Réunion publique organisée par le Front de Gauche à Morlaix Animation Jeunesse dans le cadre de la campagne nationale de réunions publiques pour l'élaboration d'un programme partagé en 2012.
Il y avait trente-sept participants à cette réunion publique. A la table: Alain Rebours (GU), Daniel Ravasio (PCF) et deux intervenants syndicalistes à l'hôpital public et à l'éducation nationale: Christiane Pouliquen et Daniel Crassin.
Préambule. Présentation de Front de Gauche par Alain Rebours.
Un rassemblement décidé à partir de 2008 à l'initiative de trois organisations politiques (PCF, Parti de Gauche, GU) qui s'accordaient sur un positionnement à l'intérieur de la gauche qui ne laisse pas faire le libéralisme. A partir de septembre 2010, le Front de Gauche a décidé de s'élargir aux citoyens pour faire émerger une gauche anti-capitaliste, anti-libérale. Un des moyens de cet élargissement et de cette appropriation populaire du Front de Gauche est l'élaboration d'un programme partagé, avec l'idée que notre programme politique ne doit pas venir d'en-haut, des appareils.
Introduction aux interventions et au débat par Daniel Ravasio.
Une question centrale que nous devons nous poser aujourd'hui: Pourquoi des services publics? Quelle est leur nécessité? Quelle est leur fonction? Un des angles d'attaques de la politique de Nicolas Sarkozy est de prétendre moderniser les services publics pour mieux les démolir. Cela se traduit par un mal-être des salariés et des citoyens-usagers eux-mêmes confrontés à l'inefficacité de services publics étranglés financièrement. Nous devons nous poser des questions fondamentales: Le service public, pour nous, c'est quoi? Qu'est-ce qui devrait être service public? Est-ce qu'il ne doit pas y avoir un grand service public de l'eau? Est-ce que les services publics doivent fonctionner comme par le passé? Quelle doit être l'implication des usagers, des personnels dans la gestion?
Intervention de Christiane Pouliquen sur l'état du service public de la santé.
Quelques rappels: La santé est notre bien le plus précieux. C'est un état complet de bien-être physique, mental et social et elle ne consiste pas simplement en une absence de maladie ou d'infirmité. L'accès à la santé est un droit pour chaque individu dans notre société, ce qui implique l'impératif de solidarité.
Quelques dates importantes:
-
Loi du 21 décembre 1941 et décret de 1943: l'hôpital rompt avec l'hospice pour s'ouvrir à l'ensemble des citoyens avec une activité de soin. L'hôpital devient un établissement sanitaire et social.
-
Ordonnances de 1958: les hôpitaux conjuguent trois missions: soin, formation, recherche.
-
A partir de 1960: l'hôpital connait un fort développement des services, des plateaux techniques et humains.
-
La loi du 31 décembre 1970 définit un service public hospitalier. En 1974 est mise en place la carte sanitaire divisant le territoire en 256 secteurs.
-
La loi du 19 janvier 1983 modifie le financement des hôpitaux par dotation globale.
-
En 1986: création du statut des salariés de la fonction publique hospitalière.
-
La loi du 31 juillet 1991 se substitue à celle de 1970, prévoyant un financement public et privé.
-
L'ordonnance Juppé d'avril 1996 organise un dispositif de maîtrise des dépenses de soin et de santé et la réforme de l'hospitalisation publique et privée. Création d'Agences Régionales d'Hospitalisation (ARH), chargées de trouver les moyens d'alléger les dépenses de santé.
-
Avril, mai 2002: Jean-François Mattéi entend rénover les hôpitaux, réorganiser leur fonctionnement.
-
Loi Douste Blazy: Généralisation de la tarification à l'activité.
-
Ordonnance du 4 septembre 2003 portant sur la simplification de l'organisation et du fonctionnement du système de santé. Les compétences et les pouvoirs de l'ARH s'accroissent pour œuvrer à la réorganisation sanitaire. Création d'un Comité Régional d'Organisation Sanitaire (CROS).
