Après les 80 participants à la réunion publique de Marie-George Buffet le 29 octobre, les 35 auditeurs de Charles Silvestre qui nous a entretenu de manière passionnante de Jean-Jaurès le 7 novembre, ce sont 50 personnes qui ont assisté à la très stimulante et éclairante conférence d'Yves Dimicoli sur la crise financière le 21 novembre. Merci à tous d'avoir été présents à ces rendez-vous qui ont su placer haut l'idéal et l''exigence d'intelligence de notre temps: je crois que les personnes qui se sont déplacé à chaque fois n'auront pas été déçus par ces réunions publiques de qualités remarquables, dans les interventions des invités comme dans le débat.
Les références de l'orateur du soir, invité du Front de Gauche de la circonscription de Morlaix, Yves Dimicoli: créateur de la revue Economie et politique, membre du Conseil National du PCF et responsable de la section économie de notre parti, à l'origine parmi quelques autres des propositions du volet économique du Programme partagé du Front de Gauche. Membre du collectif d'économistes critiques vis à vis du libéralisme auteur du Manifeste des économistes attérés. Invité fréquent des sections locales d'ATTAC.
Principales idées de l'introduction d'Yves Dimicoli (50 mn)
On est passé par un grand jeu de manipulation de la crise du capitalisme depuis le grand tournant de 2008-2009 à la crise des dettes publiques en Europe. Il y a aujourd'hui un énorme besoin de rassemblement pour jeter les bases d'une nouvelle société. Il se déroule en ce moment des choses très contradictoires.
Les capitalistes sont sur la défensive comme ils ne l'ont jamais été: ils sont engagés dans une fuite en avant comme ils ne l'ont jamais fait jusqu'alors, même dans l'entre-deux guerres. Cela correspond à une crise de légitimité du système capitaliste qui est ressentie très largement, y compris par ses bénéficiaires. En témoignent les propos récents de Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité financière en France, ancien ami de Hollande passé au sarkozysme, sur la dictature des marchés qui est en train de s'instaurer en Europe.
L'Europe est au bord du gouffre et les plans d'austérité draconiens aggravent la récession. Cette logique tue l'emploi et la croissance européenne elle-même. 0,5%: c'est la croissance prévue cette année pour la zone euro. Ces politiques de rigueur exacerbée ne permettent pas, loin s'en faut, de réduire la dette: en France, la dette rapportée au PIB était de 88% en 2011: elle sera de 90% en 2012. La Grèce est un pays sacrifié actuellement: le taux de suicide y est en pleine augmentation. La Grèce a perdu 10% de son PIB. Les politiques menées au nom de la réduction des dettes augmentent le poids des dettes.
Dès lors, il est hallucinant d'entendre Fillon marteler: on tiendra sur le retour à 3% de la dette par rapport aux richesses produites et on ira à 0% en 2016. La commission européenne dit aussi: cela ne suffira pas comme plans d'austérité. Il faut aller plus loin, plus fort... contre les services publics, le pouvoir d'achat des classes populaires, les protections sociales. Quant à Hollande, comment ne pas être dérouté quand il dit, pas plus tard que vendredi dernier, qu'il faudra une contraction budgétaire de 50 milliards en France d'ici 2013-2014. Une contraction certes, par des recettes fiscales nouvelles et des économies budgétaires en forme de purges, mais qui va accoucher de quoi?
Partout, le cercle vicieux est lancé: au nom de la lutte contre la dette publique, on fait des politiques d'austérité, mais ces politiques entraînent de la récession, donc moins de recettes fiscales. De la même manière, pour défendre le fameux triple A, on fait des politiques qui enveniment les difficultés. Comme la spéculation monte et fragilise les banques en même temps que les Etats endettés, les banques qui détiennent de la dette publique vont rationner le crédit.
Il est vraiment étonnant que les socialistes et Hollande aient en France la même obsession, la même hantise néo-libérale et ultra-réactionnaire, contre la dette, les déficits et en somme, contre la possibilité même du développement social. La question que l'on peut poser aux socialistes, c'est: comment pouvez-vous à la fois prétendre développer le modèle social et prôner des mesures d'austérité. Ce qui surgit en Europe, ce sont des "coups d'Etat permanents", pour reprendre une expression de François Mitterrand: on fait sauter des gopuvernements qui ne gouvernent pas correctement selon les critères des marchés financiers. Les marchés cherchent à placer directement leurs hommes aux commandes, qu'ils soient issus de Goldman Sachs ou de la BCE, ou font confiance à des technocrates qui ont fait les preuve de leur sympathie pour le néo-libéralisme.
