Soyons honnête: la nouvelle de l'arrestation suite à une inculpation pour viol d'une femme de ménage de l'hôtel Sofitel de New-York de Dominique Strauss Khan ne m'a ni attristé, ni complètement surpris car on connaissait la réputation de DSK et des histoires de moeurs ou d'affairisme l'impliquant auraient pu être déterrées par l'UMP avec des conséquences plus graves encore pour la gauche à quelques semaines des présidentielles.
Certes, si les faits allégués par cette dame à la police new-yorkaise se vérifient, ils sont extrêmement graves et déshonorent un peu la France avec celui qu'elle avait proposé pour diriger le FMI. Un viol est un crime et la portée de celui-ci apparaît encore plus stupéfiante politiquement quand c'est un puissant sexagénaire infatué qui prétend exercer une forme de droit de cuissage sur une jeune femme... Le pouvoir, la pression et les honneurs qui l'accompagnent, exigent une maîtrise de soi mais attirent les hommes de demesure et peuvent rendre fou par eux-mêmes des gens équilibrés qu'ils vont griser : on en a peut-être ici une nouvelle illustration, même si on ne peut tout à fait écarter l'hypothèse, sinon d'une imposture ou d'une machination visant à accuser mensongèrement le président du FMI pour l'abattre ou lui extorquer de l'argent en justice, du moins d'un piège qui lui a été tendu et dans lequel il serait tombé benoîtement, ce qui minimiserait fort peu sa faute.
En écoutant dans la journée d'hier les commentaires des journalistes et des hommes politiques après l'annonce de l'arrestation de DSK dans l'avion qui devait le ramener à Paris, je les ai trouvés dans l'ensemble curieusement indulgents et bienveillants pour un homme que l'on plaignait presque d'avoir sabordé lui-même son destin national supposé, quand on ne voyait pas là une de ces épreuves terribles auxquels les hommes politiques ont besoin de se frotter pour affirmer publiquement leur tempérament et devenir, en tant que "revenants qui ne meurent jamais", grâce à leur obstination, des présidentiables en puissance... Tout se passe comme si, dans le jeu des supputations électoralistes et des projections politiciennes qui excitent tout le landerneau politico-médiatique, les notions de morale privée et publique n'avaient plus guère d'importance.
Quoiqu'il en soit, on voit mal désormais le président du FMI qui risque la prison ferme concourir pour la primaire socialiste et la présidentielle de 2012 et c'est une bonne chose à plusieurs titres.
Favori des sondages et chouchouté par les médias propageant l'idéologie libérale appartenant ou non à des grands patrons proches de lui (comme Lagardère, Rotschild...), capable de recueillir des voix de droite et du centre au second tour, Dominique Strauss Khan était présenté comme l'adversaire le plus dangeureux de Nicolas Sarkozy, et comme Martine Aubry semblait hésiter à prendre ses responsabilités en 2012, il apparaissait probable que les sympathisants socialistes le désignent à l'automne prochain comme le candidat du PS pour les présidentielles, de la même manière que les militants socialistes ont pu en 2007, en plaçant l'impératif de la victoire au-dessus de toute considération de cohérence politique et idéologique, désigner Ségolène Royal, une candidate fort peu taillée pour le rôle de président de gauche.
Or, Dominique Strauss-Khan a accepté le poste de dirigeant du FMI des mains de Sarkozy et en tant que patron du FMI, il a mis en oeuvre et justifié des pratiques qui consistaient à échanger des prêts à taux d'intérêt assez élevé consenti à des Etats endettés à cause des politiques néo-libérales qu'ils avaient engagé auparavant et de la financiarisation de l'économie (nourissant la spéculation immobilière comme les attaques spéculatives sur les dettes publiques), contre des plans d'hyper-austérité, de casse des services publics, des droits des salariés et de la protection sociale, qui empêchaient durablement à ces pays de relever la tête et de retrouver une croissance acceptable. Dès lors, quelle alternative véritable DSK pouvait-il représenter face à Sarkozy? Comme l'actuel président, il apparaissait comme le mandataire des dirigeants du CAC 40 avec lesquels il s'était rapproché dès 1991 en créant le club de l'Industrie, une sorte de cénacle de discussion des grands patrons et de la gauche social-libérale. Comme Nicolas Sarkozy, il affichait sans complexe sa bonne fortune de millionnaire conseillé par des très hauts dirigeants de Lagardère et son goût pour le "bling-bling": ryad à Marrackech, appartements luxieux à Washington et à Paris, place des Vosges, mercedes de luxe offert à Anne Saint-Clair pour son anniversaire, course folle en Porsche... Certes, les dirigeants de la gauche non communiste ont rarement été d'origine populaire mais la défense de leur ambition politique, de l'Etat et des idées de justice sociale étaient pour eux un carburant suffisant, qui excluait, par conviction ou calcul d'ambition, toute idée d'enrichissement personnel par la politique et, un Blum, un Mendès-France un Mitterrand ne manifestaient pas cette avidité et cette fascination vulgaire pour les signes extérieurs de richesse: rappelons que quand il a perdu son poste de ministre, DSK a su profiter des largesses de ces amis les grands patrons, après celles de la MNEF, la mutuelle des étudiants, en servant de consultant fantôme ou en produisant des rapports grassement rémunérés pour des sociétés d'assurance ou d'autres grandes entrreprises privées pouvant passer des commandes avec l'Etat ou être intéressées par ses décisions de gouvernance économique.