-
Plan hôpital 2007 entendant passer d'une logique de moyens à une logique de résultats. Le directeur de l'hôpital, gestionnaire, prend plus de pouvoir par rapport aux médecins. Le directeur de l'ARS fixe des objectifs de performances et d'économie que le directeur de l'établissement doit atteindre et sur lesquels il sera jugé. Développement des rémunérations sur la base d'objectifs de production de soins, généralisation de la rémunération aux mérites, de la baisse des effectifs, de la délégation des tâches à du personnel moins qualifié.
Ces rappels montrent la volonté depuis le début des années 1990 de faire passer au second plan les besoins réels du service public de santé par rapport aux impératifs de rentabilité et d'économie. A l'hôpital de Morlaix, qui est un hôpital de proximité, qu'en est-il?
L'hôpital de Morlaix dispose d'un service des urgences, de services de court séjour, de réanimation, de chirurgie, de médecine gériatrique, de maternité – pédiatrie, de séjours de convalescence et rééducation, de maisons de retraite, de services de psychiatrie et d'hôpitaux de jours, d'écoles d'aide-soignantes et d'infirmières, et enfin de nombreux services logistiques (blanchisserie, cuisine, entretien, réparation...). En tout, l'ensemble de ses structures emploient 2000 salariés, dont 300 contractuels.
Au quotidien, la dégradation du service de santé à l'hôpital de Morlaix se manifeste par des diminutions de durée de séjour (notamment en maternité, sans considération des dépressions post-acouchement et de la prise en charge des mamans novices pour qu'elles remplissent bien leurs nouvelles fonctions), l'accroissement du délai d'attente pour les consultations et les urgences, l'augmentation du forfait hospitalier à la charge des patients, l'augmentation du nombre de médicaments déremboursés, la remise en cause de la formation professionnelle pour le personnel de nuit, l'absence de moyens pour les décharges syndicales, la rotation intense des personnels entre les services, le manque d'effectif dans les services qui se traduit par une charge de travail et une pression psychologique accrue pour les personnels. Souffrances au travail, risques professionnels se trouvent ainsi amplifiés.
Avec l'ARS, Morlaix risque de dépendre de Brest avec de grandes conséquences par rapport au personnel. Il nous faut nous interroger sur les moyens de défendre l'hôpital, de faire en sorte que les services continuent à exister.
Intervention de Daniel Crassin sur le service public d'éducation
Pendant près de 40 ans, j'ai exercé comme prof d'allemand et pendant autant d'années j'ai été militant du SNES-FSU. Pendant toutes ces années je me suis battu pour la défense du service public en général et du service public d'éducation en particulier, contre des gouvernements de droite et aussi contre des gouvernements de gauche, les pires n'ayant pas toujours été ceux que l'on pourrait croire.
Je rappellerai deux citations:
La première: « Les moyens d'améliorer le système d'éducation existent, il suffit de les prendre dans le stock existant » (Michel Rocard).
La deuxième: « il faut dégraisser le mammouth » (Claude Allègre).
Ces deux citations résument assez bien la conception de nos dirigeants en matière de service public. Au mieux, on fait avec les moyens du bord, au pire on réduit, autant que faire se peut les moyens.
Pour moi, il y a deux domaines qui devraient être absolument prioritaires en matière de services publics: l'éducation et la santé. Que devrait faire un gouvernement de gauche en matière d'éducation? Je pense qu'il y a trois objectifs à avoir:
-
-
Le service rendu aux usagers (et non pas aux clients ou aux consommateurs)
-
Le service rendu au pays
-
La situation des personnels.
-
-
Le service aux usagers. On constate tous les jours que la société dans laquelle nous vivons est très inégalitaire. Il faut donc que l'objectif prioritaire assigné à l'école soit, autant que faire se peut, de compenser ces inégalités. C'est tout le sens du service public. Il me paraît normal qu'on accorde plus de moyens à un collège de banlieue qu'à celui de Neuilly. Or, à chaque fois qu'un gouvernement a accepté ce principe (cela a été le cas par exemple lors de l'instauration des ZEP), à chaque fois les moyens supplémentaires accordés ont été les moyens supprimés dans les années suivantes, au nom des économies à réaliser. Deux exemples pour illustrer que la notion de service public est incompatible avec la notion de rentabilité: -Quand on supprime un collège rural, c'est uniquement parce que dans un tel collège le taux de remplissage des classes est nettement inférieur à celui des établissements de ville. - Quand on supprime des options dans un lycée, c'est la même logique: il est plus facile d'avoir une classe de 35 élèves en anglais qu'en serbo-croate!