Il y a pourtant dans tout cela la possibilité de remettre en question profondément la légitimité de leurs choix et d'entrer en résistance.
Comment en est-on arrivé là?
En 2008-2009, nous avons connu la crise financière la plus grave depuis la guerre, laquelle a provoqué une récession mondiale, la première depuis l'après-guerre. C'est le résultat de trente années d'endettement aux services des logiques capitalistes et à l'encontre des besoins sociaux, ou de la préservation de notre niche écologique, la terre.
Dans les années 1970, l'essor des technologies informationnelles a permis de réaliser des économies considérables en terme de temps de travail nécessaire à la production. Il serait parfaitement possible aujourd'hui de travailler 20h ou 25h payés 39, du fait du déeveloppement de la productivité du travail. Et ainsi, de passer de plus en plus de temps en formation, dans des activités de promotion de soi-même. Mais, ces technologies, les capitalistes les utilisent contre l'emploi. La baisse de 10 points depuis les années 1980 de la part des salaires dans les richesses produites s'explique par cela. Depuis les années 80, d'un côté, on développe des capacités de plus en plus productives, de l'autre, on crée du chômage de masse et on fait pression sur les salaires.
A ces technologies qui nous font gagner beaucoup en temps de travail mais qui sont retournées contre l'emploi s'ajoute un appel à l'endettement. A partir de 1973, l'Etat n'a plus le droit de faire marcher la planche à billets par l'intermédiaire de sa banque centrale. Sur les marchés où l'Etat emprunte, l'Etat est surveillé, contrôlé par des agences privées. D'où une envolée des taux d'intérêt, de la dette, et de la dépendance des politiques publiques vis à vis des banques.
En 1978, la proportion de la dette publique en France par rapport au PIB était de 22%: aujourd'hui, cette proportion est passée à 82%. Nous avons désormais en France 1700 milliards de dette à peu près mais nous avons déjà donné 1300 milliards depuis 1980 à nos créanciers au titre des taux d'intérêt... Giscard justifiait son choix d'obliger les Etats à s'endetter auprès des banques plutôt qu'à faire émettre de la monnaie par leurs banques centrales par la volonté de créer à travers cette décision un grand marché mobilier. C'est désormais chose faite et le mouvement s'est encore accru depuis le passage à l'euro pour les marchés financiers... Les Etats-Unis attirent l'argent du monde entier vers eux comme un gigantesque trou noir... La BCE a été créée indépendante de l'autorité politique et des peuples: cela n'existe nul part ailleurs. Il faut se représenter les intentions de ceux qui ont créé une BCE qui n'intervient jamais au service des Etats, qui lutte contre l'inflation et toute forme de politique de relance pour maintenir le niveau de profitabilité du capital.
En 2007-2008, le système a explosé comme une immense poche de pus. On a organisé alors le sauvetage des banques sans changer les critères du crédit et leurs règles de fonctionnement: on a continué à soutenir ce système qui fout en l'air les sociétés. Le surendettement public a pris le relais de l'endettement privé. Pourquoi ça a commencé par la Grèce? Parce c'était le pays le plus vulnérable: là où il y avait eu le moins d'effort de développement, de productivité. On a créé le FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) pour offrir aux Etats une garantie à la hauteur de 400 milliards d'abord (1000 ensuite...) pour emprunter sur les marchés financiers: les Etats européens s'engagent à venir en aide aux Etats les plus en difficulté pour les aider à rembourser leurs intérêts aux banques, à condition d'engager toujours plus de mesures de purge sociale. Alors que la Banque Centrale Européenne avait été sanctuarisée, mise hors de portée de tout contrôle et de toute discussion, par le traité de Maastricht, celle-ci est aujourd'hui remise en cause dans ses tabous fondateurs. Elle a été obligée de racheter des titres de dette publique d'Etats mis en difficulté. On a annulé 50% des créances de la dette grecque. Les dogmes intégrés aux traités européens ont été battus en brèche.
En même temps, en ce moment, la remise au pas s'organise. L'Allemagne essaie de découpler la France des pays d'Europe du Sud. A strasbourg, Sarkozy a dit devant les étudiants: nous voulons suivre le modèle allemand, c'est la seule façon pour nous de rompre avec cette image de pays d'Europe du Sud. Cette façon de lâcher et de mépriser les pays d'Europe du Sud, dont nous faisons également parti, est extrêmement inquiétante.
