Légende photo - Charles Tillon à Carhaix en 1945 comme ministre de l'Air (archives Jean-Claude Cariou): Une photo prise au milieu de la foule sur le stade de Carhaix en 1945, près de l'emplacement actuelle des "Vieilles Charrues". Cette photo appartient à la collection privée de Jean-Claude Cariou. Au dos, on y trouve un tampon du service du ministère de l'Air. De gauche à droite, on peut voir avançant au milieu de la foule un officier de l'armée de l'air, Charles Tillon, Alain Cariou, résistant communiste, vice-président du Comité Départemental de Libération, chargé de l'épuration des fonctionnaires, permanent du PCF jusqu'en 1947 avant de reprendre ses fonctions d'instituteur, Gaby Paul, député PCF de Brest, membre du Comité Départemental de Libération, un élu (le maire de Carhaix), et sans doute le secrétaire de Charles Tillon et un membre du cabinet (légende Jean-Claude Cariou)
Natif de Bretagne, syndicaliste CGT, élu député de la Seine sous le Front populaire, il est l’un des trois principaux dirigeants de l’organisation communiste clandestine. Chef fondateur des Francs-Tireurs Partisans français, il sera nommé ministre à la Libération.
Nous sommes le 17 juin 1940. Charles Tillon, dirigeant du Parti communiste français clandestin, lance un appel à la constitution d’un gouvernement « luttant contre le fascisme hitlérien (…) pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes ».
Cet appel titré « Peuple de France » est diffusé sous forme de tract, en particulier dans la région de Bordeaux où l’ancien député PCF du Front populaire, déchu et condamné par contumace au début de l’année, a élu domicile. En tant que l’un des quatre instructeurs interrégionaux, il est chargé de réorganiser le parti clandestin dans le quart sud-ouest. Ce travail souterrain est conduit au sein de l’Organisation spéciale, assurant l’impression de journaux et de tracts ainsi que la protection des responsables.
À partir du mois d’octobre 1940, Charles Tillon devient un des trois principaux dirigeants du Parti communiste et rejoint Paris en décembre. Benoît Frachon a en charge la gestion des cadres régionaux et le mouvement syndical, la CGT, Jacques Duclos l’appareil politique et la presse, et Charles Tillon, l’organisation militaire.
Un dirigeant de premier plan
Le Breton a été repéré très tôt comme un excellent organisateur. Il a déjà acquis une grande expérience de la lutte collective dans les situations les plus difficiles. Né à Rennes (Ille-et-Vilaine) en 1897, le jeune marin, âgé d’une vingtaine d’années, est un des meneurs d’une grève puis d’une mutinerie de près de 200 hommes à bord d’un bateau engagé aux côtés de Russes blancs en mer Noire. À la suite de cette mutinerie, il est condamné à cinq années de bagne et aux travaux forcés. Sa peine sera réduite et il retrouve sa Bretagne natale, où il commence à militer à la CGTU et au Parti communiste naissant.
Le jeune militant, peu après avoir pris la tête de l’union départementale CGTU en 1923, devient permanent syndical. Comme le relate l’historien Denis Peschanski dans sa notice du Maitron, Charles Tillon suit en particulier la grève des sardinières, les « Penn sardin » (ouvrières des usines de conserves) de Douarnenez (Finistère), déclenchée en 1924. Il encadre ensuite plusieurs grands mouvements revendicatifs et devient un dirigeant de premier plan, d’abord au sein de la Fédération des céramiques et produits chimiques, puis de celle des ports et docks.
Devenu membre du bureau confédéral de la CGT, il gagne la région parisienne et est élu au comité central du PCF. Il se présente aux élections locales à Aubervilliers et en devient conseiller général en 1935, puis député en mai 1936. Un temps membre du bureau politique, il quitte l’instance. Mais déjà les nuages annonciateurs des heures sombres s’accumulent à l’Est. Le terrible combat contre fascisme et nazisme est à l’ordre du jour.
En avril 1939, l’élu est membre d’une délégation internationale envoyée en Espagne pour aider au rapatriement des républicains espagnols grâce à des bateaux affrétés par France-Navigation. En 1940, il compte parmi les neuf députés communistes qui échappent à leur arrestation. Il plonge alors dans la clandestinité à Bordeaux, puis à Paris.
Un organisateur tout terrain
Fort de ces années de luttes sociales et de son expérience d’organisateur hors pair et tout-terrain, le membre du secrétariat du PCF crée fin 1941 les Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF) dont il prend la tête. Ces groupes de combattants de l’ombre sont la branche armée du Front national constitué par le Parti communiste en mai pour élargir son action au-delà des rangs communistes.