-
Le service rendu au pays.
Plus un pays donne une formation aux jeunes et plus il en tire de profits. Toutes les études prouvent que, plus les jeunes ont un niveau de formation élevé et plus les reconversions sont faciles. Il faut élever et diversifier les formations, ce n'est pas l'orientation qui est prise en ce moment. J'en veux pour preuve l'attaque frontale que subit l'enseignement technologique qui a pourtant permis à des générations entières d'accéder au niveau bac.
-
La situation des personnels.
Je suis de plus en plus persuadé que des fonctionnaires bien formés, bien rémunérés et ayant des bonnes conditions de travail sont la garantie d'un service public de qualité. De plus, c'est un point d'ancrage pour toutes les autres catégories sociales, quand elles ont à revendiquer une amélioration de leurs statuts. Dans tous les pays où les fonctionnaires sont mal payés, on voit s'installer la corruption. Depuis les années 90, la situation financière des fonctionnaires s'est dégradée. Au début de ma carrière, quand le SMIC était au niveau de 100, un prof débutait à 174: aujourd'hui, le rapport est de 123/100. Autre exemple: c'est en 1990 que le taux d'absentéisme a été le plus faible chez les enseignants du second degré. C'est aussi l'année où le taux de personnels précaires était le plus faible. La précarité est inévitablement une source de stress.
En conclusion, je voudrais dire que seul un candidat s'engageant sur de tels objectifs pour la fonction publique aura ma voix. Certes, ce n'est pas qu'une question de moyens! Mais ce n'est pas en supprimant toujours plus de moyens comme le fait le gouvernement actuel ou comme le préconise le FMI qu'on améliorera le service public. Que chacun s'en souvienne lors du deuxième tour!
Ismaël Dupont (PCF): Je voulais compléter l'intervention de Daniel Crassin en évoquant plusieurs phénomènes inquiétants pour l'évolution du service public de l'éducation.
Depuis cette année, après leur Master et leur Capes, les nouveaux professeurs titulaires ont immédiatement 18h de cours à assurer avec une formation professionnelle réduite à la portion congrue et sans pouvoir prendre du recul pour préparer et repenser leurs cours et discuter avec d'autres stagiaires.
La réforme de la formation des enseignants qui prévoit une spécialisation de certains masters dans l'enseignement, sans garantie aucune de réussite des étudiants au concours, offre également à l'éducation nationale les moyens, pour faire face aux fluctuations de ses besoins et renforcer ses dispositifs pour faire des économies, de recruter des contractuels mieux formés pour assurer des cours en remplacement et à l'année dans les établissements. Comme par ailleurs il est prévu d'accorder de plus en plus d'autonomie aux chefs d'établissement, et jusqu'à la possibilité de recruter eux-mêmes leurs personnels, cette évolution ira dans le sens d'une moindre indépendance des professeurs pour refuser des heures supplémentaires ou l'application de consignes mortifères pour la transmission des savoirs et l'éveil de l'esprit critique.
Parallèlement, il faut rappeler aussi que le gouvernement supprime 16000 postes dans l'Education Nationale cette année et que depuis que Sarko est élu, près de 40000 postes ont été supprimés en tout. Cela se traduit par des effectifs très chargés (il est très rare de voir des secondes à moins de 30 ou 33 élèves), ce qui est d'autant plus préjudiciable que les élèves présentent peut-être plus de difficultés de concentration et de tendance à l'agitation. Seuls 10% des postes supprimés le sont dans l'enseignement privé, qui scolarise 20% des élèves. La droite favorise également le privé en obligeant (loi Carle) les communes qui ne disposent pas d'écoles privées dans le primaire ou le secondaire à dédommager les communes qui accueillent leurs enfants dans le privé au travers d'un forfait correspondant au coût de la scolarité d'un élève à l'année pour la collectivité. De manière générale on s'achemine dans bien des régions, et en particulier la région parisienne, vers un enseignement à deux vitesses, ce qui est facilité par la suppression de la carte scolaire: les établissements prestigieux de centre-ville et l'école privée servant à la discrimination sociale en accueillant les enfants des classes moyennes et supérieures, même de gauche, qui ne veulent pas mélanger leurs gamins avec des bambins d'origine plus défavorisée. On observe aussi dans les consciences un affaiblissement du sens du service public au profit des valeurs d'individualisme et de compétition.
