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18 août 2024 7 18 /08 /août /2024 06:35

Un très bel article de Julien Tremel, jeune communiste brestois originaire des Côtes d'Armor, sur l'histoire de notre amie et camarade Lucienne Nayet, présidente du réseau du musée national de la résistance. C'est dans la revue nationale de la Jeunesse communiste, L'Avant Garde. Un entretien passionnant.

Lucienne Nayet, entretien avec une passeuse de mémoire - par Julien Tremel, L'Avant-Garde, février 2024
Lucienne Nayet, entretien avec une passeuse de mémoire

Le 27 janvier dernier marquait la journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah.  

S’intéressant à la transmission de cette mémoire, l’Avant-Garde a pu s’entretenir avec Lucienne Nayet, fille d’un couple juif polonais ayant émigré en France en 1930 pour fuir l’antisémitisme, dont le père est mort en déportation. 

Suite à son enfance marquée par la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences, Lucienne Nayet a décidé de transmettre son récit à la nouvelle génération, dans les collèges et lycées. Elle est désormais passeuse de mémoire.

L’enfance de Lucienne Nayet

“Je suis fille d’un couple de Juifs polonais, la famille Lerman. Mes parents ont émigré en France en 1930 pour fuir la montée de l’antisémitisme, et ils ont pensé que la France, pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, des Lumières, serait un bon refuge pour eux. Ils ont emménagé dans le 20ᵉ arrondissement de Paris. Ils y ont ouvert une boutique de tailleur, dans laquelle ma mère était finisseuse. Ma grande sœur est née en 1933. La famille a mené une vie tranquille jusqu’au 15 mai 1941, où mon père a reçu un « billet vert » de la police française, qui le convoquait au gymnase Jappy, tout comme 4 000 autres Juifs étrangers, dans le 11ᵉ arrondissement pour une vérification de papiers. Mon père s’y est rendu sans crainte, ses papiers étant en règle, et est parti en disant à ma mère, alors enceinte de moi, de prendre ma sœur et d’aller se promener au parc en attendant son retour.

Mais il n’est jamais revenu. Il a été retenu, puis interné dans des camps en France, à Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Puis, suite à la rafle dite « du Vel d’hiv » les 16 et 17 juillet 1942, il a été déporté dans un des premiers convois pour Auschwitz, dans des conditions effroyables, dans des wagons à bestiaux, tellement entassés que certains mourraient avant même la fin du voyage.

Quand ma mère est revenue du parc avec ma sœur le jour de la convocation de mon père, un voisin, attendait ma mère en bas de l’immeuble et lui a dit de ne pas rentrer dans leur appartement. Ce même voisin, qui était politisé, leur a trouvé un endroit où se cacher. Le 4 août, ma mère a accouché de moi à l’hôpital Rothschild, alors que ce voisin s’occupait de Rachelle, ma sœur, qui avait alors 8 ans. Dans cet hôpital, il y avait un réseau de résistance tenu par des véritables héros de l’ombre : des membres du personnel médical, qui, pour protéger les enfants juifs qui y naissaient, ne déclaraient pas les naissances ou déclaraient les enfants mort-nés, ce qui a été mon cas. Mais ce réseau a été vite démantelé par la police française et la Gestapo.

Le voisin qui avait gardé ma sœur pendant que ma mère était à l’hôpital avait réussi à cacher ma sœur et à lui trouver une famille d’accueil via une association humanitaire. Elle avait été envoyée à Pouzauges, en Vendée. Il a fallu beaucoup de courage à ma mère pour réussir à sortir de l’hôpital et à prendre le train pour Pouzauges avec moi bébé pour rejoindre ma sœur.

Ma mère a retrouvé ma sœur dans sa famille d’accueil, un couple de fermiers d’une cinquantaine d’années, qui avaient deux fils qui avaient à peu près le même âge que ma sœur. Ma mère leur a demandé de me garder aussi, mais ils ont refusé, de peur que leur âge ne rende suspect le fait qu’ils aient un bébé, d’autant plus que pour essayer de boucler les fins de mois, ils lavaient et repassaient le linge de la Kommandantur allemande locale.

Le curé de Pouzauges nous a trouvé un petit logement de 20 m² pour nous cacher. On a été nourris grâce à des habitants. Mais il fallait être très discrètes pour ne pas courir le risque d’être dénoncées, ne pas faire de bruit, donc ne pas parler, ne pas pleurer, ne pas jouer, ne pas sortir. C’est assez difficile à vivre pour une aussi jeune enfant. Ça n’a pas été une enfance normale, je n’ai pas eu la vie qu’un bébé devrait avoir, loin de là.”

