Publication: 07/10/2013 07h42 Huffingtonpost
Sénatrice EELV du Val-de-Marne, Directrice d'études à l'EPHE
Il n'y a pas que notre Ministre de l'Intérieur à nous laisser entendre que les Roms ne sont pas intégrables et que la meilleure solution pour eux (pour nous ?), c'est qu'ils rentrent chez eux. Si Sarkozy l'avait dit aujourd'hui, le peuple de gauche se serait mobilisé en masse, aurait crié au scandale, serait descendu dans la rue. Mais là, non, voyons, M. Valls a peut-être bien raison, n'est-ce pas ? Si on ne le suit pas sur cette voie bien glissante, les Français ne seront-ils pas tentés de voter Front national ?
Suivre la vague
Bravo au Front national, dirai-je. La gauche s'ingénie maintenant à piloter la France en ne lâchant pas des yeux la droite radicale ou simplement la droite de la droite. C'est là que réside la victoire de Marine Le Pen. Ses idées n'ont pas seulement pénétré dans la population, elles déteignent aussi sur la gauche. Notre président de la République n'a même pas éprouvé le besoin de recadrer M. Valls. Parce que pour gagner les municipales, ou ne pas trop les perdre, il ne faut pas hésiter à jouer avec les peurs du peuple. A jouer avec le feu.
Pour l'instant, les résultats de cette belle stratégie peinent à se manifester. Il suffit de regarder du côté de Brignoles... Le Premier Ministre a eu un peu plus d'audace, et peut-être de réalisme, en recadrant, lui, son ministre de l'Intérieur, même à demi-mots, à son accoutumée, mais à la manière, disons, de l'honnête homme qu'il est, sans plus. C'est presque du courage quand 65% des Français sondés disent partager les vues dudit ministre sur la non-intégrabilité des Roms.
Les barons socialistes, de leur côté, suivent la vague. Il s'agit d'être réélu. Les temps sont durs. Et même lorsque certains maires de gauche font un travail positif avec les Roms et oeuvrent avec imagination et détermination pour aider à leur intégration, ils préfèrent parfois ne pas trop ébruiter leurs succès. En ces matières, même un succès pourrait vous faire perdre des voix...
Belle politique du "bouc émissaire" dont certains de nos dirigeants s'imaginent qu'elle fera oublier à leurs électeurs la gouvernance à l'aveugle d'un exécutif dont le bateau tangue sensiblement à force de manquer d'audace et d'inventivité. Le vrai coup de génie du FN est d'avoir fait suffisamment peur à ce même exécutif et à une partie du peuple de gauche avant même d'engranger de bons scores électoraux.
A quoi donc sert la gauche ?
Ce n'est pas parce que les Français se droitisent qu'il faut les caresser dans le sens du poil. Est-ce vraiment notre rôle, à nous, la gauche, de les prendre par la main et de les conduire, doucement, vers le précipice ? D'autres peuples avant nous ont suivi cette pente fatale. Et le réveil, hélas, vient bien souvent trop tard.
Au lieu de communiquer efficacement sur sa politique, et sur les choix, vraiment de gauche, que la gauche, au gouvernement comme au Parlement, parvient parfois à mettre en oeuvre, on a l'impression que l'on s'ingénie plutôt à assurer la promotion médiatique des dérapages de M. Valls. On s'étonnera, après cela, que les idées du FN fassent leur chemin sûrement dans les esprits.
La gauche n'a pas été portée au pouvoir pour faire, avec les Roms (c'est vrai, ils ne votent pas), ce que Sarkozy a fait et ce que le FN veut faire. La gauche n'a pas été portée au pouvoir pour cette politique du "bouc émissaire". Sarkozy a perdu, d'ailleurs. Et les socialistes peuvent au final, eux aussi, laisser des plumes à ce petit jeu-là. Si les Roms posent des problèmes aux riverains, ce qui est vrai, n'y a-t-il pas d'autres moyens de les résoudre que ceux qu'on veut nous vendre ?
Abstentionnistes, levez-vous !
Mercredi dernier, je me suis rendue à une soirée organisée par le collectif "Stop Le Contrôle Au Faciès". 13 personnes ayant subi un contrôle d'identité abusif avaient porté plainte contre l'Etat et le Ministère de l'Intérieur. Elles venaient, toutes les treize, d'être déboutées par la justice. Un des plaignants, par ailleurs militant associatif, a tiré les leçons de ce jugement et du refus du Ministre de l'Intérieur (toujours lui) d'instaurer la délivrance de récépissés, le meilleur moyen de limiter efficacement la multiplication des contrôles abusifs. Il a simplement appelé l'assistance à ne pas aller voter aux prochaines échéances électorales. C'était clair, net, et logique.
Curieusement, cela, on dirait que la gauche - une certaine gauche - ne veut pas l'entendre. M. Valls défend sa police. Pas ceux qui, citoyens de ce pays, sont quotidiennement contrôlés si souvent sans motif, en raison de leur tenue vestimentaire, de la couleur de leur peau, de leur lieu de résidence. Le lendemain de cette triste soirée, je suis revenue à la charge. Et j'ai demandé à M. Valls, dans l'hémicycle, comment - et quand - il entendait remédier à cette pratique du contrôle à la tête du client. La réponse a été évasive.
Les populations objet de ces brimades sont souvent accusées d'être abstentionnistes. A la dernière élection présidentielle, elles sont sorties du bois. Elles ont voté. Pour Hollande. Pour la gauche. Croit-on vraiment qu'on les y reprendra ? L'abstentionnisme tous azimuts a de belles heures devant lui. Et on sait à qui il profitera. Au FN. A cette allure, non seulement les bonnes recettes socialistes ne réussiront pas à stopper l'avancée du FN, mais elles feront aussi perdre les voix des fidèles et loyaux électeurs de gauche.
Jeux du cirque
Les poncifs réactionnaires, racistes, xénophobes sont décidément fort tendance. On ne les entend pas dans la bouche de nos seuls politiques. Ils sont aussi très en vogue chez maints "intellectuels" de seconde zone qu'on invite à s'exprimer librement lors de colloques prétendument "contradictoires". Ça fait démocrate. Belle démocratie que celle-là, qui encourage une salle à moitié acquise à ne surtout pas remettre en question les clichés qui l'aveuglent.
J'ai vécu ça samedi, à un colloque qui se déroulait à Nantes. L'un des rédacteurs en chef d'une revue ultraréactionnaire a pu débiter ses dangereuses fadaises, sans que personne tente vraiment de l'arrêter. Rien ne nous a été épargné. Et nous y sommes tous passés, "bobos", intellos, parlementaires, immigrés, musulmans, Roms, et je ne sais qui encore, tous fossoyeurs de notre belle civilisation judéo-chrétienne !
Misère de la pensée actuelle, minée par le défaut de créativité et d'énergie. C'est l'air du temps. Donnons aux spectateurs ce qu'ils attendent. Il faut que le sang coule, même s'il est pour l'instant symbolique. Débat d'idées ? Non, combat de gladiateurs.
Qu'une mairie socialiste subventionne ces jeux du cirque et donne l'occasion à de pareilles idées de s'exprimer sans vergogne a de quoi faire réfléchir. Mais après tout, si un ministre socialiste se permet le genre de propos que tient M. Valls, pourquoi un réactionnaire patenté se gênerait-il pour le faire?
Ainsi le cercle se referme-t-il sur lui-même. La réaction nourrit la réaction. Bravo, les socialistes, vous êtes d'excellents pédagogues, qui travaillez pour l'avenir du FN et de la droite !
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