Depuis quelques années le gouvernement cherche aussi à imposer sur les cycles de maternelle, primaire, collège et lycée une réforme de l'évaluation, mettant au premier plan, non plus la capacité à s'approprier des savoirs, mais la maîtrise de compétences, savoirs-faire et savoirs-êtres, dont beaucoup sont définies en fonction des besoins de l'orientation professionnelle future et du monde de l'entreprise. On s'achemine ainsi avec le Livret National de Compétences qui vise l'harmonisation de notre système scolaire avec ce qui se pratique ailleurs en Europe et dans les pays anglo-saxons, vers un appauvrissement des contenus de connaissance enseignés et un recentrage de l'école sur l'acquisition de des compétences basiques au détriment de l'éveil et de l'exigence intellectuelle. Cela traduit la nature du néo-libéralisme qui ne correspond pas simplement comme le libéralisme classique au « laisser faire », à la non intervention de l'Etat dans le champ social, mais qui cherche à réformer les conduites, à enrégimenter afin d'adapter les individus aux besoins du monde du travail capitaliste. Cet impérialisme culturel que nous impose le néo-libéralisme dans l'éducation en nous forçant à adopter des pratiques pédagogiques et des modes d'évaluation qui ne correspondent pas à nos traditions scolaires dégoûte les enseignements de leur métier en rendant leurs missions incohérentes et leur impose de plus en plus de paperasse.
Un intervenant (sympathisant du NPA): la droite est si près de considérer l'école privée comme un service public qu'elle voulait obliger, dans un amendement qui a été heureusement rejeté, les collectivités à mutualiser les moyens de l'école privée et de l'école publique quand elles étaient en difficulté financière pour pallier aux besoins des deux. Par ailleurs, je m'interroge sur le pourquoi de la baisse du niveau des élèves.
Daniel Ravasio (PCF): Il ne faudrait pas se focaliser sur les problèmes de l'éducation nationale. Par ailleurs il est absolument faux de dire que le niveau des élèves a baissé ces dernières décennies. Ce n'est qu'en français, et tout particulièrement en orthographe, qu'il a baissé. Dans tous les autres domaines, et en particulier en mathématiques, le niveau monte.
Daniel Crassin: Ce qui explique la baisse de niveau indéniable des élèves en français est qu'en l'espace de 20 ans, du fait du renforcement et de la naissance d'autres disciplines (langues...), un élève a perdu l'équivalent d'une année sur toute sa scolarité en français. Cela s'explique aussi par le fait que le fil conducteur de toutes les réformes de l'enseignement a été: comment faire des économies?
Jean-Luc Le Calvez (PCF): Il faut se poser la question: pourquoi depuis des décennies le service public est-il attaqué? Il faut rappeler les justifications du service public: activité qui remplit un besoin fondamental, collectif et individuel (santé, transport, éducation) et qui doit être accessible à tout le monde. Avant la Libération, la plupart de ces activités étaient prises en charge par le privé avec des objectifs de rentabilité qui s'opposaient à la prise en compte de l'intérêt général. Le discrédit porté sur la droite et la force de la volonté de changement à la libération ont permis de changer la donne. Mais, depuis le Traité de Rome de 58 et le renforcement de l'Union Européenne, on a cherché à faire prévaloir le principe du renforcement de la concurrence et de la suppression des monopoles publics avec l'idée que le privé s'acquittait toujours plus efficacement de missions utiles socialement que le public. On nous confronte toujours à l'argument du réalisme économique, de la nécessité de rentabiliser les services. A ce titre, il faut rappeler a contrario quels sont les arguments de notre engagement à l'intérieur du collectif pour le retour de la gestion de l'eau en régie municipale à Morlaix et St Martin des Champs. Un rapport récent nous apprend que nous n'avons plus la trace de 4 millards d'euros de dotations des collectivités non justifiées par Véolia. Où sont-ils passés? N'ont-ils servi qu'à alimenter le profit des actionnaires? La gestion privée de l'assainissement et de la distribution de l'eau se traduit, pour rentabiliser l'investissement, par un moindre entretien des réseaux nuisible à la qualité de l'eau et à l'environnement, et par une hausse des tarifs de l'eau pour l'usager.
