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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 11:37

 

Qu'ils s'en aillent tous, Jean-Luc Mélenchon, Flammarion, 10 €: une révolution citoyenne est à portée de main.

 

« Il y a en ce moment une déplorable ambiance de nuit du 4 août ». Cette formule de Jean-François Copé que cite Mélenchon en introduction dit assez bien la crainte que les classes possédantes ont d'une prise de conscience par le peuple de sa capacité à renverser des privilèges qui sont tout aussi exorbitants que ceux de l'Ancien Régime. En effet, dans cet essai au ton direct et combattif qui a déjà fait vendre plus de 53000 livres, Mélenchon rappelle que « nous sommes la cinquième nation la plus riche du monde» tandis qu' « il y a 8 millions de pauvres dans notre pays » et que leur nombre a bondi de plus de 1 million depuis 2007. Entre les smicards, les victimes du travail précaire, du temps partiel, et du démantèlement des services publics et de la solidarité nationale (radiations des listes de chômeurs, déremboursements des frais de médicaments et d'hospitalisation...) d'un côté, et les gagnants de l'ultra-libéralisme de l'autre, il y a un gouffre qui se creuse chaque année davantage. A titre d'exemple significatif, depuis le début des années 2000, les revenus des patrons du CAC 40, chantres de l'austérité et pourfendeurs des charges sociales et des privilèges sociaux ont été multipliés par 8 (p. 58). Ainsi, le patron de BNP Paribas, Baudouin Prot, a perçu en 2009 200 ans de SMIC, tandis que celui d'Axa, Henri de Castries, s'est assuré des revenus équivalent à 265 années de SMIC et que celui de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, a touché 770 ans de SMIC.

 

On nous dit qu'il est populiste de lâcher à l'aveuglement du courroux populaire ces brillants patrons qui, après tout, ne gagnent pas plus que leurs homologues américains, européens, indiens ou chinois. Mais la spéculation financière et le primat de l'actionnaire nuisent à la production effective de richesses redistribuables aux salariés et un tel niveau d'inégalités, dont le prix est l'exploitation des producteurs, est suffisamment indécent pour pouvoir, s'il est connu de tous, servir de ferment révolutionnaire. Or, le but de Mélenchon paraît bien dans ce livre de montrer à une population dont la résignation a trop longtemps été le principal allié du capital mais qui en France, conserve le souvenir de sa tradition révolutionnaire glorieuse, qu'une voie de changement radical est nécessaire et possible dans un cadre démocratique. Comme le souligne avec force le tribun de la gauche socialiste en introduction, les révolutions démocratiques d'Amérique du Sud (Vénézuela, Bolivie, Equateur), dans lesquelles le peuple a repris la main sur son destin après des décennies de domination oligarchique et d'application des recettes néo-libérales qui l'avaient mis à genoux, nous montrent, nous montrent la voie à suivre pour sortir du consentement à la domination des marchés:

 

 « La révolution que je souhaite est citoyenne d'abord en ceci que, si elle s'enracine dans le mouvement social, elle se déclenche et se mène par les bulletins de vote et les élections...Ce primat des urnes, c'est la grande contribution des révolutions sud-américaines contemporaines. L'implication populaire est massive, multiforme et constante. Et on y vote beaucoup, après des campagnes électorales extraordinairement âpres! La vieille rengaine selon laquelle les révolutions de gauche ne font pas bon ménage avec la démocratie est caduque. A l'inverse, on voit bien comment les libéraux sont en froid avec la démocratie. En Europe, les référendums français, hollandais et irlandais sur le traité de Lisbonne ont bien montré que la décision des citoyens est tout simplement annulée quand elle n'est pas conforme aux dogmes libéraux. Et chaque jour, l'Union européenne accroît cette dérive autoritaire. La révolution citoyenne...c'est un renversement de pouvoir. Elle le reprend à l'oligarchie, au monarque présidentiel, à l'argent roi. Elle les chasse. Elle change les institutions pour atteindre ses objectifs. Elle renverse la primauté de la finance, abolit le « dogme de la concurrence libre et non faussée », réorganise la production et le partage des richesses. (introduction, p.16-17).