En ce moment, la zone euro et l'Europe elle-même sont au bord de l'implosion. La Grèce, c'était 370 milliards d'euros de dette publique, l'Italie, c'est 1900 milliards d'euros de dette: la ruée spéculative contre elle n'aura pas le même impact. Les gouvernements sont en train de perdre la maîtrise et, en même temps, il y a une mise en cause profonde en Europe de la démocratie, de la souveraineté populaire. A mon avis, le fédéralisme en Europe ne peut être qu'autoritaire, consister à imposer le point de vue du plus fort au plus faible. En ce moment et pour l'avenir, le gouvernement allemand veut imposer une tutelle directe sur les gouvernements et les parlements dans la définition des budgets publics.
L'enjeu maintenant, c'est de commencer à rompre avec ces cercles vicieux pour aller enclencher un cercle vertueux. Il y a essentiellement deux grands piliers du modèle social à défendre:
- l'emploi, la formation.
- les services publics.
En ce moment, on observe plutôt des recherches d'union sacrée dans notre pays, comme pour défendre la guerre à outrance en 14-18, pour imposer leur modèle néo-libéral. Cela passe par trois diabolisations.
1°) Celle qui concerne les prélèvements publics et sociaux, sur les entreprises et les grandes fortunes. "Trop de charges, trop d'impôts: cela étouffe la compétitivité des entreprises, l'attractivité du territoire". Les services publics sont des charges pour les entreprises.
2°) celle qui concerne l'inflation, qui permettrait justement par un effet directe (déprécier sa valeur) et indirect (contrepartie d'une relance de l'activité et de l'investissement) de faire baisse le poids de la dette.
3°) celle qui renvoie à la dette publique elle-même. Or, pourquoi est-elle dangeureuse, et parfois insupportable? Parce qu'on ne peut pas financer la dette autrement que par le marché financier...
Face à ces trois diabolisations, il faut opposer trois alternatives possibles dans la bagarre idéologique:
1°) Arrêter de dire que le travail, c'est un coût: le travail et la créativité des travailleurs, c'est la source de toute richesse.
On ne parle pas de ces autres coûts que sont les prélèvements financiers, parfaitement stériles et parasitaires le plus souvent. Aujourd'hui, en France, on paie 110 milliards d'euros de charges sociales sur le travail mais certains empochent 340 milliards d"euros de dividendes et d'intérêts: ces charges financièrent foutent en l'air l'économie... l'économie réelle, productive.
2°) La création monétaire et le crédit ne sont pas inflationistes par essence. Il y a nécessité de créer de la croissance réelle péréenne.
3°) Il y a une alternative au financement de la dette par le marché financier.
Cette union sacrée recherchée contre les luttes sociales contre l'austérité prend parfois la forme curieuse d'un encouragement aux euro-obligations, autrefois proposées par les socialistes et aujhourd'hui promues par l'Europe. Pourquoi, parce que cela permet de ne pas changer les statuts de la BCE et des banques centrales.
Il faut aujourd'hui un audit de la dette car une partie des dettes publiques est le fait de logiques spéculatives. Mais il faut faire attention au simplisme et mesurer les risques d'une annulation pure et simple des dettes publiques et les conséquences que ça aurait en terme de restriction du crédit.
Comme la crise de la dette est fondamentalement une crise de l'intervention publique au service des marchés, il faut s'attaquer aux facteurs qui ont conduit à l'accumulation de la dette. Aujourd'hui, 70% de notre dette publique est détenue par des agents extérieurs. Ce système capitaliste est en crise et il est mondialisé: il faut donc intervenir à tous les niveaux pour le changement: au niveau mondial, au niveau européen, au niveau national et local.
Au niveau mondial: il faut cesser d'agiter la peur des pays émergents, de la Chine, et croire qu'il sera plus commode de se réfugier dans le protectionnisme et la guerre commerciale. Le chômage est également important en Chine: les multinationales ne créent pas assez d'emplois. Il y a des luttes qu'il faut prolonger par des efforts de coopération et non de mise à l'écart des peuples. Actuellement le monde est sous l'hégémonie du dollar mais cette domination des Etats-Unis qui s'endettent sur le dos des autres est contestée. L'objectif d'une monnaie commune mondiale peut être partagé par les Chinois, les Brésiliens, les Sud-Américains. Il faut créer une monnaie qui sera celle de toute l'humanité et non pas celle des financiers américains.