Yves Abramovitcz (PCF): Je crois que l'erreur des militants de gauche est souvent d'aborder la question des services publics d'un point de vue gestionnaire. Or, le service public, c'est la valeur fondamentale de la République, basée sur la solidarité, la redistribution des richesses à travers la mise à disposition des moyens de couvrir tous les besoins fondamentaux (connaissance, santé, culture, transports, énergies...). Ce qu'il faut souligner aussi, c'est la dimension intéressée, vénale des réformes libérales du service public. Quand l'Etat privatise une partie des services publics (SNCF, La Poste), il privatise les parties les plus rentables. On cherche à enrichir les amis à faisant basculer des pans entiers des services publics de l'énergie ou de la santé dans le secteur privé. Le souci des politiques libérales est de faire en sorte que les moyens aillent au privé.
Yvette Prigent (PCF): Pour revenir sur les réformes à l'école, il est évident qu'à travers la suppression des postes, on cherche à affaiblir le public, à créer une école à deux vitesses: le privé pour la bourgeoisie, le public pour les classes populaires, avec un enseignement au rabais.
Daniel Ravasio (PCF): S'il doit y avoir une justification fondamentale pour l'existence des services publics, c'est qu'à travers eux, on paye en fonction de ses moyens tandis que l'on reçoit en fonction de ses besoins, ce qui fait que seule la socialisation des activités utiles socialement permet aux besoins de tous d'être satisfaits.
Claire Le Bihan: Il faut se souvenir des stratégies adoptées par le FMI dans ses politiques d'ajustements structurels mis en place dans le Tiers Monde. On s'arrange pour dégrader le service public en l'étranglant financièrement de manière à ce que les gens s'en détournent et que l'on puisse justifier, de ce fait, de la nécessité d'un transfert au privé juteux pour les actionnaires.
Un intervenant. Il faut bien avoir en tête que toutes les politiques de modernisation, d'ouverture à la concurrence et de privatisation des services publics menées en Europe depuis des années sont des applications de l'AGCS, l'Accord Général sur les Commerces et les Services, signé et renégocié périodiquement par l'Europe au sein de l'OMC. Dans le plan hôpital 2007, ce que l'on observe en effet, c'est un transfert au privé des activités les plus rentables. Or, la sécurité sociale était basée sur la socialisation des moyens pour faire face aux dépenses de santé: il n'y avait rien qui allait aux dividendes des actionnaires et là était justement le scandale...
Daniel Crassin: On peut prendre l'exemple de l'enseignement à distance: tandis que l'enseignement public à distance pour les malades ou les enfants vivant à l'étranger n'est plus financé, ces dernières années, Acadomia a augmenté son chiffre d'affaires de 300% . Toute une partie de l'enseignement supérieur pendant ce temps est passé au privé. La technique est simple: on asphyxie financièrement des services publics qui fonctionnent pour transférer les activités au privé sous prétexte qu'elles ne fonctionnent plus.
Un intervenant: Il faut bien comprendre que nous sommes à l'ère de l'ultra-libéralisme financier. Les exigences de rentabilité des actionnaires atteignent les deux chiffres. La politique ultra-libérale est capable d'affamer des populations entières en spéculant sur le blé, sur le riz. La mondialisation ne s'accommode pas d'une politique sociale ni d'une politique de services publics. Tout doit être rentable. La politique industrielle de l'Europe, avec le traité de Maastricht et le Traité de Lisbonne, a été mise au main de la finance.
