Pierre Barbancey, L'Humanité, 27 mai 2024
Israël a bombardé un camp de déplacé dans le sud de l’enclave palestinienne, faisant au moins 40 morts, sous prétexte de frapper le Hamas. L’application de l’ordonnance de la Cour internationale de justice exigeant l’arrêt de l’intervention à Rafah relève de l’attitude de la communauté internationale.
Les images vidéo qui circulent sur les réseaux sociaux sont horribles. C’est la nuit. Les morts s’entassent. Des tentes brûlent, des hommes s’activent pour tenter de venir au secours des blessés. Soudain l’un d’entre eux exhibe le corps d’un enfant. Sa tête a été arrachée. C’est insoutenable.
Il s’agit de frappes de missiles qui se sont abattues en pleine nuit sur le camp de Barkasat, à l’ouest de la ville de Rafah, faisant au moins 40 morts. Le Croissant-Rouge palestinien (PRCS) affirme que beaucoup de victimes ont été « brûlées vives » dans leur tente. Une zone qui avait été désignée comme sécurisée par l’armée israélienne.
Celle-ci affirme avoir frappé un complexe du Hamas dans lequel opéraient « d’importants terroristes ». Elle ajoute : « La frappe a été menée contre des cibles légitimes au regard du droit international, grâce à l’utilisation de munitions précises et sur la base de renseignements précis. » Pourtant, des bombardements dans d’autres zones de Rafah ont également été signalés, dimanche, en fin de journée.
« Un schéma plus large de crimes de guerre »
La référence au droit international ne manque pas de sel de la part des autorités israéliennes alors qu’elles font la sourde oreille aux ordonnances de la Cour internationale de justice (CIJ). Vendredi, une nouvelle fois interpellée par l’Afrique du Sud, la plus haute instance juridique de l’ONU avait ordonné aux autorités israéliennes d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah.
La Cour exigeait également de mettre un terme à « toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah qui serait susceptible d’infliger au groupe des Palestiniens de Gaza des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique ou partielle ».
Ce nouveau crime n’est d’ailleurs pas totalement une surprise. Amnesty International vient de publier un rapport dans lequel l’organisation suggère à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur trois bombardements israéliens qui ont tué 44 civils palestiniens, dont 32 enfants, dans l’enclave occupée au mois d’avril.
« Les frappes – une sur Maghazi, le 16 avril, et deux sur Rafah, les 19 et 20 avril – ont également blessé au moins 20 civils et sont une preuve supplémentaire d’un schéma plus large de crimes de guerre commis par l’armée israélienne dans la bande de Gaza occupée au cours des sept derniers mois », écrit Amnesty International.
« Voulons-nous vivre dans un monde où le droit est appliqué de manière équitable ou dans un monde où nous fermons les yeux et détournons le regard en raison de nos allégeances ? » demande Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) dans un entretien donné au Times de Londres, la semaine dernière. Ce qui revient à poser dans le même temps la question de l’application des mesures décidées par la justice internationale.
Si Tel-Aviv ignore les ordres de la CIJ, c’est qu’il pense pouvoir continuer de bénéficier d’une impunité effective depuis soixante-seize ans. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, depuis 1948, 229 résolutions sur la colonisation, le statut de Jérusalem ou le retour des réfugiés, sans qu’aucune ne soit appliquée.
Les ordonnances de la CIJ, qui tranche les différends entre États, sont juridiquement contraignantes, mais elle n’a pas de moyens pour les faire respecter. Il revient donc aux États membres de l’ONU de se faire le garant de la mise en application des décisions.
En l’occurrence, il s’agit maintenant de prendre des mesures coercitives à l’encontre d’Israël comme cela a été le cas au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. L’Union européenne avait immédiatement réagi. Mais, s’agissant d’Israël, la plupart des pays traînent des pieds, comme si cet État se trouvait au-dessus des lois humaines. Pour les États-Unis, c’est évidemment impensable.
La nécessaire reconnaissance de l’État de Palestine
L’UE a pourtant les moyens de suspendre ses accords de coopération avec Israël, en vertu de l’article 2 relatif au respect des droits de l’homme. Dix-neuf ONG viennent d’interpeller le Conseil de sécurité de l’ONU « pour faire respecter la justice, protéger les droits de la personne et maintenir la paix et la sécurité internationales. Ne pas le faire compromettrait davantage les conditions de vie à Gaza et minerait la confiance mondiale dans la primauté du droit international ».
Lors d’un point de presse électronique, ce 27 mai au matin, l’Humanité a interrogé le ministère français des Affaires étrangères pour connaître les mesures que la France entendait prendre pour forcer Israël à suivre les ordres de la CIJ. Mais, en fin d’après-midi, aucune réponse ne nous était parvenue !