Au niveau européen: nous ne sommes pas pour la sortie de l'euro. La première raison, c'est qu'un retour au franc entraînerait un dévaluation du franc. C'est ce que propose Le Pen- la dévaluation compétitive pour la relance des exportations assortie d"un protectionnisme. Cela a une certaine cohérence mais cela enclenche une logique de guerre économique, le risque de la mlontée des rivalités entre européens. La deuxième raison est que cette force de création monétaire commune en Europe nous dote d'une capacité considérable. En réalité, la sortie de la France de la zone euro entraînerait une explosion de l'euro dont profiteraient les américains.
Il faut donc utiliser autrement la force de l'euro en créant d'abord un fonds social et solidaire de développement européen démocratique qui pourrait être saisi par les peuples et leurs représentations. Les pays pourraient émettre des titres de dettes publiques pour le développement des services publics: ils seraient présentés à la BCE qui les racheterait, faisant marcher la planche à billet. Le fonds permettrait la coopération. Il se placerait dans le cadre d'une option confédérale et non pas fédérale. Actuellement, la BCE refinance les crédits des banques ordinaires. On peut bien financer des crédits pour la spéculation, pourquoi ne pourrait-on pas le faire pour l'économie réelle?
Au niveau national, il faut promouvoir un pôle financier public, idée qui est dans le débat politique depuis les années 1990, portée par des organisations syndicales. Celui-ci serait constitué de la Caisse des Dépôts, de la Banque Postale, de Banques nationalisées (en fonction du rapport de force que l'on pourra établir) et de mutuelles, dans le respect de leurs statuts: cet ensemble permettra de financer un nouveau type de crédit. En 1982, on a nationalisé les banques mais on n'a pas changé dans le même temps les règles du crédit. Ce pôle financier public ferait des prêts à taux d'intérêt nul ou même négatif: on subventionne actuellement des banques. Pourquoi pas des taux d'intérêt abaissés pour l'emploi, l'écologie, les solidarités...
Daniel Crassin
C'est rafraîchissant de voir qu'il y autre chose que ce que l'on entend à la télévision et à la radio. Le problème, c'est que pas un social-démocrate ne tient ce discours qui ouvre des perspectives sur un changement possible. A quoi cela rime de virer Sarkozy si l'on a un Zapatero à la française à la place. Le PS ou des syndicats comme la CFDT sont aujourd'hui des forces d'accompagnement du capitalisme et le problème, c'est que devant ce black-out médiatique en matière de propositions alternatives, la population semble résigner à accepter de nouvelles purges.
Christian Corre
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi. Quand on discute avec les gens, ils savent que Hollande, c'est un nouveau Zapatero, et même au PS, on pense: si Hollande passe et fait comme Zapatero, les carottes sont cuites. Je suis moins pessimiste que toi là-dessus: les gens ne sont pas bêtes, ils se rendent bien compte que la Grèce est moribonde à la suite de ses plans d'austérité. La vraie question que se pose les gens, c'est: est-ce que l'on sera assez fort pour imposer un vrai changement ou est-ce qu'il ne faut pas se contenter du moins pire. Les gens ne gobent pas la nécessité de l'austérité. En même temps, même avec Hollande, la pression populaire pourrait déboucher sur une politique de gauche: souvenons-nous que le gouvernement de Léon Blum n'avait pas anticipé avant juin 36 toutes les avancées sociales qu'il a accompli.
Nicole Labelle
Je pense aussi que les gens sont de moins en moins dupes. Les banques et le système de crédit leur paraissent bien responsables de la crise dans laquelle ils sont plongés. Une fois que l'on a dit cela, se pose en effet la question: oui, mais qu'est ce que l'on peut faire? "C'est vrai, mais on ne peut rien y faire": c'est ce que pensent beaucoup. Il faut virer Sarkozy de toute façon et Hollande est un peu moins mal. Nous devons reprendre à notre compte le slogan d'Obama "Yes we can" et il faut résolument remettre en cause le système.
