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25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 20:07

C'était il y a près de 30 ans. Dans le prolongement d'un vieux choc pétrolier, la Crise avait commencé à s'inviter dans le débat public et le quotidien des occidentaux. La menace du chômage était perçue par tous et justifiait une sacralisation de l'entrepreneur, seul véritable créateur de richesses chargé d'assurer le salut public en laissant libre cours à son instinct créatif et son courageux sens de l'initiative.

La crise avait au moins quelque chose de positif: elle obligeait les peuples à reconnaître leurs bienfaiteurs, à ne plus se goinfrer innocemment d'avantages acquis ou de privilèges de peuples trop gâtés tels que les contrats de travail à durée indéterminée, la sécurité sociale, la retraite à soixante ans, les services publics accessibles à tous, les revenus d'insertion pour les plus défavorisés. Il allait bien sûr falloir assouplir le droit du travail, limiter l'impôt et la dépense publique, accepter des cures d'austérité salariale pour réveiller les bêtes endormies des économies occidentales et leur permettre de concurrencer les tigres et dragons d'Asie où les multinationales commençaient déjà à délocaliser leurs activités de production. Pour bien gérer les pays engagés dans la compétition économique internationale, il était donc nécessaire de rompre avec les vieilles lunes idéologiques bonnes pour la politique à papa et d'exhausser le vieux rêve de Platon en confiant enfin les rênes du pouvoir à des experts qui prometteraient une mondialisation heureuse et profitable à tous les peuples à condition qu'ils s'adaptent à la nouvelle donne économique et brisent les freins à l'investissement privé et à la création d'entreprise, laissant ainsi les marchés générer du bien public par le seul jeu harmonieux de la compétition des intérêts privés.

Bien sûr, les peuples n'étant en rien naturellement raisonnables et éclairés, il fallait faire de la pédagogie pour leur montrer que leur intérêt véritable était de se serrer la ceinture, ou bien encore mettre sur le devant de la scène une figure charismatique, ancien acteur, play boy ou chef d'entreprise de préférence, capable de les faire rêver par la force de son verbe ou d'un sourire désarmant. La vedette était annoncée par des séries de sondages montrant l'impatience du peuple à se voir dépossédé de son destin, sondages commandités et commentés par les magazines et les chaînes de télévision possédés par les grands manitous de la finance, lesquels passeraient ensuite des contrats avec les gouvernements nationaux ou leurs alliés et vassaux étrangers pour acquérir des marchés de construction d'armement, de routes et de palais présidentiels. C'était une époque bénie pour le monde de l'argent: l'épouvantail qui faisait peur aux électeurs et au personnel politique de gauche n'était plus le capitaliste sans scrupule mais l'ouvrier abruti par la télé poubelle et ses loisirs ringards qui s'abstenait aux élections ou votait pour des partis populistes d'extrême-droite. Dans le même temps, les rangs des syndicalistes étaient de plus en plus clairsemés, le salarié, soit qu'il pensât qu'entre son patron et lui, c'était gagnant-gagnant, soit qu'il craignit de perdre son poste ou sa prime d'employé modèle, ne voyant plus d'autre planche de salut pour lui que la débrouille individuelle et la compétition et râlant contre les planqués et les assistés qu'un Etat trop charitable s'obstinait à coucouner.

Un autre moyen de rendre les salariés dociles et compréhensifs par rapport aux objectifs de rentabilité de leurs employeurs était de les encourager à s'endetter en empruntant à gogo pour s'acheter les nouveaux gadgets vantés par la publicité omniprésente, des voitures ou des maisons qui satisfaisaient leurs aspirations à l'embourgeoisement. Comme le haut niveau de profit des entreprises et de leurs actionnaires reposait sur deux facteurs difficilement conciliables, à savoir des bas salaires et un haut niveau de consommation dans les pays développés, l'encouragement gouvernemental, bancaire et commercial au sur-endettement individuel, de la même manière que les délocalisations qui font pression sur les salaires tout en garantissant en contrepartie des marchandises à bon marché, aura permis un temps de surmonter la contradiction sur laquelle était assise la croissance des économies occidentales.