Un intervenant: Même le secteur de la sécurité est en train de passer au privé. Le gardiennage de prison sera bientôt confié à des entreprises privées. L'hôpital public se charge des fonctions peu rentables, les activités rentables étant confiées au secteur privé.
Alain Rebours (GU): Il faut replacer le débat dans un horizon de lutte des classes. Si on s'attaque en priorité aux salariés du service public, c'est pour casser le ressort des luttes en diminuant le nombre des fonctionnaires ou en cassant leurs mobilisations collectives. Les cheminots, les profs, les salariés de l'énergie, et les autres salariés du secteur public ont toujours constitué la colonne vertébrale des mouvements sociaux qui ont mis à mal la droite ces dernières années. Entre la droite et les sociaux-démocrates, il n'y a certes pas une différence fondamentale d'orientation, mais une agressivité plus ou moins grande vis à vis du service public. Néanmoins, la droite et les sociaux-démocrates continuent à financer des services publics (infrastructures, recherche, école publique, routes...) pour remplir des missions nécessaires au développement du capitalisme et de la richesse nationale. Il ne faut pas simplifier à l'excès les choses et prendre les libéraux pour des imbéciles qui se tireraient une balle dans le pied en privatisant tout. La recherche, par exemple, reste et restera en grande partie financée par le public même si des entreprises privées peuvent rentrer dans les conseils d'administration des universités. Pour combattre efficacement les forces du capitalisme, il faut bien comprendre leurs logiques.
Un intervenant: la grande stratégie de la droite, c'est la technique du saucissonnage: on s'attaque aux secteurs du service public et aux statuts les uns après les autres de manière à éviter la coalition des luttes et des résistances. Par ailleurs, on nous a dit que la mondialisation favorisait le développement et le rattrapage des pays les plus pauvres: or, il suffit de voir l'écart abyssal existant en Chine entre quelques oligarques et une majorité de pauvres pour voir que cette croyance est illusoire et entretenue pour des raisons d'intérêt. Je crois pour ma part qu'on ne peut plus rien contre le rouleau compresseur de la mondialisation libérale et du capitalisme financier. Même une sortie protectionniste des règles libre-échangistes de l'UE serait catastrophique.
Une intervenante: la question que je me pose, c'est comment est-ce que, pour être plus efficace dans l'action, on peut réaliser l'unité à gauche entre le PS, les Verts, le Front de Gauche, le NPA.
Nicole Labelle (PCF): La grande force du capital est la résignation des masses. Mais avant de parler d'union pour battre la droite, la question qu'on doit se poser est: quelle répartition des richesses? La gauche unie, oui, mais pour quoi faire? Le Front de Gauche présente l'amorce d'un rassemblement sur un contenu authentiquement de gauche mais il est nécessaire de le renforcer pour qu'il soit vraiment une perspective de changement.
Ismaël Dupont (PCF). Une des premières choses que devra faire la vraie gauche si elle revenait au pouvoir serait de changer les modalités de gestion des ressources humaines imposées aujourd'hui dans les services publics et importées des techniques du management prévalant dans le privé (individualisation du salaire à travers les primes, précarisation et différenciation des statuts, objectifs individuels et nécessité de rendre des comptes en termes chiffrés, augmentation de la productivité par le stress...). Pour cela, il faudrait sinon supprimer l'ENA du moins réformer en profondeur l'enseignement formatant actuellement les cadres de la haute fonction publique et les responsables politiques. Or, justement, ce qui nous empêche de penser que l'union est réalisable immédiatement avec les socialistes, c'est de constater que la majorité de leurs dirigeants, issus de ces écoles fabriquant de la pensée unique, a complètement intégré depuis le milieu des années 80 le logiciel libéral et sa « novlangue » sur la nécessité de la réforme et de la modernisation des services publics. Il faut se souvenir que c'est Jospin en 1999, alors que la majeure partie des pays européens étaient à gauche et que l'on pouvait croire à l'opportunité historique de construire l'Europe sociale, qui a signé avec Chirac à Lisbonne un traité européen prévoyant l'ouverture forcée à la concurrence des secteurs de l'énergie et du rail. Ce qu'il nous faut, c'est renforcer la stratégie d'indépendance du Front de Gauche pour redevenir une vraie force anti-libérale pesant dans le paysage politique et capable de peser sur la stratégie électorale du PS.