 

L'essai de Mélanchon esquisse ensuite les différentes dimensions que devra prendre pour lui cette révolution citoyenne en argumentant des propositions-phare pour la restauration d'une vigueur républicaine dans notre pays (premier chapitre), pour un autre partage des richesses (chapitre deux), pour une autre Europe (chapitre trois), pour une planification écologique (chapitre 4), et enfin pour un monde plus pacifique et moins écrasé par l'impérialisme américain (chapitre 5). Sans prétendre à l'exhaustivité, nous pouvons indiquer quelques unes des propositions que Mélenchon soumet au débat dans la population et chez les sympathisants du Front de Gauche, sachant que beaucoup de ses propositions ne sont pas originales et se trouvaient déjà dans les programmes du PCF depuis longtemps, toute notre interrogation pouvant porter sur les moyens de montrer au peuple qu'elles sont réalisables et que le rassemblement qui les porte peut arriver au pouvoir afin de les mettre en œuvre concrètement.

 

  • Réformer les institutions en convoquant d'emblée comme au point de départ de la Révolution Française et comme dans plusieurs pays d'Amérique Latine gérés par une gauche de combat une Assemblée Constituante. Cette constituante serait un moyen de redonner de la légitimité aux pouvoirs représentatifs, de répondre au défi de l'abstention des classes populaires en rendant au peuple le sentiment qu'il est à l'origine de ses institutions qui lui permettent d'exprimer sa souveraineté inaliénable.

  • Tourner la page du présidentialisme en restaurant un régime parlementaire permettant à la diversité des sensibilités politiques de la population d'être représentées et en rompant avec les pratiques de concentration du pouvoir dans les mains d'un clan quasi-mafieux et d'étouffement du débat législatif.

  • Reconstruire une école laïque de qualité qui éveille la raison, la curiosité intellectuelle et l'esprit civique de tous les jeunes et qui ait les moyens de former des compétences intellectuelles élevées si nécessaires dans la mondialisation. Réserver les fonds publics aux établissements publics, revenir sur la carte scolaire et l'autonomie des établissements.

  • Permettre aux médias d'éclairer réellement le citoyen et non pas seulement de le divertir ou de le manipuler pour complaire aux puissances d'argent. Supprimer les empires médiatiques contrôlés par le grand patronat de l'armement, des BTP, ou de la finance travaillant pour l'Etat et se servant de lui. Restaurer un vrai statut stable et une formation intellectuelle exigeante des journalistes et leur rendre une indépendance à l'intérieur de groupes de presse, de télévision, ou de radio, qui devraient fonctionner comme des coopératives autogérées avec pourquoi pas une partie de financement public.

  • Rendre aux français les dix points de la richesse nationale totale qui sont passés de la poche des producteurs à celle des rentiers au cours des 25 dernières années (195 milliards par an de transfert du travail vers le capital). Cela passe par un SMIC à 1500 euros net, par une taxation du capital à la même hauteur que le travail (ce dernier est actuellement taxé en moyenne à 42% quand le capital l'est à 18%). Cela passe aussi par la création d'un revenu maximum, la très forte taxation des hauts revenus permettant de financer des services publics de qualité augmentant la liberté concrète de tous. « Ce salaire maximum, on peut l'établir en suivant la proposition de la Confédération européenne des syndicats: au sein d'une entreprise, pas de salaire, en haut de l'échelle, qui fasse plus de vingt fois celui du bas de l'échelle. Il ne s'agit ni d'égalitarisme ni d'uniformisation. Je suis parfaitement conscient qu'il y a des tâches dont le contenu a une valeur d'usage et une valeur d'échange différentes et que toutes ne s'achètent pas au même prix. Mais ce système lie tous les étages de la pyramide. Ainsi, celui qui est en haut de l'échelle, s'il décide d'augmenter son salaire, aura l'obligation d'augmenter ceux du bas de l'échelle ». (p.67). 30000 euros par mois serait pour Mélenchon un plafond de revenu raisonnable que l'on pourrait atteindre à taxant à 100% les 0, 05% de contribuables, c'est à dire les 15000 ultra-riches qui dépassent actuellement allégrement après imposition ce plafond. Aux Etats-Unis, le président Roosevelt avait bien porté le niveau supérieur de l'impôt sur le revenu à 91% en 1941, niveau qui est demeuré jusqu'en 1964.

  • Sortir du traité de Lisbonne et restaurer la souveraineté populaire à l'intérieur de l'Europe. En effet, « le capital exige que soient constitutionnalisées les normes interdisant qu'on le maîtrise. En ce moment, c'est du délire! Les uns veulent interdire dans la Constitution les déficits publics, les autres veulent passer des accords européens qui interdisent les augmentations d'impôt »(p. 73). On ne peut plus accepter cette Europe qui se met au service des intérêts privés en forçant les peuples à privatiser ou à ouvrir à la concurrence leurs services publics (poste, électricité, transports), qui menace d'exercer son véto sur les budgets présentés par des gouvernements qui ne feraient pas assez de coupes sombres dans les dépenses sociales. Mélenchon, qui a longtemps pensé que la construction politique européenne pourrait être « un moyen de rétablir la souveraineté populaire mise en cause par la mondialisation et la puissance des Etats-Unis d'Amérique » n'y croit plus. Seul une option renforçant le pouvoir du Parlement et du fédéralisme européen aurait pu rendre l'unification européenne compatible avec l'idéal républicain mais ce n'est pas le choix qui a été fait au début des années 2000. De la même manière que les Anglais ont obtenu le droit de déroger à toute législation sociale plus favorable que la leur, la France devrait pouvoir demander l'opt-out pour ne pas appliquer des directives remettant en cause ses services publics et ce qu'il reste de son modèle social.