Michel Le Saint
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis membre d'EELV/ les Verts. Je suis en accord avec beaucoup de choses qui ont été dites mais je vais insister sur des points de désaccord importants. Il ne faut pas diaboliser la dette publique, certes, mais il faut tout de même la réduire. Des dettes élevées produisent des transferts d'argent des catégories populaires vers les catégories aisées qui possèdent essentiellement les titres de la dette d'Etat et prélèvent des intérêts dessus. La charge de la dette, c'est actuellement 17% du budget de l'Etat qui est gaspillé chaque année: argent qui pourrait être mis dans les services publics... Je suis aussi partisan des euro-obligations comme Hollande et les socialistes. Pour moi, il existe un triangle de cohérence entre le maintien de l'euro, la monétisation de la dette et l'Europe fédérale. On ne peut pas à la fois être pour l'harmonisation par le haut des normes sociales en Europe et plaider contre l'Europe fédérale, pour une Europe confédérale. De plus, je suis certain que notre orateur, Yves Dimicoli, a fait une erreur en établissant la proportion entre d'un côté la part des intérêts et des dividendes, soit des prélèvements financiers, dans les richesses publiques et d'un autre côté la part des cotisations sociales. Cette dernière n'est pas deux fois moins élevé que la première. Par ailleurs, il faut se méfier de la tentation de croire qu'il est simple et souhaitable d'annuler purement et simplement des dettes publiques jugées illégitimes ou dangeureuses pour l'économie: il y a aussi de l'épargne des classes moyennes dans ces dettes, des assurances-vie.
Alain David
Il y a certes actuellement beaucoup de débats sur la possibilité réelle de changer. La volonté de changer est largement majoritaire et notre croyance en notre capacité de le faire progresse. C'est que de l'argent, il y en a: on l'a bien vu quand il s'est agi de recapitaliser les banques. Ce n'est pas la possibilité qui fait défaut mais la volonté. Le problème, c'est que ce n'est pas simplement avec nos petits bras de militants que l'on parviendra à faire changer les choses. On n'y arrivera pas si on n'a pas la capacité à expliquer, rassembler, à faire prendre conscience. Il faut aussi sortir de la culture de la délégation de pouvoir.
Un intervenant
Je me pose une question que je vais formuler naïvement à propos de la dette: si on ne la paye pas, qu'est-ce qui se passe? Un Etat ne fait pas faillite, a fortiori si la dette est detenue par des capitaux étrangers. C'est notre cas, à la différence des Japonais qui détiennent leur propre dette à 90%.
Yves Dimicoli
Moi, je crois au triangle de cohérence entre les objectifs sociaux, l'argent pour les financer, et les luttes pour utiliser l'argent à les financer, et non à financer autre chose. Le couple euro-obligations/fédéralisme actuellement promu par l'Allemagne et par la Commission Européenne est là pour formater l'Europe aux exigences des marchés financiers. Inversement, on ne peut pas non plus se laisser tenter par des mesures simplistes du type protectionnisme/ sortie de l'euro. Cela introduirait un climat de guerre économique. Le Pen associe ainsi très fortement dévaluation compétitive et protectionnisme. Par rapport au rapprochement entre le modèle français et le modèle allemand que la droite cherche à imposer, il faut rappeler qu'il y a là deux façons très différentes de faire du profit. Le capitalisme allemand se base sur la production réelle, l'industrie. Le capitalisme français est essentiellement financier, s'est très bien accomodé de l'hémorragie de l'emploi industrie. Depuis les années 80, nous avons perdu 2 millions d'emplois industriels.
Il faut bien peser les éléments de bataille sur lesquels on veut rassembler. A ce titre, je suis contre la revendication protectionniste. Il ne faut pas être naïf: au protectionnisme va répondre d'autres protectionnismes. Par contre, il faut des protections sélectives:
- taxer les réimportations des produits délocalisés.
- donner plus de pouvoir aux salariés dans les entreprises, notamment pour empêcher les délocalisations d'activité ou faciliter la réappropriation collective d'une entreprise lâchée par ses actionnaires.
- Développer un crédit sélectif, à des taux d'intérêt élevé pour les entreprises qui privilégient les prélèvements financiers, à des taux d'intérêt bas pour celles qui privilégient l'emploi, l'investissement productif, les salaires, les objectifs écologiques.
- Harmoniser par le haut les garanties sociales européennes (SMIC, fiscalité, protection sociale), préalable à tout relèvement sélectif des taxes douanières aux frontières de l'Europe. Il faut travailler à faire naître des normes communes de progrès social et écologique: mettre en place des coopérations pour aider les pays à accéder à ces normes communes. Cela, ça nous différencie profondément du souverainisme ou du nationalisme de droite, de gauche, ou d'extrême-droite: ces projets de coopération ou de co-développement, Le Pen y est complètement étranger.
Actuellement, nous subissons des interdépendances non-solidaires: il y a nécessité de passer à des interdépendances solidaires.