Le nouveau signe d'élection divine des peuples, cette fameuse croissance du PIB, était dopée ici et là par la hausse des prix de l'immobilier, qui attirait et était gonflée par les investisseurs privés, petits acteurs ou représentants des monarchies pétrolières, ainsi que des fonds de pension gérant les retraites par capitalisation des salariés américains. Le boom de l'immobilier offrait de surcroît des perspectives d'enrichissement bien au-delà des revenus du travail et faisait prospérer les entreprises du bâtiment. Les banques, parce que le marché était immense et juteux, ont commencé par consentir des prêts immobiliers à taux d'intérêt variable ou élevé à des citoyens aux revenus modestes aspirant à devenir propriétaires, soit qu'ils voulaient acheter et revendre, constituer une épargne par l'investissement dans le bâti, soit qu'ils étaient lassés de payer des loyers en hausse continuelle. Ces emprunts risqués ont ensuite été transformés, par un savant dispositif boursier inventé au début des années 2000, en actions à haut risque et fortement rémunératrices vers lesquelles se sont précipités les traders des grandes banques dont la fortune dépendait de la capacité à gongler rapidement les profits de leurs employeurs par le jeu boursier des achats et reventes opportunes dans le casino mondial de la bourse.

Mais voilà, comme cela devait arriver, de plus en plus de ménages ne sont pas parvenus à faire face à leurs échéances de remboursement à taux d'intérêt très élevé, les possibilités d'augmenter la demande en termes d'achat immobilier se sont taries, et les prix des maisons et des appartements ont commencé à baisser, provoquant un vent de panique sur les places financières, tous les traders cherchant à vendre leurs actions toxiques en même temps, ce qui a fait chuter vertigineusement la valeur de ces actions. De grandes banques d'affaires et de crédits se sont retrouvées dans la situation de ne plus pouvoir s'acquitter de leurs dettes, au bord de la faillite, cependant que l'économie, fragilisée par la crise du bâtiment annoncée, était menacée d'un assèchement total du crédit. Les Etats, après avoir entonné le couplet de la catastrophe imminente et de la nécessité de moraliser le capitalisme une fois l'avoir sauvé, ont donc vidé les poches des contribuables ou de leurs enfants en alourdissant la dette publique pour réinjecter de l'argent frais dans les coffres des banques. Celles-ci, après avoir fait profil bas un temps en suspendant provisoirement quelques parachutes dorés, quelques encaissements sonnants et trébuchants de stocks options, ont vite décidé qu'il fallait à leur tour ramener les Etats à une sobriété vertueuse.

Les agences de notation qui travaillent pour les grands acteurs des marchés ont donc commencé à distribuer des mauvais points aux Etats dont la dette avait grossi à la faveur de la crise financière de 2008, perte du « triple A » qui a fait grimpé de manière inquiétante les taux d'intérêts consentis par les acteurs financiers privés à ces Etats. Comme les dettes grecques, portugaises, espagnoles, irlandaises, sont à rembourser à échéance à des banques ou à d'influents investisseurs privés allemands, français, américains et autres, il n'était pas question pour les gens responsables qui nous gouvernent d'abandonner ces piliers de nos économies. Après les avoir durement sermonné et leur avoir fait sentir la générosité de la grâce qui leur était faite, le FMI, la Banque centrale européenne et les Etats les plus riches de l'UE ont donc consenti à prêter de l'argent aux mauvais élèves de l'Europe à des taux d'intérêt bien plus élevés que ceux accordés aux grandes banques au bord de la faillite quelques mois plus tôt, ces mêmes banques qui se refont une santé et des profits considérables en prêtant à des taux usuraires aux Etats pour les sauver d'une prétendue banqueroute qui ne signifierait rien d'autre en premier lieu que la mise en difficulté des créanciers privés.

Les gouvernements des pays visés par les agences de notation pour le poids de leurs déficits publics entonnent à nouveau la bonne chanson de la Crise, de l'heure grave et dramatique, pour faire accepter aux peuples les remèdes de cheval du FMI et de la banque centrale: réduction des salaires, suppression de services publics et de postes de fonctionnaires, durcissement des conditions d'attribution des minima sociaux, des allocations familiales et des allocations chômage, allongement de la durée de travail avant le départ à la retraite avec un taux de remplacement décent. Cette cure d'austérité permettra sans doute au secteur financier de se frayer de nouveaux marchés sur les vestiges du service public ou de la protection sociale. Elle empêchera sans doute aussi la relance de la croissance par le soutien à la consommation, l'appauvrissement des populations plongeant les économies dans le marasme, même si les grands groupes financiers continuent à bien se porter. La prise de pouvoir des banques et des marchés financiers dans les démocraties occidentales ne date peut-être pas d'hier, mais elle n'a jamais été aussi manifeste et manifestement dangereuse pour les populations. Mais, en fait, suffit-il comme le suggère le red devils Eric Cantona de retirer ses économies des banques pour mettre à bas ce système de privatisation des profits et de socialisation des pertes?

 

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