  • Mettre l'ambition écologique au cœur du projet politique de la gauche sociale. Il ne s'agit pas d'idéaliser la nature ou de « sauver la planète » pour elle-même: « Elle se fiche bien de nous ». Il nous faut seulement « lutter pour sauvegarder l'écosystème qui rend possible la vie humaine ». Ce n'est pas la main invisible du marché qui le permettra mais le volontarisme des Etats plaçant l'intérêt général à long terme des sociétés au-dessus des appétits financiers, ce pourquoi l'adhésion au libéralisme et au capitalisme mondialisé et financiarisé ne s'accordent pas avec le souci de préserver l'environnement qui rend possible la vie sociale. Il faut lutter contre la création de droits à polluer monnayables créant un marché spéculatif de l'émission de gaz à effet de serre, lutter aussi contre les stratégies marketing des multinationales du « capitalisme vert » qui instrumentalisent les préoccupations écologiques pour trouver des nouveaux marchés juteux, comme celui des agro-carburants dont la croissance se fait au détriment de l'agriculture vivrière et de la lutte contre la faim dans le monde. En revanche, la prise en compte des dégâts du productivisme et du consumérisme exacerbés par la recherche des taux de profit les plus élevés est une porte d'entrée stratégique pour une remise en question radicale du système capitaliste (p.96), dont on voit bien qu'il ne « marche pas », qu'il n'est pas viable à long terme. Pour lutter contre le réchauffement climatique et pour la qualité de vie des producteurs et des consommateurs, il est également nécessaire de relocaliser les productions en luttant contre la trop forte importation de produits agricoles et les délocalisations industrielles. Contre les dogmes libre-échangistes, il est donc indispensable de rétablir une dose de protectionnisme pour des raisons sociales et écologiques complémentaires et de mettre en place des circuits courts pour rapprocher le producteur du consommateur en limitant les productions d'exportations. Mélenchon propose aussi de favoriser réellement le transport ferroviaire au détriment de la circulation des camions et de sortir progressivement et méthodiquement du nucléaire: « La folie, c'est de dire qu'on va continuer à produire de l'énergie avec un système dont un seul accident peut équivaloir à toutes les catastrophes que le pays a connues depuis qu'il existe. Et qui, de plus, laisse des déchets nuisibles jusqu'à la fin des temps » (p.105). Des pistes à explorer: les économies d'énergie par l'isolation des bâtiments, le recyclage de l'énergie naturelle, et l'exploitation de la chaleur du sol et du sous-sol.

  • Se battre pour la paix dans le monde en sortant du commandement militaire de l'OTAN qui « est à présent un pur organe impérial des Etats-Unis » (p.115), en cessant de justifier des interventions armées motivées en réalité par des raisons stratégiques et économiques par une rhétorique humanitaire, en construisant des partenariats privilégiés avec des grandes puissances telles que la Chine et la Russie pour pouvoir équilibrer le poids écrasant des intérêts américains dans la politique internationale, cessant d'encourager le risqué démantèlement des Etats en légitimant des régionalismes ou des nationalismes en quête de séparatisme, le communautarisme devant sa vigueur à l'affaiblissement des projets politiques de progrès social et des solidarités collectives. Œuvrer au désarmement nucléaire généralisé.

Pour ce républicain patriote qu'est Mélenchon, si attaché à la tradition historique de la gauche française depuis le XVIIIème siècle à l'inverse de beaucoup d'hommes politiques socio-démocrates contemporains, « la France est le pays où peut s'ouvrir une grande page neuve de l'histoire du monde » (p.138) qui nous montrait une voie de sortie à un système qui transforme les gouvernements « en agences de spectacle politique » et qui « patauge dans les crises financières endémiques ». Il nous reste à nous mobiliser pour que ce sursaut nécessaire ne reste pas un vœu pieux.

 

Compte-rendu de lecture réalisé le 26/01/2011 par Ismaël Dupont.

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