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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 07:32
Thomas Deltombe - L'Afrique d'abord, Quand François Mitterrand voulait sauver l'Empire français - La Découverte, 2024, 22€

Thomas Deltombe - L'Afrique d'abord, Quand François Mitterrand voulait sauver l'Empire français - La Découverte, 2024, 22€

"L'Algérie, c'est la France. Et qui d'entre vous, Mesdames, Messieurs, hésiteraient à employer tous les moyens pour préserver la France" - François Mitterrand à l'Assemblée Nationale, 12 novembre 1954.

Ministre de l'intérieur, Mitterrand organise la répression dans les Aurès, épicentre de l'insurrection, en novembre 1954. Dès novembre 1954, la torture s'exerce à plein en Algérie contre les suspects qui sont raflés, et les exactions se multiplient en Kabylie.

Après l'insurrection lancée par le FLN dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une soixantaine d'attentats faisant 8 morts, François Mitterrand va se faire le chantre d'une politique de répression implacable en Algérie contre les séparatistes. Le 6 novembre, le MTLD de Messali Hadj est dissous, ses militants arrêtés en masse. "Même les moins radicaux, à l'exemple d'Abderrahmane Kiouame, adjoint au maire d'Alger, et pourfendeur du "néo-colonialisme" mitterrandien, sont jetés en prison. Des centaines de "suspects" se retrouvent ainsi embastillés, sans, pour la plupart, avoir aucun lien avec les actions de la Toussaint rouge organisée par une faction dissidente du mouvement nationaliste. Ce qui ne fera qu'alimenter le vivier du FLN". 

Après la chute du gouvernement Mendès France, Mitterrand soutient la politique d'"intégration" de Jacques Soustelle en Algérie, contre toute idée d'autonomie ou d'indépendance de l'Algérie. En 1956, François Mitterrand redevient ministre pendant la guerre d'Algérie, de la Justice cette fois-ci, dans le gouvernement de Guy Mollet. Mitterrand se montre un partisan des "pouvoirs spéciaux" pour l'armée. Il signe les décrets les plus attentatoires aux droits fondamentaux. Les condamnations à mort de militants FLN recoivent leur décret d'application et c'est suite à l'exécution de Abdelkader Ben Moussa et de Ahmed Zabana avec la bénédiction de Mitterrand à la prison Barberousse d'Alger le 19 juin 1956, puis à l'attentat commis par les "ultras" de l'Algérie française rue de Thèbes et à l'incendie de la Casbah que la direction du FLN à Alger décide de répliquer en ciblant les colons civils (attentats du Milk Bar, à l'angle de la rue d'Isly et de la place Bugeaud et de la cafétéria en face de l'université d'Alger, exécutés par Zohra Drif et Samia Lakhdari, deux filles de notables algériens, descendantes de grandes familles). Sur 45 dossiers d'exécutés lors de son passage au ministère de la justice, Mitterrand ne donnera que huit avis favorables à la grâce. Dans 80% des cas, il choisit la mort pour les militants indépendantistes algériens avant la décision finale du président René Coty. C'est le cas notamment pour Fernand Iveton, communiste algérien, dont la bombe placée dans son usine à gaz n'a pas explosé et n'était pas destiné à faire de victimes. Condamné à mort par un tribunal militaire le 24 novembre 1956, il est guillotiné à la prison de Barberousse le 11 février 1957. Là aussi, Mitterrand a voté la mort. De même qu'il prête publiquement appui à Robert Lacoste pour justifier la torture contre les militants algériens. 

Solidaire de l'agression de l’Égypte et de l'intervention militaire de Suez en octobre 1956, Mitterrand ne trouve rien à dire aux pouvoirs de police exorbitants donnés à Massu et ses paras pendant "la bataille d'Alger". 

En mars 1958, Mitterrand écrit que "l'abandon de l'Algérie serait un crime".

Bien plus tard, après 1995, beaucoup ont été effarés par la responsabilité du président Mitterrand, dans le soutien au régime génocidaire rwandais, au nom d'une vision de la défense des intérêts français en Afrique qui transforme la vie des peuples en simple pions dans un jeu impérialiste.

Ce livre de Thomas Deltombe éclaire la préhistoire oubliée de cet animal politique, non pas celle de Vichy et de son passé d'extrême-droite, comme l'avait fait Pierre Péan, encore que Thomas Deltombe revient aussi sur cette histoire et sur les liens qu'a gardé tout au long de sa vie François Mitterrand avec des hauts fonctionnaires, Bousquet et ses proches (Jean-Paul Martin, Jacques Saulnier, Yves Cazaux), impliqués dans les rafles et la déportation des Juifs de France et la répression de la Résistance, mais sur celle de François Mitterrand l'ambitieux député et ministre de la IVe République, engagé dans un parti centriste et anticommuniste pivot pour constituer des majorités à l'Assemblée et des gouvernements en période de guerre froide, avec souvent la droite et les socialistes, pour qui l'Afrique va vite devenir un ressort d'ascension politique, et un domaine d'expertise qui lui donnera une stature d'homme d’État, avec une ligne directrice: celle de la grandeur impériale de la France et du maintien du lien "paternaliste" de tutelle de la France sur les peuples d'Afrique du Nord et de l'Ouest.