La libération

“Ma mère est partie récupérer ma sœur dans sa famille d’accueil, puis nous sommes rentrées à Paris. Ma mère avait gardé la clé de notre appartement, mais au moment de la mettre dans la serrure, elle ne rentrait pas. Elle a été voir le voisin qui nous avait aidés, et il nous a dit que des gens s’étaient installés dans notre logement durant notre absence. Nous avons donc dû trouver un autre logement. Ma mère est parvenue à trouver, par l’intermédiaire de l’association Le croissant rouge, un petit logement dans le 20ᵉ arrondissement, mais il était trop petit pour nous trois. Donc ma mère a été obligée de m’envoyer dans une famille d’accueil, à Gargenville dans les Yvelines. C’étaient des gens très gentils, qui n’ont jamais demandé d’argent à ma mère pour ma garde. Elle venait me prendre pour les week-ends pour que nous puissions nous voir tout de même.

Le premier week-end à Paris, après notre retour de Pouzauges, nous avons été à l’hôtel Lutécia où arrivaient les déportés qui avaient survécu aux camps. Ma mère avait avec elle une photo de mon père. Un déporté s’est approché de nous, en reconnaissant mon père sur la photo, et a dit à ma mère qu’il était mort à Auschwitz.

À ce moment-là, de nombreuses familles juives se sont reconstruites. Ma mère s’est remariée à un homme juif qui avait survécu à la déportation, et qui possédait une production de vêtements, elle s’est installée en ménage avec lui, ils ont eu un enfant, et m’ont fait rejoindre la maison.”

« On imagine que votre jeunesse et votre vie ont été marqués par les conditions particulières de votre enfance.”

“Oui effectivement. J’étais une enfant très turbulente, et même violente. Par exemple, je ne supportais pas le bruit des jouets de mon demi-frère, et je les lui cassais. Je me sentais inadapté, mais à l’époque, on n’allait pas chez le psychologue. Heureusement, j’ai pu me reconstruire grâce à l’école publique.”

Retracer l’histoire…

“C’est la mort de ma mère en 1988 qui a été le déclic. Ma mère a toujours refusé de me raconter ce qu’il s’était passé à l’époque, elle ne voulait pas en parler. À sa mort, j’ai recomposé quelques éléments, mais j’ai surtout interrogé ma sœur, qui avait connu mon père, et qui était assez grande pendant la guerre pour avoir des souvenirs. Mais elle non plus ne voulait pas parler, et j’ai dû lui forcer un peu la main.

Elle avait souffert de la séparation avec ma mère, s’était retrouvée à travailler dur à la ferme, alors qu’elle avait connu avant cela une vie heureuse et paisible avec mes parents. Mais elle a fini par me donner des éléments, notamment le fait que nous étions cachées à Pouzauges après l’arrestation de mon père et ma naissance. J’y suis donc allée en 1990, avec en poche une photo d’époque de mère avec ma sœur et moi. Mais les gens éprouvaient une sorte de peur, même après tout ce temps, et me disaient qu’il n’y avait jamais eu de Juifs à Pouzauges pendant la guerre. Ils avaient sûrement peur qu’on remue le passé.

Alors, je suis allée à la mairie et j’ai laissé mes coordonnées, dans l’espoir de retrouver les gens qui nous avaient aidés là-bas. Et huit jours après, j’ai reçu un appel d’un des fils de la famille qui avaient recueilli ma sœur et qui m’a dit qu’ils avaient cherché à me retrouver, mais en vain.”

… pour ensuite la transmettre

Aujourd’hui, Lucienne est une passeuse de mémoire. Elle parcourt les collèges et lycée de France pour témoigner, à l’appel des professeurs, des horreurs que la guerre engendre en prenant l’exemple de son propre parcours.

“Je pense que raconter ma petite histoire au sein de la grande peut éveiller les jeunes. Je veux les amener à penser, car les événements du présent résonnent parfois étrangement avec ceux du passé, notamment dans l’actualité, les forces politiques qui cherchent à attiser la haine de l’étranger. Même si c’est émotionnellement pénible pour moi de raconter cette lourde histoire, je le vis comme un acte de citoyenneté et un acte militant.”

Son combat ne s’arrête pas là. Lucienne est la présidente du réseau national des musées de la résistance et membre de l’Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de la Résistance. Elle est également membre du Parti communiste Français et a été adjointe à la mairie de Champigny-sur-Marne.

“J’ai également fait partie d’une association qui aidait un camp de réfugiés palestinien, ce qui montre bien que l’on peut être issu de la culture juive tout en s’opposant à la politique d’Israël quant à la Palestine”. 

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