Durant trois longues années, les FTP implantés aux quatre coins du pays se constituent en maquis et jouent, souvent au prix de leur vie, un rôle primordial dans le combat de la Résistance intérieure. À partir du débarquement du 6 juin 1944, ils participent activement à la libération du territoire national et des grandes villes françaises. Son rôle dans la lutte victorieuse sera reconnu : Charles Tillon devient à la Libération ministre de l’Air dans le premier gouvernement formé par le général de Gaulle, puis ministre de l’Armement et, dans le troisième, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
Il est réélu aussi député de la Seine. Mais le monde entre dans la guerre froide, et déjà l’ancien résistant doit faire face à une épreuve à laquelle il n’était pas si bien préparé. Piloté depuis Moscou, un règlement de comptes digne du pire procès stalinien est ourdi : c’est ce que l’on appellera pudiquement « l’affaire Marty-Tillon » en 1952 durant laquelle André Marty, héros des Brigades internationales, sera exclu et le second, remis à la base. Charles Tillon sera définitivement exclu en 1970 et sa mémoire dans le livre héroïque du communisme français sera trop souvent effacée en dépit de son engagement de la première heure.
À lire Charles Tillon, le chef des FTP trahi par les siens, de Fabien Tillon, éditions Don Quichotte/Seuil, 2021.
Lire aussi sur le Chiffon Rouge:
http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/2018/06/17-juin-1940-l-appel-a-la-resistance-de-charles-tillon.html
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1945: Charles Tillon, ministre de l'air, en visite à Carhaix (une photo inédite avec Gaby Paul et Alain Cariou, cadres du PCF dans le Finistère à la libération)
Les communistes et la résistance: 17 juin 1940: la reconnaissance de l'appel de Charles Tillon
Communistes de Bretagne (1921-1945)
« Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie... Et maintenant, ils livrent la France.
Ils ont tout trahi.
Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays entier, au fascisme.
Mais le peuple français ne veut pas de la misère de l’esclavage du fascisme.
Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes.
Il est le nombre : uni, il sera la force.
Pour l’arrestation immédiate des traîtres
Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.
Peuple des usines, des champs, des magasins, des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes,
UNISSEZ VOUS DANS L’ACTION!"
Charles TILLON,
Gradignan, 17 juin 1940
Antoine Porcu (1) a présente le texte de cet appel et en a expliqué le sens dans un entretien accordé à l’Humanité le 4 mars 2006
« L’appel de Charles TILLON est un appel à la résistance sur le territoire national, tandis que celui du général de Gaulle s’adresse d’abord aux français présents en Angleterre pour leur demander de se rassembler autour de lui. Par ailleurs, l’appel de Charles TILLON est explicitement lancé au nom de la lutte contre le fascisme.
Cela le différencie également de l’appel de Thorez et Duclos du 10 juillet 1940, conforme à la ligne de la IIIeme Internationale. Celle-ci réduisait la guerre en cours à un affrontement antiimpérialiste. Cela ne permettait pas de cerner la spécificité du phénomène fasciste. À l’inverse, Charles Tillon en appelle au rassemblement du peuple dans l’action contre le « fascisme hitlérien », dans le droit fil de la stratégie du Front Populaire pour laquelle Maurice Thorez s’était lui-même battu.
Depuis la Libération, la propagande anticommuniste affirme que les communistes ne sont entrés en résistance qu’en juin 1941, lorsque l’Union soviétique est attaquée par les nazis. C’est une parfaite falsification. D’ailleurs, l’importance de ce texte a été appréciée par la direction clandestine du Parti Communiste, laquelle intègre Charles Tillon, à la demande de Benoît Frachon. Mais derrière ce genre d ‘accusation, c’est le rapport même des communistes au peuple français de l’époque qui est questionné. L’appel de Charles TILLON permet de lever toute ambiguïté. Il prouve que l’engagement des communistes s’est fait indépendamment des directives de la IIIeme Internationale.
Car cet appel n’est pas une initiative purement personnelle. Lorsqu’il le rédige Charles TILLON est mandaté par le Comité central pour réorganiser le parti communiste dans tout le Sud-Ouest de la France. Son appel y rencontre un certain écho. Les kiosquiers de Bordeaux l’insèrent dans les journaux. Il parvient même jusqu’aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Le Parti communiste français a été traversé par de nombreuses et dramatiques contradictions. Mais il a toujours été avant tout un collectif de femmes et d’hommes mobilisés pour l’émancipation humaine. Le combat pour cette reconnaissance est crucial dans un contexte où la droite la plus réactionnaire reprend le flambeau de la virulente campagne anticommuniste d’après-guerre dans le but de briser tout espoir de transformation sociale. »
(1) Antoine PORCU, ouvrier métallurgiste, il adhère au PCF en 1943. Il rejoint alors le réseau des jeunes communistes résistants. Secrétaire de la fédération du PCF de Meurthe et Moselle de 1961 à 1979,
Il est député de 1978 à 1981, il collabore au cabinet de Charles Fiterman au ministère des transports. Il ne renonce pas à son idéal et écrit de nombreux ouvrages en l’honneur des militants et résistants communistes. Il meurt le 1er mars 2017
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