils débarquaient des choses sur les côtes de Normandie
Je vous prie jeunes gens, ou ceux qui aiment la France
De vous engager tout de suite dans les troupes de la résistance.
Ceux qui sont cachés depuis quatre ans dans les bois
Ils ont versé beaucoup de sang pour défendre le pays
Il y a maintenant quatre ans quand nous nous formions
Cachés au milieu des bois, on nous appelait "Maki".
Jetés et rejetés d'un bois à l'autre
Pour rester quasiment tout le temps au péril de notre vie
Il y avait contre nous toute l'armée des Boches
Et beaucoup de Français appelés miliciens.
Ceux d'entre nous qui étaient attrapés étaient torturés
Pour leur arracher le nom de leurs camarades
Ni la souffrance ni la torture ne nous faisaient parler
Nous préférions souffrir notre mal que dénoncer les autres.
Il était arrivé à Jean Corre le grand milicien
De manger avec un camarade chez moi à la gare de Scrignac
Mais ce camarade-là n'avait pas été beaucoup à l'école
On ne l'avait pas prévenu de se méfier des Français.
Ce jour-là Jean Corre avait ordonné de tuer cinq camarades
Faisant partie du premier groupe qui s'était formé à Scrignac
Et cinq autres camarades ont pu rentrer à la maison
En sautant du train là-bas à côté de Langeais.
Il n'y a pas encore très longtemps Jean Corre
qui revenait de Landevennec alors qu'il traversait la mer
Il a été pris en main par des gens de Landerneau
Qui lui ont rappelé les malheurs qu'il avait causés.
Il n'y a pas grand monde en France capable de comprendre
Les malheurs qu'ont fait certains Français
Jusqu'à mettre sur leur dos l'uniforme des Boches
Et venir incendier les paysans de Scrignac.
Heureusement à Kergiz s'était formé un maquis
Dans une ferme près de Pont-Lemezhek on les fit reculer
Environ neuf voitures étaient pleines de miliciens
Le combat commença, que de cris
Des deux côtés de la grande route fusaient les tirs
Beaucoup de miliciens avaient trouvé leur mort
Depuis ce jour-là sur les paysans de Scrignac
Les miliciens avaient mis le feu.
Cette chanson a été composée par un homme de raison
Qui a combattu les Boches de tout son coeur
Nourri au milieu de la bruyère, près du pays des fourmis
Il a habité au Helaz à Locmaria-Berrien
Cette chanson a été composée par Jean'Mar' Le Guen de Huelgoat (qui habitait à ce moment-là à Locmaria)