DSK est aussi celui qui, au sein du gouvernement Jospin, a plaidé pour que la loi sur les 35 heures qu'il avait conçu quelques années plus tôt s'accompagne de davantage de concessions sur la flexibilité au travail et la modération salariale. Celui qui endosse une partie de la responsabilité des plans de privatisation d'Airbus, d'Air France, de l'ouverture du capital de France Telecom, de l'acceptation de la mise en concurrence au niveau européen de la Poste et de la SNCF pour le frêt ferroviaire. C'est lui qui a remis au goût du jour la vieille lune d'une reconciliation du travail et des exigences de profitalité du capîtal en voulant développer et défiscaliser l'actionnariat salarié. C'est aussi à DSK que l'on doit la défiscalisation des stock-options et qui a contribué à rendre la fiscalité sur les revenus du capital et du patrimoine moins forte que l'impôt qui ponctionne les revenus du travail.
En dépit de l'activité débordante de la grosse machine médiatique à produire des présidents compatibles avec les intérêts de l'oligarchie, le peuple français aurait, je le pense, fini par se rendre compte que DSK ne pouvait en aucun cas représenter la gauche dans une conjoncture d'agressivité inédite du capitalisme financier et de mise en crise des sociétés et des Etats souverains par la finance internationale et la mondialisation libérale, telle que celle que nous connaissons depuis 2008. Certes, sur le plan des libertés, du respect des principes républicains en matière de justice, de politique d'immigration, il aurait été un président bien moins dangeureux que Sarkozy, mais son élection, que j'estimais très improbable (à moins avis, la belle baudruche médiatique "du champion des sondages" au sourire carnassier ravageur se serait dégonflé à l'approche du premier tour, jusqu'à sans doute nous valoir un duel Marine Le Pen - Nicolas Sarkozy au second tour de 2012) aurait de toute manière contribuer à décrédibiliser davantage encore le PS et la gauche de gouvernement, à éloigner plus encore de la gauche les classes populaires, à renforcer le Front National aux élections suivantes.
S'il aurait eu des chances de battre Sarkozy ou Marine Le Pen au second tour en prenant des voix de l'électorat du centre et à droite, il aurait eu aussi beaucoup de difficulté à avoir un bon report de voix chez les électeurs de la gauche de transformation sociale, qui n'auraient pu fonder des espoirs sur les options idéologiques et stratégiques des socialistes que sa candidature aurait représentés, à l'heure ou, dans d'autres pays européens comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce, des socialistes moins liés aux milieux d'affaires a priori se plient aux diktats des marchés, de la commission européenne et de l'Allemagne, et démollissent les droits sociaux des travailleurs et des citoyens. Dès lors, même avec ce président nominalement à gauche, qui n'a pas craint de proposer que la Banque Centrale Européenne indépendante au service de la rente et du capital fixe le cadre des budgets nationaux, il aurait très compliqué pour le PCF et Front de Gauche de travailler avec les socialistes au Parlement et d'obtenir quoique ce soit d'eux.
D'ailleurs, dès 2002, Dominique Strauss-Khan, adepte des thèses de la mondialisation heureuse, avait théorisé dans un essai politique retentissant, dont s'inspire aujourd'hui le think tank Terra Nova et un de ses animateurs, Olivier Ferrand, le fait que le PS devait cesser de courir après les voix des classes populaires en défendant prioritairement leurs intérêts, puisque celles-ci n'avaient plus guère de conscience de classe, étaient censément devenues définitivement réactionnaires ou xénophobes, acquises à la droite ou à l'extrême droite, et qu'il devait se reconcentrer sur l'électorat des classes moyennes et supérieures, les professions intellectuelles, plus facilement acquis au PS, en défendant des propositions de baisse de la fiscalité pour les couches moyennes, en promouvant la culture et l'éducation, ainsi que des réformes sociétales symboliques, faisant progresser les droits individuels et le respect des différences, mais non les droits collectifs des salariés, des chômeurs et des précaires. Comment, sur la base de tels présupposés, croire que le PS n'aurait pas, au nom d'une pseudo modernité et mise en accord des pratiques et des idées, enterré définitivement pour son compte des ambitions de transformation sociale, des idées de lutte des classes et de redistribution des richesses, sans lesquelles les catégories populaires ne voient plus aucune raison de voter à gauche?
François Hollande et Martine Aubry ne représentent pas des choix politiques et économiques très éloignés de ceux de Dominique Strauss Khan, contrairement à Arnaud Montebourg par exemple qui plaide comme nous pour une VIème République et qui remet en question depuis 2005 (même s'il a soutenu la candidature Royal par opportunisme) les dogmes libre-échangistes et néo-libéraux qui président au fonctionnement de l'Union Européenne, mais ils sont tout de même moins des incarnations de la trahison complète des idées socialistes de rupture avec l'ordre établi et la domination de l'argent. Leur sens de l'unité des socialistes et de la gauche, leur moralité et leur désintéressement personnels sont mieux avérés et ils ont déjà une expérience du dialogue avec les autres partis de gauche, avec lesquels ils savent qu'ils devront composer vraisemblablement au Parlement en cas de victoires aux présidentielles et avant cela, pour obtenir un bon report des voix de gauche (sans lesquels ils n'ont aucune chance de passer, contrairement à DSK) au second tour.
Ismaël Dupont.
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