"Mitterrand l'Africain", s'il y a une dimension de socle idéologique chez Mitterrand, dont par ailleurs les idées professées épousent les intérêts de circonstances, en bon opportuniste soucieux essentiellement d'arrivisme, c'est celui d'un certain nationalisme rêvant la gloire de la France et passant par la défense du colonialisme ou du néo-colonialisme au nom des intérêts de la France et de son rôle civilisateur. 

Thomas Deltombe éclaire dans cet essai très documenté, à l'écriture alerte et plaisante, sa défense farouche, dans les années 1950, de la présence française en Afrique.

François Mitterrand fait son entrée dans la vie politique française en 1946, élu député de la Nièvre par un électorat conservateur et sur un programme anticommuniste: il devient le benjamin de l'Assemblée Nationale. Il se rapproche de l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), parti centriste anticommuniste qui sert d'appoint stratégique dans les coalitions précaires de la IVe République. 

"A seulement 30 ans, François Mitterrand intègre le premier gouvernement de la IVe République, formé par Paul Ramadier, comme ministre des Anciens combattants et des Victimes de guerre. (...) Il conservera son maroquin dans le cabinet de Robert Schuman, avant d'être nommé secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil dans les trois gouvernements suivants, au sein desquels il est chargé du porte-parolat gouvernemental et de la tutelle des organes d'information".

On est à l'époque du début de la guerre froide, de la guerre d'Indochine, et de la répression sanglante de la révolte de Madagascar, qui fera des dizaines de milliers de victimes. "François Mitterrand, porte-parole du gouvernement, se montre particulièrement véhément à l'égard du PCF et de la CGT, ce qui lui attire des critiques acides dans la presse communiste. "Ce sous-ministre aux airs de jeune premier fut l'un des premiers vichystes de France, ce qui lui valut de figurer sur la liste des dignitaires de la francisque (...). M. Mitterrand n'est pas un parjure, fidèle à son serment, il est toujours dans la tradition vichyste", lit-on par exemple dans "L'Humanité-Dimanche" le 14 novembre 1948" (L'Afrique d'abord! Quand François Mitterrand voulait sauver l'Empire français - Thomas Deltombe, p.50). 

En 1947, Mitterrand défend en Algérie le maintien des deux collèges électoraux dans le cadre de la départementalisation, synonyme de marginalisation politique des Algériens "musulmans": "un premier collège représente cet élément européen auquel s'ajoute une infime minorité de musulmans qui ont obtenu leur droit de vote, en mars 1944, en raison de leur "mérite" (fonctionnaires, titulaires de certains diplômes, d'une médaille militaire, etc). Un second collège, disposant du même nombre de sièges, est censé représenter une population huit fois plus nombreuse: la masse des musulmans jugés indignes de mélanger leurs votes aux précédents".

"Lors de son séjour en Algérie, en septembre 1947, le jeune ministre des Anciens combattants est logiquement accueilli avec les honneurs par les autorités officielles dans toutes les localités où il se rend: Alger, Tizi Ouzou, Constantine, etc. Mais cet enthousiasme n'est pas partagé par tout le monde. Le lendemain de son arrivée à l'aérodrome de Maison-Blanche à Alger, le journal d'obédience communiste "Alger-Républicain" publie la tribune acerbe d'un instituteur européen à la retraite, "ancien combattant" et "victime des lois de Vichy". Évoquant le statut de l'Algérie, il s'adresse directement aux anciens combattants algériens: "M. Mitterand (sic) était d'accord avec le projet gouvernemental qui vous éliminait des listes du premier collège, pour satisfaire aux exigences colonialistes imposant "pureté" des deux collèges électoraux algériens". Quant à "l'égalité des pensions proportionnelles et d'ancienneté, le ministre ne s'en préoccupe point, poursuit-il. Et l'on voit ainsi dans de nombreuses villes d'Algérie, le spectacle lamentable et poignant d'anciens combattants réduits à la mendicité".  (P.52-53)

François Mitterrand donne aussi un cycle de conférences en Afrique de l'Ouest en janvier-février 1950 à l'invitation de l'Alliance Française. Son journal de voyage montre son intérêt extrême pour la chasse de la grande faune sauvage africaine (chasseurs d'éléphants, d'hippopotames, chasseur de baleines dans le golfe du Gabon). Mais "l'aspect le plus frappant de ce journal est la quasi-absence des Africains. Alors que les femmes blanches sont décrites avec une violente minutie, les "noirs" apparaissent essentiellement comme un décor, au même titre que les arbres ou les animaux, comme une masse anonyme et informe". Dans sa tournée africaine, Mitterrand se désintéresse totalement de la répression par l'armée et l'administration coloniale du RDA en Côte d'Ivoire, le Rassemblement démocratique africain, mouvement panafricain autonomiste auquel se relient sept parlementaires africains de l'Assemblée nationale dont Houphouët- Boigny, alors associés au groupe parlementaire du Parti communiste, le PCF étant le seul parti à avoir soutenu le congrès de Bamako du RDA et à y avoir envoyé une délégation, les deux formations prônant "la sortie du colonialisme par l'accession à l'égalité des droits plutôt par l'octroi de l'indépendance".   