Lucienne Nayet. J'ai entendu plusieurs fois abuser du terme d' « usager » pour parler du bénéficiaire d'un service public. Il est plus adéquat de parler de « citoyen ». Méfions-nous des mots: ils nous font vite penser quand on n'y prendre pas garde dans la logique des idéologies dominantes que l'on veut combattre. Etre républicain, c'est aussi accorder de l'importance au choix et à la précision des mots. Ce qui me chagrine un peu dans ce débat, c'est que l'on voit mal à nous écouter quel espoir on peut donner aux gens. Qu'est-ce qu'il est possible de faire? Quelle alternative à ce capitalisme qui ravage le monde? Est-ce qu'il a d'autres solutions? Ce n'est pas en passant notre temps à se lamenter ou à taper sur le PS que l'on va s'en sortir et rassembler autour de nos idées. Au moment de la bataille du référendum de 2005, les gens avaient travaillé, réfléchi, projeté des choses. Il faut créer des utopies justement et ne pas orienter sa pensée simplement vers la critique de l'existant. Il faut se donner des outils de travail pour faire grandir une gauche unie volontariste. Un des moyens, c'est l'appel à l'idée républicaine qui mobilise même au-delà de la gauche. Ce que l'on détruit aujourd'hui, c'est l'Etat républicain, les valeurs républicaines et l'Etat républicain. Il y a là indéniablement un thème de rassemblement.
Jean Dréan (PCF). La défense de la République, les cheminots savent ce que c'est, eux qui se sont mis en grève insurrectionnelle en 44. Or, aujourd'hui les menaces sur le service public ferroviaire sont nationales et locales. En quelques années, on est passé de 250000 cheminots à 150000. Or, le service public ne peut pas bien fonctionner et avancer sans l'intervention de l'homme. C'est pourquoi les incidents se multiplient à la SNCF (erreurs d'aiguillage, trains qui ne s'arrêtent pas en gare), souvent dus à du personnel précaire insuffisamment formé, surtout dans les activités de frêt déléguées au privé. A Morlaix, on disposait il y a dix ans d'un centre train/ route dernier cri qu'on a laissé mourir, de même que l'on revient aujourd'hui sur des projets d'aménagement de la gare qui avaient déjà été proposés par la CGT-cheminots il y a des années, sans écoute politique.
Il serait peut-être temps aussi de s'occuper de cette fraction de 45% d'électeurs que constituent les personnes âgées dans le Finistère. L'ADMR 29, qui avec 3500 personnes s'occupe de 50000 personnes âgées, est en faillite depuis un an et on ne s'en occupe pas alors que les cantonales approchent. La gendarmerie est même intervenue à l'initiative du président du CG 29, Pierre Maille, pour chasser le personnel qui occupait ses locaux. Il y a plusieurs départements qui ont eu le courage d'encourir les foudres de la loi en présentant un budget en déséquilibre puisque du fait des compétences transférées par l'Etat, du gel des dotations et des réformes fiscales, ils ne parvenaient plus à faire face à leurs dépenses sociales nécessaires. Au lieu de cela, Pierre Maille ne finance plus que 18h de services à la personne avec l'APA (Allocation Personnalisée Autonomie) au lieu de 24h initialement: c'est là toute la différence entre une gestion humaine et une gestion économique.
Un intervenant. Pour sortir des lamentations stériles et combattre efficacement le libéralisme, il faut trouver un mouvement qui nous réunisse sur un axe, un combat symbolique, rassembleur et gagnable. En 2005, on a gagné en élargissant le mouvement. Le clivage principal, on le connait tous, c'est celui entre ceux qui n'acceptent pas la société telle qu'on la vit et ceux qui se contentent de l'aménager. Je me posais la question: a t-on prévu de créer une adhésion Front de Gauche ouverte au citoyen pour élargir le mouvement? A t-on prévu de se réunir régulièrement, par exemple tous les 15 jours, pour faire un travail de fond et construire vraiment des propositions venant de la base? Va t-on construire des comités Front de Gauche?
