S'il n'est certainement pas le plus à blâmer dans cette histoire, Jean-Luc Mélenchon a dérapé dans sa recherche habituelle des formules chocs lors de son commentaire d'avant mobilisation en Bretagne ce samedi 2 novembre.
Il a d'abord souligné à juste titre après beaucoup d'autres les contradictions de la manifestation "Bretons en colère" de Quimper - colère (plus ou moins surjouée suivant les partis considérés) contre l'écotaxe, les taxes et impôts en général, le déclin économique de la Bretagne, les licenciements en série dans l'agro-alimentaire - qui rassemblait de manière inédite et improbable le patronat, les tenants de l'agriculture productiviste, la droite et l'extrême-droite, des poujadistes, des régionalistes et indépendantistes, des militants de gauche et d'extrême-gauche comme des salariés de l'agro-alimentaire sur le point de perdre leur emploi, et d'autres salariés et citoyens émus et extrêmement inquiets par les drames collectifs qui secouent la Bretagne aujourd'hui.
Mais de quel droit prendrait-il de haut des ouvriers en lutte dans des conditions difficiles en les qualifiant bien rapidement de "nigauds" ou d'"esclaves défendant les droits de leurs maîtres" parce qu'ils seraient conduits par des curés et des vendeurs d'illusions réactionnaires?
On a connu notre candidat du Front de Gauche des présidentielles de 2012 mieux inspiré... même si ce n'est pas la première fois qu'on le prend en flagrant délit de vision caricaturale des bretons...
On peut exprimer un désaccord et une analyse sur l'instrumentalisation de la lutte des salariés par la droite et le patronat local sans irriter par des qualificatifs arrogants et insultants des habitants de toute sensibilité qui s'émeuvent à bon droit des suppressions d'emploi touchant leurs voisins et leurs proches et plus encore des ouvriers - ceux de Doux et de GAD notamment, qui luttent depuis des mois pour la défense de leur emploi et de leur outil de travail.
Ceci dit, il est vrai que la droite politique et sociale de Bretagne avait mis le paquet pour récupérer ce mouvement spontané et en faire une démonstration anti "éco-taxe", "pro-patronale", et surtout "anti-Hollande", dissimulant la divergence évidente des intérêts de classe derrière la très illusoire "union sacrée pour la Bretagne" et encourageant à continuer sans état d'âme le modèle agro-industriel capitaliste et productiviste qui a causé beaucoup de dégâts déjà en Bretagne, tant au niveau de l'emploi, que des conditions de travail et de l'environnement. Comment le dumping social lié à l'Europe ultra-libérale et les logiques de profit financier maximal de la grande distribution et des gros groupes de l'agro-industrie pouvaient être dénoncés par l'UMP, le patronat ou la FDSEA qui appelaient tous à la fronde contre le pouvoir en annexant dans une récupération historique lamentable le symbole de la révolte des bonnets rouges, révolte d'inspiration égalitariste faut-il le rappeler qui s'attaqua aux Seigneurs, au Clergé privilégié, aux augmentations - écrasantes pour le petit peuple - des prélèvements royaux destinés à financer des guerres et le train de vie de toute une cour de parasites?
Les vrais héritiers des bonnets rouges, ce ne sont pas ceux qu'une affiche humoristique portée dans la manif avec un dessin de Goutal appelait les "Gros Bonnets Rouges", car en voilà des "Beaux Nez Rouges" de clowns menteurs, ce sont les ouvriers et petits paysans conscients de leurs intérêts de classe, les salariés soumis à l'exploitation, les précaires victimes du consentement libéral au chômage pour maximiser les profits, les opposants au désordre inégalitaire du néo-libéralisme et du capitalisme.
De ce fait, on ne peut que se féliciter du succès de la manifestation pour l'emploi en Bretagne de Carhaix organisée à l'initiative notamment de la CGT, de Solidaires, de la FSU, du Front de Gauche, du Parti Communiste, de EELV.
Cette manifestation a réuni entre 2500 et 3000 personnes, alors qu'elle a été décidée dans la semaine sans guère de publicicité des médias locaux, en constatant les récupérations et les liaisons dangereuses associées à la manif de Quimper, à laquelle avait appelé dans un premier temps le Front de Gauche du Finistère suite au rassemblement pour l'emploi et les salariés de Marine Harvest, avant de se raviser en soutenant l'initiative courageuse de la CGT et en voyant qu'elle devenait une manif anti éco-taxe anti-impôts instrumentalisée par le MEDEF.
Dans cette manif colorée et animée de Carhaix qui avait une véritable unité d'intention et de revendication, il y avait des employés de Tilly Sapco Guerlesquin (qui ont appris par les médias que l'activité allait être suspendue à partir de janvier: bel exemple de respect du personnel...), de Marine Harvest, de Triskallia, beaucoup de syndicalistes CGT, de nombreux militants du PCF et du Front de Gauche...
Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y avait pas des ouvriers et syndicalistes, des militants et citoyens de gauche et du Front de Gauche dans le rassemblement de Quimper, essentiellement composé de gens qui voulaient mettre fin à la casse de l'emploi industriel et agricole en Bretagne et dénoncer aussi la dégradation des conditions de vie liée à l'austérité.
Non, Jean-Luc, il ne faut pas tomber dans le jeu des simplifications et de la division des travailleurs et citoyens en lutte alors que le patronat, le milieu paysan conservateur et productiviste et la droite mettent déjà beaucoup de chausse-trappes pour piéger les salariés et détourner leur colère et leurs volontés transformatrices d'objectifs efficaces.
Ismaël Dupont.
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