Thomas Deltombe rappelle qu'à la même époque, René Vautier, le cinéaste finistérien communiste, 22 ans, ancien résistant, missionné par la Ligue de l'enseignement, arrivé à l'été 49 en Afrique et resté 6 mois en AOF, en compagnie d'un autre cinéaste, Raymond Vogel, montre "une réalité que Mitterrand ne veut pas voir". C'est "Afrique 50", "le premier film anticolonialiste français". "Les deux cinéastes capturent les images de la répression en Côte d'Ivoire. "Nous avons vu, constaté et même filmé des atrocités dignes des plus hauts sommets de l'hitlérisme, dont peu de gens se doutent parce que l'administration cherche à les étouffer et sciemment, nous avons des preuves formelles", écrit Vogel dans un courrier rédigé d'Abidjan en décembre 1949. (...) Sur place, les deux cinéastes sont rapidement traqués par les autorités".

Entre 1950 et 1951, Vincent Auriol va débaucher Houphouët-Boigny, et à le séparer notamment de Gabriel d'Arboussier, de manière à ce que le RDA abandonne son alliance parlementaire avec le PCF, et sa ligne anticolonialiste, pour rejoindre l'UDSR, et une ligne d'affirmation néo-coloniale, de l'avenir de l'Afrique sous l'égide "bienveillante" du patron français.  Grand capitaliste et planteur lui-même, Houphouët-Boigny "a négocié le ralliement politique du RDA, dont il est le président, en échange d'un soutien économique aux planteurs africains de Côte d'Ivoire, dont il est le principal représentant".

Après le désapparentement de Houphouët et du RDA du PCF, Mitterrand deviendra un grand ami d'Houphouët-Boigny, qui sera un soutien indéfectible de la politique colonialiste française, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, et en Afrique de l'ouest. "Ce qui scelle l'Alliance entre les deux hommes, c'est finalement leur combat contre leurs ennemis communs: les communistes et les nationalistes africains". Dans les années 50, Mitterrand deviendra une sorte de référent et de parrain des élus africains alignés sur les positions colonialistes du gouvernement, dans une version libérale et réformatrice visant à perfectionner le système colonial, à développer l'outre-Mer, quitte à remettre en cause certains privilèges des colons et l'étroitesse de leur racisme ségrégationniste. Il s'agit bien de "moderniser le colonialisme": "Alger, Dakar et Brazaville séparés de Paris, c'est un attentat contre la France" écrit Mitterrand dans Le Monde en octobre 1953, citation que Thomas Deltombe reprend en exergue de sa troisième partie. 

" La France du XXIe siècle sera africaine ou ne sera pas ", écrivait-il en 1952.
Trois décennies avant de devenir chef de l'État, François Mitterrand fut une brillante étoile de la IVe République

Ministre de la France d'outre-mer en 1950-1951, de l'Intérieur en 1954-1955, de la Justice en 1956-1957, le jeune politicien se passionna pour le continent africain. Avec toujours un préjugé de supériorité bien consubstantiel au colonialisme français et au racisme de ses élites politiques, économiques et administratives. 

Cherchant à moderniser les relations coloniales et à solidifier ainsi l'édifice impérial, l'ambitieux ministre plaça les questions subsaharienne, tunisienne et algérienne au cœur de ses stratégies politiques.
Loin d'avoir milité pour la " décolonisation ", comme il l'a prétendu par la suite, et loin d'avoir défendu l'" indépendance " des colonies, comme ses biographes et ses admirateurs l'ont longtemps cru, François Mitterrand fut au contraire l'un des précurseurs du néocolonialisme français.
S'appuyant sur des archives inédites, et un travail aussi sur la presse militante de la Nièvre, Thomas Deltombe raconte les brûlantes années africaines du futur président de la République et montre comment ce dernier a misé sur la sauvegarde de l'Empire français dans l'espoir de se hisser au sommet du pouvoir.

Voilà une histoire qui éclaire d'un nouveau jour la genèse de la Françafrique, ce néo-colonialisme français lié à une indépendance des anciens colonisés africains en trompe l’œil que Mitterrand a théorisé avec Houphouët-Boigny notamment, tout autant que De Gaulle, son ennemi intime, qui ira plus loin que lui dans l'audace en coupant plus tôt et plus lucidement que Mitterrand le lien avec le rêve de la préservation de l'empire colonial, sans évidemment renoncer aux moyens de la puissance, , par le contrôle économique, militaire et diplomatique des anciens peuples colonisés, au moins en Afrique de l'Ouest.

Ismaël Dupont, 31 janvier 2025

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