La conséquence de l'austérité actuelle en Europe pourrait être un éclatement de la zone euro qui aurait des conséquences catastrophiques sur l'exaspération des rivalités commerciales: c'est de cela que nous ne voulons pas, c'est pour cela que nous luttons pour le retour de l'investissement social en Europe. Ceci dit, au risque de me repéter, je dirai que nous voulons une Europe confédérale et non pas fédérale. Il ne faut pas déposséder les peuples de leur pouvoir d'initiative et de création. Il faut respecter les souverainetés populaires.
Un grand essor des services publics: cela fait partie des solutions de sortie de crise. L'augmentation des gains de productivité réalisés grâce aux progrès techniques doit permettre d'augmenter la demande pour ne pas faire de chômage. Il faut mettre le paquet sur un certain type de dépenses pour consolider l'offre et soutenir la demande. Par exemple, les dépenses de santé consolident les gains de productivité. Il faut être fou pour penser comme les américains que les salariés seront plus compétitifs en étant en mauvaise santé. Pour que notre modèle écomique soit tiré par l'essor des services publics, il faut aussi une industrie qui tienne le coup. La parade au chômage de masse et aux inégalités, c'est l'investissement pour la protection de l'emploi, le maintien et l'augmentation des salaires, et le développement de revenus mutualisés, non marchands, pour créer une sécurité sociale professionnelle et une possibilité de formation tout au long de la vie.
Après, il faut faire attention aux solutions miracles telles que l'annulation de la dette. L'Argentine a répudié sa dette dans une phase où se préparait un regain de croissance. En France, une telle annulation plomberait les assurances et les banques qui détiennent les titres de la dette publique française, à 66% des institutions non bancaires et bancaires européennes, et notamment des banques allemandes. Cela aurait des effets en chaîne sur l'économie européenne.
Denise Serandour
Je m'interroge par rapport à notre note triple A: il y a débat entre les économistes à ce sujet. Cette note qui permet à la France d'emprunter à des taux d'intérêt raisonnables est-elle déjà perdue comme l'explique Jacques Attali, ou est-ce encore une épée de Damoclès qui nous pousse à surveiller avec attention les exigences des marchés? Quelle attitude devons-nous adopter par rapport aux agences de notation?
Yves Dimicoli
Les économistes se sont beaucoup trompés, beaucoup beaucoup trompés, et même des économistes sérieux et reconnus. Il faut mettre en cause une certaine orthodoxie économique, développer une capacité d'analyse citoyenne sur l'économie au service des luttes et de l'expérimentation d'autres types de solution. Le but: retirer aux économistes et aux patrons le monopole sur l'économie grâce à l'éducation populaire. Marx disait en son temps que le mouvement ouvrier anglais avait clairement une supériorité sur ses pairs dans la connaissance économique, le mouvement ouvrier français dans l'expérimentation politique. Il faut réunir ces deux niveaux. La coupure entre l'économie et le politique est une rupture bourgeoise...
Le capitalisme est une formation sociale historiquement finissante et ils ont peur: ils sont sur la défensive.
Il faut dire ce que l'on peut faire, qui doit faire la jonction avec ce que l'on doit faire. Notre cible principale pour nous donner les moyens de faire une autre politique, ce doit être la banque et le crédit. Au 31 août 2011, il y avait 21 milliards d'euros déposés dans les banques du Finistère. Et cet argent qui vient pour l'essentiel du versement des salaires, des pensions, des retraites, il est utilisé pour faire quoi? Il y a dans votre département également une forme de sous-investissement dans l'activité économique. Voilà une bataille qui peut être menée sur le terrain, par la remise en cause des gestions bancaires. Il faut en nombre aller se placer devant les banques et interpeller: "à quoi sert notre argent dans les banques?". Ce discours peut porter d'autant que la suppression de l'emploi, c'est aussi maintenant dans les services, dans les banques.
Il faut remettre sur la table la séparation entre banques d'affaire et banques de dépôt: il faut faire cette séparation mais cela ne suffira pas. C'est à la loi bancaire Delors de 1983/1984 que l'on doit cette bombe à retardement: les banques de dépôt font tous les métiers. Les banques françaises sont en Europe parmi les plus extraverties: leur investissement dans l'économie nationale est d'ailleurs une des raisons a contrario de l'efficacité des banques allemandes. Pour vous expliquer par un exemple saisissant l'ampleur de l'aberration des politiques de crédit des banques: en 2007, elles ont trouvé 13 milliards d'euros de lignes de crédit en quelques jours, et à 2% d'intérêt, pour permettre à Pernot Ricard de réaliser une OPA sur une compagnie de Vodka. Pendant ce temps, il y avait peu de crédit pour l'économie réelle, les petites entreprises, et bien plus cher. La force du capitalisme, c'est son pouvoir sur la monnaie et le crédit.
