A l'unisson des autorités officielles, depuis plusieurs semaines, journaux, radios, télés commémorent la Libération, et tout particulièrement la Libération de Paris.
Devoir de mémoire face à une période odieuse, trouble et héroïque dont les témoins s'effacent, envie d'imaginer le passé pour se faire peur, de revivre avec une curiosité inquiète ou malsaine les violences, les bassesses et les crimes, besoin de vibrer par procuration devant un Courage, un Salut, une Grandeur, et un Enthousiasme collectif qui ne sont plus de saison, nécessité pour le pouvoir politique (en particulier le monarque présidentiel, ses ministres et sa cour anxieuse) sans projet collectif, sans dignité autre qu'affectée, sans sincérité, sans légitimité populaire, sans foi en son pouvoir de changer la vie et de résorber les maux du temps (chômage, inégalités...), de se relégitimer en instrumentalisant le Passé, en s'emparant symboliquement d'une continuité improbable avec les artisans de la Libération, en prétendant, comme toute les franges de notre société enflées de bonne conscience démocratique née de l'indifférence et de la volonté d'auto-aveuglement, en être les dignes héritiers: ce ne sont pas les mobiles qui manquent pour consacrer des flots de paroles et des masses de coûteuses cérémonies commémoratives, avec salut aux drapeaux, feu d'artifice, itou, itou, à cette Libération de la France.
Dans la plupart des cas, dans les médias, on s'arrête sur les détails factuels - le "qui? quoi? comment?" - mais, curieusement, jamais sur le "pourquoi?" . A croire que la réponse serait évidente et se résumerait à une question patriotique: libérer notre pays d'une odieuse occupation étrangère. Bien sûr, c'était là l'objectif premier et le plus fédérateur.
Mais en réalité, ce que l'on n'interroge guère, ce que l'on ne rappelle guère, ce sont les idéaux de la Résistance: la Souveraineté du Peuple et la démocratie politique et sociale complète, le droit au bonheur et à la dignité pour tous grâce à la Sécurité Sociale Universelle et aux Retraites, le droit universel à l'éducation, à la culture, et au loisir, le droit au travail et le droit du travail pour affranchir le travailleur des féodalités économiques, la lutte contre les inégalités, le pouvoir d'influence dangereux pour la démocratie des banques et des trusts compromis dans la collaboration, car l'argent n'a pas d'odeur, les nationalisations de Services et d'Industries d'intérêt général.
Comment s'en étonner à une époque où l'on attaque progressivement mais implacablement le caractère protecteur du droit du travail, du système des Retraites, de la Sécurité Sociale et du système public de Santé, on l'on réduit le budget de la culture et soumet aux impératifs de la rentabilité les artistes et intermittents du spectacle, où l'on sacrifie sur l'autel du libre échange et du dumping social notre industrie, nos emplois et notre souveraineté économique, où l'on consent très bien à l'augmentation des inégalités, à la souffrance de 8 millions de chômeurs et de 5 millions de pauvres en se donnant pour seuls objectifs la réduction des déficits et la baisse du coût du travail, c'est à dire des salaires et des solidarités, pour complaire aux agences de notation, aux organismes technocratiques de Bruxelles, et aux amis du MEDEF?
Quel danger pour les médias et les partis de gouvernement au service des puissances d'argent et de la pensée unique néo-libérale de rappeler les valeurs fondatrices du Conseil National de la Résistance et de la restauration de la République à la libération à une époque où l'on compte pour chose négligeable le droit souverain du peuple français de se gouverner lui-même, en dessaisissant ses représentants du pouvoir de dire le droit et de décider des politiques sociales et économiques avec cette dictature pro-capitaliste de l'Europe que l'on continue à bâtir et supporter, avec la mise en place du Traité budgétaire européen et du Grand marché transatlantique!
Quelle honte de rappeler les intentions, les espoirs et objectifs sociaux de la Résistance dans un temps où les politiques substituent à la Parole porteuse d'idées et d'intentions la communication mensongère et vide méprisant ses destinataires!
Quelle tristesse d'évoquer le combat anti-fasciste des Partisans et Maquisards quand, à force de médiocrité et d'impuissance voulue, de renoncement sur les valeurs républicaines, de légitimation par l'acte et la parole du discours d'intolérance et de stigmatisation, on laisse devenir un parti d'Extrême-Droite, le Front National, constitué à la base par des nostalgiques de la Collaboration, de la Révolution Nationale ou du Fascisme, le premier parti de France par le nombre de voix obtenus aux dernières élections nationales...
70 ans après, de la flamme de la Résistance, il ne nous reste que la cendre, le Musée Grévin, et les cérémonies consensuelles et à moitié vidées de leur sens.
Notre République n'a plus rien de sociale et de réellement démocratique. Les responsables politiques du PS et de l'UMP n'ont ni le sens de l'indépendance nationale, ni le souci de la souveraineté populaire, du progrès social, et du combat contre le pouvoir corrupteur et asservissant de l'argent et des féodalités économiques avec lesquelles ilscollaborent sans trop de problème de conscience.
C'est pourquoi il est plus important que jamais de rappeler les valeurs de la Résistance, et de se souvenir que les résistants n'étaient au départ qu'une poignée de têtus et de croyants, pour que les citoyens retrouvent l'esprit de résistance et de critique, de solidarité et d'espoir, une foi en leur pouvoir de transformation politique et sociale.
La Libération est toujours une tâche à entreprendre.
Ismaël Dupont
A lire aussi: le billet d'humeur de notre camarade du Front de Gauche Loïc Digaire "Commémorations 2014" sur le blog de Médiapart:
http://blogs.mediapart.fr/blog/loic-digaire/150814/commemorations-2014
commenter cet article …