Alors que ce 28 mai marque la reconnaissance de l’État de Palestine par trois États européens – l’Espagne, l’Irlande et la Norvège –, la France se grandirait à faire de même. Une telle décision pourrait faire basculer l’UE. Elle ouvrirait la voie à une nouvelle phase permettant la création réelle d’un État de Palestine puisque, officiellement, Paris soutient une solution à deux États. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent dans ce sens. L’une des meilleures armes pour empêcher le génocide, dont le risque est bien réel, comme l’a dénoncé la Cour internationale de justice.
Matt Carthy, qui pourrait devenir ministre des Affaires étrangères dans un gouvernement dirigé par le Sinn Féin, appelle les pays à suivre l’Irlande et à agir pour mettre fin au massacre à Gaza.
Recueilli par Pierre Barbancey, L'Humanité - 27 mai 2024
L’Irlande, avec l’Espagne et la Norvège, reconnaît officiellement, ce 28 mai, l’État de Palestine. Un geste politique fort, explique le parlementaire du Sinn Féin.
Comment réagissez-vous à la reconnaissance par l’Irlande de la Palestine comme État ?
Matt Carthy
Député Sinn Féin au Parlement irlandais
Il s’agit d’un moment historique pour l’Irlande et la Palestine. C’est un signal envoyé au peuple palestinien qu’en Irlande et en Europe, nous l’entendons et nous le soutenons dans sa lutte pour un État indépendant et dans son combat de vouloir vivre en paix.
Ce moment est très important pour tous ceux qui ont fait campagne en Irlande pour défendre cette reconnaissance. Ils ont défendu le droit international et ils ont compris que la seule voie vers une paix durable au Moyen-Orient demeure celle d’un État palestinien libre, indépendant et souverain.
Qu’est-ce que cela change si l’Irlande, l’Espagne et la Norvège reconnaissent maintenant l’État palestinien ?
C’est le signal qu’une voie vers une paix durable existe et que le peuple de Palestine doit avoir son propre État indépendant. L’État que nous allons maintenant reconnaître officiellement a longtemps subi l’oppression, l’occupation et l’apartheid. Gaza, en particulier, qui fait face actuellement à un génocide implacable.
Si la reconnaissance de l’État de Palestine est importante, Israël doit rendre des comptes et être sanctionné de manière significative pour les violations flagrantes du droit international dans l’enclave et dans toute la Palestine.
Nous avons dit au gouvernement irlandais que c’était une étape importante. Dublin doit faire partie des pays qui non seulement reconnaissent un État palestinien viable et libre mais œuvrent pour une paix durable et juste au Moyen-Orient.
Que peuvent faire l’Irlande ou d’autres pays pour mettre en œuvre l’ordonnance de la Cour internationale de justice ?
Il n’est pas acceptable que des États comme l’Irlande ou d’autre pays de l’Union européenne continuent à entretenir des relations commerciales, économiques et diplomatiques préférentielles avec Israël. Cet État viole de façon flagrante non seulement le droit international depuis plusieurs décennies, mais aussi actuellement une ordonnance de la Cour internationale de justice.
Nous ne pouvons pas simplement poursuivre les échanges commerciaux avec le gouvernement israélien comme avec n’importe quel autre partenaire commercial. Le gouvernement irlandais a demandé à la Commission européenne de revoir l’accord d’association UE-Israël. Cet accord doit être suspendu jusqu’à ce Tel-Aviv adhère et applique le droit international. Et nous devons le faire dans le respect des droits humains du peuple palestinien.
En Irlande, il existe un certain nombre de mesures législatives que nous jugeons importantes, dont l’une s’intitule Illegal Israeli Settlements Divestment Bill. Elle exige que la société d’investissement de l’État se désengage des entreprises qui profitent d’échanges avec des colonies. Nous avons également appuyé le projet de loi sur les territoires occupés qui rendrait illégal le commerce avec toute entité qui est engagée et qui profite de l’occupation.
La sauvagerie en cours à Gaza est si grande que nous devons utiliser toutes les sanctions économiques, commerciales et diplomatiques à notre disposition pour faire pression sur les autorités israéliennes. Malgré les 35 000 tués à Gaza, dont plus de 15 000 enfants, Tel-Aviv n’a subi aucune conséquence. Cela doit changer.
Vous attendez-vous à de nouvelles attitudes de la part d’autres pays d’Europe ?
J’espère vraiment que d’autres gouvernements vont nous emboîter le pas. Comment l’Union européenne peut-elle parler de droit international, de droit humanitaire, de la charte des Nations unies ou de la nécessité d’adhérer aux normes démocratiques et aux droits de l’homme lorsque nous restons impassibles aux actions d’Israël et le laissons agir grâce à nos accords préférentiels dans le commerce et l’économie ?
J’espère que d’autres États européens reconnaîtront l’État de Palestine. Le plus important, c’est là que le gouvernement irlandais a encore du chemin à faire, c’est de s’assurer qu‘Israël soit confronté aux conséquences de toute violation du droit international. Car l’histoire nous démontre que, pour mettre fin à l’agression et à l’oppression, la communauté internationale doit agir en conséquence.
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