La croissance et l'inflation, c'est ce qui permettra de réduire la dette publique. Il faut de la croissance durable: respectueuse de la niche écologique des humains et péréenne. Je réaffirme la nécessité d'un audit des dettes publiques et d'une dénonciation vigoureuse du dogme selon lequel la dette devrait être financée sur les marchés publics.
Ismaël Dupont
Je voulais revenir sur les propos de Michel Le Saint. Même si son plaidoyer en faveur du fédéralisme européen s'accompagne sans doute de la volonté de démocratiser les institutions européennes, de renforcer sans doute le pouvoir du Parlement par rapport à la BCE et la Commission, il me semble servir objectivement dans le contexte actuel de crise financière et de crise de la dette l'agenda de ceux qui veulent, à travers les dures négociations pour accorder des emprunts aux Etats comme à travers des mécanismes institutionnels tels que le pacte de stabilité pour l'euro et la règle d'or, installer une dictature de la finance en Europe, avec possibilité d'instaurer un contrôle tatillon sur les politiques économiques et sociales des gouvernements et des Parlements, de censurer les budgets nationaux, de renverser des représentants élus quand ils ne rassurent pas les marchés... La souveraineté des peuples, la possibilité de l'alternative politique venue du mécontentement populaire, se réduit de plus en plus à néant au moment où les partis de gouvernement, conservateurs ou sociaux-démocrates (ou sociaux-libéraux) prônent la même politique inefficace d'austérité et de purge sociale pour ne surtout rien changer au système, et se succèdent au pouvoir avec les mêmes orientations et les mêmes résultats.
Cela dit, pour retrouver des marges de manoeuvres afin de mener des politiques sociales ambitieuses en Europe, je n'écarterais pas comme la porte d'entrée de la guerre commerciale, du repli nationaliste, l'outil du protectionnisme. Aujourd'hui, pour aller vers une amélioration des conditions de vie, une relance de l'activité économique, il faudrait partager l'emploi en poursuivant la réduction du temps de travail, augmenter les salaires et la protection sociale, construire des logements bon marchés, investir dans la santé et l'éducation. Mais pour que toutes ces politiques soient applicables, il faut sortir du chantage permanent à la délocalisation, à la fuite des capitaux vers des pays où la fiscalité, les droits des travailleurs et leur combativité, les contraintes écologiques sont bien moins importants. Je crois qu'on peut être protectionniste, en plaidant de manière ciblée pour des taxes supérieures pour certaines importations ou réimportations, une protection des normes salariales et de la qualité de la production locale, et pour la coopération des peuples. N'est-ce pas le libre-échange imposé de force par les accords de l'OMC, le FMI, qui affame aujourd'hui les paysans des pays pauvres en accaparant leurs terres qui leur permettaient au moins de survivre au profit de monocultures d'exportation et en leur imposant la concurrence de produits importés? Ne peut-on pas penser que si l'Europe protège son industrie et son activité productive en général pour des raisons sociales (lutte contre le chômage, pour la conservation de bons emplois) et écologiques (éviter l'émission excessive de gaz carbonique en sortant de l'extrême spécialisation des pays dans la division internationale du travail et en s'épargant des transports de marchandises incessants), des pays comme la Chine, l'Inde, ou d'autres états d'Asie du Sud Est seront amenés à se recentrer sur leurs marchés intérieurs et à augmenter chez eux les salaires afin de se créer une classe moyenne capable d'absorber une partie de la production locale. Pour ce qui est de l'Europe, je suis également pour la solidarité européenne, et en théorie donc pour un protectionnisme à l'échelle européenne qui supposerait une harmonisation préalable des normes sociales, fiscales et écologiques par le haut. Cependant, l'Europe politique réelle et sociale s'est construite, grâce aux socialistes français et à Delors notamment, sur des bases totalement opposées: la sanctuarisation du libre-échange, de la concurrence, de la lutte contre les protections et les règlements, les monopoles publics, les politiques de relance par l'inflation. Le traité de Maastricht, disait Madelin, était "une assurance-vie contre le socialisme". Le traité de Lisbonne, dont le contenu avait été rejeté par les peuples, n'a fait que renforcer cette tendance. Résultat, c'est en Europe que s'organise le dumping fiscal, social, et écologique, que les entreprises françaises délocalisent ou externalisent, que l'on va chercher une main d'oeuvre bon marché, pour le plus grand profit des financiers. L'élargissement au pays d'Europe de l'est a constitué en ce sens une accélaration du délitement de toute ambition de bâtir une Europe sociale et une Europe de coopération: on a investi là-bas, leur a apporté des emplois supprimés en Europe de l'ouest, mais on ne leur a apporté quasiment plus aucune aide directe pour qu'ils puissent relever leurs standards sociaux rapidement afin qu'il n'y ait pas de concurrence déloyale et faussée dans ce grand marché. La Grèce a payé aussi ce virage vers la suppression des aides directes et des politiques publiques de coopération décidés par les Etats les plus riches d'Europe.
