Humanité du 29 Octobre 2013 : éditorial de Michel Guilloux
Il est pour le moins singulier de voir un chef du Medef breton porter le «bonnet rouge» devant des caméras, tandis que d’autres de ses amis patrons, du transport ou de l’agriculture, applaudissent à la casse de barrières de sécurité d’une quatre-voies. Il en va de même, à entendre un édile, dont la circonscription est au cœur du désastre actuel dans le secteur agroalimentaire breton, se dire un jour ému par la «détresse» d’un des patrons de Doux, dont les salariés ont été sacrifiés par l’appât du gain, un autre jour dénoncer les licenciements boursiers de Marine Harvest, avant de transformer un appel à défendre l’emploi en Bretagne en rassemblement contre l’écotaxe, qualifiée de « gabelle » – dont la région fut toujours exemptée et que la Révolution française supprima…
Il est tout aussi surprenant de voir un groupement « Produit en Bretagne »– expression fun et d’avant-garde là où « Produisons français » était évidemment xénophobe… – soutenir de tout son poids le rassemblement appelé à Quimper samedi, de tout son poids de lobby d’entreprises « bretonnes », au premier rang desquels tous les grands groupes de distribution – sans exception –, ceux-là mêmes qui contribuent à étrangler les producteurs agricoles, de Bretagne et d’ailleurs.
Il est tout aussi singulier d’entendre des voix à droite user d’un langage d’émeute et de guerre, si ce n’est de guerre civile, de Jean-Louis Borloo à Bruno Le Maire en passant par Jean-François Copé, dont c’est la majorité, si ce n’est le ministre au pouvoir alors, qui a fait adopter ou voter la mesure tant décriée aujourd’hui. Voir l’UMP et le patronat les plus néolibéraux récupérer sans vergogne un désarroi populaire pour alimenter sa campagne démagogue sur le « ras-le-bol fiscal » relève du bonneteau idéologique. Mais qu’ils puissent se le permettre en dit long sur l’indulgence, au bas mot, du pouvoir actuel vis-à-vis de la fortune et de la rente, de quelque région qu’elles soient. Voir, dernier exemple en date, la tentative, avortée, de taxer l’épargne populaire à proportion de l’exonération dont bénéficient les revenus financiers. Et pendant ce temps, profitant de digues rompues depuis les dernières cantonales, Marine Le Pen soutient avec gourmandise toutes les manifestations de désespoir en Bretagne et celle, plus confuse dans ses buts, de samedi prochain.
La Bretagne, comme toute région française, mérite mieux qu’un «plan de sauvetage» rédigé sur un « Post-it », des aménagements d’une taxe qui laissent intacts, là comme ailleurs, le sinistre social ou, enfin, des appels à une « union sacrée » qui confond victimes et fauteurs de crise. Les abattoirs fermés ne le sont pas à cause de l’écotaxe, mais bien des stratégies financières dignes de fonds de pension qui ont présidé à la gestion de « coopératives » qui n’en ont guère plus que le nom. Et que penser du dumping allemand, alimenté par les mêmes, ce qui nourrit la première place d’exportateur vers cette région de notre voisin d’outre-Rhin ? Le massacre en cours vient après une hausse de plus de 50 % du chômage sous la droite, de 2009 à 2011, le sacrifice du travail intérimaire, prélude, là comme ailleurs, au saccage industriel, pour, comme en témoignent ces autres licenciements boursiers ou sous contrainte de rentabilité financière que sont les plans de licenciement d’Alcatel-Lucent ou de PSA, affaiblir une région qui, jusqu’alors, pouvait se targuer d’un taux de chômage plus bas que la moyenne nationale et d’un taux de bacheliers supérieur. C’est peu dire que cette région mérite mieux que des « visions » sans concret : de l’ambition ; et ses salariés, de la solidarité plutôt que des discours et des actes de repli. Là comme ailleurs.
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