Babeth. Dans mon esprit, ce qui peut nous réunir, c'est avant tout la résistance aux mesures du pouvoir en place.
Annie Le Calvez (PCF). Au moment des élections régionales, il y a eu un véritable élan au sein des militants d'origine et de culture diverses, parfois non encartés, qui échangeaient et se battaient au sein du Front de Gauche breton. Les citoyens doivent apporter leur réflexion au FDG.
Jean-Luc Le Calvez (PCF). Il y avait pas moins de sept parties prenantes au Front breton de Gauche lors des régionales. Il faut nous inspirer de ce qui s'est passé à ce moment là car il y avait un foisonnement d'idées, une dynamique formidable. Le but maintenant, c'est de faire émerger un besoin d'aller plus loin pour élaborer quelque chose. Le contenu doit être un garde-fou pour tout le monde, ce qui protège l'unité et évite les dérives opportunistes ou l'instrumentalisation pour servir une ambition personnelle. LE PS s'est félicité de son résultat aux régionales mais n'a pas relevé que 50% des bretons n'ont pas été voter lors de cette élection. Il faut faire revenir l'électorat abstentionniste.
Jean-Louis Reungoät (Groupe idées, conseiller municipal). Certes, il est indéniable que les régions et les départements sont aujourd'hui étranglés financièrement. Mais le service public de demain ne doit pas avoir peur de la concurrence. La bonne gestion économe est et sera toujours un impératif. S'agissant des politiques nationales, qu'on le veuille ou non, la mondialisation est là, on n'y peut rien. Ce qui me préoccupe, c'est plutôt l'incompétence des élus. Par exemple, d'Agnès Le Brun qui est présidente du CA de l'hôpital de Morlaix. La ville de Morlaix a 21 millions de budget, ce n'est pas rien, et il est déplorable de voir quelle utilisation sans vision, sans perspective politique, la majorité municipale en fait. Le service public n'a rien à craindre de la concurrence. Il est légitime de parler de coûts dans l'administration: ce n'est pas interdit.
Alain Rebours (GU). Attention aux mots truqués. Je n'ai rien moi non plus contre la bonne veille gestion à la papa aboutissant à l'équilibre budgétaire et à une forme de prévoyance mais aujourd'hui, quand on nous parle de bonne gestion, on pense privatisation, suppression de postes, renforcement des cadences, course à la rentabilité.
Hubert Peneau (Parti de Gauche). Cette année encore, alors que les gouvernements européens font payer tout le poids des crises de la dérégulation financière aux peuples à travers le démantèlement de leur protection sociale, de leurs services publics et souvent des baisses de salaires dans la fonction publique, les actionnaires et les PDG d'entreprises cotées en bourse se gavent, ignorant manifestement la crise. Il ne faut pas se tromper de problème et mettre en avant l'impératif de rigueur dans la gestion des services publics et des collectivités mais bien reconnaître la forfaiture de l'ennemi. Le livre de Stephane Hessel a lancé la mode de la pose indignée, mais aujourd'hui, face à l'offensive sans précédant du capital contre les peuples, qui joue habilement de la concurrence entre les systèmes sociaux et fiscaux au niveau mondial, il ne suffit pas de s'indigner, il faut s'insurger, mettre à bas le pouvoir de la finance. Non, évidemment, nous ne pouvons pas nous allier avec tout le monde: seul un parti ou un candidat anti-capitaliste peut être un partenaire pour nous.
A la fin du débat, un rendez-vous est pris dans quelques semaines pour une nouvelle réunion Front de Gauche pour l'élaboration d'un programme partagé en 2012 portant sur: La crise de la démocratie et les moyens de la renouveler (notamment par de nouvelles institutions et une VIème République).
commenter cet article …