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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 06:16
« Chiche, si tout se passe bien, je m'en fais fais tatouer une ! », Augustine et Arlette Julien, la sardine symbole de victoire (L'Humanité, Léa Petit Scagnola, 20 novembre 2024)
« Chiche, si tout se passe bien, je m'en fais fais tatouer une ! », Augustine et Arlette Julien, la sardine symbole de victoire

Augustine, la grand-mère d’Arlette Julien, était ouvrière dans une conserverie en 1924, lors de la grande grève des sardinières. Sa petite-fille raconte son aïeule, déterminée à arracher une augmentation salariale et de meilleures conditions de travail pour elle et ses camarades de lutte.

Léa Petit Scalogna

Une sardine dessinée jusque dans la peau. Lorsque la manche d’Arlette Julien, 72 ans, dévoile son avant-bras gauche, un petit poisson tatoué y nage. Une œuvre marine ébauchée il y a dix ans, lorsque son compagnon lutte contre un cancer : « Chiche, si tout se passe bien, je me fais tatouer une sardine ! lance alors Arlette. C’est mon symbole de victoire. » Celui de sa grand-mère aussi, ouvrière dans l’entreprise Parmentier qui, avec plus de 2 000 autres sardinières, déserte les usines de Douarnenez et se met en grève, le 21 novembre 1924. Les travailleuses réclament 1,25 franc pour chaque heure harassante passée à vider, éviscérer et mettre en boîtes les poissons.

Augustine Julien, l’aïeule d’Arlette, se charge de compter le nombre d’enfants par famille pour la distribution de la soupe et des biscuits. Le 25 novembre, un comité de grève se met en place et Augustine est sollicitée par acclamation pour en faire partie. Elle devient l’une des six femmes membres, sur les 15 personnes qui le compose. Quarante-six jours de lutte acharnée plus tard, les ouvrières finissent par obtenir 1 franc de l’heure.

« Elle a toujours été discrète quant à son rôle dans cette lutte », se souvient Arlette, malgré la part considérable qu’elle a prise. Formée par la militante communiste Lucie Colliard, surnommée « la Dame aux chapeaux » – dont le port détonne des coiffes bretonnes –, Augustine se forge une vision du monde. Elle constate que les sous reviennent surtout aux usiniers, puis aux marins. Elle s’indigne que les sardinières n’écopent que des miettes, et se révolte.

Non loin du port, un collage représentant Augustine orne d’ailleurs un mur de la rue Obscure. Elle tient une bourse serrée contre la hanche, l’air déterminé. Arlette y emmène deux de ses petits-enfants pour qu’ils voient leur aïeule, de quatre générations leur aînée.

« Les larmes me seraient presque venues », s’émeut-elle. À la tête d’un magazine d’histoire locale, Mémoire de la ville, la petite-fille détaille le visage d’Augustine, âgée de 38 ans au moment de la révolte. Quelques mots la décrivent dans un de ses articles d’un numéro dédié à la lutte de 1924. « Elle a un nez un peu fort, une bouche plutôt large, des yeux verts, de grandes mains. » Puis aussi, et surtout, « un air résolu ».

« Augustine cachait et distribuait de la viande aux résistants pendant la Seconde Guerre mondiale »

Plongée dans les réminiscences de son adolescence, elle revoit les doigts de sa mamie, déformés et écorchés par la saumure et l’eau glacée. « Elle voulait nourrir ses enfants à leur faim, se sortir de la misère et s’abîmer bien moins le corps », insiste Arlette.

Il le fallait bien, alors que son mari, revenu sourd et esquinté de la Grande Guerre, quitte ce monde des suites de ses blessures en 1933, sans que sa compagne ne puisse obtenir de suite l’entièreté de sa pension de veuve. Pugnace, elle finit par recevoir l’argent dû. « Mon grand-père lui avait appris à écrire et à lire avant la guerre, elle qui n’a été que deux jours à l’école. Ce fut une perte douloureuse », confie Arlette. Mais Augustine n’était pas du genre à baisser les bras.

Un œil du côté des ruelles escarpées menant au port, les souvenirs remontent à la surface. Arlette revoit sa grand-mère qui lui raconte les sabots qui claquent sur les pavés, les phalanges qui cognent contre les volets, quelques voix qui scandent « Augustine, da friture ! » (la friture, en français). Augustine se réveille au gré des appels à l’usine, termine souvent chez elle affalée sur une chaise, assoupie quelques heures entre la fin tardive de la journée et le début de la suivante.

« Parfois, elle n’avait même pas le temps d’enlever sa coiffe », conte Arlette, qui ne l’a jamais vue sans ce morceau de tissu de dentelle sur les cheveux. Il ne l’a jamais quittée, tout comme son sens de la révolte. « Augustine cachait et distribuait de la viande aux résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle disait que c’était sa mission de nourrir ceux qui avaient faim », explique Arlette, fière de pouvoir raconter l’histoire d’une grand-mère qui lui a laissé en héritage sa pugnacité et son esprit de lutte. Augustine parlait d’ailleurs souvent de Joséphine Pencalet à sa famille.

Une sardinière camarade de grève qui, en 1925, devint la première femme élue conseillère municipale en Bretagne, sur la liste communiste de Douarnenez. Élection qui finit par être invalidée… à cause de son genre. Ce qui n’a pas empêché Joséphine, Augustine et toutes les autres, d’engranger des conquêtes et de poursuivre une lutte toujours d’actualité.

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