De début 1942 à la fin de l’été 1944, près de 86 000 résistants et otages, ainsi que des homosexuels et des prisonniers de droit commun furent déportés de France vers les camps de concentration. Dans le même temps, 74 000 juifs vivant dans notre pays furent conduits dans les camps d’extermination.
En France, ils furent 160 000. De début 1942 à la fin de l’été 1944, près de 86 000 résistants et otages, ainsi que des homosexuels et des prisonniers de droit commun furent déportés de France vers les camps de concentration. Dans le même temps, 74 000 juifs vivant dans notre pays furent conduits dans les camps d’extermination.
Le Struthof, en France, était l’un des rouages du vaste système concentrationnaire nazi. Système consubstantiel au IIIe Reich, tout à la fois un et multiple. L’incendie du Reichstag fut, un mois après l’arrivée de Hitler au pouvoir, le prétexte du décret du 28 février 1933 « pour la protection du peuple allemand et de l’État », qui instituait la détention illimitée, hors de tout contrôle judiciaire et sans recours.
Les camps de Dachau et d’Oranienburg sont créés fin mars. Le système des Konzentrationslager – KL – est unifié sous l’autorité des SS dès l’été 1934. La population concentrationnaire est constituée des opposants politiques. Les communistes seront les premiers visés, mais le cercle s’élargit rapidement : sociaux-démocrates, démocrates-chrétiens, nul n’est à l’abri. S’y ajoutent les indésirables et « asociaux » : droits communs, homosexuels, Tziganes, Témoins de Jéhovah.
Les « triangles verts » en haut de la pyramide
Une hiérarchie s’instaure, chaque catégorie de détenus est identifiée : au sommet de la pyramide les « triangles verts », les droits communs, qui fourniront l’essentiel des kapos. Bergen-Belsen, Buchenwald, Flossenbürg, Mauthausen, Neuengamme, Ravensbrück, Struthof, Gross-Rosen… le système ne cesse de prendre de l’ampleur.
Avec la guerre, celui-ci franchit un nouveau degré. Himmler organise la location des déportés à la grande industrie. Tous les grands groupes militaro-industriels allemands y puiseront de la main-d’œuvre. Des entreprises plus locales en feront également leur beurre.
Après la défaite de la France, Vichy livre à Hitler des milliers de républicains espagnols et de démocrates allemands détenus dans des camps d’internement. Ils seront expédiés dans les camps de concentration dont la « vocation » s’élargit encore après l’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941. Contrairement à ce qui s’est passé sur le front ouest, où les prisonniers de guerre sont détenus dans des stalags dépendants de la Wehrmacht, par centaines de milliers, soldats et officiers soviétiques sont livrés à l’univers SS.
Le même sort attend les « soldats de l’ombre » à l’ouest. En décembre 1941, le maréchal Keitel, chef d’état-major de la Wehrmacht, signe le décret Nacht und Nebel – NN (nuit et brouillard) : ceux « destinés à la mort sans exécution » et sans trace d’aucune sorte. C’est aussi avec l’invasion de l’URSS que se concrétise l’obsession hitlérienne de la « solution finale du problème juif ».
Dès l’été 1941, des centaines de milliers de juifs soviétiques sont massacrés sur place par des unités spéciales, les Einsatzgruppen. C’est à la même période que le rôle d’Auschwitz est fixé et que fonctionne à Chelmno, en Pologne, le premier camp d’extermination, Vernichtungslager.
La conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, ne décide pas de la « solution finale » mais de la coordination de toutes les administrations du Reich pour son organisation méticuleuse. Les centres d’extermination se multiplient : Treblinka, Sobibor, Belzec, Majdanek. Les juifs de Pologne, déjà regroupés dans des ghettos, y périssent gazés par centaines de milliers. Les SS utilisent d’abord les gaz d’échappement de moteurs Diesel, puis, avec le concours d’industriels, perfectionnent le système avec l’usage du Zyklon B (acide cyanhydrique).
Le grand centre de cette mort industrialisée sera Auschwitz-Birkenau, où les gazages de masse commencent en juillet 1942. Roger Boulanger, rescapé du Struthof et de Flossenbürg, explique : « Chaque détenu transitait en moyenne au cours de sa détention par au moins deux camps. Les informations réunies sur les atrocités commises par les nazis se transmettaient par le bouche-à-oreille. Le degré de dangerosité de chaque camp était bien connu : une sorte de “classement” de l’horreur circulait dans les camps. »
Mauthausen fut, semble-t-il, le plus meurtrier ; le Struthof aurait aussi été dans les plus durs. La situation de Birkenau, élément d’un vaste complexe concentrationnaire, était particulière. Il s’agissait tout à la fois d’un camp d’extermination et d’un camp de concentration. Max Nevers, résistant d’abord interné au Struthof, y parvint en septembre 1944.
Sur son bras demeure, indélébile, le matricule 200102 : « Je fus affecté aux cuisines des SS. Un lieu propice à la survie et à des actions de solidarité. Aucun juif n’y était nommé. J’ai vu des sélections sur la rampe d’arrivée, les trains stationnant quasiment à la porte des chambres à gaz. Les noms de ces milliers de malheureux, femmes, enfants, vieillards, hommes plus ou moins valides, ne figurent sur aucun registre. »
Henry Bulawko vécut en quelque sorte de l’intérieur ce que « sélection » voulait dire. Pris dans une rafle à la sortie de la station de métro Couronnes à Paris en novembre 1942, après plusieurs mois d’internement à Drancy, il arrive à Birkenau le 21 juillet 1943 : « Le train s’arrête. Harassés par trois jours épouvantables, entassés à 120 dans un wagon à bestiaux, nous croyons avoir vécu le pire. Les portes s’ouvrent. Des SS en armes, des chiens, hurlements, aboiements, les coups pleuvent. Des êtres hâves aux vêtements rayés nous poussent dehors, s’emparent de nos bagages, murmurent : “L’enfant, ne prend pas l’enfant !” Nous sommes alignés sur le remblai. D’un geste, une cravache décide à droite, à gauche. Un copain me souffle : “T’as vu, ils sont chouettes, nos vieux, nos femmes et nos petits s’en vont en camion.” Conduits à pied, sous les hurlements et les coups, nous subissons déshabillage, rasage, tatouage. La question vient aux lèvres : “Les autres, les femmes, les enfants, où sont-ils ?” Un geste vers une cheminée qui là-bas dégage une fumée noire et épaisse : “Himmel-kommando !” Parlant yiddish, je comprends l’allemand. Commando du ciel ? “Ton père, ta mère, ta femme, tes enfants : gazés, la fumée, c’est eux.” Cela n’a pas de sens. Pas encore. Il faudra quelques heures. J’ai eu la chance d’arriver seul, sans famille. D’autres décrochent définitivement dès cet instant. »
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