Résultat: depuis des décennies, c'est un chantage permanent à la fuite des emplois que l'on exerce pour baisser les cotisations patronales, la fiscalité sur les hauts revenus, le patrimoine, les entreprises, au nom de la compétitivité et de l'attractivité, de l'adaptation à la mondialisation et à l'Europe ouverte. La dette, ce ne sont pas des politiques de redistribution trop généreuses qui l'ont produite, mais le consentement au chômage de masse comme moyen de lutter contre l'inflation, de maintenir les taux de profit et de contenir les salaires, mais la baisse de la fiscalité au nom du maintien de l'emploi, mais cette crise financière de 2007-2008 que l'excessive financiarisation de l'économie a produite. Il est paradoxal que cette dette produite par le néo-libéralisme serve aujourd'hui à plaider pour un renforcement de celui-ci.
Après, je m'interroge: si le front de Gauche arrive au pouvoir en 2012, il aura du mal à convaincre les partenaires de la France au niveau européen, des Etats gouvernés à 90% par des partis conservateurs ultra-libéraux et réactionnaires, du fait de la faillite historique de la sociale-démocratie qui n'a pas de projet alternatif à proposer à la domination sans partage du capitalisme financier, d'adopter des mesures communes d'harmonisation fiscale, salariale, et de protectionnisme. On se sera bien obligé de mettre en oeuvre des mesures unilatérales, ayant vocation à servir de modèles et à montrer aux populations européennes exaspérées par l'austérité, la dureté du néo-libéralisme de plus en plus autoritaire, qu'une autre voie est possible. Et il pourrait y avoir des effets de contagion... Cependant, on risque de se retrouver d'emblée confronté au mur de l'argent, à la fuite des capitaux, des investissements, des emplois... Comment faire pour desserer l'étau que la mondialisation libérale et son cortège de dérèglementations a créé pour réduire l'éventail des politiques possibles?
Yves Dimicoli
Il y a une tentative chez Hollande d'enfermer le débat économique dans la seule question de la fiscalité, ce qui lui permet de ne pas aborder la question du contrôle du point névralgique du capitalisme: les banques et le crédit. Le débat fiscal est pour lui un hameçon qui le crédibilise socialement dans les limites de l'acceptation du statut quo libéral en termes de rapport entre le politique et le secteur financier. Ceci dit, il est vrai qu'il faut, mais cela Hollande ne le propose pas, revenir sur la suppression de la taxe professionnelle, la déresponsabilisation fiscale et sociale des entreprises: les réductions de cotisations patronales sur les heures sup, les bas salaires, ... que la droite a entrepris depuis qu'elle est au pouvoir (2002), ce sont 172 milliards d'euros de pertes pour le budget de l'Etat. Pour la droite, le désarmement fiscal a été une priorité: il fallait défiscaliser le capital et ses revenus: parce qu'il y avait la mondialisation, la concurrence. Il ne faut pas céder à l'hameçon de la fiscalité, mais au contraire rentrer dans le dur de l'alternative: la banque, le crédit. Il y a une proposition fiscale des socialistes qui est très dangereuse: c'est la fusion entre CSG et impôt sur le revenu: on fiscalise ainsi la protection sociale, aujourd'hui indexée sur le prélèvement de la richesse produite par le travail. C'est très grave sur le principe car on revient sur un acquis de la résistance et dans les faits car on risque de sacrifier les services publics à la protection sociale, ou l'inverse.
Compte-rendu réalisé d'après ses notes par Ismaël Dupont.
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